COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE
LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC QUÉBEC, LE 16 septembre 1996
DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE: Ginette Godin
DE QUÉBEC
RÉGION: Québec ASSISTÉE DE L'ASSESSEURE: Marie Dubreuil-Charrois, MÉDECIN
DOSSIERS:
73714-03-9510
73715-03-9510
73878-03-9510
DOSSIER CSST:
105903405
AUDITION TENUE LE:28 août 1996
DOSSIER BRP:
61879989
61748333
61736262
À: Québec
LES ENTREPRISES G.N.P. INC.
750, boul. Industriel Est
Victoriaville (Québec)
G6P 8Y1
PARTIE APPELANTE
ET
CEGELEC ENTREPRISES
7151, Jean-Talon Est, #1000
Anjou (Québec)
H1M 3R4
DUFOUR CHEVROLET OLDSMOBILE INC.
280, boul. Mailloux
Rivière-Malbaie (Québec)
G5A 1N1
FORAGES EXPLOROCS LTEE (LES)
46, rue Beauvais
Delson (Québec)
J0l 1G0
LES CONSTR. DU ST-LAURENT LTEE
1101, boul. des Chutes C.P. 5010
Beauport (Québec)
G1E 6B4
OLIVIER ASSELIN
544, rue St-Laurent
Siant-Siméon (Québec)
G0T 1X0
SIMON THIVIERGE & FILS INC.
83, rue Principale
Saint-Aimé-des-Lacs (Québec)
G0T 1S0
SINTRA INC. (TRANSLEC INT.)
4984, Place de la Savane, #200
Montréal (Québec)
H4P 2M9
TRANSPORT CLERMONT INC.
65, Notre-Dame, C.P. 366
Clermont (Québec)
G0T 1C0
PARTIES INTÉRESSÉES
C.S.S.T. - QUEBEC-NORD
730, boul. Charest Est
Québec (Québec)
G1K 7S6
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) est saisie de trois déclarations d'appel produites par Les entreprise G.N.P. et Cegelec entreprises (les employeurs).
Les deux premières déclarations d'appel furent produites le 10 octobre 1995 à l'encontre de deux décisions du bureau de révision rendues le 8 août 1995.
Par ces décisions, le bureau de révision impute aux entreprises G.N.P. 1 % des coûts engendrés par la lésion professionnelle dont fut victime M. Olivier Asselin (le travailleur) et 23 % desdits coûts furent imputés à Cegelec Entreprises.
La troisième déclaration d'appel fut reçue le 16 octobre 1995 à l'encontre d'une décision majoritaire du bureau de révision, le membre représentant les employeurs étant dissident, rendue le 14 août 1995 et notifiée le 6 septembre 1995.
Par cette décision, le bureau de révision conclut que le travailleur fut victime d'une maladie professionnelle.
OBJET DE L'APPEL
Les employeurs demandent à la Commission d'appel d'infirmer les décisions du bureau de révision pour déclarer que le travailleur ne fut pas victime d'une maladie professionnelle et qu'en conséquence, ils ne doivent assumer aucun coût occasionné par la maladie du travailleur.
LES FAITS
Le 29 avril 1993, le travailleur consulte le Dr N. Harvey qui pose un diagnostic de surdité industrielle et prescrit un test d'audiométrie.
Le 11 juin 1993, le Dr D. Pouliot, oto-rhino-laryngologiste, parle d'un examen otologique normal avec impression de surdité bilatérale. Il suggère une investigation par test d'audition.
Ce même 11 juin 1993, le Dr Pouliot rédige une attestation médicale sur laquelle il est question de surdité industrielle probable.
Le 12 juin 1993, le travailleur dépose une réclamation auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission). Il mentionne souffrir de surdité depuis sept ou huit ans. La date de l'événement pour lequel le travailleur demande compensation est identifiée comme étant février 1992 avec rechute, récidive, ou aggravation en novembre 1992. Il mentionne avoir consulté le Dr N Harvey pour la première fois en raison de cette pathologie en novembre 1992.
Le 24 juillet 1993, la Commission demande au travailleur la description de ses tâches pour chaque employeur depuis le début de sa carrière.
Le travailleur répond à la Commission le 12 août 1993. Une douzaine d'employeurs différents y sont énumérés et le travailleur précise avoir occupé de 1964 à 1993 des emplois d'opérateur de tracteur et de machinerie lourde.
Le 3 novembre 1993, le Dr D. Pouliot rédige une expertise médicale. Il précise que le travailleur a exercé un travail de conducteur de bélier mécanique pour plusieurs compagnies pendant plus de vingt ans en raison de huit à douze heures par jour. Selon ce médecin, ce travail s'effectue dans une atmosphère bruyante. Après avoir fait une évaluation par audiogramme, le Dr Pouliot conclut à relation entre le travail du travailleur et sa surdité.
Le 1er juin 1993, la Commission rend une décision acceptant la réclamation du travailleur. Copie de cette décision est expédiée à tous les employeurs pour lesquels le travailleur a oeuvré.
Le 6 juin 1994, la Commission informe les ENTREPRISES GNP INC de sa décision d'imputer 1 % du coût des prestations engendré par la lésion professionnelle du travailleur à son dossier d'employeur. Ce dernier en demande la révision.
Ce même 6 juin 1994, CEGELEC ENTREPRISES reçoit une décision l'informant que 41 % des coûts relatifs à la lésion professionnelle dont fut victime le travailleur sont imputés à son dossier. Cet employeur demande également la révision de cette décision.
Le 8 août 1995, le bureau de révision rend les deux premières décisions faisant l'objet du présent litige.
Le 14 août 1995, le bureau de révision confirme la décision de la Commission à l'effet que la surdité du travailleur est d'origine professionnelle. La Commission d'appel croit utile de relater les motifs de cette instance décisionnelle pour en arriver à cette conclusion:
«L'atteinte auditive occasionnée par le bruit est une maladie causée par des agents physiques tels que listés à l'annexe I, section 4 de la L.A.T.M.P. En vertu de l'article 29 de la L.A.T.M.P., si le travailleur atteint de cette maladie exerce, au moment où il la contracte, un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe, c'est-à-dire un travail impliquant une exposition à un bruit excessif, il y a présomption en faveur du travailleur et on doit considérer sa maladie comme étant une maladie professionnelle.
De l'étude du dossier et de la preuve entendue à l'audition, et ce même si le travailleur ne dispose d'aucune étude de bruit démontrant qu'il a été exposé au bruit excessif, il a été clairement établi que pendant près de 30 ans le travailleur a été exposé à un bruit excessif. En effet, le travailleur a travaillé principalement dans un environnement généralement reconnu comme bruyant et dépassant largement la norme acceptable de 90dB, puisqu'il a exercé les fonctions d'opérateur de machinerie lourde et de perceuse à diamants. L'article 29 de la loi trouve ici application. La preuve présentée par la partie demanderesse n'est pas de nature à renverser la présomption édictée à l'article 29.»
Le membre représentant les employeurs s'est dissocié de cette décision au motif que la réclamation du travailleur fut produite hors-délai.
Lors de son témoignage devant la Commission d'appel, le travailleur admet avoir su, dès 1990, que sa surdité pouvait être d'origine professionnelle mais ne pas avoir produit de réclamation à la Commission avant le 12 juin 1993 car il ne lui fut possible de consulter le spécialiste auquel le référait le Dr Harvey que le 11 juin 1993.
Le travailleur explique son manque de disponibilité à se prêter à l'investigation requise par le fait que son travail impliquait des contrats exigeant de longs déplacements ne lui permettant pas de consulter rapidement le médecin spécialiste recommandé par le Dr Harvey.
Pour terminer, le travailleur mentionne que son travail chez tous les employeurs pour lesquels il a oeuvré comportait une exposition à des bruits très incommodants pour des périodes pouvant aller de huit à dix heures par jour et ce pour des semaines de travail de six à sept jours lorsque les contrats le liant à un employeur nécessitait un long déplacement.
ARGUMENTATION
Les employeurs soutiennent que la preuve démontre que le travailleur n'a pas respecté le délai de six mois à compter du moment où il a su que sa surdité était d'origine professionnelle pour produire sa réclamation à la Commission.
Selon les employeurs, cette omission du travailleur de se conformer à ce délai emporte déchéance de son droit, ce que doit constater la Commission d'appel.
Les employeurs considèrent également que le travailleur n'a pas démontré être victime d'une surdité professionnelle au sens de l'article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) car aucune preuve scientifique ne prouve que son travail impliquait une exposition à un bruit excessif.
Pour les employeurs, la surdité du travailleur peut avoir d'autres causes que son travail et l'absence de preuve portant sur son degré d'exposition au bruit entraîne l'impossibilité de conclure à maladie professionnelle.
Finalement, les employeurs allèguent que les deux décisions du bureau de révision du 8 août 1995 doivent automatiquement être infirmées, car ils n'ont pas à assumer les coûts d'une lésion qui n'est pas d'origine professionnelle.
Le travailleur n'offre aucune argumentation et s'en remet à la décision de la Commission d'appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il incombe à la Commission d'appel de se prononcer tout d'abord sur la recevabilité de la réclamation du travailleur eu égard au délai de six mois prévu par l'article 272 de la loi dont la teneur est la suivante:
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
(...)
De la preuve dont elle dispose, la Commission d'appel retient que dès 1990, le Dr Harvey a soupçonné une surdité d'origine professionnelle sans cependant disposer d'une évaluation audiologique confirmant une telle éventualité.
Ce n'est qu'en juin 1993, que le travailleur a consulté pour la première fois un oto-rhino-laryngologiste, lequel, en raison de sa spécialité, était le plus à même de confirmer les soupçons du Dr Harvey.
Lors de son examen du 11 juin 1993, le Dr Pouliot parle d'un examen otologique normal avec impression de surdité bilatérale. Une évaluation par test d'audition est recommandée.
Dès le lendemain de cette consultation, le travailleur produit sa réclamation auprès de la Commission.
La Commission d'appel comprend que le travailleur a soupçonné dès 1990 que sa surdité pouvait être de nature professionnelle mais qu'une consultation auprès d'un spécialiste s'avérait nécessaire pour étayer ses soupçons.
Il est évident qu'un travailleur ne doit pas disposer de preuves irréfutables à l'appui d'une réclamation pour revendiquer des droits prévus par la loi, mais dans les circonstances particulières de la présente cause, la Commission d'appel comprend que le travailleur ait hésité à produire sa réclamation à la Commission car seule une investigation par un oto-rhino-laryngologiste pouvait déterminer si la surdité du travailleur était compatible avec une surdité d'origine professionnelle.
Bien sûr, l'examen du Dr Pouliot est alors insuffisant pour conclure à courbe de surdité correspondant à une surdité professionnelle, mais dès lors, le travailleur disposait de l'opinion d'un expert confirmant les soupçons du Dr Harvey, la preuve en étant l'attestation médicale du 11 juin 1993 retenant un diagnostic de surdité professionnelle.
En argumentation, les employeurs ont argué que plusieurs causes, autres que le travail exercé par le travailleur, pouvaient être la cause de sa surdité.
La Commission d'appel est consciente d'un tel fait, mais elle sait également que seule une investigation effectuée par un expert permet de déceler une courbe de surdité compatible avec une exposition au bruit.
En raison de cette particularité, la Commission d'appel retient que ce n'est qu'en juin 1993 qu'il ne fut porté à la connaissance du travailleur qu'il souffrait d'une maladie professionnelle. Avant cette date, le fait que la surdité du travailleur puisse être qualifiée de maladie professionnelle ne constituait qu'une hypothèse parmi d'autres et le travailleur était justifié d'attendre l'opinion d'un expert pour produire sa réclamation à la Commission.
La Commission d'appel en vient donc à la conclusion que le dépôt de la réclamation du travailleur respecte le délai prévu par l'article 272 précité et conclut à recevabilité de la réclamation du travailleur.
La Commission d'appel doit maintenant déterminer si le travailleur fut victime d'une maladie professionnelle.
L'article 29 de la loi et l'annexe 1 auquel fait référence cet article prévoient une présomption de maladie professionnelle si un travailleur démontre être victime d'une atteinte auditive causée par le bruit alors qu'il exerçait un travail impliquant une exposition à un bruit excessif.
En novembre 1993, le travailleur subit un audiogramme et le Dr Pouliot conclut à surdité causée par le bruit auquel fut exposé le travailleur dans son environnement de travail.
La Commission d'appel retient de ce fait que le Dr Pouliot considère que la courbe de surdité du travailleur est compatible à une surdité d'origine professionnelle, ce qui n'est d'ailleurs pas nié par les employeurs.
L'employeur s'en prend au fait que le travailleur n'ait déposé aucune preuve scientifique démontrant que son travail impliquait une exposition à un bruit excessif.
Il est exact qu'une telle preuve ne fut pas offerte par le travailleur.
Il apparaît clair à la Commission d'appel que la Commission a initialement accepté la réclamation du travailleur sur la base des connaissances d'office dont elle dispose à titre d'organisme spécialisé chargé d'administrer la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles.
Le bureau de révision a également confirmé la décision de la Commission sur la base de ces mêmes connaissances d'office, car il est question dans la décision du 14 août 1995 d'un «environnement généralement reconnu comme bruyant et dépassant largement la norme acceptable de 90db».
Dès lors, et à partir du moment où l'employeur est tout à fait conscient que des instances décisionnelles s'en remettent à leurs connaissances d'office pour reconnaître comme professionnelle une lésion d'un travailleur, il revient à l'employeur qui désire contrer ce constat d'en faire la preuve.
Les employeurs n'ayant offert aucune preuve à cet effet, la Commission d'appel considère comme bien fondée la décision du bureau de révision portant sur le fait que le travailleur fut exposé dans le cadre de son travail de conducteur de machinerie lourde à un bruit excessif.
L'article 29 de la loi doit donc recevoir application et le travailleur doit être présumé victime d'une maladie professionnelle.
Ne demeure en litige que les appels portant sur l'imputation des coûts entraînés par la maladie professionnelle du travailleur.
L'article 328 de la loi stipule ce qui suit:
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve par le paragraphe 2o de l'article 312.
Les employeurs n'ayant produit aucune preuve démontrant que le calcul des coûts qui leur sont imputés ne fut pas effectué conformément à l'article 328 précité, la Commission d'appel doit également rejeter leurs appels sur cet aspect du problème.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES:
REJETTE les appels des employeurs;
CONFIRME les décisions du bureau de révision du 8 août 1995 et du 14 août 1995;
DÉCLARE que le travailleur est victime d'une maladie professionnelle;
DÉCLARE que les ENTREPRISES GNP INC. doivent assumer 23 % des coûts engendrés par la maladie professionnelle du travailleur;
DÉCLARE que CEGELEC ENTREPRISES doivent assumer 1 % des coûts engendrés par la maladie professionnelle du travailleur.
Ginette Godin
Commissaire
ME DOMINIQUE VANIER
7905, boul. Louis H. Lafontaine, #300
Anjou (Québec)
H1K 4E4
Représentant de la partie appelante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.