Rivard et Défense nationale |
2018 QCTAT 227 |
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[1] Le 9 août 2017, madame Julie Rivard (la travailleuse) dépose au Tribunal administratif du travail un acte introductif par lequel elle conteste une décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 25 juillet 2017 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la Commission confirme celle qu’elle a rendue le 31 mars 2017 et déclare :
« que le montant de l’indemnité de remplacement du revenu doit être calculé sur la base salariale de 5 370.71 $ en vertu du montant hebdomadaire de l’article 80. De plus, la base du revenu brut assurable est de 22 420.20 $ à compter du jour de la majorité de la travailleuse en vertu du salaire minimum en vigueur au moment de l’incapacité ».
[3] Une audience a eu lieu à Lévis le 20 octobre 2017. La travailleuse était présente et représentée. Défense Nationale (l’employeur) était représenté par une avocate.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande au tribunal de déclarer qu’elle occupait un emploi saisonnier au moment de subir une lésion professionnelle et que le montant de son indemnité de remplacement du revenu doit être établi conformément à l’article 68 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). De façon subsidiaire, elle demande au tribunal d’annualiser le revenu qu’elle gagnait au moment de l’accident.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La travailleuse est née le […] 1998.
[6] À l’été 2016, elle occupe un emploi de cadet-cadre pour les Cadets de la Marine royale canadienne. Elle agit comme instructeur-nautique au Centre d'entrainement des cadets de Bagotville. Il s’agit d’un emploi d’été qui commence le 27 juin 2016 et doit se terminer le 13 août 2016. Le salaire est de 539 $ par semaine. Durant la période en cause, la travailleuse demeure à Bagotville où elle est nourrie et logée aux frais de l’employeur.
[7] Le 30 juillet 2016, elle subit un traumatisme craniocérébral sévère alors qu’elle participe à une séance d’évaluation d’un cadet à Shipshaw. L’événement est décrit comme suit dans sa réclamation à la Commission :
Julie était une cadette-cadre en fonction sur un SR2 (zodiac). Un cadet était en évaluation sur la conduite de l’embarcation. Le cadet a prix une vague d’un mauvais angle et Julie a été éjecté hors de l’embarcation. En effectuant un virage, le moteur de l’embarcation lui a frappé la tête à trois reprises. [sic]
[8] Au moment où elle subit cet accident du travail, la travailleuse est étudiante à temps plein au niveau collégial. Elle a complété deux sessions.
[9] Dans la décision contestée, la Commission détermine que la travailleuse a droit à une indemnité de remplacement du revenu établie en fonction d’un revenu de 5 370,71 $ jusqu’à l’âge de sa majorité (le 15 septembre 2016) et de 22 420,20 $ par la suite :
Selon les éléments disponibles, la Commission, en révision, estime que le contrat de travail de la travailleuse est à durée déterminée de moins d’un an, pour une durée totale de 7 semaines. De plus, au moment de l’incapacité la travailleuse est âgée de 17 ans. La base salariale est établie à 5 370,71 $ en vertu du montant hebdomadaire de l’article 80. La travailleuse devient majeure le 15 septembre 2016, la base salariale est établie à 22 420,20 $ en vertu du salaire minimum en vigueur au moment de l’incapacité.
[10] Selon le tribunal, la Commission a rendu la bonne décision.
[11] Selon l’article 44 de la loi, « le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s’il devient incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion ». L’article 45 de la loi précise que « l’indemnité de remplacement du revenu est égale à 90% du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi ».
[12] Les articles 63 à 76 de la loi contiennent les règles générales applicables au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu. Chaque disposition concerne une situation factuelle pour tenir compte des différentes réalités d’emploi, (travailleur saisonnier, travailleur autonome, travailleur ayant plus d’un emploi, etc.)
[13] Les articles 77 à 82 de la loi contiennent des « dispositions particulières à certains travailleurs », dont les articles 77, 79 et 80 qui visent le cas de l’étudiant à temps plein alors qu’il est victime d’une lésion professionnelle :
77. La présente sous-section s’applique au travailleur qui est victime d’une lésion professionnelle alors qu’il agit en tant que personne visée dans l’article 10, 11, 12, 12.0.1, 12.1 ou 13 ou alors qu’il est un étudiant à plein temps.
Les autres dispositions de la section I du présent chapitre qui ne sont pas inconciliables avec la présente sous-section s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux personnes visées au premier alinéa.
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1985, c. 6, a. 77; 1987, c. 19, a. 15; 2000, c. 20, a. 160.
79. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle alors qu’il est un étudiant visé dans l’article 10 ou un étudiant à plein temps a droit à l’indemnité de remplacement du revenu s’il devient incapable d’exercer l’emploi rémunéré qu’il occupe ou qu’il aurait occupé, n’eût été sa lésion, de poursuivre ses études ou d’exercer un emploi en rapport avec l’achèvement de ses études.
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1985, c. 6, a. 79.
80. L’indemnité de remplacement du revenu d’un étudiant visé dans l’article 10, d’un travailleur qui est un étudiant à plein temps ou d’un enfant visé dans le paragraphe 3° de l’article 11 est:
1° jusqu’à l’âge de 18 ans, de 50 $ par semaine;
2° à compter de l’âge de 18 ans, calculée à partir du revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum alors en vigueur; et
3° à compter de l’âge de 21 ans, révisée à la hausse s’il démontre à la Commission qu’il aurait probablement gagné un revenu brut d’emploi plus élevé à la fin des études en cours, s’il n’avait pas été victime d’une lésion professionnelle.
Malgré le paragraphe 1° ou 2° du premier alinéa, l’étudiant ou l’enfant peut démontrer à la Commission qu’il a gagné pendant les 12 mois précédant la date de son incapacité un revenu brut d’emploi justifiant une indemnité plus élevée, et l’article 65 ne s’applique pas dans ce cas en ce qui concerne le revenu minimum d’emploi.
La révision faite en vertu du paragraphe 3° du premier alinéa tient lieu de celle que prévoit l’article 76.
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1985, c. 6, a. 80.
[14] Comme il est précisé dans l’affaire Dulude et Fondation Patrimoine Religieux Québec[2], les articles 79 et 80 de la loi prévoient un régime particulier d’indemnisation faisant exception aux règles générales[3] :
[25] Dans la sous-section § 4 de la section I du chapitre III de la loi, intitulée Dispositions particulières à certains travailleurs, le législateur a établi des modes de calcul de l’indemnité de remplacement du revenu au bénéfice de certains travailleurs faisant exception aux règles générales prévues à la sous-section § 3. L’article 80 qui vise, entre autres, le « travailleur qui est un étudiant à plein temps » en fait partie.
[26] Dans le cas du 3e paragraphe du premier alinéa, il s’agit d’un régime particulier d’indemnisation basé non plus sur le revenu d’emploi au moment où l’incapacité découlant de la lésion professionnelle s’est manifestée, ni même sur les gains accumulés au cours des douze mois précédant, mais plutôt sur le revenu prospectif probable « à la fin des études en cours ».
[27] En choisissant cette base de calcul distinctive, le législateur a tenu compte de la situation particulière du travailleur étudiant dont le maigre revenu actuel s’explique par une disponibilité considérablement réduite en raison du choix exercé de poursuivre ses études, lesquelles assureront à terme une sécurité financière significativement accrue. Le revenu d’appoint modeste d’un étudiant est le prix qu’il paie au présent pour se ménager un futur, entre autres sur le plan matériel, plus intéressant.
[28] En reconnaissant cette réalité et en favorisant ceux qui investissent dans leur avenir, le législateur exerce un choix de société. Il encourage ainsi le maintien aux études qui débouchera éventuellement sur une main-d’œuvre mieux qualifiée, plus productive et moins dépendante des subsides de l’État.
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[note omise]
[15] Sur ce point, il est toutefois utile de préciser que les autres dispositions en matière d’indemnité de remplacement du revenu peuvent être appliquées aux personnes visées au paragraphe 1 de l’article 77 de la loi si elles ne sont pas inconciliables, étant donné les adaptations nécessaires.
[16] Dans le présent cas, il ne fait aucun doute que la travailleuse était une étudiante à temps plein au moment de l’accident puisqu’elle venait de terminer deux sessions au Collège Mérici et que, n’eût été tragique accident survenu le 30 juillet 2016, elle y serait retournée à l’automne 2016 pour poursuivre ses études.
[17] Le fait que l’accident soit survenu à l’été alors que la travailleuse était en vacances ne change rien à son statut. Si le législateur avait voulu faire une distinction basée sur le moment où un étudiant subit une lésion professionnelle, il l’aurait précisé. Or, rien dans les dispositions en cause ne suggère une telle distinction.
[18] Le fait que l’emploi occupé puisse être considéré comme un emploi saisonnier[4], comme le plaide le représentant de la travailleuse, n’est pas un argument valable pour écarter l’application des articles 79 et 80 de la loi. Dans ces dispositions, le législateur ne fait pas de différence basée sur le type d’emploi exercé et il n’appartient pas au tribunal d’en faire sans appui dans le texte de loi. Le soussigné ne voit pas pour quelle raison il faudrait traiter différemment un étudiant à temps plein simplement parce qu’il occupe un emploi limité à certaines périodes de l'année en raison de contraintes climatiques[5] plutôt qu’un emploi pouvant être exercé douze mois par année.
[19] En définitive, la travailleuse était une étudiante à temps plein au moment de l’accident du travail et le montant de son indemnité de remplacement du revenu devait être déterminé conformément à l’article 80 de la loi. C’est ce que la Commission a fait. La travailleuse n’a pas démontré qu’elle a commis une quelconque erreur en retenant la base salariale de 5 370,71 $ durant la période où elle était mineure. Pour ce qui est de la période débutant avec l’âge de sa majorité, l’article 80 de la loi est clair, l’indemnité est calculée à partir du revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum.
[20] La contestation est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la contestation de madame Julie Rivard, la travailleuse;
CONFIRME la décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail le 25 juillet 2017 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse avait droit à une indemnité de remplacement du revenu calculée sur la base salariale de 5 370,71 $ jusqu’à l’âge de sa majorité;
DÉCLARE qu’à compter de l’âge de 18 ans, l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse est calculée à partir du revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum alors en vigueur.
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Michel Sansfaçon |
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Maître Marc Bellemare |
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BELLEMARE, AVOCATS |
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Pour la partie demanderesse |
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Maître Marie-Emmanuelle Laplante |
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MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA |
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Pour la partie intervenante |
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Date de la dernière audience : 20 octobre 2017 |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] C.L.P.
[3] Il est utile de préciser que les autres dispositions en matière d’indemnité de remplacement du revenu peuvent être appliquées aux personnes visées au paragraphe 1 de l’article 77 de la loi si elles ne sont pas inconciliables, compte tenu des adaptations nécessaires.
[4] Article 68 de la loi.
[5] Pépin et Import-Export RV inc., C.L.P. 226809-61-0402, 1er septembre 2004.
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