Tenuta et Centre de l'auto Boulevard Industriel |
2009 QCCLP 1168 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 20 mai 2008, monsieur Gioacchino Tenuta (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il réclame la révocation d’une décision rendue par le tribunal le 22 avril 2008.
[2] Par celle-ci, le Tribunal rejette la requête produite par le travailleur et il détermine que ce dernier n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation, le 7 avril 2004, de la lésion professionnelle initiale subie le 8 juin 2001 ou de celle survenue le 30 décembre 1982.
[3] L’audience dans cette affaire a lieu à Laval, le 30 janvier 2009, en présence du travailleur[1], de sa représentante, Me Sophie Martin, et de la représentante de la CSST, Me Martine Saint-Jacques.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La représentante du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir la requête déposée par ce dernier, de révoquer la décision rendue par le Tribunal le 22 avril 2008 et de convoquer de nouveau les parties afin qu’elles puissent présenter leur preuve et leur argumentation relativement à ce dossier.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Conformément à ce qui est prévu à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), la soussignée recueille l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur les questions soulevées par la présente requête.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête présentée par le travailleur, de révoquer la décision rendue par le Tribunal et de convoquer de nouveau les parties afin qu’elles puissent faire valoir leur preuve et leur argumentation relativement au fond de ce litige.
[7] En effet, le membre issu des associations syndicales estime que la décision rendue par le Tribunal comporte une erreur manifeste. Ainsi, lorsque ce dernier écarte, sans motif, l’expertise du docteur Gilles-Roger Tremblay, cela biaise son appréciation de la preuve. De plus, si le Tribunal considère que ce médecin est partial, il aurait dû aviser les parties et leur permettre de s’exprimer à ce sujet. Les parties ont donc été privées de leur droit d’être entendues sur cet aspect de la preuve. Cependant, le membre issu des associations syndicales ne croit pas que l’énoncé sur la condition personnelle symptomatique avant l’événement est assimilable à une erreur déterminante donnant ouverture au recours en révision ou en révocation.
[8] De son côté, le membre issu des associations d’employeurs fait une toute autre lecture de l’argumentation présentée. Il est d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête en révocation déposée par le travailleur.
[9] En effet, il estime que le travailleur n’a pas démontré de motifs permettant de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles et, plus particulièrement, il considère que ce dernier n’a pas identifié d’erreur manifeste et déterminante dans la décision attaquée et qu’il n’a pas été privé de son droit d’être entendu.
[10] Ainsi, la reconnaissance du statut d’expert du docteur Tremblay n’empêche pas le Tribunal d’évaluer la valeur probante de son opinion en regard des faits mis en preuve. Or, cet exercice est fait par le Tribunal. Les termes utilisés pour écarter l’expertise du docteur Tremblay et privilégier celle du docteur Ferron ne sont peut-être pas des plus heureux, mais ce choix est motivé et il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de s’immiscer dans cette analyse. De plus, le travailleur n’a pas été privé de son droit d’être entendu car il faut distinguer entre la preuve présentée et l’appréciation de cette preuve par le Tribunal. Le fait que le premier commissaire considère le docteur Tremblay plus partial relève de l’appréciation de la preuve et cela n’a pas à être commenté par les parties. Enfin, la question de la condition personnelle symptomatique avant l’événement de juin 2001 n’est pas assimilable à une erreur déterminante puisque des informations au dossier ainsi que le témoignage du docteur Ferron orientent vers une telle conclusion.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[11] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision rendue par le Tribunal le 22 avril 2008 doit être révoquée comme le réclame le travailleur.
[12] La Commission des lésions professionnelles rappelle que les décisions rendues par le Tribunal sont finales et sans appel[3]. Cependant, l’article 429.56 de la loi permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu’elle a rendue lorsqu’une partie lui en fait la demande et lorsque les conditions qui y sont énoncées sont respectées, à savoir lorsqu’il est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente, lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre, ou lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
[13] La représentante du travailleur invoque le vice de fond de nature à invalider la décision ainsi que la violation de son droit d’être entendu.
[14] Or, pour bien comprendre les arguments soulevés par celle-ci, la Commission des lésions professionnelles croit opportun de dresser un bref tableau des faits sur lesquels repose la décision contestée en l’espèce. Ces faits sont tirés des documents au dossier, de ceux déposés lors de l’audience devant la première formation et de l’écoute de l’enregistrement réalisé alors.
[15] Ainsi, le 30 décembre 1982, le travailleur est victime d’une lésion professionnelle lorsque, en retenant une automobile, il ressent une douleur au bas du dos. Les diagnostics proposés alors sont ceux de douleur lombaire, de pincement discal et de lombosciatalgie droite. Une radiographie lombo-sacrée effectuée en janvier 1983 met en évidence de l’ostéophytose et un pincement discal aux niveaux D12-L1 et L5-S1. De plus, le travailleur indique que sa jambe droite est complètement paralysée et qu’il doit rester couché. Il reprend ses fonctions le 14 mars 1983 sur les conseils de son médecin traitant. Il a encore des douleurs au dos et à la jambe droite, mais son médecin lui dit que l’activité lui fera du bien. Le travailleur précise à l’audience qu’il ressent des douleurs lorsqu’il doit forcer, mais que ce n’est « pas si pire » et qu’il « était correct ». Il ne consulte pas d’autre médecin et il ne cesse pas de travailler en raison de telles douleurs.
[16] Le 8 juin 2001, le travailleur est de nouveau victime d’une lésion professionnelle. En ouvrant manuellement une porte de garage défectueuse, il ressent une douleur au dos du côté droit.
[17] Le 11 juin 2001, il rencontre le docteur Beaulieu qui signale que celui-ci subit une entorse lombaire il y a 20 ans et que « depuis longue date », s’il force un peu, il ressent des douleurs à droite et, « parfois », des « paresthésies » au « pied droit x qques mois ».
[18] Le docteur Beaulieu prescrit une radiographie de la colonne dorsale et lombo-sacrée qui révèle une importante dégénérescence à ces sites. Il diagnostique une entorse lombo-sacrée et, en conséquence, la CSST accepte la réclamation du travailleur sur la base de ce diagnostic.
[19] Le 12 juillet 2001, une tomodensitométrie lombaire est réalisée et lue ainsi par le docteur Robert Ouellet, radiologue :
Modifications dégénératives marquées à tous les niveaux avec signes de dégénérescence discale, ostéophytose périphérique et débord discal postérieur. Débord discal postérieur s’accompagnant d’ostéophytose à L3 L4. Sténose des trous de conjugaison à L4 L5 avec image compatible avec une spondylolyse. Comblement de la graisse dans le récessus latéral droit par du matériel discal s’accompagnant de quelques petites calcifications. Ceci peut irriter la racine émergeante droite de L5. Sténose des trous de conjugaison à L5 S1 mais nettement plus marquée du côté droit avec débord disco-ostéophytique créant une sténose foraminale droite. Arthrose facettaire plus marquée à droite.
[20] Le suivi médical se poursuit pour un diagnostic d’entorse lombo-sacrée à la suite de ce test d’imagerie.
[21] Le 28 juin 2001, le docteur Gilles-Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, est consulté par le docteur Beaulieu relativement à l’état de santé du travailleur. Il indique que ce dernier présente une « atteinte dégénérative majeure au rachis et, étant donné le nombre de niveaux impliqués, n’est pas un candidat chirurgical ». Il suggère plutôt une perte de poids et un renforcement de la musculature dorso-lombaire.
[22] Le 14 août 2001, une électromyographie des membres inférieurs s’avère entièrement normale. Le 30 août 2001, le docteur Beaulieu retient donc le diagnostic de séquelles d’entorse lombo-sacrée. Il ajoute que le travailleur présente une condition personnelle de spondylolyse et de modifications dégénératives.
[23] Le 11 octobre 2001, la CSST écarte les diagnostics de spondylolyse et d’arthrose puisque non reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 8 juin 2001.
[24] Le 22 octobre 2001, le docteur Gilles-Roger Tremblay devient le médecin qui a charge du travailleur. Il diagnostique une entorse lombaire sur une discopathie.
[25] Dès le 30 novembre 2001, le docteur Tremblay produit un rapport final. Il y retient un diagnostic d’entorse lombaire qu’il consolide à cette date, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Dans le rapport d’évaluation médicale rédigé le 13 décembre 2001, le docteur Tremblay suggère un diagnostic d’entorse lombaire « greffée sur une discarthrose lombaire significative ». Il soutient que le travailleur n’a aucun problème avant l’événement du 8 juin 2001, malgré les notes contraires du docteur Beaulieu à cet égard. Il soutient que le travailleur a aggravé la discarthrose lombaire préexistante et il octroie une atteinte permanente de 2,2 % et des limitations fonctionnelles.
[26] S’ensuit un long processus de réadaptation et, au terme de celui-ci, un emploi convenable de commis à la facturation est déterminé et le travailleur est considéré capable de l’exercer à compter du 8 septembre 2003.
[27] Durant ce processus, le travailleur rencontre le docteur Tremblay à quelques reprises pour des problèmes d’engourdissements au membre inférieur droit ou d’accroissement des douleurs par temps humide.
[28] Le 18 décembre 2002, le docteur Tremblay observe, pour la première fois, un signe compatible avec une atteinte neurologique, à savoir un S.L.R. positif à droite. Il prescrit une tomodensitométrie lombaire qui est effectuée le 27 février 2003 et qui révèle toujours de nombreux changements dégénératifs à plusieurs sites.
[29] Le 17 septembre 2003, le docteur Tremblay indique que la tomodensitométrie est inchangée. Or, comme le travailleur présente une sciatalgie droite avec tremblements aux pieds, il prévoit une électromyographie des membres inférieurs.
[30] Ce test est réalisé le 15 décembre 2003 par le docteur J.M. Peyronnard, neurologue. Dans les notes rédigées par celui-ci, il signale ce qui suit en ce qui concerne les antécédents du travailleur :
Il s’agit d’un patient qui, il y a de nombreuses années, a fait un effort au travail avec une torsion du tronc et depuis, il s’est toujours plaint de douleurs lombaires pouvant irradier dans le membre inférieur droit avec fréquemment une sensation d’engourdissement assez globale du membre inférieur et un phénomène douloureux qui peut être localisé à la face latérale de la jambe. […] Son examen neurologique est par ailleurs normal, notamment en ce qui concerne le relief et la force des muscles des membres inférieurs. Les ROT sont tous présents, aussi bien les réflexes rotuliens que les réflexes achilléens.
[31] Par ailleurs, l’électromyographie du membre inférieur droit démontre « des anomalies de sévérité légère à modérée du tracé d’effort dans le jambier antérieur, le long péronier et le jumeau externe droits, jetant un doute sur l’entière intégrité des racines L5-S1 droites ».
[32] Le 7 avril 2004, le travailleur allègue être victime d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle subie le « 15 juillet 1981 »[4]. Dans les notes évolutives rédigées le 10 janvier 2005, il est indiqué qu’il n’y a aucun nouveau fait accidentel et que c’est en « conduisant son auto, lorsqu’il a voulu freiner sa jambe droite s’est mise « à chaquer » ». De plus, le 7 janvier 2005, le travailleur signe un formulaire à la demande de la CSST sur lequel il fournit des informations sur cette réclamation.
[33] Dans ce document, le travailleur identifie, à titre de lésion professionnelle initiale, celle du 8 juin 2001 alors qu’il doit ouvrir manuellement une porte de garage. Il précise que les malaises au dos et à la jambe droite surviennent spontanément à cette date tout en indiquant avoir ressenti les mêmes malaises « depuis le 15 juillet 1981 » lors d’un accident à cette même région du corps. Or, à l’audience, la représentante du travailleur précise que cette date est erronée, le travailleur référant à l’événement de décembre 1982.
[34] Par ailleurs, le 7 avril 2004, le docteur Tremblay diagnostique une rechute de sciatalgie droite. Il ajoute que l’électromyographie est positive. Il prescrit une résonance magnétique dorso-lombo-sacrée. Ce test est effectué le 20 octobre 2004 et il met en évidence une importante « discopathie chronique multi-étagée ».
[35] Le 18 février 2005, le médecin conseil de la CSST, le docteur Jean Gagnon, recommande le rejet de cette réclamation. Il explique que les phénomènes dégénératifs notés lors des tests d’imagerie sont des conditions personnelles sans lien avec les lésions professionnelles antérieures ou le travail et que les symptômes présentés par le travailleur découlent de ces conditions.
[36] Le 24 février 2005, la CSST détermine que le travailleur n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 7 avril 2004. Cette décision est confirmée par la révision administrative d’où le litige porté à l’attention du Tribunal.
[37] Deux expertises sont produites avant l’audience tenue par la première formation.
[38] Le 15 décembre 2005, le docteur Tremblay opine à la demande du travailleur. Il estime qu’une comparaison des résultats des tests d’imagerie réalisés au fil des années démontre un accroissement des phénomènes dégénératifs. Le docteur Tremblay croit que cette détérioration est reliée aux lésions antérieures puisqu’il s’agit « du même site de lésion, il s’agit de la même symptomatologie de lombo-sciatalgie droite et d’une progression évidente de la dégénérescence discale, qui avait été aggravée par l’accident de 2001 ».
[39] À l’audience, la qualité d’expert du docteur Tremblay est reconnue par les parties. Par ailleurs, le docteur Tremblay réitère que l’événement de juin 2001 aggrave la condition personnelle qui était asymptomatique avant celui-ci et qui est devenue symptomatique après ce dernier. Par la suite, la dégénérescence discale progresse et entraîne les signes d’atteinte neurologique constatés à compter de décembre 2002.
[40] Le 6 novembre 2007, le docteur Serge Ferron, chirurgien orthopédiste, produit une expertise à la demande de la CSST. Il constate que les seuls diagnostics à retenir lors des événements initiaux de 1982 et de 2001 sont ceux d’entorse lombaire, vu l’absence de signes neurologiques ou de tests spécifiques orientant vers une atteinte radiculaire. Il remarque l’importante atteinte dégénérative multi-étagée qu’il qualifie de condition personnelle sans lien avec les faits accidentels reconnus. Il estime que la détérioration identifiée n’est que l’évolution normale de la dégénérescence déjà présente en 1982.
[41] À l’audience, la qualité d’expert du docteur Ferron est reconnue par les parties. Outre ce qui se retrouve à son expertise, le docteur Ferron admet que l’état du travailleur se détériore à compter de décembre 2002, vu les signes d’atteinte neurologique notés par le docteur Tremblay. Toutefois, il considère qu’il s’agit d’une aggravation temporaire puisque ces signes ne sont plus présents lors de l’examen qu’il effectue en 2007. Par ailleurs, il réitère que cette détérioration momentanée est sans lien avec les événements antérieurs et qu’elle est plutôt conforme à l’évolution naturelle de la dégénérescence.
[42] Le 22 avril 2008, le Tribunal statue sur le litige dont il est saisi.
[43] Après avoir établi les faits pertinents, il expose les critères nécessaires à la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation. Ensuite, il constate les deux thèses qui s’affrontent, à savoir celle de l’aggravation de la condition personnelle par l’événement de juin 2001 ou par celui de décembre 1982 proposée par le docteur Tremblay et celle de l’évolution naturelle de la dégénérescence suggérée par le docteur Ferron et il favorise l’opinion de ce dernier.
[44] Il s’exprime ainsi à ce sujet :
[28] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de donner préférence à l’opinion du docteur Tremblay qui a eu l’avantage de le suivre depuis le tout début et qui connaît mieux que quiconque sa condition. Quand le docteur Tremblay dit qu’il y a eu aggravation ou détérioration de cette condition, c’est qu’il est en mesure de faire les comparaisons qui s’imposent. Il considère qu’il y a eu en 2004 une détérioration objective de la condition du travailleur plus particulièrement par une atteinte radiculaire qui est apparue.
[29] La procureure du travailleur argumente que tous les critères d’admissibilité d’une rechute, récidive ou aggravation trouvent application dans le dossier du travailleur.
[30] Ce que la Commission des lésions professionnelles doit décider c’est si la détérioration ou l’aggravation alléguée par le travailleur vient de la lésion professionnelle subie en juin 2001 ou si ça lui vient de la condition personnelle préexistante de dégénérescence multi-étagée.
[31] La Commission des lésions professionnelles sur cette question a à choisir entre l’opinion du docteur Tremblay et celle du docteur Ferron. La Commission des lésions professionnelles estime que l’opinion du docteur Tremblay est naturellement plus partiale en faveur du travailleur; il se doit de défendre ses propres conclusions relativement à l’événement du 8 juin 2001.
[32] La Commission des lésions professionnelles estime que le docteur Ferron, de son côté, a l’avantage d’avoir un plus grand recul dans son appréciation de la condition du travailleur. Il est d’avis que toute détérioration dans la condition du travailleur lui vient de sa condition de dégénérescence multi-étagée et non de cette entorse lombaire subie en juin 2001.
[33] La Commission des lésions professionnelles donne prépondérance à l’opinion du docteur Ferron quand il fait remarquer que le tableau clinique de 2004 permet de constater des signes dure-mériens et des atteintes radiculaires. C’est là un tableau qu’il paraît plus logique de rattacher à la condition personnelle du travailleur qu’au diagnostic d’entorse lombaire retenu en juin 2001. Ce tableau n’existait pas lors de l’événement du 8 juin 2001. Le docteur Ferron dit que le travailleur ne fait que vivre l’évolution normale naturelle de sa condition de dégénérescence discale. Les radiographies sont là pour montrer cela.
[34] Le docteur Ferron réfère également aux documents produits par le travailleur et qui montrent les constatations relatives à un fait accidentel qui serait survenu en décembre 1982. Le travailleur aurait ressenti une douleur au dos en poussant un véhicule automobile et le rapport du médecin parle de douleurs lombaires avec pincement discal. Le document du 19 avril 1984 parle de lombosciatalgie droite post effort.
[35] La Commission des lésions professionnelles estime donc que la condition personnelle du travailleur n’était pas asymptomatique lors de l’événement du 8 juin 2001; il avait déjà eu des manifestations de douleurs qui remontent à l’événement de décembre 1982.
[36] La Commission des lésions professionnelles rappelle qu’il appartenait au travailleur de présenter une preuve convaincante de rechute, récidive ou aggravation. La preuve qu’il a soumise a bien établi une détérioration de sa condition mais la Commission des lésions professionnelles n’est aucunement convaincue que cela lui vient de l’événement accidentel de 2001. Au contraire, la Commission des lésions professionnelles estime, avec le docteur Ferron, que toute aggravation ou détérioration dans la condition du travailleur lui vient de sa condition personnelle de dégénérescence qui se continue inexorablement année après année.
[37] Quant à une possible relation entre la réclamation d’avril 2004 et l’événement de décembre 1982, la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n’a pas présenté une preuve convaincante que cet événement de 1982 lui avait laissé des séquelles. La preuve prépondérante est plutôt à l’effet que le travailleur, déjà en 1982, était porteur d’une condition dégénérative.
[38] La Commission des lésions professionnelles partage l’opinion du docteur Ferron quand il dit rattacher la détérioration alléguée par le travailleur à sa maladie discale dégénérative multi-étagée, une condition purement personnelle sans relation avec le fait accidentel.
[45] Le Tribunal rejette donc la requête déposée par le travailleur et il détermine que ce dernier n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 7 avril 2004, peu importe l’événement initial considéré.
[46] Le 20 mai 2008, la représentante du travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révocation. Elle invoque le vice de fond de nature à invalider la décision et, plus particulièrement, le non-respect de l’obligation de motiver la décision prévue à l’article 429.50 de la loi.
[47] Elle met l’emphase sur le paragraphe 31 de la décision où le Tribunal indique que l’opinion du docteur Tremblay est naturellement plus partiale. Elle estime que cette affirmation devait être motivée et prendre appui dans la preuve soumise.
[48] Elle ajoute que ce point n’est jamais soulevé lors de l’audience et, dès lors, les parties n’ont pu en discuter ou le commenter. Elles sont donc privées de leur droit d’être entendues au sens du deuxième alinéa de l’article 429.56 de la loi.
[49] Elle rappelle que la qualité d’expert du docteur Tremblay est reconnue par le Tribunal. De plus, son statut de médecin traitant confère une valeur ajoutée à son expertise compte tenu de sa grande connaissance du dossier et du statut privilégié accordé par la loi aux conclusions émanant du médecin qui a charge du travailleur.
[50] Elle soutient que l’affirmation du Tribunal quant à la partialité naturelle du docteur Tremblay n’est aucunement motivée puisque le qualificatif utilisé est trop général et ne permet pas de comprendre la démarche rationnelle ayant conduit celui-ci à rejeter son opinion. En outre, le simple fait que le docteur Tremblay agit également à titre de médecin traitant ne saurait constituer une justification valable. La représentante du travailleur estime que cette expression laconique ne permet pas au requérant, au justiciable ou au lecteur de comprendre les reproches formulés à l’encontre de cette opinion et de corriger, le cas échéant, la donne à ce sujet.
[51] La représentante du travailleur conclut que le rejet cavalier de l’opinion du docteur Tremblay, une preuve déterminante sur le sort du litige, sans explication minimalement intelligible, est manifestement déraisonnable et donne ouverture à la révocation de la décision rendue par le Tribunal.
[52] Enfin, la représentante du travailleur indique que, en alléguant au paragraphe 35 de la décision que la condition personnelle de ce dernier est symptomatique avant l’événement de juin 2001, le Tribunal commet une erreur manifestement déraisonnable sur un autre des éléments déterminants sur le sort du litige puisque la condition du travailleur entre 1982 et 2001 est reliée aux événements survenus alors et non à sa condition personnelle.
[53] À l’audience devant la Commission des lésions professionnelles, la représentante du travailleur reprend ces arguments tout en y apportant certaines précisions.
[54] Ainsi, en premier lieu, elle rappelle que l’obligation de motiver les décisions est inscrite dans la loi. Une décision doit donc être motivée, les motifs doivent être suffisants, intelligibles et permettre de comprendre les fondements de celle-ci et la logique du raisonnement. Elle soutient que cette obligation n’est pas respectée en l’espèce et que ce défaut constitue un vice de fond donnant ouverture à la révocation de la décision.
[55] Elle explique que le Tribunal doit trancher entre deux opinions, celle du docteur Tremblay et celle du docteur Ferron. Or, le seul motif invoqué par le Tribunal pour écarter l’expertise et le témoignage du docteur Tremblay est que son opinion est naturellement plus partiale en faveur du travailleur.
[56] La représentante du travailleur dépose des définitions des mots « naturellement » et « partial » extraites du Petit Robert de la langue française.
[57] Elle note que le terme « naturellement » veut dire « conformément aux lois naturelles, de par la nature d’une chose, d’un être », « par un enchaînement logique ou naturel », « inévitablement, nécessairement », « par une impulsion naturelle, conformément au naturel, à l’instinct », « d’une manière spontanée, aisée ». Le mot « partial » réfère à la personne « qui prend parti pour ou contre qqn ou qqch, sans souci de justice ni de vérité, qui a du parti pris ».
[58] La représentante du travailleur se demande pourquoi le Tribunal conclut ainsi en regard de l’opinion du docteur Tremblay. Elle ne peut identifier les allégations ou la portion du témoignage qui permettent de douter de sa partialité.
[59] Elle remarque que le docteur Tremblay est aussi le médecin qui a charge du travailleur. Or, elle constate que ce double statut ne peut suffire à le disqualifier comme expert puisque la jurisprudence[5] établit que non seulement le médecin traitant peut agir comme expert, mais cette qualité lui confère un avantage sur ses collègues vu sa connaissance du dossier et de l’évolution médicale. De plus, la loi accorde une place prépondérante au médecin traitant le voyant comme un acteur important et privilégié jouant un rôle capital en cette matière. Le Tribunal ne pouvait donc pas appuyer sa conclusion de partialité sur la qualité de médecin traitant du docteur Tremblay.
[60] Si le Tribunal attaque plutôt l’opinion du docteur Tremblay en tant qu’expert, la représentante du travailleur rappelle que sa qualité d’expert est reconnue à l’audience devant la première formation. Citant le Code de déontologie des médecins[6], les Attentes relatives au rôle des experts[7] élaborées par la Commission des lésions professionnelles ainsi qu’un article de doctrine sur L’expertise médico-légale en matière d’accident d’automobile[8], elle signale que l’objectivité et l’impartialité sont des qualités exigées de l’expert et, dès lors, l’accusation de partialité portée par le Tribunal est grave.
[61] Dans la mesure où le Tribunal estime que le docteur Tremblay est partial, il devait motiver cette opinion et bien établir en quoi ou quelle partie de son témoignage ou de ses écrits justifient un tel jugement.
[62] La représentante du travailleur concède que l’appréciation de la valeur probante de la preuve demeure l’affaire du Tribunal. Cependant, la partialité invoquée constitue un accroc aux obligations déontologiques du médecin expert et cette appréciation devait être motivée de façon intelligible, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.
[63] La représentante du travailleur indique que, en présence de deux opinions contradictoires, le Tribunal devait justifier son choix. Elle dépose un commentaire relatif à une décision[9] où une telle justification est illustrée et elle déplore le fait de ne retrouver aucune telle analyse dans le présent dossier. Elle ne comprend donc pas la démarche du Tribunal. Elle réitère que, si le Tribunal écarte une expertise, il doit expliquer pourquoi, il ne peut le faire capricieusement. Elle produit plusieurs décisions[10] reprenant ce principe.
[64] La représentante du travailleur s’interroge finalement sur l’affirmation du Tribunal concernant le docteur Ferron. Pourquoi ce médecin retenu par la CSST aurait-il plus de recul que le docteur Tremblay ? Elle considère que celui-ci pourrait aussi être qualifié de partial puisqu’il a le souci de défendre le point de vue privilégié par la CSST.
[65] En second lieu, le Tribunal fait défaut de soulever la partialité du docteur Tremblay à l’audience ne permettant pas aux parties de faire valoir leurs arguments à ce sujet. En fait, le Tribunal reconnaît la qualité d’expert du docteur Tremblay et, dès lors, il admet implicitement l’impartialité et l’objectivité de ce dernier. De plus, à l’audience, le Tribunal ne relève pas le double statut du docteur Tremblay et il ne demande pas aux parties de commenter sur cette question.
[66] Donc, non seulement la déclaration de partialité du docteur Tremblay ne repose sur aucune preuve, mais les parties n’ont pu se faire entendre à ce sujet. Il y a donc accroc aux paragraphes deux et trois de l’article 429.56 de la loi.
[67] La représentante du travailleur produit trois autres décisions[11] à l’appui de ses prétentions.
[68] En troisième et dernier lieu, la représentante du travailleur relève une erreur de fait dans la décision du Tribunal. Ainsi, elle soutient que le paragraphe [35] de la décision est inexact puisque la preuve ne révèle pas que la condition personnelle du travailleur est symptomatique avant l’événement de 2001.
[69] En fait, le travailleur ressent une lombosciatalgie droite à la suite de l’événement de 1982 mais rien ne démontre en quoi cette douleur notée des années auparavant est encore présente en 2001. De plus, si cette douleur existe, elle découle de l’événement de 1982 et non d’une condition personnelle. Cette affirmation n’est donc pas appuyée par la preuve et elle constitue une nouvelle source de révocation.
[70] De son côté, la représentante de la CSST réclame le rejet de la requête déposée par le travailleur.
[71] Elle rappelle que la requête en révocation n’est pas un appel déguisé et les erreurs doivent être déterminantes pour donner ouverture à un tel recours.
[72] Or, en ce qui concerne l’absence de motivation alléguée, la représentante de la CSST remarque que le travailleur met l’emphase sur une expression retrouvée à la décision. Pourtant, il ne s’agit pas du seul élément à considérer dans cette décision. Elle estime que toute la décision doit être lue et que les paragraphes incriminés ne doivent pas être isolés. Ils doivent plutôt être interprétés à la lumière de toutes les informations.
[73] La représentante de la CSST note que le Tribunal décrit bien le litige, les enjeux et les thèses qui s’opposent. Il choisit l’expertise du docteur Ferron au détriment de celle du docteur Tremblay. L’expression « naturellement plus partiale » n’est pas des plus heureuses, mais il ne s’agit pas du principal élément à retenir. En effet, le Tribunal explique bien pourquoi il considère plus probante l’expertise du docteur Ferron. Il met l’emphase sur les résultats de l’imagerie et le tableau clinique et il est d’avis que ces éléments appuient les conclusions du docteur Ferron. La preuve est donc analysée et, à la lumière de celle-ci, des choix sont effectués.
[74] La décision n’est donc pas prise en l’absence totale de preuve. De plus, il est possible de comprendre le raisonnement qui soutient le choix de l’expertise du docteur Ferron. Il n’y a donc pas de motif de révocation à ce chapitre.
[75] Quant à la violation des règles de justice naturelle alléguée par le travailleur, elle remarque que la qualification faite par le Tribunal de l’opinion du docteur Tremblay n’équivaut pas à introduire un élément de preuve à l’insu des parties. Il s’agit plutôt de l’appréciation de la preuve qui relève de la prérogative du Tribunal. Ainsi, ce n’est pas parce que, dans certaines décisions, les décideurs donnent priorité à l’opinion du médecin traitant que décider autrement constitue une erreur emportant la révocation de la décision.
[76] Dans ce dossier, le Tribunal n’évalue aucune preuve extrinsèque. Il doit trancher entre deux opinions contradictoires et c’est l’exercice auquel il se livre. Il justifie ses choix et son appréciation de la preuve n’a pas à être soumise aux parties pour commentaires.
[77] Enfin, en ce qui concerne la condition personnelle symptomatique invoquée par le Tribunal, la représentante de la CSST indique que, s’il y a erreur sur cet aspect, ce dont elle doute compte tenu du témoignage du travailleur et du docteur Ferron, elle n’est pas déterminante sur le sort du litige.
[78] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si la décision rendue par le Tribunal le 22 avril 2008 doit être révoquée comme le réclame le travailleur.
Le vice de fond
[79] La représentante du travailleur invoque d’abord le « vice de fond de nature à invalider la décision ».
[80] Or, cette notion de vice de fond a fait l’objet d’une interprétation constante et unanime de la part de la Commission des lésions professionnelles depuis son introduction à la loi. Elle réfère à l’erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur le sort du litige[12].
[81] La Cour d’appel du Québec vient également préciser le rôle de la Commission des lésions professionnelles en matière de révision et de révocation et le niveau de preuve requis afin de conclure à la présence d’une erreur manifeste équivalant à un vice de fond.
[82] Ainsi, dans les décisions CSST c. Fontaine[13] et CSST c. Touloumi[14], elle invite d’abord la Commission des lésions professionnelles à faire preuve de retenue lorsque saisie d’un recours en révision. Elle indique qu’il « ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première »[15].
[83] La Cour d’appel ajoute que :
Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision. Enfin, le recours en révision ne doit pas être un appel sur les mêmes faits : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut ajouter de nouveaux arguments au stade de la révision[16].
[84] La Cour d’appel recommande donc une certaine réserve dans l’utilisation et l’analyse de ce motif de révision et de révocation, puisque la décision rendue par le Tribunal fait autorité et ne devrait que très rarement être l’objet d’une intervention de la part de la Commission des lésions professionnelles.
[85] En outre, la Cour d’appel signale que la partie qui requiert la révision ou la révocation d’une décision pour un tel motif a un fardeau de preuve relativement imposant. En effet, elle doit établir l’existence d’une erreur grave, évidente, fondamentale et déterminante dans la décision dont elle veut obtenir la révision ou la révocation.
L’absence de motivation
[86] Dans ce dossier, la représentante du travailleur plaide que l’opinion du docteur Tremblay a été écartée du revers de la main sans aucune justification. Le Tribunal a qualifié cette opinion de « naturellement plus partiale » sans jamais motiver cette affirmation. Elle y voit une erreur manifeste et déterminante.
[87] La Commission des lésions professionnelles ne partage pas ce point de vue.
[88] En effet, en l’espèce, le Tribunal doit statuer sur la survenue d’une récidive, rechute ou aggravation. Il établit l’objet du litige, les faits pertinents ainsi que les thèses qui s’affrontent. Il doit trancher entre les opinions contradictoires des docteurs Tremblay et Ferron et il favorise celle de ce dernier.
[89] Le Tribunal utilise certes l’expression « naturellement plus partiale » pour qualifier l’opinion du docteur Tremblay et en déprécier la valeur probante.
[90] Ces termes ne sont pas des plus heureux. Cependant, ils reflètent bien la démarche effectuée et le raisonnement tenu par les tribunaux lorsque vient le temps d’évaluer la valeur probante d’une expertise réalisée par le médecin traitant du travailleur.
[91] Ainsi, dans le texte rédigé par monsieur André Laporte, texte déposé par la représentante du travailleur et cité à la note 8 de la présente décision, l’auteur traite des approches privilégiées par les tribunaux à cet égard. Il écrit :
Lorsque le Tribunal est confronté à une preuve d’experts contradictoire, il doit s’efforcer d’évaluer celle qui est la plus adéquate par rapport à l’ensemble des éléments de preuve. […]
Par ailleurs, la jurisprudence est ambivalente quant au poids à accorder à l’opinion du médecin traitant admis à témoigner comme expert. Certains y accordent une grande valeur probante du fait que le médecin traitant a suivi pendant une longue période de temps la victime. D’autres, par contre, considèrent qu’il existe un danger de voir accorder à cette preuve une valeur probante diminuée puisque l’expert « cumule le double rôle d’avoir agi à titre de fournisseur de services à propos de l’objet du litige et d’agir [sic] subséquemment comme témoin expert dans la cause correspondante ».
(Références omises)
[92] L’auteure Isabelle Viens[17] fait une mise en garde similaire. Ainsi, elle note ce qui suit après avoir analysé un jugement de la Cour supérieure :
Premièrement, en citant plusieurs jugements et certains ouvrages de doctrine à l’appui, la Cour indique qu’il faut accorder au témoignage du médecin traitant une valeur probante moindre que celle que l’on peut accorder au témoignage de l’expert qui procède à un examen alors qu’il n’a pas développé de relation médecin-patient avec le patient.
[93] Donc, en accordant une valeur probante moindre à l’opinion du docteur Tremblay au motif qu’il agit à titre d’expert et de médecin traitant, le Tribunal ne fait que suivre un certain courant en cette matière. C’est d’ailleurs ce double statut qui est reproché au docteur Tremblay. En effet, quand le Tribunal signale que le docteur Tremblay « se doit de défendre ses propres conclusions relativement à l’événement du 8 juin 2001 », il réfère au suivi médical effectué depuis 2001.
[94] De plus, quand le Tribunal indique que le docteur Ferron « a l’avantage d’avoir un plus grand recul dans son appréciation de la condition du travailleur », il réfère, une fois de plus, au fait que ce médecin n’a pas développé de relation médecin-patient pouvant altérer son jugement. Il s’agit là de l’appréciation de la preuve présentée au Tribunal.
[95] En somme, le médecin traitant peut assurément intervenir comme expert pour son patient. Il ne jouit toutefois pas nécessairement d’un statut particulier ou privilégié.
[96] La valeur probante de son opinion doit être jaugée et évaluée au même titre que celle de tout expert. Cet exercice relève de l’appréciation de la preuve et, en l’espèce, le Tribunal a privilégié l’opinion du docteur Ferron.
[97] La reconnaissance de la qualité d’expert du docteur Tremblay entraînait-elle une présomption d’impartialité et d’objectivité incompatible avec l’énoncé du Tribunal sur l’aspect « naturellement partiale » de son opinion ?
[98] La Commission des lésions professionnelles estime que non.
[99] En effet, il faut distinguer entre la reconnaissance du statut d’expert et son impartialité ou la valeur probante à accorder à son opinion. Dès que les qualifications, l’expertise et l’expérience du témoin sont établies, il est autorisé à livrer un témoignage d’opinion dans le domaine de sa spécialité. Cependant, ce témoignage doit être apprécié sous l’angle de la crédibilité et de la valeur probante comme toute preuve présentée à l’audience[18].
[100] Il n’existe donc pas de présomption d’impartialité ou d’objectivité conférée par la reconnaissance du statut d’expert. Il y a certes un souhait relativement à de telles qualités et même des attentes articulées par l’Ordre des médecins ou la Commission des lésions professionnelles, mais cela n’exempte pas le Tribunal de procéder à l’analyse de la preuve livrée par l’expert, de la soupeser, de la retenir ou de l’écarter.
[101] Contrairement aux arguments soulevés par la représentante du travailleur, la Commission des lésions professionnelles estime que cet exercice a été fait par le Tribunal.
[102] En outre, la décision ne repose pas que sur ce paragraphe ou que sur l’expression décriée par la représentante du travailleur. En fait, le Tribunal explique que la thèse présentée par le docteur Ferron s’accorde mieux avec les faits mis en preuve que celle développée par le docteur Tremblay. Il élabore à ce sujet aux paragraphes [33] et suivants du jugement attaqué.
[103] La décision du Tribunal, lue dans son intégralité, et non de façon cloisonnée comme nous invite à le faire la représentante du travailleur, est donc suffisamment motivée pour qu’on puisse en comprendre les fondements[19].
[104] La décision ne peut donc être révoquée pour absence de motivation ou motivation lacunaire.
La violation du droit d’être entendu
[105] La représentante du travailleur soulève un second argument.
[106] Elle prétend que, en indiquant dans la décision que le docteur Tremblay est partial, sans jamais soulever cette prétention à l’audience, le Tribunal prive le travailleur de son droit d’être entendu sur cette question.
[107] Cet argument ne peut être retenu. En effet, les termes reprochés au Tribunal ne relèvent pas de la preuve, mais bien de l’appréciation de la preuve présentée.
[108] Le Tribunal n’introduit pas un élément de preuve nouveau, à savoir la partialité du docteur Tremblay. Il évalue plutôt les opinions mises à sa disposition, la preuve factuelle et, constatant le double statut du docteur Tremblay, il en tire une conclusion défavorable sur la valeur probante de son opinion.
[109] Or, il appartient au Tribunal saisi d’une contestation de faire ce travail d’analyse, de choisir, dans la preuve présentée et la preuve au dossier, celle qui est pertinente et prépondérante, d’expliquer les choix effectués et de décider conformément à la preuve retenue. Il n’a pas à soumettre son raisonnement aux parties au cours du délibéré afin d’obtenir leurs commentaires ou afin de leur permettre de bonifier leur preuve.
[110] Le droit d’être entendu du travailleur a donc été entièrement respecté et il n’y a donc pas lieu de révoquer la décision du Tribunal pour ce motif.
L’erreur de fait
[111] La représentante du travailleur soutient que le Tribunal commet une erreur de fait au paragraphe [35] de la décision lorsqu’il retient, contrairement à ce qui est soutenu par le docteur Tremblay, que la condition personnelle du travailleur est symptomatique lors de l’événement du 8 juin 2001.
[112] Or, des éléments de preuve permettent au Tribunal de tirer une telle conclusion.
[113] En effet, le docteur Ferron témoigne en ce sens. De plus, le travailleur confirme la présence de douleurs au dos et à la jambe droite avant le 8 juin 2001. En outre, le docteur Beaulieu parle de douleurs de longue date alors que le docteur Peyronnard mentionne des plaintes depuis de nombreuses années. La Commission des lésions professionnelles ne peut donc déterminer que l’affirmation du Tribunal constitue une erreur de fait puisque des éléments de preuve vont dans le sens retenu par ce dernier.
[114] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles rappelle que l’erreur invoquée doit être déterminante, c’est-à-dire qu’elle doit avoir une influence sur le sort du litige. Or, outre le fait qu’il ne s’agit pas d’une erreur, mais bien de l’appréciation de la preuve présentée à l’audience et de la preuve au dossier, cet élément n’est pas déterminant.
[115] Il ne peut donc donner ouverture à la révocation revendiquée.
[116] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le travailleur n’a pas démontré de motifs permettant la révocation de la décision rendue initialement par le Tribunal. La Commission des lésions professionnelles rejette donc la requête déposée par ce dernier.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révocation déposée par le travailleur, monsieur Gioacchino Tenuta.
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Carmen Racine |
Me Sophie Martin |
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TURBIDE LEFEBVRE & ASSOCIÉS |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Martine Saint-Jacques |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] Le travailleur représente également l’employeur, le Centre de l’auto boulevard Industriel, à titre de propriétaire de cette entreprise.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Article 429.49 de la loi.
[4] Selon le formulaire signé par le travailleur et retrouvé à la page 86 du dossier.
[5] Martin Chevrolet Oldsmobile inc. et Pouliot, C.L.P. 184432-31-0205 et 193402-31-0210, le 4 août 2004, M. Beaudoin.
[6] Extrait du site Internet : www2.publicationsduquebec.gouv,qc.ca, c. M-9, r. 4.1.
[7] Extrait du site Internet : www.clp.gouv.qc.ca/documentation/publications/attentes.
[8] André Laporte, L’expertise médico-légale en matière d’accident d’automobile, Développements récents en matière d’accidents d’automobile (2008), Service de la formation continue du Barreau du Québec, 2008, Extrait du site Internet :
rejb.editionsyvonblais.com/app/dclrejb/dclrejb/document.
[9] Isabelle Viens, Commentaire sur la décision Tanguay c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie - La valeur probante du médecin traitant est-elle réellement moins grande que celle du témoignage de l’expert neutre ?, Repères, septembre 2007, Extrait du site Internet : rejb.editionsyvonblais.com/app/dclrejb/dclrejb/document.
[10] Lavoie et Agropur (Natrel-St-Laurent), C.L.P. 202784-61-0303-R et 219029-61-0310-R, le 13 octobre 2005, F. Mercure; Gaulin et C.L.P. et Marché Couture Roy inc. et CSST, 2006 QCCS 3248 (C.S.); Laplante et Provigo distribution inc., C.L.P. 172762-62A-0111-R, le 18 mars 2005, D. Lévesque.
[11] Simard et C.S.D. Employeur, C.L.P. 271221-03B-0509-R, le 9 janvier 2007, G. Tardif; Briand et Scatollin et CSST, C.L.P. 249371-62-0411-R, le 22 juin 2006, M. Carignan; Thiffault et C.L.P. et CSST et Ville de St-Georges, C.S.Q : 200-05-013099-002, le 23 novembre 2000, j. Frank G. Barakett.
[12] Voir ces décisions de principe qui établissent le courant jurisprudentiel à cet égard : Produits forestiers Donahue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .
[13] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[14] C.A. Mtl : 500-09-015132-046, le 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette et Bich.
[15] Voir la décision Fontaine précitée à la note 13 p. 21 et 22.
[16] Voir la décision Fontaine précitée à la note 13 page 22.
[17] Dont le texte est déposé par la représentante du travailleur et cité à la note 9.
[18] Voir, à titre d’exemples : Levert et Hydro-Québec [2002] C.L.P. 804 ; Journal de Montréal et Benoît, C.L.P. 176782-62-0201, le 3 décembre 2002, R.L. Beaudoin; Centre hospitalier de Charlevoix et Deschênes [2004] C.L.P. 1754 ; Derko ltée et Rochon [2005] C.L.P. 401 (révision rejetée, C.L.P. 247552-32-0411, le 22 mars 2006, S. Sénéchal); Lévesque et Société de transport de Montréal, C.L.P. 246290-62-0410, le 28 septembre 2007, C.A. Ducharme (décision sur une requête en révision); Centre hospitalier Robert-Giffard et Dion, C.L.P. 230101-32-0403, le 5 août 2005, L. Langlois.
[19] Il s’agit des seules exigences de la jurisprudence : Mitchell inc. c. C.L.P., C.S.Mtl : 500-05-046143, le 21 juin 1999, j. Courville; Beaudin et Automobile J.P.L. Fortier inc. [1999] C.L.P. 1065 (requête en révision judiciaire rejetée, [2000] C.L.P. 700 (C.S.); Cité de la santé de Laval et Heynemand, C.L.P. 69547-64-9505, le 26 octobre 1999, A. Vaillancourt; Manufacture Lingerie Château inc. c. C.L.P., C.S. Mtl : 500-05-065039-016, le 1er octobre 2001, j, Poulin.
AVIS :
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