Allianz Global Risks US Insurance Company c. Hemani

2019 QCCQ 2656

COUR DU QUÉBEC

« Division de pratique »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

No :

500-22-245552-180

 

DATE :

2 mai 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DANIEL DORTÉLUS

 

 

ALLIANZ GLOBAL RISKS US INSURANS COMPANY

-et-

ROYAL SUN ALLIANCE INSURANCE COMPANY OF CANADA

-et-

SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DU ROYAL DECARIE

 

Demandeurs

c.

 

POOYA HEMANI

-et-

BAHAAREH HEKMATNEJAD

-et

AVIVA INSURANCE COMPANY OF CANADA

 

Défendeurs

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le Tribunal est saisi d’une demande en irrecevabilité présentée en vertu des articles 168 et 51, C.p.c. par les défendeurs, qui soulèvent que les demandeurs  Allianz Global Risks US Insurance Company, («Allianz») et Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada (« RSA ») en tant qu’assureurs de l’immeuble détenus en copropriété ne peuvent pas être subrogés dans les droits du Syndicat des copropriétaires du Royal Décarie, («le syndicat») à l’égard d’un copropriétaire fautif.

[2]           Les défendeurs soulèvent à l’encontre du recours du syndicat, que ce dernier étant tenu de souscrire à des assurances couvrant la totalité de l’immeuble, il ne peut pas réclamer le montant de  la franchise au copropriétaire fautif suite à un sinistre.

CONTEXTE FACTUEL ET PROCÉDURAL

[3]           Les demanderesses «Allianz») et («RSA») œuvrent dans le domaine de l’assurance dans la province de Québec;

[4]           Le demandeur le  Syndicat  administre un immeuble de copropriété située sur le boulevard Décarie à Montréal.

[5]           Les défendeurs Pooya Hemani  et Bahaareh Hekmatnejad  sont propriétaires de l’unité de copropriété 302, jusqu’à l’été de l’année 2016.

[6]           Aviva compagnie d’assurance du Canada, (« Aviva ») est l’assureur responsabilité des défendeurs Hemani et Hekmatnejad.

[7]           Dans leur demande introductive d’instance modifiée,  les demandeurs allèguent :

[…]

4.          At all relevant times, Allianz and RSA insured the Syndicate, including the Property and its content, the whole as appears more fully from the insurance policy bearing number [...], operative from December 15, 2015 to December 15, 2016, […];

5.          In accordance with the provisions of the insurance policy and following the events described below, Allianz and RSA indemnified their insured the Syndicate for a sum of $52,115.12, the whole as appears from the cheques bearing number 12576601 and 0021004919 paid to the Syndicate for the damages sustained, less the $5,000.00 insurance deductible, […];

6.          Allianz and RSA are therefore contractually and legally subrogated in the rights of their insured the Syndicate and are entitled to claim from the Defendants the total amount paid under the insurance coverage;

FACTS

7.          The Defendants were the owners of the unit 302 of the Property;

8.          When the Building was constructed in 2010, the space for the washing machine in the units has been created for small or medium appliances only;

9.          All co-owners were verbally informed of the size of the appliances they were allowed to install in the specific space of their unit;

10.     Despite the Syndicate’s directive, the Defendants installed a large washing machine […];

11.        In the summer of 2016, the Defendants sold their unit, including their Washing machine;

12.        Further to the sale, the unit 302 remained unoccupied;

13.        On August 1st, 2016, the Syndicate was informed that water was noticed in unit 201 of the Property;

14.        In the following days, the co-owners of the units 301, 202 and 101 also reported water in their unit;

15.        The Syndicate investigated to find the source of the leak;

16.        On or around August 15, 2016, Mr. Paul-André Martel and Mr. Wilson Tyler discovered that the water was coming in from the hose of the Washing machine;

17.        The root cause of the leak was the unscrewed hose of the Washing machine;

DAMAGES

18.        Following the events described above, the Syndicate sustained damages in the amount of $57,115.12, the whole as appears from the invoices, alleged herein […];

 

[…]

LAW

20.        Despite the Syndicate’s directive, the Defendants installed a large washing machine and even pushed it against the wall;

21.        Given the above, the damages sustained by the Syndicate were the result of the Defendants’ negligence;

22.        If not for said negligence, the damages hereby claimed would have never occurred;

22.1      Aviva Insurance Company of Canada, as Defendants’ insurer is liable for the damages sustained by Plaintiffs;

[…]

Les procédures

[8]           Le 7 mars 2018, les demandeurs Allianz  et  RSA, subrogés dans les droits de leur assuré, le syndicat, déposent au dossier de la Cour, une Demande introductive d’instance contre les défendeurs en réclamation d’un montant de 57 115,12 $ pour des dommages résultant d’un dégât d’eau découvert le 1er août 2016 dans l’unité 201 de la Propriété. Dans le même recours le syndicat en tant que co-demandeur recherche comme conclusion, la condamnation solidaire des défendeurs pour la somme de 5 000,00 $ représentant le montant de la franchise prévue dans la police d’assurance.

[9]           Le 10 avril 2018, les avocats des défendeurs déposent une Réponse au dossier de la Cour.

[10]        Le 1er juin 2018, un Protocole de l’instance signé par les demandeurs et par les défendeurs est déposé au dossier de la Cour.

[11]        Le 29 octobre 2018, les défendeurs déposent une Demande en rejet de la demande introductive d’instance modifiée, invoquant que le recours des demandeurs serait mal fondé;

La demande en rejet

Dans leur demande en rejet les défendeurs soulèvent :

Rejet de la demande des assureurs Allianz et RSA

8.          Les défenderesses sont en droit de demander le rejet de la présente action à l’égard des assureurs Allianz et RSA considérant que le présent dossier soulève une question de droit en tout point identique au jugement Compagnie d’assurance Missisquoi c. Aviva Canada inc. (2018 QCCS 2760) rendu le 26 juin 2018 par l’honorable Marie-Claude Lalande, j.c.s., dans le dossier de la Cour supérieure du district de Montréal portant le numéro 500-17-090397-152 (ci-après «jugement Missisquoi »), à savoir le droit de l’assureur d’un syndicat d’être subrogé dans les droits de ce dernier contre un de ses copropriétaires, […] ;

9.          Dans le dossier Missisquoi, tout comme dans le présent dossier, l’assureur du syndicat avait indemnisé ce dernier pour les dommages à l’immeuble, puis avait intenté un recours subrogatoire à l’égard du copropriétaire potentiellement fautif afin de recouvrer ces sommes;

10.        L’honorable juge Lalande a rejeté la demande de l’assureur du syndicat aux motifs que l’assureur d’un syndicat de copropriété ne peut être subrogé contre ses copropriétaires pour les dommages que ces derniers auraient causés à l’immeuble assuré;

11.        Dans son jugement, l’honorable juge Lalande a rappelé que le syndicat, en vertu de l’article 1073 C.c.Q., doit assurer l’ensemble de l’immeuble, incluant les parties privatives, de sorte qu’il se trouve à assurer la propriété des copropriétaires, lesquels paient indirectement les primes d’assurance afférentes par le biais des charges de copropriété;

12.        Ainsi, l’honorable juge Lalande a décidé que les principes développés dans l’arrêt Club de golf Summerlea inc. de la Cour d’appel doivent trouver application et, par voie de conséquence, interdit toute subrogation de l’assureur du syndicat à l’encontre de ceux qui sont, dans les faits, ses réels assurés, soit les copropriétaires;

13.        Au surplus, l’honorable juge Lalande a considéré que l’interdiction du recours subrogatoire de l’assureur du syndicat pouvait également se baser sur la jurisprudence développée en matière d’assurance chantier et considère que les recours subrogatoires pourraient également être rejetés pour cette raison;

14.        Par ailleurs, suite à l’adoption récente de l’article 1074.1 du Code civil du Québec dont l’entrée en vigueur est prévue le 13 décembre 2018 par la Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières (projet de loi 141) (ci-après « Loi 141 »), le jugement Missisquoi n’aura fait que confirmer, pour la période antérieure à la mise en vigueur de la loi, le fait que l’assureur d’un syndicat ne saurait être subrogé contre un copropriétaire, le tout tel qu'il appert d’un extrait de la Loi 141 sanctionnée le 13 juin 2018, pièce R-3;

15.        Enfin, en ce qui concerne la clause de responsabilité des copropriétaires, autant la clause 95 par. 5 de la déclaration de copropriété citée dans le jugement Missisquoi que la clause 1.1.2 f) du présent dossier se retrouvent toutes deux dans leur déclaration de copropriété respective sous la partie « Règlement de l’immeuble » et ne saurait donc distinguer les deux dossiers;

16.        Considérant ce qui précède, les principes énoncés par l’honorable juge Lalande doivent être appliqués au présent dossier puisqu’il s’agit de faits soulevant des questions de droit identiques en tout point au jugement Missisquoi;

17.        Par conséquent, l’actuel recours des demanderesses Allianz et RSA est irrecevable et mal-fondé en ce qu’il est clairement incompatible avec la jurisprudence établie;

Rejet de la demande du Syndicat

18.        Les défenderesses sont également en droit de demander le rejet de la présente action à l’égard du Syndicat étant donné que le Syndicat n’a pas souscrit des assurances contre les risques usuels couvrant la totalité de l’Immeuble, le tout en contravention à l’article 1073 C.c.Q. et à son obligation découlant de l’article 6.1.1 de la Déclaration de copropriété, pièce P-1 ;

19.        En effet, le Syndicat a souscrit une assurance comportant une franchise de 5 000,00 $, ce qui équivaut à de « l’auto assurance », et ce, malgré son devoir d’assurer l’Immeuble à sa pleine valeur à neuf;

20.        Dans l’hypothèse où le Syndicat avait souscrit à une assurance sans franchise, Allianz et RSA auraient assumé, conformément à leurs obligations contractuelles, la totalité du montant des dommages, sans possibilité de subrogation contre les copropriétaires, tel que prescrit par le jugement Missisquoi;

21.        Malgré la réalité commerciale actuelle, les franchises en matière d’assurances d’immeubles en copropriété demeurent, strictement parlant, contraires à la Loi, puisque l’article 1073 C.c.Q. est d’ordre public;

22.        Au surplus, dans le jugement Missisquoi, cité plus haut, l’honorable juge Lalande conclut au paragraphe 88 que le syndicat, en s’engageant à assurer l’immeuble et les parties privatives, a renoncé à poursuivre les copropriétaires en cas de sinistre, même ceux relevant d’une faute commise par l’un d’eux;

23.        D’ailleurs, les articles 636 et suivants de la Loi 141 modifieront le Code civil du Québec afin d’obliger les syndicats à constituer un fonds « d’auto assurance » et à souscrire des assurances prévoyant une franchise dite « raisonnable », le tout tel qu’il appert d’un extrait de la Loi 141, pièce R-3;

24.        À contrario, dans la mesure où le législateur est demeuré muet à ce sujet dans les dispositions actuelles du Code civil du Québec, c’est qu’il entendait exiger que les syndicats souscrivent des assurances contre les risques usuels couvrant la totalité de l’immeuble, sans réduire cette protection par la souscription d’une franchise;

25.        Considérant ce qui précède, en vertu des dispositions actuelles du Code civil du Québec, il est interdit pour un syndicat de souscrire une assurance avec franchise;

26.        Par conséquent, l’actuel recours du demandeur Syndicat des copropriétaires du Royal Décarie est irrecevable et mal-fondé en ce qu’il est clairement en contravention avec les dispositions actuelles du Code civil du Québec,

[…]

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[12]        Les défendeurs prétendent que le recours dirigé contre eux par Allianz et RSA n’a pas de fondement juridique, car un assureur ne peut pas être subrogé dans les droits de l’un de ses assurés à l’encontre d’un autre de ses assurés.

[13]        Ils soumettent que cette question a été tranchée par L’honorable Marie-Claude Lalande dans la cause Compagnie d’assurance Missisquoi c. Aviva Canada inc.[1].

[14]        Les défendeurs plaident que le Code civil du Québec prévoit que c’est le syndicat de copropriété qui a l’obligation d’assurer la totalité de l’immeuble, incluant les parties privatives appartenant aux copropriétaires.

[15]        Les défendeurs prétendent, tel que l’exprime l’article 1073 C.c.Q., le législateur a décidé d’imposer l’obligation au syndicat d’assurer la totalité de l’immeuble contre les risques usuels et qu’il s’agit d’une obligation d’ordre public.

[16]        Selon les défendeurs, le recours à une franchise par le syndicat n’est pas conforme au Code civil du Québec, ce qui rend irrecevable son recours en l’instance pour recouvrer la franchise de 5 000,00 $.

[17]        Selon les défendeurs, dans l’éventualité où le syndicat décide de se prémunir d’une franchise pour diminuer les primes de la police d’assurance, ce sont l’ensemble des copropriétaires qui doivent supporter cette franchise en cas de sinistre, puisque ce sont l’ensemble des copropriétaires qui bénéficient d’une réduction de primes.

[18]        Les demandeurs prétendent que  le présent dossier et le dossier Missisquoi sont distincts, bien que des questions de droit puissent être communes.

[19]        Ils soulèvent que dans Missisquoi, la Cour a rendu jugement sur le fond de l’affaire, après audition des témoins et après analyse de la déclaration de copropriété, laquelle déclaration diffère de celle dans ce dossier.

[20]        Les demandeurs soulignent que dans le présent dossier, la question de la validité du recours du syndicat au stade interlocutoire force le tribunal à l’étudier, avant même que n’aient été tenus les interrogatoires.

[21]        Les demandeurs prétendent qu’elle n’est pas fondée et ne peut en aucun cas mener au rejet du recours, la prétention des défendeurs voulant que le Syndicat aurait contrevenu à l’obligation d’assurer la totalité de la propriété puisque la police d’assurance comportait une franchise de 5 000,00 $.

[22]        Selon les demandeurs, même si le Syndicat avait souscrit une police sans franchise, les défendeurs auraient été poursuivis en réclamation du même montant, à la seule exception que le syndicat ne serait pas une des parties demanderesse. En effet, la réclamation contre les défendeurs aurait été la même, sauf qu’elle aurait été entièrement supportée par les demanderesses Allianz et RSA.

[23]        Les demandeurs soulèvent qu’il existe un doute et que le dossier devait être référé au juge qui entendra la cause au fond.

ANALYSE ET MOTIFS

Questions en litige

[24]        Afin de disposer de la demande en rejet du recours des demandeurs, présenté au stade préliminaire par les défendeurs, le Tribunal doit traiter des questions suivantes :

L’assureur d’un immeuble détenu en copropriété peut-il être subrogé dans les droits du syndicat de copropriété à l’égard d’un copropriétaire fautif?

Est-il conforme au Code civil du Québec pour un syndicat de copropriété d’assurer l’immeuble avec une police comportant une franchise et de réclamer cette franchise au copropriétaire fautif suivant un sinistre?

Les critères sont-ils rencontrés pour rejeter le recours des demandeurs au stade préliminaire?

[25]        Essentiellement, les défendeurs demandent le rejet du recours intenté contre eux par Allianz et RSA, principalement au motif que les questions de droit dans cette cause seraient en tout point identique à celles soulevées dans la cause Compagnie d’assurance Missisquoi c. Aviva Canada inc. («Missisquoi »)[2], rendue par la Cour supérieure le 26 juin 2018.

[26]        Dans la cause Missisquoi, la Cour a conclu après avoir entendu l’affaire au mérite que l’assureur Missisquoi ne pouvait être subrogé dans les droits du syndicat de la copropriété contre un copropriétaire pour des dommages à la copropriété en cause.

[27]        Selon les défendeurs, les principes retenus dans Missisquoi s’appliquent en l’espèce. Ils plaident que le recours des demandeurs n’ayant aucune chance de succès, il est voué à l’échec, il doit être rejeté au stade préliminaire.

[28]        L’argument principal des défendeurs reposent sur les obligations du syndicat en vertu du Code civil du Québec, («C.c.Q.») et de la déclaration de copropriété.

[29]        En effet, l’article 1073 C.c.Q., énonce :

1073. Le syndicat a un intérêt assurable dans tout l’immeuble, y compris les parties privatives. Il doit souscrire des assurances contre les risques usuels, tels le vol et l’incendie, couvrant la totalité de l’immeuble, à l’exclusion des améliorations apportées par un copropriétaire à sa partie. Le montant de l’assurance souscrite correspond à la valeur à neuf de l’immeuble.

Il doit aussi souscrire une assurance couvrant sa responsabilité envers les tiers.[3]

[Soulignements ajoutés]

[30]        L’obligation du syndicat de souscrire à des assurances est prévue dans la déclaration de copropriété, (pièce P-1) :

6.1 Responsabilité du syndicat

6.1.1 Les administrateurs doivent, au nom du syndicat, contracter et maintenir en vigueur une assurance de biens couvrant la valeur à neuf de l’immeuble, selon un formulaire d’assurance tous risques portant sur les parties communes et les parties privatives, à l’exception de la plus-value résultant d’améliorations apportées par un copropriétaire à sa partie privative et à l’exception des biens mobiliers se trouvant dans les parties privatives et n’appartenant pas à la copropriété.

S’ils le jugent opportun ou si l’assureur l’exige, les administrateurs obtiendront une évaluation indépendante faite par une personne compétente antérieurement à l’obtention d’une telle police d’assurance ou son renouvellement afin de s’assurer que la valeur assurable est suffisante et équivaut à la valeur à neuf de l’immeuble. Dans tous les cas, les administrateurs ont le devoir de s’assurer que le montant de la protection est suffisant. Les frais d’évaluation sont comptabilisés comme des dépenses communes.

[Soulignements ajoutés]

[31]        La déclaration de copropriété prévoit que les copropriétaires n’ont quant à eux que l’obligation d’assurer les améliorations qu’ils ont faites à leur partie privative et leurs biens mobiliers :

6.3 Responsabilité individuelle des copropriétaires

6.3.1 Chaque copropriétaire doit obtenir et maintenir en vigueur une assurance de biens contre les dommages occasionnés à la plus-value donnée à ses parties privatives, notamment les améliorations apportées par ou pour lui, et contre les dommages occasionnés à ses biens mobiliers ou effets personnels se trouvant dans les parties privatives.

6.3.2 Chaque copropriétaire doit obtenir et maintenir en vigueur une assurance responsabilité civile de particulier en raison de dommages corporels ou matériels encourus par les tiers.

[32]        Les défendeurs plaident que l’emploi du terme « devoir » dénote une obligation impérative à laquelle le syndicat ne peut se soustraire, amenant les Tribunaux et les auteurs de doctrine à conclure qu’il s’agit d’une disposition d’ordre public.

[33]        Cette prétention des défendeurs est bien fondée, elle trouve assise dans l’interprétation et l’application de l’article 1073 C.c.Q., dans le jugement bien étoffé rendu dans la cause Missisquoi dans lequel, l’honorable Lalande écrit :

[52] Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que dans le contexte de la copropriété divise, l’article 1073 C.c.Q. reconnaît expressément que le syndicat de la copropriété détient un intérêt assurable et lui impose de souscrire à une assurance pour la totalité de l’immeuble.

[53] Il s’agit d’une disposition d’ordre public.[4]

[Soulignements ajoutés]

[34]         Au sujet du caractère d’ordre public de l’obligation du syndicat imposé par l’article 1073 C.c.Q., les auteurs Yves Joli-Cœur et Lucas Clément, écrivent :

Cette obligation [du syndicat de souscrire des assurances contre les risques usuels, tels le vol et l’incendie, couvrant la totalité de l’immeuble] est par ailleurs d’ordre public. Ceci signifie que les copropriétaires, même unanimement, ne peuvent décider d’y déroger au moyen d’une résolution du conseil d’administration de leur syndicat ni même d’un vote unanime en assemblée des copropriétaires. En effet, l’obligation que le syndicat a de souscrire une assurance est instituée non seulement dans l’intérêt de la collectivité des copropriétaires, mais également dans celui des tiers, notamment lorsqu’il s’agit de couvrir la responsabilité que le syndicat peut encourir à leur égard[5].

[Soulignements ajoutés]

[35]        Les défendeurs soulignent que les copropriétaires paient les primes de la police d’assurance souscrit par le syndicat de copropriété, ce, à travers les charges communes de la copropriété, tel que prévu par l’article 1064 C.c.Q. et la déclaration de copropriété. Ils doivent donc pouvoir en bénéficier.

[36]        L’article 1064 C.c.Q. énonce :

1064. Chacun des copropriétaires contribue, en proportion de la valeur relative de sa fraction, aux charges résultant de la copropriété et de l’exploitation de l’immeuble, ainsi qu’au fonds de prévoyance constitué en application de l’article 1071. Toutefois, les copropriétaires qui utilisent les parties communes à usage restreint contribuent seuls aux charges qui en résultent.

[37]        La déclaration de copropriété, prévoit :  

6.1.7 Les primes d’assurance payées pour le compte du syndicat constituent des charges communes. Si, toutefois, une surprime était due en raison du fait d’un copropriétaire, d’un membre de sa famille, de son locataire ou d’un occupant de sa fraction ou pour une cause dépendant d’une telle personne, la surprime exigible en raison de ce fait ou de cette cause est à la charge exclusive du copropriétaire concerné.

[Soulignements ajoutés]

[38]        Les défendeurs plaident, par analogie au principe jurisprudentiel bien établi en matière de baux commerciaux selon lequel le locateur qui assure l’immeuble en contrepartie de l’obligation corrélative du locataire de payer les primes de cette assurance renonce à ses recours à l’encontre du locataire, il doit être considéré que le syndicat a renoncé à ses recours à l’encontre des copropriétaires.

[39]        Cet argument des défendeurs est bien fondé, car il est conforme aux principes retenus et appliqués dans la cause Missisquoi suite à une analyse minutieuse de la jurisprudence par l’honorable Marie-Claude Lalande qui retient :

[88] En l’espèce, il faut conclure que le Syndicat, par le libellé de la Déclaration de copropriété, s’est engagé à assurer l’Immeuble et les parties privatives et a renoncé à poursuivre les copropriétaires en cas de sinistre, même ceux résultant d’une faute commise par l’un d’eux. En outre, les copropriétaires doivent être considérés comme des bénéficiaires de l’assurance souscrite par le Syndicat puisqu’ils en paient les coûts dans les charges communes.

 […]

[95] Par conséquent, en vertu de ce raisonnement, la subrogation ne devrait pas être permise pour donner ouverture à l’assureur du Syndicat de poursuivre l’un des copropriétaires, même si celui-ci a pu commettre une faute ayant causé des dommages à l’Immeuble, puisqu’il a toutes les caractéristiques pour être considéré comme un assuré innommé.

[96] En raison de tout ce qui précède, le Tribunal conclut que le recours subrogatoire de Missisquoi n’est pas fondé.[6]

[Soulignements ajoutés]

[40]        Les demandeurs soulèvent qu’en l’espèce, non seulement une Clause de non-renonciation se trouve dans la section « Acte constitutif » (clause 6.1.6), mais aussi dans la section « Règlement de l’immeuble » (clause 1.1.2.)

[41]        Voici la teneur de ces clauses :

 

Clause 6.1.6:

« Telles assurances doivent prévoir un droit de recours d’un assuré vis-à-vis d’un autre assuré, comme si une police distincte avait été émise à chacun d’eux. Cependant, cette disposition n’aura pas pour effet, en cas de pluralité d’assurés, d’augmenter le montant d’assurance en la police.»

Clause 1.1.2 

« Tout copropriétaire reste responsable, à l’égard des autres copropriétaires et du syndicat, des conséquences dommageables entrainées par sa faute ou sa négligence et celle d’un des préposés ou par le fait d’un bien dont il est légalement responsable.»

[42]        Selon le Tribunal, la non renonciation du syndicat à ses recours contre les copropriétaires et le fait que la déclaration de copropriété prévoit que les copropriétaires demeurent responsables des dommages entrainés par leur faute ou négligence (clause 1.1.2), mais aussi que les polices d’assurance doivent prévoir un droit de recours d’un assuré vis-à-vis un autre (clause 6.1.6), ne fait pas obstacle à l’application du principe de non subrogation de l’assureur de la propriété, ce, pour les raisons qui suivent.  

[43]        Les défendeurs qui paient les primes de l’assurance pour  l’immeuble assuré par le syndicat, ont un intérêt évident dans la propriété que le syndicat a l’obligation d’assurer. Ils possèdent un intérêt assurable qui se superpose à celui du syndicat.

[44]        Les défendeurs plaident avec justesse, par analogie avec la jurisprudence développée en matière d’assurance chantier, ils doivent ainsi être considérés comme des assurés innommés de la police d’assurance émise par Allianz et RSA, ce qui fait obstacle à la subrogation sur laquelle, ils fondent leurs recours contre eux en l’espèce. Cette position mise de l’avant par les défendeurs est bien fondée en droit. Le Tribunal suit le raisonnement appliqué dans Missisquoi sur cette question.

[45]        Il est utile d’identifier les principes juridiques applicables au moyen préliminaire d’irrecevabilité soulevé en l’espèce qui trouve assise sur l’art.168 al. 2 C.p.c. qui énonce :

168. Une partie peut opposer l'irrecevabilité de la demande ou de la défense et conclure à son rejet dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes:

[...]

Elle peut aussi opposer l'irrecevabilité si la demande ou la défense n'est pas fondée en droit, quoique les faits allégués puissent être vrais. Ce moyen peut ne porter que sur une partie de celle-ci.[7]

[Soulignements ajoutés]

[46]        À l’égard de l’article 168 C.p.c., dans la cause 4148819 Canada inc. c. Young[8], l’Honorable Gérard Dugré de la Cour supérieure a déterminé que cette disposition du nouveau Code de procédure civile est similaire à l’art. 165(4) de l’ancien Code, sauf qu’il s’applique maintenant à la demande et à la défense et qu’il autorise l’irrecevabilité partielle qui était, en principe, interdite sous l’ancien Code.

[47]        Les principes applicables pour trancher à un stade préliminaire  d’un moyen d’irrecevabilité sont bien établis par la jurisprudence. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux[9],  la Cour suprême du Canada les résume en ces termes:

[16] […] Pour reprendre les propos de la juge en chef McLachlin, le pouvoir que possèdent les tribunaux de rejeter les recours au stade préliminaire «constitue une importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l'efficacité et à l'équité des procès. Il permet d'élaguer les litiges en écartant les demandes vaines et en assurant l'instruction des demandes susceptibles d'être accueillies» […]

[17] Le rejet d'une action au stade préliminaire peut toutefois entraîner de très sérieuses conséquences. Les tribunaux doivent pour cette raison faire preuve de circonspection dans l'exercice de ce pouvoir. Dans ce contexte, seule une absence claire et manifeste de fondement juridique mènera au rejet d'une action à cette étape des procédures […].

[18] À ce propos, la Cour d'appel du Québec soulignait qu'«il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès au stade d'une requête en irrecevabilité, à moins d'une situation claire et évidente, considérant les graves conséquences qui découlent du rejet d'une action sans que la demande ne soit examinée au mérite» […].

[19] Cette situation «claire et évidente» ouvrant la voie au rejet de l'action doit apparaître à la lecture des allégations de la requête introductive d'instance et des différentes pièces invoquées à son soutien […]

[20] Cependant, si les faits allégués dans la requête doivent être tenus pour avérés […] leur qualification juridique ne lie pas pour autant le tribunal […]

[21] Dans ce contexte, le juge appelé à statuer sur la recevabilité d'un recours doit déterminer si les allégations de fait énoncées dans la requête introductive d'instance sont «de nature à donner ouverture aux conclusions recherchées» par le demandeur […]. Dans tous les cas, pour que le tribunal soit fondé à conclure à l'irrecevabilité, il faut que tous les éléments de fait à considérer apparaissent à la requête introductive d'instance et que l'application de la règle de droit pertinente à ces éléments ne soit pas discutable […].

[Soulignements ajoutés]

[Renvois omis]

[48]        L’application de ces principes amène le Tribunal à conclure que le moyen d’irrecevabilité soulevé par les défendeurs qui demandent le rejet du recours intenté contre eux par Allianz et RSA est fondé, car l’assureur d’un immeuble détenu en copropriété ne peut pas être subrogé dans les droits du syndicat de copropriété à l’égard d’un copropriétaire, ce peu importe qu’il soit fautif  ou nom, car les défendeurs en tant que copropriétaires sont de facto des assurés ou bénéficiaires de la police d’assurance du syndicat, ce qui fait échec à la possibilité d’un recours subrogatoire de l’assureur du syndicat à leur encontre, considérant qu’un assureur ne peut poursuivre son propre « assuré ».

[49]        Le jugement phare rendu dans la cause Missisquoi par l’honorable Lalande de la Cour supérieure, qui n’a pas été porté en appel, mérite d’être suivi car il reflète l’état du droit sur la question d’inexistence de possibilité de recours subrogatoire d’un assureur d’un syndicat de copropriété contre un copropriétaire.

[50]        Selon le Tribunal, ce jugement qui est en effet fondé sur une interprétation juste des dispositions du Code civil du Québec en matière d’assurance de copropriété, laisse transparaitre une absence claire et manifeste de fondement juridique du recours de Allianz et RSA, qui est manifestement voué l’échec.

[51]        L’argument des demandeurs voulant que la Cour doit toujours faire preuve de prudence avant de rejeter un recours au stade préliminaire, tel que précisé dans La Personnelle, assurances générales inc. c. Royal & Sun Alliance du Canada, société d'assurances[10], ne peut pas être retenu, car nous sommes devant une situation ou les critères sont rencontrés pour mettre un terme au stade préliminaire au recours de Allianz et RSA. Une preuve au fond ne bonifiera en rien la position des Allianz et RSA.

[52]        En ce qui concerne la question du stare decisis, l’auteur André Émond, dans l’ouvrage Introduction au droit canadien[11], écrit :

Les tribunaux de première instance comme les cours provinciales, les cours supérieures des provinces et la Cour fédérale se croient généralement liés par leurs décisions et celles des tribunaux ayant une juridiction concurrente.

George Baynton, juge à la Cour du banc de la reine de la Saskatchewan, s’est expliqué ainsi :

[Traduction] il est vrai que la doctrine du stare decisis n’oblige pas un juge de première instance à suivre aveuglément la décision d’un autre juge du même tribunal, mais ne pas le faire rendrait un mauvais service aux justiciables, avocats et tribunaux inférieurs. Ceux-ci doivent pouvoir s’attendre à ce que le droit soit raisonnablement stable et certain. Il revient aux tribunaux d’appel, et non aux juges de même juridiction siégeant individuellement, de corriger les erreurs judiciaires1276

.   [Renvois omis]

[53]        Bien que la Cour supérieure et la Cour du Québec soient des tribunaux distincts, il demeure qu’elles sont des tribunaux de première instance. Le Tribunal suit le raisonnement  du juge Baynton qu’il applique en l’espèce.

[54]        Les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer l’existence d’un motif sérieux pouvant permettre d’écarter les principes élaborés dans Missisquoi pour l’interprétation et l’application des articles 1073 et 2474 C.c.Q. en matière d’assurance de copropriété. 

[55]        Il ne reste qu’à traiter de la question de la réclamation du montant de la franchise d’assurance aux défendeurs, par le syndicat à titre de dommages. 

[56]        Les défendeurs plaident avec insistance que l’article 1073 C.c.Q., impose l’obligation au syndicat d’assurer la totalité de l’immeuble contre les risques usuels. Il s’agit d’une obligation d’ordre public, dans l’objectif de protéger les copropriétaires en cas de sinistre et d’assurer la préservation de l’immeuble. Ils plaident que l’ajout d’une franchise contrevient à cette obligation.  Cet argument des défendeurs n’est pas dénué de fondement.

[57]        Les demandeurs soulèvent que la déclaration de copropriété est claire quant à l’intention du syndicat que les copropriétaires soient responsable des dommages causés par leur faute et négligence.

[58]        En effet la clause 1.1.2  de la déclaration de copropriété énonce que :

Tout copropriétaire reste responsable, à l’égard des autres copropriétaires et du syndicat, des conséquences dommageables entrainées par sa faute ou sa négligence et celle d’un des préposés ou par le fait d’un bien dont il est légalement responsable.

[59]        Dans la demande introductive d’instance, il est allégué que les défendeurs ont été négligents en ce qu’ils n’ont pas respecté les directives pour l’installation de la laveuse.

[60]        Il est vrai que le montant que le syndicat réclame à titre de dommages porte sur le montant de la franchise. La preuve est cependant muette sur les circonstances entourant la souscription d’assurance avec une franchise. Une telle preuve serait requise afin de déterminer si le syndicat a manqué à son obligation en vertu de l’article 1073 C.c.Q. Il en est de même pour déterminer si la responsabilité des défendeurs peut être retenue en vertu de  la clause 1.1.2  de la déclaration de copropriété.

[61]        Par ailleurs, il existe plusieurs courants jurisprudentiels à la Cour du Québec, en ce qui concerne le recours d’un syndicat de copropriété contre un copropriétaire ayant pour objet de récupérer le montant de la franchise devant être assumée par le syndicat dans le cas d’un sinistre dont un copropriétaire serait responsable[12].

[62]        Lorsqu’une question ne peut être résolue à la simple lecture du dossier, la requête en irrecevabilité sera rejetée tel qu’énoncé dans la cause 3952851 Canada inc. c. Groupe Montoni[13].

[63]        Nous ne sommes pas ici devant une situation où tous les éléments de fait à considérer apparaissent à la demande introductive d'instance et que l'application de la règle de droit pertinente à ces éléments n’est pas discutable.

[64]        L’application de ces principes amène à la conclusion que les critères ne sont pas rencontrés pour accueillir à ce stade préliminaire la demande des défendeurs en rejet du recours du syndicat.

[65]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[66]        ACCUEUILLE la demande des défendeurs en rejet du recours des demandeurs Global Risks US Insurance Company et Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada;

[67]        REJETTE la demande des demandeurs Global Risks US Insurance Company et Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada contre les défendeurs, avec frais de justice.

[68]        REJETTE la demande des défendeurs en rejet du recours du demandeur le Syndicat des Copropriétaires du Royal Décarie, le tout frais à suivre.

 

 

 

__________________________________

DANIEL DORTÉLUS, J.C.Q.

Me SOPHIE ROY

DE BILLY LAVERY

Avocate des demandeurs

 

Me ALEXANDRE PARIS

Me FREDÉRIQUE St-JEAN

BELANGER SAUVÉ

Avocats des défendeurs

 

Date d’audience :

17 avril 2019

 



[1]     2018 QCCS 2760

[2]     2018 QCCS 2760.

[3]     C.c.Q., art. 1073.

[4]     Précité note 2, par. 52 et 53.

[5]     Développements récents en droit de la copropriété divise, Service de la formation continue du Barreau du Québec, 2016.

[6]     Précité note 2, par. 88, 95 et 96.

[7]     RLRQ, c. C-25-01, art. 168.

[8]     2016 QCCS 2112.

[9]     2014 CSC 49 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 477, par. 17.

[10]    2014 QCCQ 3769, par. 12.

[11]    Introduction au droit canadien, 2e éd., Wilson & Lafleur, Montréal, 2016.

[12]    Syndicat des copropriétaires des terrasses Lulli c. Fortin, J.E. 2001-1509, Syndicat des copropriétaires de l’Estuaire condo, phase III c. Gentex, AZ-50289870; Assurances générales des caisses Desjardins inc. c. Labelle, AZ-50171764 ; Montanarini c. Syndicat Le Bourg-le-Ponsardin, J.E. 2005-1151.

[13]    2017 QCCA 620.

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