Erdos et Foyer Hongrois |
2014 QCCLP 4222 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 20 mars 2013, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révision à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles tranche deux requêtes déposées par madame Ilona Erdos (la travailleuse) dans les dossiers 465442-62C-1203 et 476746-62C-1207.
[3] Dans le dossier 465442-62C-1203, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête de la travailleuse déposée le 15 mars 2012, modifie la décision de la CSST du 9 mars 2012, rendue à la suite d’une révision administrative, déclare que la récidive, rechute ou aggravation du 11 mars 2010 n’a laissé aucune atteinte permanente à l'intégrité physique et déclare que cette lésion a entraîné des limitations fonctionnelles (éviter les positions accroupies ou à genoux, éviter les marches prolongées pour plus de cinq minutes à la fois, éviter le transport de charges pesant plus de cinq kilogrammes lors des déplacements et éviter d’activer des pédales avec les membres inférieurs).
[4] Pour le dossier 476746-62C-1207, la Commission des lésions professionnelles retourne le dossier à la CSST afin qu’elle analyse la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi en fonction des nouvelles limitations fonctionnelles découlant de la récidive, rechute ou aggravation du 11 mars 2010.
[5] À l’audience tenue le 25 mars 2014 à Montréal, la travailleuse est absente mais représentée par procureur. La CSST, dûment intervenue, est représentée par procureure.
[6] Foyer Hongrois (l’employeur), bien que dûment convoqué, est absent.
[7] Le dossier est mis en délibéré à compter du 25 mars 2014.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[8] La CSST dépose une requête le 20 mars 2013 demandant la révision de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013. Cette décision serait entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[9] Le 18 octobre 2013, à la suite d’une enquête amorcée au printemps 2013, la CSST dépose un amendement à sa requête en révision. Elle fait part de la découverte d’un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente.
LES FAITS
[10] Il convient d’abord de rappeler certains faits ayant conduit à rendre la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013. Ceci, dans une optique de bien comprendre la chronologie des faits et de juger du bien-fondé des motifs avancés par la CSST au soutien de sa requête pour faire réviser la décision concernée.
[11] À l’époque pertinente, la travailleuse occupe un poste de préposée à l’entretien ménager pour le compte de l’employeur, lequel opère un établissement accueillant des bénéficiaires autonomes ou en perte d’autonomie.
[12] Le 29 avril 2009, en nettoyant un plancher, la travailleuse fait une chute et se blesse au genou gauche.
[13] On diagnostique d’abord une entorse au genou gauche. Devant la persistance des symptômes, on demande une résonance magnétique du genou. Cet examen a lieu le 3 juin 2009 et révèle une déchirure du ligament collatéral interne du genou gauche.
[14] On retient alors des diagnostics d’entorse ou de déchirure ligamentaire. En fait, tenant compte de la déchirure ligamentaire observée, on parle d’une entorse du genou de grade 2 ou de grade 3, affectant particulièrement le ligament collatéral interne.
[15] La lésion professionnelle est consolidée le 20 juillet 2009. On prévoit l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[16] Le 2 septembre 2009, à la demande de la CSST, le docteur Morris Duhaime, orthopédiste, examine la travailleuse pour évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle du 29 avril 2009.
[17] À la suite de son examen, le docteur Duhaime est d’avis que la lésion professionnelle entraîne un déficit anatomophysiologique de 2 % pour une atteinte des tissus mous du genou gauche avec séquelles fonctionnelles et des limitations fonctionnelles.
[18] À titre de limitations fonctionnelles, il demande à la travailleuse d’éviter de travailler en position accroupie, de travailler sur des surfaces inégales et d’avoir la possibilité de changer de position au besoin pour éviter une raideur du genou gauche.
[19] Le 22 octobre 2009, le médecin qui a charge de la travailleuse à l’époque produit un rapport complémentaire dans lequel il se dit d’accord avec les conclusions du docteur Duhaime.
[20] Le 5 novembre 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine l’atteinte permanente à l'intégrité physique à 2,20 % et le 19 novembre 2009, elle statue sur la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi à cette date.
[21] Le 11 mars 2010, la travailleuse consulte le docteur Allen Payne, lequel réitère le diagnostic de déchirure du ligament collatéral interne du genou gauche et ajoute celui d’entorse à la hanche droite.
[22] Divers examens paracliniques sont demandés (arthrographie, résonance magnétique) pour investiguer la hanche droite de la travailleuse.
[23] Celle-ci produit une réclamation à la CSST pour faire reconnaître l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation à compter du 11 mars 2010.
[24] Le 27 avril 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse de reconnaître l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation le 11 mars 2010 (déchirure du ligament collatéral interne du genou gauche ou entorse de la hanche droite).
[25] Cette décision est contestée jusqu’à la Commission des lésions professionnelles (dossier 414401-71-1006).
[26] Le 8 mars 2011, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[1] par laquelle elle reconnaît l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation à compter du 11 mars 2010, en relation avec la lésion professionnelle du 29 avril 2009. Les diagnostics en cause sont ceux de déchirure du ligament collatéral interne du genou gauche, déjà constatée préalablement, et celui d’entorse à la hanche droite.
[27] Entre-temps, le 4 octobre 2010, la travailleuse est évaluée une première fois par le docteur Gilles Roger Tremblay, orthopédiste, à la demande de son procureur.
[28] À la suite de son examen, le docteur Tremblay indique ce qui suit :
OPINION :
Cette patiente, qui a fait essentiellement une chute sur les deux genoux, s’est blessée principalement au niveau du genou gauche et elle rapporte que la douleur au genou irradiait le long de la jambe jusqu’au bassin et, progressivement, est apparue une douleur à l’aine droite, qui irradie dans le dos.
Le genou est mieux.
Considérant donc l’évolution de la situation chez cette patiente, nous croyons qu’elle s’est infligée [sic] une entorse du genou gauche lors de sa chute et qu’elle a aggravé une arthrose dégénérative précoce de la hanche droite, à cause de la boiterie.
À l’heure actuelle, madame Erdos est incapable de s’accroupir et la marche est rendue difficile au-delà de 300 à 400 mètres.
[notre soulignement]
[29] Il détermine un déficit anatomophysiologique de 8 %, soit 2 % pour une atteinte des tissus mous du membre inférieur gauche avec séquelles fonctionnelles, 1 % pour flexion de la hanche gauche à 110 degrés, 1 % pour extension à 20 degrés, 2 % pour rotation interne à 20 degrés et 2 % pour abduction à 15 degrés.
[30] Quant aux limitations fonctionnelles, elles sont décrites comme suit :
- Éviter les positions accroupies ou à genoux.
- Éviter les marches prolongées pour plus de 5 minutes à la fois.
- Éviter le transport de charges pesant plus que 5 kilogrammes lors des déplacements.
- Éviter d’activer les pédales avec les membres inférieurs.
[nos soulignements]
[31] Jusqu’au mois de septembre 2011, la travailleuse est suivie pour sa lésion à la hanche droite, pour laquelle elle reçoit, entre autres, une infiltration.
[32] Le 22 septembre 2011, le docteur Payne produit un rapport médical final. La déchirure du ligament collatéral interne du genou gauche et l’entorse de la hanche droite sont consolidées depuis le 28 août 2011.
[33] Il dirige la travailleuse au docteur Tremblay pour l’évaluation de l’atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles en relation avec la récidive, rechute ou aggravation du 11 mars 2010, le cas échéant.
[34] Entre-temps, le 27 octobre 2011, à la demande de la CSST, la travailleuse est examinée par le docteur Jacques Étienne Des Marchais, orthopédiste.
[35] À la suite de son examen, le docteur Des Marchais conclut comme suit quant aux séquelles possibles :
CONCLUSION
Genou gauche :
1. Présence de limitation(s) fonctionnelle(s)
- Étant donné l’absence d’atrophie musculaire au niveau du quadriceps gauche;
- étant donné l’absence de grattage patello-fémoral, donc, ce qui est décrit à la résonance magnétique comme une arthrose fémoro-patellaire n’a pas sa répercussion encore sur le plan clinique, et cela, après plusieurs tentatives de reproduire le grattage et le tout vérifié par auscultation avec stéthoscope;
- étant donné qu’à toutes fins utiles, l’examen du genou est actuellement tout à fait dans les limites de la normale :
Conséquemment, nous n’avons pas d’élément qui justifierait l’attribution de limitations fonctionnelles.
2. Atteinte permanente à l'intégrité physique
Hanche droite :
3. Présence de limitation(s) fonctionnelle(s)
Il n’y a aucun justificatif pour l’attribution de limitations fonctionnelles.
4. Atteinte permanente à l'intégrité physique
Il n’y a aucune atteinte permanente.
[nos soulignements]
[36] Le dossier de la travailleuse est acheminé au Bureau d’évaluation médicale sur les questions de l’atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[37] Le 13 janvier 2012, elle est examinée par le docteur Pierre Paul Hébert, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale.
[38] L’examen révèle une absence de déficit objectif au niveau du genou gauche et l’examen des deux hanches est semblable avec une légère diminution de rotation interne comme on en rencontre, selon le docteur Hébert, dans les cas de coxarthrose bilatérale au début.
[39] À la suite de son examen, le docteur Hébert maintient un déficit anatomophysiologique de 2 % pour une atteinte des tissus mous du membre inférieur gauche et il est d’avis qu’il n’y a pas de modification aux limitations fonctionnelles préalablement établies par le docteur Duhaime, le 9 septembre 2009.
[40] Le 2 février 2012, la CSST rend une décision à la suite de cet avis du membre du Bureau d’évaluation médicale. La travailleuse demande une révision de cette décision.
[41] Le 9 mars 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme sa décision du 2 février 2012.
[42] La travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision (dossier 465442-62C-1203).
[43] Entre-temps, la CSST entreprend une analyse de la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi, à la suite de l’avis rendu par le membre du Bureau d'évaluation médicale.
[44] Le 2 février 2012, une conseillère en réadaptation communique avec la travailleuse pour prévoir une rencontre. La travailleuse réfère la conseillère à son fils. Ce dernier fait part de son insatisfaction quant au processus et indique que selon le médecin, la travailleuse est entièrement invalide et incapable d’occuper tout emploi.
[45] Le 23 février 2012, une autre conseillère en réadaptation prend charge du dossier. Elle indique que le dossier sera de nouveau soumis à l’attention d’une ergothérapeute (madame Nathalie Brisebois), laquelle a déjà fait la visite du poste de travail le 28 juin 2011 et produit un rapport détaillé. Ceci permettra de juger du respect ou non des limitations fonctionnelles.
[46] Le 30 mars 2012, la conseillère en réadaptation procède à une analyse des tâches de préposée à l’entretien ménager répertoriées lors de la visite du 28 juin 2011 par l’ergothérapeute. Elle les compare aux limitations fonctionnelles retenues.
[47] Considérant que les limitations fonctionnelles de la travailleuse sont respectées, elle conclut que les exigences physiques de l’emploi sont compatibles avec de telles limitations.
[48] Le 18 avril 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle statue sur la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi de préposée à l’entretien ménager depuis le 17 avril 2012. La travailleuse demande la révision de cette décision.
[49] Entre-temps, à la demande de son procureur, la travailleuse est réexaminée par le docteur Tremblay le 16 janvier 2012, lequel produira son rapport d’expertise le 24 mai 2012.
[50] Dans ce rapport, le docteur Tremblay indique ce qui suit :
OPINION :
Cette patiente a fait une chute à son travail, avec un diagnostic d’entorse sévère du ligament collatéral interne du genou gauche.
Elle demeure avec une douleur localisée à la face interne du genou gauche, avec un crépitement fémoro-tibial et fémoro-patellaire. Elle a également développé, vraisemblablement à cause de la chute et de la boiterie qui s’ensuivit, une bursite trochantérienne qui la limite considérablement et qui génère un hypo-usage de la hanche, tel que noté à la résonance magnétique.
Nous avions cru qu’il s’agissait d’une arthrose dégénérative précoce, mais en réalité, il s’agit d’une bursite trochantérienne suffisamment sévère pour engendrer une atrophie de non-usage du moyen fessier.
Même si une infiltration de cortisone pourrait quelque peu soulager les symptômes, celle-ci ne permettra jamais la récupération complète à cause de la lésion de boiterie persistante résultant de la lésion au genou gauche.
En conséquence, nous maintenons notre opinion quant à la présence d’une atteinte permanente, telle que détaillée dans l’expertise antérieure.
Nous maintenons également les limitations fonctionnelles que nous avions suggérées.
À notre avis, ces limitations fonctionnelles sont incompatibles avec le travail de préposée à l’entretien.
[nos soulignements]
[51] Le 6 juillet 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi à compter du 17 avril 2012.
[52] La travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision (dossier 476746-62C-1207).
[53] Une audience a lieu devant la Commission des lésions professionnelles le 18 décembre 2012 afin de trancher d’une part l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou de limitations fonctionnelles, à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 11 mars 2010 et d’autre part, la question de la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi à compter du 17 avril 2012.
[54] Le tribunal a pris connaissance des notes sténographiques de l’audience du 18 décembre 2012, produites par la CSST.
[55] Assistent à cette audience la travailleuse (accompagnée de son fils), son procureur et la procureure de la CSST. La Commission des lésions professionnelles entend les témoignages de la travailleuse et du docteur Tremblay.
[56] Au paragraphe 24 de sa décision, le premier juge administratif résume le témoignage de la travailleuse comme suit :
[24] Lors de son témoignage, la travailleuse décrit des douleurs qu’elle qualifie d’intenses et qu’elle situe au genou gauche et à la hanche droite. Elle indique qu’elle ne peut garder la position debout plus de 5 ou 7 minutes. Elle précise aussi qu’elle ne peut marcher durant plus de 10 minutes. Elle utilise une canne qui facilite ses déplacements. Enfin, elle ne peut effectuer ses activités domestiques quotidiennes, comme cuisiner, faire la vaisselle et passer l’aspirateur.
[notre soulignement]
[57] Quant au témoignage du docteur Tremblay, il est résumé comme suit :
[25] Le docteur Tremblay témoigne à la demande de la travailleuse. Il mentionne qu’antérieurement à la résonance magnétique du 19 janvier 2012, on pouvait croire que la boiterie de la travailleuse était causée par une ostéoarthrose. Toutefois, ces résultats permettent plutôt d’inférer que les douleurs sont présentes en raison d’une bursite de la hanche droite. Quant à l’atrophie retrouvée au membre inférieur droit, elle trouve son origine dans une utilisation réduite de ce membre inférieur, elle-même provoquée par la douleur.
[26] Par ailleurs, le docteur Tremblay commente les examens réalisés par les docteurs Des Marchais et Hébert pour conclure qu’on y retrouve des contradictions avec ses propres observations objectives.
[27] Lorsqu’il répond aux questions de la procureure de la CSST, le docteur Tremblay admet qu’il y a des inexactitudes au bilan des séquelles qu’on retrouve à son expertise du 18 juin 2010.
[notre soulignement]
[58] Puis le premier juge administratif conclut:
[44] En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, malgré les amplifications dont la travailleuse a fait montre, il demeure que la résonance magnétique du 19 janvier 2012 dévoile une légère atrophie du muscle du petit fessier. On doit tirer la conclusion que la travailleuse fait un usage réduit de son membre inférieur droit. Considérant cette nouvelle donnée objective mise en lumière par l’imagerie radiologique, on doit retenir les limitations fonctionnelles énoncées par le docteur Tremblay puisque ce sont les seules qui tiennent compte de la lésion survenue à la hanche droite, les docteurs Hébert et Des Marchais étant muets sur ce sujet.
[45] De tout ce qui précède, il ressort que la récidive, rechute ou aggravation survenue le 11 mars 2010 n’a pas laissé une atteinte permanente supplémentaire à celle reconnue le 5 novembre 2009 mais a entraîné les limitations fonctionnelles suivantes :
- Éviter les positions accroupies ou à genoux.
- Éviter les marches prolongées pour plus de 5 minutes à la fois.
- Éviter le transport de charges pesant plus que 5 kilogrammes lors des déplacements.
- Éviter d’activer des pédales avec les membres inférieurs.
[46] Étant donné que le présent tribunal a identifié de nouvelles limitations fonctionnelles qui n’ont pas été évaluées par la CSST aux fins de déterminer si la travailleuse est capable de réintégrer son emploi prélésionnel, il y a lieu de lui retourner le dossier afin qu’elle procède à une nouvelle analyse de la compatibilité de ces limitations fonctionnelles avec l’exercice de l’emploi qu’occupait la travailleuse.
[nos soulignements]
[59] C’est ainsi que la Commission des lésions professionnelles déclare que la lésion professionnelle du 11 mars 2010 n’a laissé aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique mais des limitations fonctionnelles, soit celles suggérées par le docteur Tremblay.
[60] Tenant compte de la présence de nouvelles limitations fonctionnelles, elle retourne le dossier à la CSST afin que cette dernière analyse la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi.
[61] Le 20 mars 2013, la CSST, par l’entremise de sa procureure, dépose une requête en révision à l’encontre de cette décision. Elle soumet que la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[62] De façon plus spécifique, elle réfère au paragraphe 44 de la décision. La procureure soumet que la Commission des lésions professionnelles ne pouvait conclure de la sorte puisque l’expertise du docteur Tremblay du 16 janvier 2012 est basée sur un diagnostic qui n’est pas retenu, soit celui de bursite trochantérienne.
[63] Par ailleurs, la CSST s’affaire à appliquer le dispositif de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013.
[64] Ce faisant, elle reprend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu depuis avril 2012 et elle dirige la travailleuse vers une conseillère en réadaptation afin d’évaluer sa capacité d’exercer un emploi, tenant compte de ses nouvelles limitations fonctionnelles. C’est ainsi que la travailleuse est dirigée vers madame Marie-Pier Maisonneuve.
[65] Madame Maisonneuve communique avec la travailleuse. Une première rencontre est prévue pour le 15 mai 2013.
[66] À cette date, la travailleuse se présente au bureau de madame Maisonneuve accompagnée de son fils :
Titre : rencontre avec T et son fils
- ASPECT PROFESSIONNEL :
T se présente à l’heure à nos bureaux. Elle est accompagnée de son fils qui souhaite être présent pour s’assurer que sa mère comprend bien ce qui se dit à la rencontre.
Lorsque T se lève pour m’accompagner à la salle d’entrevue, elle utilise sa canne et se lève avec difficulté. Elle présente une boiterie et se déplace très lentement à l’aide de sa canne. T commence en me disant qu’elle déménage le 22 juin. Ils ont acheté une maison dans Vaudreuil-Dorion. J’informe T que son dossier va peut-être être transféré à nos bureaux de Valleyfield. Nous allons tout de même faire la rencontre afin d’expliquer à T les prochaines démarches en réadaptation.
J’explique à T que suite à la décision de la CLP, les limitations fonctionnelles suivantes ont été retenues.
• Éviter les positions accroupies ou à genoux
• Éviter les marches prolongées pour plus de 5 minutes à la fois
• Éviter le transport de charges pesant plus que 5 kg lors des déplacements
• Éviter d’activer des pédales avec les membres inférieurs
Nous concluons alors que T ne peut pas refaire son emploi de femme de chambre qui exige de marcher plus de 5 minutes, de travailler en position accroupie et de soulever des charges de plus de 5 kg. Le rapport de la visite de poste effectué au mois de juin 2011 le confirme.
Je demande à T comment se déroule ses journées. T dit qu’elle fait la cuisine, le ménage léger et le lavage des vêtements à son rythme. Elle doit souvent interrompre ses AVD pour s’asseoir car elle ne peut pas rester debout plus de 5 minutes. Elle ajoute que certains jours sa tolérance est moins que 5 minutes. Elle fait de la lecture et écoute la télévision.
T a de la difficulté à dormir car la douleur la réveille.
Je demande à T comment elle fait son épicerie si elle ne peut marcher plus de 5 minutes. Elle dit que se sont les membres de sa famille qui le font. Elle dit qu’elle peut accompagner lorsqu’il s’agit d’une petite course.
En ce qui a trait à ses compétences professionnelles, T dit avoir toujours occupé un emploi de bureau dans son pays d’origine. T est à l’aise avec l’informatique.
T parle français et hongrois. Le fils dit que sa mère a de la difficulté en français mais tout au long de la rencontre elle s’exprime adéquatement et comprend l’information donnée et les questions posées.
T ne conduit pas de voiture, elle n’a pas de permis de conduire.
J’explique à T que nous devons entreprendre une démarche d’exploration. Cela consiste à environ 4-5 rencontres une fois par semaine. Je mentionne à T que je vais possiblement mettre en place la mesure mais il se peut que nous décidions de laissé le soin à la nouvelle régionale de le faire.
J’explique à T que l’objectif est de cibler au moins 2 pistes d’EC. T ne sais pas ce qu’elle peut faire mais accepte d’entreprendre la démarche.
J’avise T que je l’appellerai pour l’aviser de la démarche que nous allons entreprendre.
Au moment de quitter T se lève avec difficulté. Elle utilise la canne pour marcher. Elle me demande de passer devant elle pour ne pas me ralentir. Elle marche lentement vers les ascenseurs accompagnée de son fils qui adopte le même pas.
Après la rencontre je descend à ma pause et est devant le Complexe Desjardins. Je vois T sortir d’un pas normal sans utiliser sa canne pour se déplacer. T marche à la même vitesse que son fils. Ils traversent le boul. René-Lévesque qui comprend 4 voies de chaque côté. T traverse à un endroit qui n’est pas une intersection. T enjambe le terre-plein dont la terre centrale a été creusée donc il y a un trou de terre. Pour se remonter sur la bordure du terre-plein T utilise uniquement sa jambe gauche sans difficulté et poursuit sa marche aisément. [sic]
[nos soulignements]
[67] Le directeur Santé et Sécurité de la direction régionale de Montréal-3 est avisé de la situation. Ce dernier donne mandat d’enquêter sur la travailleuse pour être en mesure de bien évaluer sa capacité physique dans le cadre du processus de réadaptation.
[68] Cette enquête est menée par madame Julie Charron du Service des enquêtes spéciales de la CSST, laquelle remet son rapport d’enquête détaillé le 7 octobre 2013. Ce rapport est accompagné de nombreuses pièces, photos et vidéos. Il y a de plus copie de notes sténographiques d’une rencontre ayant eu lieu le 4 septembre 2013 avec les enquêteuses Charron et Hélène Faucher, la travailleuse, son mari, son procureur et une interprète (hongrois-français).
[69] Le 18 octobre 2013, la procureure de la CSST, ayant en main les résultats complets de l’enquête, dépose un amendement à sa requête en révision du 20 mars 2013.
[70] Elle invoque principalement la découverte d’un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente. Il est notamment question de la participation de la travailleuse à des festivals ayant eu lieu à l’été et à l’automne 2012, soit préalablement à l’audience tenue devant le premier juge administratif le 18 décembre 2012.
[71] Il s’agit donc du motif principal mis de l’avant par la CSST au moment de l’audience de la présente requête le 25 mars 2014.
[72] La procureure de la CSST entend donc faire témoigner les personnes impliquées dans la mise en œuvre de l’enquête et filature.
[73] D’emblée, le procureur de la travailleuse admet, au nom de sa cliente, les faits révélés par l’enquête, voire même qu’ils s’agissent, dans les circonstances, de faits nouveaux justifiant une intervention du tribunal à l’égard de la décision rendue le 13 février 2013.
[74] Malgré cette admission du procureur de la travailleuse sur les faits recueillis lors de l’enquête ou sur l’existence même d’un fait nouveau au sens de l’article 429.56 de la loi, le tribunal demande d’entendre les témoignages de la conseillère en réadaptation et de l’enquêteuse. Ceci, pour s’assurer d’une part du respect des droits fondamentaux de la travailleuse dans un contexte d’enquête et de filature ayant conduit à la découverte de faits[2] et d’autre part, de pouvoir juger lui-même du motif de fait nouveau au sens de l’article 429.56 premier paragraphe de la loi puisqu’il s’agit d’une conclusion de droit.
[75] C’est dans ce contexte que le tribunal a d’abord entendu le témoignage de madame Maisonneuve, conseillère en réadaptation à la CSST depuis quatre ans.
[76] En mai 2013, on lui assigne le dossier de la travailleuse pour entreprendre un processus de réadaptation professionnelle.
[77] Elle communique avec la travailleuse pour prévoir une première rencontre afin de discuter du dossier. Cette rencontre est prévue pour le 15 mai 2013.
[78] À cette date, la travailleuse se présente au bureau de la CSST. À l’heure prévue, madame Maisonneuve se rend à la salle d’attente pour accueillir la travailleuse, laquelle est accompagnée par son fils. La travailleuse utilise une canne pour se déplacer. Ses déplacements sont laborieux, selon ce que peut observer madame Maisonneuve.
[79] La travailleuse l’avise qu’elle doit déménager sous peu dans la région de Vaudreuil-Dorion.
[80] Elles revoient ensemble les limitations fonctionnelles retenues par la Commission des lésions professionnelles dans sa décision du 13 février 2013, tenant compte d’un emploi de préposée à l’entretien (femme de ménage). Elle conclut que la travailleuse ne peut refaire son emploi. Madame Maisonneuve en profite pour questionner la travailleuse sur ses activités de la vie quotidienne ou ses activités domestiques.
[81] La travailleuse lui explique qu’elle a de la difficulté à exercer de telles activités étant donné qu’elle tolère peu la position debout ou assise. Elle doit prendre régulièrement des pauses. Elle éprouve de la difficulté à faire l’épicerie. La travailleuse est d’origine hongroise et ses expériences de travail sont difficilement transférables.
[82] Tenant compte du profil de la travailleuse, madame Maisonneuve croit utile de référer la travailleuse vers une ressource externe spécialisée (monsieur Alain Quesnel) afin d’explorer les capacités professionnelles de la travailleuse.
[83] Madame Maisonneuve met fin à la rencontre en avisant la travailleuse que monsieur Quesnel allait communiquer avec elle. La travailleuse se relève avec beaucoup de difficulté. Elle se mobilise de façon laborieuse à l’aide de sa canne.
[84] À la suite de cette rencontre, madame Maisonneuve se dirige à l’extérieur de l’édifice avec une collègue pour fumer une cigarette. Rendue à l’extérieur, elle aperçoit la travailleuse avec son fils qui se dirige vers le boulevard René-Lévesque. La travailleuse n’accuse aucune boiterie et n’utilise pas sa canne. Elle l’observe traverser d’un pas régulier les huit voies du boulevard René-Lévesque. Elle précise, entre autres, que la travailleuse doit franchir un terre-plein quelque peu irrégulier, ce qu’elle accomplit sans difficulté apparente.
[85] Pour madame Maisonneuve, cette observation contraste fortement avec l’état affiché par la travailleuse lors de sa rencontre quelques minutes auparavant. De retour à son bureau, elle avise immédiatement sa gestionnaire de la situation, laquelle décide de consulter les services juridiques.
[86] Pour sa part, madame Maisonneuve a continué la gestion du dossier de la travailleuse afin de respecter la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013.
[87] Monsieur Quesnel communique avec elle afin de l’informer de ses démarches avec la travailleuse. Il lui mentionne que la travailleuse se plaint d’une diminution de sa capacité physique.
[88] Le tribunal a également entendu le témoignage de madame Charron, enquêteuse au Service spécial des enquêtes de la CSST depuis mai 2011.
[89] Le 24 mai 2013, elle reçoit mandat de la part du directeur Santé Sécurité à la Direction régionale de Montréal-3 d’enquêter sur la travailleuse. Cette demande d’enquête découle d’une rencontre tenue le 15 mai 2013 par une conseillère en réadaptation avec la travailleuse et les constats de cette conseillère une fois la rencontre terminée. Il semble alors y avoir contradiction entre l’état physique de la travailleuse lors de la rencontre et celui démontré à la suite de cette rencontre.
[90] Madame Charron commence d’abord par une recherche sur Google, ce qui la mène vers la page Facebook « Gyuri’s Kurtos Kalac », dont les paramètres de sécurité permettent un accès public. Il est question d’une entreprise fabriquant des gâteaux cheminée (gâteaux hongrois). Sur cette page, elle y reconnaît la travailleuse sur certaines photos. On y annonce, entre autres, la participation de l’entreprise à un festival les 14,15 et 16 juin 2013 à Longueuil (Festival Métiers-Traditions).
[91] Le 14 juin 2013, madame Charron se présente sur les lieux du festival vers 10 h 45, accompagnée d’une collègue. Elle aperçoit le kiosque de gâteaux cheminée. Elle y voit la travailleuse, son conjoint et une autre personne. Elle peut observer la travailleuse discuter avec des clients, les servir et s’occuper de recevoir les paiements. Elle travaille au même titre que les deux autres personnes présentes au kiosque.
[92] Madame Charron filme ainsi la travailleuse pendant deux séquences de 50 minutes (une en matinée et l’autre en après-midi). Jamais la travailleuse ne s’assoit ou utilise une canne pour se mobiliser. Selon ses observations, la travailleuse se déplace normalement.
[93] Madame Charron quitte les lieux du festival vers 15h. Elle y retourne le lendemain, 15 juin 2013, de 9 h 30 à 13 h 30. La travailleuse est présente au kiosque de gâteaux cheminée. À nouveau, elle peut l’observer se mobiliser normalement, sans difficulté et sans l’utilisation d’une canne. Elle filme la travailleuse environ 15 minutes.
[94] Le 16 juin 2013, madame Charron ne pouvant se présenter sur les lieux du festival, un mandat de filature est donné à la firme TRAK. La travailleuse est toujours présente sur les lieux du festival, au kiosque de gâteaux cheminée. Elle s’adonne aux mêmes activités, sans difficulté à se mobiliser.
[95] Devant ces constats, madame Charron retourne consulter la page Facebook « Gyuri’s Kurtos Kalac ». Elle peut repérer les festivals à venir pour l’année 2013 mais peut également reconstituer l’historique des festivals tenus en 2012 et auxquels l’entreprise a participé :
- Les Week-ends du monde 2012 (6 et 7 juillet 2012, Parc Jean-Drapeau);
- Les fêtes gourmandes internationales de Laval (25 au 29 juillet 2012, Place Claude - Léveillée);
- Fiesta des cultures St-Rémi (24 au 26 août 2012);
- Festival des couleurs de Rigaud (6 au 8 octobre 2012);
- Marché de Noël (Maison Trestler) (17 et 18 novembre 2012);
- Festival gourmand hongrois (Café Rococco) (25 novembre 2012);
- Marché de Noël ASCCS (1er décembre 2012);
[96] Cette recherche permet également à madame Charron de trouver des photos ou vidéos promotionnelles, concernant ces divers festivals ou événements tenus en 2012, et sur lesquelles il est possible d’apercevoir la travailleuse.
[97] Madame Charron produit un rapport d’enquête détaillé faisant part de ses démarches et de ses observations. Ce rapport est complété par 36 annexes dans lesquelles on retrouve des photos ou extraits vidéo du kiosque ou de la travailleuse pour les divers festivals ou événements de 2012 et 2013.
[98] Le 4 septembre 2013, elle convoque la travailleuse à une rencontre pour discuter des résultats de l’enquête et avoir sa version des faits. La travailleuse est alors accompagnée de son mari, de son procureur et d’une interprète (hongrois-français). Copie des notes sténographiques de cette rencontre est déposée (228 pages), dont le tribunal a pris connaissance.
[99] La travailleuse reconnaît sa participation aux différents festivals ou événements tenus en 2012 et en 2013.
[100] En terminant, il convient d’indiquer qu’à la suite de cette enquête, madame Maisonneuve continue de traiter le dossier de la travailleuse dans le cadre du processus de réadaptation professionnelle.
[101] Le 22 octobre 2013, elle communique avec la travailleuse. Elle revient sur les résultats de l’enquête et sur les constats qu’elle a pu faire quant à la capacité physique de la travailleuse. Elle l’avise qu’une décision de capacité à exercer un emploi convenable de commis-vendeuse à compter du 14 juin 2013 sera rendue.
[102] Cette décision est rendue le 23 octobre 2013. La travailleuse en demande la révision.
[103] Le 24 octobre 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle réclame à la travailleuse le remboursement de l’indemnité de remplacement du revenu versée en trop pour la période du 14 juin au 14 octobre 2013. La travailleuse demande la révision de cette décision.
[104] Le 20 décembre 2013, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. D’une part, elle confirme que la travailleuse a la capacité d’exercer un emploi convenable de commis-vendeuse à compter du 14 juin 2013 et d’autre part, elle retourne le dossier à l’agent afin que soient déterminées les questions de l’indemnité de remplacement du revenu réduite et du surpayé.
[105] Cette décision de la CSST du 20 décembre 2013 n’a pas été contestée devant la Commission des lésions professionnelles, selon les informations transmises.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[106] La procureure de la CSST plaide qu’il y a lieu de réviser la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013.
[107] Elle soumet la découverte d’un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait justifié une décision différente quant à la question des limitations fonctionnelles.
[108] Cette découverte d’un fait nouveau découle d’une enquête sur la travailleuse. Elle soumet que cette enquête respecte les droits fondamentaux de la travailleuse[3]. Par ailleurs, il s’agit d’un fait nouveau au sens du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Sa découverte est postérieure à la décision du 13 février 2013. Ce fait était non disponible au moment de l’audience du 18 décembre 2012 et il aurait eu un caractère déterminant sur le sort du litige, s’il avait été connu en temps utile[4].
[109] Subsidiairement, elle plaide que la décision du 13 février 2013 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[110] Le procureur de la travailleuse souscrit au motif de fait nouveau mais indique qu’il y aurait lieu de révoquer la décision du 13 février 2013 plutôt que de la réviser, comme le demande la CSST. Il trouverait de mise de pouvoir soumettre à l’attention du docteur Tremblay les résultats de l’enquête afin qu’il puisse se prononcer sur la question des limitations fonctionnelles[5]. Il précise toutefois que le docteur Tremblay ne sera pas disponible avant une certaine période étant donné qu’il a subi une chirurgie cardiaque importante.
[111] Par ailleurs, il plaide que la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013 n’est pas entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Le premier juge administratif s’est bien dirigé en droit. Pour le reste, il s’agit de son appréciation de la preuve.
L’AVIS DES MEMBRES
[112] Le membre issu des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont d’avis de réviser la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013. Il y a découverte d’un fait nouveau, soit l’accomplissement par la travailleuse de gestes ou d’activités en 2012 venant en contradiction avec son témoignage sur sa capacité fonctionnelle et donc, la détermination de limitations fonctionnelles pouvant découler de la récidive, rechute ou aggravation du 11 mars 2010. Le fait existait au moment de l’audience du 18 décembre 2012 devant le premier juge administratif, mais son existence n’a pu être découverte qu’après la décision rendue le 13 février 2013, à la suite d’une enquête demandée par la CSST. Cette enquête a été demandée par la CSST à la suite de constats troublants sur la capacité fonctionnelle de la travailleuse, faits par une conseillère en réadaptation. L’enquête demandée et les constats qu’elle a permis de faire ne contreviennent pas aux droits fondamentaux de la travailleuse. Celle-ci, par l’entremise de son procureur, admet la procédure et les faits.
[113] Ils sont d’avis de retenir les conclusions du membre du Bureau d’évaluation médicale, lesquelles reflètent la réalité fonctionnelle de la travailleuse. Ce faisant, la lésion professionnelle du 11 mars 2010 n’entraîne aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitations fonctionnelles additionnelles depuis la lésion professionnelle du 29 avril 2009. Ainsi, la travailleuse a la capacité d’exercer son emploi de préposée à l’entretien (femme de ménage) depuis le 17 avril 2012.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[114] Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013.
[115] Il faut d’abord rappeler le caractère final et sans appel d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
____________
1997, c. 27, a. 24.
[notre soulignement]
[116] Ceci étant, le législateur a toutefois prévu l’exercice d’un recours en révision ou révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles.
[117] Ce recours, qualifié d’exceptionnel, peut donc s’exercer en présence de motifs précis, lesquels sont énumérés à l’article 429.56 de la loi qui se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[118] Tenant compte de l’évolution particulière du dossier, après la mise en application du dispositif de la décision du 13 février 2013, l’on comprend que la découverte d’un fait nouveau s’avère le motif principal de la CSST pour demander la révision de la décision du 13 février 2013.
[119] Quant à ce motif de fait nouveau, il convient de reproduire un extrait de la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue dans l’affaire Gariépy et Autobus Gaudreault inc.[6], lequel en décrit bien le cadre d’analyse :
[24] La jurisprudence2 a établi trois critères pour conclure à l’existence d’un fait nouveau soit :
1- la découverte postérieure à la décision d’un fait nouveau;
2- la non-disponibilité de cet élément de preuve au moment où s’est tenue l’audience initiale;
3- le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.
[25] Il est bien établi que le recours en révision ne peut pas permettre de compléter ou bonifier une preuve. Une partie ne peut pas tenter de venir combler les lacunes de la preuve qu'elle a eu l'occasion de faire valoir en premier lieu par le recours en révision. Agir ainsi compromettrait le principe de stabilité et de finalité des décisions.
_______________
2 Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, C.L.P. 107558-73-9811, 17 mars 2000, A. Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., C.L.P. 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., C.L.P. 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, C.L.P. 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, C.L.P. 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque.
[nos soulignements]
[120] On réfère donc à la découverte postérieure à la décision d’un fait nouveau, sa non-disponibilité au moment où s’est tenue l’audience devant le premier juge administratif et au caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il avait été connu en temps utile.
[121] Tenant compte de la preuve soumise très détaillée (testimoniale et documentaire), le tribunal conclut qu’il y a eu effectivement découverte postérieure à la décision du 13 février 2013 d’un fait nouveau, lequel n’était pas disponible au moment de l’audience tenue devant le premier juge administratif le 18 décembre 2012. Il s’agit de la participation active de la travailleuse à divers festivals ou événements tenus en 2012.
[122] Avant d’analyser l’effet déterminant de ce motif, le tribunal tient à préciser que les conditions dans lesquelles ce fait nouveau a été découvert respectent les droits fondamentaux de la travailleuse et ne sont pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice.
[123] En effet, l’enquête demandée par le directeur Santé et Sécurité de la Direction régionale de Montréal-3 était justifiée dans les circonstances.
[124] Le témoignage de madame Maisonneuve est très éclairant sur cet aspect. Cette dernière a pu constater une contradiction évidente entre la capacité fonctionnelle que la travailleuse lui décrivait et démontrait lors de la rencontre du 15 mai 2013 et la capacité fonctionnelle de la travailleuse alors qu’elle quittait l’établissement et traversait le boulevard René-Lévesque à Montréal.
[125] Tenant compte de la nature de la décision que devait prendre madame Maisonneuve, il y avait certes un motif raisonnable à enquêter davantage sur la capacité fonctionnelle de la travailleuse.
[126] Quant aux méthodes d’enquête utilisées par madame Charron, force est d’admettre qu’elles sont peu intrusives.
[127] En effet, cette dernière a d’abord utilisé le moteur de recherche Google. Elle a par la suite accédé à une page Facebook, dont les paramètres de sécurité permettaient une consultation publique. Elle n’a donc usé d’aucun subterfuge pour accéder à cette page et en consulter le contenu[7].
[128] Sur cette page, plusieurs informations, photos ou vidéos promotionnelles étaient déjà affichées. On donnait des informations non seulement pour l’année 2013 mais également pour des festivals ou événements tenus en 2012, préalablement à l’audience du 18 décembre 2012.
[129] En ce qui concerne les observations de la travailleuse en 2013, elles étaient toujours dans des lieux publics (kiosques de festivals).
[130] Les informations ainsi recueillies par madame Charron sont pertinentes et leur admission en preuve n’est pas de nature à déconsidérer l’administration de la justice.
[131] Surtout que le 4 septembre 2013, la travailleuse a été rencontrée par les enquêteuses (Charron et Faucher) afin de lui dévoiler les résultats de cette enquête. À ce moment, la travailleuse est accompagnée de son mari, de son procureur et d’une interprète pour s’assurer de sa bonne compréhension. La travailleuse a alors l’opportunité de donner ses explications quant aux résultats de l’enquête.
[132] Ceci, dans un contexte où le procureur de la travailleuse ne s’objecte aucunement au dépôt de cette preuve d’enquête.
[133] Par conséquent, cette preuve, jugée admissible, permet de constater une participation active de la travailleuse à divers festivals ou événements tenus en 2012, soit préalablement à l’audience tenue le 18 décembre 2012 devant le premier juge administratif.
[134] Tel qu’indiqué, ce dernier devait, entre autres, statuer sur l’existence ou non de limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle du 11 mars 2010.
[135] Sur la foi du témoignage de la travailleuse, lequel a également servi d’assise à celui du docteur Tremblay, le premier juge administratif en vient à la conclusion que la lésion professionnelle du 11 mars 2010 entraîne de nouvelles limitations fonctionnelles. Ce sont les limitations fonctionnelles décrites par le docteur Tremblay dans son rapport du 4 octobre 2010.
[136] Or, tenant compte de l’analyse du dossier (dont les rapports des docteurs Tremblay, Des Marchais et Hébert), la lecture des notes sténographiques de l’audience du 18 décembre 2012 reproduisant les témoignages de la travailleuse et du docteur Tremblay, les témoignages de mesdames Maisonneuve et Charron, du rapport d’enquête avec ses nombreuses annexes et des notes sténographiques de la rencontre du 4 septembre 2013, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu de réviser la décision du 13 février 2013 et non de la révoquer.
[137] En effet, le tribunal a en main tous les éléments nécessaires pour rendre la décision qui aurait dû être rendue, particulièrement en ce qui concerne la question des limitations fonctionnelles.
[138] La travailleuse a choisi de ne pas se présenter à l’audience de la présente requête, sachant pourtant ce qui allait être discuté. La requête amendée de la CSST du 18 octobre 2013 ne souffre d’aucune ambiguïté à ce sujet.
[139] De plus, après les témoignages de mesdames Maisonneuve et Charron de même qu’une revue détaillée des résultats de l’enquête, le procureur n’a pas non plus demandé à ce que la travailleuse soit entendue sur les faits révélés, alors que de tels faits s’avèrent cruciaux pour juger des limitations fonctionnelles pouvant découler de la lésion professionnelle du 11 mars 2010.
[140] Enfin, le tribunal ne peut faire abstraction du fait qu’il a été décidé que la travailleuse avait la capacité d’exercer un emploi convenable de commis-vendeuse depuis le 14 juin 2013.
[141] C’est donc dans ce contexte qu’il y a lieu de réviser la décision du 13 février 2013, tenant compte du fait nouveau découvert.
[142] Les docteurs Des Marchais et Hébert sont d’avis que la lésion professionnelle du 11 mars 2010 n’entraîne aucune limitation fonctionnelle additionnelle par rapport à ce que le docteur Duhaime reconnaissait en 2009, soit d’éviter de travailler en position accroupie, de travailler sur des surfaces inégales et d’avoir la possibilité de changer de position au besoin pour éviter une raideur du genou gauche.
[143] Quant au docteur Tremblay, il réfère à celles décrites dans son rapport du 4 octobre 2010, soit d’éviter les positions accroupies ou à genoux, d’éviter les marches prolongées pour plus de cinq minutes à la fois, d’éviter le transport de charges pesant plus de cinq kilogrammes lors des déplacements et d’éviter d’activer des pédales avec les membres inférieurs.
[144] Faut-il rappeler qu’une limitation fonctionnelle est accordée pour traduire une restriction ou une réduction de la capacité physique d’un travailleur à accomplir normalement une activité quotidienne de nature personnelle ou professionnelle en raison de sa lésion professionnelle. La limitation fonctionnelle réfère ainsi à la limitation d’une fonction comme se pencher, marcher, effectuer des mouvements de rotation ou de torsion[8].
[145] Or, dans la cause sous étude, non seulement les activités auxquelles la travailleuse a participé, et sa capacité fonctionnelle affichée lors de telles activités, ne peuvent s’accorder avec les limitations fonctionnelles additionnelles suggérées par le docteur Tremblay, mais elles ne peuvent les justifier.
[146] Au moment de l’audience du 18 décembre 2012, la travailleuse explique au premier juge administratif, et au docteur Tremblay alors présent à titre d’expert, qu’elle ressent des douleurs qu’elle qualifie d’intenses au genou gauche et à la hanche droite. Elle indique également qu’elle ne peut garder la position debout plus de cinq ou sept minutes et qu’elle ne peut marcher durant plus de 10 minutes. Elle utilise même une canne pour faciliter ses déplacements. Elle ne peut non plus effectuer ses activités domestiques quotidiennes, comme cuisiner, faire la vaisselle ou passer l’aspirateur.
[147] Or, deux semaines avant qu’elle ne livre ce témoignage, la travailleuse participe activement au Marché de Noël ASCCS. Préalablement à cet événement, il y avait eu sa participation active aux Week-ends du monde 2012, aux Fêtes gourmandes internationales de Laval, à la Fiesta des cultures St-Rémi, au Festival des couleurs de Rigaud, au Marché de Noël (Maison Trestler) et au Festival gourmand hongrois (Café Rococco).
[148] Avec respect, il y a certes une contradiction entre ce que la travailleuse décrit de sa capacité fonctionnelle au moment de l’audience du 18 décembre 2012 et les différentes activités exercées, positions adoptées ou déplacements effectués, sans canne, lors des festivals ou événements répertoriés et documentés par madame Charron en juillet, août, octobre, novembre et décembre 2012. Et que dire de ses observations de la travailleuse faites le 14 juin 2013 et par la suite.
[149] Ceci, alors qu’il y a admission sans réserve, par l’entremise de son procureur, des faits mis au jour par l’enquête de madame Charron.
[150] Dans un tel contexte, on ne peut trouver une justification aux limitations fonctionnelles additionnelles suggérées par le docteur Tremblay, particulièrement celles d’éviter les marches prolongées pour plus de cinq minutes et d’éviter le transport de charges pesant plus de cinq kilogrammes lors de déplacements.
[151] Ce faisant, le tribunal s’en remet plutôt aux conclusions du docteur Hébert, lesquelles s’accordent avec la capacité fonctionnelle démontrée par la travailleuse. En fait, le docteur Hébert ne suggère aucune limitation fonctionnelle additionnelle à celles déjà déterminées par le docteur Duhaime, soit d’éviter de travailler en position accroupie, de travailler sur des surfaces inégales et d’avoir la possibilité de changer de position au besoin pour éviter une raideur du genou gauche.
[152] La lésion professionnelle du 11 mars 2010 n’entraîne donc aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitations fonctionnelles additionnelles par rapport à la lésion professionnelle du 29 avril 2009.
[153] En l’absence de limitations fonctionnelles additionnelles, le tribunal conclut que la travailleuse a la capacité d’exercer son emploi à compter du 17 avril 2012, tel que déterminé par la CSST dans sa décision initiale du 18 avril 2012 et confirmé dans sa décision du 6 juillet 2012, rendue à la suite d’une révision administrative.
[154] D’ailleurs, il s’avère pertinent de rappeler qu’au moment de statuer sur la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi à compter du 17 avril 2012, la CSST considère le rapport d’analyse détaillé de l’ergothérapeute ayant visité le poste de travail de préposée à l’entretien ménager de la travailleuse.
[155] Tenant compte de la preuve soumise, le tribunal conclut que la lésion professionnelle du 11 mars 2010 n’entraîne aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitation fonctionnelle additionnelles et qu’ainsi, la travailleuse avait la capacité d’exercer son emploi depuis le 17 avril 2012.
[156] Ceci étant, il n’y a pas lieu d’élaborer davantage sur le motif de vice de fond de nature à invalider la décision soumise par la CSST.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 20 mars 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVISE la décision de la Commission des lésions professionnelles du 13 février 2013;
Dossier 465442-62C-1203
REJETTE la requête déposée le 15 mars 2012 par madame Ilona Erdos, la travailleuse;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 9 mars 2012, rendue à la suite d’une révision administrative;
ET
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 11 mars 2010 n’entraîne aucune atteinte permanente à l'intégrité physique et limitations fonctionnelles additionnelles par rapport à celles déjà déterminées à la suite de la lésion professionnelle du 29 avril 2009.
Dossier 476746-62C-1207
REJETTE la requête déposée le 11 juillet 2012 par madame Ilona Erdos;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 6 juillet 2012, rendue à la suite d’une révision administrative;
ET
DÉCLARE que madame Ilona Erdos a la capacité d’exercer son emploi à compter du 17 avril 2012 et que le droit à l’indemnité de remplacement du revenu prend fin à cette date.
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SOPHIE SÉNÉCHAL |
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Me Raymond Landry |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marie-France Le Bel |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Erdos et Foyer Hongrois, 2011 QCCLP 1735.
[2] Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau, [1999] R.J.Q. 2229 (C.A.); Eppelé c. C.L.P., [2000] C.L.P. 263 (C.A.)
[3] Eppelé c. C.L.P., [2000] C.L.P. 263.
[4] Koutsoukos et Produits alimentaires italiens Milano inc., 2014 QCCLP 1381.
[5] Trépanier et Ville de Montréal, C.L.P. 80752-63-9606-R, 28 juin 2001, N. Lacroix.
[6] C.L.P. 247770-63-0410, 4 mars 2008, L. Nadeau.
[7] Campeau et Services Alimentaires Delta Dailyfood Canada et CSST, [2012] QCCLP 7666.
[8] Pothier et Houbigant, [1991] C.A.L.P. 1087.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.