COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC MONTRÉAL, le 6 juin 1989 DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: Réal Brassard DE MONTRÉAL RÉGION: MONTÉRÉGIE ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR: Pierre Durand DOSSIER: 01569-62-8612 DOSSIER CSST: 9242 450 AUDITION TENUE LES: 20 octobre 1987 27 septembre 1988 A: Montréal M. PHILIPPE MCKAY 179, rue Ste-Catherine Longueuil (Québec) J4H 2B4 PARTIE APPELANTE et HEROUX INC.755, rue Thurber Longueuil (Québec) J4H 3N2 PARTIE INTÉRESSÉE 01569-62-8612 2/ D É C I S I O N Le 12 décembre 1986, monsieur Philippe McXay (le travailleur) en appelle d'une décision rendue le 6 novembre 1986 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) à la suite d'un avis du comité spécial formé en vertu de l'article 231 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).
Par cette décision, la Commission refuse la récla- mation du travailleur pour maladie pulmonaire professionnelle.
OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision de la Commission, de décla- rer que la maladie pulmonaire dont il a été victime est d'origine professionnelle et d'ordonner à la Commission de lui verser les indemnités auxquelles il a droit en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
01569-62-8612 3/ MOYENS PRÉLIMINAIRES Héroux Inc. (l'employeur), partie intéressée au présent appel, soumet deux moyens préliminaires qui, à son avis, doivent entraîner le rejet de l'appel pour vice fatal: 1- Le travailleur, lors de sa réclamation, n'a produit aucune attestation médicale; 2- La réclamation du travailleur a été produite plus de six mois après l'événement à l'origine de la maladie professionnelle.
FAITS RELATIFS AUX MOYENS PRÉLIMINAIRES Le 6 mars 1984, le travailleur produit une réclama- tion d'assurance salaire parce qu'il doit subir une biopsie pré-scalénique, une mediastinoscopie et biopsie. Cette opération est effectué par le docteur Jean-Guy Vallée le 18 mars 1984. A la suite de l'analyse des biopsies pratiquées qui ont révélé un épithélioma au poumon droit, le travail- leur subit une pneumonectomie droite le 16 mars 1984.
01569-62-8612 4/ Le 16 mars 1984, le docteur Olivier pose un diag- nostic d'épithélioma métastatique ganglionnaire du hile pulmonaire «originant probablement du tractus digestif».
Le 12 mai 1984, le docteur Pierre Bertrand, pneumo- logue, indique à l'employeur que le travailleur ne pourra reprendre son travail avant qu'il soit évalué le 4 octobre 1984.
Le 15 novembre 1985, le travailleur produit à la Commission une réclamation pour maladie profession- nelle référant au 27 février 1984 comme date de l'événement. Cette réclamation est ainsi libellée: «MALADIE PROFESSIONNELLE: - Problèmes pulmonaires reliés au milieu de travail - Diagnostic de cancer du poumon par le médecin (pneumonectomie droite)...
* 43 ans de travail effectués dans des usines à titre de machiniste-outilleur dont 25 années chez HÉROUX LTÉE, en utilisant tous les produits chimiques inhérents à ce travail».
Le travailleur indique le 15 octobre 1984 comme date de retour au travail.
01569-62-8612 5/ Le 22 novembre 1985, l'employeur conteste auprès de la Commission la réclamation du travailleur.
Le 15 janvier l986, la Commission fait parvenir au travailleur la lettre suivante: «Monsieur, Afin de poursuivre l'étude de votre dossier pour des problèmes pulmonaires, veuillez nous faire parvenir les rensei- gnements suivants: Le rapport du médecin qui a charge.
«Autorisation de transmettre des rapports médicaux»: Veuillez remplir les formu- laires qui nous autorisent à obtenir les rapports médicaux relatifs à votre demande.
La description détaillée des tâches effectuées lors du travail.
La période pendant laquelle vous avez effectué ce genre de travail.
La nature des substances avec lesquelles vous avez été en contact.
La composition chimique exacte du (des) produit(s) avec lequel ou lesquels vous êtes en contact. Si vous ne pouvez en préciser la composition, veuillez nous en indiquer la (les) marque(s) déposée(s) ainsi que les nom et adresse des fabri- cants.
LES RAISONS QUI VOUS ONT POUSSÉES A ATTENDRE AU 15 NOVEMBRE 85 POUR DÉCLARER VOTRE MALADIE PROFESSIONNELLE.
Sur réception de ces renseignements, nous pourrons déterminer l'admissibilité».
01569-62-8612 6/ Le 1er février 1986, le travailleur fait parvenir à la Commission un accusé de réception de cette lettre dans les termes suivants: «Monsieur, La présente est Pour vous faire part que j'ai bien reçu votre lettre et les formulaires qui s'y rattachent.
Nous sommes présentement en train de compléter ces formulaires et rechercher toutes les informations dont vous avez besoin pour le dossier que nous vous avons présenté.
Nous vous ferons parvenir d'ici peu le dossier complet».
Il ressort du dossier que le travailleur a transmis le 24 février l986 les informations demandées par la Commission le 15 janvier 1986 sauf le rapport du médecin qui a charge.
Sur réception de ces informations, la Commission a communiqué le 7 mars 1986 Puis le 23 avril 1986 avec le Centre hospitalier Ste-Jeanne d'Arc, où a été opéré le travailleur pour obtenir le dossier médical du travailleur «pour que le comité des maladies professionnelles pulmonaires en fasse l'étude et établisse s'il y a effectivement maladie professionnelle». Le 1er juin 1986, la Commission 01569-62-8612 7/ donne rendez-vous au travailleur devant le comité des maladies professionnelles pulmonaires pour le 18 juillet 1986.
Appelé à témoigner à l'audience devant la Commis- sion d'appel, le travailleur a affirmé avoir été informé en octobre 1985 par le docteur Bertrand que sa maladie pulmonaire pouvait avoir été causée par son travail. C'est sur la foi de cette informa- tion, dit-il, qu'il a produit une réclamation à la Commission le 15 novembre 1985.
ARGUMENTATION DES PARTIES SUR LE PREMIER MOYEN PRÉLIMINAIRE L'employeur soutient que le défaut de produire l'attestation médicale prévue à l'article 199 de la loi est un vice fatal, s'appuyant en cela sur la décision de la Commission d'appel dans l'affaire Guy Vaillancourt et Marino Automobiles St-Eustache Inc. (CALP 64-00019-8606, 30 janvier 1987, monsieur le commissaire Bertrand Roy).
Il soutient que la maladie professionnelle étant, au sens de la loi, une lésion professionnelle, les articles 199 et suivants s'appliquent en l'espèce 0569-62-8612 8/ et le défaut pour le travailleur de se conformer à l'obligation de fournir le certificat médical prévu à l'article 199 invalide sa réclamation. L'em- ployeur demande donc à la Commission d'appel de rejeter l'appel pour ce motif.
Le travailleur soutient qu'en acceptant d'acheminer sa réclamation au comité des pneumologues, la Commission a, dans les faits, «réglé ce problème».
D'autre part, souligne le travailleur, la loi prévoit des dispositions particulières pour la procédure d'évaluation médicale qui font en sorte que le diagnostic n'est pas posé par le médecin qui a charge mais par le comité de pneumologues, en vertu de l'article 230 ainsi qu'il en appert à l'article 226. Contrairement aux autres lésions professionnelles, dit-il, le diagnostic posé par le médecin qui a charge ne lie pas la Commission. Il soumet que les dispositions particulières font en sorte que c'est le diagnostic posé par le comité des pneumologues qui lie en premier lieu la Commission et que c'est le comité des présidents qui confirme ou infirme le diagnostic posé par le comité des pneumologues.
01569-62-8612 9/ Cette procédure particulière, soutient le travail- leur, fait en sorte que l'article 199 n'a pas sa raison d'être dans ce cas particulier et qu'il ne saurait être une condition essentielle à une réclamation faite en vertu de l'article 226.
MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LE PREMIER MOYEN PRÉLIMI- NAIRE La Commission d'appel doit décider, en l'espèce, si le défaut de produire l'attestation médicale prévue à l'article 199 est fatal quant aux droits du travailleur prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Pour en décider, il y a lieu d'examiner la loi en regard de la procédure de réclamation et des obligations faites aux personnes impliquées.
La Commission d'appel rejette immédiatement l'argu- ment du travailleur à l'effet que les articles 199 et suivants de la loi ne s'appliquent pas en l'espèce dans la mesure où la loi prévoit une procédure particulière pour l'évaluation médicale d'une maladie pulmonaire professionnelle. Les 01569-62-8612 10/ articles 199 et suivants font partie des disposi- tions générales pour l'évaluation médicale et à ce titre, s'appliquent à toute évaluation médicale.
Les dispositions particulières s'appliquent au cas particulier sans exclure les dispositions générales et ce n'est qu'en cas d'incompatibilité d'une disposition générale avec une disposition particu- lière que cette dernière prévaut.
Les obligations du travailleur sont inclus au chapitre VIII qui traite de la procédure de récla- mation et avis. Les articles 265 et 267 de ce chapitre édictent: 265. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ou, s'il est décédé ou incapable d'agir, son représentant, doit en aviser son supérieur immédiat, ou à défaut un autre représentant de l'emplo- yeur, avant de quitter l'établissement lorsqu'il en est capable, ou sinon dès que possible.
267. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui 1e rend incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion doit remettre à son employeur l'attestation médicale prévue par l'article 199.
Si aucun employeur n' est tenu de verser un salaire à ce travailleur en vertu de l'article 60, celui-ci remet cette attestation à la Commission.
01569-62-8612 11/ A la lecture de ces articles, la Commission d'appel note que les obligations du travailleur sont envers son employeur sauf s'il n'y a pas d'employeur, dans lequel cas, l'obligation est envers la Commission.
L'article 199 auquel réfère l'article 267 supra se lit: 199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit Par la Commission, une attesta- tion comportant le diagnostic et: 10 s'il prévoit que la lésion profession- nelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou 20 s'il prévoit que la lésion profession- nelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
01569-62-8612 12/ La Commission d'appel note que l'obligation prévue à l'article 199 est imputée au médecin qui a charge, lequel a d'ailleurs diverses obligations énoncées dans ce chapitre de la loi, qui traite de la procédure d'évaluation médicale, notamment aux articles 200, 20l, 202 et 203.
Quelle est la conséquence du défaut du médecin qui a charge de se conformer aux obligations qui lui sont imputées par la loi? Ce sont les articles 204 et 205 qui le prévoient: 204. Lorsque le médecin qui a charge d'un travailleur refuse ou néglige de fournir à la Commission, dans le délai prescrit, un rapport qu'il doit fournir, celle-ci informe sans délai le travail- leur et l'avise qu'elle le réfèrera à un médecin désigné par elle si, dans les 10 jours de cet avis, elle n'a pas reçu le rapport du médecin en défaut ou les nom et adresse d'un autre médecin choisi par le travailleur et qui en prend charge.
205. Le rapport que la Commission reçoit du médecin qu'elle désigne conformément à l'article 204, le cas échéant, est considéré celui du médecin qui a charge du travailleur.
La Commission d'appel conclut, à l'analyse des articles 199 et suivants du chapitre de la loi traitant de la procédure d'évaluation médicale, que 01569-62-8612 13/ les obligations que l'on y retrouve sont imparties non pas au travailleur mais aux médecins impliqués.
Dans les circonstances, on ne saurait faire suppor- ter au travailleur les conséquences pour le manquement d'un tiers d'autant plus que la loi prévoit expressément aux articles 204 et 205 les conséquences d'un tel défaut.
Il reste donc à examiner les conséquences du manquement du travailleur aux obligations qui lui sont imparties par les articles 265 et 267 ci-haut cités.
Les conséquences du défaut de se conformer aux obligations imparties aux articles 265 et 267 ne sont pas expressément prévus à la loi. Il y a donc lieu de s'en référer au contexte dans lequel s'insèrent ces obligations.
L'obligation de l'article 265 est dans l'ordre normal des choses: il est normal qu'un travailleur qui quitte son travail en informe son employeur qui doit décider s'il doit ou non, compte tenu de ses obligations en tant qu'employeur, continuer ou non de rémunérer son employé absent du travail. La 01569-62-8612 14/ conséquence du défaut du travailleur de se confor- mer à une telle obligation pourra être celle de se voir déduire de son salaire la période d'absence et, éventuellement, être rayé de la liste des travailleurs pour absence injustifiée du travail pour cette période pouvant laisser présumer à une démission.
L'obligation de l'article 267 s'insère dans l'ordre normal du droit du travail: une absence du travail pour une période prolongée pour raison médicale doit toujours être justifiée par un certificat médical. Dans le cas de l'article 267, en particu- lier, on peut en inférer que cette obligation du travailleur vise en plus l'information de l'employeur sur la nature exacte de la lésion; information qui pourra lui permettre de contester l'origine professionnelle de la lésion aussi bien que les questions d'ordre médical énumérées à l'article 212.
La conséquence du défaut du travailleur de se conformer à l'obligation de l'article 267 pourrait être de priver l'employeur de son droit de contes- tation. Cependant il faut savoir que c'est ulté- rieurement que la réclamation du travailleur doit 01569-62-8612 15/ être traitée par la Commission et faire l'objet d'une décision et que c'est seulement lorsque la décision de la Commission est rendue quant à l'existence d'une lésion professionnelle qu'existe 1e droit de contestation de l'employeur. A la suite d'une décision de la Commission acceptant la réclamation du travailleur, l'employeur pourra toujours à cette occasion requérir le dossier complet du travailleur et contester, le cas échéant, la décision de la Commission sur tous ses aspects.
La Commission d'appel conclut que le défaut du travailleur de se conformer à l'obligation de l'article 267 ne cause pas un préjudice irréparable à l'employeur et, de ce fait, ce défaut ne peut être fatal. Est-il besoin de rappeler qu'une loi qui procure un droit ou un avantage doit être interprétée libéralement de manière à s'assurer que cette loi rencontre l'objet pour lequel elle a été faite. L'objet de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est la réparation des lésions professionnelles. Pour assurer cet objet, il est nécessaire de préserver au travailleur le droit de réclamer réparation s'il 0569-62-8612 16/ estime y avoir droit. Dans cet esprit, il serait pour le moins inacceptable de lui dénier ce droit de faire valoir ses prétentions par la seule faute ou omission d'une tierce personne sur laquelle il n'a aucun contrôle.
Le défaut de se conformer à l'article 267 pour le travailleur pourrait avoir pour conséquence de le priver de recevoir immédiatement de son employeur l'indemnité prévue à l'article 60 de la loi.
En l'espèce, le travailleur a avisé son employeur le 6 mars 1986 de son problème de santé qu'il reliait, à cette époque, à des conditions person- nelles puisqu'il a fait une réclamation en vertu de son assurance-salaire.
Ce n'est que le 15 novembre 1985 que le travailleur produit une réclamation pour maladie profession- nelle en complétant le formulaire prescrit par la loi. A cette date, le travailleur s'est donc conformé à l'obligation de l'article 265. en avisant son employeur dès que possible (il ne savait pas jusque-là être possiblement atteint d'une maladie professionnelle).
01569-62-8612 17/ Il appert au dossier, par ailleurs, que le travail- leur ne s'est pas conformé à l'obligation de l'article 267 puisqu'il n'y a pas au dossier d'attestation médicale conforme à l'article 199 de la loi. Mais il ne s'agit pas là d'un défaut fatal dans la mesure où l'employeur n'a pas été privé de son droit de contestation. Il n'a d'ailleurs, en l'espèce, eu aucun intérêt à contester la décision de la Commission puisque cette décision est à l'effet que le travailleur n'a pas été victime d'une maladie pulmonaire professionnelle. Par ailleurs, l'employeur est présent devant la Commission d'appel pour s'opposer à l'appel du travailleur.
Pour ces motifs, la Commission d'appel rejette le premier moyen préliminaire de l'employeur.
ARGUMENTATION SUR LE DEUXIÈME MOYEN PRÉLIMINAIRE L'employeur soutient que l'appel doit être rejeté parce que la réclamation du travailleur a été soumise plus d'un an et demi après l'événement déclaré. Il souligne qu'en vertu de l'article 272 de la loi le travailleur doit produire une telle réclamation dans les six mois de la survenance de l'événement.
01569-62-8612 18/ Le travailleur soutient que la Commission d'appel n'a pas compétence pour trancher la question soumise par l'employeur, dans la mesure où cette question relève d'abord de la compétence d'un bureau de révision. L'employeur n'ayant pas contesté, pour ce motif, sa réclamation devant le bureau de révision, dit-il, la Commission d'appel est maintenant sans compétence pour disposer de cette question en l'absence d'une décision d'un bureau de révision.
Par ailleurs, soumet le travailleur, dans la mesure où ce n'est qu'en octobre 1985 qu'il a été porté à sa connaissance qu'il était atteint d'une maladie professionnelle, sa réclamation n'est pas hors délai en regard de l'article 272 puisque cette réclamation a été produite environ un mois après qu'il a été porté à sa connaissance qu'il était atteint d'une maladie professionnelle.
DÉCISION SUR LE DEUXIÈME MOYEN PRÉLIMINAIRE La Commission d'appel doit déterminer si le tra- vailleur a produit sa réclamation en dehors du délai imparti par l'article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies profession- nelles. Dans l'affirmative, la Commission d'appel 01569-62-8612 19/ devra déclarer que, en l'absence d'une décision de la Commission le relevant des conséquences de ce défaut, il ne pouvait produire une réclamation en vertu de l'article 272.
L'article 272 se lit: 272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du béné- ficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
(...) Il ressort clairement du libellé de cet article que le délai de six mois imparti au travailleur doit être calculé à partir de la date à laquelle il est porté à la connaissance de ce dernier qu'il est atteint d'une maladie d'origine professionnelle.
Il faut distinguer ici entre l'événement lui-même, la maladie, et la connaissance qu'a le travailleur du lien entre cette maladie et le travail.
En l'espèce, le témoignage du travailleur établit que ce n'est qu'en octobre 1985 qu'il a été porté à sa connaissance qu'il était possiblement atteint 01569-62-8612 20/ d'une maladie d'origine professionnelle. La preuve révèle par ailleurs que sa réclamation a été produite le 15 novembre 1985, donc bien en-deçà du délai de six mois prévu à l'article 272 ci-haut cité.
La Commission d'appel rejette en conséquence le deuxième moyen préliminaire formulé par l'em- ployeur.
LES FAITS RELATIFS A L'APPEL Le 16 mars 1984, le travailleur subit une Pneumo- nectomie droite après qu'on eut diagnostiqué un épithélioma au poumon droit.
Le diagnostic final posé le 24 octobre 1984 à 1a suite des analyses tissulaires post-opératoires est le suivant: «Adeno-carcinome hilaire pulmonaire (metastatique?) » Après avoir appris en octobre 1985 par son médecin, le docteur Bertrand, que le cancer pulmonaire dont il a été victime était possiblement d'origine 01569-62-8612 21/ professionnelle, le travailleur produit à la Commission une réclamation pour maladie pulmonaire professionnelle le 15 novembre 1985.
Sur réception de cette réclamation, la Commission constitue un dossier d'information quant au travail effectué par le travailleur et quant aux contaminants auxquels il a été exposé. Les informations obtenues de l'employeur indiquent que le travailleur a occupé les postes de travail suivants: - opérateur de fraiseuse en 1965 - opérateur de fraiseuse et de profileuse en 1966 - outilleur de fabrication de 1967 à 1974 - opérateur de tour en 1974 - outilleur de fabrication de 1975 à mai 1982 - opérateur de «gros tour» de mai 1982 à décembre 1982 - opérateur de rectifieuse de décembre 1982 à novembre 1983 - machiniste général de novembre 1983 à février 1984 - opérateur de rectifieuse de février 1984 à mars 1984 - outilleur de fabrication en mars 1984 01569-62-8612 22/ Dans le but d'élaborer un programme de santé spécifique chez l'employeur, conformément à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., c.
5-2. 1), une évaluation des principaux contaminants que l'on retrouve dans l'entreprise de l'employeur a été effectuée le 28 novembre 1984 par le Centre local de services communautaires de Longueuil-Est.
Cette étude révèle notamment qu'au dégraissage, poste de travail où le travailleur manipule et trempe des pièces métalliques dans un bassin de trichloroéthylène, on a mesuré des concentrations de 1530 mg/m3 et de 2205 mg/m3. L'étude estime l'exposition quotidienne de ce travailleur au trichloroethylène entre 685 et 1035 mg/m3 Cette étude révèle encore que sur la ligne de chrome, la concentration de chrome mesurée dans la zone respiratoire du plaqueur était non détectable de même que la concentration de nickel du plaqueur à la ligne de nickel. Par contre, on a mesuré une concentration de 0.11 mg/m3 de chrome au bassin de trempage no 265.
Cette étude est cependant muette quant aux huiles de coupe utilisées par le travailleur comme agent 01569-62-8612 23/ lubrifiant et refroidissant lors de l'usinage des pièces.
Le 1er juin 1986, après avoir complété son dossier, la Commission réfère le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires qui examine l'appelant le 18 juillet 1986. Ce comité rédige son rapport le 8 septembre 1986, dans lequel il émet l'avis suivant: «Diagnostic: pneumonectomie droite Pour cancer du poumon DAP: Aucun car nous n'avons pas vu dans le dossier et dans les rapports d'enquê- tes industrielles que cet individu ait été exposé à des substances carcérogènes.
On mentionne qu'il a été exposé à du nickel mais les concentrations de nickel étaient si faibles qu'elles n'étaient pas détectables».
Le 28 octobre l986, le comité spécial des prési- dents formé en vertu de l'article 332 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies profes- sionnelles confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies profession- nelles pulmonaires dans les termes suivants: «A leur réunion du 27 octobre 1986, les membres soussignés du Comité Spécial des présidents ont étudié le dossier de ce réclamant.
01569-62-8612 24/ Ils ont pris connaissance des conclusions de l'expertise antérieure du 8 septembre 1986. Ils ont revu l'histoire occupation- nelle, les données du questionnaire cardio-respiratoire, la médication, les habitudes, les antécédents personnels et familiaux.
La description de l'examen physique de même que les résultats des examens de laboratoire ont été notés.
Ils ont relu les radiographies pulmonai- res et ils ont analysé les valeurs du bilan fonctionnel respiratoire.
A la suite de cet examen, ils entérinent les conclusions du Comité des maladies pulmonaires professionnelles (B) de Montréal, en date du 8 septembre 1986.
Ils ne reconnaissent pas de lien entre le travail antérieur de cet individu et son cancer du poumon. De ce fait, ils ne peuvent lui accorder aucun déficit anatomo-physiologique».
A la suite de cet avis, la Commission transmet la décision suivante au travailleur, le 6 novembre 1986: «Nous devons vous informer que nous ne pouvons accepter votre demande de prestations compte tenu que votre lésion n'a pas été reconnue comme une maladie professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail.
En conséquence, nous ne pouvons vous verser vos frais ni vous verser d'indemnités».
01569-62-8612 25/ Cette décision est contestée le 26 novembre 1986 par le travailleur, contestation qui est l'objet du présent appel.
Dans le cadre de l'appel devant la Commission d'appel, le travailleur a déposé le 14 juillet 1987 un rapport d'expertise médicale daté du 8 juillet 1987 émanant du docteur Roch Banville.
Dans ce rapport, après avoir résumé l'histoire occupationnelle du travailleur, le docteur Banville écrit notamment ce qui suit: «LES FACTEURS DE RISQUE AUXQUELS IL A ÉTÉ EXPOSÉ SONT-ILS CANCEROGÈNES? «L'identification des substances profes- sionnelles qui induisent des cancers chez l'homme est difficile car, d'une part, la lésion n'est généralement décelable que de nombreuses années après le début de l'exposition et, d'autre part, l'exposi- tion professionnelle est souvent si complexe qu'il est difficile de préciser l'agent causal». (R. Lauwerys, Toxicolo- gie industrielle et intoxications profes- sionnelles, Masson 1982, p. 418).
C'est le cas de M. McKay qui durant sa vie professionnelle a été exposé. à de nombreuses substances et leur évaluation n'a jamais été faite correctement.
Il a été exposé premièrement à l'huile de coupe, huile minérale et huile de chauf- feur de 1943 à 1960 et de 1965 à 1984.
01569-62-8612 26/ Nous ne trouvons dans «L'étude environne- mentale de la compagnie Héroux» existant au dossier aucune évaluation, mais au contraire à la page 60 «Département des tours» où M. McKay a travaillé, il est mentionné que «des mesures de brouillard d'huile devront être effectuées sur ces travailleurs à l'occasion d'une prochaine évaluation».
(...) Pour cette série de départements, on n'a pas évalué ni les solvants ni les diffé- rentes huiles de coupe.
Or, M. McKay a été exposé à des produits cancérogènes: L'huile de coupe: cancérogène pour la peau et les poumons (Toxicologie indus- trielle, p. 193).
(. ..) On doit retenir que M. McKay a travaillé durant les années 8O-8l et 82 dans la batisse no 1 avec des halls ouverts et donc exposé aux produits de chromage et dégraissage.
Il a travaillé aussi sur des recti- fieuses, aléseuses et fraiseuses et il devait rectifier le diamètre des pièces après chromage, donc il y avait un contact direct avec le chrome métallique cancérogène reconnu.
Nous constatons donc que M. McKay a été exposé durant sa vie professionnelle à des facteurs de risque cancérogènes: des huiles de coupe, des différents hydrocar- bures, le chrome et des différents solvants.
L'huile de coupe est un produit reconnu et présent parmi les cancérogènes de classe I, d'après la classification du Comité d'experts de l'OMS (1979).
01569-62-8612 27/ Les hydrocarbures sont des facteurs de risque cancérogènes connus.
Le chrome: cancérogène pulmonaire reconnu.
(...) EN CONCLUSION Il s'agit d'un cancer pulmonaire primaire et non métastatique chez un travailleur de 61 ans opéré il y a 3 ans et 4 mois.
C'est une maladie fort probablement d'origine professionnelle, parce qu'il a été exposé tout au long de sa vie profes- sionnelle à plusieurs facteurs connus ou reconnus d'origine cancérogène.
Nous suggérons que la relation directe entre le cancer pulmonaire pour lequel M.
McKay a été opéré et les facteurs de risque professionnels auxquels il a été exposé durant son travail chez Héroux soit reconnue».
Le 14 septembre 1987, l'employeur dépose un rapport d'expertise daté du l0 septembre 1987 et signé par le docteur Francis Méthot, radio-oncologue. Le docteur Méthot émet l'avis suivant après avoir étudié le dossier du travailleur: «OPINION 1. Il s'agit pour moi, hors de tout doute, d'un cancer primitif pulmonaire de type adénocarcinome avec métastases ganglionnaires.
01569-62-8612 28/ Seulement deux coupes histologiques sur le parenchyme pulmonaire ont été effectuées, ce qui est peu. D'ail- leurs, il n'est pas rare d'avoir de la difficulté à retrouver la lésion pulmonaire microscopique qui peut avoir métastasié au niveau ganglion- naire dans son évolution. D'ailleurs l'UICC et AJC, l'Union internationale contre le cancer et l'Américain Joint Committee en tiennent compte dans la classification des cancers du poumon.
Cette entité est classée TX N2 MO, soit tumeur non retrouvée dans le parenchyme pulmonaire ou à la bronche.
N2: Présence de ganglions axillaires et médiastinaux (Azygos).
MO: Pas de métastase à distance.
2. Facteurs de risques.
1) Cigarette.
Hors de tout doute, d'ailleurs c'est inscrit sur le, paquet de cigarette, par Santé et Bien-Etre du Canada que le risque croit avec l'usage.
La cigarette est reconnue comme facteur cancérigène et est un facteur de cause à effet pour le cancer pulmonaire entre autre.
Monsieur McXay, avec une exposition à 30 paquets-année, a effectivement fumé une quantité reconnue suffisante pour être à haut risque de développer un cancer pulmonaire.
2) Trichloroéthilène? La trichloroéthylène pourrait être un facteur cancérigène. La relation de cause à effet n'a pas été démontrée à ce jour.
01569-62-8612 29/ CONCLUSION Nous ne pouvons aucunement relier le cancer pulmonaire de monsieur Philippe McKay à son exposition comme travailleur mais bien à son tabagisme antérieur même si celui-ci avait été cessé dix ans auparavant» .
Le 14 mars 1988, le travailleur a été examiné par le docteur Pierre Ernst, pneumologue. Son rapport a été déposé à l'audience devant la Commission d'appel. On peut y lire ce qui suit: «Ce monsieur me dit avoir fumé un maximum de 5 cigarettes par jour. Consommation de cigarettes habituelle était environ 20-25 cigarettes par semaine. Il a commencé à fumer à l'âge de 18 ans c'est-à-dire en 1943 et a arrêté de fumer environ 30 ans plus tard, en 1974. Je note donc qu'il avait arrêté de fumer pendant 10 ans lorsqu'il a été diagnosti- qué porteur d'un cancer du poumon. Je note aussi que l'évaluation de tabagisme cumulatif de ce monsieur est de moins de 10 paquets années et non 30 paquets années tel que décrit par le comité de pneumoco- niose en 1986 et tel que repris dans l'expertise du Dr Méthot faite en Septem- bre 1987.
L'histoire professionnelle de ce monsieur est ici très importante. Ce monsieur a travaillé comme outilleur et machiniste de l'âge de 17 ans sauf pour une période de 5 ans ou il a été représentant sur la route, de 1960-65. De 1955 à 1960, et de 1965-86, ce monsieur a travaillé pour la compagnie Héroux. Cette compagnie fabrique divers machines et pièces métalliques. D'après la description de son emploi et la description du milieu de 01569-62-8612 30/ travail faites lors d'une étude d'hygiène industrielle par le CLSC en 1985, ce monsieur a été exposé à plusieurs cancé- rigènes reconnus ou suspectés. Première- ment, il a été exposé de façon intense et répétée à des huiles de coupe. Cette exposition a été souvent sous forme de brouillard d'huile. L'exposition aux huiles de coupe et surtout comme brouil- lard (ou en anglais, oil mists), est reconnue comme cause prouvée de cancer du poumon. Deuxièmement, ce monsieur a été exposé au chrome sous forme hexavalante dans les pigments de peinture. Ceci aussi est une cause reconnue de cancer du poumon. Je note que lors de l'étude d'hygiène industrielle, le type de peinture contenant ce cancérigène n'était pas en utilisation. Finalement, ce monsieur a été exposé au trichloroethy- lène à des niveaux dépassant les normes permises. Cette substance est un cancé- rigène pulmonaire suspecté quoique non prouvé à ce jour.
En conclusion, nous sommes en présence d'un monsieur ayant un cancer du poumon résecqué en 1984 dont l'étiologie est en question. Bien sûr, le cancérigène pulmonaire le mieux reconnu est la cigarette. Cependant ce monsieur me dit avoir fumé moins de 10 paquets années et son risque de cancer dû à ce niveau d'exposition est faible. De plus, il avait arrêté de fumer depuis 10 ans et donc son risque devait être presque celui d'un non-fumeur. Au travail, il a été exposé à deux cancérigènes pulmonaires reconnus, les huiles de coupe et les pigments de chrome. Je pense qu'il est donc logique de croire que la cause prépondérante de son cancer devrait être son exposition au travail.
Je note que le comité des pneumoconioses ainsi que le comité des présidents semblaient ignorer l'exposition de ce monsieur aux cancérigènes reconnus. Je note aussi que l'expertise du Dr Méthot n'adresse non Plus l'exposition aux huiles de coupe et au chrome».
01569-62-8612 31/ Appelé à témoigner à l'audience devant la Commis- sion d'appel, le travailleur décrit les conditions de travail qui prévalaient durant la période où il a travaillé chez l'employeur. Il dit avoir tra- vaillé entre 1955 et 1960 surtout avec la machine à profiler et la machine à usiner (milling machine).
Avec ces machines, dit-il, il fallait utiliser des huiles de coupe et du «compound». L'opération produisait dans sa zone respiratoire des poussière de métal, ajoute-t-il.
Il explique que la machine à usiner, par exemple, dégageait des vapeurs d'huile de coupe, ce matériel qui était utilisé comme liquide de refroidissement.
Entre 1960 et 1965, il a travaillé chez Lefèbvre et Frères, sur la route. Son travail consistait à effectuer des estimés. Il ne travaillait pas sur les machines.
Entre 1965 et 1984, il était de retour chez l'employeur où il a eu à travailler dans différents départements. Il a eu, dit-il, à travailler sur toutes les machines mais surtout au département de l'outillage (tool room). Il dit avoir travaillé sur une aléseuse localisée dans une petite pièce de 01569-62-8612 32/ 6 pieds par 12 pieds par 8 pieds. Cette machine, dit-il, qui servait au meulage des pièces, fonc- tionnait sans liquide de refroidissement. Il avait à travailler avec cette machine sur des pièces d'aluminium, d'acier, de nickel et de chrome. La poussière de métal, dit-il, se répandait dans toute 1a pièce.
Il raconte avoir aussi eu à travailler sur une machine à pointer, sur différentes machines à usiner, des machines à percer, machines refroidies à l'huile de coupe. Il a eu de façon courante à effectuer le dégraissage des pièces usinées, opération qui se faisait dans un bassin de solvants non ventilé.
Le travailleur dépose un document énumérant et décrivant les différents postes de travail et les différentes machines avec lesquelles il a eu à travailler. Ce document indique les périodes où il a eu à utiliser ces machines ainsi que les maté- riaux utilisés (pièce déposée sous la cote A-1).
Concernant sa réclamation à la Commission, le travailleur dit avoir produit cette réclamation quand, en octobre 1985, le docteur Pierre Bertrand 01569-62-8612 33/ l'a informé que son cancer a pu avoir été causé par son travail.
A une question qui lui est posée à ce sujet, le travailleur dit avoir commencé à fumer vers l'âge de 18 ans. Il affirme qu'il fumait moins d'un paquet de cigarettes par semaine. Il ajoute avoir cependant arrêté de fumer 10 ans avant son opération pour cancer pulmonaire.
Appelé à témoigner à l'audience devant la Commis- sion d'appel, le docteur Pierre Ernst, pneumologue, explique que, puisque cinq ans après l'opération, on n'a rien découvert au niveau gastro-intestinal, il faut conclure que le cancer dont a souffert le travailleur est d'origine pulmonaire. Son diagnos- tic est donc l'épitélioma primaire du poumon. Lors de l'analyse tissulaire post-opératoire, note le docteur Ernst, on n'a pas vérifié l'origine du cancer pulmonaire.
Le docteur Ernst indique cependant qu'il y a lieu de considérer, en l'espèce, trois facteurs suscep- tibles d'être à l'origine du cancer pulmonaire. Le premier facteur de risque et le plus important, 01569-62-8612 34/ dit-il, est la cigarette. En l'espèce, le docteur Ernst dit écarter cependant ce facteur comme étant le plus probable dans la mesure où le travailleur affirme n'avoir fumer que 5 cigarettes par jour pendant 30 ans et dans la mesure où il a cessé totalement de fumer depuis 10 ans. Il est d'avis que le fait de cesser de fumer pendant 10 ans fait en sorte que les poumons sont revenus pratiquement au même état que ceux d'un non-fumeur.
Le travailleur, poursuit le docteur Ernst, a par ailleurs été exposé à deux autres produits reconnus comme cancérogènes: le chrome hexavalent et les huiles de coupe.
Le chrome hexavalent se retrouve surtout dans les pigments utilisés dans les peintures, dit le docteur Ernst. Étant donné, dit-il, l'histoire occupationnelle du travailleur, qui n'est pas un peintre, il y a lieu d'écarter ce produit comme la cause la plus probable du cancer. En effet, dit-il, même s'il ne faut pas écarter toute exposi- tion du travailleur à ce produit, puisqu'il a eu à travailler à proximité d'endroits où était utilisé un tel produit, l'exposition est trop faible pour constituer le facteur le plus important dans le cas 01569-62-8612 35/ du travailleur, sans cependant l'écarter complète- ment.
Par contre, souligne le docteur Ernst, le travail- leur a été exposé de façon importante aux huiles de coupe qu'il utilisait régulièrement à son travail.
Il explique que ces huiles de coupe, lors du travail de machinage, se retrouvent dans l'air sous forme de fines gouttelettes, ce qui favorise une pénétration pulmonaire plus grande. Référant au document de l'IARC, le docteur Ernst fait remarquer que les huiles de coupe (cutting oil) sont classées cancérogènes. Quant à l'ouvrage de Lauwerys (Toxicologie industrielle et intoxications profes- sionnelles), le docteur Ernst admet que l'on n'y retrouve pas les huiles de coupe comme cancérogènes mais que l'on y retrouve, par ailleurs, les hydro- carbures polycycliques, produits que l'on retrouve dans les huiles de coupe.
Le docteur Ernst conclut, qu'à son avis, le facteur le plus important qui a pu être à l'origine du cancer pulmonaire du travailleur est l'exposition aux huiles de coupe et, dans une moindre mesure, l'exposition au chrome hexavalent.
01569-62-8612 36/ Quant à l'exposition du travailleur au trichloroé- thylène, le docteur Ernst est aussi d'avis que ce produit n'est pas un cancérogène reconnu et qu'il y a lieu d'écarter ce type d'exposition comme étant un facteur responsable du cancer.
Le docteur Ernst souligne que le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires, daté du 8 septembre 1986 laisse entendre que les pneumolo- gues n'étaient pas informés de l'exposition du travailleur aux huiles de coupe et que ce facteur n'a pas été considéré.
Quant à l'avis du docteur Méthot, le docteur Ernst fait remarquer que cette opinion repose exclusive- ment sur l'exposition au trichloroéthylène et au tabagisme, sans tenir compte de l'exposition aux huiles de coupe. Le docteur Ernst soutient que l'exposition à 30 paquets-années à laquelle réfère le docteur Méthot est une donnée erronée. En effet, explique-t-il, le nombre de paquets-années se calcule par le nombre de paquets de cigarettes fumées par jour. C'est ainsi qu'un paquet de cigarettes par jour pendant un an équivaut à un paquet-année. Ainsi fumer un paquet de cigarettes par jour pendant trente ans donne trente 01569-62-8612 37/ paquets-années. En l'espèce, dit le docteur Ernst, le travailleur dit n'avoir fumé que cinq cigarettes par jour pendant trente ans. Si l'on considère qu'il s'agit d'un quart de paquet de cigarette par jour, le calcul donne 7.8 paquets-années pour l'appelant et non trente paquets-années tel que rapporté par le docteur Méthot.
Questionné à ce sujet, le docteur Ernst affirme qu'il est moins évident aujourd'hui de relier l'adénocarcinome à la cigarette. Il y a autant d'épithelioma chez le fumeur que chez le non fumeur de sorte que, dit-il, il y a de moins en moins de spécificité entre le type de cancer diagnostiqué et son origine. De plus, ajoute le docteur Ernst, s'il s'était agi d'un cancer pulmonaire d'origine métastatique provenant du tube digestif, on aurait surement observé l'apparition de nouvelles tumeurs depuis la pneumonectomie faite il y a cinq ans, ce qui n'a pas été le cas.
L'employeur a fait entendre monsieur Guy Côté, un contremaître. Le témoin affirme bien connaître toutes les machines sur lesquelles le travailleur a eu à travailler. Une seule huile de coupe, dit-il, est utilisée chez l'employeur, la «Transultec».
01569-62-8612 38/ Certaines machines, dit-il, utilisent de l'huile de coupe comme réfrigérant, d'autres seulement du «compound». Il est exact, dit-il, que l'utilisa- tion de l'huile de coupe produit parfois du brouillard. Cela se produit lorsque l'appareil régrigérant ne fonctionne pas, ce qui, ajoute-t-il, arrive très peu souvent. Le témoin affirme que les produits de peinture sont utilisés dans un bâtiment différent de celui où travaillait le travailleur.
Il affirme que l'huile de coupe est utilisée sur trois machines seulement, les autres utilisant le «compound».
L'employeur a ensuite fait entendre le docteur François Lebire, qui, depuis 1980, s'occupe de santé au travail et qui agit à titre de médecin responsable au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., c. S-2.1). A ce titre, il a eu à produire des programmes de santé spécifiques pour certaines catégories d'établisse- ments dans les secteurs 1 et 2 où l'on retrouve les usines de transformation de métaux.
Les huiles de coupe, dit-il, ont constitué l'une des préoccupations dans le domaine de la santé au 01569-62-8612 39/ travail. Depuis 1985, dit-il, on ne prend en considération les huiles de coupe que pour les risques pour la peau. On ne fait aucune interven- tion actuellement, dit-il, pour les risques pulmonaires en rapport avec les huiles de coupe.
Selon lui, il n'y a aucune évidence ni aucune étude épidémiologique reliant le cancer du poumon à l'exposition aux huiles de coupe.
Le docteur Lebire explique que les huiles de coupe sont essentiellement des huiles minérales. Il est vrai, ajoute-t-il, qu'on a soupçonné certaines huiles de coupe d'être cancérogènes mais c'est en raison de la présence potentielle d'hydrocarbures polycycliques dans ces huiles.
Concernant les brouillards d'huile de coupe qui se produisent à l'occasion, le docteur Lebire affirme que ces brouillards n'ont jamais révélé la présence d'hydrocarbures polycycliques.
Concernant la faculté que les hydrocarbures auraient d'induire un cancer, le docteur Lebire souligne que l'étude déposée fait référence au cancer de la peau. C'est pourquoi, dit-il, dans les programmes de santé spécifique, on n'a pas 01569-62-8612 40/ retenu le risque pour les poumons en ce qui concerne les ateliers d'usinage.
Il admet, par ailleurs, que le chrome est un cangérigène pulmonaire reconnu. Cependant, ajoute-t-il, le travailleur n'est pas vraiment exposé à cette substance.
Concernant les brouillards, il dit n'en avoir observé que cinq ou six fois alors que, depuis 1984, il va en usine trois ou quatre fois par an.
Il estime donc que ces brouillards sont très rares.
Appelé à témoigner par l'employeur, le docteur Gildo Rensi, pneumologue, explique qu'il existe essentiellement trois pneumopathies causées par les poussières de métaux durs: - l'asthme occupationnelle - la pneumonite d'hypersensibilité - la fibrose interstitielle Il affirme qu'il n'existe aucune référence à propos du cancer pulmonaire relié aux métaux durs. Selon lui l'exposition aux huiles de coupe n'est pas responsable du cancer pulmonaire dont a souffert le travailleur. Il dit baser son avis sur le fait 01569-62-8612 41/ qu'il n'a pas retrouvé dans l'analyse environnemen- tal la présence de brouillard d'huile et sur les ouvrages qu'il a consultés, en particulier les ouvrages de (Parkes Occupational Lung Disorders, Butterworths, London, 1982, pp. 396, 504, 505) qui sont considérés comme la bible dans le domaine, dit-il, et l'ouvrage de Coles et Steel (Work Related Lung Disorders, Blackwell Scientific Publications, Oxford, 1987, pp. 244, 245, 248 à 250, 274, 375).
Selon ces auteurs, note le docteur Renzi, rien ne permet de relier le cancer pulmonaire à l'exposi- tion aux huiles de coupe. C'est ainsi que dans l'ouvrage de Coles & Steel, à la page 245, au tableau 12.3, on indique que le risque occupa- tionnel de cancer du poumon pour le machiniste exposé aux brouillards d'huile n'est pas défini.
Il précise qu'il s'agit d'un cancérogène suspecté mais non confirmé.
Dans la documentation à laquelle ont référé les spécialistes entendus par la Commission d'appel, on peut lire ce qui suit concernant la relation entre l'exposition aux huiles minérales et le cancer chez l'homme.
01569-62-8612 42/ «SOOTS, TARS AND OILS (GROUP 1) and BENZO(a)PYRENE (GROUP 2) A. Évidence for carcinogenicity to humans (sufficient for soots, tars and oils, inadequate for benzo(a)pyrene) Occupational exposure to coal-soot, coal-tar and pitch, coal-tar fumes and some impure mineral oils causes cancer at several sites including skin, lung, bladder and gut. Recent epidemiological studies support theses conclusions.
Mineral oils vary in their carcinogeni- city and in their composition. Most of the studies linking cancer and especially of the scrotum, with exposure to mineral oils were undertaken at a time before solvent-refined oils were in common use.
Three more recent studies have shown no increased cancer risk among people exposed to mineral oil mists.
The carcinogenic effets of soots, tars and oils may be due to the presence of polycyclic aromatic hydrocarbons, of which benzo(a)pyrene has been the most widely studied. Assessment of the risk due to exposure to benzo(a)pyrene, however, is difficult, since human populations are also exposed simulta- neously to mixtures of other compounds of known or possible carcinogenicity, including (but no limited to) other polycyclic aromatic hydrocarbons.
Therefore, although there are several studies in which benzo(a)pyrene was measured as an indication of exposure to the mixture of compounds in soots, tars and oils, the epidemiological data were considered inadequate to evaluate the carcinogenicity of benzo(a)pyrene itself.
(IARC Monographs on the Evaluation of the Carcinogenic usk of chemicals to humans, supplement 4, october 1982, p. 227).
01569-62-8612 43/ The major sites in humans affected by the toxicity of petroleum-derived oils are the lungs and the skin. Inhalation, aspiration or ingestion of these materials produces lipid pneumonia and lipid granuloma of the lung (Jampolis et al., 1953); effects generally observed on the skin are eczematous dermatitis, contact dermatitis, folliculitis, oil acne, lipid granuloma and melanosis (Hodgson, 1970).
(. ..) (b) Epidemiological studies Metalworkers Ely et al. (1970) conducted a proportional mortality study of male workers at three plants of a company in Rochester, New York, USA. The study group comprised 343 deaths occurring between 1942 and 1961 among men with five or more years' experience in machine shop areas where exposure to oil mist occurred; a comparison group was available of 3122 deaths among men at the same plants who dad no employment in oil-mist work areas. All subjects within the study group were persons who died while (l) actively employed, (2) covered by disability insurance or (3) retirement. (No age-adjustment was carried out, although the average ages at death for the two groups did not differ excessively (62.9 years for the exposed groups, 63.9 years for the comparison group).) Of 69 deaths in the exposed group from cancers at all sites, l0 were from cancer of the respiratory system, accounting for 2.9% of all deaths against 3.2% in the comparison group. The only other cancer sites specified were Hodgkin's disease and leukaemia, from which there was no death in the exposed group. The equipment in the machine shops studied included lathes, mills, shapers, automatic screw machines, grinders and gear hobbers, and the 01569-62-8612 44/ principal oils used were of mineral origin. During the period 1955-1970, concentrations3 of oil mist ranged from 0. 073l10 mg/m , with a median3 of 1.5 mg/m and a mean of 3.7 mg/m . (The authors do not state how causes of death were classified and coded and do not give results for other specific cancer sites of interest, such as those within the gastrointestinal tract.) Decouflé (1976) studied the mortality experience of a cohort of 5189 white males employed at any time between 1938 and 1967 at a heavy industrial plant in the USA and who had spent at least one year in metal-machining jobs. Subjects were followed until 1967, by which time 901 deaths had occured. The cause-specific mortality experience of the study group was compared to death rates in the general US white male population by computing age and calendar year-adjusted expected numbers of deaths and standardized mortality ratios (SMRS) .
The report subdivided all cancer deaths into three categories: respiratory system, digestive system, and all other sites combined. Overall, there were 46 deaths from cancer of the respiratory system compared to 46.3 expected, for which analyses by duration of exposure and interval from onset of exposure showed no pattern indicative of an association with employment. There were 58 deaths from cancer of the digestive system compared to 60.3 expected, and a breakdown of the deaths by duration of exposure and time since onset of exposure did not suggest a definite relationship with the work environment. Mortality from cancers at all other sites combined in the total cohort was not excessiye (46 observed deaths, 5l.5 expected).
Decoufle (1978) expanded his earlier report (Decouflé, 1976) by examining mortality from cancer at more specific sites among 2485 white males with five or more years employment in a variety of 01569-62-8612 45/ jobs involving exposure to oil mist at the same plant. A subgroup of 1137 men, who had accumulated five or more years employment in metal-machining jobs, was included. Exposures to oil mist in metal-machining jobs were classified on a qualitative scale as being heavy, while all other jobs in adjacent areas were denoted as being either "moderate" or "minimal" exposures. No additional follow-up was made, and almost 99% of subjects were traced successfully.
Comparaisons were made with the general US white male population, as before.
Among 15 different cancer-site categories analysed, the only indication of unusual mortality was for cancers of the stomach and large intestine combined, and this was confined to workers accumulating five of more years of employment prior to 1938, the opening year of the study.
Among 835 men whose Pre-1938 employment included five of more years in any job involving exposure to oil mist, there were 15 deaths from cancers of the stomach and large intestine occurring 20 years or more after l January 1938, compared to 7.6 expected (p. « 0.05).
Among 384 men who had five or more years' employment in the heavily exposed metal-machining jobs prior to 1938, there were seven deaths observed compared to 3.6 expected (not statistically significant) after 20 years' follow-up beginning 1 January 1938. Results for cancer of the respiratory system in these same subgroups did not indicate any pattern of increased mortality. (The reasons for combining data on stomach and large intestine are not given.) (.. .) (c) Mortality statistics by occupation Lung cancer excesses have been consistently reported in some jobs entailing exposure to mineral oils or cuttlng oils. In a report from Washington, USA, on occupational 01569-62-8612 46/ mortality in 1950-1971, such jobs were: mechanics and repairmen, tool and die makers and setters, oilers and greasers, and pressmen and plate printers (Milham, 1976 ). Also, in the 1970-1972 occupatio- nal mortality report of the UK Office of Population Censuses and Surveys, standar- dized (SMR) and proportional mortality ratios for lung cancer were elevated (attaining statistical significance) for the following jobs: machine-tool setters and setter-operators, motor mechanics and auto engineers, fitters and machine erectors. An excess of skin cancer deaths was reported for mechanical engineers. Six and two scrotal cancer deaths were reported for machine-tool operators (SMR, 2655) and machine tool setters (SMR, 1013), respectively (Office of Population Censuses and Surveys, 1978) (Such sources of data are usually used only for hypothesis generation, because (l) there are limitations to information on occupational titles reported only on death certificates; (2) multiple compa- risons are made leading to excesses that are statistically significant by chance alone; and (3) confounding factors cannot be taken into account, particularly smoking in relation to lung cancer.
However, it is worth noting that the listed jobs were chosen "a priori" by the Working Group as entailing exposure to mineral oils or cutting oils; and that the excesses observed for lung and skin cancer deaths are biologically plausible.
Despite the inherent limitations of the sources, these data cannot be disregarded entirely.) (IARC Monographs in the evaluation of the carcinogenic risk of chemicals to hùmans, volume 33; April 1984; PP. l35, 137, l41, 147)».
01569-62-8612 47/ OCCUPATIONAL EXPOSURE WITH NO KNOWN LUNG CANCER RISK The include free silica (Chapter 7), coal-mine dust (Chapter 8), carbon black (Robertson and Ingalls, 1980), man-made fibres (Chapter 9) and mineral oil mists.
Mineral oils are well known to cause skin cancer in man but there is no consistent Évidence to suggest that their inhalation is a cause of lung cancer either in man or in animals (Kennaway and Kennaway, 1947; Lushbaugh, Green and Redemann, 1960: Jones, 196l; Wagner, Wright and Stokinger, 1964; Ely et al., 1970; Goldstein, Benoit and Tyroler, 1970; Decoufle, 1976). This may be explained by the fact that many oils which may occur in aerosol form in industrial processes have a brief droplet life and thus do not penetrate far into the lung airvways (see Chapter ll, p. 396).
However, it should, perhaps, be noted that follow-up of exposed workers for longer than about 20 years does not seem to have been reported (Parkes, Occupational Lung Disorders, p. 505).
ARGUMENTATION DES PARTIES Le travailleur admet que la maladie dont il a souffert n'est pas comprise à l'annexe 1, section V de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et que, par conséquent, la présomption de maladie professionnelle prévue à l'article 29 de cette loi ne s'applique pas en l'espèce. Il admet qu'il lui appartenait, dès 01569-62-8612 48/ lors, de démontrer par une preuve prépondérante que sa maladie est reliée aux risques particuliers du travail qu'il a effectué.
Il soumet qu'il a été mis en preuve qu'il devait utiliser régulièrement des huiles de coupe à son travail et que la plupart du temps, l'utilisation d'huiles de coupe provoquait des brouillards d'huile qu'il respirait.
Il souligne que, dans son expertise datée du 14 mars 1988, le docteur Ernst mentionne qu'il est probable que le cancer pulmonaire a été causé par l'exposition aux brouillards d'huile de coupe.
Quant à l'avis du comité des pneumologues et à celui du comité des présidents, le travailleur fait remarquer qu'aucun d'eux ne mentionne l'exposition aux huiles de coupe et que rien n'indique que cette exposition n'ait été portée à leur attention. En conséquence, conclut le travailleur, ces pneumolo- gues ont donné leur avis sans avoir pris connais- sance de l'ensemble des faits.
Il n'est pas remis en question, soutient le tra- vailleur, qu'il ait été exposé aux huiles de coupe.
01569-62-8612 49/ Le litige porte donc exclusivement sur la relation entre l'exposition aux huiles de coupe et le cancer du poumon dont il a souffert.
Quant à l'existence de brouillards d'huile, le travailleur soutient que son témoignage est précis sur ce point alors que le témoin de l'employeur, monsieur Côté, a donné un témoignage confus et contradictoire sur le sujet.
Le travailleur souligne que le docteur Ernst a une longue expérience des maladies pulmonaires profes- sionnelles au niveau de la population active, qu'il connaft bien le type de maladie en question et qu'il a eu l'occasion de l'examiner, ce que n'ont pu faire les médecins de l'employeur. Il soutient que, dans les circonstances, l'opinion du docteur Ernst a plus de poids que celle des médecins de l'employeur, qui affirment que son cancer pulmonaire n'est pas d'origine professionnelle.
Quant au rôle que la cigarette a pu jouer dans l'apparition de sa maladie, ajoute le travailleur, il est important de prendre en considération qu'il a eu une faible consommation de cigarettes et qu'il avait cessé totalement de fumer depuis déjà dix ans avant l'apparition de la maladie.
01569-62-8612 50/ L'employeur soumet qu'en l'espèce, la présomption légale de maladie pulmonaire professionnelle ne s'applique pas. Il soutient que le rapport du docteur Banville n'est pas crédible: il est évident, dit-il, que ce dernier a tenté à tout prix de trouver une origine professionnelle à la maladie professionnelle en listant les nombreux produits chimiques que l'on retrouve dans le milieu de travail et citant hors contexte l'étude de Lauwerys qui parle de cancer de la peau relié aux huiles de coupe et non d'un cancer pulmonaire.
Le seul élément de preuve pertinent, en l'espèce, est l'ouvrage de Cotes & Steel, qui fait mention que les huiles de coupes sont un cancérogène suspecté. Le soupçon, dit l'employeur, n'est pas une preuve et n'est certes pas de nature à établir de façon prépondérante que le cancer dont a souffert le travailleur est relié à son travail alors que 7 pneumologues sur 8, en incluant le comité des maladies pulmonaires professionnelles, sont d'avis qu'il n'y a pas de relation.
01569-62-8612 51/ MOTIFS DE LA DÉCISION Dans la présente affaire, la Commission d'appel doit établir si le cancer pulmonaire dont a souffert le travailleur est d'origine profession- nelle, donc s'il s'agit d'une maladie profession- nelle.
L'article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c.
A-3.001) définit la maladie professionnelle ainsi: «maladie professionnelle»: une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail; L'article 29 de la loi établit une présomption de maladie professionnelle: 29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et son reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
01569-62-8612 52/ La maladie dont a souffert le travailleur, le cancer pulmonaire, n'est pas l'une des maladies énumérées à l'annexe I auquel réfère l'article 29 ci-haut cité. C'est d'ailleurs admis par les parties. Dans un tel cas, l'article 30 édicte: 30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
La maladie en cause n'ayant de toute évidence pas été causée par un accident du travail, en l'espèce, le travailleur devait donc démontrer par une preuve prépondérante que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
En l'instance, le travailleur a tenté de démontrer que sa maladie était reliée directement aux risques particuliers du travail qu'il a exercé. Il a fait une preuve voulant démontrer que le cancer pulmo- naire dont il a souffert était relié directement à son exposition aux huiles de coupe.
01569-62-8612 53/ La preuve du travailleur à cet effet repose sur l'expertise au dossier du docteur Banville et sur l'expertise du docteur Ernst, pneumologue.
La Commission d'appel rejette le rapport du docteur Banville pour les motifs suivants: il s'agit d'une preuve par oui-dire, qui réfère à une foule de produits supposément cancérogènes selon des ouvra- ges auxquels le docteur Banville réfère. Une preuve par ouï-dire est recevable devant un tribunal administratif mais elle doit cependant offrir un minimum de garantie pour être retenue et fonder une décision. Ainsi, par exemple, le docteur Banville indique qu'un précis de toxicologie industrielle mentionnerait que l'huile de coupe est un cancérogène non seulement pour la peau mais aussi pour les poumons. Il n'a pas été possible pour le soussigné de repérer la référence en question, celle-ci n'étant pas suffisamment précisée dans son rapport. Par ailleurs, un seul autre ouvrage fait un tel rapprochement: il s'agit de celui de J.E. Cotes & J. Steel (Work-related Lung disorders), qui indique plutôt que le brouillard d'huile constitue un risque non défini de cancer du poumon. Dans les circonstances, il aurait été nécessaire d'entendre en témoignage le 01569-62-8612 54/ docteur Banville pour pouvoir accorder à son rapport une certaine valeur probante. Or, alors même que le témoignage du docteur Banville avait été annoncé par le travailleur, celui-ci a décidé de ne pas le faire entendre. Dans les circonstances le dépôt intégral des ouvrages ou partie de l'ouvrage traitant de la question concernée aurait constitué une meilleure preuve que le rapport du docteur Banville.
La Commission d'appel considère que le rapport du docteur Banville n'offre pas suffisamment de garantie et ne permet pas une défense pour l'autre partie. Il doit être rejeté pour ce motif.
Reste le témoignage et l'expertise du docteur Ernst. L'avis du docteur Ernst repose sur la prémisse que les huiles de coupe sont un cancé- rogène reconnu ainsi que le chrome sous forme hexavalente.
L'exposition au chrome hexavalent est effectivement un cancérogène reconnu. Cependant, il n'a pas été mis en preuve que le travailleur a été exposé à ce produit toxique que l'on retrouve dans les pein- tures de façon importante, et que son exposition a 01569-62-8612 55/ été suffisante pour constituer un risque particu- lier de son travail. Au contraire, la preuve est à l'effet que les produits de peinture étaient utilisés dans un autre bâtiment que celui où travaillait le travailleur.
Reste donc à examiner si l'exposition aux huiles de coupe constituait un risque pour le travailleur de développer un cancer pulmonaire.
Il est vrai que les huiles de coupe sont un cancérogène reconnu pour la peau. Quant à savoir si l'inhalation des huiles de coupe peuvent induire un cancer pulmonaire, il apparaît au sous signé que les ouvrages cités ne sont pas catégoriques à ce sujet. Il suffit de citer la mise en garde suivante de l'IARC quant au fait qu'une étude épidémiologique ait pu démontrer un taux plus élevé de cancer du poumon chez les travailleurs exposés aux huiles de coupe.
«Such sources of data are usually used only for hypothesis generation, because (l) there are limitations to information on occupational titles reported only on death certificates; (2) multiple compari- sons are made leading to excesses that are statistically significant by chance alone; and (3) confounding factors cannot be taken into account, particularly 01569-62-8612 56/ smoking in relation to lung cancer.
However, it is worth noting that the listed jobs were chosen a priori by the Working Group as entailing exposure to mineral oils or cutting oils; and that the excesses observed for lung and skin cancer deaths are biologically plausible.
Despite the inherent limitations of the sources, these date cannot be disregarded entirely».
Par ailleurs, Parkes, dans son ouvrage intitulé «Occupational Lung Disorders», classe les huiles minérales dans la catégorie des produits ne constituant pas un risque connu pour le cancer du poumon: «Mineral oils are well known to cause skin cancer in man but there is no consistent Évidence to suggest that their inhalation is a cause of lung cancer either in man or in animals».
Et il explique le phénomène de la façon suivante: «This may be explained by the fact that many oils which may occur in aerosol form in industrial processes have a brief droplet life and thus do not penetrate far into the lung airways».
L'autre ouvrage traitant de la question est celui de J.E. Cotes & J. Steel, qui ne parle pas d'un cangérogène reconnu pour le poumon mais bien d'un risque non défini.
01569-62-8612 57/ Dans les circonstances, la Commission d'appel ne peut retenir l'avis du docteur Ernst à l'effet que les huiles de coupe sont un cangérogène reconnu.
Puisque l'avis du docteur Ernst quant à l'origine professionnelle du cancer pulmonaire du travailleur repose exclusivement sur une telle prémisse, la Commission d'appel ne retient pas l'avis du docteur Ernst quant à l'origine professionnelle du cancer dont a souffert le travailleur.
Par ailleurs même si la Commission d'appel en était venue a la conclusion que la preuve du lien entre le cancer pulmonaire et l'exposition aux huiles de coupe avait été faite de façon prépondérante, le travailleur se devait en outre de démontrer qu'il avait été exposé à ce produit toxique de façon suffisamment importante pour être la cause de son cancer pulmonaire. Cette démonstration, de l'avis du soussigné, n'a pas été faite: le travailleur s'est contenté de faire la preuve qu'il a pu être exposé à des brouillards d'huile de coupe. Ni l'exposition effective ni la fréquence d'une telle exposition n'est en preuve. Une telle preuve eut nécessité une analyse d'échantillons de l'air de la zone respiratoire du travailleur à son poste de travail.
01569-62-8612 58/ Dans les circonstances, la Commission d'appel conclut que le travailleur ne s'est pas acquitté de son fardeau de démontrer que le cancer pulmonaire dont il a souffert était caractéristique du travail qu'il a exercé chez l'employeur ou que cette maladie était directement reliée aux risques particuliers de ce travail.
Dans les circonstances, la Commission d'appel doit conclure que le cancer pulmonaire dont il a souffert n'est pas d'origine professionnelle, qu'il ne s'agit pas d'une maladie professionnelle.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES REJETTE l'appel; CONFIRME la décision rendue le 6 novembre 1986 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail; 01569-62-8612 59/ DÉCLARE que monsieur Philippe McKay n'a pas été victime d'une maladie professionnelle.
Réal Brassard Commissaire Benoit, Arsenault, Hykawy & Ass.
(Me Louise Boucher) 2328, rue Ontario Est Montréal (Québec) H2K 1W1 Représentante de la partie appelante Ogilvy Renault (Me Marc Tremblay) 1981, ave McGill College, bureau 1100 Montréal (Québec) H3A 3C1 Représentant de la partie intéressée 01569-62-8612 60/ RÉFÉRENCES CITÉES 1- Lauwerys R. Toxicologie industrielle et intoxications professionnelles. Ed. Masson, Paris, l982; p. 425, 435, 437.
2- OSHA. Common occupational carcinogens. MMM R vol. 35 no. 15. Centers for Disease Control, Atlanta.
3- Cloutier C. Rapport d'évaluation des principaux contaminants présents à la compagnie Héroux Inc. CLSC Longueuil-Est, mai 1985.
4- IARC. Some metals and metallic compounds.
IARC Monographs on the Evaluation of the carcinogenic risk of chemicals to humans. Vol.
23, 1980, p. 254-263, 302-303.
5- IARC. Polynuclear aromatic hydrocarbons, Part 2, Carbon blacks, mineral oils, (lubricant base oils and derived products) and some nitroarenes. IARC Monographs on the eveluation of the carcinogenic risk of chemicals to humans. Vol. 33, 1984, pp. 134-151.
6- Cotes JE, Steel J. Work-related lung disorders.
Blackwell Scientific Publications, Oxford, 1987, pp. 244, 245, 248-250, 274, 375.
7- Parkes RW. Occupational Lung Disorders.
Butterworths, London, l982, pp. 396, 504, 505.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.