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[1] Le 30 juin 2004, monsieur Germain Pinault (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 juin 2004 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 février 2004 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 10 décembre 2002.
[3] Lors de l’audience tenue à Maria le 8 décembre 2004, seuls étaient présents le travailleur, accompagné de son médecin-expert, le docteur Richard Audet, interniste.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle consistant en une maladie pulmonaire obstructive chronique.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a souffert et souffre d’une lésion professionnelle.
[6] La notion de « lésion professionnelle » est ainsi définie dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[7] En l’occurrence, le travailleur n’allègue aucunement avoir été victime d’un accident du travail ou d’une récidive, rechute ou aggravation. La question en litige concerne plutôt la survenance d’une maladie professionnelle.
[8] La notion de maladie professionnelle est également définie à l’article 2 :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[9] La loi prévoit en outre une procédure particulière pour les maladies professionnelles pulmonaires aux articles 226 à 233 de la loi. Il est ainsi prévu que toute réclamation à la CSST pour maladie professionnelle pulmonaire est transmise à un comité des maladies professionnelles pulmonaires composé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise.
[10] La loi prévoit que les membres de ce comité examinent le travailleur et produisent un rapport écrit à la CSST qui doit être ensuite transmis à un autre comité, composé celui-là de trois présidents de comités de maladies professionnelles pulmonaires en excluant celui qui a déjà fait rapport. Ce second comité de pneumologues examine tout le dossier du travailleur et infirme ou confirme l’avis du premier comité dans le rapport écrit qu’il produit également à la CSST.
[11] Finalement, la loi prévoit à l’article 233 que la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le Comité des présidents.
[12] Il s’avère dans le présent dossier que la procédure prévue par la loi a été suivie par la CSST.
[13] Dans le présent dossier, après analyse de l’ensemble de la preuve, et considérant plus particulièrement celle reçue lors et à la suite de l’audience, le tribunal considère que la preuve est prépondérante quant au fait que le travailleur a été victime d’une maladie professionnelle.
[14] Le travailleur, actuellement âgé de 74 ans, est retraité depuis 1995. Pendant les 34 années précédentes, il a travaillé comme opérateur de fournaise et chef d’équipe chez l’employeur.
[15] Dans le cadre de son travail, le travailleur était plus particulièrement responsable du chargement de la fournaise avec différents métaux, dont de la soude caustique, du pyrite, du souffre, de la tôle galvanisée, du laiton, du cuivre, du nickel et du carbure. Il a également manipulé du minrosil contenant de la silice.
[16] Ces métaux étaient chargés et chauffés dans la fournaise, ce qui dégageait de la vapeur et de la fumée denses. Le travailleur témoigne du fait que particulièrement pendant les premières 20 années environ de son travail, ce mélange vapeur/fumée était tellement dense que la visibilité n’était que d’environ trois mètres. En outre, les travailleurs n’étaient à peu près pas protégés, si ce n’est par un petit masque blanc. Il devait ainsi régulièrement sortir à l’extérieur prendre l’air tellement l’air ambiant était irrespirable et qu’il étouffait littéralement.
[17] Le travailleur témoigne également du fait qu’il a eu de multiples épisodes de fièvre et de frissons nocturnes à la suite, plus particulièrement, d’utilisation de soude caustique dans le cadre de sa journée de travail.
[18] Le travailleur précise par ailleurs qu’il « crachait noir » sur une base régulière, et que cela se poursuivait même pendant ses deux premières semaines de vacances.
[19] Il s’avère finalement que le travailleur a dû être traité pour des épisodes répétés de bronchites et de pneumonie au cours de ses années de travail.
[20] Le docteur Richard Audet, interniste s’étant spécialisé en pneumologie, témoigne devant le tribunal. Il appuie fortement la thèse de la maladie professionnelle dans le cas du travailleur, motive longuement sa position en commentant les nombreux documents médicaux au dossier ainsi que le témoignage du travailleur et dépose de la littérature médicale à l’appui de ses prétentions.
[21] Le tribunal note également que le Comité des maladies pulmonaires professionnelles concluait lui aussi que :
« [...] le travail de préposé au chargement de fournaise de différents métaux comporte une exposition à des concentrations de fumée importante et que ceci a pu jouer un rôle contribuant au développement de la maladie pulmonaire obstructive chronique. Nous sommes donc d’accord pour reconnaître un élément causal partiel d’origine professionnelle sur la maladie pulmonaire obstructive chronique. [...] »
[22] La CSST a refusé la réclamation du travailleur pour maladie pulmonaire, conformément à l’avis du Comité des présidents qui a suivi celui du Comité des maladies pulmonaires professionnelles. Dans cet avis, les pneumologues, sans cependant avoir rencontré et écouté le travailleur, concluent que la « maladie pulmonaire obstructive chronique qui est observée ici est explicable entièrement par le tabagisme très important du réclamant. » et qu’il « n’existe pas d’argument suffisant (sic) pour attribuer à (sic) une partie de la maladie obstructive aux antécédents professionnels de ce réclamant. »
[23] Le docteur Audet et les membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles, tout comme ceux du tribunal ont cependant eu l’avantage de pouvoir questionner le travailleur et de l’entendre longuement sur les conditions de travail qui ont prévalu pendant sa carrière, particulièrement au cours des 20 premières années approximativement, sur son exposition répétée et importante à plusieurs substances irritantes et toxiques, à ses symptômes importants pendant et à la suite immédiate de cette exposition, et même aux bronchites et pneumonies régulièrement diagnostiquées et traitées pendant ces années.
[24] Il s’avère que dans le présent dossier, la grande crédibilité du travailleur compense en outre la faiblesse relative de la preuve quant à la nature exacte de l’exposition du travailleur en milieu de travail.
[25] En ce qui concerne la relation entre cette exposition et la maladie dont a souffert et souffre toujours le travailleur, le tribunal retient comme prépondérants les avis des membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du docteur Audet, pour les motifs précités.
[26] Le docteur Audet explique en outre que le tabagisme du travailleur, quoiqu’important, ne pouvait aucunement être responsable des sensations d’étouffement répétées ressenties sur les lieux du travail et accompagnée ensuite de fièvres et frissons nocturnes et qu’il diagnostique de façon présomptive comme ayant été des alvéolites (soit des inflammations des alvéoles), et des crachats noirs et pas entièrement non plus de toutes ces bronchites et pneumonies. Il allègue même le « syndrome du fumeur aux mains sales », soutenant que l’intoxication professionnelle du travailleur a pu être plus importante parce que ce dernier fumait régulièrement et de ce fait, inhalait par la bouche, ce qui est plus dommageable, les produits toxiques présents sur ses doigts.
[27] Finalement, le docteur Audet témoigne du fait que l’on diagnostique fréquemment des alvéolites chez les soudeurs, avec lesquels il établit un parallèle quant à l’exposition à du métal chauffé, et que les alvéolites répétées du travailleur sont fort probablement une des causes de vieillissement pulmonaire prématuré du travailleur. Il précise par ailleurs que les masques utilisés dans les années 60 - 70 sont complètement dépassés selon les normes actuelles.
[28] Dans les circonstances, le tribunal en vient à la conclusion que la preuve est prépondérante quant au fait que la maladie pulmonaire obstructive chronique dont souffre le travailleur a été, de façon déterminante, contractée par le fait du travail et qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de celui-ci. Il n’en faut pas plus pour conclure qu’il s’agit d’une maladie professionnelle.
[29] Le tribunal tient à préciser que la preuve d’une relation entre le travail et la lobectomie subie par le travailleur en avril 1998 n’a pas été faite. Dans les conclusions médicales finales, il est fait état d’une pathologie d’origine infectieuse et de l’absence de cancer. Il n’est pas impossible que l’infection soit reliée au travail du travailleur mais aucune démonstration n’en a été faite et cela n’a même pas véritablement été argumenté.
[30] C’est donc en dépit et en toute connaissance de l’apport de cette infection et du tabagisme du travailleur que le tribunal conclut à une preuve tout de même prépondérante d’un apport significatif du travail dans la maladie pulmonaire obstructive chronique du travailleur.
[31] En ce qui concerne l’atteinte permanente, la preuve soumise au tribunal est divergente.
[32] Le Comité des maladies pulmonaires professionnelles recommandait de reconnaître un pourcentage de 5 % pour maladie irréversible (code 223001) sans plus, « pour tenir compte de la fraction compensable du déficit » considérant l’apport du tabagisme dans le développement ou l’ampleur de la maladie.
[33] Le docteur Audet, quant à lui, reconnaîtrait le même pourcentage mais auquel il ajouterait 20 % pour évaluation fonctionnelle pulmonaire de classe 2 (code 223136), mais pour ensuite retrancher 40 % du total en raison de l’apport proportionnel du tabagisme. Le pourcentage d’atteinte permanente résultant de l’apport professionnel à la maladie serait ainsi selon lui de 15 %.
[34] Le tribunal note que la classe 2 est effectivement appropriée quant à l’évaluation fonctionnelle pulmonaire du travailleur eu égard aux résultats d’examens retrouvés à son dossier.
[35] Il s’avère par ailleurs qu’il a déjà été établi par la Commission des lésions professionnelles antérieurement[2] qu’il n’était pas possible de scinder un pourcentage d’atteinte permanente pour tenir compte de l’apport d’une cause autre que professionnelle. Une fois le caractère professionnel de la maladie reconnu, ce qui implique un apport professionnel prépondérant, le travailleur a droit d’être indemnisé pour la totalité des séquelles de cette maladie professionnelle et non uniquement pour une fraction de ces séquelles. Un tel départage serait en outre périlleux, voire hasardeux et même impossible : si l’apport professionnel a été jugé prépondérant, cela signifie en effet que le travailleur n’aurait peut-être pas développé la maladie sans cet apport.
[36] Dans les circonstances, considérant l’évaluation motivée du docteur Audet qui paraît conforme au Règlement sur le barème des dommages corporels[3] et les motifs précités, 25 % d’atteinte permanente est reconnu au travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Germain Pinault;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 juin 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la maladie pulmonaire obstructive chronique dont souffre le travailleur constitue une maladie professionnelle;
DÉCLARE que cette maladie a entraîné une atteinte permanente de 25 %;
DÉCLARE que le travailleur a droit à l’indemnité pour préjudice corporel correspondante, plus les intérêts.
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Louise Desbois |
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Commissaire |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Morneau c. CALP,
[1996] C.A.L.P. 1780
(C.S.), appel rejeté,
[1998] C.A.L.P. 564
(C.A.); Sdao et Arshinoff & Cie ltée,
[1994] C.A.L.P. 835
; Pelletier
et A. Pelletier Maître Décapeur,
[1999] C.L.P. 92
, Cantin et Garage julien Cantin, C.L.P.
124037-31-9909, 00-03-
[3] Règlement sur le barème des dommages
corporels, (1987)
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