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[1] Le 10 juillet 2003, monsieur Réjean Jalbert (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 8 juillet 2003, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST infirme celle qu’elle avait initialement rendue le 16 janvier 2003 (R-122294994-1) et déclare, qu'en date du 7 janvier 2003, le travailleur n’avait pas récupéré son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[3] À l’audience, le travailleur est présent et représenté. L’employeur, Bridgestone Firestone Canada inc., est également présent en la personne de madame Lorraine Brouillette et est également représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître que, suite au rapport médical de son médecin traitant mettant fin aux travaux légers occupés dans le cadre d'une assignation temporaire, il avait droit, à compter du 7 janvier 2003, au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Il soumet que le fait d’avoir bénéficié d’une retraite anticipée ne le prive pas de son droit au versement à l’indemnité de remplacement du revenu.
LES FAITS
[5] Au moment de l’événement, monsieur Réjean Jalbert est âgé de 57 ans et occupe l’emploi d’opérateur au service de Bridgestone Firestone Canada inc. depuis plus de 36 ans.
[6] Le 8 mars 2002, il subit une blessure à l’épaule droite suite à un accident du travail.
[7] Le docteur Hélène Moody prend charge du travailleur, émet le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite, s’interroge sur la possibilité d’une déchirure partielle de la coiffe des rotateurs et autorise l’assignation temporaire à un travail que le travailleur est raisonnablement en mesure d’accomplir.
[8] Suspectant la possibilité d’une déchirure partielle de la coiffe des rotateurs, le docteur Moody demande une opinion médicale de la part d'un orthopédiste. Des visites médicales sont effectuées à tous les mois et, à chacune des visites médicales, le docteur Moody réitère son acceptation de l’assignation à des travaux légers et fixe un nouveau rendez-vous le mois suivant.
[9] Le 1er janvier 2003, monsieur Réjean Jalbert prend une retraite anticipée à laquelle il avait droit et qui avait été convenue de longue date avec son employeur.
[10] Dans une décision rendue le 9 janvier 2003, la CSST informe le travailleur, qu’en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), elle suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu car celui-ci a volontairement cessé son assignation temporaire pour prendre sa retraite, alors que cette assignation était toujours disponible chez l’employeur. Il y est précisé que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pourra être repris dans la mesure où le motif qui en a justifié la suspension n’existera plus.
[11] Le 7 janvier 2003, le docteur Moody produit un rapport médical dans lequel elle mentionne qu’une résonance magnétique ainsi qu’une seconde opinion médicale d’un orthopédiste sont à venir. Elle note de plus ce qui suit :
Travaux légers cessés At ad r.v.1mois [sic]
[12] Dans une décision rendue le 16 janvier 2003, la CSST note que, suite à la visite médicale du 7 janvier 2003, le médecin traitant a mis fin aux travaux légers. Elle reconsidère la décision rendue le 9 janvier 2003 et reprend le versement des indemnités de remplacement du revenu à compter du 7 janvier 2003.
[13] Dans sa décision rendue le 8 juillet 2003 à la suite d’une révision administrative, la CSST précise que la décision rendue le 16 janvier 2003 n’a pas été rendue en reconsidération de celle rendue le 9 janvier 2003. La CSST rappelle qu’une décision avait été rendue à l’effet que le travailleur n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu au motif qu’il n’était plus disponible pour travailler à un poste d’assignation temporaire et que cette décision n’a pas été contestée. Elle souligne le fait que le travailleur est toujours retraité et que le motif de suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu est toujours existant et qu’il n’y a donc pas lieu de mettre fin à la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu le 7 janvier 2003.
[14] Lors des visites mensuelles subséquentes, le docteur Moody et, par la suite, le docteur Gaston Allard, réitèrent les informations relatives à la nécessité d’un arrêt de travail.
[15] Une résonance magnétique effectuée le 8 mars 2002 révèle une légère bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne avec légère tendinite du sus-épineux, sans évidence de déchirure.
[16] Dans un avis rendu le 23 avril 2003, le docteur Danielle Desloges, membre du Bureau d’évaluation médicale, confirme l’avis du médecin traitant, déclare que la lésion n’est pas consolidée et émet l’avis que le patient doit pouvoir obtenir une deuxième opinion du docteur Éric Renaud sur la nécessité de procéder à une acromioplastie.
[17] Selon l'information transmise lors de l'audience, une telle intervention était prévue au cours du mois de janvier 2004.
L’AVIS DES MEMBRES
[18] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la décision rendue par la CSST, à la suite d’une révision administrative, doit être maintenue. Le travailleur s’est prévalu de son droit à une retraite anticipée et renonçait par le fait même à son emploi et n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu. La décision de suspension de son indemnité n’a pas été contestée. Le rapport médical du 7 janvier 2003 mettant fin à une assignation temporaire n’est pas un élément qui permette au travailleur, toujours retraité, de récupérer un droit qu’il a perdu en choisissant de prendre sa retraite volontairement.
[19] Le membre issu associations syndicales est d’avis que, le 7 janvier 2003, le médecin traitant a mis fin aux travaux légers et a recommandé un arrêt de travail total. Une seconde opinion a été demandée en orthopédie et une intervention chirurgicale a été jugée nécessaire. S’il y a eu un arrêt de travail prescrit à cette date par le médecin traitant, le travailleur a droit aux indemnités même s’il est retraité selon la jurisprudence majoritaire à cet effet. La suspension de l’indemnité de remplacement du revenu n’était pas justifiée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[20] La Commission des lésions professionnelles doit décider si, en raison de l’émission du rapport médical de son médecin traitant en date du 7 janvier 2003, le travailleur avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[21] Suite à l’accident de travail survenu le 8 mars 2002, monsieur Jalbert est devenu incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion. En conséquence, il avait droit à l’indemnité de remplacement du revenu :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
[22] L’article 179 de la loiprévoit cependant que l’employeur peut assigner temporairement un travail adapté au travailleur victime d’une lésion professionnelle, en attendant que celui-ci redevienne capable d’exercer son emploi. Dans un tel cas, comme le prévoit l’article 180 de la loi, l’employeur verse au travailleur qui fait le travail qu’il lui assigne temporairement, le salaire et les avantages liés à l’emploi que ce travailleur occupait au moment de la lésion :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
[23] L’article 57 de la loi prévoit les conditions d'extinction du droit à l’indemnité de remplacement du revenu :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants:
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
[24] Dans la présente affaire, aucune de ces circonstances ne vient mettre fin au droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu. D’ailleurs, la décision rendue par la CSST, le 9 janvier 2003, ne met pas fin au droit du travailleur au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Cette décision établit plutôt que le versement de cette indemnité de remplacement du revenu est suspendu et précise d'ailleurs que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pourra être repris si le motif qui a justifié la suspension n’existe plus. Il n’a jamais été décidé que le travailleur n’avait plus droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Ce n’est d'ailleurs que parce que le médecin traitant autorisait une assignation à des travaux adaptés que cette assignation pouvait être effective et que l’employeur versait alors au travailleur le salaire, et non l’indemnité de remplacement du revenu, lié à son emploi.
[25] Contrairement à ce que soutient l’employeur, le soussigné ne peut interpréter le rapport médical du docteur Moody comme étant une simple constatation du fait que le travailleur est en arrêt de travail. Dans tous ses rapports médicaux précédant celui du 7 janvier 2003, le docteur Moody réitérait son accord à une assignation à des travaux légers et prévoyait un prochain rendez-vous mensuel. Dans son rapport médical du 7 janvier 2003, le docteur Moody, non seulement souligne le fait que les travaux légers sont cessés, mais note également « AT », soit arrêt de travail. Cet arrêt de travail est d’ailleurs renouvelé lors des rapports médicaux subséquents et on ne peut interpréter cette note comme étant la simple constatation du fait que le travailleur ne travaille pas. D’ailleurs, les divers examens médicaux et consultations médicales par la suite ont permis de confirmer la nécessité d’une intervention chirurgicale prévue en janvier 2004, intervention dont le membre du bureau d’évaluation médicale avait d’ailleurs envisagée la possibilité.
[26] D’autre part, le fait que le travailleur ait eu droit à une retraite anticipée ne peut mettre fin au droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu, il ne s’agit pas d’un motif mettant fin au droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévu à l’article 57 de la Loi.
[27] La présente situation s'apparente à celle d'un travailleur à la retraite qui subit une rechute, récidive ou aggravation puisque le médecin traitant avait imposé un arrêt de travail et avait prévu une chirurgie. Dans un tel cas, la jurisprudence majoritaire est à l'effet que le travailleur a alors droit à l'indemnité de remplacement du revenu, comme le souligne la commissaire Manon Gauthier dans l'affaire Lavoie et Geni-Rack inc.[2].
[28] Que l’assignation temporaire soit toujours disponible ne prive pas le travailleur de son droit à l'indemnité de remplacement du revenu. Le médecin qui avait charge du travailleur a mis fin à l’assignation temporaire, cet avis ne peut être remis en question. Le travailleur avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu bien qu’il ait eu droit à une retraite anticipée chez l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Réjean Jalbert, le travailleur;
INFIRME la décision de la CSST rendue le 8 juillet 2003 à la suite d’une révision administrative; et
DÉCLARE, qu’en raison de la fin de l’assignation temporaire et de l’arrêt de travail prescrit par le médecin traitant, le travailleur avait droit, à compter du 7 janvier 2003, au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
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Jean-Marc Charette |
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Commissaire |
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Monsieur François Massie |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me André Johnson |
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Desjardins, Ducharme Ass. |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
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