Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Mocanu et 48e Nord international

2012 QCCLP 6487

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

11 octobre 2012

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

476844-08-1207

 

Dossier CSST :

135918720

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme, juge administratif

 

Membres :

Marcel Grenon, associations d’employeurs

 

Jean-Pierre Valiquette, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Roméo Mocanu

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

48e Nord International

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 12 juillet 2012, monsieur Roméo Mocanu (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 mai 2012 à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 1er mai 2012 et déclare qu’elle était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er mai 2012 parce que monsieur Mocanu a omis, sans raison valable, de se présenter aux traitements prescrits par son médecin.

[3]           La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 4 octobre 2012 à Val-d’Or en présence de monsieur Mocanu et de monsieur André Zagay, administrateur de 48e Nord International (l’employeur).

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Monsieur Mocanu prétend avoir une raison valable pour ne pas s’être présenté à ses traitements. Il demande à la Commission des lésions professionnelles d'annuler la suspension de son indemnité de remplacement du revenu et de déclarer qu’il a droit au versement de celle-ci (environ 1 530 $).

LES FAITS

[5]           Le 27 février 2010, alors directeur général et commissaire à l’exportation chez l’employeur, monsieur Mocanu est confronté à un important tremblement de terre au cours d’une mission économique au Chili. Le 15 avril 2010, il consulte la docteure Nicole Allard qui diagnostique un choc post-traumatique qui est reconnu comme lésion professionnelle par la CSST.

[6]           Depuis ce temps, il est en arrêt de travail et à la demande de la docteure Allard, il suit une psychothérapie, d’abord avec un intervenant social du CLSC et à partir du 20 avril 2011, avec madame Danièle Lynch, travailleuse sociale, pour une approche neuro-thérapeutique (EMDR) recommandée par le premier thérapeute et approuvée par la docteure Allard. Une rencontre par semaine est prévue avec madame Lynch.

[7]           Après la première rencontre du 20 avril 2011, monsieur Mocanu prend trois semaines de vacances de telle sorte que la deuxième rencontre n’a lieu que le 25 mai 2011. Mise au fait de cette situation, l’agente d’indemnisation communique avec ce dernier pour l’informer qu’il a l’obligation de se présenter à ses rencontres avec la thérapeute et que l’indemnité de remplacement du revenu peut ne pas lui être versée s’il ne s’y présente pas.

[8]           Monsieur Mocanu est originaire de Roumanie. Le 29 juillet 2011, il laisse un message à l’agente d’indemnisation lui indiquant qu’il doit se rendre en Roumanie pour deux semaines en raison de problèmes familiaux. Le même jour, madame Lynch communique avec l’agente d'indemnisation pour l’informer que monsieur Mocanu l’a contactée pour lui dire que son départ est relié au fait que sa belle-mère et ses deux parents sont malades. L’agente d’indemnisation convient de ne pas suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu parce que madame Lynch prévoit continuer les traitements par téléphone. En réalité, il ne s’agira pas du traitement EMDR comme tel, mais plutôt de conversations.

[9]           Les traitements se poursuivent normalement au retour de monsieur Mocanu. Le 2 octobre 2011, il retourne en Roumanie pour un peu plus de deux semaines. Selon ce que mentionne l’agente d’indemnisation aux notes du dossier, la docteure Allard et madame Lynch sont toutes deux d’avis que cela lui fera du bien.

[10]        Le 26 avril 2012, monsieur Mocanu laisse un message dans la boîte vocale de sa conseillère en réadaptation (madame Sonia Beauregard) lui indiquant qu’il doit se rendre en Roumanie pour deux semaines « pour la famille ».

[11]        Le 30 avril 2012, madame Lynch explique par téléphone à madame Beauregard que monsieur Mocanu a quitté pour la Roumanie, car sa belle-mère est très malade. Elle lui indique par ailleurs qu'il s’implique mieux dans les traitements EMDR, mais que le traitement devrait durer encore longtemps.

[12]        Le même jour, l’agente d’indemnisation est informée du départ de monsieur Mocanu. Elle décide de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu qu’il reçoit à compter du 1er mai 2012 parce qu’il a omis, sans raison valable, de se présenter à la rencontre prévue ce jour-là pour son traitement. Le 1er mai 2012, une décision de la CSST est rendue à cet effet.

[13]        Le 10 mai 2010, madame Lynch écrit ce qui suit dans un bilan évolutif qu’elle transmet à la conseillère en réadaptation à la suite de la dernière rencontre ayant eu lieu le 24 mai 2012 :

Au-delà de sa condition psychologique liée au traumatisme, monsieur est préoccupé par la santé de son père et celle de sa belle-mère. La distance physique amplifie son inquiétude et son sentiment d’impuissance. D’autant plus qu’il représente pour eux la personne de référence dans les moments difficiles. Tourmenté par leur condition de santé, il décide de partir en Roumanie pour les deux premières semaines du mois de mai. Cette initiative a pour effet de le reconnecter à ses ressources personnelles et à ses réflexes naturels ayant pour résultat de lui procurer un sentiment d’efficacité, d’utilité et de compétence. À notre avis cette décision est positive dans le processus thérapeutique. Le contexte l’oblige à faire appel à ses ressources personnelles. De plus, le fait de revenir dans un rôle de soutien peut contribuer à stimuler son estime de soi. Finalement, un voyage outre-mer comporte inévitablement des imprévus et sollicitera par la même occasion sa capacité d’adaptation. Sortir de sa zone de confort concrétise son autonomie et la confiance en ses capacités accélère sa guérison.

 

 

[14]        Le 14 mai 2012, monsieur Mocanu revient de Roumanie. Le 17 mai, il dépose à la CSST une demande de révision de la décision rendue le 1er mai 2012 dans laquelle il explique ce qui suit :

Tel que je vous ai informé dans mon message vocal laissé dans la boîte vocale de Mme Beauregard, j’ai dû partir d’urgence en Roumanie pour donner support à ma famille. J’ai informé également ma psychothérapeute, Mme Danielle Lynch.

Mes parents vit a Dorohoi, en Roumanie, sont âgées (78 et 76 ans) et sont souffrantes des maladies cardiaque et cardio-vasculaire et sans aucun support.

 

Ma belle-mère vit à Botosami, Roumanie âgée de 79 ans et souffrante d’un cancer dans une phase très avancé.

 

Mon frère vit à Dorohoi, jud. Roumanie et est immobilisé suit a une brisure au genou.

 

En date de 2et 3 mai 2012 je suis allé avec mon frère Tiberiu Mocanu pour subir une chirurgie au genou à l’Hôpital Arcadia lasi, Roumanie (voir document ci-joint).

 

En date de 10 et 12 mai 2012 j’ai dû accompagner mon père (Eugen Macanu) pour consultations et investigations médicales en cardiologie (voir document ci-joint).

 

Pour moi la famille représente beaucoup et je ne peux refuser de donner support à mes proches. Malheureusement, ma famille ne se trouve pas au Québec, ni au Canada mais aux milliers des kilomètres distance et pour les donner mon soutien j’ai besoin de plusieurs jours et plusieurs moyens de transport pour y arriver.

 

Malheureusement, en Roumanie n’existe pas un service social fonctionnel, donc ma présence fut absolument indispensable. [sic]

 

 

[15]        Un des documents auxquels fait référence monsieur Mocanu est au dossier. Il s'agit d'une lettre datée du 12 mai 2012 attestant qu'il a accompagné son père pour une consultation et une investigation médicales les 10 et 12 mai 2012[1].

[16]        Le 28 mai 2012, la CSST rejette sa demande de révision à la suite d'une révision administrative en considérant notamment que, lors de ses absences en 2011, « il avait pris les mesures nécessaires, avant de s'absenter, pour que son indemnité de remplacement du revenu ne soit pas suspendue ». La réviseure n'indique pas à quelle mesure elle fait référence, mais dans son résumé des faits, elle mentionne que lors de son séjour en Roumanie juillet 2011, il avait participé à deux séances de thérapie par téléphone et qu'il avait obtenu l'autorisation préalable de son médecin traitant lorsqu'il s'y est rendu en octobre 2011.

[17]        Le 29 mai 2012, la docteure Nicole Allard écrit ce qui suit dans un certificat médical :

M. Mocanu s’est absenté pendant 2 semaines pour s’occuper de ses parents en Roumanie (du 1 mai au 14 mai) ce que je considère comme bénéfique pour sa réadaptation, car l’inquiétude face à la maladie de ses parents est plus nuisible que d’avoir eu 2 sessions de psychothérapie ajournées. Donc, absence justifiée du 1er mai au 14 mai 2012.

 

 

[18]        Lors de son témoignage à l’audience, monsieur Mocanu explique il a reçu un appel de sa famille lui demandant d'aller en Roumanie pour porter secours à son frère et à son père qui devaient se rendre à l'hôpital.

[19]        Il dit avoir reçu cet appel le 26 avril 2012, avoir fait part à madame Lynch de son intention de se rendre en Roumanie le 27 avril et le même jour ou le lendemain, avoir communiqué par téléphone avec son médecin à ce sujet, la docteure Allard, et avoir appelé la CSST pour l'en informer.

[20]        Il semble y avoir un peu de confusion dans les dates puisque c'est le 24 avril 2012 qu'il a fait part à madame Lynch de son intention de partir en Roumanie au début du mois de mai et c'est le 26 avril 2012 qu'il a avisé la CSST de son départ. Par ailleurs, s'il est possible qu'il ait parlé à la docteure Allard le 27 ou le 28 avril, le tribunal note que ce médecin ne fait pas mention de cette conversation dans le certificat qu'elle a produit le 29 mai 2012.

[21]        Monsieur Mocanu explique enfin qu'à son retour de Roumanie, la CSST a repris le versement de l'indemnité de remplacement du revenu et qu'elle n'a pas suspendu le versement de celle-ci lorsqu'il est retourné dans ce pays au mois d'août 2012.

L’AVIS DES MEMBRES

[22]        Le membre issu des associations des employeurs et membre issu des associations syndicales sont d’avis que la requête doit être accueillie.

[23]        Ils considèrent que monsieur Mocanu a démontré une raison valable pour ne pas s'être présenté à ses traitements de psychothérapie pendant les deux semaines du mois de mai 2012, soit le fait qu'il devait porter secours à sa famille. Dans ce contexte, ils estiment que la suspension de son indemnité de remplacement du revenu n'était pas justifiée et qu'il y a lieu de l'annuler.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[24]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de suspendre, à compter du 1er mai 2012, le versement de l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle a droit monsieur Mocanu en raison de la survenance de sa lésion professionnelle du 27 février 2010.

[25]        En vertu de l'article 44 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), un travailleur qui est victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi.

[26]        En vertu de l'article 142 de la loi, la CSST peut suspendre le versement de cette indemnité dans certaines circonstances, notamment dans celle prévue au paragraphe 2, c, lequel se lit comme suit :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

[…]

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

[…]

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[27]        La jurisprudence[3] reconnaît qu'un court séjour à l'étranger pour une raison humanitaire, comme porter secours à un parent malade, constitue un motif valable pour le travailleur pour ne pas s'être présenté à un traitement prescrit par son médecin.

[28]        C'est le cas de monsieur Mocanu. La preuve démontre qu'il a séjourné 14 jours en Roumanie pour porter secours à son frère et à son père, que sa psychothérapeute, madame Lunch, a été avisée de ce séjour avant son départ et qu'elle considérait que cela pouvait être bénéfique à sa condition psychique et que son médecin, la docteure Allard, était du même avis. De plus, il a avisé la CSST de son départ.

[29]        Le fait qu'il ait possiblement obtenu l'accord de son médecin seulement après son retour, soit le 29 mai 2012, plutôt qu'avant de partir le 27 ou le 28 avril 2012, comme il l'explique lors de son témoignage, n'est pas déterminant.

[30]        Il s'agit, au même titre que les autres éléments de la preuve, d'un élément à prendre en considération dans l'appréciation du caractère valable de la raison invoquée. La même remarque vaut d'ailleurs pour l'absence d'autorisation préalable de la CSST et l'omission d'aviser celle-ci avant de partir. Chaque cas doit être analysé en fonction des circonstances qui lui sont propres.

[31]        Après considération de la preuve au dossier et de la jurisprudence sur la question, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que monsieur Mocanu a démontré qu'il a une raison valable pour ne pas s'être présenté à ses traitements de psychothérapie au cours des deux premières semaines du mois de mai 2012, qu'il y a lieu d'annuler la suspension du versement de l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle a procédé la CSST et de déclarer qu'il a droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu pour la période visée par la suspension commençant le 1er mai 2012.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Roméo Mocanu;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 mai 2012 à la suite d'une révision administrative;

ANNULE la suspension du versement de l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle a procédé la Commission de la santé et de la sécurité du travail à compter du 1er mai 2012;

DÉCLARE que monsieur Mocanu a droit au versement de l'indemnité de remplacement du revenu pour la période visée par la suspension commençant le 1er mai 2012.

 

 

__________________________________

 

Claude-André Ducharme

 

 



[1]           Ce document et sa traduction portent les numéros de page 4 et 5. Les trois premières pages contenant vraisemblablement l'autre document ne semblent pas avoir été photocopiées.

[2]           L.R.Q. c. A-3.001

[3]           Hendipour et 3377181 Canada Inc., C.L.P. 164597-71-0107, 26 mars 2002, D. Gruffy; Altomare et Industrie Comfort Design inc., C.L.P. 256739-71-0503, 15 juillet 2005, D. Gruffy; Rivera et Les Vêtements Adorable Junior inc., 281897-71-0602, 29 septembre 2006, A. Vaillancourt; Iqbal et Revêtements Polyval inc., C.L.P. 289230-71-0605, 27 novembre 2006, L. Crochetière; Ghasemkhani et Hôpital général Juif Mortimer B. Davis, 2007 QCCLP 1847 ; Gil et Winners Merchants, 2008 QCCLP 5669 .

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