Décision

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Renvoi à la Cour d'appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis

2022 QCCA 185

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-028751-196

 

Dans l’affaire du :

 

Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (Décret no 1288-2019)

 

DATE :

10 février 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

REQUÉRANT

c.

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

INTIMÉ

et

 

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS QUÉBEC-LABRADOR (APNQL)

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX DES PREMIÈRES NATIONS DU QUÉBEC ET DU LABRADOR (CSSSPNQL)

SOCIÉTÉ MAKIVIK

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

ASENIWUCHE WINEWAK NATION OF CANADA

SOCIÉTÉ DE SOUTIEN À L’ENFANCE ET À LA FAMILLE DES PREMIÈRES NATIONS DU CANADA

INTERVENANTES

 


 

Table des matières

Introduction

Sommaire de l’avis

a) Le contexte ayant mené à l’adoption de la Loi

b) Le contenu de la Loi

c) Les positions respectives du Québec, du Canada et des intervenantes

d) La première partie de l’analyse : la constitutionnalité des normes nationales

e) La deuxième partie de l’analyse : le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et la réglementation des services à l’enfance et à la famille

1- Le contexte ayant mené à l’adoption de la Loi

a) Les politiques fédérales d’assimilation des Autochtones

b) Les politiques provinciales de prise en charge des enfants autochtones

c) Les recours judiciaires en lien avec les pensionnats et avec la prise en charge des enfants autochtones

d) Les différentes commissions d’enquête et leurs recommandations

e) La surreprésentation des enfants autochtones dans les régimes de protection de la jeunesse et le placement hors famille

f) Le financement des services à l’enfance et à la famille autochtones

g) Les jugements et les ordonnances du TCDP portant sur les services aux enfants et familles autochtones

h) Les conflits de compétence à l’égard des services à l’enfance et à la famille et leurs impacts sur les individus et les peuples autochtones

i) La formation d’un groupe de travail pour rédiger un projet de loi

2- Le contenu de la Loi

a) L’autonomie gouvernementale et les services aux enfants et aux familles autochtones : quelques jalons

b) Le contenu de la Loi

Aperçu et principes généraux de la Loi

Contenu détaillé de la Loi

- Préambule

- Dispositions définitionnelles et interprétatives

- Normes nationales

- Régime de reconnaissance et de mise en place de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille

- Autres dispositions

c) Quelques observations sur l’application de la Loi

3- Les positions respectives du Québec, du Canada et des intervenantes

a) La position du Québec

b) La position du Canada

c) La position de chaque intervenante

4- La première partie de l’analyse : la constitutionnalité des normes
nationales

a) Le cadre d’analyse

b) Le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867

c) L’analyse

5- La deuxième partie de l’analyse : le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et la réglementation des services à l’enfance et à la
famille

a) Les fondements historiques du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones

b) L’état du droit canadien sur la question de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones

c) Le cadre d’analyse

d) La prémisse de la Loi voulant que le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones soit reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et comprenne la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille est-elle
erronée?

La souveraineté de la Couronne et le partage des compétences

Le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et la réglementation des services à l’enfance et à la famille

S’agit-il d’un droit générique ou d’un droit particulier?

La réglementation de ce droit

La Déclaration des Nations Unies

e) Le cadre prévu par la Loi pour délimiter l’exercice du droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille est-il constitutionnellement valable?

Les limites à l’exercice du droit énoncées à la Loi sont-elles permises?

Le Parlement peut-il conférer force de loi, à titre de lois fédérales, aux textes législatifs autochtones portant sur les services à l’enfance et aux familles?

Le Parlement peut-il rendre absolu un droit ancestral à l’égard de la législation
provinciale?

Conclusion

ANNEXE A

ANNEXE B


 

 

AVIS DE LA COUR

 

 

Introduction

[1]                Les enfants autochtones sont surreprésentés dans les systèmes de protection de la jeunesse dans l’ensemble du Canada. Outre la souffrance qu’elle leur cause, cette situation entraîne pour eux, leurs familles et leurs communautés des conséquences graves, notamment sur la préservation de leur identité, de leur langue et de leur culture. Cette réalité, qui a été rappelée récemment par plusieurs commissions d’enquête, fait l’objet d’un consensus et n’est pas remise en question par le gouvernement du Québec.

[2]                Le 21 juin 2019, la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis[1] (« Loi ») a été sanctionnée. Ses dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020.

[3]                Suivant son préambule, la Loi constitue l’une des mesures prises par le Parlement pour favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones[2]. De façon globale, elle vise à s’attaquer au problème de surreprésentation des enfants autochtones dans les systèmes des services à l’enfance et à la famille et elle reconnaît que les peuples autochtones sont les mieux placés pour identifier et mettre en œuvre les solutions à ce problème.

[4]                La Loi établit des principes nationaux en matière de fourniture de services à l’enfance et à la famille à l’égard des enfants autochtones. Ces principes mettent l’intérêt de l’enfant autochtone au cœur des décisions prises à son égard et reconnaissent l’importance pour lui d’avoir des rapports continus avec sa famille et la collectivité dont il fait partie, tout en préservant ses liens avec sa culture. La Loi met aussi l’accent sur une approche préventive.

[5]                La Loi affirme que le droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale, reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[3], comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille. Elle met également à la disposition des peuples autochtones un cadre afin d’exercer cette compétence, en prévoyant la possibilité de tenir des négociations avec les gouvernements fédéral et provinciaux et l’incorporation des textes législatifs autochtones en droit fédéral.

[6]                Le 18 décembre 2019, le gouvernement du Québec a pris le décret no 12882019[4], qui a entraîné le dépôt d’un Avis de renvoi à la Cour d’appel le 20 décembre 2019. Le 25 février 2020, l’intervention de cinq groupes autochtones a été autorisée[5].

[7]                La question soumise à la Cour dans le cadre du présent renvoi est la suivante : La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis est-elle ultra vires de la compétence du Parlement du Canada en vertu de la Constitution du Canada?

[8]                Le procureur général du Québec soutient qu’il y a lieu de répondre par l’affirmative à cette question. Il plaide que :

-          Les art. 1 à 17 de la Loi (« Partie I ») sont invalides puisqu’ils ont pour effet d’imposer aux provinces la façon dont elles doivent dispenser leurs services aux enfants et aux familles autochtones. Or, le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867[6], interprété conformément aux principes constitutionnels sous-jacents, n’autorise pas le Parlement fédéral à légiférer sur la façon dont les provinces doivent dispenser leurs services aux enfants et aux familles, autochtones ou non;

- Les art. 8 et 18 à 26 de la Loi (« Partie II ») sont invalides puisqu’ils constituent une tentative de modification unilatérale de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ce qui excède les pouvoirs du Parlement fédéral, et parce qu’ils attentent à l’ordre constitutionnel établi.

[9]                Le procureur général du Canada et les intervenantes plaident, au contraire, que la Loi est valide, et ce, tant en raison du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 que de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et du droit ancestral des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale.

[10]           L’avis comporte cinq chapitres : (1) le contexte ayant mené à l’adoption de la Loi; (2) l’analyse de la Loi, du contexte législatif qui a mené à son adoption ainsi que l’exposé de quelques-unes des difficultés d’interprétation et d’application qu’elle soulève; (3) le rappel des arguments des parties; (4) l’étude de la constitutionnalité de la Loi en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867; et aussi (5) en vertu du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et du droit ancestral des peuples autochtones à l'autonomie gouvernementale.

Sommaire de l’avis

[11]           Ce sommaire fait partie intégrante des motifs rédigés par la formation qui a entendu le renvoi. Néanmoins, pour bien saisir toutes les précisions et les nuances qui ont paru nécessaires à la Cour dans la formulation de son avis, on devra prendre connaissance du texte intégral qui suit le sommaire. De par sa nature même, ce dernier, sans être inexact, ne peut être exhaustif.

a)     Le contexte ayant mené à l’adoption de la Loi

[12]           La Loi marque une étape récente dans un processus enclenché il y a près de deux siècles. Il convient d’exposer à grands traits le contexte de son adoption. Pendant des décennies, des politiques d’assimilation ont gravement préjudicié à plusieurs générations d’Autochtones. En raison à la fois d’un chevauchement des compétences constitutionnelles et d’un sous-financement chronique par le gouvernement fédéral, les peuples autochtones peinent encore aujourd’hui à surmonter les effets à long terme de cet état de fait.

[13]           Depuis quarante ans, plusieurs importantes commissions d’enquête ont mis en évidence les conséquences dramatiques que subirent ainsi les peuples autochtones et leurs enfants. La nécessité s’est progressivement imposée de laisser les Autochtones prendre en main les services à l’enfance et aux familles qui les concernent. Cela conduisit à l’entrée en vigueur de la Loi le 1er janvier 2020.

[14]           Historiquement, certaines politiques menées au 19e siècle et au début du 20e siècle visaient l’assimilation des Autochtones par leur complète intégration dans la société non autochtone. Diverses mesures (aujourd’hui considérées discriminatoires) furent mobilisées dans ce but. Elles amorcèrent un processus de dépréciation de l’identité culturelle autochtone. Avec la Confédération, la compétence de légiférer sur les « Indiens » échoit au gouvernement fédéral. Plusieurs lois sont adoptées par la suite qui consacrent cette même politique. Selon les paroles d’un membre du gouvernement prononcées au Parlement, « [i]l faut traiter les Sauvages comme des mineurs ou comme des blancs ». Malgré ce qui à l’époque pouvait faire figure de contrepartie afférente au statut d’« Indien » – aucun impôt ne peut être perçu dans une réserve – la législation s’attaque directement à l’identité autochtone en interdisant certaines pratiques culturelles et spirituelles séculaires.

[15]           Dès 1883, la politique assimilatrice engendre les pensionnats pour enfants autochtones, que l’on arrache ainsi à leurs familles. Témoignant en 1920 devant un comité parlementaire, un sous-ministre déclare avoir pour objectif « qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été absorbé par la société ». Suivent à compter de 1940 les écoles résidentielles, un parallèle fonctionnel mais très approximatif des services de protection de la jeunesse provinciaux. On y dispense une éducation médiocre dans des conditions de grand dénuement et où l’usage des langues autochtones est réprimé. En raison de la propagation de maladies comme la tuberculose, le taux de mortalité des enfants y est anormalement élevé. Il y règne ce qui plus tard sera qualifié d’une indicible cruauté.

[16]           Le Parlement modifie en 1951 la Loi sur les Indiens pour rendre applicables aux Autochtones là où ils se trouvent les lois provinciales d’application générale, dont celles de portée sociale. La portée de cette modification fait l’objet de controverses.

[17]           Plus de 150 000 enfants autochtones ont fréquenté des pensionnats autochtones jusqu’aux années 1990. Des milliers d’entre eux ont été victimes de sévices physiques, psychologiques et sexuels. La fin progressive du système des pensionnats ne mettra cependant pas un terme à la séparation forcée des enfants autochtones de leurs familles. Aux pensionnats succèdent les familles d’accueil allochtones, ce qu’on appellera par la suite la « rafle des années soixante ». L’adoption massive d’enfants autochtones entraînera chez eux d’importants problèmes identitaires et comportementaux.

[18]           En 2006, la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens  Convention de règlement ») réglait de manière globale de nombreux recours individuels et collectifs issus du système des pensionnats. D’autres règlements cadres ont été conclus dans les affaires Brown[7] et Riddle[8] en 2018.

[19]           Par ailleurs, entre 1991 et 2019, quatre commissions d’enquête distinctes ont abordé sous plusieurs angles différents les conséquences du sort fait aux Autochtones : la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation du Canada  Commission de vérité et réconciliation »), la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès  Commission Viens ») et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. La première d’entre elles, qui fit rapport en 1996, identifiait comme thème central de ses recommandations l’idée qu’il faut laisser les Autochtones exercer leur autonomie et élaborer leurs propres solutions. Dans son rapport de 2015, la deuxième énumérait une série de mesures pour remédier à la surreprésentation des enfants autochtones dans les prises en charge par les services à l’enfance. La Commission Viens concluait en 2019 à l’existence d’une discrimination systémique envers les Premières Nations et à l’inadéquation d’un système de protection de la jeunesse qui confie des enfants autochtones à des familles allochtones. La même année, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées formulait plusieurs recommandations visant elles aussi à confier aux Autochtones, dans l’exercice de leur autodétermination, la conception et la mise en place de services à l’enfance et aux familles respectueux des spécificités autochtones.

[20]           Tous conviennent désormais que la déplorable surreprésentation des enfants autochtones au sein des services de protection de la jeunesse perdure de manière marquée encore aujourd’hui. Les trois plus récentes commissions déjà évoquées ont dénoncé cette réalité, de même que la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse  Commission Laurent ») en 2021. Les causes, dont un sous-financement chronique, en sont multiples et en interrelation les unes avec les autres.

[21]           Les modalités de financement des services à l’enfance autochtone varient sensiblement d’une communauté à l’autre, mais le gouvernement fédéral demeure sa principale source, soit directement par les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations[9]  SEFPN »), soit indirectement par l’entremise de services dispensés par les provinces. L’image qui s’en dégage dans le dossier du renvoi est imprécise à divers égards. Cela dit, des décisions récentes du Tribunal canadien des droits de la personne (« TCDP ») ont bien mis en évidence le caractère discriminatoire et lacunaire des pratiques en place.

[22]           En 2007, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations déposèrent une plainte en ce sens auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Cette plainte est à l’origine de l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)[10] devant le TCDP. En 2016, ce dernier donnait raison aux plaignantes et concluait que le ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada agit de manière discriminatoire dans la fourniture des services à leurs membres. Le TCDP est d’avis qu’une relation de caractère public existe entre ce ministère et les enfants et familles autochtones. Or, la preuve versée au dossier démontre de sérieuses lacunes dans le financement et la structure des programmes SEFPN, les budgets ne tenant pas compte de leurs besoins réels en fonction des variations géographiques et sociales. Selon le TCDP, les effets préjudiciables qui en résultent pour les enfants et les familles autochtones découlent uniquement de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique. Le gouvernement fédéral a accepté cette décision et s’est engagé à apporter les réformes qu’elle rend nécessaires. Plusieurs ordonnances du TCDP, en particulier sur l’indemnisation des victimes des pratiques discriminatoires, ont par la suite étayé la décision de 2016.

[23]           Des conflits de compétence entre les gouvernements fédéral et provinciaux ont aussi compliqué la fourniture de services adéquats aux peuples autochtones, ou y ont même fait obstacle. Pour remédier à cet état de choses, le Principe de Jordan, qui priorise l’intérêt de l’enfant autochtone, fut développé. Relayé par les décisions du TCDP, il fait aujourd’hui l’unanimité[11].

[24]           Deux ans après la décision de 2016 par le TCDP, la ministre des Services aux Autochtones a réuni des représentants provinciaux, territoriaux et autochtones pour amorcer un processus urgent de réforme. À l’issue de ces discussions, le gouvernement fédéral prenait plusieurs engagements fermes. Quelque 2 000 organismes furent alors consultés et un « groupe de référence » fut constitué pour participer au développement d’un projet de loi. Cela mena au dépôt le 28 février 2019 du projet de loi C-92. La Loi reçut la sanction royale le 21 juin 2019 et elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2020.

b)    Le contenu de la Loi

[25]           Deux idées maîtresses sous-tendent la Loi, l’énonciation de normes nationales et la reconnaissance d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale autochtone. Cette deuxième idée a connu une lente évolution, commencée en 1973 avec l’adoption par le gouvernement fédéral de la Politique sur les revendications territoriales globales[12], suivie de l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, puis de la promulgation en 1995 d’une Politique sur l’autonomie gouvernementale[13] des peuples autochtones. L’existence de ce droit y est reconnue et on y préconise la voie de la négociation tripartite (gouvernements fédéral et provinciaux, peuples autochtones). Une convergence s’affirme alors entre la Politique sur les revendications territoriales globales et la Politique sur l’autonomie gouvernementale. Entre 1997 et 2017, elle mènera à la conclusion de plusieurs accords qui, de manière parfois implicite, parfois explicite, touchent au droit ancestral à l’autonomie gouvernementale autochtone. Par ailleurs, certaines lois fédérales adoptées pendant la même période y font occasionnellement référence. En somme, l’idée d’une autonomie administrative, voire politique, des Autochtones percole depuis plus de 45 ans.

[26]           En 2018 paraissent sous l’égide du ministère de la Justice les Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones[14]. Il y est fait bonne place au droit ancestral et inhérent des Autochtones à l’autonomie gouvernementale. Clairement, la Loi s’inscrit dans le droit fil de ces Principes de 2018, à l’aune desquels on voit émerger une gouvernance proprement autochtone.

[27]           Il convient de donner un aperçu d’ensemble de la Loi avant de s’arrêter sur le détail de son contenu. Compréhensive, la reconnaissance dans la Loi du droit à l’autonomie gouvernementale ne passe plus par la conclusion d’accords bipartites ou tripartites. Par la latitude et l’indépendance fonctionnelle qu’elle laisse aux peuples autochtones, la Loi leur permet de choisir leurs propres solutions, en privilégiant une approche ascendante. Répondant aux exigences pressantes de la réconciliation, la Loi vise à remédier aux lenteurs du processus de négociation d’accords à la pièce. Il est clair que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones[15] Déclaration des Nations Unies ») oriente cette intervention législative. Au moyen de normes générales formulées pour l’ensemble du pays, la Loi met en place un cadrage pour assurer la qualité minimale des services aux enfants autochtones, dans un souci manifeste d’égalité à travers le Canada, mais aussi dans le respect des distinctions entre peuples.

[28]           Le long préambule de la Loi fait écho aux recommandations des commissions d’enquête qui s’étaient prononcées en 1996 et en 2015. Viennent ensuite de substantielles dispositions définitionnelles et interprétatives. Diverses notions clés y sont précisées, telles celles de « corps dirigeant autochtone », de « famille » ou de « peuples autochtones ». La première de celles-ci laisse aux peuples autochtones le soin de définir eux-mêmes les instances qui appliqueront la Loi. Outre la prévention de certains conflits normatifs, les dispositions interprétatives précisent les principaux objets de la Loi et formulent une règle cardinale : la Loi doit être lue et appliquée en conformité avec l’intérêt de l’enfant et dans le respect de la continuité culturelle ainsi que de l’égalité réelle. On voit bien ici que l’intention du législateur est de trancher avec le passé.

[29]           La Partie I de la Loi édicte les normes nationales auxquelles il a été fait allusion plus haut. Elle le fait sous trois rubriques : l’intérêt de l’enfant autochtone, la fourniture des services à l’enfance et à la famille et le placement de l’enfant autochtone.

[30]           En ce qui concerne l’intérêt de l’enfant autochtone, considération primordiale selon la Loi, celle-ci énumère une série de facteurs pour l’évaluer. Ils comprennent, entre plusieurs autres éléments, l’éducation de l’enfant autochtone, ses rapports avec les membres de sa famille, le maintien de son identité culturelle et ses propres préférences. Dans la mesure du possible, ces facteurs s’interprètent de manière compatible avec la législation autochtone applicable. Le respect de la culture et des besoins de l’enfant autochtone acquiert une importance particulière lorsque cet enfant est placé ailleurs que dans sa communauté d’origine. Il importe notamment que les parents de l’enfant, son fournisseur de soins et sa communauté d’origine aient fermement voix au chapitre dans toute décision le concernant. La Loi donne priorité aux soins préventifs, privilégie le maintien en place de l’enfant qui réside avec un membre de sa famille et précise que sa condition socio-économique ne peut à elle seule justifier un placement.

[31]           Dans cette perspective, le placement doit demeurer une mesure de dernier recours. Elle ne pourra s’effectuer auprès d’adultes allochtones qu’après que tout ait été mis en œuvre pour que l’enfant soit d’abord placé, dans l’ordre, auprès d’un de ses parents, d’un membre de sa famille, d’un membre de sa propre communauté ou d’un membre d’un peuple autochtone autre que le sien. En tout état de cause, une réévaluation régulière de sa situation s’impose. Enfin, les liens affectifs qu’entretient l’enfant avec tout membre de sa famille doivent être favorisés dans la fourniture de services.

[32]           Le reste de la Loi concerne l’architecture du nouveau régime. L’art. 18, une disposition déclaratoire, affirme l’existence de l’autonomie gouverne­mentale autochtone. Il précise que cette autonomie s’étend notamment à la compétence législative en matière de services à l’enfance et à la famille, compétence qui ne peut être exercée qu’en respectant la Charte canadienne des droits et libertés[16]  Charte canadienne »). La Loi met en place par ses par. 20(1) et (2) une procédure en vertu de laquelle un corps dirigeant autochtone peut choisir entre l’une ou l’autre de deux voies d’action. Il peut aviser les gouvernements intéressés qu’il entend exercer cette compétence. Ou il peut demander à ces gouvernements de conclure un accord de coordination dans ce champ de compétence. Cette seconde option, et elle seule, donne ouverture aux art. 21 et 22 de la Loi. Si certaines conditions sont remplies, les textes législatifs autochtones alors adoptés acquièrent selon ces dispositions la même autorité que les lois fédérales et ils ont préséance sur toute disposition incompatible d’une loi fédérale ou provinciale dans ce même champ de compétence. Il en va différemment des textes législatifs autochtones qui auraient été adoptés sans demander la conclusion d’un accord de coordination, textes auxquels les art. 21 et 22 ne s’appliquent pas. Il ressort du tout que le Parlement entend encourager la démarche de négociation.

[33]           Par ailleurs, quelle que soit la voie d’action choisie par un peuple autochtone, un texte législatif adopté par lui, mais qui serait contraire à l’intérêt d’un enfant, demeurera sans application. Enfin, une disposition concerne la résolution de conflits entre textes législatifs autochtones. D’autres dispositions, de moindre intérêt pour les fins du renvoi, s’ajoutent à celles qui précèdent.

[34]           Il reste que, indépendamment du débat constitutionnel issu du présent renvoi, la Loi comporte des ambiguïtés de nature à soulever diverses questions. C’est ce qu’ont signalé plusieurs intervenants autochtones en commission parlementaire. Ainsi, il est permis de penser que des différends pourraient s’élever au moment de déterminer quelles entités se qualifieront comme « corps dirigeant autochtone ». D’autres sources de difficultés potentielles concernent la capacité matérielle pour les peuples autochtones de fournir eux-mêmes les services envisagés par la Loi, ou elles ont rapport aux modalités de fonctionnement des mécanismes de règlement des différends. La question du financement des services aux enfants et aux familles demeure névralgique et largement en suspens, malgré la mention des « arrangements fiscaux » dans la liste des sujets sur lesquels peuvent porter les accords de coordination visés par le par. 20(2). Plusieurs déclarations publiques par des porte-parole autochtones l’ont rappelé avec insistance. Ces aspects de la Loi pourraient engendrer des litiges. Cela dit, il n’y a pas lieu d’en dire plus ici vu la question précise posée par le présent renvoi.

c)     Les positions respectives du Québec, du Canada et des intervenantes

[35]           Les procureurs généraux ont déployé leur argumentation sur deux plans : le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour celui du Québec, la Loi envahit une compétence de la province et elle modifie unilatéralement la portée cet art. 35. Une réponse affirmative à la question du renvoi s’impose donc. Pour celui du Canada, qui conteste ce qui précède, le renvoi appelle une réponse de portée limitée mais négative.

[36]           Le procureur général du Québec invoque d’abord la compétence de principe de la province sur la protection de l’enfance en général. Or, la Loi dicte la façon de dispenser de tels services aux Autochtones, ce qui outrepasse les limites du par. 91(24) et met en péril l’architecture constitutionnelle. La Loi entraverait aussi la compétence de la province sur sa fonction publique. Par ailleurs, en affirmant l’existence d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, la Partie II de la Loi usurpe le rôle des tribunaux et crée unilatéralement un troisième ordre de gouvernement au Canada. Cela ne peut se faire que par une modification constitutionnelle ou au moyen de traités protégés par l’art. 35. Il s’ensuit que, sur le premier volet, la Partie I est invalide et, sur le second volet, la Partie II l’est aussi. Ces conclusions suffisent et la Cour n’a pas à se prononcer sur la portée de l’art. 35.

[37]           Après un rappel des services offerts par le gouvernement fédéral, le procureur général du Canada identifie le caractère véritable de la Loi, soit de protéger les enfants et les familles autochtones en réduisant le nombre d’enfants autochtones dans les systèmes actuels de services à l’enfance. Selon lui, cette matière relève assurément de la vaste compétence attribuée par le par. 91(24) et son exercice ici n’entrave aucunement les compétences provinciales. En outre, pour ce qui est des dispositions relatives au droit ancestral à l’autonomie gouvernementale, rien dans la Loi n’empêcherait que soit contestée devant les tribunaux la validité de textes législatifs autochtones. Néanmoins, l’interprétation de l’art. 35 que véhicule la Loi est conforme à la jurisprudence.

[38]           L’Assemblée des Premières Nations considère que, par son caractère véritable, la Loi vise à remédier aux politiques colonisatrices du gouvernement fédéral. La lecture que présente la Loi d’un droit inhérent des peuples autochtones à l’autodétermination est conforme à l’évolution du droit et à ce que commandent l’honneur de la Couronne et les normes internationales pertinentes.

[39]           L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador estiment que le caractère véritable de la Loi, outre ce qu’en dit le procureur général du Canada, est aussi de soutenir la continuité culturelle autochtone et de faciliter l’exercice du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Seul l’art. 88 de la Loi sur les Indiens justifie que les lois provinciales s’appliquent aux services à l’enfance et à la famille autochtones. La Loi est l’expression actuelle des responsabilités qui incombent au gouvernement fédéral en vertu du par. 91(24). La Cour ici doit trancher la question du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones.

[40]           La Société Makivik, qui n’a pas pris part aux plaidoiries orales, a rappelé dans son mémoire que, depuis un renvoi de 1939, le gouvernement fédéral a toujours été responsable de fournir des services aux Inuit du Nunavik.

[41]           L’intervenante Aseniwuche Winewak Nation of Canada n’a pris position que sur la Partie I de la Loi et soutenu qu’elle peut redresser la situation des enfants autochtones comptant parmi les Indiens non inscrits ou n’appartenant pas aux Premières Nations.

d)    La première partie de l’analyse : la constitutionnalité des normes nationales

[42]           Les art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 répartissent les compétences législatives entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Une question sur la validité constitutionnelle d’une loi au regard du partage des compétences se résout selon une analyse en deux temps. Il faut d’abord qualifier l’objet et le caractère véritable de la loi. Cette qualification est suivie d’un exercice de classification : à laquelle des compétences énumérées peut-on rattacher la loi ainsi qualifiée? Lorsqu’une loi présente plusieurs aspects dont certains paraissent proches de l’art. 91 et d’autres proches de l’art. 92, il faut considérer le contexte de son adoption ainsi que ses effets sur les plans pratique et juridique. Outre l’identification de l’aspect dominant d’une loi, la théorie du double aspect permet de valider des dispositions semblables qui pourront figurer valablement à la fois dans des lois fédérale et provinciale. La doctrine de l’exclusivité des compétences permet quant à elle d’éviter qu’une loi entrave le contenu irréductible d’une compétence attribuée à l’autre ordre de gouvernement.

[43]           Le par. 91(24) englobe tous les peuples autochtones au Canada, Métis et Inuit compris. Cette compétence, qui est vaste, permet de légiférer sur tous les aspects de la « quiddité indienne ». Relèvent aussi de l’essence de la compétence fédérale le bien-être des Autochtones et les divers liens personnels entre eux, tels les relations au sein des familles, l’adoption ou les affaires testamentaires. Cette compétence plénière implique qu’elle empiètera à l’occasion sur les matières visées par l’art. 92, mais cela ne signifie évidemment pas que le Parlement fédéral peut par ce moyen envahir les compétences provinciales : l’analyse en deux temps s’impose et les tribunaux privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement.

[44]           En l’occurrence, le procureur général du Québec soutient que, de par son caractère véritable, la Loi dicte la façon dont les services à l’enfance et aux familles doivent être fournis par les provinces en contexte autochtone. Selon la Cour, une analyse complète de la Loi, de son contexte d’adoption et de ses effets fait ressortir tout autre chose. Le caractère véritable de la Loi est d’assurer le bien-être des enfants autochtones en favorisant des services culturellement adaptés qui remédieront à leur surreprésentation dans les réseaux provinciaux de protection de l’enfance. L’abondante preuve extrinsèque versée au dossier le démontre.

[45]           Quant à la proposition du procureur général du Québec que la Loi, par ses effets, entrave gravement la compétence de la province sur sa fonction publique, elle ne résiste pas à l’analyse. Les principes nationaux formulés par la Loi le sont en termes généraux et non comme des modalités pratiques de livraison des services à l’enfance destinées aux fonctionnaires provinciaux. Ces principes sont compatibles avec la législation québécoise sur la protection de l’enfance. L’incidence possible de la Loi sur le travail des fonctionnaires provinciaux n’en est qu’un effet accessoire et ne change pas son caractère véritable.

[46]           Enfin, sont aussi à écarter les arguments que la Loi contrevient aux principes de fédéralisme et de démocratie sous-jacents à la Constitution et que, selon la doctrine de l’exclusivité des compétences, la Loi est inapplicable aux fonctionnaires provinciaux. De tels principes ne peuvent avoir préséance sur une mesure législative validement adoptée en vertu du par. 91(24). Quant à la doctrine de l’exclusivité des compétences, qui est d’utilisation restreinte, elle suppose une entrave au contenu essentiel d’une compétence législative, ce dont le procureur général du Québec n’a pas fait la démonstration ici.

e)     La deuxième partie de l’analyse : le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et la réglementation des services à l’enfance et à la famille

[47]           Pour le procureur général du Québec, la gouvernance autochtone doit découler de délégations législatives, d’ententes entre gouvernements et peuples autochtones ou d’une modification constitutionnelle. Selon lui, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne reconnaît pas de droit à l’autonomie gouvernementale. Si cependant la Cour devait conclure que tel n’est pas le cas, seuls les tribunaux, et non le Parlement, pourraient se prononcer en ce sens. Avec la Loi, le Parlement ajoute à l’art. 35 et, ce faisant, il usurpe le rôle des tribunaux.

[48]           Le renvoi concerne donc la portée de cette disposition et soulève la question de savoir si un éventuel droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et aux familles est « générique » ou, au contraire, spécifique à chaque peuple autochtone et susceptible de varier d’un peuple à un autre.

[49]           Selon l’approche préconisée par une certaine jurisprudence, la souveraineté qu’exerce la Couronne[17] au Canada est constitutionnellement incompatible avec un tel droit ancestral. Le serait aussi le partage des compétences législatives entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Si la gouvernance autochtone peut être souhaitable au plan politique, elle relève d’un choix législatif. Selon l’approche rivale, les peuples autochtones ont toujours maintenu une forme d’autonomie gouvernementale découlant de leur souveraineté initiale sur le territoire. Ce droit ancestral est aujourd’hui enchâssé par l’art. 35.

[50]           Pour les motifs qui suivent, et sous réserve des importantes nuances apportées plus loin, il faut désormais retenir ce second point de vue. Cette conclusion, qui découle de l’histoire des relations entre la Couronne et les peuples autochtones, a aussi une assise dans la jurisprudence interprétée à la lumière de l’histoire.

[51]           Il est acquis de nos jours que l’autonomie des peuples autochtones était ici reconnue de facto, voire de jure, jusqu’au cours du 19e siècle. Ce fait crucial trouvait déjà écho dans la Proclamation royale de 1763. Se fondant en partie sur cette dernière, la Cour suprême des États-Unis a développé entre 1823 et 1832 deux doctrines sur la situation des Autochtones (domestic dependent nation et residual aboriginal sovereignty) dans trois arrêts souvent cités par la jurisprudence canadienne. Ces doctrines découlent d’un droit historique de se gouverner soi-même et elles postulent la bienveillance du souverain, deux notions consacrées en common law. L’indépendance dont ont longtemps joui les peuples autochtones et les nombreux traités conclus avec eux avant comme après 1763 attestent d’une réalité comparable au Canada. Ce n’est que tardivement qu’une politique de déplacement, de sédentarisation et d’assimilation des Autochtones s’est substituée à l’état de fait initial, entraînant les ravages constatés plus tard par plusieurs commissions d’enquête. Pourtant, des pans entiers du droit coutumier autochtone demeuraient intacts, comme en matière de mariage ou d’adoption.

[52]           Si l’on s’arrête sur la jurisprudence canadienne qui traite de l’autonomie gouvernementale autochtone, il faut d’abord remonter à l’arrêt Calder[18] (1973) sur l’origine du titre ancestral. Cet arrêt mena à la Politique sur les revendications territoriales globales, déjà évoquée ici, et aux accords qui en découlèrent : or, ceux-ci reconnaissent aux peuples autochtones des compétences dans la gestion de leurs territoires traditionnels. Vinrent ensuite la réforme apportée par la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans sa foulée, les tentatives de moduler les droits ancestraux de l’art. 35 lors de conférences constitutionnelles qui demeurèrent infructueuses.

[53]           L’arrêt Sparrow[19] (1990) a fermement écarté la thèse selon laquelle l’art. 35 n’était qu’un préambule à de futures négociations constitutionnelles. Il a exposé en quoi pouvait consister un droit « existant » et « ancestral », ainsi que les conditions dans lesquelles un gouvernement pouvait légitimement procéder à sa réglementation. L’arrêt Van der Peet[20] (1996), qui s’inspire de trois arrêts de la Cour suprême des États-Unis rendus entre 1823 et 1832, s’est ensuite penché sur le cadre juridique permettant la reconnaissance d’un droit ancestral. Il s’agit de concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de la Couronne en se fiant au critère et aux facteurs énumérés par la Cour suprême du Canada. D’autres précisions furent apportées par l’arrêt Pamajewon[21] (1996).

[54]           L’affaire Delgamuukw[22] souleva simultanément la question du titre ancestral et celle de l’autonomie gouvernementale et elle parvint devant la Cour suprême du Canada en 1997. Auparavant, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, siégeant à cinq juges, avait eu l’occasion de se prononcer sur le sujet dans des motifs riches d’enseignements. Trois des juges rejetèrent les prétentions relatives au titre ancestral et à l’autonomie gouvernementale. Deux autres, en dissidence, reconnurent l’existence d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. En Cour suprême, le débat devait bifurquer : sur la question du titre ancestral, l’arrêt infléchit sensiblement l’analyse de l’arrêt Van der Peet, mais la Cour refuse de se prononcer sur la question du droit à l’autonomie gouvernementale en raison des insuffisances du dossier tel qu’il s’était instruit en première instance. D’autres repères existent en jurisprudence, mais la question de l’autonomie gouvernementale demeure ouverte. Cela dit, l’ajustement apporté aux critères de l’arrêt Van der Peet permet de penser que l’hypothèse d’un droit générique à l’autonomie gouvernementale demeure viable.

[55]           Le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones a aussi été l’objet d’initiatives politiques importantes. Ainsi, dans leur ensemble, les intervenants dans l’Accord de Charlottetown de 1992 reconnaissaient l’existence d’un tel droit. L’échec de cet Accord fut suivi en 1995 de la Politique sur l’autonomie gouvernementale du gouvernement fédéral qui, tout en reconnaissant ce même droit, favorisait une logique de négociation. Au plan international, la Déclaration des Nations Unies de 2007 sur les droits des peuples autochtones affirme l’existence d’un droit à l’autodétermination des peuples autochtones. En outre, dans les écrits de doctrine au Canada, les auteurs estiment très majoritairement que l’art. 35 confirme l’existence d’un droit à l’autonomie gouvernementale.

[56]           Le procureur général du Québec a raison de soutenir que la Partie II de la Loi repose sur la prémisse que l’art. 35 reconnaît le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Mais il a tort lorsqu’il prétend que le Parlement, ici, a ajouté au contenu de l’art. 35, que la Loi est invalide en l’absence d’une modification constitutionnelle et que, en tout état de cause, il suffit pour la Cour de constater l’inconstitutionnalité de cette partie de la Loi sans qu’il soit nécessaire pour elle de déterminer si l’art. 35 confirme bel et bien l’existence du droit en question. Le Parlement, en effet, peut légiférer en fonction de ce qu’énonce la Constitution et il n’est pas tenu, avant d’agir, de recourir chaque fois à la procédure de renvoi. En dernière analyse, cependant, il revient aux tribunaux d’évaluer au regard de la Constitution le bien-fondé du choix législatif qu’il a fait. Cela implique nécessairement que la Cour doit considérer la portée des droits ancestraux visés par l’art. 35 pour juger de la validité de la Loi. Si ces droits ancestraux ne comprennent pas un droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et aux familles, cette partie de la Loi doit être déclarée ultra vires. Si ce droit est visé par l’art. 35, il faut décider si le cadre fixé par la Loi pour circonscrire l’exercice du droit à l’autonomie est lui-même constitutionnellement valide.

[57]           Faut-il conclure à une incompatibilité de la Loi avec la notion de souveraineté canadienne ou encore avec celle de l’exhaustivité des compétences législatives fédérales et provinciales? Sur le premier point, on sait qu’après 1763, les peuples autochtones continuaient de vivre en sociétés organisées et distinctives possédant leurs propres structures sociales et politiques. Certes, avant l’entrée en vigueur de l’art. 35, la Couronne et le Parlement pouvaient, selon des modalités différentes, éteindre un droit ancestral. Cela nécessitait toutefois de leur part une intervention claire et non équivoque. Or, le dossier ne contient aucun acte pré-confédératif ni aucune loi du Parlement qui serait doté de cette caractéristique. Sur le second point, la Loi constitutionnelle de 1867 n’a pas conféré au Parlement et aux législatures provinciales une compétence exclusive sur l’ensemble du droit applicable au Canada : le maintien au Canada des lois impériales, de la prérogative royale et de la common law britannique le démontre. Le partage des compétences, dénué d’exhaustivité, ne peut avoir éteint le droit des peuples autochtones à se gouverner eux-mêmes là où il avait valeur de droit ancestral et où il est demeuré intact.

[58]           Pour les fins précises du renvoi, la question de l’existence ou non d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale ne se pose que dans le champ spécifique des services à l’enfance et aux familles. L’objet central de l’art. 35 en est un de réconciliation et de préservation d’un espace constitutionnel permettant aux peuples autochtones de vivre comme peuples autochtones avec leur identité, leurs cultures et leurs valeurs à l’intérieur du cadre canadien. En tant que système normatif, le droit coutumier autochtone portant sur la famille et l’enfance figure parmi ces valeurs. Et la preuve versée au dossier par le procureur général du Canada démontre qu’ensemble, l’enfance et la famille constituent la principale courroie de transmission des marqueurs de l’identité autochtone. La réglementation par les peuples autochtones des services à l’enfance et aux familles est donc indissociable de leur identité et de leur épanouissement culturel.

[59]           Ce droit à l’autonomie gouvernementale est visé par l’art. 35 puisqu’il s’agit d’une forme de droit ancestral. Il est générique et il s’étend à tous les peuples autochtones, car il est intimement lié à leur continuité et leur survie culturelles. Par le passé, des entraves importantes, comme les écoles résidentielles, ont pu nuire à son exercice. Néanmoins, ces situations n’ont jamais été entérinées par le Parlement, qui n’a jamais montré par une loi claire et non équivoque son intention d’éteindre le droit en question.

[60]           L’arrêt Sparrow a explicité les conditions auxquelles un tel droit peut faire l’objet d’une réglementation gouvernementale. Ces conditions sont exigeantes pour les gouvernements. En cas d’incompatibilité entre ce droit et un aspect de la réglementation, le droit ancestral autochtone doit prévaloir, à moins que le gouvernement auteur de l’atteinte ne démontre qu’il poursuit un objectif public impérieux, que la réglementation est conforme aux principes de l’atteinte minimale et de la proportionnalité, et que la législation est respectueuse de l’honneur de la Couronne.

[61]           On notera que cette interprétation de l’art. 35, relative au droit à l’autonomie gouvernementale, paraît tout à fait conforme aux principes qu’énonce la Déclaration des Nations Unies.

[62]           Il y a lieu, enfin, de déterminer si le cadre établi par la Loi pour circonscrire l’exercice du droit ancestral ici en cause est lui-même constitutionnellement valide. Cela soulève trois questions qui concernent les contraintes que la Loi impose dans l’exercice du droit ancestral, le statut potentiel de la réglementation autochtone en tant que législation fédérale et la préséance donnée aux textes législatifs autochtones sur la législation provinciale.

[63]           Les contraintes imposées par la Loi concernent la priorité accordée à l’intérêt de l’enfant, la conformité aux normes nationales issues de la Loi elle-même et le respect des droits fondamentaux des individus. Il s’agit de prime abord d’objectifs impérieux et réels qui restreignent minimalement l’exercice du droit à l’autonomie, quoique des contestations pourront s’élever au cas par cas sur le sujet. La Loi prévoit aussi que la Charte canadienne s’applique à un corps dirigeant autochtone qui exerce pour un peuple autochtone son droit à l’autonomie gouvernementale. Mais, lue à la lumière de la jurisprudence sur l’art. 32 de la Charte, et compte tenu de l’art. 25 de la même Charte, on voit mal pourquoi cette contrainte serait inconstitutionnelle.

[64]           Lorsqu’un corps dirigeant autochtone tente de conclure un accord de coordination avec un gouvernement et que, conformément à la Loi, il adopte un texte législatif sur les services à l’enfance et aux familles, l’art. 21 de la Loi précise que ce texte a « force de loi à titre de loi fédérale ». Le but de cette disposition est de rendre la doctrine de la prépondérance fédérale applicable à un texte législatif autochtone. Dans cette mesure, la disposition modifie l’architecture fondamentale de la Constitution et elle est ultra vires. La doctrine de la prépondérance fédérale, qui vise à résoudre à certaines conditions les conflits irréconciliables entre lois fédérales et provinciales, ne concerne que les lois fédérales validement adoptées aux termes de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Or, les textes législatifs dont il est question ici n’émanent pas du gouvernement fédéral mais des corps dirigeants autochtones, dans l’exercice du droit ancestral de leurs peuples à l’autonomie gouvernementale reconnu par l’art. 35. Seul ce dernier article, tel qu’interprété par les tribunaux, serait susceptible de conférer une préséance à de tels textes.

[65]           Il en va de même pour le par. 22(3) de la Loi. Celui-ci prévoit que les textes législatifs autochtones visés par l’art. 21, disposition auquel le par. 22(3) fait pendant, l’emportent sur toute disposition incompatible d’une loi provinciale. Dans l’exercice de la compétence prévue au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement peut certes réglementer un droit ancestral reconnu par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais il ne peut par ce moyen conférer une priorité absolue à ce droit. Le par. 91(24) ne l’autorise en effet pas à dicter dans tous ses aspects la manière dont devront se comporter les provinces avec les peuples autochtones, pas davantage qu’il ne peut complètement les écarter. L’architecture constitutionnelle canadienne est édifiée sur la base de gouvernements coordonnés, et non subordonnés, dans le but de garantir à chacun une autonomie dans la poursuite de leurs objectifs. En conférant une priorité absolue au droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille et en écartant le test de réconciliation qui est propre à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le par. 22(3) enfreint ce principe.

[66]           La jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada confirme que la réglementation provinciale d’application générale peut s’appliquer au titre ancestral sur des terres. Cela n’est cependant possible que si l’atteinte résultant de cette réglementation peut se justifier selon le cadre d’analyse qui a désormais cours en vertu de l’art. 35. S’agissant du droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et aux familles, la même approche s’impose : elle seule, en effet, est conforme au paradigme constitutionnel fondé sur des objectifs de respect mutuel et de réconciliation entre les Autochtones, la Couronne et la société canadienne dans son ensemble. Par conséquent, quoiqu’ils s’appliquent ex proprio vigore aux Autochtones présents sur le territoire de la province, les régimes provinciaux de services à l’enfance et à la famille n’ont préséance sur la réglementation autochtone adoptée en vertu du droit ancestral à l’autonomie gouvernementale et ne peuvent l’écarter, en tout ou en partie, que s’ils satisfont le test de l’atteinte et de la réconciliation propre à l’art. 35.

[67]           La réponse à la question du renvoi est donc la suivante : la Loi est constitutionnelle, sauf pour l’art. 21 et le par. 22(3), qui ne le sont pas.

1-    Le contexte ayant mené à l’adoption de la Loi

[68]           Le contexte permet d’exposer les circonstances qui entourent un événement pour en comprendre la genèse. Ici, l’adoption de la Loiqui établit des principes et critères en matière de services à l’enfance et à la famille adaptés aux réalités et aux cultures autochtones et qui reconnaît à ces peuples le droit d’adopter des règles législatives pour les mettre en œuvreconstitue une nouvelle étape d’un long processus enclenché il y a près de deux siècles. Les parties ont déposé une preuve volumineuse qu’il convient d’exposer à larges traits parce qu’elle fonde plusieurs de leurs arguments et qu’elle n’a pas déjà été traitée dans un jugement antérieur, l’affaire étant venue directement devant la Cour en vertu d’un Avis de renvoi.

[69]           L’adoption de la Loi fait suite à une série de politiques fédérales d’assimilation des Autochtones depuis la colonisation du Canada par les puissances européennes, plus particulièrement depuis la Confédération, ainsi qu’à des politiques provinciales de prise en charge des enfants autochtones ayant pour effet de les soustraire de leurs communautés.

[70]           Ces politiques, qui ont été qualifiées de génocide culturel[23], ont laissé des traces tangibles et douloureuses qui affectent plusieurs générations d’Autochtones. Des recours judiciaires ont été intentés en lien avec la fréquentation des pensionnats pour Autochtones et aussi avec le placement massif des enfants autochtones en dehors de leurs communautés.

[71]           La situation a évolué et des communautés autochtones, par l’intermédiaire d’organismes, ont commencé à fournir des services de protection de l’enfance dans le cadre législatif existant dans chacune des provinces. En raison de contraintes systémiques découlant de ces cadres législatifs et d’un sousfinancement important et chronique, les résultats se révèlent peu convaincants. Le mode de financement par le gouvernement fédéral des services à l’enfance et aux familles autochtones est totalement inadéquat, insuffisant et ne permet pas aux enfants et familles autochtones d’obtenir les services auxquels ils ont droit au même titre que le reste de la population canadienne. Le chevauchement de compétence entre les deux ordres de gouvernement a aussi des effets pervers sur la dispensation de ces services.

[72]           Au fil des ans, plusieurs commissions d’enquête (Commission royale sur les peuples autochtones, Commission de vérité et réconciliation, Commission Viens et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées) ont mis au jour les vicissitudes du traitement réservé aux enfants autochtones et les conséquences dramatiques vécues par eux, leurs proches et leurs communautés, conséquences qui sont toujours présentes. Ils sont surreprésentés dans les régimes de protection de la jeunesse et les placements hors famille demeurent largement supérieurs à ceux des enfants allochtones. Les commissions ont fait des recommandations diverses. Toutes convergent vers la nécessité de laisser les Autochtones prendre en main la question des services à l’enfance et à la famille les concernant.

[73]           C’est dans ce contexte qu’un groupe de travail a été formé par le gouvernement fédéral afin de rédiger le projet de loi C-92, qui reçoit la sanction royale le 21 juin 2019 et est en vigueur depuis le 1er janvier 2020.

a)     Les politiques fédérales d’assimilation des Autochtones

[74]           Sans prétendre à une étude exhaustive des lois du 19e et du début du 20e siècle, la consultation de quelques-unes d’entre elles ainsi que l’examen de déclarations d’hommes politiques ou d’agents de l’État de l’époque permettent de conclure que lobjectif de la politique « indienne » canadienne était d’assimiler les peuples autochtones jusqu’à ce qu’ils cessent d’exister. Ces législations sont complexes et elles s’inscrivent dans le cadre d’une relation délicate entre les peuples autochtones et la Couronne. Il ne s’agit pas ici d’en faire un tableau complet ni une analyse détaillée.

[75]           L'Acte pour encourager la Civilisation graduelle des Tribus Sauvages[24] en cette Province, et pour amender les Lois relatives aux Sauvages[25] est adopté en 1857. Cette loi est l'un des événements marquants de l'évolution de la politique canadienne sur les Autochtones. Elle part du principe que l'élimination de toutes les distinctions juridiques entre les Autochtones et les Allochtones par le processus de l'émancipation permettra leur intégration complète à la société canadienne. L'émancipation, processus par lequel les Autochtones s'affranchissent des protections associées à leur statut, est alors présentée comme un privilège puisqu’elle leur permet de devenir des citoyens et d’obtenir le droit de propriété ainsi que le droit de vote. Sous réserve de certaines particularités, seuls les hommes peuvent demander l'émancipation et ils doivent satisfaire à des conditions : avoir plus de 21 ans, pouvoir parler, lire et écrire l'anglais ou le français, être relativement bien instruits, n'avoir aucune dette et être de « bon caractère moral » de l'avis d'un comité d'examinateurs allochtones. Pour les inciter à abandonner leur statut, les Autochtones émancipés reçoivent une terre n’excédant pas 50 acres dans la réserve ainsi que leur part individuelle des annuités résultant de traités et des autres deniers de la bande. L'épouse et les enfants de l’Autochtone émancipé perdent leur statut de façon automatique[26].

[76]           Cette loi marque, comme cela vient d’être mentionné, un virage de la politique canadienne sur les Autochtones puisqu’elle peut conduire à l'élimination des peuples autochtones au moyen de l'émancipation. La loi privait les terres de la réserve de la protection de l’État, car, en échange de l’émancipation, celles-ci pouvaient être graduellement données, et ce, sans le consentement de la bande. En plus d’être sexiste, la loi constitue également un pas vers le contrôle gouvernemental du statut d'Autochtone puisqu’elle étend le mécanisme d'émancipation à d'autres personnes, privant ces dernières de leur statut et de leur appartenance à la bande. Enfin, la loi, qui affirme la supériorité de la culture et des valeurs coloniales, annonce le début d'un processus de dépréciation de l'identité culturelle autochtone.

[77]           À la Confédération, le Parlement s'est vu confier le pouvoir de légiférer à l'égard des « Indiens et [d]es terres réservées pour les Indiens » en vertu du par. 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique[27]. Les peuples autochtones ne sont pas expressément reconnus comme parties prenantes de cette nouvelle structure tripartite comprenant le Royaume-Uni, le fédéral et les provinces.

[78]           L’Acte pourvoyant à l’organisation du Département du Secrétaire d’État du Canada, ainsi qu’à l’administration des Terres des Sauvages et de l’Ordonnance[28] est adopté en 1868. Le secrétaire d'État devient le Surintendant Général des affaires autochtones et, en cette qualité, il a le contrôle et l’administration de leurs terres et propriétés. La définition de l’Autochtone visé par cette loi est arrêtée. Elle exclut les hommes allochtones qui épousent des femmes autochtones, mais inclut les femmes allochtones qui épousent des hommes autochtones[29].

[79]           Deux années après la Confédération, l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages et à l'extension des dispositions de l'acte trente-et-un Victoria, chapitre quarante-deux[30] reprend les dispositions antérieures sur l'émancipation volontaire des Autochtones et institue des mesures plus draconiennes pour accélérer leur intégration à la société canadienne. La loi va plus loin et permet l'ingérence de l’État dans l'exercice de leur autonomie gouvernementale. Pour justifier cette mesure, les représentants du gouvernement invoquent que l'opposition des gouvernements autochtones traditionnels constitue la principale entrave à l'atteinte de leurs objectifs de civilisation et d’émancipation des Autochtones[31].

[80]           En 1876, l'Acte pour amender et refondre les lois concernant les Sauvages[32] est adopté. Cet acte est considéré comme la première Loi sur les Indiens. Il codifie les lois antérieures concernant les Autochtones et y ajoute considérablement. La politique gouvernementale repose sur l’idée que ces derniers sont des personnes inférieures au reste de la société. Le rapport annuel du département de l'Intérieur pour l'année 1876 exprime en ces termes l'idéologie qui faisait des Autochtones des pupilles de l'État :

Notre législation au sujet des Sauvages, repose sur le principe que les naturels du pays doivent être tenus en état de tutelle, et qu'ils doivent être traités comme des pupilles et des enfants de l'État. [...] Les intérêts bien entendus des naturels du pays comme ceux de l'État, exigent que l'on fasse tous les efforts possibles pour aider aux Peaux-Rouges à sortir eux-mêmes de leur état de tutelle et de dépendance, et il est évidemment de bonne politique et de notre devoir de les préparer par l'éducation et par tout autre moyen, à un degré de civilisation plus élevé en les encourageant à se prévaloir de tous les droits de citoyens, et à en assumer les obligations.[33]

[81]           La loi de 1876 instaure un cadre législatif qui, dans ses grandes lignes, est demeuré le même jusqu'à aujourd’hui. Le Parlement infantilise les Autochtones en prenant en charge leurs structures politiques, leurs régimes de propriété, la mise en valeur de leurs ressources et leur développement économique. La politique du gouvernement au sujet des Autochtones a le mérite d’être limpide. L'alternative énoncée par le ministre de l'Intérieur, David Laird, lors du dépôt du projet de loi au Parlement, l'exprime de façon transparente : « Il faut traiter les Sauvages comme des mineurs ou comme des blancs »[34].

[82]           La loi de 1876, si elle n’offre rien de véritablement nouveau, est cependant plus complexe et détaillée. Elle couvre plusieurs aspects importants de la vie des Autochtones vivant dans une réserve. Pour distinguer plus facilement les Autochtones des personnes n'ayant pas droit à la protection conférée par le statut d’Autochtone attribué par la loi et l'appartenance à la bande, la loi propose de nouvelles définitions, notamment des termes « bande » et « réserve », s'inspirant des politiques décrites plus haut. Dans la loi, un Autochtone doit être quelqu'un de sang autochtone ou, dans le cas des mariages mixtes, une Allochtone mariée à un Autochtone visé par la loi. Les femmes autochtones qui épousent des Allochtones perdent leur statut. De plus, les femmes autochtones se voient refuser le droit de participer aux décisions portant sur la cession des terres des bandes[35].

[83]           La plupart des éléments de protection de la législation antérieure sont retenus et précisés : seul un Autochtone qui est membre de la bande peut vivre dans une réserve ou en utiliser les terres sans avoir obtenu un permis du Surintendant général; aucun impôt fédéral ou provincial ne peut être perçu sur des biens immobiliers ou mobiliers dans une réserve; aucun gage donné en application d'une loi provinciale ne peut s'appliquer à une propriété « indienne » et celle-ci ne peut non plus être saisie pour payer une dette[36].

[84]           On peut également relever que, dans les années suivantes, dans des modifications de la Loi sur les Indiens, le gouvernement canadien s’attaque directement à l’identité culturelle des peuples autochtones en interdisant certaines pratiques culturelles et spirituelles[37].

[85]           Dans le prolongement de ses politiques d’assimilation, le Canada se dote aussi d’une politique pour séparer les enfants autochtones de leurs parents. En 1883, le premier ministre du Canada, John A. Macdonald, déclare devant la Chambre des communes que cet exercice nécessaire vise à briser le lien qu’ils entretiennent avec leur culture et leur identité :

Lorsque l’école est sur la réserve, l’enfant vit avec ses parents, qui sont sauvages; il est entouré de sauvages, et bien qu’il puisse apprendre à lire et écrire, ses habitudes, son éducation domestique, et ses façons de penser, restent celles des sauvages. En un mot, c’est un sauvage capable de lire et d’écrire. On a fortement insisté auprès de moi, comme chef du département de l’Intérieur, pour soustraire autant que possible les enfants sauvages à l’influence de leurs parents. Or, le seul moyen d’y réussir serait de placer ces enfants dans des écoles industrielles centrales, où ils adopteraient les habitudes et les façons de penser des blancs.[38]

[86]           En vertu des modifications apportées à la Loi sur les Indiens en 1894[39], le gouvernement fédéral adopte des règlements portant sur la fréquentation des pensionnats[40]. En principe, celle-ci demeure volontaire. Cependant, il n’y a pas, à cette époque, de services formels de protection à l’enfance. Ainsi, si un agent des « Indiens » ou un juge de paix estime qu’un enfant autochtone n’est pas pris en charge et éduqué de façon convenable, il a le pouvoir d’ordonner son placement dans un pensionnat ou une école industrielle. Au final, aucun enfant ne peut quitter un établissement sans l’autorisation du ministère, et ce, peu importe que ses parents l’y aient inscrit volontairement ou non. Cette politique, qui ne repose sur aucun fondement législatif, prend appui sur le formulaire que, depuis 1892, les parents sont contraints de signer au moment de l’inscription de leur enfant dans un pensionnat[41].

[87]           Dès 1883, le gouvernement fédéral établit les premiers pensionnats pour les enfants autochtones. Au cours des années qui suivent, le système connaît une croissance considérable (près de 140 pensionnats). À compter des années 1940, les écoles résidentielles, bien qu’elles n’aient pas été conçues à cette fin[42], sont l’équivalent de facto des services de protection de la jeunesse provinciaux et prennent en charge plusieurs enfants dont les conditions de vie sont jugées insatisfaisantes[43]. Les Églises catholique, anglicane, unie, méthodiste et presbytérienne participent à l’administration des pensionnats. Ce partenariat entre le gouvernement et les communautés religieuses prend fin en 1969. La plupart des écoles cessent leurs activités dans les années 1980, sauf quelques-unes qui continuent jusqu’à la fin des années 1990[44].

[88]           En 1920, le gouvernement fédéral modifie la Loi sur les Indiens[45] pour exercer le pouvoir de dépouiller les personnes de leur statut contre leur volonté[46]. L’autre élément fondamental des modifications apportées à la Loi sur les Indiens concerne le pouvoir d’obliger les parents à envoyer leurs enfants dans des pensionnats pour les Autochtones. En présentant cette modification devant un comité parlementaire, le sous-ministre des Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott, ne se cache pas pour expliquer qu’il cible la disparition des Autochtones :

Notre objectif est de poursuivre le travail jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été absorbé par la société et jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de question indienne ni de département des Affaires indiennes.[47]

[89]           La vie des enfants dans les pensionnats pour Autochtones est des plus misérables. Ne disposant pas des ressources et infrastructures propres à assurer leur soutien, ceuxci sont négligés, maltraités et « [grandissent] sans amour »[48]. Arrachés de leur foyer et de leur famille, ils ont l’impression d’avoir été capturés et d’être séquestrés. Ils sont dépouillés de leurs effets personnels et de leurs vêtements. Ceux-ci sont remplacés par des vêtements dits civilisés, des vêtements de fortune usés et inappropriés[49]. Ils sont séparés de leur fratrie et vivent dans l’isolement. Pour les identifier, on leur attribue un numéro qui peut changer au fil des ans[50]. L’éducation reçue par les enfants autochtones est non seulement médiocre, mais elle est mise à mal par la charge de travail qu’ils doivent accomplir pour l’établissement en raison des exigences d’autosuffisance imposées aux pensionnats. On attend de ces enfants qu’ils cultivent et préparent la nourriture qu’ils consomment, qu’ils fabriquent et réparent la plupart de leurs vêtements et qu’ils entretiennent les bâtiments[51]. Les autorités adoptent une approche hostile à l’égard des langues autochtones et leur usage est sévèrement réprimé[52]. La nourriture servie dans les pensionnats est insuffisante, de sorte que les enfants souffrent de malnutrition[53]. Les conditions de vie dans les pensionnats sont aussi alarmantes[54]. Le nombre de morts ne peut pas être inventorié de façon certaine en raison de la destruction des dossiers ou de leur caractère incomplet, mais on sait que la situation est dramatique :

En janvier 2015, une analyse statistique du registre des élèves connus a révélé 2 040 décès pour la période comprise entre 1867 et 2000. La même analyse, cette fois du registre des élèves connus combiné au registre des élèves inconnus, fait état de 3 201 décès signalés. Le plus grand nombre de ces décès (1 328 décès provenant du registre des élèves connus et 2 434 des registres combinés des élèves connus et inconnus) sont survenus avant 1940. […]

[…]

Le taux de mortalité des enfants autochtones vivant dans un pensionnat est disproportionnellement élevé par rapport aux taux enregistrés dans l’ensemble de la population canadienne. […][55]

[90]           Les bâtiments qui abritent les enfants autochtones sont dangereusement exposés aux incendies en raison de leur construction de piètre qualité, de leur entretien déficient et de la lamentable condition des équipements d’extinction d’incendie. De plus, la ventilation de ces bâtiments est inadéquate. La surpopulation qui y règne cause la propagation de maladies infectieuses, dont la tuberculose[56]. Le Dr Peter Bryce, médecin en chef au ministère des Affaires indiennes, dénonce cette situation dans son rapport annuel de 1907. L'enquête menée par ce dernier révèle un taux de mortalité de 24 % chez les 1 537 enfants des 15 écoles qu'il a visitées et ce taux aurait peut-être même atteint 42 % si l'on avait suivi les élèves qui étaient retournés dans les réserves[57].

[91]           En plus de ces conditions inhumaines vécues par les enfants autochtones, on dénombre d’autres règles d’une indicible cruauté. On leur impose une discipline quasi militaire et aucune dérogation n’est permise. Une contravention expose l’élève à des punitions variées allant de l’insulte à des corrections plus graves comme des coups de règle ou de « strap », ou encore à des châtiments gravissimes comme de longues heures d’agenouillement ou de confinement à une douche, l’enfermement dans un placard ou une chambre, parfois pendant des jours, les privations de repas, l’obligation de manger du savon, etc.[58]. Ce climat de terreur entraîne d’autres tragédies : des tentatives de suicide, des fuites menant à la mort, etc. S’ajoutent à ces actes de violence, les sévices sexuels subis par les enfants dans les pensionnats qui les remplissent de honte, les plongent dans des dépressions et créent des préjudices sérieux et durables[59].

[92]           Prenant graduellement conscience des résultats désastreux des pensionnats sur les enfants autochtones et de son incapacité à les prendre en charge[60], le gouvernement fédéral entreprend, à compter de 1947, d’amener les provinces à fournir aux Autochtones les services sociaux qu’elles offrent déjà aux citoyens allochtones, y compris ceux en matière de protection à l’enfance[61]. En 1951, le Parlement adopte l’art. 87 (aujourd’hui l’art. 88) de la Loi sur les Indiens[62] qui, sauf exception mentionnée dans cette disposition, prescrit l’application des lois de portée générale aux Autochtones qui se trouvent dans une province. Cette disposition a ouvert la porte à l’application aux Autochtones des divers régimes de protection de la jeunesse. On verra ci-après que la situation des enfants autochtones et des familles ne s’est pas vraiment améliorée.

b)    Les politiques provinciales de prise en charge des enfants autochtones

[93]           Pendant près d’un siècle, le gouvernement fédéral poursuit ainsi une politique d’assimilation des Autochtones. La séparation des enfants de leurs parents et de leur milieu naturel de vie ainsi que la fréquentation des pensionnats pour Autochtones constituent des moyens délibérément choisis pour atteindre ce but.

[94]           La fin du système des pensionnats n’a cependant pas mis un terme à la séparation forcée des enfants autochtones de leurs familles. Les services provinciaux de protection de l’enfance prennent en quelque sorte la relève des pensionnats lorsqu’après l’adoption de l’art. 88 de la Loi sur les Indiens, les gouvernements provinciaux commencent à offrir des services de protection de l’enfance aux Autochtones habitant dans les réserves. Pour les familles et les communautés autochtones, l’impact de cette nouvelle situation est tout aussi dévastateur. Certains enfants sont simplement déplacés des pensionnats à des familles d’accueil qui font partie de l’appareil provincial. De plus, estimant qu’il revient au gouvernement fédéral d’assumer les coûts liés aux services offerts aux familles et enfants autochtones, toutes les provinces n’acceptent pas d’emblée la tâche qu’il leur relègue, certaines d’entre elles n’étant disposées à intervenir qu’en danger de mort[63].

[95]           Lorsque les gouvernements provinciaux commencent à intervenir sur une base plus régulière, à la suite de conclusion d’ententes de financement avec le gouvernement fédéral[64], ils perpétuent en quelque sorte la politique assimilatrice qu’incarnait le système des pensionnats. Des milliers d’enfants sont retirés de leur milieu naturel et confiés à l’adoption dans des familles allochtones :

Les travailleurs sociaux provinciaux affectés aux réserves évaluent la sécurité et le bien-être de l’enfant selon les normes culturelles dominantes, et ont peu ou pas de formation en culture autochtone. Comme on ne leur a pas enseigné à détecter des problèmes qui trouvent leur origine dans un traumatisme multigénérationnel lié aux pensionnats, ils jugent que les méthodes parentales autochtones sont mauvaises ou négligentes. En conséquence, les travailleurs provinciaux en protection de l’enfance enlèvent des milliers d’enfants des collectivités autochtones à partir des années 1960, opération qui prend le nom de « rafle des années soixante ».

Des enfants autochtones sont ainsi placés dans des foyers non autochtones au Canada, aux États-Unis et même outre-mer, sans qu’on cherche à préserver leur culture et leur identité. Ces adoptions en masse se poursuivent entre 1960 et 1990.

Les enfants de la rafle des années soixante souffrent de séquelles très semblables à celles des enfants placés dans des pensionnats. Les enfants autochtones adoptés ou mis en foyer d’accueil avec des parents blancs sont parfois maltraités, et souffrent de confusion d’identité, d’une faible estime de soi, de toxicomanies, d’un faible niveau d’instruction et de chômage. Ils connaissent parfois aussi le dénigrement et, dans la quasi-totalité des cas, souffrent de dislocation sociale et de dénégation de leur identité autochtone.[65]

[Soulignements ajoutés]

[96]           L’impact de l’enlèvement massif des enfants autochtones à compter des années 1960 a été jugé « horrendous, destructive, devastating and tragic »[66] et aussi dommageable que la fréquentation des pensionnats où les enfants autochtones étaient avec leurs pairs :

Residential schools incarcerated children for 10 months of the year, but at least the children stayed in an Aboriginal peer group; they always knew their First Nation of origin and who their parents were and they knew that eventually they would be going home. In the foster and adoptive system, Aboriginal children vanished with scarcely a trace, the vast majority of them placed until they were adults in nonAboriginal homes where their cultural identity and legal Indian status, their knowledge of their own First Nation and even their birth names were erased, often forever.[67]

[97]           L’effet dévastateur de ce qui a été qualifié de « rafle des années soixante » laquelle a entraîné l’adoption massive d’enfants autochtones est à la source d’importants problèmes identitaires et comportementaux. L’experte Christiane Guay traite des études qui ont démontré les répercussions négatives découlant de ces adoptions. Certains enfants ont rencontré des difficultés à s’identifier à la culture de leur famille d’accueil, d’autres ont souffert du racisme et des stéréotypes manifestés envers leur peuple d’origine[68]. Dans bien des cas, le fait de vivre entre deux cultures a engendré « chez les jeunes une image négative d’eux-mêmes qui en a poussé plusieurs à se réfugier dans la consommation d’alcool ou de drogues pour échapper à leurs souffrances. […] Des auteurs ont également montré que ces problèmes se sont également traduits par des idées suicidaires ou une plus grande propension à la criminalité […] »[69].

[98]           Devant cette vague d’« enlèvements » systématiques, plusieurs communautés mettent sur pied des organismes afin de fournir elles-mêmes certains services en matière de protection à l’enfance[70]. Ces organisations demeurent cependant assujetties aux lois provinciales et aux critères applicables[71], qui ne prennent pas nécessairement en compte les cultures et la réalité autochtones. S’ajoute à cette problématique, le sous-financement chronique et important des services, comme nous le verrons ci-après.

c)     Les recours judiciaires en lien avec les pensionnats et avec la prise en charge des enfants autochtones

[99]           Jusqu’aux années 1990, plus de 150 000 enfants autochtones ont fréquenté des pensionnats autochtones dirigés par des organismes religieux et financés par le gouvernement du Canada. Des milliers de ces enfants ont été victimes de sévices physiques, psychologiques et sexuels pendant leur séjour dans ces établissements.

[100]      Comme cela est entre autres documenté dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation et dans celui de la Commission Viens, les séquelles laissées par l’histoire tragique des pensionnats et les politiques d’assimilation du gouvernement du Canada se reflètent dans les importantes disparités observées entre les Autochtones et les Allochtones aux plans de l’éducation, du revenu, de la santé et de la vie sociale. Cela se constate aussi dans le racisme dont les Autochtones sont victimes, de même que dans la discrimination systémique dont ils font l’objet. Cela est un fait avéré que seule la méconnaissance des faits et du droit permet de mettre en doute[72]. La plupart des langues autochtones risquent de disparaître parce que les enfants ont été privés du droit de les parler. Le nombre disproportionné d’Autochtones incarcérés et celui des enfants autochtones pris en charge par les services à l’enfance provinciaux sont attribuables en partie aux mauvais traitements subis dans les pensionnats et aussi au fait que les enfants qui les ont fréquentés ont été privés de modèles et d’un environnement caractérisé par les relations avec leur famille. Les répercussions des mauvais traitements et des séquelles laissées chez les élèves des pensionnats s’étendent à leurs conjoints, à leurs enfants et petitsenfants, à leurs familles élargies et à leurs communautés[73]. Selon l’experte Christiane Guay, dans la plupart des cas, la fréquentation des pensionnats est associée « à des enjeux identitaires, des problèmes liés aux dépendances, à une plus grande détresse psychologique et à une plus grande probabilité de vivre d’autres traumatismes (agressions sexuelles, physiques, violence familiale, etc.) »[74].

[101]      Des anciens élèves des pensionnats ont intenté de nombreux recours individuels et collectifs. En 2006, la Convention de règlement est conclue[75], et, sous réserve des ordonnances d’approbation, les parties conviennent de modifier et de réunir toutes les déclarations de recours collectifs en cours et envisagées, de façon à créer une seule série de recours collectifs aux fins du règlement.

[102]      La Convention de règlement règle de façon globale ces recours collectifs. Elle vise à indemniser de manière juste et globale les séquelles laissées chez les Autochtones à la suite de leur séjour dans les pensionnats et à promouvoir la guérison, l’éducation, la vérité, la réconciliation et la commémoration, notamment en indemnisant financièrement les anciens élèves des pensionnats. La Convention de règlement porte sur cinq éléments principaux : (1) le paiement d’une indemnité pour l’expérience commune; (2) le paiement d’une indemnité découlant d’un processus d’évaluation du préjudice personnel; (3) des mesures de soutien, dont des fonds pour la Fondation autochtone de guérison; (4) un soutien pour la commémoration des pensionnats pour Autochtones; et (5) la mise sur pied de la Commission de vérité et réconciliation.

[103]      Conséquemment, les anciens élèves des pensionnats peuvent recevoir deux formes d’indemnisation financière : le paiement d’expérience commune accorde aux personnes admissibles une indemnisation financière en fonction du temps qu’ils ont passé dans les pensionnats et l’indemnisation pour l’expérience personnelle vécue les compense pour les abus et les actes fautifs qui ont entraîné de graves conséquences sur les plans psychologique et physique.

[104]      À la suite de la négociation de la Convention de règlement, le premier ministre Stephen Harper adresse, en juin 2008, des excuses aux élèves, au nom du Canada. Dans sa déclaration, il reconnaît que l’objectif de ces écoles était de séparer les enfants de leur famille et de leur foyer afin de mieux les assimiler :

[…] Ces objectifs reposaient sur l’hypothèse que les cultures et les croyances spirituelles des Autochtones étaient inférieures. D’ailleurs, certains cherchaient, selon une expression devenue tristement célèbre, [à] « tuer l’Indien au sein de l’enfant ». Aujourd’hui, nous reconnaissons que cette politique d’assimilation était erronée, qu’elle a fait beaucoup de mal et qu’elle n’a aucune place dans notre pays.[76]

[105]      Des Autochtones visés par la rafle des années soixante ont intenté 23 recours collectifs contre le gouvernement du Canada devant des cours supérieures provinciales et la Cour fédérale[77].

[106]      Dans l’une de ces affaires, en 2017, après huit ans de procédures, le gouvernement du Canada est tenu responsable d’avoir manqué à son obligation de common law envers les enfants impliqués dans la rafle des années soixante dans un jugement de la Cour supérieure de l’Ontario disposant de la question commune dans l’affaire Brown v. Canada (Attorney General)[78], dont un extrait est cité ci-haut.

[107]      Dans la foulée de cette affaire, un règlement général est conclu visant les différents recours collectifs. Ce règlement est approuvé par la Cour fédérale dans Riddle c. Canada[79] et par la Cour supérieure de l’Ontario dans Brown v. Canada (Attorney General)[80].

d)    Les différentes commissions d’enquête et leurs recommandations

[108]      On ne compte plus les études, rapports et enquêtes portant sur différents aspects de la situation des Autochtones qui ont dénoncé la discrimination et la prise en charge systématique et abusive dont sont victimes les enfants autochtones et suggéré des pistes de réforme.

[109]      Quatre méritent une attention plus spéciale : la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation, la Commission Viens et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

[110]      Créée le 26 août 1991[81], la Commission royale sur les peuples autochtones reçoit un vaste mandat. Elle doit analyser l'évolution de la relation entre les Autochtones, le gouvernement canadien et l'ensemble de la société canadienne. Elle doit proposer des solutions précises, étayées par l'expérience interne et internationale, aux problèmes qui ont entravé ces relations et avec lesquels les Autochtones sont aux prises aujourd'hui. La Commission doit examiner tous les enjeux qu'elle juge pertinents pour l'un ou l'ensemble des peuples autochtones du Canada[82].

[111]      La Commission présente son rapport en octobre 1996. En ce qui concerne la réparation des torts découlant des pensionnats pour Autochtones, elle recommande une action concertée sur plusieurs fronts, entre autres : (1) la création d'une université autochtone et l’invitation faite au gouvernement fédéral de financer l'établissement et le maintien d'un dépôt national d'archives et d'une bibliothèque autochtone nationale pour l'ensemble des documents relatifs aux pensionnats[83]; (2) l’accès à des méthodes de guérison appropriées pour toute personne qui souffre des séquelles de la violence physique, sexuelle ou affective subie dans les pensionnats[84]; et (3) la nécessité de procéder à d'autres enquêtes pour faire la lumière sur le caractère profondément cruel pour les Autochtones de la politique des pensionnats[85].

[112]      Les recommandations générales de la Commission se basent sur une relation renouvelée, mettant l’accent sur la reconnaissance du fait que les Autochtones sont des peuples et qu’ils disposent du droit à l’autonomie gouvernementale :

LES RECOMMANDATIONS contenues dans notre rapport touchent à peu près tous les aspects de la vie des autochtones. Nous avons tenté de trouver des solutions aux problèmes socio-économiques enracinés dans leurs collectivités, tout en cherchant également à transformer la relation entre les nations autochtones et les gouvernements canadiens. Pris individuellement, les problèmes que nous avons soulevés seraient déjà difficiles à résoudre, mais leur interdépendance vient compliquer encore davantage cette tâche d'une ampleur et d'une complexité considérables. Il sera cependant beaucoup plus facile de mettre nos recommandations en pratique si l'on garde à l'esprit les thèmes essentiels de notre rapport. S'il est un thème qui domine ces recommandations, c'est certainement qu'il faut laisser les autochtones exercer leur autonomie et élaborer leurs propres solutions. Il faut mettre fin au paternalisme débilitant et discriminatoire qui caractérise depuis 150 ans la politique fédérale dans ce domaine. Les autochtones ne pourront pas s'épanouir tant qu'ils seront traités comme des pupilles incapables d'assumer leur propre destin.

Nous préconisons la reconnaissance des nations autochtones au Canada en tant qu'entités politiques grâce auxquelles les autochtones pourront affirmer leur identité particulière dans le cadre de leur citoyenneté canadienne. Les autochtones n'ont pas à renoncer à leur identité pour atteindre ces objectifs. Les Canadiens non autochtones sont fiers eux aussi d'être Terre-Neuviens ou Albertains par exemple, tout en demeurant fortement attachés au Canada.

La reconnaissance du fait que les autochtones sont des peuples, qu'ils forment des collectivités aux caractéristiques propres et qu'ils disposent du droit à l'autonomie gouvernementale, est au cœur de nos recommandations. Les peuples autochtones ont réussi à préserver leur identité dans des conditions difficiles. Ils ont sauvegardé leurs traditions pendant des décennies, alors que les autorités non autochtones essayaient de réglementer chacun des aspects de leur vie. Ils sont en droit de mener leurs affaires sans intrusions de ce genre. Ce droit n'est pas un privilège qui peut leur être conféré par d'autres gouvernements; il est inhérent à leur identité de peuples. Mais il ne peut être effectif que s'il est reconnu par d'autres gouvernements.[86]

[Soulignements ajoutés]

[113]      Issue de la mise en œuvre de la Convention de règlement traitée plus haut et destinée à favoriser la réconciliation, la reconnaissance et le respect mutuel[87], la Commission de vérité et réconciliation a sillonné le Canada pendant six ans et entendu plus de 6 000 témoins, dont la plupart sont des anciens élèves des pensionnats quils ont fréquentés enfants[88].

[114]      Dans son rapport déposé en 2015, les cinq premiers appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation concernent la protection de l’enfance et enjoignent aux gouvernements de « s’engager à réduire le nombre d’enfants autochtones pris en charge »[89] en ayant recours aux moyens suivants : a) le contrôle et l’évaluation des enquêtes sur la négligence; b) l’affectation de ressources suffisantes pour permettre aux collectivités autochtones et aux organismes de protection de l’enfance de garder les familles autochtones ensemble, dans les cas où il est sécuritaire de le faire, et de garder les enfants dans des environnements adaptés à leur culture, quel que soit l’endroit où ils habitent; c) la prise de mesures pour voir à ce que les travailleurs sociaux et les autres intervenants qui mènent des enquêtes liées à la protection de l’enfance soient bien renseignés et formés en ce qui touche l’histoire et les répercussions des pensionnats; d) la prise de mesures pour voir à ce que ces travailleurs et intervenants soient bien renseignés et formés au sujet de la possibilité que les familles et les collectivités autochtones représentent de meilleures solutions en vue de leur guérison; et e) l’établissement d’une exigence selon laquelle tous les décideurs du milieu de la protection de l’enfance doivent tenir compte des répercussions de l’expérience des pensionnats sur les enfants et sur ceux qui leur fournissent des soins[90] et affecter les ressources nécessaires pour favoriser le maintien des liens entre les enfants et leurs communautés et les garder dans un environnement adapté à leur culture.

[115]      La Commission appelle également à la modification de l’environnement législatif qui encadre les services à l’enfance en contexte autochtone :

4)  Nous demandons au gouvernement fédéral de mettre en place des dispositions législatives en matière de protection des enfants autochtones qui établissent des normes nationales en ce qui a trait aux cas de garde et de prise en charge par l’État concernant des enfants autochtones, et qui prévoient des principes qui :

i. confirment le droit des gouvernements autochtones d’établir et de maintenir en place leurs propres organismes de protection de l’enfance;

ii. exigent des organismes de protection de l’enfance et des tribunaux qu’ils tiennent compte dans leurs décisions des séquelles laissées par les pensionnats;

iii. établissent, en tant que priorité de premier plan, une exigence selon laquelle le placement temporaire ou permanent des enfants autochtones le soit dans un milieu adapté à leur culture.[91]

[116]      À la suite de nombreuses allégations d’actes criminels commis par des policiers contre des femmes autochtones, le gouvernement du Québec nomme une observatrice civile indépendante, Me Fannie Lafontaine, afin d’examiner l’intégrité et l’impartialité des enquêtes policières dans ce contexte. Le 16 novembre 2016, celle-ci dépose son premier rapport, lequel fait état de « la nécessité de faire la lumière sur les causes sous-jacentes aux présentes allégations de violence sexuelle et d’abus de pouvoir visant des policiers et sur l’existence potentielle d’un schème de comportements discriminatoires envers les Autochtones […] qui dénote l’existence d’un racisme systémique au sein des forces de l’ordre à l’égard des Autochtones »[92].

[117]      La Commission Viens est créée par un décret pris la même année[93]. Elle s’est vu confier le mandat suivant :

[…] d’enquêter, de constater les faits, de procéder à des analyses afin de faire des recommandations quant aux actions correctives concrètes, efficaces et durables à mettre en place par le gouvernement du Québec et par les autorités autochtones en vue de prévenir ou d’éliminer, quelles qu’en soit l’origine et la cause, toute forme de violence et de pratiques discriminatoires, de traitements différents dans la prestation des services publics suivants aux Autochtones du Québec : les services policiers, les services correctionnels, les services de justice, les services de santé et les services sociaux ainsi que les services de protection de la jeunesse.[94]

[118]      Le rapport de la Commission Viens est déposé le 30 septembre 2019. Dans un chapitre portant sur les constats généraux de l’enquête, l’honorable Jacques Viens explique que les Autochtones sont victimes de discrimination systémique :

Au terme de l’exercice, il me semble impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les membres des Premières Nations et les Inuit dans leurs relations avec les services publics ayant fait l’objet de l’enquête.

Si les problèmes ne sont pas toujours érigés en système, une certitude se dégage en effet des travaux de la Commission : les structures et les processus en place font montre d’une absence de sensibilité évidente aux réalités sociales, géographiques et culturelles de peuples autochtones. Résultat : en dépit de certains efforts d’adaptation et d’une volonté manifeste de favoriser l’égalité des chances, de nombreuses lois, politiques, normes ou pratiques institutionnelles en place sont source de discrimination et d’iniquité au point d’entacher sérieusement la qualité des services offerts aux Premières Nations et aux Inuit. Dans certains cas, ce manque de sensibilité se solde même par l’absence pure et simple de service, laissant des populations entières face à elles-mêmes et sans possibilité d’agir pour remédier à la situation. Plus encore que leurs droits, c’est la dignité de milliers de gens qui est ainsi spoliée, parce qu’ils sont maintenus dans des conditions de vie déplorables, en marge de leurs propres référents culturels. Dans une société développée comme la nôtre, ce constat est tout simplement inacceptable.[95]

[Soulignements ajoutés]

[119]      Un pan de l’enquête de la Commission Viens porte sur les services de protection de la jeunesse. Elle note que ce sont ces services qui ont mené au plus grand nombre de témoignages en audience et de déclarations de la part des membres des Premières Nations et des Inuit. Elle constate que le système actuel de protection de la jeunesse est imposé de l’extérieur aux peuples autochtones et ne tient pas compte de leurs conceptions de la famille ni de leurs cultures. En confiant des enfants autochtones à des familles allochtones, le système perpétue, du point de vue de plusieurs intervenants, les effets délétères des pensionnats[96].

[120]      La Commission Viens propose plusieurs appels à l’action. Parmi ceux de type plus général, elle recommande, dans son appel à l’action no 3, de :

Procéder, en collaboration avec les autorités autochtones, à l’élaboration et à l’adoption d’une loi garantissant la prise en compte des dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le corpus législatif relevant de ses compétences.[97]

[121]      Elle fait, en outre, 30 appels à l’action (no 108 à no 137) concernant les services de protection de la jeunesse pour que ceux-ci soient adaptés aux réalités autochtones et qu’ils soient financés adéquatement[98].

[122]      En 2016, à la suite des demandes répétées de différents groupes, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est lancée par le gouvernement fédéral afin de mettre en lumière les causes fondamentales de la violence perpétrée de nos jours contre les femmes et les filles autochtones. Elle constitue aussi une réponse à l’appel à l’action no 41 de la Commission de vérité et réconciliation.

[123]      De septembre 2016 à décembre 2018, les commissaires en charge de cette enquête mènent « une étude et une analyse approfondies sur la question des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, y compris des personnes de la diversité sexuelle et bispirituelles autochtones, en recueillant de l’information dans le cadre d’audiences communautaires et institutionnelles et en faisant appel aux recherches passées et actuelles et à l’analyse médico-légale des dossiers de la police »[99]. Ils rassemblent également les témoignages de plus « de 1 400 témoins, notamment des personnes survivantes de la violence, des familles de victimes, des expertes et experts en la matière ainsi que des gardiennes et des gardiens du savoir »[100].

[124]      Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est présenté aux familles, aux personnes survivantes, aux leaders autochtones, ainsi qu’aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux le 3 juin 2019.

[125]      Il contient un chapitre décrivant les mesures destinées à mettre un terme à la violence et à redresser la situation par des appels à la justice qui ciblent notamment les gouvernements. La section sur les « appels visant les travailleurs sociaux et les intervenants en protection de l’enfance » comporte de nombreuses recommandations. Il convient de reproduire certaines d’entre elles :

12.1 Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de reconnaître l’autodétermination des peuples autochtones et leur compétence inhérente en matière de protection de l’enfance. Les gouvernements et les dirigeants autochtones ont l’obligation expresse d’exercer leur compétence dans ce domaine. Il incombe également aux gouvernements autochtones d’intervenir auprès des personnes touchées par le système de protection de l’enfance, de défendre leurs intérêts et de leur venir en aide, même s’ils n’ont pas compétence pour offrir des services par l’intermédiaire d’organismes autochtones.

12.2 Nous demandons à tous les gouvernements, y compris les gouvernements autochtones, de transformer fondamentalement les systèmes actuels de protection de l’enfance de manière à ce que les communautés autochtones exercent un contrôle sur la conception et la prestation des services offerts aux familles et aux enfants. Ces services doivent être assortis de suffisamment de fonds et de ressources pour aider davantage les familles et les communautés à garder les enfants dans leur foyer familial.

12.3 Nous demandons à tous les gouvernements et à toutes les organisations autochtones de formuler et d’appliquer une définition de l’expression « intérêt supérieur de l’enfant » en s‘appuyant sur les perspectives, les visions du monde, les priorités et les besoins distincts des Autochtones, y compris les enfants et les jeunes. Tous les organismes de services à l’enfance et à la famille doivent avoir comme principal objectif de protéger et faire respecter les droits des enfants en assurant la santé et le bien-être de ces derniers, de leur famille et de leur communauté, ainsi que l’unité et la réunification familiale.

12.4 Nous demandons à tous les gouvernements d’interdire la prise en charge d’enfants fondée sur la pauvreté et les préjugés culturels. Tous les gouvernements doivent régler les problèmes de pauvreté, de logements inadéquats et insalubres, et de manque de soutien financier pour les familles, et accroître la sécurité alimentaire afin que les familles autochtones puissent réussir.[101]

[Soulignements ajoutés]

e)     La surreprésentation des enfants autochtones dans les régimes de protection de la jeunesse et le placement hors famille

[126]      On le constate, la surreprésentation des enfants autochtones au sein des services de protection de la jeunesse s’inscrit dans une triste continuité historique. Malgré les nombreux signaux d’alerte lancés au fil des décennies[102] et les initiatives visant à enrayer le problème[103], cette problématique demeure toujours d’actualité dans l’ensemble du Canada. Cette réalité est incontestable, tous et toutes, y compris les parties en l’espèce, en conviennent.

[127]      Comme discuté plus haut, la Commission de vérité et réconciliation consacre un important pan de son rapport aux systèmes de protection de l’enfance canadiens. Son bilan quant à la surreprésentation est percutant :

La fin du système des pensionnats n’a pas mis un terme à la séparation forcée des enfants autochtones de leurs familles, puisque les services de protection de l’enfance ont pris la relève des pensionnats. De nos jours, le nombre d’enfants autochtones retirés de leurs familles est supérieur à celui du plus grand nombre de pensionnaires jamais enregistré durant une année donnée. À l’issue d’une enquête sur le décès d’une fille autochtone au Manitoba, l’honorable Ted Hughes a conclu que la surreprésentation des enfants autochtones pris en charge au Canada est insensée et une honte nationale.[104]

[128]      Réitérant des constats connus depuis déjà trop longtemps, elle appelle à l’action en préconisant une approche renouvelée qui repose sur l’autonomie gouvernementale, une réponse générique, le respect de la culture et de la langue, les interventions structurelles, ainsi que la non-discrimination :

On ne peut faire disparaître les séquelles du passé colonial du Canada, y compris du système des pensionnats, par un simple acte de volonté. Il faut veiller à ce que les parents, familles et collectivités autochtones disposent des ressources nécessaires pour surmonter le traumatisme dû au traitement subi dans les pensionnats et dans la société tout entière. Les démêlés entre les institutions canadiennes de protection de l’enfance et les peuples autochtones donnent à penser qu’on n’a pas encore tiré les leçons des pensionnats. Une approche renouvelée de la protection de l’enfance qui repose sur les principes de Pierres de touche – autonomie gouvernementale, réponse holistique, respect de la culture et de la langue, interventions structurelles, non-discrimination – peut se révéler le point de départ d’un renversement des séquelles des pensionnats sur les enfants autochtones et mener ainsi à la réconciliation.

Découvrir et prioriser les mesures de nature à remédier à la crise actuelle (et grandissante) de la surreprésentation des Autochtones dans le système canadien de protection de l’enfance permettra de juger de la volonté politique et du courage des parties à la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, et en fin de compte de tous les Canadiens.[105]

[129]      En 2019, lEnquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées aborde également de front, dans son propre rapport, la surreprésentation des enfants autochtones dans les services de protection de l’enfance :

[…] Comme l’ont souligné plusieurs témoins, la prise en charge généralisée des enfants, à une telle ampleur, représente la forme de violence la plus brutale à l’égard d’une mère, en plus de la violence qu’elle représente pour l’enfant. Un système aussi défaillant qui expose les enfants autochtones à un risque accru de violence, à l’heure actuelle et à l’avenir, n’exige rien de moins qu’un changement total de paradigme.[106]

[Renvoi omis]

[130]      Au Québec, la même problématique de surreprésentation est également bien ancrée[107], et ce, malgré les modifications apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse[108] et les diverses ententes conclues entre le gouvernement et des communautés autochtones[109]. Cet état de fait documenté a été rappelé sans ambages par la Commission Viens :

Si les voix entendues sont multiples, toutes convergent cependant vers les mêmes constats : le système actuel de protection de la jeunesse est imposé de l’extérieur aux peuples autochtones et ne tient pas compte de leurs conceptions de la famille ni de leurs cultures. Plus grave encore, en faisant en sorte de retirer chaque année un nombre important d’enfants de leurs familles et de leurs communautés pour les confier à des familles d’accueil allochtones, le système de protection de la jeunesse perpétue – du point de vue de plusieurs – les effets délétères de la politique des pensionnats. C’est dire à quel point la question est sensible et les défis majeurs.[110]

[131]      Selon l’honorable Jacques Viens, « il ne fait aucun doute que les limites du système de protection de la jeunesse en contexte autochtone sont atteintes »[111]. En effet, les ententes visées par les art. 37.6 et 37.7 de la Loi sur la protection de la jeunesse ne permettent pas l’exercice d’une véritable autonomie, et une seule nation est parvenue à conclure une entente prévue à l’art. 37.5, après des négociations de près de 20 ans[112].

[132]      Plus récemment encore, le rapport de la Commission Laurent réitérait un constat de même nature :

Une conséquence importante découlant de l’application de la LPJ, sans adaptation aux réalités autochtones, est la surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de la jeunesse.

[…]

Plusieurs témoignages ont mis en lumière que l’application actuelle de la LPJ engendre des effets négatifs, voire discriminatoires, auprès des familles autochtones et, conséquemment, une surreprésentation de ces enfants dans le système de protection de la jeunesse.[113]

[Renvois omis]

[133]      Cette prise en charge abusive des enfants autochtones au Québec et dans l’ensemble du Canada par les autorités étatiques a des effets dévastateurs sur ces enfants et leurs communautés, tout comme le fait que les services offerts ne tiennent pas compte de leurs cultures[114]. Les causes de cette surreprésentation sont multiples, mais interreliées.

[134]      D’emblée, les interventions étatiques à visées colonialiste et assimilatrice depuis plus d’un siècle, tout particulièrement en matière de services à l’enfance et à la famille, ont causé d’importants torts aux peuples autochtones, qui doivent encore aujourd’hui composer avec les conséquences du traumatisme intergénérationnel en découlant[115]. Ces politiques sont également une cause importante des inégalités sociales auxquelles font face plusieurs communautés autochtones. Ces inégalités sont ellesmêmes un facteur déterminant dans la crise de surreprésentation des enfants autochtones au sein des systèmes de protection de la jeunesse, puisque plusieurs d’entre eux sont pris en charge pour des motifs de « négligence »[116], une catégorie « fourretout »[117] qui justifie trop souvent des mesures d’intervention par les conditions socioéconomiques des familles autochtones, et ce, sans tenir compte des préjudices qu’elles ont historiquement subis.

[135]      Une autre des causes de la surreprésentation est l’inadéquation entre les principes qui sous-tendent les systèmes de protection de la jeunesse et les valeurs culturelles autochtones, ainsi que leur conception de la famille[118]. Le manque de services culturellement adaptés constitue donc également l’un des facteurs en cause, tout comme les biais culturels des intervenants[119].

[136]      Au surplus, on ne peut non plus faire le portrait de la situation actuelle sans mentionner les importants problèmes de financement auxquels font face les différents organismes responsables des services à l’enfance et à la famille autochtones. Compte tenu des besoins particuliers des enfants autochtones, les fonds fournis par le gouvernement fédéral qui sont consacrés à la fourniture de ces services sont tout simplement insuffisants[120]. Ce financement inadéquat, constaté en 2016 par le TCDP, comme nous le verrons ci-après, contribue également à l’actuelle problématique de surreprésentation[121].

f)       Le financement des services à l’enfance et à la famille autochtones

[137]      Si l’on s’en remet à la déclaration sous serment de Mme Nathalie Nepton, directrice générale à la division des enfants et de la famille de Services aux Autochtones Canada, les services aux enfants et aux familles autochtones sont dispensés et financés de l’une ou l’autre des trois manières suivantes.

[138]      D’abord, pour les enfants et familles autochtones résidant ordinairement sur une réserve, les services sont principalement fournis par des organismes SEFPN, dont les coûts d’opération ne sont assumés que par le gouvernement fédéral[122]. Ces organismes agissent auprès d’environ 500 communautés conformément à des délégations que consentent en leur faveur les provinces et le Yukon[123]. La gamme des services que permettent d’offrir ces délégations varie selon la province ou le territoire concerné[124]. Ceux que finance le gouvernement fédéral sont décrits dans les modalités du programme SEFPN[125]. Il s’agit des coûts liés à la « prise en charge et [l]’entretien », à la planification et au fonctionnement, aux besoins administratifs, aux services juridiques, à l’achat, à l’entretien et la rénovation d’infrastructures, ainsi qu’aux initiatives de bien-être communautaire et en matière de compétence[126].

[139]      Les services aux quelque 170 communautés qui ne sont pas desservies par un organisme SEFPN sont fournis par les organismes qui sont chargés de cette tâche pour l’ensemble de la population en vertu des lois provinciales ou territoriales applicables[127]. Le gouvernement fédéral a conclu un accord avec chaque province et avec le Yukon prévoyant qu’il assume la majeure partie des coûts découlant de la prestation de ces services aux enfants et familles autochtones[128].

[140]      Ce sont également les organismes provinciaux et du Yukon qui fournissent les services à l’enfance et à la famille aux Autochtones hors des réserves[129]. Dans ces cas, le coût des services est majoritairement assumé par le gouvernement fédéral, mais par l’entremise des transferts en santé dont bénéficient les gouvernements provinciaux[130].

[141]      Le procureur général du Québec illustre la manière dont ces divers mécanismes se déploient dans la province. Ainsi, il signale que la plupart des communautés ont conclu des ententes avec la Direction de la protection de la jeunesse qui leur permettent de fournir certains services par l’entremise d’organismes SEFPN[131]. Il confirme que le financement de ces services, comme l’explique Mme Nepton, relève du gouvernement fédéral[132], mais ajoute que les agences provinciales facturent les conseils de bande pour le coût des services que n’assument pas les organismes SEFPN[133]. Quatre[134] communautés, toutefois, n’ont pas d’organisme SEFPN, de sorte que ce sont les agences provinciales qui sont chargées de leur fournir des services à l’enfance et à la famille, dont les coûts sont directement réclamés au gouvernement fédéral[135]. Le procureur général du Québec confirme également que les services dispensés aux Autochtones résidant hors des réserves sont les mêmes que ceux qui sont offerts au reste des citoyens de la province et que le gouvernement fédéral y contribue par l’entremise des transferts en santé[136].

[142]      Le procureur général du Québec ajoute également que les modalités de la fourniture et du financement des services varient dans le cas des Cris, des Naskapis et des Inuit, puisque ces trois peuples sont parties à des traités modernes. En effet, contrairement à la pratique qui s’est autrement imposée, c’est le gouvernement provincial qui paie pour la plupart des services qui leur sont fournis, lesquels sont dispensés soit par des agences provinciales (dans le cas des Inuit et des Naskapis) ou par le Conseil Cri de la santé et des services sociaux de la Baie James[137].

[143]      Ce portrait brossé par les deux procureurs généraux est imprécis à certains égards. Ainsi, le dossier, tel que constitué, ne permet pas de savoir selon quelle formule les coûts qui sont afférents au programme SEFPN sont assumés par le gouvernement fédéral. Mme Nepton, en effet, affirme sans plus de détails que les fonds sont versés aux organismes SEFPN afin de leur rembourser les coûts réels qu’ils encourent en « maintenance, prevention and in other areas »[138], et la lecture des modalités du programme SEFPN[139] n’est pas beaucoup plus éclairante. Les termes parfois vagues ou génériques qu’emploient ces modalités afin de décrire les services qu’elles visent ne sont pas non plus de nature à en donner une idée concrète. De même, dans le cas du Québec, la preuve ne précise pas les modalités des accords aux termes desquels le gouvernement fédéral rembourse les services dispensés par les agences québécoises aux « Indiens » vivant dans des réserves (y compris lorsqu’un organisme SEFPN fournit certains de ces services[140]) ni celles des transferts de fonds visant à assurer la fourniture de services hors réserve. Au surplus, le dossier contient peu d’informations concrètes sur la manière dont sont fournis et financés les services à l’enfance et aux familles pour les Métis et les Indiens non inscrits.

[144]      Afin de bien situer le contexte dans lequel la Loi a été adoptée, toutefois, il n’est pas nécessaire de comprendre les modalités de financement des services fournis aux enfants et familles autochtones dans le menu détail. Nous pouvons nous limiter à retenir que les services sont majoritairement fournis par les organismes SEFPN et les agences constituées par les lois provinciales et territoriales en matière de protection de la jeunesse, alors que le gouvernement fédéral, de son côté, finance la plus grande part de ces services.

[145]      Or, à cet égard, comme l’a constaté le TCDP, le gouvernement fédéral a mis en place un système discriminatoire et chroniquement insuffisant[141] :

[393]  Dans l’ensemble, la méthode appliquée par AADNC[142] pour procurer des fonds destinés à assurer la sécurité et le bien-être des enfants des Premières Nations vivant dans les réserves et au Yukon par le biais de services adaptés à la culture des enfants des Premières Nations, conformes aux lois et aux normes des provinces et des territoires et fournis d’une manière raisonnablement comparable à ceux qui sont fournis hors des réserves dans une situation analogue, est loin d’atteindre l’objectif visé. En fait, la preuve démontre que bon nombre des enfants et des familles des Premières Nations vivant dans les réserves et au Yukon sont défavorisés et même, privés de services à l’enfance et à la famille adéquats, par la manière dont AADNC applique le Programme des SEFPN, les modèles de financement et les autres ententes provinciales/territoriales connexes. […][143]

g)    Les jugements et les ordonnances du TCDP portant sur les services aux enfants et familles autochtones

[146]      En février 2007, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et l’Assemblée des Premières Nations déposent une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne alléguant que le ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (« ministère ») agit de manière discriminatoire dans la fourniture des services aux membres des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon[144]. La Commission canadienne des droits de la personne a renvoyé la plainte au TCDP pour instruction.

[147]      Le 26 janvier 2016, après plusieurs années de procédures et 72 jours d’audition, le TCDP rend la décision Société de soutien. Il y examine la gestion du programme SEFPN et le modèle de financement, ainsi que celui d’ententes en matière de services à l’enfance.

[148]      Le TCDP conclut d’abord que le ministère fournit des services à l’enfance et à la famille aux Premières Nations dans les réserves et au Yukon, et ce, même s’il ne dispense pas lui-même de tels services. Il conclut aussi que les Premières Nations ont établi l’existence d’une discrimination illicite fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique au sens du par. 3(1) et de l’art. 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et sont défavorisées à l’occasion de la fourniture de ces services (en contravention à l’al. 5b)) et, dans certains cas, qu’elles en sont privées (en contravention à l’al. 5a))[145].

[149]      Le TCDP retient que le ministère procure un avantage ou une aide par un financement destiné à « assurer », à « procurer » et à « soutenir » les services à l’enfance aux Premières Nations visées, ou visant à les « mettre à leur disposition », et ce, par le financement du programme SEFPN, conformément aux normes de la province ou du territoire où ils sont dispensés. Le TCDP explique que l’aide ou l’avantage est offert à titre de service et mis à la disposition des Premières Nations dans le cadre d’une relation de caractère public[146]. Le ministère, comme les organismes SEFPN ainsi que les provinces et les territoires, a la responsabilité du bien-être des enfants des Premières Nations[147]. Il existe donc une « relation de caractère public » entre le ministère et les enfants et familles visés. Par les programmes, les modèles de financement et les ententes qu’il orchestre, le ministère exerce une influence directe sur les services offerts[148]. Le TCDP considère également que les obligations constitutionnelles du gouvernement ainsi que sa relation spéciale avec les peuples autochtones renforcent cette « relation publique »[149], et ce, même s’il a choisi de laisser la fourniture des services de protection de l’enfance aux provinces[150].

[150]      Ces obligations constitutionnelles doivent être considérées en fonction du rapport fiduciaire spécial qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones[151]. Le TCDP est d’avis qu’une obligation fiduciaire peut découler d’un engagement lorsque certaines conditions sont satisfaites[152], bien qu’il ne soit pas nécessaire de se prononcer en ce sens dans le dossier de plainte dont il est saisi. Il suffit de constater qu’en l’espèce, la Couronne s’est engagée, par le programme SEFPN, les déclarations publiques et les ententes connexes, à agir dans le meilleur intérêt des enfants et des familles des Premières Nations « pour garantir qu’on leur fournisse des services de protection de l’enfance adéquats et adaptés à leur culture dans les réserves et au Yukon »[153].

[151]      Le TCDP se penche ensuite sur l’argument selon lequel le ministère défavorise les Premières Nations dans le cadre des services offerts, ou les prive de ceux-ci.

[152]      Après une revue de la preuve, dont plusieurs rapports sur le programme SEFPN et son financement, il note que « tous [ont] relevé des lacunes dans le financement et la structure du Programme des SEFPN »[154]. Abordant la pertinence et la fiabilité des pièces, le TCDP conclut que « de nombreuses sources fiables ont constaté les effets néfastes des modèles et de la structure de financement du Programme des SEFPN »[155] au fil des ans.

[153]      Le TCDP accepte les conclusions des divers rapports en preuve et les renseignements qu’ils contiennent[156]. Il observe que l’approche de financement, fondée uniquement sur des seuils de population hypothétiques[157], ne tient pas compte des besoins réels de chaque communauté qui varient en fonction de sa situation géographique et sociale et s’avère insuffisante pour fournir des services à l’enfance et à la famille essentiels pour plusieurs Premières Nations :

[311]  […] Les budgets en question sont établis d’après des modèles qui, nous le répétons, ne tiennent pas compte des besoins réels des organismes de SEFPN. Ce sont des modèles figés. Autrement dit, au fil du temps, les modèles deviennent de plus en plus déconnectés des besoins réels des organismes de SEFPN et des enfants et des familles qu’ils desservent. Plus précisément, ils ne comportent pas de clauses d’indexation pour tenir compte des augmentations constantes des coûts et notamment du coût des salaires qui drainent la plus grande partie du financement. […]

[315]  Les conséquences des seuils de population prévus par la Directive 20-1, ainsi que des autres hypothèses retenues dans la Directive 20-1 et dans l’AAAP, révèlent qu’une approche unique ne convient pas pour les services à l’enfance et à la famille dans les réserves. La preuve en l’espèce démontre très clairement que, parce qu’AADNC ne finance pas les organismes de SEFPN en fonction de leurs besoins réels, mais plutôt sur la base de besoins et de seuils de population hypothétiques, ce financement est insuffisant pour fournir des services essentiels à l’enfance et à la famille dans bon nombre de Premières Nations. […][158]

[Soulignement ajouté]

[154]      Le TCDP aborde la question de l’intérêt de l’enfant ainsi que le Principe de Jordan, dont il sera question plus loin dans le présent avis, et analyse les éléments de preuve de comparaison entre les services à l’enfance dans les réserves et hors réserve[159]. Il relève que les modèles de financement en place « sont structurés de telle sorte qu’ils défavorisent les enfants et les familles des Premières Nations, plus précisément en incitant au placement des enfants hors de leur famille »[160], alors que certains sont même privés de services à l’enfance adéquats[161].

[155]      Le TCDP écrit que « les effets préjudiciables découlant du Programme des SEFPN, des modèles de financement correspondants et des autres ententes provinciales/territoriales connexes perpétuent les désavantages historiquement subis par les Premières Nations »[162]. Ceux-ci, en effet, « perpétuent les dommages causés par les pensionnats indiens plutôt que de tenter d’y remédier »[163].

[156]      Le TCDP est d’avis que « [c]’est uniquement en raison de leur race, ou de leur origine nationale ou ethnique, qu’ils [les membres des Premières Nations vivant dans des réserves et au Yukon] subissent les effets préjudiciables […] énumérés, à l’occasion de la prestation de services à l’enfance et à la famille »[164].

[157]      Le TCDP conclut donc que la plainte dont il est saisi est fondée, soit que les enfants et les familles des Premières Nations vivant dans les réserves et au Yukon sont victimes de discrimination lors de la fourniture des services à l’enfance et à la famille. Le TCDP appelle, entre autres, à une réforme du programme SEFPN[165] et rend une série d’ordonnances visant à « supprimer la discrimination »[166], notamment en modifiant le programme SEFPN conformément à ses conclusions, en cessant d’appliquer une définition étroite du Principe de Jordan et en prenant des mesures afin que celui-ci ait sa pleine portée[167]. De plus, le TCDP conserve sa compétence, plus particulièrement en ce qui concerne les mesures de réparation ainsi que pour l’indemnité réclamée, qui seront précisées dans des décisions ultérieures[168].

[158]      La décision Société de soutien a été acceptée par le gouvernement fédéral. Il ne l’a pas contestée et s’est engagé dans un processus devant mener à des réformes ainsi qu’à une augmentation substantielle du financement.

[159]      Dans l’exercice de sa compétence, le TCDP a rendu d’autres ordonnances. Celles-ci portent plus particulièrement sur les demandes de réformes immédiates au programme SEFPN, à l'Entente de 1965 de l’Ontario et au Principe de Jordan[169], sur les autres réformes à moyen et à long terme[170], et finalement sur les demandes d’indemnisation pour préjudice moral (al. 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne) et pour discrimination délibérée ou inconsidérée (par. 53(3)). Le TCDP s’est également prononcé à propos de la mise en œuvre des ordonnances rendues et sur des requêtes alléguant la nonconformité ou le non-respect de celles-ci par le Canada[171].

[160]      Il convient de résumer certaines de ces ordonnances.

[161]      Plus particulièrement, en septembre 2019, le TCDP a rendu sa décision portant sur l’indemnisation des victimes et des survivants des pratiques discriminatoires du Canada[172]. Il conclut que les indemnités maximales demandées doivent être accordées, pour un total de 40 000 $ en réparations individuelles[173], considérant que « la présente affaire de discrimination raciale constitue l’un des pires scénarios possibles [...] »[174]. Le TCDP observe en effet que les enfants visés ont subi un préjudice moral justifiant l’octroi de l’indemnité maximale de 20 000 $ en vertu de l’al. 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne[175].

[162]      En ce qui concerne plus particulièrement la réparation demandée pour discrimination délibérée ou inconsidérée en vertu du par. 53(3), le TCDP conclut à une conduite répréhensible du Canada :

[231]  La formation estime que le Canada a fait preuve d’un comportement dénué de prudence et d’un mépris des conséquences de ce comportement envers les enfants des Premières Nations et leurs familles, tant en ce qui concerne le programme de protection de l’enfance que l’application du principe de Jordan. Le Canada était conscient de la discrimination et de certaines de ses graves conséquences sur les enfants des Premières Nations et leurs familles. Le Canada a été mis au courant par l’EPN en 2000, et encore plus en 2005, par sa participation au rapport Wen : de et à sa connaissance de celui-ci. Le Canada n’a pris les mesures suffisantes pour remédier à la discrimination qu’après que le Tribunal a rendu ses ordonnances. Comme la formation l’a déjà constaté dans des décisions antérieures, le Canada s’est concentré sur des considérations financières plutôt que sur l’intérêt supérieur des enfants des Premières Nations et le respect de leurs droits de la personne.

[232]  Lorsqu’on examine la question de la discrimination délibérée ou inconsidérée, le contexte de la demande est important. En l’espèce, nous avons affaire à des violations des droits de la personne d’enfants vulnérables des Premières Nations ayant été commises de façon répétée et pendant une très longue période de temps par le Canada, qui a des obligations internationales, constitutionnelles et en matière de droits de la personne, envers les enfants et les familles des Premières Nations. De plus, la Couronne a l’obligation d’agir honorablement dans tous ses rapports avec les peuples autochtones […]

[233]  Compte tenu des obligations susmentionnées du Canada, le fait que la discrimination raciale systémique ait des répercussions négatives sur les enfants et leur cause des torts, le préjudice moral est un facteur aggravant qu’il ne faut pas négliger.[176]

[Soulignement dans l’original; caractères gras ajoutés]

[163]      Le TCDP conclut que la réparation maximale permise par le par. 53(3) doit être accordée[177], soit une indemnité de 20 000 $ à chaque enfant, parent ou grand-parent d’une Première Nation visé par les ordonnances en vertu de l’al. 53(2)e)[178], pour une indemnité totale de 40 000 $.

[164]      Le 4 octobre 2019, le procureur général du Canada a déposé à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de cette dernière décision du TCDP[179]. Le 29 septembre 2021, la Cour fédérale a rejeté cette demande[180].

h)    Les conflits de compétence à l’égard des services à l’enfance et à la famille et leurs impacts sur les individus et les peuples autochtones

[165]      Le partage des compétences entre les deux ordres de gouvernement quant aux questions touchant les Autochtones donne lieu à des conflits, notamment lorsqu’il s’agit du financement des services à l’enfance et à la famille. Or, comme nous le verrons, dans un domaine où les deux ordres de gouvernement peuvent légiférer, la responsabilité du financement de tels programmes devient cruciale. Chaque gouvernement est susceptible de chercher à rejeter sur l’autre la responsabilité du coût des services.

[166]      Les provinces ont historiquement exigé une compensation financière du gouvernement fédéral pour les services à l’enfance et à la famille qu’elles dispensent aux Autochtones. Or, il appert que, dans les situations où une telle compensation n’est pas offerte pour certains services ou lorsque la compensation reçue n’est pas suffisante, les services ne sont pas donnés ou alors ils ne sont pas nécessairement comparables à ceux offerts aux enfants et aux familles vivant à l’extérieur des réserves[181]. Dans la recension des écrits soumise par les auteures Guay et Ellington devant la Commission Viens, les auteures donnent des exemples de difficultés qui ressortent de l’expérience québécoise :

Ces conflits de compétence peuvent prendre de nombreuses formes. Par exemple, les enveloppes budgétaires fédérales destinées aux communautés non conventionnées ne tiennent pas compte des changements législatifs apportés par la province, alors que ces nouvelles lois et normes s’appliquent au sein des communautés autochtones. Cela fait en sorte que le programme des SEFPN « ne contient toujours aucun mécanisme garantissant que les services offerts aux enfants et aux familles […] sont raisonnablement comparables à ceux offerts aux enfants et aux familles vivant à l’extérieur des réserves, dans des circonstances semblables » (TCDP, 2016, par. 334). De plus, les mécanismes différents de reddition de compte des gouvernements provincial et fédéral et le manque d’arrimage sollicitent plusieurs ressources humaines et occasionne une surcharge de travail pour soumettre les rapports, ce qui fait entrave à l’offre de services (Awashish et al., 2017). Un conflit de compétence perdure également en ce qui concerne les enfants placés en centre de réadaptation ou au sein d’une famille d’accueil gérés par un CISSS. Selon le gouvernement fédéral, le tarif journalier facturé par la province pour un placement en centre de réadaptation comprend le transport de l’enfant entre sa communauté et les services en protection de la jeunesse, alors que la province prétend le contraire. Le transport des parents pour des visites à leur enfant n’est également pas couvert. Ces enjeux s’accentuent lorsque l’enfant est placé à plusieurs dizaines de kilomètres de sa communauté d’origine, ce qui peut créer une situation d’iniquité étant donné que le parent ne peut assumer ses responsabilités parentales et une participation active au processus d’intervention même s’il le désire. Cette situation complexifie le maintien des liens de l’enfant avec ses parents et sa communauté, des droits que les Chefs des Premières Nations ont enchâssés dans la DDEPN (2015, art. 3 et 4). D’autant plus qu’il n’est pas rare que des mères soient jugées incompétentes pour ne pas avoir démontré d’empressement à visiter leur enfant (FAQ, 2016b). En somme, cette confusion juridique quant aux frais de transport pénalise les démarches du parent dans le rétablissement de sa situation et la préservation de son lien avec son enfant (Awashish et al., 2017).[182]

[167]      Le Principe de Jordan a été développé pour atténuer les conséquences néfastes de ces conflits de compétence sur les enfants autochtones. Le nom Jordan a été donné pour rappeler l’histoire de Jordan River Anderson de la nation Norway House Cree Nation au Manitoba. Jordan naît en 1999. Il est hospitalisé durant les deux premières années de sa vie en raison d’un grave problème de santé et à cause du manque de services dans sa réserve. À l’âge de deux ans, les médecins de Jordan lui permettent de quitter l’hôpital et prescrivent, à titre de mesure de transition avant qu’il retourne dans sa famille, de vivre dans une maison d’accueil où il recevra des soins spécialisés près de son établissement de santé. S’il n’avait pas été un enfant autochtone, il aurait eu droit à ce service médical. Or, les gouvernements du Canada et du Manitoba n’ont pas réussi à s’entendre de sorte qu’au lieu de recevoir les services requis par son état, Jordan est demeuré à l’hôpital pendant plus de deux ans où il est tragiquement décédé, après y avoir passé toute sa vie[183].

[168]      Le Principe de Jordan priorise l’intérêt de l’enfant. Il prévoit que, lorsqu’un service gouvernemental est offert à tous les enfants allochtones et qu’un conflit de compétence surgit entre le gouvernement du Canada et d’une province ou d’un territoire, ou entre des ministères du même gouvernement, au sujet de services offerts à un enfant autochtone, l’instance contactée en premier doit payer pour les services. Elle peut demander ensuite un remboursement à l’autre entité[184].

[169]      Le Principe de Jordan signifie essentiellement que, lorsqu’il survient un conflit de compétence entre deux ordres de gouvernement au sujet de la responsabilité financière pour un service auquel a droit l’enfant autochtone, le service doit d’abord être offert. Le conflit de compétence doit être réglé par la suite[185].

[170]      Le 31 octobre 2007, Mme Jean Crowder, députée de Nanaimo-Cowichan, présente à la Chambre des communes une motion pour faire adopter le Principe de Jordan :

Que, de l’avis de la Chambre, le gouvernement devrait immédiatement adopter le principe de l’enfant d’abord, d’après le principe de Jordan, afin de résoudre les conflits de compétence en matière de services aux enfants des Premières nations.[186]

[171]      Cette motion a été adoptée à l’unanimité le 12 décembre 2007[187].

[172]      Dans sa décision historique Société de soutien rendue en 2016, évoquée ci-haut, le TCDP critique l’application restrictive que fait le gouvernement du Canada du Principe de Jordan dans la prestation de services visant la santé, la sécurité et le bien-être des enfants et des familles autochtones et conclut :

[381]  Le Tribunal est d’avis que c’est en raison de l’interprétation étroite que Santé Canada et AADNC font du principe de Jordan qu’il n’y a aucun cas qui réponde aux critères de ce principe. Cette interprétation méconnait l’ampleur des problèmes de compétence susceptibles de se manifester lors de la prestation de bon nombre de services fédéraux visant à assurer la santé, la sécurité et le bienêtre des enfants et des familles des Premières Nations. Cette approche va à l’encontre du principe de Jordan et se traduit par des interruptions, des délais et des refus de services pour les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves. Une coordination entre l’ensemble des ministères et des programmes fédéraux, surtout AADNC et les programmes de Santé Canada, contribuerait à éviter ces failles dans les services offerts aux enfants des Premières Nations dans le besoin.

[382]  Mais surtout, le principe de Jordan est censé s’appliquer à l’ensemble des enfants des Premières Nations. Il y a beaucoup d’autres enfants des Premières Nations qui ne sont pas polyhandicapés mais qui ont besoin de services, notamment de services à l’enfance et à la famille. La nécessité de prendre un enfant en charge pour lui permettre d’accéder à ces services alors que les mêmes services sont accessibles à l’ensemble des autres enfants canadiens est l’une des principales raisons pour lesquelles la présente plainte a été déposée.

[…]

[391]  De plus, dans les secteurs où le Programme des SEFPN est complété par d’autres programmes fédéraux visant à répondre aux besoins des enfants et des familles vivant dans les réserves, on constate un manque de coordination entre les différents programmes. Selon la preuve, les ministères du gouvernement fédéral travaillent souvent en vase clos. Cette situation entraîne des interruptions, des retards ou des refus de service et, de façon générale, défavorise les enfants et les familles des Premières Nations vivant dans les réserves. Le principe de Jordan était censé répondre à ce problème. Toutefois, l’interprétation étroite qu’en font AADNC et Santé Canada méconnaît un grand nombre de différends qui peuvent surgir et qui devraient être réglés en appliquant ce principe.[188]

i)       La formation d’un groupe de travail pour rédiger un projet de loi

[173]      C’est dans ce contexte que, trois ans après l’appel à l’action reproduit au par. [115] du présent avis et deux ans après la décision rendue en 2016 par le TCDP dans l’affaire précitée Société de soutien concluant au caractère discriminatoire des modalités de financement du programme SEFPN, la ministre des Services aux Autochtones a convoqué une rencontre d’urgence en janvier 2018[189]. Celle-ci a notamment réuni des représentants provinciaux, territoriaux, des Métis, des Inuit et des membres des Premières Nations pour discuter de la question de la surreprésentation des enfants autochtones dans les systèmes de protection de l’enfance dans le but d’élaborer des solutions aux problèmes affligeant les relations entre les Autochtones et les organismes de protection à l’enfance[190].

[174]      Conformément à ce que préconisent plusieurs intervenants du milieu[191], la solution qui reçoit l’appui le plus marquant est celle de reconnaître l’autodétermination des peuples autochtones en ce qui concerne la fourniture des services à l’enfance[192]. D’autres participants ont également formulé le souhait que des normes nationales en matière de protection à l’enfance soient adoptées[193].

[175]      À la suite de cette rencontre, le gouvernement fédéral s’est engagé à :

1. Poursuivre le travail entamé pour mettre pleinement en œuvre les ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne, y compris le principe de Jordan, et réformer les services aux enfants et aux familles des Premières Nations, notamment en adoptant un modèle de financement souple.

2. Collaborer avec nos partenaires afin d’axer les programmes sur la prévention adaptée sur le plan culturel, l’intervention précoce et la réunification des familles.

3. Collaborer avec nos partenaires pour aider les collectivités à réduire les attributions dans le domaine des services aux enfants et aux familles, et notamment examiner la possibilité d’élaborer conjointement une loi fédérale.

4. Accélérer le travail des tables techniques et tripartites mises en place partout au pays afin d’appuyer la réforme, et participer aux travaux de ces tables.

5. Aider les dirigeants inuits et métis à promouvoir une importante réforme des services aux enfants et aux familles adaptée sur le plan culturel.

6. Élaborer, avec les provinces, les territoires et les partenaires autochtones, une stratégie relative aux données pour accroître la collecte, le partage et la communication de données intergouvernementales, de façon à mieux comprendre les taux et les motifs d’appréhension.[194]

[Soulignement ajouté]

[176]      Des séances de mobilisation visant à donner effet à ces engagements ont eu lieu. Près de 65 rencontres ont permis au gouvernement fédéral de consulter quelque 2 000 organismes communautaires, régionaux et nationaux ainsi que des particuliers[195], où l’importance d’adopter des normes compatibles avec la Déclaration des Nations Unies a entre autres été soulignée[196].

[177]      Un « groupe de référence » a été constitué dans le but de participer au codéveloppement de la Loi[197]. Plusieurs des suggestions faites par ce groupe trouvent écho dans la première partie de celle-ci[198].

[178]      Le 28 février 2019, le projet de loi C-92 est déposé[199]. Pendant les travaux parlementaires, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est remis, recommandant notamment aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de « reconnaître l’autodétermination des peuples autochtones et leur compétence inhérente en matière de protection de l’enfance »[200], de « formuler et d’appliquer une définition de l’expression “intérêt supérieur de l’enfant” en s’appuyant sur les perspectives, les visions du monde, les priorités et les besoins distincts des Autochtones »[201], d’« interdire la prise en charge d’enfants fondée sur la pauvreté et les préjugés culturels »[202] et de prioriser le placement des enfants auprès de membres de leur famille et de leur communauté[203].

[179]      À la suite d’une étude en comité de quatre jours à la Chambre des communes et de six jours au Sénat, le projet de loi C-92 reçoit la sanction royale le 21 juin 2019[204]. La Loi entre en vigueur le 1er janvier 2020[205]. À ce jour, 56 corps dirigeants autochtones ont manifesté l’intention d’exercer leur droit à l’autonomie gouvernementale conformément à ses par. 20(1) ou 20(2)[206].

2-    Le contenu de la Loi

a)     L’autonomie gouvernementale et les services aux enfants et aux familles autochtones : quelques jalons

[180]      Pour tenter de remédier à la situation de crise que décrit le chapitre précédent ainsi qu’à la surreprésentation chronique des enfants autochtones dans les régimes de protection de la jeunesse (particulièrement dans les placements hors famille), le législateur fédéral, comme on l’a vu, a adopté la Loi qui fait l’objet du présent renvoi, affirmant ainsi sa volonté d’agir dans la perspective d’une réconciliation tout à la fois réparatrice et prospective avec les peuples autochtones. Cette loi, on l’a vu également, s’articule autour de deux idées maîtresses : d’une part, l’énonciation de normes ou principes nationaux destinés à guider la prestation de services aux enfants et aux familles autochtones, quel que soit le cadre dans lequel ces services sont fournis; d’autre part, la reconnaissance du droit des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la mise en place d’un mécanisme destiné à permettre l’exercice effectif de ce droit dans le domaine des services aux enfants et aux familles.

[181]      Ce dernier point – celui de l’autonomie gouvernementale – répond, pour partie du moins, à une revendication de longue date des peuples autochtones et revêt ici une importance particulière. La reconnaissance expresse et générale de cette autonomie par le Parlement et sa mise en œuvre en matière de services à l’enfance constituent d’ailleurs une première. Ce n’est pas dire, cependant, que le concept de l’autonomie gouvernementale – au sens où l’entend la Loi – ait été totalement étranger à l’univers politique et législatif canadien. Au contraire, quoique formellement absent, pendant longtemps, du droit canadien, ou, plus exactement, ignoré de lui, il n’est cependant pas complètement nouveau et, avant la Loi, il y avait discrètement et graduellement trouvé une modeste place, implicitement ou explicitement, dans le sillon de certaines politiques fédérales et par le truchement de traités, d’accords ou d’ententes avec les peuples autochtones ainsi que de quelques lois du Parlement. Les pages qui suivent donneront un aperçu – et non pas un historique – de ce lent cheminement, en quelques jalons (sans traiter toutefois des tribulations du concept[207] dans la jurisprudence, et en particulier de celle de la Cour suprême du Canada, jurisprudence que le présent avis analysera ultérieurement).

[182]      Aux fins du présent renvoi et compte tenu de la manière dont les parties et les intervenantes ont choisi de présenter le dossier à la Cour, on peut peut-être situer le début de cette évolution en 1973, avec l’adoption de la Politique sur les revendications territoriales globales, postérieurement à l’arrêt Calder de la Cour suprême du Canada, qui reconnaît l’existence du « titre aborigène »[208] comme « droit juridique / legal right » dans la common law canadienne[209]. À l’origine, par cette politique (qui fut réaffirmée en 1981, puis en 1986 et remaniée de temps à autre par la suite), le gouvernement fédéral manifestait son intention d’entreprendre des négociations sur la reconnaissance du titre ancestral avec les peuples dont les droits ancestraux n’avaient pas été éteints (que ce soit par un traité ou par un autre moyen) ainsi qu’avec un nombre limité de peuples dans des territoires déjà régis par traité. Il s’agissait là, initialement, « d’échanger les revendications de droits ancestraux indéterminés contre un ensemble précis de droits et d’avantages décrits dans une entente de règlement »[210]. Originalement, la politique n’avait cependant pas pour objectif formel – et la chose n’y est d’ailleurs pas même mentionnée – la reconnaissance de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, au sens large, ni l’établissement d’un régime d’autonomie gouvernementale, c’est-à-dire politique, par opposition à une autonomie simplement administrative.

[183]      Après l’entrée en vigueur de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la politique est modifiée et, en 1986, reconnaît que les peuples autochtones qui signent un accord conservent leurs droits ancestraux, sauf si ces derniers sont incompatibles avec cet accord. La politique subira d’autres changements, notamment à la suite de l’adoption par le gouvernement fédéral, en 1995, d’une politique sur l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, dont il sera brièvement question dans les paragraphes qui suivent[211].

[184]      Après plusieurs échecs constitutionnels[212], et un peu plus de deux ans après celui de l’Accord de Charlottetown, le gouvernement fédéral, en 1995, s’engage en effet, dans le cadre de ses relations avec les peuples autochtones, à reconnaître le droit de ces derniers à l’autonomie gouvernementale (et non pas à le leur octroyer), de même qu’à en favoriser la concrétisation, principalement par le moyen de négociations tripartites (gouvernement fédéral, gouvernements provinciaux, peuples autochtones). La Politique sur l’autonomie gouvernementale décrit cet engagement et explique le positionnement fédéral, en conjugaison avec la Politique sur les revendications territoriales globales. Le gouvernement y reconnaît ainsi explicitement le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, dans le cadre de la souveraineté canadienne :

Le gouvernement du Canada reconnaît que le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. De même, il reconnaît que ce droit inhérent peut découler de traités ainsi que des rapports qu'entretient la Couronne avec les Premières nations visées par un traité. La reconnaissance du droit inhérent repose sur le fait que les peuples autochtones du Canada ont le droit de se gouverner, c'est-à-dire de prendre eux-mêmes les décisions touchant les affaires internes de leurs collectivités, les aspects qui font partie intégrante de leurs cultures, de leur identité, de leurs traditions, de leurs langues et de leurs institutions et, enfin, les rapports spéciaux qu'ils entretiennent avec leur terre et leurs ressources.

Le gouvernement reconnaît d'une part qu'il pourrait être possible de s'adresser aux tribunaux pour faire respecter le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et que, d'autre part, il existe des points de vue divergents quant à la nature, à la portée et au contenu de ce droit. Toutefois, le recours aux tribunaux relativement à la question du droit inhérent serait long et coûteux et aurait tendance à engendrer des conflits. De plus, les tribunaux ne donneraient aux parties concernées que des indications générales et leur laisseraient le soin d'établir elles-mêmes le détail des mesures à prendre.

Pour ces raisons, le gouvernement est convaincu que le recours aux tribunaux ne doit être qu'une solution de dernière instance. La tenue de négociations entre les gouvernements et les peuples autochtones est de toute évidence la façon préférée, c'est-à-dire la plus pratique et la plus efficace d'assurer l'application du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

[…]

Compte tenu du large éventail de compétences et de pouvoirs autochtones susceptibles de faire l'objet de négociations, les gouvernements provinciaux doivent nécessairement être parties à ces négociations et aux ententes en découlant lorsque les questions visées relèvent normalement de leur compétence ou que les ententes négociées pourraient avoir des répercussions sur d'autres groupes ou territoires que le groupe ou territoire autochtone directement concerné. Les gouvernements territoriaux devraient être parties aux négociations et aux ententes touchant la mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale au nord du 60e parallèle.

Le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale ne comprend pas le droit à la souveraineté au sens du droit international et il n'entraînera pas la création d'États nations autochtones souverains et indépendants. Au contraire, la mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale devrait accroître la participation des peuples autochtones au sein de la fédération canadienne et faire en sorte que ceux-ci et leurs gouvernements ne vivent pas isolés du reste de la société canadienne.[213]

[185]      La mise en œuvre de cette politique, qui privilégie la négociation tripartite[214], s’est faite avec un degré d’ardeur et de succès variable (elle sera d’ailleurs vivement critiquée). Le cadre qu’elle établit (de manière unilatérale) est en effet fort contraignant et ne répond pas aux revendications plus larges des peuples autochtones. Néanmoins, par la reconnaissance que le gouvernement fédéral y fait de l’autonomie gouvernementale autochtone, elle augure des changements qui se concrétiseront notamment dans certains des accords liés aux revendications territoriales globales. Comme on l’a signalé, il s’établit en effet une certaine convergence entre la Politique sur les revendications territoriales globales et la Politique sur l’autonomie gouvernementale, de sorte qu’à la suite de la promulgation de cette dernière, plusieurs accords liés aux revendications territoriales globales des peuples autochtones en cause intégreront une dimension d’autonomie gouvernementale.

[186]      On peut mentionner ainsi, sans prétention à l’exhaustivité[215], les ententes suivantes et les lois qui les avalisent, en ordre chronologique : Convention entre Sa Majesté du chef du Canada et les bandes Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse en matière d’éducation (1997)[216] et Loi sur l’éducation des Mi’kmaq[217], Accord définitif Nisga’a (1999) et Loi sur l’Accord définitif Nisga’a[218], Accord d’autonomie gouvernementale de la première nation de Westbank (2003) et Loi sur l'autonomie gouvernementale de la première nation de Westbank[219], Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale conclu entre le peuple Tłı̨chǫ, le gouvernement des Territoires du NordOuest et le gouvernement du Canada (2003) et Loi sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale du peuple tlicho[220], Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador (2005) et Loi sur l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador[221], Loi sur la compétence des premières nations en matière d’éducation en Colombie-Britannique[222], Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen (2007) et Loi sur l’accord définitif concernant la Première Nation de Tsawwassen[223], Accord définitif des premières nations maa-nulthes (2007-2009) et Loi sur l’accord définitif concernant les premières nations maanulthes[224], Accord de gouvernance de la nation Dakota de Sioux Valley (2013) et Loi sur la gouvernance de la nation dakota de Sioux Valley[225], Accord définitif des Tla’amins (2014) et Loi sur l’accord définitif concernant les Tlaamins[226], Accord définitif sur l’autonomie gouvernementale de Délįnę (2015) et Loi sur l’accord définitif sur l’autonomie gouvernementale de Deline[227], Accord en matière d’éducation conclu avec la Nation des Anishinabes (2017) et Loi sur l’accord en matière d’éducation conclu avec la Nation des Anishinabes[228], Entente sur la gouvernance de la Nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada (2017) et Loi sur l’accord concernant la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee[229].

[187]      Ces différents accords (dont plusieurs sont tripartites et réunissent non seulement le peuple autochtone en cause et le gouvernement fédéral, mais aussi le gouvernement provincial ou territorial) et les lois fédérales qui les mettent en vigueur confèrent des pouvoirs plus ou moins larges aux différents peuples autochtones en cause, sur un territoire géographiquement balisé. Certains de ces accords (généralement les plus récents) comportent la reconnaissance explicite, par le gouvernement du Canada, du droit à l’autonomie gouvernementale comme droit ancestral au sens de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[230]. Ce n’est toutefois pas nécessairement le cas des lois qui les avalisent : ainsi, parmi les exemples donnés au paragraphe précédent, plus de la moitié sont en effet muettes à ce propos[231], alors que les autres se contentent d’indiquer dans leur préambule que cette disposition constitutionnelle « reconnaît et confirme les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada »[232].

[188]      Par ailleurs, et il est important de le souligner, plusieurs des ententes mentionnées ci-dessus (ou autres accords ou traités) reconnaissent aux peuples en cause la compétence de réglementer eux-mêmes les services à l’enfance et à la famille[233]. Si l’on s’en remet à la preuve, il semblerait cependant que les autorités compétentes s’en soient abstenues[234].

[189]      Dans un tout autre ordre d’idées, mais allant là encore dans le sens de la Politique sur l’autonomie gouvernementale de 1995, la reconnaissance de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones se trouve également affirmée dans quelques lois ne se rapportant pas à un accord particulier. Ainsi, en va-t-il de la Loi sur la gestion financière des premières nations (adoptée en 2005 sous le titre de Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations[235]). Le préambule de cette loi, en son premier attendu, énonce en effet ceci (qui n’est pas un ajout, mais figurait déjà dans la loi au moment de son adoption) : « le gouvernement du Canada a adopté une politique aux termes de laquelle il est reconnu que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale constitue un droit ancestral et […] cette politique prévoit des négociations portant sur l’autonomie gouvernementale ».

[190]      De son côté, la Loi sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts matrimoniaux[236], adoptée en 2013, renvoie à l’autonomie gouvernementale des « Premières Nations ». Son préambule énonce ainsi que « le gouvernement du Canada a reconnu que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale constitue un droit ancestral et qu’il est d’avis que la meilleure façon de mettre en œuvre ce droit est de procéder par négociation », mais que « la présente loi n’a pas pour but de définir la nature et l’étendue de tout droit à l’autonomie gouvernementale ou d’anticiper l’issue des négociations portant sur celle-ci »[237], alors même qu’elle tend à « promouvoir l’exercice, compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982, du pouvoir des premières nations de prendre des textes législatifs en ce qui a trait aux foyers familiaux situés dans les réserves et aux droits ou intérêts matrimoniaux portant sur les constructions et terres situées dans ces réserves ». Le corps de la loi n’en fait pas mention, cependant (sauf pour renvoyer à certains accords d’autonomie conclus par ailleurs), tout en reconnaissant auxdites Premières Nations le pouvoir d’adopter des textes législatifs applicables aux foyers familiaux conjugaux situés dans les réserves, sur préavis au procureur général de la province concernée[238].

[191]      Bref, on voit donc de ce survol schématique et bien imparfait de la période 19732018 que le droit à l’autonomie gouvernementale (y compris en matière de services à l’enfance et à la famille) n’est pas un objet politique ou juridique entièrement nouveau. C’est un concept, encore flou, certes, mais qui « percole » depuis quelques décennies, encore que timidement, sous des aspects divers (parfois même implicites), et qui a trouvé une certaine place dans l’environnement législatif fédéral[239], surtout depuis 1995, passant de l’autonomie administrative à une certaine autonomie politique (mais toujours à l’intérieur de la souveraineté canadienne). On favorise par ailleurs dans presque tous les cas un modèle de gouvernance fondé sur la nation (à l’exception du cas du Nunavut, où l’on a choisi le modèle du gouvernement public)[240].

[192]      Les choses ne s’arrêtent cependant pas là.

[193]      En juillet 2017, le gouvernement fédéral (sous l’égide de la ministre de la Justice alors en poste, l’honorable Jody Wilson-Raybould) annonce en effet un ensemble de principes destinés à régir dorénavant ses relations avec les peuples autochtones. La politique qui s’ensuit, en 2018, ne fait pas qu’affermir celle de 1995, mais en promeut la reconstruction, sur la base de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de la Déclaration des Nations Unies. Les dix principes qui y sont affirmés « constituent un point de départ nécessaire pour que la Couronne puisse s’engager en partenariat, et abandonnent le statu quo pour aller vers des changements en profondeur en ce qui concerne la relation avec les peuples autochtones »[241]. Ils sont fondés sur la reconnaissance de l’autonomie des peuples autochtones, qui devient le socle de la relation gouvernement-Autochtones. Les voici, avec quelques-uns des commentaires qui s’y greffent :

1. Le gouvernement du Canada reconnaît que toutes les relations avec les peuples autochtones doivent être fondées sur la reconnaissance et la mise en œuvre de leur droit à l’autodétermination, y compris le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.

[…]

La reconnaissance par le gouvernement du Canada que la présence continue et les droits inhérents des peuples autochtones sont un élément caractéristique du Canada s’appuie sur la promesse de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, en plus de correspondre aux articles 3 et 4 de la Déclaration des Nations Unies. Cette promesse vise à concilier l’existence préalable des peuples autochtones avec la revendication de la souveraineté de la Couronne, de même qu’avec le respect de relations issues des traités historiques.

[…]

2. Le gouvernement du Canada reconnaît que la réconciliation est le but fondamental de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[…]

3. Le gouvernement du Canada reconnaît que l’honneur de la Couronne oriente le comportement de la Couronne dans tous ses rapports avec les peuples autochtones.

[…]

4. Le gouvernement du Canada reconnaît que l’autonomie gouvernementale des Autochtones fait partie du système en évolution du Canada de fédéralisme coopératif et d’ordres de gouvernement distincts.

Ce principe affirme que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant au sens de l’article 35. La reconnaissance de la compétence inhérente et des ordres juridiques des nations autochtones représente donc le point de départ des discussions visant les interactions entre les compétences et les lois fédérales, provinciales, territoriales et autochtones.

[…]

Les relations de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et la Couronne, incluant les relations fondées sur des traités, comprennent donc :

a. l'élaboration de mécanismes et la conception de processus qui reconnaissent que les peuples autochtones représente [sic] une composante fondamentale du cadre constitutionnel du Canada;

b. la participation des peuples autochtones à la prise de décisions efficaces et à la gouvernance du pays que l'on partage;

c. la mise en place de mécanismes efficaces en vue d'appuyer l'abandon des systèmes d'administration et de gouvernance coloniaux, y compris, là où cela s'applique actuellement, la gouvernance et l'administration aux termes de la Loi sur les Indiens; et

d. l'assurance, fondée sur la reconnaissance des droits, de fournir un espace pour l'application des compétences et des lois autochtones.

5. Le gouvernement du Canada reconnaît que les traités, les accords et les autres ententes constructifs conclus entre les peuples autochtones et la Couronne ont été et sont des actes de réconciliation fondés sur la reconnaissance et le respect mutuels.

[…]

6. Le gouvernement du Canada reconnaît qu’un engagement significatif avec les peuples autochtones vise à obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, lorsque le Canada propose de prendre des mesures ayant une incidence sur les peuples autochtones et leurs droits sur leurs terres, leurs territoires et leurs ressources.

[…]

7. Le gouvernement du Canada reconnaît qu’il est essentiel de respecter et de mettre en œuvre les droits et que chaque atteinte aux droits visés par l’article 35 doit, selon la loi, comporter des justifications de très haute importance, qui tiennent compte des perspectives autochtones et satisfont aux obligations fiduciaires de la Couronne.

[…]

8. Le gouvernement du Canada reconnaît que la réconciliation et l’autonomie gouvernementale exigent une nouvelle relation financière avec les nations autochtones, établie dans un esprit de collaboration avec celles-ci, laquelle favorise un climat propice à la création de partenariats économiques et au développement des ressources.

[…]

9. Le gouvernement du Canada reconnaît que la réconciliation est un processus continu qui s’inscrit dans le contexte de l’évolution des relations entre les Autochtones et la Couronne.

[…]

10. Le gouvernement du Canada reconnaît qu’il est nécessaire d’avoir une approche qui tient compte de la particularité des collectivités détenant des droits pour s’assurer que les droits, les intérêts et la situation propres des Premières Nations, de la Nation Métisse et des Inuits sont reconnus, confirmés et mis en œuvre.

[…]

[Soulignements ajoutés]

[194]      La Loi s’inscrit dans le droit fil de ces Principes de 2018. Quoiqu’elle ne soit pas sans rapport avec les ententes négociées ou les lois adoptées antérieurement, notamment à la suite de l’adoption de la Politique sur l’autonomie gouvernementale de 1995, elle s’en démarque néanmoins profondément. C’est en effet la première loi à déployer, en dehors de la Loi sur les Indiens, un régime national (c.-à-d. pancanadien) destiné à mettre en place, sur la base d’une reconnaissance de principe du droit à l’autonomie comme droit général, une gouvernance proprement autochtone, pour tous les peuples visés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (par contraste avec les reconnaissances au cas par cas que l’on a vues précédemment), et ce, dans le domaine des services à l’enfance et aux familles.

[195]      La Loi se distingue également sous d’autres aspects et les pages qui suivent en donneront un aperçu, avant d’en présenter le détail.

b)    Le contenu de la Loi

Aperçu et principes généraux de la Loi

[196]      En affirmant expressément, dans la Loi, le droit des peuples autochtones du Canada à l’autonomie gouvernementale, le Parlement abandonne la négociation particularisée (bipartite ou tripartite) comme préalable à la reconnaissance de ce droit. Il ne s’agit donc plus d’une reconnaissance à la carte, un groupe à la fois, dans le cadre d’une négociation, mais d’une reconnaissance compréhensive, telle celle que recommandaient la Commission royale sur les peuples autochtones et la Commission de vérité et réconciliation. L’idée de la négociation demeure, mais la Loi, comme on le verra, en fait plutôt un outil (facultatif du reste) destiné à faciliter l’exercice du droit à l’autonomie gouvernementale.

[197]      La Loi abandonne également l’idée d’un encadrement normatif serré de la gouvernance autochtone (comme celui qu’on retrouve dans la plupart des ententes mentionnées plus haut[242]), en faveur d’une indépendance fonctionnelle dans l’exercice du droit à l’autonomie, et ce, afin de respecter la diversité des cultures, valeurs, pratiques, besoins, conditions de vie et aspirations des peuples autochtones. Cette latitude s’illustre notamment par le fait que la Loi leur laisse le soin de désigner les entités qui seront investies de la compétence législative découlant du droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et à la famille, sans fixer autrement que par un aménagement général le processus ou le régime dont ils se doteront. Il en va de même du contenu des textes législatifs autochtones en matière de services aux enfants et aux familles, que le Parlement ne réglemente pas davantage, sous réserve des normes minimales dont il sera question plus loin. Pour reprendre les termes du gouvernement fédéral, la Loi ne cherche donc pas à « imposer des solutions, mais plutôt à permettre aux peuples autochtones de choisir leurs propres solutions pour leurs enfants et leur famille »[243], dans le respect de l’autonomie ainsi reconnue. Comme l’explique M. JeanFrançois Tremblay, sousministre des Services aux Autochtones Canada, lors de sa comparution devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, le 9 avril 2019 :

Il y aura des distinctions parce que, comme je l’ai dit, il s’agit d’un projet de loi qui, même s’il prévoit des normes nationales et un cadre national, est fondé sur une approche plus ascendante. Ce sont les collectivités et les nations qui définiront ce qu’elles veulent et qui viendront à la table discuter avec d’autres administrations à ce sujet. C’est ainsi que nous voyons les choses en ce qui a trait aux distinctions.

[…]

Lorsque vous parlez des enfants et des familles, pour être honnête, il y a eu beaucoup de commentaires formulés entre les différents groupes. C’est plutôt dans la façon dont ils veulent aborder la question que ce sera différent. Je pense que c’est ce vers quoi nous allons maintenant. Maintenant que cette porte est ouverte, c’est à eux de concevoir la façon dont ils veulent que cela se fasse. C’est là que les distinctions vont se faire.[244]

[198]      On peut penser que, devant les exigences pressantes de la réconciliation, ainsi que la lenteur et la variabilité des processus individuels de négociation, le Parlement a voulu donner un coup d’accélérateur à une reconnaissance effective de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, choisissant le domaine des services aux enfants et aux familles – dans lequel les besoins sont criants – afin d’implanter une nouvelle approche à la fois générale et sectorielle, non territorialisée et bien différente de la dynamique antérieure des petits pas. Comme on le verra, il a aussi choisi à cette fin une terminologie forte, reprise d’ailleurs, à certains égards, par la Loi sur les langues autochtones[245], la Loi sur le ministère des Services aux Autochtones[246] et la Loi sur le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord[247], adoptées concomitamment à la Loi. S’il ne sera plus guère question de la Loi sur les langues autochtones (langues qui sont un vecteur de l’identité autochtone et dont le Parlement souhaite assurer le respect, la protection et l’épanouissement), la Loi sur le ministère des Services aux Autochtones fera, plus bas, l’objet de quelques commentaires, puisqu’elle envisage, à terme, le transfert de certaines responsabilités du gouvernement fédéral aux instances autochtones, notamment en matière de services à l’enfance et à la famille (ce qui n’est pas une coïncidence), d’éducation, de santé, etc.[248]. Complétant ce polyptique législatif, il faut mentionner enfin la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones[249], adoptée et entrée en vigueur en juin 2021, qui renforce la base sur laquelle le Parlement assoit la politique dont la Loi se veut l’incarnation[250].

[199]      Bref, et pour en revenir à celle-ci, sur le double postulat du droit à l’autonomie gouvernementale dont seraient titulaires les peuples autochtones et celui de la protection que l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 accorderait à ce droit ancestral, le Parlement aménage un dispositif législatif destiné à en permettre et à en faciliter l’exercice dans le domaine des services aux enfants et aux familles autochtones.

[200]      Certes, le législateur fédéral n’abdique pas toute prétention à la régulation de ces services, puisque, malgré l’autonomie reconnue aux peuples autochtones dans l’exercice de leur compétence législative, il instaure néanmoins, comme on vient de l’évoquer, une série de normes générales qui, à l’échelle de l’ensemble du Canada, encadreront tant les textes législatifs autochtones (en principe) que les lois provinciales (lorsque ces dernières s’appliqueront) ou les lois fédérales (le cas échéant) et baliseront la fourniture même des services. Ces normes nationales sont manifestement destinées à répondre à l’urgence et aux particularités de la situation des enfants et des familles autochtones en régulant par l’affirmation de certains grands principes l’ensemble des services qui peuvent leur être prodigués et la conduite des pourvoyeurs gouvernementaux ou autres.

[201]      Cela s’explique bien sûr par la nature de la problématique que la Loi cherche à résoudre et que le premier chapitre du présent avis a expliquée. Au vu de la crise à laquelle on cherche à remédier et du fait que la prise en main des régimes de soutien à l’enfance par les peuples autochtones (comme régulateurs et/ou pourvoyeurs) ne se fera pas partout immédiatement, ni au même rythme ni de la même façon[251], on entend par ce cadrage assurer la qualité minimale des services que recevront tous les enfants autochtones, peu importe le fournisseur, dans un souci manifeste d’égalité à travers le Canada, mais aussi dans le respect des distinctions entre peuples. On souhaite, par l’affirmation de ces principes directeurs, d’application immédiate, guider la dispensation des services et réduire les discordances, et ce, tant dans la période transitoire qui s’est amorcée avec l’entrée en vigueur de la Loi que par la suite. En somme, le Parlement cherche à respecter l’autonomie des peuples autochtones, mais sur la base de quelques normes fondamentales faisant apparemment consensus.

[202]      La Loi met par ailleurs en place un mécanisme à deux vitesses en ce qui concerne l’exercice de la compétence législative des peuples autochtones en matière de services aux enfants et aux familles, dont les effets pourront varier selon le choix qu’ils feront. Quelle que soit la voie que choisit chaque peuple, cependant, la Loi impose, là encore, un cadre minimal à cet exercice et prévoit un système de préséance dont nous reparlerons plus loin.

[203]      Enfin, la Loi se signale non seulement par son contenu, mais également par le processus collaboratif ayant mené à son élaboration. Comme le montre le chapitre précédent du présent avis[252], elle a en effet été l’objet d’une consultation assez extensive des peuples autochtones et de leurs représentants, tant avant qu’après le dépôt du projet de loi, et qui s’explique, en l’espèce, par une volonté de réconciliation et de réparation passant par l’implication directe des peuples concernés, ceux-là mêmes qui, selon la Loi, disposent de l’autonomie gouvernementale en la matière. Dans sa déclaration sous serment, la professeure Mary Ellen TurpelLafond parle ainsi d’un processus de « codevelopment »[253] (avis que tous ne partagent cependant pas[254]). On doit noter que cet effort collaboratif ne s’est pas étendu aux provinces, qui, sans être écartées du processus, n’ont guère eu voix au chapitre malgré leur compétence en matière de services sociaux et bien qu’elles soient largement responsables d’offrir ceuxci aux enfants et aux familles autochtones, dans le cadre de l’application ex proprio vigore de leurs lois en ces matières[255]. Nous y reviendrons.

[204]      Examinons maintenant le détail de la Loi.

Contenu détaillé de la Loi

[205]      La Loi compte plusieurs segments. Il y a d’abord un préambule, suivi de dispositions définitionnelles et interprétatives qui établissent la portée générale de la Loi (art. 1 à 7) et en présentent l’objet (art. 8) de même que les principes essentiels (art. 9). La Loi procède ensuite, dans un premier temps, à l’établissement des normes destinées à régler la fourniture des services aux enfants et aux familles autochtones, les droits de ceux-ci en la matière et la conduite des prestataires desdits services. Dans un second temps, la Loi organise le régime en vertu duquel les peuples autochtones exerceront leur autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et à la famille. La Loi se termine par une série de dispositions abordant des sujets variés : rôle et pouvoirs du ministre, révision quinquennale de la Loi, habilitation réglementaire du gouverneur en conseil et dispositions transitoires. Voyons ce qu’il en est.

- Préambule

[206]      La Loi comporte un imposant préambule, placé notamment sous l’égide de la Déclaration des Nations Unies et de la Convention relative aux droits de l’enfant[256]. Le Parlement y reconnaît ses torts et les préjudices historiques qui en ont résulté (séquelles découlant des pensionnats autochtones, bouleversements et désavantages subis par les femmes et les filles autochtones en lien avec les services à l’enfance et à la famille); il y proclame l’importance de réunir les enfants autochtones avec leurs familles et leurs collectivités (ce qui est d’ailleurs un des principes phares de la Loi elle-même).

[207]      Tenant compte des appels à l’action lancés par la Commission de vérité et réconciliation en ce qui concerne le bien-être des enfants autochtones, le Parlement affirme par ailleurs dans ce préambule « le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, y compris le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale lequel comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille »[257]. Il y affirme également la nécessité de conjuguer le respect de la diversité des peuples autochtones et les besoins des aînés, parents, jeunes et enfants, sans égard à leur identité de genre ou leur spiritualité, de mettre fin à la surreprésentation des enfants autochtones dans les systèmes de services sociaux et de faire en sorte que ces services, sans égard à leur lieu de résidence, ne souffrent pas de lacunes.

[208]      Le préambule rappelle aussi les engagements du gouvernement du Canada à coopérer et à dialoguer avec les peuples autochtones afin de favoriser leur dignité, leur bien-être et leur épanouissement, de même qu’à mener à bien la réconciliation avec ces peuples, « grâce à des relations renouvelées de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et la Couronne »[258], et notamment par une réforme en profondeur des services à l’enfance et à la famille autochtones. Enfin, le préambule souligne la reconnaissance, par le gouvernement du Canada, de « la demande constante d’obtention d’un financement des services à l’enfance et à la famille qui soit prévisible, stable, durable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l’égalité réelle afin d’atteindre des résultats qui sont positifs à long terme pour les enfants, les familles et les collectivités autochtones »[259].

- Dispositions définitionnelles et interprétatives

[209]      Suivent les art. 1 à 5 et 7[260] de la Loi, sous la rubrique « Définitions et interprétation ». Ces dispositions précisent le sens de certains des termes qu’emploie la Loi et circonscrivent la portée de celle-ci.

[210]      Des définitions proposées par l’art. 1, nous retiendrons celles du « corps dirigeant autochtone », de la « famille », du « fournisseur de soins » et des « peuples autochtones », qui identifient les acteurs principaux des services visés par la Loi, à savoir les services de soutien aux enfants et aux familles (eux-mêmes définis comme incluant la prévention, l’intervention précoce et la protection) :

Note : les définitions qui suivent sont présentées dans l’ordre de la version française.

corps dirigeant autochtone Conseil, gouvernement ou autre entité autorisé à agir pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. (Indigenous governing body)

Indigenous governing body means a council, government or other entity that is authorized to act on behalf of an Indigenous group, community or people that holds rights recognized and affirmed by section 35 of the Constitution Act, 1982. (corps dirigeant autochtone)

famille Vise notamment toute personne que l’enfant considère être un proche parent ou qui, conformément aux coutumes, aux traditions ou aux pratiques coutumières en matière d’adoption du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones dont l’enfant fait partie, est considérée par ce groupe, cette collectivité ou ce peuple être un proche parent de l’enfant. (family)

family includes a person whom a child considers to be a close relative or whom the Indigenous group, community or people to which the child belongs considers, in accordance with the customs, traditions or customary adoption practices of that Indigenous group, community or people, to be a close relative of the child. (famille)

fournisseur de soins S’entend de toute personne qui a la responsabilité principale de fournir des soins quotidiens à un enfant autochtone, autre qu’un parent — mère ou père — de celui-ci, notamment en conformité avec les coutumes ou les traditions du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones dont l’enfant fait partie. (care provider)

[…]

care provider means a person who has primary responsibility for providing the day-to-day care of an Indigenous child, other than the child’s parent, including in accordance with the customs or traditions of the Indigenous group, community or people to which the child belongs. (fournisseur de soins)

peuples autochtones S’entend au sens de peuples autochtones du Canada, au paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. (Indigenous peoples)

Indigenous peoples has the meaning assigned by the definition aboriginal peoples of Canada in subsection 35(2) of the Constitution Act, 1982. (peuples autochtones)

[211]      On aura noté que la définition du « corps dirigeant autochtone » est fort large[261]. Elle laisse aux peuples autochtones le soin de définir eux-mêmes les instances chargées d’appliquer la Loi, ce qui est conforme à l’orientation qu’adopte sur ce point la Déclaration des Nations Unies, instrument international non contraignant, mais auquel le Canada a maintenant pleinement souscrit[262], s’engageant à ce que les lois fédérales soient compatibles avec elle. L’art. 18 de la Déclaration des Nations Unies (qui s’arrime directement à ses art. 3, 4 et 5 sur le droit à l’autodétermination[263] et à l’autonomie gouvernementale) énonce ainsi que :

Article 18

Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l’intermédiaire de représentants qu'ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles.

[212]      En définissant comme il le fait les corps dirigeants autochtones et en remettant ainsi entre les mains des peuples concernés le soin de choisir et de déterminer leurs dirigeants, le Parlement, comme on l’a vu, écarte l’approche qui prévalait dans sa Politique sur l’autonomie gouvernementale de 1995, laquelle prévoyait un encadrement beaucoup plus strict de la reconnaissance des autorités autochtones appelées à exercer une certaine forme d’autonomie gouvernementale et une régulation étroite de leur mode de gouvernance (exigences souvent reprises dans les différentes ententes mentionnées précédemment). Sous ce rapport, la Loi marque une rupture nette et réoriente la discussion.

[213]      Quant aux autres définitions ciblées plus haut, deux d’entre elles sont fondamentales en ce qu’elles précisent les concepts sous-jacents à l’ensemble de la Loi. La « famille » n’est pas la famille nucléaire du Code civil du Québec, par exemple, ni même la famille rapprochée, mais une famille élargie, telle que traditionnellement ou coutumièrement constituée chez les peuples autochtones. Quant à lui, le « fournisseur de soins », personne autre que la mère ou le père, sera parfois (ou même souvent) un membre de cette famille, qui, en vertu des coutumes ou traditions autochtones, prodigue les soins quotidiens à l’enfant.

[214]      La dernière définition, celle de « peuples autochtones », est quelque peu redondante (elle s’infère déjà de la définition du terme « autochtone » – que nous n’avons pas reproduite, mais qui correspond à celle du par. 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 – et du terme « corps dirigeant autochtone »), mais elle évite au besoin toute ambiguïté quant à la portée de la Loi.

[215]      L’art. 2 de la Loi déclare que celle-ci maintient, sans y attenter, les droits reconnus et confirmés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[264]. Le Parlement n’entend donc pas que sa Loi limite les droits protégés par cette disposition ou les définisse de manière exhaustive (limitation qui serait de toute façon soumise au test établi dans l’arrêt Sparrow, dont il sera abondamment question dans le chapitre « Analyse » du présent avis).

[216]      Les art. 3 à 5 de la Loi cherchent pour leur part à prévenir certains conflits normatifs. Ainsi, l’art. 3 prescrit que la Loi cède le pas aux accords conclus, avant la date d’entrée en vigueur du par. 18(1), entre un peuple autochtone, le gouvernement fédéral et/ou un gouvernement provincial : en cas d’incompatibilité, les dispositions de ces accords relatives aux services à l’enfance et à la famille ont alors préséance. L’art. 5 prévoit de son côté que la Loi ne porte pas atteinte à la compétence législative qu’exerce la Législature du Nunavut en vertu de l’art. 23 de la Loi sur le Nunavut[265]. Quant à lui, préfigurant le par. 22(3), qui impose la prépondérance des textes législatifs autochtones sur les lois provinciales incompatibles, l’art. 4 illustre la doctrine de la prépondérance fédérale :

4 Il est entendu que la présente loi ne porte atteinte à l’application des dispositions d’aucune loi provinciale — ni d’aucun règlement pris en vertu d’une telle loi — dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la présente loi.

4 For greater certainty, nothing in this Act affects the application of a provision of a provincial Act or regulation to the extent that the provision does not conflict with, or is not inconsistent with, the provisions of this Act.

[217]      L’art. 7 déclare que la Loi lie tant Sa Majesté du chef du Canada que celle des provinces.

[218]      Enfin, clôturant cette entrée en matière, la Loi énonce, en ses art. 8, d’une part, et 9, d’autre part, l’objet qu’elle poursuit ainsi que les principes directeurs de l’offre de services aux enfants et aux familles autochtones.

[219]      L’art. 8 est de prime importance :

8 La présente loi a pour objet :

8 The purpose of this Act is to

a) d’affirmer le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale lequel comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille;

(a) affirm the inherent right of self-government, which includes jurisdiction in relation to child and family services;

b) d’énoncer des principes appli-cables à la fourniture de services à l’enfance et à la famille à l’égard des enfants autochtones, et ce, à l’échelle nationale;

(b) set out principles applicable, on a national level, to the provision of child and family services in relation to Indigenous children; and

c) de contribuer à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

(c) contribute to the implementation of the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples.

[220]      Il faut porter attention ici à la manière dont le Parlement formule le premier de ces trois objets. En effet, et cela ressort tant de la version anglaise que de la française de l’al. 8a), il n’y affirme pas seulement le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille. Plutôt, il y pose l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones en droit général et générique dont un aspect spécifique serait celui de l’autonomie en matière de services à l’enfance et à la famille. C’est donc d’une double reconnaissance qu’il s’agit. C’est la même idée, d’ailleurs, qui soustend l’art. 18 de la Loi, sur lequel nous reviendrons, mais dont il convient de reproduire immédiatement le premier paragraphe, qui renchérit sur l’al. 8a) et le complète :

18 (1) Le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale reconnu et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, notamment la compétence législative en matière de tels services et l’exécution et le contrôle d’application des textes législatifs pris en vertu de cette compétence législative.

18 (1) The inherent right of self-government recognized and affirmed by section 35 of the Constitution Act, 1982 includes jurisdiction in relation to child and family services, including legislative authority in relation to those services and authority to administer and enforce laws made under that legislative authority.

[221]      La compétence des peuples autochtones sur les services aux enfants et aux familles se trouve ainsi réitérée en tant que composante d’un droit plus vaste à l’autonomie gouvernementale, lui-même réaffirmé, qui serait protégé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[222]      Le procédé, on en conviendra, est inaccoutumé. Bien sûr, les législatures agissent naturellement sur la foi de leur conviction quant à ce que leur permet la Constitution, mais l’affirmation législative expresse de la signification ou de la portée d’une disposition constitutionnelle sort de l’ordinaire rédactionnel. Il est certain que les art. 8 al. a) et 18 par. (1) de la Loi reflètent l’opinion du gouvernement fédéral sur l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, opinion dont on trouve déjà l’énoncé dans la Politique sur l’autonomie gouvernementale de 1995 et les Principes de 2018, mais ils constituent également une affirmation déclaratoire d’ordre constitutionnel (que conteste du reste le procureur général du Québec, dans le cadre du présent renvoi, en arguant que le Parlement ne peut pas fixer à lui seul la signification ou la portée d’un article de la Constitution canadienne et qu’il ne peut pas fonder sur le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 un quelconque pouvoir de définir ainsi le contenu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982)[266].

[223]      Quoi qu’il en soit, l’al. 8a) de la Loi (tout comme l’art. 18) affirme donc clairement la volonté du Parlement au chapitre de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, contribuant ainsi, comme l’indique l’al. 8c), « à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », et notamment les art. 3, 4 et 5 de celle-ci.

[224]      Quant à l’al. b) de l’art. 8, il rappelle que, outre l’affirmation de l’autonomie gouvernementale, la Loi a également pour objet la mise en place d’un cadre national pour la fourniture des services à l’enfance et à la famille offerts aux peuples autochtones et l’imposition de certains grands principes ou normes, cadre précisé par les art. 10 à 17.

[225]      Pour sa part, l’art. 9 articule une règle d’interprétation et d’application cardinale : la Loi doit être lue et appliquée en conformité avec l’intérêt de l’enfant (lequel est défini plus précisément à l’art. 10), dans le respect de la continuité culturelle et de l’égalité réelle. Cette disposition, qui étaye l’ensemble de la Loi, énonce que :

9 (1) La présente loi doit être interprétée et administrée en conformité avec le principe de l’intérêt de l’enfant.

9 (1) This Act is to be interpreted and administered in accordance with the principle of the best interests of the child.

(2) La présente loi doit être interprétée et administrée en conformité avec le principe de la continuité culturelle, et ce, selon les concepts voulant que :

(2) This Act is to be interpreted and administered in accordance with the principle of cultural continuity as reflected in the following concepts:

a) la continuité culturelle est essentielle au bien-être des enfants, des familles et des groupes, collectivités ou peuples autoch-tones;

(a) cultural continuity is essential to the well-being of a child, a family and an Indigenous group, community or people;

b) la transmission de la langue, de la culture, des pratiques, des coutumes, des traditions, des cérémonies et des connaissances des peuples autochtones fait partie intégrante de la continuité culturelle;

(b) the transmission of the languages, cultures, practices, customs, traditions, ceremonies and knowledge of Indigenous peoples is integral to cultural continuity;

c) le fait que l’enfant réside avec des membres de sa famille et le fait de respecter la culture du groupe, de la collectivité ou du peuple autoch-tones dont il fait partie favorisent souvent l’intérêt de l’enfant;

(c) a child’s best interests are often promoted when the child resides with members of his or her family and the culture of the Indigenous group, community or people to which he or she belongs is respected;

d) les services à l’enfance et à la famille sont fournis à l’égard d’un enfant autochtone de manière à ne pas contribuer à l’assimilation du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones dont il fait partie ou à la destruction de la culture de ce groupe, de cette collectivité ou de ce peuple;

(d) child and family services provided in relation to an Indigenous child are to be provided in a manner that does not contribute to the assimilation of the Indigenous group, community or people to which the child belongs or to the destruction of the culture of that Indigenous group, community or people; and

e) les caractéristiques et les défis propres à la région où se trouvent les enfants, les familles et les groupes, collectivités ou peuples autochtones doivent être pris en considération.

(e) the characteristics and challenges of the region in which a child, a family or an Indigenous group, community or people is located are to be considered.

(3) La présente loi doit être interprétée et administrée en conformité avec le principe de l’égalité réelle, et ce, selon les concepts voulant que :

(3) This Act is to be interpreted and administered in accordance with the principle of substantive equality as reflected in the following concepts:

a) les droits et les besoins particuliers d’un enfant handicapé doivent être pris en considération afin de favoriser sa participation — autant que celle des autres enfants — aux activités de sa famille ou du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones dont il fait partie;

(a) the rights and distinct needs of a child with a disability are to be considered in order to promote the child’s participation, to the same extent as other children, in the activities of his or her family or the Indigenous group, community or people to which he or she belongs;

b) tout enfant doit être en mesure d’exercer sans discrimination, notamment celle fondée sur le sexe et l’identité ou l’expression de genre, ses droits prévus par la présente loi, en particulier le droit de voir son point de vue et ses préférences être pris en considération dans les décisions le concernant;

(b) a child must be able to exercise his or her rights under this Act, including the right to have his or her views and preferences considered in decisions that affect him or her, and he or she must be able to do so without discrimination, including discrimination based on sex or gender identity or expression;

c) tout membre de la famille d’un enfant doit être en mesure d’exercer sans discrimination, notamment celle fondée sur le sexe et l’identité ou l’expression de genre, ses droits prévus par la présente loi, en particulier le droit de voir son point de vue et ses préférences être pris en considération dans les décisions le concernant;

(c) a child’s family member must be able to exercise his or her rights under this Act, including the right to have his or her views and preferences considered in decisions that affect him or her, and he or she must be able to do so without discrimination, including discrim-ination based on sex or gender identity or expression;

d) le corps dirigeant autochtone agissant pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones dont un enfant fait partie doit être en mesure d’exercer sans discrimination les droits de ce groupe, de cette collectivité ou de ce peuple prévus par la présente loi, en particulier le droit de voir le point de vue et les préférences de ce groupe, de cette collectivité ou de ce peuple être pris en considération dans les décisions les concernant;

(d) the Indigenous governing body acting on behalf of the Indigenous group, community or people to which a child belongs must be able to exercise without discrimination the rights of the Indigenous group, community or people under this Act, including the right to have the views and preferences of the Indigenous group, community or people considered in decisions that affect that Indigenous group, community or people; and

e) dans le but de promouvoir l’égalité réelle entre les enfants autochtones et les autres enfants, aucun conflit de compétence ne doit occasionner de lacune dans les services à l’enfance et à la famille fournis à l’égard des enfants autochtones.

(e) in order to promote substantive equality between Indigenous children and other children, a jur-isdictional dispute must not result in a gap in the child and family services that are provided in relation to Indigenous children.

[Soulignements ajoutés]

[226]      Dans un système où nombre d’instances, d’intervenants et de prestataires de services (gouvernementaux et autres) seront chargés de l’application de la Loi, le législateur, par ces principes, entend trancher avec le passé et générer, en faveur des enfants, de leurs familles et de leurs collectivités, une approche commune et cohérente dans tous ses aspects. Dans la poursuite de cet objectif, les par. 9(1) (primauté de l’intérêt de l’enfant autochtone) et 9(2) (principe de la continuité culturelle) sont bien sûr primordiaux, mais l’al. 9(3)e), au chapitre de l’égalité réelle, revêt une importance particulière. Cette disposition (avec d’autres) consacre en effet, du moins sous certains rapports, le Principe de Jordan[267], illustration même du concept de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’énonce le par. 9(1) de la Loi. L’al. e) de cette disposition cherche en effet à éviter qu’un conflit de compétence, de financement ou autre ait pour effet de priver un enfant des services appropriés. Les enfants – et leurs familles – n’ont pas à pâtir de ces disputes, et c’est ce que prescrit la Loi.

[227]      Pour le reste (et sauf en son al. c)), le par. 9(3), qui met de l’avant le principe de l’égalité réelle, en offre une vision assez limitée, qui s’attache à une sorte d’égalité interne, à l’intérieur du cadre tracé par la Loi, et ne concerne pas directement les différences entre les services offerts aux enfants et familles autochtones, d’une part, et allochtones, d’autre part (sujet qu’aborde plutôt l’al. 11d), voir infra).

- Normes nationales

[228]      Les trois grands principes interprétatifs de l’art. 9 de la Loi trouvent à s’exprimer par ailleurs dans les normes nationales qu’édictent les art. 10 à 17, sous trois rubriques : intérêt de l’enfant autochtone (art. 10), fourniture des services à l’enfance et à la famille (art. 11-15) et placement de l’enfant autochtone (art. 16 et 17).

[229]      Ainsi, renchérissant sur le par. 9(1), l’art. 10 érige l’intérêt de l’enfant autochtone en « considération primordiale dans la prise de décisions ou de mesures dans le cadre de la fourniture de services à l’enfance et à la famille » (par. 10(1)). On doit mesurer cet intérêt en fonction de toute une série de facteurs, dont : le patrimoine et l’éducation de l’enfant, de même que ses besoins (y compris en termes de stabilité); la nature de ses rapports avec son parent, son fournisseur de soins et tout autre membre de la famille ayant un rôle important dans sa vie; l’importance du maintien de son identité culturelle et de ses liens avec la langue et le territoire du peuple dont il fait partie; son point de vue et ses préférences; le plan de soins (qui peut comprendre des soins coutumiers ou traditionnels); la présence de violence familiale et l’existence de toute procédure judiciaire ou mesure concernant sa sécurité et son bien-être (par. 10(3)). Dans l’exercice qui consiste à soupeser ces différents facteurs, « une attention particulière doit être accordée au bien-être et à la sécurité physiques, psychologiques et affectifs de l’enfant, ainsi qu’à l’importance pour lui d’avoir des rapports continus avec sa famille et le groupe, la collectivité ou le peuple autochtones dont il fait partie et de préserver ses liens avec sa culture » (par. 10(2)). Le par. 10(4), quant à lui, indique que les par. (1) à (3) doivent, « dans la mesure du possible », être interprétés « de manière compatible avec les dispositions du texte législatif du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtone dont l’enfant fait partie »[268].

[230]      L’art. 11 renforce l’art. 10 en prévoyant que les services doivent être fournis dans le respect des besoins et de la culture de l’enfant autochtone, en lui permettant de connaître ses origines familiales (ce qui est particulièrement important lorsque l’enfant a été placé auprès de personnes d’un autre peuple autochtone ou de personnes allochtones ou adopté par elles), le tout dans une perspective d’« égalité réelle entre lui et les autres enfants ».

[231]      Les art. 12 et 13 rappellent la nécessité cruciale d’impliquer les parents, le fournisseur de soins et le peuple dont l’enfant est membre (dans ce dernier cas, par le truchement du corps dirigeant autochtone). Il ne saurait donc plus être question, comme ce fut trop souvent le cas, de prendre une décision importante au sujet de l’enfant sans en aviser son parent (mère ou père), son fournisseur de soins ou sa communauté, dont on ne peut l’isoler sans d’abord les prévenir (art. 12). Les parents et le fournisseur de soins ont d’ailleurs qualité de partie à toute procédure judiciaire civile relative à l’enfant et ils ont le droit d’y faire des représentations, comme peut également en faire le corps dirigeant autochtone[269] (art. 13).

[232]      Dans un autre registre, l’art. 14 accorde une priorité très nette aux soins préventifs : les services à l’enfance et à la famille doivent privilégier ces soins (par. 1), notamment dans la période prénatale, « afin de prévenir la prise en charge de l’enfant à sa naissance » (par. 2).

[233]      Dans la même veine, l’art. 15 énonce une règle qui favorise la prévention, mais combat aussi un préjugé tenace et ostracisant chez plusieurs prestataires de services non autochtones ainsi qu’une méconnaissance, voire une ignorance, des conditions de vie de maintes communautés et de leur histoire, comme si pauvreté était synonyme de négligence ou de vice :

15 Dans le cadre de la fourniture de services à l’enfance et à la famille à l’égard d’un enfant autochtone, dans la mesure où cela est compatible avec son intérêt, l’enfant ne doit pas être pris en charge seulement en raison de sa condition socio-économique, notam-ment la pauvreté, le manque de logement ou d’infrastructures conve-nables et l’état de santé de son parent — mère ou père — ou de son fournisseur de soins.

15 In the context of providing child and family services in relation to an Indigenous child, to the extent that it is consistent with the best interests of the child, the child must not be apprehended solely on the basis of his or her socio-economic conditions, including poverty, lack of adequate housing or infrastructure or the state of health of his or her parent or the care provider.

[234]      L’art. 15.1, qui termine la rubrique « Fourniture des services à l’enfance et à la famille », privilégie le maintien en place de l’enfant qui réside avec l’un de ses parents ou avec un membre adulte de sa famille, à moins que son intérêt n’exige une prise en charge immédiate par l’autorité compétente.

[235]      Les art. 16 et 17, enfin, sont dévolus au placement de l’enfant autochtone et s’attaquent à une problématique historique et contemporaine, souvent dénoncée par les peuples autochtones, mais aussi par les rapports de la Commission de vérité et réconciliation[270] et de la Commission Viens[271], pour ne mentionner que ceux-là. La protection de l’enfant autochtone passe en effet par le maintien de ses liens familiaux, la préservation de son identité culturelle et de ses relations avec la communauté à laquelle il appartient, sujet auquel le législateur accorde ici une attention prioritaire, qui répond aux revendications des peuples et de leurs membres.

[236]      Conformément à l’art. 16, le placement, même lorsqu’il est nécessaire, est donc traité comme une mesure de dernier recours, qui doit miser sur l’appartenance de l’enfant à son peuple et respecter les coutumes et traditions de celui-ci en matière d’adoption. Il doit se faire, dans l’ordre, d’abord auprès du parent de l’enfant (mère ou père), puis auprès d’un autre adulte de sa famille[272] ou, à défaut, d’un adulte appartenant au peuple dont l’enfant fait partie ou, subsidiairement, auprès d’un adulte appartenant à un peuple autochtone autre que celui de l’enfant. Ce n’est qu’en dernier lieu qu’il peut être envisagé de placer l’enfant auprès d’un adulte allochtone. En outre, la fratrie doit être protégée et réunie, dans la mesure du possible.

[237]      L’art. 16 prévoit également que la situation d’un enfant autochtone pris en charge par les services à l’enfance et à la famille doit être réévaluée régulièrement afin de s’assurer que celui qui ne réside pas avec son père ou sa mère puisse être placé auprès de l’un ou de l’autre, ou, à défaut, auprès d’un autre adulte de sa famille.

[238]      Finalement, dans tous les cas, l’art. 17 exige que l’attachement de l’enfant pour tout membre de sa famille auprès de qui il n’est pas placé et les liens affectifs qui l’unissent à cette personne soient favorisés dans la fourniture de services.

[239]      Si l’on récapitule, les grands principes directeurs et les normes nationales énoncés par les art. 9 à 17 sont fondés sur :

1. le principe prééminent de l’intérêt de l’enfant autochtone en conformité avec la continuité culturelle et l’égalité réelle;

2. l’implication des familles autochtones et des corps dirigeants autochtones dans les prises de décision touchant les enfants autochtones;

3. la priorité accordée aux soins préventifs;

4. la relégation des conditions socioéconomiques comme facteur déterminant de la prise en charge des enfants autochtones;

5. la priorité du placement des enfants autochtones dans un milieu autochtone.

[240]      Les services aux enfants autochtones devront donc répondre à des exigences minimales applicables à travers l’ensemble du Canada, qui qu’en soit le pourvoyeur. Il s’agit de garantir ainsi l’intérêt de tout enfant autochtone, sur les plans physique, psychologique et affectif, dans la continuité et la sécurité culturelles ainsi que l’égalité réelle, tout en s’assurant que certaines pratiques néfastes, « ethnocentriques et abusives »[273], prennent, partout, le chemin des oubliettes au profit d’une approche respectueuse des spécificités autochtones.

- Régime de reconnaissance et de mise en place de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille

[241]      Cette portion de la Loi est consacrée à l’architecture du régime d’autonomie gouvernementale des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille. Elle débute par l’affirmation du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, notamment dans le domaine des services à l’enfance et à la famille (art. 18), puis procède à la mise en place de la structure d’exercice de la compétence ainsi reconnue, incluant une série de règles sur la résolution des conflits de lois (art. 19-24). Qu’en est-il?

[242]      Une partie de l’art. 18 de la Loi a été reproduite plus haut, mais le voici dans son intégralité :

18 (1) Le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale reconnu et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, notamment la compétence législative en matière de tels services et l’exécution et le contrôle d’application des textes législatifs pris en vertu de cette compétence législative.

18 (1) The inherent right of self-government recognized and affirmed by section 35 of the Constitution Act, 1982 includes jurisdiction in relation to child and family services, including legislative authority in relation to those services and authority to administer and enforce laws made under that legislative authority.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il est entendu que l’exécution et le contrôle d’application comprend la compétence de prévoir des mécanismes de résolution des différends.

(2) For greater certainty and for the purposes of subsection (1), the authority to administer and enforce laws includes the authority to provide for dispute resolution mechanisms.

[243]      C’est là la prémisse, la pierre angulaire de la Loi. Le premier paragraphe de l’art. 18, dont nous avons précédemment fait remarquer le langage peu conventionnel, a une vocation déclaratoire, annoncée déjà par l’al. 8a) : le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, droit (ancestral) que l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme, selon le Parlement, inclut « la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille », laquelle inclut à son tour la compétence législative en cette matière, de même que « l’exécution et le contrôle d’application des textes législatifs pris en vertu de cette compétence législative » (la version anglaise parle d’« authority to administer and enforce laws made under that legislative authority »). Le Parlement se trouve donc à faire ici une double affirmation : d’une part, celle de l’autonomie gouvernementale générale des peuples autochtones, sur le fondement de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; d’autre part, celle de l’autonomie qui en découle en matière de services à l’enfance et à la famille et qui permet à ces peuples d’adopter des « textes législatifs / laws », de voir à leur application et d’en assurer la sanction.

[244]      Le second paragraphe de l’art. 18 précise cette compétence en ajoutant qu’elle comprend celle de « prévoir des mécanismes de résolution des différends » (« the authority to provide for dispute resolution mechanisms »). L’expression paraît a priori suffisamment large pour viser la constitution de mécanismes favorisant la discussion, la conciliation, l’arbitrage et le règlement des différends selon des approches ou modes traditionnels, coutumiers ou autres, et, vraisemblablement, celle de mécanismes ou d’instances quasi judiciaires. Permettrait-elle la constitution de tribunaux judiciaires[274]? C’est là une question que les parties au renvoi n’ont pas abordée et il ne convient pas d’en dire davantage.

[245]      Quoique la Loi ne le formule pas directement de cette façon, il en ressort que ce sont les corps dirigeants autochtones qui exercent les droits prévus à l’art. 18, au nom et pour le compte des différents peuples autochtones. Dans l’exercice de la compétence qui leur échoit ainsi en matière de services à l’enfance et à la famille, ces corps dirigeants sont tenus de respecter la Charte canadienne, comme le prescrit l’art. 19 de la Loi, disposition dont nous reparlerons.

[246]      Dans sa dimension législative, cette compétence est par ailleurs balisée par les art. 20 à 24 de la Loi, qui mettent deux voies d’action à la disposition des peuples et de leurs corps dirigeants.

[247]      L’art. 20 est le pivot de cette organisation :

20 (1) Le corps dirigeant autochtone agissant pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones qui a l’intention d’exercer sa compétence législative en matière de services à l’enfance et à la famille peut en donner avis au ministre et au gouvernement de chacune des provinces où est situé le groupe, la collectivité ou le peuple.

20 (1) If an Indigenous group, community or people intends to exercise its legislative authority in relation to child and family services, an Indigenous governing body acting on behalf of that Indigenous group, community or people may give notice of that intention to the Minister and the government of each province in which the Indigenous group, community or people is located.

(2) Ce corps dirigeant autochtone peut également demander au ministre et au gouvernement de chacune de ces provinces de conclure avec lui un accord de coordination concernant l’exercice de cette compétence portant notamment sur :

(2) The Indigenous governing body may also request that the Minister and the government of each of those provinces enter into a coordination agreement with the Indigenous governing body in relation to the exercise of the legislative authority, respecting, among other things,

a) la fourniture de services d’urgence nécessaires au bien-être et à la sécurité des enfants autochtones;

(a) the provision of emergency services to ensure the safety, security and well-being of Indigenous children;

b) des mesures de soutien permettant aux enfants autochtones d’exercer leurs droits efficacement;

(b) support measures to enable Indigenous children to exercise their rights effectively;

c) des arrangements fiscaux concernant la fourniture de services à l’enfance et à la famille par le corps dirigeant autochtone qui soient durables, fondés sur les besoins et conformes au principe de l’égalité réelle afin d’atteindre des résultats qui sont positifs à long terme pour les enfants, les familles et les collectivités autochtones et de soutenir la capacité du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones d’exercer efficacement la compétence législative;

(c) fiscal arrangements, relating to the provision of child and family services by the Indigenous governing body, that are sustainable, needs-based and consistent with the principle of substantive equality in order to secure long-term positive outcomes for Indigenous children, families and communities and to support the capacity of the Indigenous group, community or people to exercise the legislative authority effectively; and

d) toute autre mesure de coordination liée à un exercice efficace de la compétence législative.

(d) any other coordination measure related to the effective exercise of the legislative authority.

(3) Les articles 21 et 22 ne s’appliquent qu’à l’égard du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones pour le compte duquel un corps dirigeant autochtone :

(3) Sections 21 and 22 apply only in respect of an Indigenous group, community or people on whose behalf an Indigenous governing body

a) soit a conclu l’accord de coordination;

(a) entered into a coordination agreement; or

b) soit ne l’a pas conclu, mais a fait des efforts raisonnables à cette fin dans l’année qui suit la date de présentation de la demande.

(b) has not entered into a coordination agreement, although it made reasonable efforts to do so during the period of one year after the day on which the request is made.

(4) Pour l’application de l’alinéa (3)b), les articles 21 et 22 s’appliquent à compter de la date qui suit celle à laquelle expire la période visée à cet alinéa.

(4) For the purposes of paragraph 3(b), sections 21 and 22 apply beginning on the day after the day on which the period referred to in that paragraph ends.

(5) Si le corps dirigeant autochtone, le ministre et les gouvernements de chacune de ces provinces font des efforts raisonnables pour conclure l’accord de coordination mais qu’ils ne le concluent pas, le mécanisme de résolution des différends prévu par les règlements pris en vertu de l’article 32 peut être utilisé afin d’en favoriser la conclusion.

(5) If the Indigenous governing body, the Minister and the government of each of those provinces make reasonable efforts to enter into a coordination agreement but do not enter into a coordination agreement, a dispute resolution mechanism provided for by the regulations made under section 32 may be used to promote entering into a coordination agreement.

(6) Tant que les articles 21 et 22 ne s’appliquent pas à l’égard d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones, rien n’empêche le corps dirigeant autochtone qui a déjà présenté une demande au titre du paragraphe (2) pour le compte de ce groupe, de cette collectivité ou de ce peuple d’en présenter une nouvelle.

(6) If sections 21 and 22 do not apply in respect of an Indigenous group, community or people, nothing prevents the Indigenous governing body that has already made a request under subsection (2) on behalf of the Indigenous group, community or people from making a new request.

(7) Il est entendu que, même si les articles 21 et 22 s’appliquent à l’égard d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones pour le compte duquel un corps dirigeant autochtone n’a pas conclu l’accord de coordination, rien n’empêche le corps dirigeant autochtone de le conclure après l’expiration de la période visée à l’alinéa (3)b).

(7) For greater certainty, even if sections 21 and 22 apply in respect of an Indigenous group, community or people on behalf of which an Indigenous governing body has not entered into a coordination agreement, nothing prevents the Indigenous governing body from entering into a coordination agreement after the end of the period referred to in paragraph (3)(b).

[248]      La Loi offre donc un choix :

- d’une part, le peuple autochtone peut choisir, par l’entremise de son corps dirigeant, d’exercer ou de ne pas exercer sa compétence législative en matière de services à l’enfance et à la famille;

- d’autre part, s’il choisit d’exercer cette compétence, deux options se présentent encore à lui :

 par l’intermédiaire de son corps dirigeant, il peut manifester son intention de ce faire conformément au par. 20(1), par avis adressé au ministre ainsi qu’au gouvernement de la ou des provinces concernées[275];

 il peut, avec ou sans cet avis et conformément au par. 20(2), demander au ministre et au gouvernement de chacune des provinces concernées de conclure un accord de coordination[276].

[249]      La décision de demander la conclusion d’un accord de coordination est la clé de voûte du système qu’établit la Loi : elle a en effet pour conséquence d’enclencher l’application des art. 21 et 22 de la Loi. Comme le prévoit expressément le par. 20(3), à compter de la conclusion de l’accord ou à l’expiration de l’année suivant la demande qui en a été faite, le peuple qui choisit cette voie bénéficie des régimes de préséance et de résolution des conflits de lois qu’édictent les art. 21 et 22 :

21 (1) A également force de loi, à titre de loi fédérale, le texte législatif, avec ses modifications successives, du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones visé au paragraphe 20(3), pendant la période au cours de laquelle ce texte est en vigueur.

21 (1) A law, as amended from time to time, of an Indigenous group, community or people referred to in subsection 20(3) also has, during the period that the law is in force, the force of law as federal law.

(2) Les lois fédérales, autre que la présente loi, n’ont aucun effet sur l’interprétation du texte visé au paragraphe (1) du seul fait que ce paragraphe lui donne force de loi à titre de loi fédérale.

(2) No federal law, other than this Act, affects the interpretation of a law referred to in subsection (1) by reason only that subsection (1) gives the law the force of law as federal law.

(3) Les lois fédérales, autre que la présente loi et la Loi canadienne sur les droits de la personne, ne s’appliquent pas relativement au texte visé au paragraphe (1) du seul fait que ce paragraphe lui donne force de loi à titre de loi fédérale.

(3) No federal law, other than this Act and the Canadian Human Rights Act, applies in relation to a law referred to in subsection (1) by reason only that subsection (1) gives the law the force of law as federal law.

22 (1) Les dispositions relatives aux services à l’enfance et à la famille de tout texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones l’emportent sur les dispositions incompatibles relatives aux services à l’enfance et à la famille, autres que les articles 10 à 15 de la présente loi et les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de toute loi fédérale ou de tout règlement pris en vertu d’une telle loi.

22 (1) If there is a conflict or inconsistency between a provision respecting child and family services that is in a law of an Indigenous group, community or people and a provision respecting child and family services — other than any of sections 10 to 15 of this Act and the provisions of the Canadian Human Rights Act — that is in a federal Act or regulation, the provision that is in the law of the Indigenous group, community or people prevails to the extent of the conflict or inconsistency.

(2) Les mentions de « loi fédérale » et de « règlement pris en vertu d’une telle loi », au paragraphe (1), ne visent pas le texte législatif auquel le paragraphe 21(1) donne force de loi.

(2) The reference to a “federal Act or regulation” in subsection (1) does not include a reference to a law that has the force of law under subsection 21(1).

(3) Il est entendu que les dispositions relatives aux services à l’enfance et à la famille de tout texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones l’emportent sur les dispositions incompatibles relatives aux services à l’enfance et à la famille de toute loi provinciale ou de tout règlement pris en vertu d’une telle loi.

(3) For greater certainty, if there is a conflict or inconsistency between a provision respecting child and family services that is in a law of an Indigenous group, community or people and a provision respecting child and family services that is in a provincial Act or regulation, the provision that is in the law of the Indigenous group, community or people prevails to the extent of the conflict or inconsistency.

[250]      Le Parlement réserve donc l’application de ces dispositions aux seuls peuples dont les corps dirigeants auront demandé la conclusion d’un accord de coordination (qu’un tel accord soit conclu ou non). Selon le schème ainsi voulu, les textes législatifs des corps dirigeants ayant présenté cette demande sont assimilés à des lois fédérales (par. 21(1)) et, si ce n’est qu’ils sont assujettis à la Charte canadienne (art. 19), à la Loi canadienne sur les droits de la personne et aux art. 10 à 15 de la Loi[277] (par. 21(3) et 22(1)), leur contenu et leur portée peuvent être déterminés librement[278]. Le Parlement prévoit en outre leur préséance sur toute disposition incompatible d’une loi fédérale ou provinciale en matière de services à l’enfance et à la famille[279] (sous réserve de l’art. 23)[280].

[251]      Qu’en est-il des peuples autochtones qui choisiront d’exercer leur compétence législative sans demander la conclusion de l’accord de coordination prévu par le par. 20(2)? Il découle du par. 20(3) que leurs textes législatifs ne jouiront pas de la protection et des avantages des art. 21 et 22 (sans toutefois être privés de ceux qu’offrirait potentiellement l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, à supposer que cette disposition couvre effectivement l’autonomie gouvernementale et la compétence des peuples autochtones sur les services à l’enfance et à la famille[281], question qui sera au cœur de l’analyse que propose, plus loin, le présent avis). Par ailleurs, ils seront assujettis à la Charte canadienne, et ce, en vertu de l’art. 19 de la Loi, qui ne distingue pas ces textes de ceux qu’auront adoptés les peuples qui auront choisi la voie du par. 20(2).

[252]      Les textes législatifs des peuples autochtones qui auront décidé de ne pas se conformer aux par. 20(2) devront-ils respecter les art. 10 à 17 de la Loi (on se rappellera ici que les textes législatifs des peuples qui se sont conformés au par. 20(2) sont, en vertu du par. 22(1), tenus de respecter les art. 10 à 15 de la Loi)? Il n’y a pas lieu de se prononcer sur la question, que les parties n’ont pas soulevée et qui pourrait se révéler controversée.

[253]      Cela dit, il reste que, par l’établissement de ce système à deux vitesses, selon qu’un accord de coordination est demandé ou non par le peuple désireux d’exercer sa compétence en la matière, le Parlement entend manifestement encourager la démarche de négociation. L’accord de coordination, dont le contenu est potentiellement très vaste (voir le par. 20(2) de la Loi), se veut clairement un instrument destiné à faciliter l’exercice de la compétence des peuples autochtones, à leur donner les moyens d’agir et à renforcer la protection de leurs enfants. Et si le Parlement, comme nous le remarquions plus haut, n’en fait pas un outil obligatoire, cette négociation n’en demeure pas moins un instrument privilégié[282], d’autant qu’elle intègre les provinces (partenaires incontournables de la prestation des services à l’enfance et à la famille) à l’élaboration du cadre dans lequel seront réglementés ou offerts ces services à leurs citoyens autochtones[283].

[254]      Quelques mots enfin des art. 23 et 24, qui complètent cette section de la Loi et s’appliquent à tout texte législatif autochtone (peu importe qu’il se conforme ou non aux par. 20(1) ou (2) et qu’il soit visé ou non par les art. 21 et 22).

[255]      L’art. 23 détermine en ces termes le champ d’application de tout texte législatif autochtone en matière de services à l’enfance et à la famille, en même temps qu’il énonce une exception générale à cette application :

23 La disposition relative aux services à l’enfance et à la famille de tout texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones s’applique à l’égard d’un enfant autochtone, sauf si son application est contraire à l’intérêt de l’enfant.

23 A provision respecting child and family services that is in a law of an Indigenous group, community or people applies in relation to an Indigenous child except if the application of the provision would be contrary to the best interests of the child.

[256]      C’est donc dire que tous les textes législatifs adoptés en vertu de l’art. 18 de la Loi s’appliquent aux enfants autochtones concernés. C’est dire également que même les textes législatifs autochtones auxquels s’appliquent les art. 21 et 22 de la Loi et qui, selon la volonté du Parlement, ont en principe préséance sur les lois fédérales et provinciales incompatibles – sont sujets, comme les autres, à l’exception de « l’intérêt de l’enfant », lequel doit être évalué en fonction du principe et des critères établis par les art. 9 et 10 de la Loi. Si l’application du texte législatif autochtone est contraire à l’intérêt de l’enfant, c’est, doit-on conclure, la loi provinciale générale qui s’appliquera, les services alors fournis devant respecter les art. 10 à 17.

[257]      Quant à l’art. 24, qui s’applique lui aussi à tout texte législatif autochtone, y compris ceux qui sont visés par les art. 21 et 22 (par. 24(2)), il ajoute une règle de résolution des conflits entre textes législatifs autochtones, en faisant primer la loi du peuple avec lequel l’enfant a les liens les plus étroits, compte tenu de certains critères.

[258]      Dans l’ensemble, on constatera enfin que le régime aménagé par la Loi en vue de favoriser l’exercice de la compétence des peuples autochtones, compétence qui dérive directement de leur droit à l’autonomie gouvernementale, reconnu et affirmé par l’art. 18 de la Loi, que ce régime, donc, semble conforme à l’esprit de la Loi sur le Ministère des Services aux Autochtones[284], adoptée concomitamment. Par ses art. 6 à 9, cette dernière loi prévoit en effet, par le moyen d’accords (art. 9), le transfert graduel des responsabilités du ministère aux communautés autochtones « en ce qui a trait à l’élaboration et à la prestation de ces services » (al. 7b)), services qui sont ceux du par. 6(2), dont les services à l’enfance et à la famille (al. 6(2)a)). On ne s’étonne pas que ceci soit allé de pair avec la reconnaissance de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones en la matière, de façon à ce qu’ils puissent réguler, administrer et offrir eux-mêmes ces services, tout en mettant en place des mécanismes de résolution des différends, comme le prévoit l’art. 18 de la Loi.

- Autres dispositions

[259]      Les autres dispositions de la Loi sont d’un moindre intérêt aux fins du présent renvoi, sauf peut-être l’art. 32.

[260]      Ainsi, les art. 25 et 26 imposent au ministre (celui des Services aux Autochtones[285]) l’obligation d’afficher sur un site Web divers renseignements relatifs aux peuples qui se prévalent de la Loi et celle de rendre accessible, par le moyen qu’il choisit, les textes législatifs autochtones.

[261]      Les art. 27 à 30 concernent la collecte des renseignements relatifs aux services à l’enfance et à la famille autochtones, de même que les obligations incombant aux uns et aux autres à cet égard.

[262]      L’art. 31 oblige le ministre à une révision quinquennale de la Loi, en collaboration avec les peuples autochtones, révision à laquelle il peut aussi solliciter le concours des provinces. Cette révision peut mener à la modification de la Loi.

[263]      Le par. 32(1) habilite le gouverneur en conseil à prendre tout règlement « régissant l’application de la présente loi » ainsi que « la fourniture de services à l’enfance et à la famille », mais à condition que les peuples autochtones aient eu « l’occasion de collaborer de façon significative à l’élaboration des orientations préalables à sa prise » (« afforded a meaningful opportunity to collaborate in the policy development leading to the making of the regulations »). La participation des provinces est pour sa part facultative (par. 32(2)). Aux mêmes conditions, l’art. 34 lui permet d’adopter des règlements sur les mesures transitoires qui seraient nécessaires.

[264]      Le positionnement de cette réglementation au regard de l’autonomie affirmée par les art. 8 et 18 de la Loi ainsi que du régime de préséance établi par les art. 21 et 22 n’est pas clair[286]. On peut supposer au moins que tout règlement visant à limiter, restreindre ou contraindre l’exercice de la compétence des peuples, ou ayant cet effet, serait assujetti au test énoncé par l’arrêt Sparrow, dans la mesure où le droit à l’autonomie gouvernementale reconnu par les art. 8 et 18 de la Loi serait effectivement protégé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[265]      Enfin, et pour clore le sujet, le pouvoir dévolu au gouverneur en conseil par l’art. 32 inclut aussi celui de prévoir le mécanisme de résolution des différends destiné à favoriser la conclusion d’un accord de coordination (voir le par. 20(5) de la Loi).

[266]      L’art. 33 de la Loi promulgue une disposition transitoire rattachée à l’art. 13 de la Loi et aux droits des parents, familles et corps dirigeants autochtones de participer ou faire des représentations dans une instance judiciaire qui concerne un enfant autochtone et qui est en cours au moment de l’entrée en vigueur de la Loi (art. 35).

c)     Quelques observations sur l’application de la Loi

[267]      Si, aux yeux du Parlement et de nombreux observateurs[287], la Loi[288] constitue une avancée notable, essentielle même, dans le processus de réconciliation avec les peuples autochtones, l’affirmation des droits protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la réparation du préjudice historique causé aux enfants et aux familles autochtones, il reste qu’elle n’est pas une panacée. Sans parler de la question de savoir si son contenu est conforme à la Constitution canadienne, sujet du présent renvoi, elle comporte en effet quelques dispositions ambiguës, imprécises ou même élusives, de nature à complexifier son application et à susciter des litiges, ce que plusieurs intervenants autochtones ont signalé lors de l’étude parlementaire. Nous avons noté certaines de ces dispositions, au passage, dans les pages précédentes, mais d’autres interrogations subsistent.

[268]      Sans prétendre en dresser une liste exhaustive, ni répondre à ces interrogations, on peut revenir, par exemple, sur la définition du « corps dirigeant autochtone ». Comme on l’a vu, cette définition, qui paraît s’harmoniser avec les art. 3, 4, 5, 18 et 33 par. 2 de la Déclaration des Nations Unies, donne aux peuples autochtones toute latitude pour ériger ou désigner les entités destinées à les représenter et à mettre la Loi en œuvre. Il n’est pas impossible, cependant, que cela génère des différends internes ou puisse compliquer l’exercice de la compétence législative reconnue par l’art. 18 de la Loi. On peut se demander également si la Loi ne risque pas d’occasionner, non seulement entre corps dirigeants potentiellement concurrents, mais encore entre groupes, collectivités ou peuples, une sorte de parcellisation de la gouvernance autochtone, ce qui risque de brouiller les rapports entre eux ou, autre exemple, leurs rapports avec les provinces, lesquelles pourraient avoir à composer avec un nombre important d’interlocuteurs. La question de savoir quelle entité de gouvernance (quel « corps dirigeant ») peut légitimement représenter un peuple autochtone ou agir en son nom dans l’exercice de ses droits ancestraux – parfois source de tensions dans les communautés – n’a jamais été tranchée par la Cour suprême du Canada et elle se pose ici avec acuité. Quoi qu’il en soit, le choix politique que fait ici le Parlement est intimement lié au droit à l’autonomie gouvernementale que la Loi reconnaît génériquement aux Autochtones, leur reconnaissant du coup la liberté de désigner leurs corps dirigeants, à l’échelle du groupe, de la collectivité ou du peuple, et de régler leur mode de gouvernance[289]. On ne peut toutefois pas exclure l’éventualité de certaines difficultés d’application.

[269]      Dans un autre ordre d’idées, pour des raisons qui, là encore, tiennent à l’idée même d’autonomie gouvernementale (c’est à tout le moins ce qui ressort des débats parlementaires), la Loi ne lie pas la capacité de légiférer des peuples autochtones à leur capacité ou à leur volonté de fournir eux-mêmes les services aux enfants et aux familles (même si, comme on l’a vu plus haut, cela semble être l’objectif ultime de la réforme voulue par le Parlement). Cela pourrait également être de nature à susciter des difficultés d’application, encore qu’il s’agisse vraisemblablement là de problèmes susceptibles d’être réglés dans le cadre des accords prévus par l’art. 20 de la Loi ou d’autres formes de négociation.

[270]      Comme mentionné plus tôt, l’art. 18 de la Loi reconnaît que les peuples autochtones, dans l’exercice de leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, peuvent établir des mécanismes de règlement des différends, ce qui, de prime abord, paraît inclure la mise en place de tribunaux quasi judiciaires. Il n’en reste pas moins quelques questions, qui demeurent ouvertes à ce stade : ces mécanismes sont-ils sujets au contrôle des cours supérieures des provinces (à première vue, une réponse affirmative semble devoir s’imposer, vu l’ordonnancement constitutionnel pertinent et la nécessité de faire respecter la primauté du droit)? Les textes législatifs autochtones peuvent-ils prévoir un appel des décisions des tribunaux autochtones aux tribunaux de la province, qu’il y ait ou pas d’accord de coordination avec celle-ci[290]? Peuvent-ils plutôt choisir de s’en remettre généralement aux tribunaux de la province pour leur application? On peut se demander aussi quelle instance serait chargée d’entendre un litige concernant l’art. 23 de la Loi, qui prévoit que le texte législatif autochtone ne peut s’appliquer s’il est contraire à l’intérêt de l’enfant : qui pourra faire cette détermination? Quels seraient par ailleurs l’instance et le for compétents pour statuer sur une dispute relative à l’art. 24 (conflit de lois entre groupes, collectivités ou peuples)? Ce seront là, certainement, des questions à résoudre (et par qui?), tout en espérant que, en cas de litige, le Principe de Jordan puisse être respecté et que ces discussions n’entraînent pas la rupture des services aux enfants et aux familles en cause.

[271]      Enfin, la Loi n’aborde pas non plus, du moins pas directement, la question du financement des services aux enfants et aux familles autochtones (un financement dont les déficiences passées se sont révélées dramatiques). Certes, son préambule en fait mention, mais le gouvernement fédéral s’y contente de reconnaître « la demande constante d’obtention d’un financement des services à l’enfance et à la famille qui soit prévisible, stable, durable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l’égalité réelle […] », sans autrement s’engager à répondre à cette demande[291]. Il est vrai que le par. 6(2) de la Loi sur le ministère des Services aux Autochtones oblige le ministre à « veiller » (en anglais : « to ensure ») à ce que les services à l’enfance et à la famille soient offerts aux Autochtones, mais il reste encore à arrimer cette obligation avec la Loi et à faire en sorte que les services qui en sont l’objet soient soutenus financièrement (et structurellement) tant sur le plan individuel que systémique, en vue d’atteindre l’égalité réelle[292].

[272]      L’al. 20(2)c) de la Loi, relatif aux accords de coordination, indique que ceux-ci peuvent comporter des « arrangements fiscaux » (« fiscal arrangements ») concernant la fourniture de services adéquats par les corps dirigeants autochtones, de manière à assister les communautés dans l’exercice efficace de leur compétence législative, au bénéfice des enfants et des familles. On peut présumer que ces arrangements fiscaux seront la pièce maîtresse du financement des services aux enfants et aux familles autochtones, mais cela paraît bien sommaire dans un contexte où, assez récemment encore, le TCDP, dans la décision Société de soutien que le gouvernement fédéral n’a pas contestée, faisait grief à celui-ci de n’avoir jamais convenablement financé les services à l’enfance et à la famille autochtones, y voyant la manifestation d’une discrimination historique et persistante. Qui plus est, dans la mesure où ces arrangements fiscaux sont liés aux accords de coordination, comment financera-t-on les services aux enfants et aux familles des communautés qui n’en auront pas conclu (malgré une négociation) ou qui n’auront pas demandé à en conclure?

[273]      Lors des travaux devant le Parlement, de nombreux intervenants ont fait remarquer que l’autonomie véritable des peuples autochtones dans le domaine des services à l’enfance et à la famille serait à la mesure du financement qui leur serait accordé à cette fin, mais aussi de l’amélioration générale de leurs conditions socioéconomiques. Citons ici, par exemple, les observations de Femmes Autochtones du Québec, dont la présidente, Mme Viviane Michel, déclarait ce qui suit devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord (Chambre des communes) :

Si l'objectif réel du projet de loi C-92 est de résoudre le problème de la surreprésentation des enfants autochtones dans les services de protection à l'enfance et de veiller au bien-être des enfants et des familles autochtones, celuici devrait adopter une approche holistique qui tient réellement compte de la totalité des enjeux affectant nos nations. Cela devrait inclure notamment l'incorporation dans le projet de loi d'obligations positives incombant à l'État canadien et aux provinces de prendre toutes les mesures nécessaires pour améliorer les conditions socioéconomiques des enfants et des familles autochtones. Il est primordial que ces mesures soient applicables à tous les enfants autochtones, qu'ils vivent ou non dans une réserve et qu'ils aient ou non le statut d'Indien, afin d'assurer une réelle égalité et de véritablement travailler en amont sur la prévention. Je rappelle ici l'article 21 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada a ratifiée et qu'il s'est engagé à mettre en œuvre.

Ainsi, Femmes autochtones du Québec formule trois recommandations à l'égard du projet de loi C-92.

D'abord, il faudrait inclure des dispositions spécifiques dans le corps du projet de loi sur le financement des services à l'enfance et aux familles dans les nations autochtones pour garantir un financement prévisible, stable, durable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l'égalité réelle.

Ensuite, il faudrait amender le projet de loi afin d'y inclure le principe de Jordan comme règle de droit juridiquement contraignante pour tous les acteurs gouvernementaux quant à tous les types de soins et de services pour tous les enfants autochtones.

Enfin, il faudrait incorporer dans le projet de loi des obligations positives incombant à l'État canadien et aux provinces de prendre toutes les mesures nécessaires pour améliorer les conditions socioéconomiques des enfants et des familles autochtones, incluant ceux et celles vivant hors réserve et en milieu urbain.[293]

[274]      Le directeur des services sociaux de la Nation Nishnawbe Aski, M. Bobby Narcisse, témoignant devant le même Comité, reprend le thème :

En ce qui concerne le financement, le projet de loi C-92 ne contient aucune garantie législative de financement pour nos enfants et nos familles. Ceci est profondément préoccupant. Il ne suffit pas que l'énoncé du préambule reconnaisse la demande actuelle de financement prévisible, stable, fondé sur les besoins et conforme au principe de l'égalité réelle pour les services à l'enfance et à la famille, afin de garantir des résultats positifs à long terme pour les enfants, les familles et les communautés autochtones. Cet appel doit être assorti de garanties prévues par la loi pour un tel financement.

L'affaire de la Société de soutien devant le Tribunal canadien des droits de la personne a mis en lumière les violations des droits de la personne qui se produisent lorsque le financement de nos enfants n'est pas légiféré.

[…]

Nous avons besoin d'un changement de paradigme. Nous avons besoin d'un changement durable. La législation doit s'accompagner de garanties législatives en matière de financement. […][294]

[275]      On peut citer encore les mots d’Elisapee Sheutiapik, ministre des Services à la famille et leader parlementaire du gouvernement du Nunavut :

Si l’intention réelle du projet de loi C-92 est de permettre un changement de système, pour passer de l’appréhension à la prévention, en mettant l’accent sur les soins préventifs et le soutien pour les familles, il faut tenir compte de l’importante inégalité sociale dans le Nord et de la façon dont cette situation influe sur les familles et la prestation des services. Cela inclut s’attaquer à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, aux défis en matière de logement et à l’absence d’infrastructures dans le territoire pour soutenir les enfants et les jeunes qui ont des besoins élevés.

Cela m’amène à notre deuxième préoccupation liée au financement. Nous comprenons que le projet de loi vise à affirmer la compétence et appliquer les principes et les normes à l’échelle des provinces et des territoires. Nous comprenons aussi que l’intention du projet de loi est de faciliter un changement au sein du système, pour passer de l’appréhension à la prévention. De quelle façon pouvons-nous vraiment passer aux soins de prévention alors que les familles et les collectivités du Nunavut continuent d’être profondément touchées par la pauvreté, qui découle des torts historiques du gouvernement fédéral : les répercussions de la colonisation?[295]

[276]      Ces propos paraissent difficilement contestables et l’importance de ce financement ne saurait être minimisée, qu’il s’agisse de soutenir l’activité régulatrice des peuples autochtones ou la prestation des services par ces mêmes peuples.

[277]      Il n’est pas dit, enfin, que la question du financement ne soit pas de nature à engendrer des débats avec les provinces, dont le rôle, principal ou subsidiaire, dans l’application de la Loi ne peut être ignoré. Ce fut là, traditionnellement, un écueil[296].

[278]      Bref, la Loi ne sera sans doute pas le remède à tous les maux qui ont caractérisé les services aux enfants et aux familles autochtones (surtout si le financement des mesures qu’elle met en place n’est pas à la hauteur) et elle pourrait susciter des controverses qui en entravent l’application, notamment par la multiplication des litiges[297].

[279]      Cela dit, le renvoi du gouvernement du Québec ne demande pas à la Cour de se prononcer sur la qualité de la Loi ou la sévérité de ses lacunes, ni de résoudre les ambiguïtés qui affectent certaines de ses dispositions. C’est de la seule question de la conformité constitutionnelle de la Loi que nous sommes saisis, et c’est elle que nous examinerons après un exposé des positions des parties et des intervenantes.

3-    Les positions respectives du Québec, du Canada et des intervenantes

[280]      En proposant une réponse affirmative à la question du renvoi, le procureur général du Québec a contesté la constitutionnalité de la Partie I de la Loi parce que ces mesures porteraient atteinte à la compétence de la province de dispenser comme bon lui semble les services à l’enfance et à la famille; il a aussi attaqué la Partie II de la Loi au motif que ces dispositions définissent unilatéralement les droits reconnus par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et que cette nouvelle définition nécessiterait le recours à la procédure de modification de la Constitution. De manière générale, l’argumentation des procureurs généraux s’est déployée sur deux plans et en deux volets : la validité et la portée de la Loi au regard du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et la validité et la portée de la Loi au regard de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Comme on le verra, certaines intervenantes ont structuré différemment leur argumentation, estimant que la Loi constitue un tout insécable dont les dispositions dans leur ensemble doivent s’interpréter les unes par rapport aux autres.

[281]      Dans ce cadre, le procureur général du Québec et le procureur général du Canada ont avancé des thèses a priori mutuellement exclusives. En plaidoirie orale devant la Cour, leurs avocats ont donné à leurs prétentions respectives une inflexion particulière qui ne figurait peut-être pas avec la même netteté dans leur argumentation écrite. Cela aura permis de mieux situer de part et d’autre les derniers retranchements de chaque procureur général. Celui du Québec a invité la Cour à répondre à la question formulée dans le renvoi d’une manière qui éluderait un aspect central de ce qui est en litige. Celui du Canada a suggéré à la Cour une réponse qui limiterait sensiblement la portée de l’avis à rendre. Il en sera tenu compte, avec les précisions utiles, dans l’analyse qui suit.

a)     La position du Québec

[282]      Le procureur général du Québec a d’abord insisté sur le régime de protection de l’enfance qui, au Québec, vise tous les enfants, y compris les enfants autochtones et même les enfants étrangers lorsqu’ils sont sur place. Ce régime découle de l’application de nombreuses lois provinciales et il comporte diverses caractéristiques spécialement adaptées à la réalité des enfants autochtones. Selon le procureur général, les provinces jouent un rôle de premier plan pour ce qui concerne les « charges relatives au filet social »[298] et toute initiative législative de cet ordre touchant les Autochtones relève des compétences provinciales.

[283]      L’examen de la preuve intrinsèque et extrinsèque relative à la Loi démontre que l’objet de la Partie I de celle-ci est d’établir des « principes applicables à l’échelle pancanadienne aux services à l’enfance et à la famille lorsque ces services sont dispensés à l’égard d’[A]utochtones »[299]. En ce qui concerne les effets de la Partie I de la Loi, celle-ci impose aux provinces la manière dont doivent être dispensés les services destinés aux enfants autochtones. Force est donc de conclure que la Loi « [dicte] la façon dont les services à l’enfance et à la famille doivent être dispensés par les provinces dans un contexte autochtone »[300].

[284]      Cela étant, le procureur général soutient qu’une telle interprétation de la compétence prévue au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 en outrepasse les limites. Elle met en péril l’architecture constitutionnelle, dont il fait une pierre de touche de son argumentation, de même qu’elle contrevient aux principes de fédéralisme et de démocratie sous-jacents à la Constitution canadienne. S’il est vrai qu’au sein de la fédération canadienne les deux paliers de gouvernement peuvent agir de manière coordonnée, il n’en demeure pas moins que les entités fédérées et le gouvernement central sont souverains dans leurs champs de compétence respectifs : les premières ne sont donc pas subordonnées au second et ce dernier ne peut dicter aux provinces la façon dont elles doivent exercer leurs compétences. L’architecture constitutionnelle en place implique également que, lorsqu’un palier de gouvernement entend imposer des obligations aux fonctionnaires d’un autre palier, il lui faut d’abord conclure à cette fin un accord intergouvernemental, ce qui aurait dû être fait ici, mais ne l’a pas été.

[285]      Subsidiairement, le procureur général du Québec fait valoir que la Loi devrait être déclarée inapplicable aux fonctionnaires provinciaux, ou qu’une interprétation atténuée de ses dispositions s’impose. À défaut de cela, la Loi entravera la compétence de la province sur sa fonction publique. En effet, cette compétence comprend à tout le moins « le contrôle sur les tâches des employés et l’organisation des services publics qu’ils dispensent »[301].

[286]      Il s’ensuit que, selon cette argumentation, la Partie I de la Loi, et plus spécifiquement ses art. 9 à 17, est invalide ou inapplicable.

[287]      Puis, se tournant vers l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le procureur général du Québec avance en premier lieu qu’une assise fondamentale de la Loi figure dans son art. 8 et son par. 18(1). Ceux-ci prétendent reconnaître et affirmer un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, droit qui, aux termes de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, se qualifierait à titre de droit « existant », « reconnu » et « confirmé ». Les autres dispositions de la Partie II viennent ensuite donner effet à cette reconnaissance. Or, plaide le procureur général, cela implique la création unilatérale d’un troisième ordre de gouvernement, dont les compétences n’ont pas de limite territoriale. Selon lui, la portée de l’art. 18 n’est pas purement déclaratoire : en renvoyant comme il le fait à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, cet article habilite les peuples autochtones à adopter des lois, ce qui distingue la Loi d’autres lois ou projets de loi fédéraux fondés sur le principe de la délégation de pouvoirs. Et cela survient alors que la Cour suprême a refusé de statuer sur la présence d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale dans l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et que, parallèlement, la jurisprudence sur cette disposition fait obstacle à un procédé législatif comme celui utilisé dans la Loi.

[288]      Dans cette perspective, le Parlement usurpe le rôle des tribunaux, à qui il revient de déterminer la portée de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon la même thèse, le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 ne confère pas au Parlement le pouvoir d’établir un titre ou des droits ancestraux, ni d’en déclarer l’existence, bien que le Parlement puisse légiférer à l’égard de droits ancestraux déjà établis. Mais permettre au Parlement de déterminer unilatéralement le contenu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 par le jeu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 bouleverserait l’équilibre constitutionnel. Il faut plutôt recourir à la procédure de modification constitutionnelle, avec la participation des provinces, pour établir un droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones.

[289]      En adoptant la Loi, le Parlement tente de modifier unilatéralement la Constitution. Le procureur général rappelle que la reconnaissance d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et sa mise en œuvre (y compris les règles de prépondérance entre les textes législatifs autochtones et les lois provinciales ou fédérales) ont historiquement été considérées dans des démarches de négociations multilatérales de modification de la Constitution. Aussi la voie de la négociation est-elle celle à privilégier. La reconnaissance de l’autonomie gouvernementale autochtone (comme en matière de services à l’enfance et à la famille) peut se faire au cas par cas au moyen de traités protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, conformément aux responsabilités qui incombent en raison de cette disposition à la Couronne dans son ensemble. En outre, le principe de l’honneur de la Couronne ne permet pas d’interpréter plus largement la compétence visée par le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[290]      Les art. 8 et 18 de la Loi prétendent résoudre une question que la Cour suprême n’a jamais tranchée, alors même qu’elle a précisé que la mise en application de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne se prêtait pas à des revendications formulées avec un degré excessif de généralité. L’approche doit demeurer la même que pour toute revendication d’un droit ancestral. Le procureur général pousse l’argumentation plus loin en affirmant qu’il n’est ni requis ni approprié que la Cour se prononce en l’occurrence sur l’existence ou non d’un droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Il lui suffirait donc de conclure que, dans le contexte exposé, la Partie II de la Loi est invalide.

[291]      Invité à l’audience à préciser sa pensée sur ce dernier point, l’avocat du procureur général a soutenu avec grande fermeté que la seule question devant la Cour était celle de la validité constitutionnelle de la Loi et qu’en l’espèce la Cour pouvait y répondre sans aucunement se prononcer sur la portée de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En fin de compte, selon cette position, le Parlement ne peut adopter une loi qui prétend donner un sens à la Constitution et qui par la même occasion déplace le fardeau de la démonstration en contraignant le gouvernement du Québec à contester la constitutionnalité de cette mesure législative. Il en serait ainsi malgré le libellé de la question posée par le renvoi et malgré le fait que le dossier très étoffé du renvoi contient nombre d’éléments de preuve pertinents sur la portée des droits ancestraux visés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

b)    La position du Canada

[292]      Le procureur général du Canada offre d’abord sa propre mise en contexte et souligne que la création par le gouvernement fédéral d’un système d’éducation dont les établissements pouvaient fournir des services de protection à l’enfance remonte à la fin du 19e siècle. Plus récemment, quoique depuis une soixantaine d’années déjà, le gouvernement fédéral a financé en très grande partie la fourniture de services de protection par les organismes SEFPN. La preuve au dossier démontre qu’en avril 2020, 179 organismes de ce genre étaient en activité au Canada.

[293]      Le procureur général s’en remet au « cadre d’analyse classique »[302] du caractère véritable de la Loi pour en évaluer la validité; comme quelques intervenantes, il reproche au procureur général du Québec de ne pas s’en être tenu à ce type d’analyse. Sur ce point, selon lui, aucune équivoque n’est possible. Tant la Loi elle-même que les débats parlementaires démontrent que l’objectif de la Loi est la « protection et le bien-être des enfants, familles et collectivités autochtones, par la réduction du nombre d’enfants dans les systèmes des services à l’enfance »[303]. L’objectif vise à promouvoir la réconciliation entre les peuples autochtones et le Canada.

[294]      On doit tenir compte de trois effets distincts de la Loi : elle favorise le maintien du lien culturel qui unit les enfants à leur communauté, elle diminue le nombre d’enfants pris en charge par des agences gouvernementales et elle améliore l’efficacité des services offerts. Sous cet angle, l’impact de la Loi sur le travail des fonctionnaires provinciaux que dénonce le procureur général du Québec n’est qu’un effet accessoire qui n’est pas de nature à modifier le caractère véritable de la Loi. Rien au dossier du renvoi ne permet de conclure que les principes de la Partie I de la Loi gêneront les gouvernements provinciaux ou les priveront du pouvoir de fixer les modalités de la fourniture de services par leurs fonctionnaires.

[295]      En dernière analyse, le caractère véritable de la Loi, selon le procureur général du Canada, est donc « de protéger et d’assurer le bien-être des enfants, familles et collectivités autochtones »[304]. Le problème, en situation de placement, de la surreprésentation des enfants autochtones en raison de leur prise en charge systématique est l’une des principales cibles de la Loi. Il s’agit d’une matière relevant assurément de la vaste compétence attribuée par le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 puisque cette disposition permet au gouvernement fédéral de légiférer « dans toutes les sphères de la vie des Autochtones »[305] envisagés en tant que personnes, afin d’assurer leur protection. Le Parlement a d’ailleurs déjà légiféré dans ce sens et d’une manière qui concernait les enfants et les familles autochtones.

[296]      Pour ce qui est de ce qu’invoque le procureur général du Québec au titre de l’architecture constitutionnelle et des principes sous-jacents à la Constitution, le procureur général du Canada répond que le gouvernement fédéral a le pouvoir de lier les provinces dès lors qu’il demeure dans ses sphères de compétence. La doctrine de l’exclusivité des compétences n’a pas en l’espèce l’effet que lui prête le procureur général du Québec. En particulier, la compétence provinciale sur la fonction publique n’a pas pour cœur le contrôle sur les tâches des employés et l’organisation du travail. L’argument n’aurait l’impact que lui prête le procureur général du Québec seulement s’il était démontré que la Loi entrave la capacité des provinces d’organiser et de gérer leur propre fonction publique. Or, cela n’a pas été fait.

[297]      En ce qui a trait au second volet de son argumentation, le procureur général du Canada réitère d’abord que l’analyse du caractère véritable de la Partie II de la Loi fait voir qu’elle est un moyen de réaliser son objet. Il s’agit, selon les termes qu’il emploie dans son mémoire, de « protéger et d’assurer le bien-être des enfants, familles et collectivités autochtones, en favorisant des services à l’enfance qui soient culturellement adaptés, dans le but de mettre fin à la surreprésentation des enfants autochtones dans les systèmes de services à l’enfance »[306].

[298]      L’art. 18 permet une mise en œuvre rapide, efficace et harmonieuse de la compétence législative des peuples autochtones. Cela dit, on ne soutient pas ici que l’affirmation par le Parlement d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale lie de quelque façon les tribunaux, ni que le Parlement peut fixer le contenu des droits reconnus par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Sur ce point, l’avocate du procureur général a été on ne peut plus explicite à l’audience. La Loi ne peut instaurer un droit ancestral visé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Parlement ne peut légiférer d’une manière qui empêcherait que la validité de textes législatifs autochtones soit contestée parce qu’il n’existe pas au regard de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 un droit ancestral sous-jacent à l’autonomie gouvernementale.

[299]      Néanmoins, légiférant dans le cadre de sa compétence en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement peut, c’est la prétention du procureur général du Canada, affirmer ce qu’il considère être reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Or, selon lui, les sociétés autochtones historiques avaient nécessairement la capacité de pourvoir au bien-être de leurs enfants, car cela constitue une partie intégrante de leur culture distinctive. Ce droit ancestral existe indépendamment de tout jugement judiciaire, selon ce que prescrit l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Interprété de concert avec l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, conformément à une interprétation évolutive de la Constitution, le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise le Parlement à aménager sa relation avec les peuples autochtones. Quant à la prépondérance conférée aux textes législatifs autochtones, elle découle de l’incorporation de ces textes à titre de lois fédérales, une technique valide et d’usage courant, et elle est sans impact sur le partage des compétences.

[300]      En réponse à l’argument du procureur général du Québec selon lequel un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale ne peut être protégé que par une modification constitutionnelle ou par la conclusion de traités, le procureur général du Canada réplique que cette prétention découle d’une prémisse erronée. En effet, la jurisprudence pertinente reconnaît la possibilité que l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 englobe un droit à l’autonomie gouvernementale.

[301]      Dans le même ordre d’idées, il est inutile pour la Cour de préciser si la proposition qu’énonce le par. 18(1) de la Loi vaut pour tous les peuples autochtones qui se prévaudraient de la Loi. Ce qui est en cause ici, c’est la validité constitutionnelle des art. 18 à 26 de la Loi et non celle d’éventuels textes législatifs autochtones qui pourraient être adoptés en application de la Loi et faire l’objet d’une contestation constitutionnelle ultérieure. La prémisse de l’art. 18 est que les peuples autochtones sont titulaires d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale, ce qui comprend une compétence sur les services à l’enfance. Du point de vue du procureur général du Canada, si la Cour écartait en bloc cette prémisse, la Partie II demeurerait valide, « mais aucun groupe autochtone ne pourrait validement adopter des textes législatifs en matière de services à l’enfance suivant le cadre prévu par la [Loi] »[307]. Le procureur général conclut en soutenant que les arguments fondés sur les tentatives de modifications constitutionnelles, sur la pratique des traités et sur les positions antérieures du gouvernement fédéral ne justifient aucunement le rejet de la prémisse de la Loi.

[302]      Cela dit, la Cour n’a pas à décider s’il s’agit aux art. 8 et 18 de la Loi d’un droit général à l’autonomie gouvernementale ou s’il s’agit d’une gamme de droits de portée spécifique. Invitée à l’audience à préciser sa pensée sur ce dernier point, l’avocate du procureur général a usé d’un langage d’une grande netteté. En l’occurrence, il suffit à la Cour de constater que l’autonomie gouvernementale autochtone, qu’elle soit générale ou non, comporte nécessairement une compétence législative sur les services à l’enfance. En fin de compte, la Cour n’a pas à se prononcer sur l’existence d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale qui serait en quelque sorte générique. S’il existe un droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance, la Loi est valide. L’usage que feront à l’avenir les peuples autochtones de cette autonomie gouvernementale pourra alors faire l’objet de contestations « au cas par cas ». Il reviendra aux tribunaux de se prononcer dans chaque cas, y compris quant à l’existence et à la portée du droit à l’autonomie gouvernementale que prétend exercer la collectivité intéressée.

c)     La position de chaque intervenante

[303]      Sur la Partie I de la Loi, l’Assemblée des Premières Nations plaide que le caractère véritable de la Loi ressort de l’ensemble de ses dispositions mais, au premier chef, du préambule et des art. 2 et 8. La Loi vise à remédier aux politiques colonisatrices du gouvernement fédéral en atténuant les préjudices associés à la prestation historiquement raciste et discriminatoire des services de protection de l’enfance par le Canada et les provinces. Sa finalité est d’assurer le bien-être des enfants et des peuples autochtones. Elle n’a donc pas pour objet de dicter aux gouvernements provinciaux la manière de fournir des services à l’enfance et aux familles, objet étranger à son caractère véritable. Au contraire, cet objet s’inscrit entièrement dans les limites de la compétence prévue au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[304]      Par ailleurs, la relation entre la Couronne et les peuples autochtones découle d’un droit inhérent de ces derniers à l’autonomie gouvernementale et des traités issus d’une relation de nation à nation. Le droit inhérent des peuples autochtones à l’autodétermination fonde leur compétence en matière de services à l’enfance et aux familles – elle ne saurait être le simple fruit d’une délégation de pouvoir par le Parlement. Ce dernier a le pouvoir d’affirmer l’existence de ce droit dans l’exercice de sa compétence en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. L’affirmation reflète l’évolution de la relation du Canada avec les peuples autochtones et elle est une mesure nécessaire pour respecter la promesse constitutionnelle de réconciliation. C’est ce que commande l’honneur de la Couronne et ce que demandent les normes internationales pertinentes.

[305]      En outre, la jurisprudence canadienne ne fait pas obstacle à la reconnaissance de la compétence législative des peuples autochtones provenant de leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. S’agissant de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la Couronne doit reconnaître et protéger les droits ancestraux qu’il vise en engageant un processus de négociation avec les peuples autochtones; or, la Loi est issue d’un tel processus, conformément à la Constitution.

[306]      L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador ont fait cause commune pour les fins du renvoi. Pour elles, la Loi constitue un tout et non deux régimes indépendants l’un de l’autre. Aussi le procureur général du Québec fait-il erreur lorsqu’il opère une division arbitraire en attaquant sous deux angles différents et sur deux fondements distincts les Parties I et II de la Loi. Selon ces intervenantes, le caractère véritable de la Loi consiste en ceci : « soutenir le bien-être des enfants, des familles et peuples autochtones et […] mettre fin à la surreprésentation des enfants autochtones en instaurant des principes nationaux axés sur la prévention, la continuité culturelle et la préservation de l’identité et des langues, ainsi qu’en facilitant l’exercice du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et de la compétence législative relativement aux enfants et familles autochtones »[308]. Ce caractère véritable tombe dans son entièreté sous le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 dès lors qu’on l’interprète en tenant compte de l’alinéa introductif de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi que de l’ensemble des principes sous-jacents à la Constitution, y compris celui de la protection des droits des minorités. Les lois provinciales en matière de services à l’enfance et à la famille s’appliquent sur leur territoire, non pas proprio vigore, mais par l’effet de l’art. 88 de la Loi sur les Indiens. Une jurisprudence très récente de la Cour suprême du Canada permettrait même de conclure à la validité de la Loi en vertu de la théorie des dimensions nationales.

[307]      En ce qui concerne le droit ancestral à l’autonomie gouvernementale, ces deux intervenantes font d’abord valoir que les peuples autochtones ne se sont jamais départis de leur droit à l’autodétermination. L’exercice de cette autonomie, tout spécialement en matière de services ou de soins aux enfants et aux familles, fait partie intrinsèque de leur culture et de leur statut de peuples autochtones.

[308]      Face à la situation actuelle des Autochtones, la promesse de réconciliation véhiculée par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ainsi que l’honneur de la Couronne, obligent le gouvernement fédéral à se distancer d’une conception passive de son rôle et à prendre des initiatives décisives. Il lui revient d’interpréter la Constitution de manière à assumer pleinement la responsabilité de protection qui lui incombe en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Cette disposition l’habilite à faire plus que ce que lui imposent les normes minimales provenant de la reconnaissance des droits ancestraux en vertu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Or, c’est bien ce qu’il s’efforce de faire ici au moyen de la Loi. Selon le procureur général du Québec, outre une modification de la Constitution ou une décision judiciaire favorable à l’autonomie gouvernementale autochtone, seules la négociation et la conclusion de traités à la pièce peuvent accomplir le but recherché par la Loi. À cela, les mêmes intervenantes répondent que cette prétendue solution est tout à fait impraticable vu la grande lenteur des négociations de traités et l’extrême difficulté de modifier la Constitution.

[309]      Enfin, ces intervenantes ajoutent que la Cour ne devrait pas s’aventurer sur le terrain d’une hypothétique contestation d’un texte législatif autochtone particulier adopté en application de la Loi. Ce n’est pas la question dont elle est saisie par le renvoi. Qui plus est, le droit à l’autonomie gouvernementale étant inhérent, « [i]l n’est pas acquis qu’il soit possible de contester au cas par cas les lois autochtones, telles qu’envisagées par la [Loi], au motif que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale qui les anime n’existerait pas »[309].

[310]      La Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada partage l’avis de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador sur le caractère véritable de la Partie I de la Loi. Elle met d’abord l’accent en plaidoirie orale sur la crise qui touche les enfants autochtones, crise qui, contrairement à ce que semble prétendre le procureur général du Québec, n’est pas une conséquence inévitable de l’architecture constitu­tionnelle en place au Canada. La Loi vise à mettre fin à cette crise. Elle le fait en établissant des principes nationaux en matière de services à l’enfance autochtone et en prenant acte du fait que les corps dirigeants autochtones ont un droit ancestral de légiférer sur le sujet. Il s’agit d’un exercice valide de la compétence conférée par le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de fait le Parlement pourrait pousser beaucoup plus loin son intervention sur le sujet. La Loi fournit au gouvernement fédéral le moyen de réparer les torts causés par les politiques coloniales et discriminatoires instaurées par lui au fil du temps en matière de services de protection de l’enfance. De tels services doivent désormais se plier à ce qu’il est convenu d’appeler le Principe de Jordan. En outre, la reconnaissance dans la Loi du droit à l’autonomie gouvernementale s’impose si le Canada entend respecter ses obligations en matière de droits de la personne. Seule l’autodétermination des peuples autochtones leur permettra de mettre fin à l’assimilation engendrée par les politiques susmentionnées.

[311]      La Société Makivik a déposé un mémoire, mais elle n’a pas pris part aux plaidoiries orales devant la Cour. Elle rappelle d’abord que, selon un renvoi déjà ancien[310], le gouvernement fédéral a toujours été responsable de fournir des services aux Inuit du Nunavik et qu’il a prétendu assumer cette responsabilité. Il en a été ainsi jusqu’à la conclusion de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, sans jamais que le gouvernement du Québec ne se soit interposé dans les politiques assimilatrices du gouvernement fédéral. Ces politiques furent longtemps préjudiciables aux Inuit. L’intervenante soutient que l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 protège le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale : non seulement aucun obstacle constitutionnel ne s’oppose à ce que cette autonomie soit reconnue, mais la disposition constitutionnelle de l’art. 35 vise la réconciliation avec les peuples autochtones, ce qui requiert que ceuxci se gouvernent eux-mêmes. Le reconnaître est aussi un moyen pour le Canada de se conformer à ses obligations internationales envers de tels peuples.

[312]      L’intervenante Aseniwuche Winewak Nation of Canada n’a pas présenté d’argumentation sur la Partie II de la Loi. S’agissant de sa Partie I, elle a souligné le fait que les régimes actuels de protection de l’enfance au Canada varient d’une province à l’autre et que cette situation compromet la sécurité des enfants autochtones qui n’appartiennent pas aux Premières Nations et qui comptent parmi les Indiens non inscrits. Les diverses lois provinciales donnent à ces peuples autochtones des droits différents et, de manière générale, insuffisants. Prenant spécifiquement appui sur l’arrêt Daniels[311], l’intervenante fait valoir que le cadre mis en place par la Loi a pour but de remédier durablement aux lacunes en question. Selon elle, il ne peut faire de doute que la poursuite d’un tel objectif constitue un exercice valable de la compétence conférée par le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

4-    La première partie de l’analyse : la constitutionnalité des normes nationales

a)     Le cadre d’analyse

[313]      Au Canada, les compétences législatives sont partagées entre le Parlement fédéral et les parlements provinciaux. C’est la Loi constitutionnelle de 1867 qui pourvoit à ce partage des compétences, notamment à ses art. 91 et 92.

[314]      L’art. 91 énumère 29 sujets sur lesquels seul le Parlement fédéral peut légiférer. Quant à l’art. 92, il attribue aux provinces 16 sujets sur lesquels seules ces dernières peuvent également légiférer.

[315]      Une question portant sur la validité constitutionnelle d’une loi en vertu du partage des compétences doit être résolue suivant une analyse qui se déroule en deux temps. Le tout débute par une opération de qualification de la loi en cause. Quel est son sujet? Sur quoi porte la loi? Quel est son objet, son caractère véritable? Une fois cette opération complétée, il s’agit dans un deuxième temps de référer aux sujets de compétence énumérés aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de voir qui, du fédéral ou des provinces, est habilité à légiférer sur le sujet couvert par la loi. La seconde opération en est une de classification[312].

[316]      La difficulté que pose cette analyse découle du fait que, dans la plupart des cas, la loi présente plusieurs aspects, certains relevant du fédéral, d’autres des provinces. Il faut alors rechercher son aspect dominant. Pour ce faire, il faut examiner, bien sûr, le libellé de la loi, mais également le contexte de son adoption ainsi que ses effets sur les plans pratique et juridique, en particulier à l’égard de l’autre ordre de gouvernement[313].

[317]      Les effets de la loi présentent en effet un caractère objectif quant à son objet véritable, alors que le but ou l’objet qu’elle énonce en termes exprès peut ne pas correspondre à la réalité. Dans cette hypothèse, on pourra être en présence de « législation déguisée », c’est-à-dire d’une loi qui présente les apparences de porter sur un tel sujet, mais qui, en réalité, porte sur un autre sujet qui est hors de la portée de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée[314].

[318]      Si la qualification d’une loi est d’en rechercher son aspect dominant, il demeure toutefois qu’il y a des cas où il est impossible de trancher entre les différents aspects d’une loi. On dira alors que le sujet visé par la loi, vu sous un aspect, relève de la compétence des provinces, alors que vu sous un autre aspect, il relève du fédéral. C’est la théorie du « double aspect », laquelle permet de qualifier un sujet qui présente plusieurs aspects d’égale importance et qui, selon l’angle sous lequel on l’examine, peut relever soit du fédéral, soit des provinces[315].

[319]      Il découle de cette théorie que deux dispositions semblables, pour ne pas dire identiques, peuvent validement se retrouver l’une dans une loi fédérale, l’autre dans une loi provinciale, parce qu’elles sont édictées pour des fins différentes et dans des contextes législatifs différents dont elles tirent des qualifications distinctes[316].

[320]      Enfin, et parce que la vision moderne du fédéralisme permet de plus en plus de chevauchements entre le fédéral et les provinces, il est permis à un ordre de gouvernement d’empiéter accessoirement sur les compétences de l’autre, même de manière significative, et ce, dans le but d’établir un cadre réglementaire complet et de légiférer efficacement[317]. Cela étant, la loi, de par son caractère véritable, devra évidemment relever de la compétence du parlement qui l’a adoptée et ne pas, non plus, entraver le contenu minimum, essentiel et irréductible d’une compétence de l’autre ordre de gouvernement, à défaut de quoi, elle sera, non pas invalide, mais inapplicable à ce contenu essentiel en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences[318].

b)    Le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867

[321]      Le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 attribue au Parlement fédéral une compétence exclusive de légiférer sur deux sujets : les Indiens et les terres réservées aux Indiens. Comme la Loi à l’étude établit des normes nationales en matière de services à l’enfance et à la famille destinés aux Autochtones où qu’ils se trouvent au Canada, il n’est pas utile de s’attarder ici à la portée de la compétence fédérale relative aux terres réservées aux Indiens. Il suffira de rappeler l’étendue de la compétence fédérale sur les Indiens, laquelle englobe tous les peuples autochtones, y compris les Indiens non inscrits, les Métis et les Inuit[319].

[322]      Il faut reconnaître une vaste portée à la compétence fédérale à l’égard des Autochtones.

[323]      Au premier chef, elle permet au fédéral de légiférer sur ce que la jurisprudence appelle la « quiddité indienne » ou l’indianité, c’est-à-dire les Autochtones en tant qu’Autochtones, ce qui inclut, comme le rappelle le juge en chef Lamer dans l’affaire Delgamuukw, les droits ancestraux visés à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

[177] Notre Cour ne s’est pas prononcée définitivement sur l’étendue de la compétence du gouvernement fédéral à l’égard des Indiens. Elle n’a pas eu besoin de le faire parce que la validité des dispositions fédérales concernant les Indiens, dans le contexte du partage des pouvoirs, n’a jamais été en cause. Les affaires qui ont été soumises à la Cour relativement au par. 91(24) ont plutôt soulevé la question de la compétence à l’égard des Indiens du point de vue opposé: c’estàdire en posant la question de savoir si des lois provinciales qui, à première vue, s’appliquent aux Indiens, empiètent sur la compétence du gouvernement fédéral, et si ces lois sont inapplicables aux Indiens dans la mesure de cet empiètement. Comme je l’explique plus loin, la Cour a statué que, par le principe de l’exclusivité des compétences, le par. 91(24) protège l’«essentiel» de la quiddité indienne, ou indianité, contre les empiètements provinciaux.

[178] Il s’ensuit, à tout le moins, que l’essentiel de l’indianité relève de la compétence du fédéral sur les Indiens. Pour des raisons que je vais exposer, l’essentiel de l’indianité englobe les droits ancestraux, y compris les droits reconnus et confirmés par le par. 35(1). Les lois censées éteindre ces droits portent donc atteinte à l’essentiel de l’indianité qui est au cœur du par. 91(24), et elles outrepassent la compétence législative des provinces. L’essentiel de l’indianité englobe toute la gamme des droits ancestraux protégés par le par. 35(1). Ces droits comprennent les droits se rapportant à un territoire; cette partie de l’essentiel de l’indianité découle de la référence aux «terres réservées aux Indiens» au par. 91(24). Cependant, ces droits comprennent également les coutumes, pratiques et traditions qui ne se rattachent pas à un territoire; cette partie de l’essentiel de l’indianité découle de la compétence du fédéral à l’égard des «Indiens». Il est interdit aux gouvernements provinciaux de faire des lois portant sur ces deux types de droits ancestraux.[320]

[Soulignements ajoutés]

[324]      Il a de plus été jugé, comme le rapportent les juges Binnie et LeBel dans Banque canadienne de l’Ouest, que les liens personnels qui unissent les Autochtones entre eux, comme l’adoption ou encore les relations au sein des familles, sont des matières qui relèvent de l’essence de la compétence fédérale :

[61] […] Ainsi, dans Parents naturels, le juge en chef Laskin a conclu que l’Adoption Act de la province était inapplicable aux enfants indiens vivant dans une réserve parce que le fait de contraindre les Indiens à abandonner leurs enfants aux mains de parents non indiens « porterait atteinte à la quiddité indienne et aux liens personnels qui font partie intégrante d’une matière qui ne relève pas de l’autorité provinciale » (p. 760-761). De même, dans Derrickson, selon notre Cour, les dispositions de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique traitant du partage des biens familiaux ne pouvaient s’appliquer aux terres réservées aux Indiens parce que « [l]e droit de posséder des terres sur une réserve indienne relève manifestement de l’essence même de la compétence législative fédérale exclusive que confère le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 » (p. 296). Dans Paul c. Paul, [1986] 1 R.C.S. 306, notre Cour a jugé que le droit familial provincial ne pouvait régir le droit d’occuper une résidence familiale située sur une réserve. Ces arrêts portaient sur les relations au sein des familles indiennes et des collectivités vivant dans les réserves, matières qui pouvaient être considérées comme absolument nécessaires et essentielles à leur survie culturelle. […][321]

[Soulignements ajoutés]

[325]      Enfin, parce que « le gouvernement fédéral est investi par la Constitution de la responsabilité principale de garantir le bien-être des peuples autochtones du Canada »[322], il a, pour ainsi dire, passablement occupé le champ en légiférant dans à peu près toutes les sphères de la vie des Autochtones sans que ces initiatives ne soient mises en échec par les tribunaux. C’est ce qui ressort, notamment, de l’arrêt Canard[323] dans lequel les dispositions de la Loi sur les Indiens portant sur les successions étaient contestées pour le motif qu’elles relèveraient de la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils[324]. Tous les juges de la Cour suprême ont en effet convenu, sans difficulté apparente, que les affaires testamentaires relatives aux Autochtones décédés relevaient de la compétence fédérale sur les Autochtones[325].

[326]      Ainsi, pour le juge Ritchie, il va de soi que « l’art. 91(24) de la constitution confère clairement au Parlement du Canada l’autorité d’adopter à l’égard des Indiens des lois différentes de celles que les législatures provinciales peuvent adopter à l’égard des citoyens des différentes provinces »[326]. Le juge Beetz, quant à lui, exprime la même idée, mais d’une manière différente :

En employant le mot «Indien» dans l’art. 91(24), l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, sous l’empire duquel la Déclaration canadienne des droits a été adoptée, crée une catégorie raciale et il vise un groupe racial pour lequel il envisage la possibilité d’un traitement particulier. Il ne définit pas le terme «Indien», ce que le Parlement peut faire dans les limites de la Constitution en décrétant les normes appropriées. Parmi ces normes, il n’apparaîtrait pas déraisonnable d’inclure le mariage et la filiation et, inévitablement, les mariages entre Indiens et non-Indiens, à la lumière soit des coutumes et des valeurs indiennes dont apparemment on n’a pas fait la preuve dans Lavell, soit de l’historique de la législation dont la cour pouvait prendre connaissance et dont elle a effectivement pris connaissance.[327]

[Soulignement ajouté]

[327]      S’agissant d’une compétence législative plénière, à connotation raciale, il y a donc lieu de constater qu’elle permet au fédéral de légiférer à l’égard des Autochtones de manière générale, ce qui aura forcément pour résultat d’empiéter à l’occasion sur les matières que l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 réserve aux provinces[328].

[328]      Ceci, bien évidemment, ne signifie pas que le Parlement fédéral peut envahir massivement et impunément les compétences provinciales sous le couvert du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. En tout état de cause, il y aura toujours lieu d’appliquer l’analyse en deux temps exposée précédemment pour s’assurer que la loi, de par son caractère véritable, porte bel et bien sur les Autochtones.

[329]      Cela étant, et bien que la Cour ne soit saisie que de la validité intrinsèque d’une loi fédérale, il y a lieu de rappeler, avant de clore la discussion sur la portée du par. 91(24), que toute mesure provinciale se rapportant aux Autochtones n’est pas, de ce fait, ultra vires ou inapplicable à ces derniers. Les propos tenus par la juge Abella, au nom de la Cour suprême, dans l’arrêt Daniels, ne souffrent à cet égard d’aucune ambiguïté :

[51] Cependant, le fait que le gouvernement fédéral ait compétence à l’égard des Métis et des Indiens non inscrits ne signifie pas que toute mesure législative provinciale les concernant est intrinsèquement ultra vires. Comme l’a reconnu notre Cour, il importe que les tribunaux « privilégient, dans la mesure du possible, l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement » (Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, par. 37 (en italique dans l’original)). En outre, la Cour a précisé que la compétence fédérale sur les Indiens prévue au par. 91(24) n’empêche pas l’instauration de régimes provinciaux valides qui ne portent pas atteinte à son contenu essentiel (NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 3).[329]

[Soulignement ajouté]

c)     L’analyse

[330]      Il ne saurait être question ici de reprendre par le menu détail le contenu de la Loi et le contexte de son adoption aux fins d’en déterminer le caractère véritable. Le procureur général du Québec est d’accord avec le fait que les enfants autochtones sont surreprésentés dans les systèmes de protection de la jeunesse, tant au Québec qu’ailleurs au Canada. Il reconnaît également que cette surreprésentation entraîne des conséquences graves sur la préservation de l’identité, de la langue et de la culture des enfants et des peuples autochtones. Enfin, il ne conteste pas non plus que le Parlement fédéral puisse légiférer sur la matière en cause, soit les services à l’enfance et aux familles autochtones.

[331]      Tel que mentionné, c’est davantage l’approche unilatérale et les effets de la Loi sur les régimes provinciaux que le procureur général du Québec conteste. Ce dernier soutient que l’édiction de normes nationales en matière de services à l’enfance et à la famille a pour effet d’imposer aux provinces la façon dont elles doivent offrir ces services aux Autochtones, une tâche qui leur incombe en vertu des règles du partage des compétences législatives au Canada et que les tribunaux leur reconnaissent depuis longtemps[330].

[332]      En bref, le procureur général du Québec soutient que le caractère véritable de la Loi est de dicter la façon dont les services à l’enfance et à la famille doivent être dispensés par les provinces dans un contexte autochtone.

[333]      Le problème avec l’approche du procureur général du Québec est qu’elle s’écarte du cadre d’analyse classique de la recherche du caractère véritable de la Loi en mettant l’accent uniquement sur les effets de celle-ci alors que, dans notre régime constitutionnel, il est permis à un ordre de gouvernement d’empiéter sur les compétences de l’autre à certaines conditions[331]. Or, de l’avis de la Cour, une analyse complète de la Loi, de ses effets et du contexte de son adoption, démontre que son caractère véritable est de protéger et d’assurer le bien-être des enfants, familles et peuples autochtones en favorisant des services à l’enfance qui soient culturellement adaptés, et ce, dans le but de mettre fin à la surreprésentation des enfants autochtones dans les systèmes de services à l’enfance.

[334]      Ceci ressort premièrement des art. 9 à 17 de la Loi qui traduisent, ainsi que nous l’avons vu, une volonté de favoriser le maintien des attaches familiales et culturelles des enfants autochtones lors de leur prise en charge.

[335]      En second lieu, la preuve extrinsèque dont il a été abondamment fait état dans les chapitres précédents du présent avis s’accorde avec les dispositions de la Loi. Elle met en lumière l’urgence de remédier aux maux causés aux enfants et aux familles autochtones par les systèmes de protection de l’enfance, lesquels prennent insuffisamment en compte l’importance des liens entre l’enfant et sa communauté en cas de compromission. Il vaut la peine à cet égard de rappeler à nouveau que la Commission de vérité et réconciliation a formellement enjoint au gouvernement fédéral d’établir des normes nationales adaptées à la culture des enfants autochtones[332].

[336]      Le procureur général du Québec fait grand cas de l’art. 37.5 de la Loi sur la protection de la jeunesse, qui permet à une communauté autochtone de conclure une entente avec le gouvernement pour prendre en charge l’ensemble des services de protection de la jeunesse offerts à celle-ci, laissant entendre par là que l’adoption de normes nationales fait double emploi avec le mécanisme mis en place par la loi québécoise. Ce n’est pourtant pas le constat que fait la Commission Viens dans son rapport final, lequel note que le régime établi par une telle entente doit être conforme aux principes généraux prévus à la loi :

Concrètement, depuis 2000, l’article 37.5 permet la conclusion d’ententes entre le gouvernement et une organisation ou une communauté autochtone pour la mise sur pied d’un régime particulier de protection de la jeunesse. Ces régimes doivent respecter les principes généraux prévus à la Loi [sur la protection de la jeunesse] et se conformer à l’ensemble des exigences prévues par le MSSS. De mon point de vue, cela limite considérablement la mise en place de systèmes ou de programmes distincts et plus conformes aux valeurs et pratiques culturelles des peuples autochtones.[333]

[Soulignement ajouté; renvois omis]

[337]      Quoi qu’il en soit, la théorie du « double aspect » mentionnée précédemment permet de couper court à l’argument du procureur général du Québec dans la mesure où deux dispositions, même identiques, l’une dans une loi fédérale, l’autre dans une loi provinciale, peuvent validement coexister parce qu’édictées pour des fins différentes.

[338]      Les travaux parlementaires confirment aussi que l’objectif de la Loi est d’assurer le bien-être des enfants et des familles autochtones partout au Canada via un cadre normatif adapté culturellement à leur situation. C’est notamment ce qu’affirmait le ministre des Services aux Autochtones, Seamus O’Regan, lors de la deuxième lecture du projet de loi C-92, le 19 mars 2019 :

Tout cela pour dire que, parmi les gens qui étudient la question et ceux qui travaillent sur le terrain, on est de plus en plus conscient que les systèmes actuels de protection de l’enfance ne répondent pas aux besoins des jeunes Autochtones.

Pensons-y un peu. Les autochtones constituent moins de 8 % de la population canadienne, mais 52 % des enfants pris en charge sont autochtones. C’est une statistique désastreuse et honteuse. Mais ce n’est pas tout. Il arrive bien trop souvent que des travailleurs sociaux non autochtones se présentent dans des communautés pour y appliquer des normes artificielles sans tenir compte du contexte culturel et qu’ils arrachent des enfants à leur mère, à leurs grand-mères et à leurs tantes. Ils les emmènent loin de leurs cousins et de leurs camarades de classe pour les placer supposément en sécurité. Ils sont en sécurité, mais seuls; ils sont en sécurité, mais loin de leur culture; ils sont en sécurité, mais effrayés. Ces choses se passent parce que le système de protection de l’enfance suit un modèle occidental et urbain qui ne s’applique pas du tout aux communautés autochtones.

[…]

Dans ce projet de loi, nous établissons des principes applicables, à l’échelle nationale, à la prestation de services à l’enfance et à la famille en ce qui concerne les enfants et les familles autochtones. Ces principes contribueraient à garantir que les enfants autochtones et leurs familles soient traités avec dignité et que leurs droits soient préservés. […][334]

[Soulignements ajoutés]

[339]      Qu’en est-il maintenant des effets de la Loi? Ceux-ci en changent-ils le caractère véritable?

[340]      Selon le procureur général du Québec, la Loi a pour effet pratique d’imposer aux fonctionnaires provinciaux la façon de dispenser les services à l’enfance aux Autochtones et, ce faisant, de « parasiter » les régimes provinciaux au point d’entraver gravement le cœur de la compétence provinciale sur la fonction publique[335]. Ce serait là, le caractère véritable de la Loi.

[341]      De l’avis de la Cour, le procureur général du Québec exagère l’ampleur des effets de la Loi.

[342]      Prétendre que celle-ci, de par son caractère véritable, réglemente l’organisation et la gestion de la fonction publique est une proposition tout simplement insoutenable, et ce, peu importe l’angle sous lequel on l’examine. Comme l’a signalé à bon droit le procureur général du Canada lors de l’audience, il faudrait, selon ce point de vue, retenir que les règles fédérales en matière de navigation ne pourraient pas s’appliquer aux employés provinciaux affectés au traversier entre Québec et Lévis parce qu’elles entravent le travail de ces derniers. Cela n’a aucun sens.

[343]      Les principes nationaux étant formulés en termes généraux, ceux-ci doivent être vus comme un guide servant à baliser le meilleur intérêt de l’enfant dans une perspective de continuité culturelle et d’égalité réelle (art. 9), et non pas comme des modalités pratiques de livraison de services à l’enfance et à la famille destinées aux fonctionnaires. Il est difficile de concevoir, pour prendre un autre exemple, que l’obligation de ne pas adopter une conduite discriminatoire à l’endroit des enfants autochtones concerne au premier chef la réglementation de la fonction publique provinciale (par. 9(3)).

[344]      Les fonctionnaires provinciaux ne sont pas, de plus, les seuls fournisseurs de soins ou de services. Les organismes SEFPN fournissent également des services aux enfants et aux familles sur les réserves et sont assujettis aux principes nationaux. Même chose pour les fournisseurs de services qui seront mandatés par les corps dirigeants autochtones dans l’exercice de leur compétence législative.

[345]      La portée véritable des art. 9 à 17 de la Loi n’est donc pas de régir le travail des fonctionnaires provinciaux, mais d’assurer que les services destinés aux enfants et aux familles autochtones soient adaptés à leurs cultures et à leurs besoins spécifiques, un objectif, incidemment, en parfaite harmonie avec les modifications que le Québec a apportées en 2001, puis en 2017, à la Loi sur la protection de la jeunesse et qui autorisent le gouvernement ou un établissement qui exploite un centre de protection de l’enfance et de la jeunesse à conclure avec un peuple autochtone une entente établissant un régime particulier de protection de la jeunesse[336]. Ainsi, dans la mesure où la loi québécoise invite déjà les fonctionnaires à prendre en compte la situation particulière des enfants autochtones, on ne saurait prétendre que la Loi en cause affecte de manière importante le travail des premiers.

[346]      Sans doute pourrait-il en aller différemment dans le cas, par exemple, d’une loi fédérale établissant des seuils de représentativité autochtone au sein des fonctions publiques provinciales. Même si l’objectif d’une telle loi était d’améliorer le sort des Autochtones en leur ouvrant le marché du travail, il est plus que probable que le moyen entrepris par le Parlement pour atteindre cette fin serait jugé inconstitutionnel parce que constituant un empiètement trop important sur la compétence provinciale énoncée au par. 92(4) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[347]      En définitive, il apparaît que les effets que la Loi a sur le travail des fonctionnaires provinciaux sont des effets accessoires qui n’affectent en rien son caractère véritable et qui sont sans conséquence du point de vue constitutionnel, ainsi que le rappelle la Cour suprême, dans un autre contexte, à l’occasion de l’arrêt Lacombe :

[36]  […] [L]a règle des effets accessoires s’applique lorsque, de par son caractère véritable, une disposition relève de la compétence de l’organisme qui l’adopte, mais touche un domaine de compétence attribué à l’autre ordre de gouvernement. Selon cette règle, on ne conclura pas à l’invalidité de la disposition simplement parce qu’elle a un effet accessoire sur un domaine de compétence législative qui excède la compétence de l’organisme qui l’adopte. […][337]

[348]      La Cour suprême, dans l’arrêt Alberta Government Telephones, a de plus reconnu que le Parlement fédéral avait le pouvoir de lier les émanations de la Couronne provinciale :

À mon avis, on aurait tort d’accepter une théorie de l’immunité constitutionnelle intergouvernementale. Si le Parlement a le pouvoir de légiférer ou de réglementer dans un domaine, les émanations de la Couronne provinciale devraient être liées si le Parlement en décide ainsi. Je suis d’accord avec l’observation que fait le juge en chef Laskin dans l’affaire PWA, précitée, à la p. 72:

Il est bien évident que le Parlement fédéral peut rendre la législation relevant de sa compétence applicable à la Couronne provinciale s’il en décide ainsi…

Il faut se rappeler que l’un des aspects de la théorie du caractère véritable est qu’une loi relative à un chef de compétence d’un palier de gouvernement peut validement toucher un chef de compétence de l’autre palier. Le fédéralisme canadien a évolué de façon à tolérer à plusieurs égards le chevauchement des lois fédérales et provinciales et, à mon avis, une théorie de l’immunité constitutionnelle n’est ni souhaitable ni nécessaire à la réalisation d’objectifs provinciaux réguliers.[338]

[Soulignements ajoutés]

[349]      En résumé, les art. 9 à 17 de la Loi portent sur les relations au sein des familles et des peuples autochtones. Ils visent à assurer la pérennité de leurs cultures et de leur indianité, un objectif qui cadre en tout point, ainsi que nous l’avons vu, avec le cœur de la compétence fédérale sur les Autochtones. Il y a donc lieu de conclure que de telles mesures relèvent du Parlement fédéral, et ce, même si la Cour suprême, dans l’arrêt NIL/TU,O, a reconnu que les provinces étaient constitutionnellement habilitées à fournir des services à l’enfance aux familles autochtones[339]. À l’ère du fédéralisme coopératif, il n’y a rien d’inusité à cela. La théorie des « effets accessoires » et celle du « double aspect », dont il a été fait état précédemment, reconnaissent le chevauchement inévitable entre les compétences fédérales et provinciales[340].

[350]      Cela étant, le procureur général du Québec plaide aussi que la Loi à l’étude contrevient aux principes de fédéralisme et de démocratie sous-jacents à la Constitution en ce qu’elle impose des obligations aux fonctionnaires provinciaux alors que les provinces, dans notre régime fédéral, ne sont pas subordonnées au gouvernement central.

[351]      Depuis l’arrêt récent rendu par la Cour suprême dans Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général)[341], cet argument est irrecevable. Certes, la Constitution du Canada comporte des principes non écrits, mais ceux-ci ne peuvent invalider des mesures législatives autrement valides comme la Loi à l’étude, qui trouve son fondement au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[352]      Enfin, le procureur général du Québec soutient, à titre subsidiaire, que la Loi, à défaut d’être invalide, est inapplicable aux fonctionnaires provinciaux, faisant en cela écho à la doctrine de l’exclusivité des compétences, laquelle protège le contenu essentiel des compétences énumérées aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 des effets préjudiciables d’une loi adoptée par l’autre ordre de gouvernement[342].

[353]      De l’avis de la Cour, cette doctrine, d’utilisation restreinte[343], ne trouve pas application en l’espèce car, à supposer même que le procureur général du Québec ait raison de soutenir que le contrôle des tâches des fonctionnaires provinciaux constitue le cœur de la compétence prévue au par. 92(4) de la Loi constitutionnelle de 1867, une prétention au soutien de laquelle il ne fournit aucune autorité convaincante[344], il n’a pas réussi à démontrer, pour les raisons données précédemment, que ce cœur se trouve entravé par les normes nationales édictées aux art. 9 à 17 de la Loi. Ainsi que le rappellent les juges Binnie et LeBel dans l’arrêt Banque canadienne de l’Ouest :

[48] […] C’est lorsque l’effet préjudiciable d’une loi adoptée par un ordre de gouvernement s’intensifie en passant de « toucher » à « entraver » (sans nécessairement « stériliser » ou « paralyser ») que le « contenu essentiel » de la compétence de l’autre ordre de gouvernement (ou l’élément vital ou essentiel d’une entreprise établie par lui) est menacé, et pas avant.[345]

[354]      En bref, vu l’absence d’une entrave au sens où l’entend la Cour suprême, la doctrine de l’exclusivité des compétences ne s’applique pas.

[355]      Compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive la Cour, il n’est pas nécessaire de trancher l’argument soumis par l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador selon lequel la Loi est aussi valide en vertu de la théorie des dimensions nationales[346]. Il est indiscutable que la Loi constitue un exercice valide de la compétence fédérale sur les Autochtones. Partant, la retenue judiciaire est de mise.

5-    La deuxième partie de l’analyse : le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et la réglementation des services à l’enfance et à la famille

[356]      Bien que le procureur général du Québec reconnaisse qu’il serait peut-être souhaitable pour les peuples autochtones du Canada de se gouverner eux-mêmes dans des champs de compétence qui présentent un intérêt particulier pour ceux-ci, il soutient, dans un premier temps, que cette gouvernance doit découler soit de délégations expresses du Parlement et des législatures provinciales, soit d’ententes convenues entre les gouvernements concernés et les peuples autochtones eux-mêmes, soit d’une modification constitutionnelle le prévoyant expressément. Ce faisant, le procureur général du Québec ne reconnaît pas que les droits ancestraux reconnus et confirmés à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comprennent déjà le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, dont notamment le droit de réglementer les services à l’enfance et à la famille les concernant.

[357]      Dans un deuxième temps, le procureur général du Québec soutient que si un tel droit était effectivement compris à l’art. 35 comme droit ancestral, il ne pourrait alors être reconnu que par les tribunaux – et non par le Parlement agissant seul – et ce, après des procès permettant d’en faire la démonstration au cas par cas selon un degré de spécificité approprié à chaque peuple autochtone en particulier.

[358]      Ainsi, le procureur général du Québec soutient qu’en adoptant la Loi, le Parlement a soit ajouté à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 un droit qui n’y était pas prévu, soit usurpé le rôle des tribunaux en déclarant qu’un tel droit existe sans qu’il ait préalablement fait l’objet d’un procès au cas par cas pour chacun des peuples autochtones du Canada.

[359]      Le présent renvoi soulève donc la question de la reconnaissance au sein de l’ordre constitutionnel canadien du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones comme droit ancestral reconnu et confirmé à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, dont plus particulièrement le droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille les concernant. Le renvoi soulève aussi la question de savoir si ce droit serait « générique » à tous les peuples autochtones, par opposition à un droit spécifique à chaque peuple autochtone en particulier, variant ainsi dans sa portée d’un groupe autochtone à un autre. Ces deux questions ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières années.

[360]      Selon l’approche préconisée par certaines décisions judiciaires canadiennes[347], la souveraineté exercée par la Couronne sur le territoire canadien serait constitutionnellement incompatible avec le concept même d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale pour les peuples autochtones. Selon ce point de vue, bien que les peuples autochtones aient pu, historiquement, exercer une forme d’autonomie gouvernementale comme corps politiques quasi indépendants de la Couronne, le fil de l’histoire aurait effacé avec le temps tout reliquat de souveraineté autochtone. Les Autochtones seraient donc soumis aux mêmes structures politiques que leurs concitoyens allochtones, telles que celles-ci sont prévues par la Loi constitutionnelle de 1867, soit un Parlement fédéral et des législatures provinciales agissant dans leurs champs de compétence respectifs. Plus particulièrement, la Loi sur les Indiens et la subjugation politique effective des peuples autochtones en résultant – que celle-ci ait été ou non justifiée au plan moral – auraient éteint tous les relents d’une souveraineté autochtone, même résiduaire.

[361]      Le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces prévu à la Loi constitutionnelle de 1867 serait d’ailleurs lui aussi incompatible avec le concept même d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale pour les peuples autochtones. Toutes les compétences législatives y seraient énoncées et partagées, ce qui écarterait toute possibilité d’une autre source législative au sein du Canada, à moins d’un accord ou d’une délégation en ce sens convenus par les gouvernements concernés.

[362]      Cette école de pensée perçoit donc la question de la gouvernance autochtone comme étant largement politique plutôt que juridique. Ainsi, la gouvernance autochtone, bien qu’elle soit peut-être souhaitable sur le plan politique et social, ne pourrait être reconnue que si le Parlement et les législatures provinciales y consentent, chacun dans leurs sphères respectives de compétence ou en collaboration. Il s’agirait d’un choix politique des élus parlementaires agissant en réponse à des demandes de citoyens autochtones afin d’établir un système de délégation de pouvoirs dans certains domaines convenus, que ce soit par accord ou par législation. Dans cette perspective, aucune revendication à une autonomie gouvernementale propre aux peuples autochtones ne pourrait être reconnue par les tribunaux sans l’accord des gouvernements.

[363]      L’autre point de vue soutient, au contraire, que les peuples autochtones ont toujours maintenu une forme d’autonomie gouvernementale découlant de leur souveraineté initiale sur le territoire canadien avant que celle de la Couronne soit devenue effective sur ce même territoire. Il en résulte qu’ils ont un statut juridique particulier comme peuples distincts pourvus d’une autonomie spécifique au sein de la société canadienne, ce que reconnaîtrait l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour cette école, bien que la subjugation politique des peuples autochtones dans le cadre de la Loi sur les Indiens et d’autres instruments juridiques soit un fait historique incontestable, cela n’a pas eu pour effet d’éteindre un droit fondamental à l’autonomie gouvernementale au sein du Canada, lequel serait maintenant reconnu et confirmé comme droit ancestral à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[364]      Pour les motifs qui suivent, c’est le second point de vue qui doit être retenu, soit celui du droit des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale au sein du Canada, fondé sur l’histoire des rapports entre la Couronne et ces peuples, lequel est compris parmi les droits ancestraux reconnus et confirmés à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Comme nous le verrons, il ne s’agit pas là d’un droit absolu ni sans limites, mais il existe bel et bien au sein de l’architecture constitutionnelle contemporaine du Canada, à tout le moins en matière de services à l’enfance et à la famille, et il bénéficie d’une protection constitutionnelle en vertu de l’art. 35.

[365]      Cette conclusion découle de l’historique des relations entre les peuples autochtones et la Couronne, que nous examinerons en premier lieu. Nous verrons ensuite que la jurisprudence canadienne n’a pas définitivement pris position sur la question, mais que, lue à la lumière de ces rapports historiques, elle doit être interprétée comme reconnaissant le droit à l’autonomie gouvernementale en tant que droit ancestral permettant, à tout le moins, aux peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille les concernant.

a)     Les fondements historiques du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones

[366]      Il n’y a plus de débats aujourd’hui sur le fait que les peuples autochtones du Canada agissaient comme des acteurs indépendants de la Couronne jusqu’au cours du 19e siècle. Leur autonomie comme peuples était alors de facto sinon de jure reconnue par les puissances coloniales afin, notamment, d’entretenir des rapports commerciaux – la traite des fourrures, par exemple – et de préserver les alliances militaires avec ces derniers dans les nombreux conflits entre ces puissances coloniales, qui cherchaient alors à contrôler l’Amérique du Nord[348].

[367]      L’autonomie des peuples autochtones est d’ailleurs un fait implicite qui sous-tend la Proclamation royale de 1763[349], laquelle établit un vaste « territoire indien » qui a peu à peu été cédé par la voie de traités conclus avec les peuples autochtones. La question des droits territoriaux découlant de cette Proclamation royale de 1763 a fait l’objet d’abondants commentaires de la part de la Cour suprême du Canada et du Conseil privé dans l’affaire St. Catherine’s Milling[350]. Il s’agit maintenant de traiter des droits de gouvernance découlant de cette Proclamation royale et de la common law.

[368]      Cette Proclamation royale et l’histoire des rapports entre la Couronne britannique et les peuples autochtones de l’Amérique du Nord ont permis à la Cour suprême des États-Unis de reconnaître non seulement le droit des Autochtones au territoire – que le droit canadien reconnaît par la protection constitutionnelle du titre ancestral –, mais aussi leur droit de se gouverner sous la souveraineté des États-Unis. Il s’agit des doctrines du « dependent domestic nation » et du « residual aboriginal sovereignty » énoncées au début du 19e siècle par le juge en chef Marshall dans la trilogie Johnson v. M’Intosh[351], Cherokee Nation v. Georgia[352] et Worcester v. Georgia[353] et reprises depuis de façon constante par la jurisprudence américaine. Bien que, règle générale, la jurisprudence américaine n’ait pas d’effet au Canada, la trilogie du juge en chef Marshall fut abondamment citée dans la jurisprudence canadienne portant sur les droits ancestraux, y compris à de nombreuses reprises par la Cour suprême du Canada[354]. Ainsi, elle mérite que l’on s’y attarde lorsqu’on traite du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, puisqu’elle énonce des principes persuasifs.

[369]      Dans cette trilogie, le juge en chef Marshall de la Cour suprême des États-Unis a constaté que les prétentions souveraines des puissances coloniales européennes aux territoires de l’Amérique du Nord se trouvaient inévitablement en conflit avec la souveraineté effective exercée sur ces mêmes territoires par les peuples autochtones qui les occupaient. Il a aussi constaté qu’avec le temps, la souveraineté effective de ces territoires fut, de fait, dévolue aux puissances européennes, aussi injuste et non fondé en droit que soit ce résultat historique. Par contre, la proclamation de souveraineté par une puissance européenne et sa mise en place effective n’entraînent pas la suppression complète de la souveraineté autochtone. Bien sûr que la souveraineté autochtone s’en trouve considérablement réduite, mais elle n’est pas totalement écartée. Il subsiste une souveraineté résiduelle (« residual aboriginal sovereignty ») aux contours mal définis, qui permet aux Autochtones de continuer de se gouverner eux-mêmes dans les domaines de compétence qui ne remettent pas en question ni ne contredisent la souveraineté supérieure de la puissance européenne, en l’occurrence la Couronne britannique, et de ses successeurs, en l’occurrence les États-Unis d’Amérique. Ainsi, bien que les peuples autochtones soient des nations assujetties au souverain, elles continuent de jouir d’une autonomie gouvernementale résiduelle qui s’exerce sous la bienveillance et la surveillance de celui-ci. C’est la doctrine du « domestic dependent nation ».

[370]      Pour le juge en chef Marshall, cette souveraineté résiduelle n’est pas le fruit d’un pouvoir délégué, mais plutôt celui d’un droit historique de se gouverner soi-même. Cette souveraineté autochtone résiduelle est très étendue aux États-Unis, les compétences autochtones perdues au profit du souverain étant définies de façon restrictive[355].

[371]      Ainsi, aux États-Unis, en l’absence de motifs impérieux contraires ou d’une législation fédérale contraire, la compétence résiduelle des Autochtones de se gouverner est présumée s’être maintenue[356]. La trilogie du juge en chef Marshall reconnaît ainsi fermement aux peuples autochtones le droit à l’autonomie gouvernementale interne, sous réserve d’une intervention contraire du Congrès américain. Ce droit a d’ailleurs été réaffirmé à plusieurs reprises depuis par la Cour suprême des États-Unis[357]. Il faut préciser que cette autonomie gouvernementale découle de la common law et peut donc être restreinte par la législation du Congrès américain dans la mesure où celle-ci est claire et non équivoque à ce sujet[358]. En effet, aux États-Unis, contrairement au Canada, aucune protection constitutionnelle n’est offerte aux droits des peuples autochtones.

[372]      De fait, au Canada, jusqu’au milieu du 19e siècle, la Couronne britannique a reconnu une large autonomie aux peuples autochtones, comme l’a constaté le professeur Slattery dans son article de 1987 (qui fait école) intitulé Understanding Aboriginal Rights :

A review of the Crown’s historical relations with aboriginal peoples supports the conclusion that the Crown, in offering its protection to such peoples, accepted that they would retain their lands, as well as their political and cultural institutions and customary laws, unless the terms of the treaties ruled this out or legislation was enacted to the contrary. Native groups would retain a measure of internal autonomy, allowing them to govern their own affairs as they found convenient, subject to the overriding authority of the Crown in Parliament. (…)[359]

[Soulignement ajouté]

[373]      Ces rapports historiques entre la Couronne britannique et les peuples autochtones sont bien documentés et il n’est pas nécessaire de s’y attarder longuement dans le cadre du présent renvoi[360]. Il suffit de constater que jusqu’au premier quart du 19e siècle, les agents britanniques adoptaient une politique d’alliances militaires et économiques avec les peuples autochtones. Dans la mesure du possible, ces agents impériaux évitaient d’intervenir dans les affaires internes des Autochtones, permettant ainsi aux structures politiques autochtones de se maintenir sans intervention indue[361].

[374]      Dans l’arrêt Sioui, le juge Lamer s’exprime ainsi à l’égard de l’autonomie que détenaient les peuples autochtones à l’aube de la Proclamation royale de 1763 :

Je suis d'avis que les documents historiques nous permettent plutôt de conclure que tant la GrandeBretagne que la France considéraient que les nations indiennes jouissaient d'une indépendance suffisante et détenaient un rôle assez important en Amérique du Nord pour qu'il s'avère de bonne politique d'entretenir avec eux des relations très proches de celles qui étaient maintenues entre nations souveraines.

En effet, les métropoles faisaient tout en leur pouvoir pour s'assurer de l'alliance de chacune des nations indiennes et pour inciter les nations coalisées à l'ennemi à changer de camp. Ces efforts, lorsque couronnés de succès, étaient concrétisés par des traités d'alliance ou de neutralité. Cela indique clairement que les nations indiennes étaient considérées, dans leurs relations avec les nations européennes qui occupaient l'Amérique du Nord, comme des nations indépendantes. […][362]

[Soulignements ajoutés]

[375]      La reconnaissance de l’autonomie des peuples autochtones par la Couronne est d’autant plus évidente lorsqu’on considère les nombreux traités conclus tant avant qu’après l’entrée en vigueur de la Proclamation royale de 1763[363]. En effet, la conclusion de traités suppose l’existence d’un peuple et d’une autorité habilitée à lier le peuple qui est partie au traité. Soulignons que, jusqu’au premier quart du 20e siècle[364], la Couronne a continué à conclure des traités avec les peuples autochtones, ce qui justifie, selon certains, de considérer ces traités comme l’un des fondements du fédéralisme canadien[365].

[376]      Cette politique favorable à l’autonomie des Autochtones s’est peu à peu modifiée au cours du 19e siècle avec le déclin du rôle stratégique des alliances militaires autochtones, l’importance économique décrue de la traite des fourrures et la délégation aux autorités locales canadiennes de la responsabilité des rapports avec les Autochtones. Lentement, avec le temps, c’est plutôt une politique de déplacement des populations autochtones, de sédentarisation de celles-ci et, ultimement, d’assimilation qui a prévalu[366].

[377]      Cette nouvelle politique visait à effectivement écarter les Autochtones d’une grande partie du territoire canadien afin de faire place à une immigration européenne massive au cours des 19e et 20e siècles.

[378]      Ainsi que nous l’avons déjà constaté, cette politique a pris bien des formes et a déjà fait l’objet de nombreuses études au sein de commissions d’enquête[367]. Il n’est pas nécessaire de la décrire à nouveau dans ses moindres détails. Il suffit de constater qu’elle comportait la cession des terres ancestrales au moyen de traités inégaux, la sédentarisation des populations autochtones au sein de « réserves », la mise de côté des institutions politiques traditionnelles au profit de « conseils de bande » aux pouvoirs restreints et fortement surveillés par des agents de l’État, l’interdiction des pratiques culturelles traditionnelles, l’assimilation des femmes autochtones par des mariages à des Allochtones, l’assimilation des hommes autochtones au moyen d’une politique d’affranchissement et l’assimilation des enfants autochtones par divers moyens, notamment les écoles résidentielles.

[379]      Cette politique d’assimilation a fait l’objet de grandes résistances et même de plusieurs résistances armées – on peut penser à la Rébellion de la Rivière-Rouge de 1869 et à la Rébellion du Nord-Ouest de 1885, pour ne nommer que celles-là. S’y ajoutent les résistances quotidiennes des Autochtones, lesquels ont maintenu – souvent à leur péril – leurs cultures et leurs institutions politiques traditionnelles. En fin de compte, malgré tous les efforts qui y ont été consacrés, cette politique d’assimilation n’a pas réussi.

[380]      Par exemple, malgré la politique d’assimilation poursuivie par le gouvernement fédéral, les tribunaux canadiens ont généralement reconnu le droit coutumier autochtone et, par inférence, le droit des Autochtones de se gouverner eux-mêmes dans certains domaines de compétence[368].

[381]      C’est ainsi que le mariage selon la coutume autochtone fut reconnu judiciairement à maintes reprises, notamment par la Cour supérieure du Québec en 1867 dans Connolly v. Woolrich[369] et par cette Cour en 1869, en appel de ce jugement[370]. Il en fut de même dans R. v. Nan-E-Quis-A-Ka[371], R. v. Bear’s Shin Bone[372] et dans Re Noah Estate[373], des affaires décidées entre 1889 et 1961 dans les Territoires du Nord-Ouest, de même que dans R v. Williams[374], décidée en Colombie-Britannique en 1921.

[382]      L’adoption coutumière autochtone fut également reconnue par de nombreuses décisions judiciaires, notamment Re Adoption of Kathie de 1961, Re Beaulieu’s Adoption Petition de 1969, Re Tucktoo et al. and Kitchooalik et al. de 1972, Re Wah-Shee de 1975, Tagornak Adoption Petition de 1983, McNeil v. MacDougal de 1999, M.R.B. (Dans la situation de) de 2001, RE: Papatsie Estate de 2006 et Estate of Samuel Corrigan de 2013[375].

[383]      Dans l’affaire Casimel v. Insurance Corp. of British Columbia, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a même unanimement conclu que la coutume ou la loi autochtone portant sur l’adoption avait survécu aux politiques d’assimilation, devait être reconnue par les tribunaux et constituait un droit reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

[42] I conclude that there is a well-established body of authority in Canada for the proposition that the status conferred by aboriginal customary adoption will be recognized by the courts for the purposes of application of the principles of the common law and the provisions of statute law to the persons whose status is established by the customary adoption. That body of authority is entirely consistent with all of the reasons for judgment of the members of this court in Delgamuukw v. The Queen as those reasons discuss the jurisprudential foundation for aboriginal rights in British Columbia.

(…)

[52] In my opinion, by the customs of the Stellaquo Band of the Carrier People, Ernest Casimel became the son of Louise Casimel and Francis Casimel, and Louise and Francis Casimel became the parents of Ernest Casimel. Such a customary adoption was an integral part of the distinctive culture of the Stellaquo Band of the Carrier People, (though, of course, other societies may well have shared the same custom or variations of that custom), and as such, gave rise to aboriginal status rights that became recognized, affirmed and protected by the common law and under s.35 of the Constitution Act, 1982.[376]

[384]      Bien qu’il y ait une distinction entre le droit coutumier autochtone et le droit de réglementer ou de modifier cette coutume, il n’y a là qu’un pas à franchir. Examinons donc ci-après l’état de la jurisprudence canadienne portant sur le droit des peuples autochtones à se gouverner eux-mêmes.

b)    L’état du droit canadien sur la question de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones

[385]      Dans l’arrêt Calder prononcé en 1973, la Cour suprême du Canada devait décider si le titre ancestral était reconnu par la common law et non seulement par la Proclamation royale de 1763, comme l’avait conclu le Conseil privé en 1888 dans l’affaire St. Catherine’s Milling & Lumber Company[377]. La Cour devait aussi décider si le titre ancestral existait toujours en Colombie-Britannique malgré la législation provinciale incompatible avec celui-ci. S’appuyant notamment sur la trilogie américaine du juge en chef Marshall, six des sept juges de la formation ont conclu que le titre ancestral était un droit reconnu par la common law et qu’il découlait non seulement de la Proclamation royale de 1763, mais aussi et surtout des rapports historiques entre les peuples autochtones et la Couronne.

[386]      Par contre, la Cour suprême s’est divisée sur la question de l’extinction du titre ancestral par l’effet de la législation provinciale incompatible, trois juges concluant à l’extinction, trois autres juges concluant à sa survie et le septième ne se prononçant pas sur la question. C’est finalement en 1997, dans l’arrêt Delgamuukw, auquel nous reviendrons, que la Cour suprême a conclu qu’un titre ancestral ne pouvait être éteint par une législation provinciale incompatible[378].

[387]      Dans l’arrêt Guerin de 1984, le juge Dickson fait un résumé de la portée de l’arrêt Calder en ce qui a trait au titre ancestral. Il y a lieu de reproduire intégralement ce résumé :

Dans l'arrêt Calder c. Procureur Général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, cette Cour a reconnu le titre aborigène comme un droit, en common law, découlant de l'occupation et de la possession historiques par les Indiens de leurs terres tribales. Les motifs principaux ont été rédigés par les juges Judson et Hall et il y a eu partage trois contre trois sur la question importante de savoir si le titre aborigène que détiennent les indiens Nishga sur leur territoire tribal ancien a été éteint par certaines lois générales en matière de biens-fonds qui ont été adoptées en Colombie-Britannique. Il y a eu partage également sur la question de l'applicabilité de la Proclamation royale de 1763 aux terres indiennes situées dans cette province. Les juges Judson et Hall ont cependant tous deux estimé que le titre aborigène existait au Canada (du moins dans le cas où il n'avait pas été éteint par une mesure législative appropriée) indépendamment de la Proclamation royale. Le juge Judson a déclaré explicitement que la Proclamation n'était pas l’«unique» fondement du titre indien (aux pp. 322, 323 et 328). Le juge Hall a affirmé (à la p. 390) que le «titre aborigène indien ne dépend d'aucun traité, ni d'aucune ordonnance du pouvoir exécutif ou disposition législative».

La Proclamation royale de 1763 a réservé «sous Notre souveraineté, Notre protection et Notre autorité, pour l'usage desdits sauvages, toutes les terres et tous les territoires non compris dans les limites de Nos trois gouvernements ni dans les limites du territoire concédé à la Compagnie de la baie d'Hudson, ainsi que toutes les terres et tous les territoires situés à l'ouest des sources des rivières qui de l'ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer» (S.R.C. 1970, Appendices, p. 123, à la p. 127). En reconnaissant que la Proclamation ne constitue pas l'unique fondement du titre indien, l'arrêt Calder va plus loin que l'arrêt du Conseil privé St. Catherine's Milling and Lumber Co. v. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46, où lord Watson a reconnu l'existence du titre aborigène, mais a affirmé que celui-ci avait son origine dans la Proclamation royale. À cet égard, l'arrêt Calder est compatible avec le point de vue exprimé par le juge en chef Marshall dans les arrêts de principe américains Johnson v. M'Intosh, 8 Wheaton 543 (1823), et Worcester v. State of Georgia, 6 Peters 515 (1832), que les juges Judson et Hall ont cités dans leurs motifs respectifs.

Dans l'arrêt Johnson v. M'lntosh, le juge en chef Marshall, tout en reconnaissant que la Proclamation royale de 1763 constitue l'un des fondements du titre indien, a néanmoins estimé que les droits des Indiens sur les terres qu'ils avaient traditionnellement occupées avant la colonisation européenne existaient avant les revendications de souveraineté de différentes nations européennes sur les territoires du continent nord-américain et qu'ils ont continué d'exister après ces revendications. Selon le principe de la découverte, sur lequel reposaient ces revendications, les terres situées dans une région donnée appartenaient en dernière analyse à la nation qui en avait fait la découverte et qui en avait réclamé la possession. Sous ce rapport du moins, les droits des Indiens sur leurs terres ont été manifestement diminués, mais leurs droits d'occupation et de possession sont restés inchangés. Le juge en chef Marshall explique ce principe, aux pp. 573 et 574:

[TRADUCTION] L'exclusion de tous les autres pays européens conférait nécessairement à la nation qui faisait la découverte le droit exclusif d'acquérir les terres des aborigènes et d'établir des colonies. Il s'agissait là d'un droit qu'aucun Européen ne pouvait entraver. C'était un droit que chacun faisait valoir pour lui-même, tout en reconnaissant ce droit aux autres.

Les relations qui devaient exister entre découvreur et aborigènes devaient se régler entre eux. Les droits ainsi acquis étant exclusifs, aucun autre pouvoir ne pouvait s'interposer.

Dans l'établissement de ces relations, on n'a, en aucun cas, entièrement omis de tenir compte des droits des aborigènes; mais ces droits se sont trouvés nécessairement restreints dans une large mesure. On reconnaissait que les aborigènes étaient les occupants de plein droit des terres, et pouvaient juridiquement et légitimement demeurer en possession de celles-ci, et les utiliser à leur gré; mais leurs droits à la souveraineté complète, en leur qualité de nations indépendantes, ont été nécessairement diminués, et leur pouvoir de disposer des terres en faveur de n'importe qui a été nié en vertu du principe initial de base selon lequel la découverte conférait à ceux qui l'avait faite un titre exclusif. [C'est [le juge Dickson] qui souligne.]

Dans l'arrêt Amodu Tijani v. Southern Nigeria (Secretary), [1921] 2 A.C. 399, le Conseil privé a approuvé le principe voulant qu'un changement de la souveraineté sur un territoire particulier n'a, en règle générale, aucune incidence sur le titre présumé de ses habitants. Ce principe vient étayer l'idée qui se dégage implicitement de l'arrêt Calder, selon laquelle le titre indien est un droit qui a une existence juridique indépendante et qui, bien que reconnu dans la Proclamation royale de 1763, existait néanmoins avant celle-ci. C'est pourquoi les arrêts Kinloch v. Secretary of State for India in Council et Tito v. Waddell (No 2), précités, ainsi que les autres décisions concernant les «fiducies politiques» ne s'appliquent pas en l'espèce. La jurisprudence en matière de «fiducies politiques» porte essentiellement sur la distribution de deniers publics ou d'autres biens détenus par le gouvernement. Dans chaque cas, la partie qui revendiquait le statut de bénéficiaire d'une fiducie s'appuyait entièrement sur une loi, une ordonnance ou un traité pour réclamer un droit sur les deniers en question. La situation des Indiens est tout à fait différente. Le droit qu'ils ont sur leurs terres est un droit, en common law, qui existait déjà et qui n'a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif.[379]

[Soulignements ajoutés, sauf indication contraire]

[388]      C’est en réponse à l’arrêt Calder que le gouvernement fédéral adoptait, en 1973, sa Politique sur les revendications territoriales globales, laquelle est toujours en vigueur[380]. Cette politique vise à négocier la cession des droits des peuples autochtones liés aux terres (tels le titre ancestral et les droits de chasse, de pêche, de cueillette et autres droits liés à l’occupation du territoire) en échange d’une compensation financière et de droits issus de traités. C’est en vertu de cette politique que les accords de revendications territoriales globales sont conclus, dont le premier fut la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975[381]. Cette politique ne traite pas de la question de l’autonomie gouvernementale vu, notamment, qu’elle n’était pas abordée dans l’arrêt Calder. Toutefois, les accords conclus à la suite de cette politique reconnaissent et encadrent les compétences des peuples autochtones signataires quant à la gestion de leurs territoires traditionnels.

[389]      Au début des années 1980, à la suite d’une forte opposition des peuples autochtones à l’adoption de la Charte canadienne et à une formule de modification constitutionnelle ne tenant pas compte de leurs droits – opposition qui a mené à une contestation judiciaire devant les tribunaux britanniques[382] – le projet de rapatriement de la Constitution canadienne fut finalement modifié afin d’y incorporer une reconnaissance constitutionnelle de ces droits. Par contre, le contenu et la portée précise de ceux-ci devaient faire l’objet de discussions constitutionnelles subséquentes.

[390]      Les articles pertinents de la Loi constitutionnelle de 1982 étaient ainsi rédigés lors de leur entrée en vigueur :

PARTIE 1 Charte canadienne des droits et libertés

25 Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada, notamment :

a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763;

b) aux droits ou libertés acquis par règlement de revendications territoriales.

PART 1 Canadian Charter of Rights and Freedoms

25 The guarantee in this Charter of certain rights and freedoms shall not be construed so as to abrogate or derogate from any aboriginal, treaty or other rights or freedoms that pertain to the aboriginal peoples of Canada including

(a) any rights or freedoms that have been recognized by the Royal Proclamation of October 7, 1763; and

(b) any rights or freedoms that may be acquired by the aboriginal peoples of Canada by way of land claims settlement.

PARTIE II Droits des peuples autochtones du Canada

35 (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

(2) Dans la présente loi, peuples autochtones du Canada s’entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

PART II Rights of the Aboriginal Peoples of Canada

35 (1) The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada are hereby recognized and affirmed.

(2) In this Act, aboriginal peoples of Canada includes the Indian, Inuit and Métis peoples of Canada.

PARTIE IV Conférence constitution-nelle

37 (1) Dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la présente partie, le premier ministre du Canada convoque une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même.

(2) Sont placées à l’ordre du jour de la conférence visée au paragraphe (1) les questions constitutionnelles qui intéressent directement les peuples autochtones du Canada, notamment la détermination et la définition des droits de ces peuples à inscrire dans la Constitution du Canada. Le premier ministre du Canada invite leurs représentants à participer aux travaux relatifs à ces questions.

(3) Le premier ministre du Canada invite des représentants élus des gouvernements du territoire du Yukon et des territoires du Nord-Ouest à participer aux travaux relatifs à toute question placée à l’ordre du jour de la conférence visée au paragraphe (1) et qui, selon lui, intéresse directement le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest.

PART IV Constitutional Conference

37 (1) A constitutional conference composed of the Prime Minister of Canada and the first ministers of the provinces shall be convened by the Prime Minister of Canada within one year after this Part comes into force.

(2) The conference convened under subsection (1) shall have included in its agenda an item respecting constitutional matters that directly affect the aboriginal peoples of Canada, including the identification and definition of the rights of those peoples to be included in the Constitution of Canada, and the Prime Minister of Canada shall invite representatives of those peoples to participate in the discussions on that item.

(3) The Prime Minister of Canada shall invite elected representatives of the governments of the Yukon Territory and the Northwest Territories to participate in the discussions on any item on the agenda of the conference convened under subsection (1) that, in the opinion of the Prime Minister, directly affects the Yukon Territory and the Northwest Territories.

PARTIE VII Dispositions générales

54 La partie IV est abrogée un an après l’entrée en vigueur de la présente partie et le gouverneur général peut, par proclamation sous le grand sceau du Canada, abroger le présent article et apporter en conséquence de cette double abrogation les aménagements qui s’imposent à la présente loi.

PART VII General

54 Part IV is repealed on the day that is one year after this Part comes into force and this section may be repealed and this Act renumbered, consequentially upon the repeal of Part IV and this section, by proclamation issued by the Governor General under the Great Seal of Canada.

[Soulignement ajouté]

[391]      La conférence constitutionnelle envisagée par l’art. 37 de la Loi constitutionnelle de 1982 a bien été tenue, mais aucun accord sur la portée des droits ancestraux énoncés à l’art. 35 n’a pu s’y matérialiser. Ce sont plutôt les modifications constitutionnelles suivantes qui furent convenues :

(1) un engagement à tenir d’autres conférences constitutionnelles avant le 18 avril 1987 sur les questions intéressant directement les peuples autochtones (art. 37.1 et 54.1);

(2) des modifications aux art. 25 et 35 afin d’y préciser, d’une part, que tous les accords de revendications territoriales y sont visés et, d’autre part, que les droits ancestraux et issus de traités sont garantis également aux personnes des deux sexes; et

(3) un engagement de principe selon lequel aucune modification au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou à l’art. 25 ou à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ne pourra être apportée avant la tenue d’une conférence constitutionnelle à laquelle les représentants des peuples autochtones seront invités à participer (art. 35.1)[383].

[392]      Il faut noter que les questions du titre ancestral et de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones furent soulevées lors de toutes les conférences constitutionnelles prévues par les art. 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982[384]. Or, aucune de ces conférences n’a pu aboutir à l’adoption d’un texte constitutionnel définissant plus précisément les droits ancestraux des peuples autochtones. Comme le souligne l’auteure (maintenant sénatrice) Renée Dupuis, « [l]a question de l’insertion dans la Constitution de la reconnaissance du “gouvernement autochtone autonome” et du “titre autochtone” est demeurée au cœur des débats et n’a pas trouvé de solution au cours du processus constitutionnel prévu à cette fin entre 1982 et 1987 »[385].

[393]      C’est dans ce contexte d’échec des conférences constitutionnelles que les tribunaux furent appelés à donner un contenu normatif plus précis aux droits ancestraux énoncés à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Bien qu’une abondante jurisprudence ait traité depuis de la question, aux fins du présent renvoi, il y a lieu de ne s’attarder qu’à quelques arrêts clés.

[394]      C’est dans l’arrêt Sparrow de 1990 que la Cour suprême du Canada s’est prononcée pour la première fois sur la portée de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Elle y a conclu qu’un droit ancestral pouvait être un droit « existant » au sens de cet article même s’il avait été fortement réglementé par le passé. Elle a aussi conclu que les droits ancestraux ne pouvaient par ailleurs être définis en fonction de cette réglementation, mais devaient plutôt recevoir une interprétation souple de manière à permettre à ceux-ci de se développer avec le temps, rejetant ainsi l’idée qu’il s’agirait de droits figés. Ces droits, plutôt, peuvent évoluer afin de répondre aux besoins contemporains des Autochtones.

[395]      La Cour suprême a aussi fermement rejeté la prétention voulant que l’art. 35 ne soit qu’un préambule aux négociations constitutionnelles futures et qu’il ne confère ainsi aucune protection, à moins que les droits qui y sont énoncés soient définis plus précisément dans un texte constitutionnel postérieur :

La nature même du par. 35(1) laisse supposer qu'il y a lieu de l'interpréter en fonction de l'objet qu'il vise. Si on considère les objectifs de la confirmation des droits ancestraux, il est évident qu'une interprétation généreuse et libérale du texte de cette disposition constitutionnelle s'impose. Devant l'argument voulant que l'art. 35 n'ait aucun effet sur les droits ancestraux ou issus de traités et qu'il ne soit qu'un préambule aux parties de la Loi constitutionnelle de 1982 qui portent sur les droits des autochtones, la Cour d'appel en l'espèce dit ceci, à la p. 322:

[TRADUCTION] Cet argument ne donne aucun sens à l'art. 35. En le retenant, on se trouverait à nier la déclaration non équivoque de cet article que les droits existants sont reconnus et confirmés et à n'en faire qu'une simple promesse de reconnaître et de confirmer ces droits à une époque future [. . .] Une telle interprétation du par. 35(1) ferait abstraction à la fois de ses termes et du principe selon lequel la Constitution doit recevoir une interprétation libérale et réparatrice. Nous ne pouvons accepter que ce principe s'applique avec moins de force aux droits ancestraux qu'à ceux garantis par la Charte, compte tenu particulièrement de l'histoire et de la méthode d'interprétation des traités et des lois concernant les Indiens commandée par des arrêts comme Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 . . .[386]

[396]      La Cour suprême conclut plutôt que l’art. 35 accorde une priorité et un statut constitutionnels aux droits ancestraux, ce qui permet d’exiger des gouvernements de justifier toute réglementation qui porterait atteinte à l’exercice de ces droits[387]. Il importe donc, avant de décrire la manière dont la Cour suprême a identifié les caractéristiques des droits ancestraux, de s’arrêter brièvement au test justificatif qu’elle a élaboré dans Sparrow et qui a évolué depuis. Ce test, en effet, est une composante essentielle de la dynamique relationnelle qui découle de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 :

Il semble se dégager du par. 35(1) que, si la réglementation des droits ancestraux n'est pas exclue, une telle réglementation doit être adoptée conformément à un objectif régulier. Notre histoire démontre, trop bien malheureusement, que les peuples autochtones du Canada ont raison de s'inquiéter au sujet d'objectifs gouvernementaux qui, bien que neutres en apparence, menacent en réalité l'existence de certains de leurs droits et intérêts. En accordant aux droits ancestraux le statut et la priorité propres aux droits constitutionnels, le Parlement et les provinces ont sanctionné les contestations d'objectifs de principe socioéconomiques énoncés dans des textes législatifs, dans la mesure où ceuxci portent atteinte à des droits ancestraux. Ce régime constitutionnel comporte implicitement une obligation de la part du législateur de satisfaire au critère de la justification. La façon de réaliser un objectif législatif doit préserver l'honneur de Sa Majesté et doit être conforme aux rapports contemporains uniques, fondés sur l'histoire et les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada. La mesure dans laquelle une loi ou un règlement a un effet sur un droit ancestral existant doit être examinée soigneusement de manière à assurer la reconnaissance et la confirmation de ce droit.

La reconnaissance constitutionnelle exprimée dans la disposition en cause permet donc, dans une certaine mesure, de contrôler la conduite du gouvernement et de limiter fortement le pouvoir du législateur. Bien qu'elle ne constitue pas une promesse d'immunité contre la réglementation gouvernementale dans une société qui, au XXe siècle, devient de plus en plus complexe et interdépendante et où il est nécessaire de protéger et de gérer les ressources épuisables, cette reconnaissance représente un engagement important de la part de la Couronne. Le gouvernement se voit imposer l'obligation de justifier toute mesure législative qui a un effet préjudiciable sur un droit ancestral protégé par le par. 35(1).[388]

[Soulignements ajoutés]

[397]      Le test exige que les gouvernements poursuivent un objectif régulier et tentent de l’atteindre au moyen d’une réglementation conforme aux rapports contemporains uniques, fondés sur l'histoire et les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada, c’est-à-dire respectueuse de l’obligation de fiduciaire qui incombe à la Couronne lorsqu’elle porte atteinte à un intérêt des peuples autochtones[389]. L’interprétation de ces notions varie selon les circonstances et la nature du droit ancestral en cause[390]. Ainsi, la régularité de l’objectif poursuivi doit être évaluée en tenant compte « des intérêts autochtones et de l’objectif général du public »[391], de sorte que l’appréciation de ce critère diffère dans le cas d’un droit de pêcher à des fins de subsistance et celui d’un droit de pêcher à des fins commerciales[392]. En aucun cas, toutefois, des raisons relativement peu importantes peuvent-elles servir de justification à une atteinte[393].

[398]      Quant au respect des rapports contemporains entre les peuples autochtones et la Couronne, de manière générale, comme l’explique le juge Cory dans Nikal, la question qui se pose est celle de savoir si le gouvernement a raisonnablement tenu compte des droits ancestraux, c’est-à-dire qu’il y a porté atteinte le moins possible et a raisonnablement satisfait à son obligation procédurale de consultation avant de ce faire, compte tenu des circonstances propres à chaque affaire[394]. Les effets préjudiciables d’une mesure législative fédérale ou provinciale sur un droit ancestral ne doivent pas non plus l’emporter sur les avantages qui découlent de son application[395].

[399]      Bien que la Cour suprême parle d’« atteintes » portées aux droits ancestraux, le test justificatif qu’elle a énoncé ne peut être vu dans la seule logique antagoniste que traduit cette formule. Il s’agit plutôt d’une formule de réconciliation des intérêts autochtones et non autochtones et non pas une formule de confrontation de droits. La juge en chef McLachlin affirme ainsi dans Nation Tsilhqot’in que « le processus de conciliation des intérêts autochtones avec l’intérêt général de la société dans son ensemble constitue la raison d’être du principe de la justification »[396].

[400]      Le test justificatif élaboré pour la première fois dans Sparrow a pour objet de fixer les paramètres d’une « réglementation légitime d'un droit ancestral »[397], afin d’« assurer la reconnaissance et la confirmation »[398] de ces droits au sein de la communauté politique complexe et interdépendante où ils s’exercent, idée qu’évoquent également le juge en chef Lamer dans l’arrêt Gladstone[399], le juge Cory dans Nikal[400] et la juge en chef McLachlin dans Nation Tsilhqot’in[401]. Ce pouvoir des gouvernements de réglementer les droits ancestraux, dans des limites rigoureuses et bien définies, est donc fondamental à la poursuite de l’objectif de conciliation des intérêts autochtones et non autochtones prévu par l’art. 35. Dans une perspective plus large de conciliation, ce test justificatif assure le maintien d’une relation continue entre les peuples autochtones et les gouvernements provinciaux et fédéral afin que ces derniers tiennent adéquatement compte des droits reconnus et confirmés par l’art. 35. Comme l’affirme le juge Binnie dans l’arrêt Première nation de Little Salmon/Carmacks, la réconciliation faisant l’objet de l’art. 35 est celle « des Canadiens autochtones et non autochtones dans le cadre d’une relation à long terme empreinte de respect mutuel »[402].

[401]      Lorsqu’elle a jeté les bases de l’analyse qui allait permettre de déterminer comment la réglementation étatique pourrait être conciliée avec l’affirmation des droits ancestraux prévue à l’art. 35, la Cour suprême n’avait pas encore établi la démarche permettant d’identifier les droits ancestraux reconnus et confirmés par cette disposition. C’est ce qu’elle a fait dans l’arrêt Van der Peet de 1996, où elle s’est attardée à définir pour la première fois le cadre juridique par lequel un droit ancestral visé par l’art. 35 pouvait être reconnu. S’exprimant pour la majorité et s’appuyant sur la trilogie américaine du juge en chef Marshall, la jurisprudence canadienne et les auteurs qui ont traité de la question, le juge en chef Lamer y précise que les droits ancestraux sont issus de la présence antérieure des peuples autochtones comme sociétés autonomes distinctes et qu’ils ont été reconnus par la common law malgré la proclamation par la Couronne de sa souveraineté sur le territoire de ce qui est maintenant devenu le Canada[403].

[402]      Les droits ancestraux n’ont donc pas été créés par la Couronne ou à la suite de l’adoption d’une loi. Plutôt, la common law les reconnaît parce que « quand les Européens sont arrivés en Amérique du Nord, les peuples autochtones s’y trouvaient déjà, ils vivaient en collectivités sur ce territoire et participaient à des cultures distinctives, comme ils l’avaient fait pendant des siècles »[404]. L’effet de l’art. 35 n’est donc pas de créer ces droits, mais bien de leur conférer un statut constitutionnel de façon qu’ils « ne [puissent] pas être éteints et ils ne [puissent] être réglementés ou violés qu’en conformité avec le critère de justification énoncé […] dans Sparrow »[405]. L’objet de cette disposition constitutionnelle est ainsi de « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté »[406].

[403]      Pour le juge en chef Lamer, tenant compte de cet objet, le critère d’identification des droits ancestraux reconnus et confirmés par l’art. 35 doit « tendre à identifier les coutumes, pratiques et traditions fondamentales des sociétés autochtones qui existaient en Amérique du Nord avant le contact avec les Européens »[407]. Le juge en chef Lamer établit donc le critère suivant : « pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question »[408]. Il énonce ensuite les facteurs qui doivent être pris en considération dans l’application de ce critère :

- les tribunaux doivent tenir compte du point de vue des Autochtones euxmêmes[409];

- les tribunaux doivent déterminer avec précision la nature de la revendication en cause lorsqu’ils décident si le requérant autochtone a établi l’existence d’un droit ancestral[410];

- pour faire partie intégrante d’une culture distinctive, une coutume, pratique ou tradition doit avoir une importance fondamentale pour le peuple autochtone concerné[411];

- constituent des droits ancestraux les coutumes, pratiques et traditions qui marquent la continuité avec les coutumes, pratiques et traditions qui existaient avant le contact avec les Européens[412];

- dans l’application des règles de preuve, les tribunaux doivent tenir compte des difficultés inhérentes à l’examen des affaires concernant des revendications autochtones[413];

- les revendications des droits ancestraux doivent être tranchées de manière spécifique et non générale[414];

- pour qu’une coutume, une pratique ou une tradition constitue un droit ancestral, elle doit avoir une importance particulière pour la culture autochtone où elle existe[415];

- le critère de la partie intégrante d’une culture distinctive exige qu’une coutume, pratique ou tradition soit distinctive, non pas qu’elle soit distincte[416];

- l’influence de la culture européenne n’est pertinente, dans le cadre de l’examen, que s’il est démontré que la coutume, la pratique ou la tradition ne fait partie intégrante de la culture autochtone qu’en raison de cette influence[417];

- les tribunaux doivent tenir compte à la fois des rapports qu’entretiennent les peuples autochtones avec le territoire et des cultures et sociétés distinctives de ces peuples[418].

[404]      Le lendemain du dépôt de l’arrêt Van der Peet, la Cour suprême rendait son arrêt dans l’affaire Pamajewon, où il s’agissait de décider si le droit à l’autonomie gouvernementale était compris parmi les droits ancestraux existants visés par l’art. 35. Bien que formulé en termes très larges, le droit de gouvernance revendiqué portait véritablement sur la réglementation des jeux de hasard. Le juge en chef Lamer, pour la majorité, a conclu qu’il n’était pas nécessaire de décider si l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comprenait ou non le droit à l’autonomie gouvernementale, vu que, même si ce droit y était reconnu, il ne pouvait porter sur la réglementation des jeux de hasard puisque les activités liées à ces jeux ne formaient pas une coutume, pratique ou tradition faisant partie de la culture distinctive du peuple autochtone en cause.

[405]      Le juge en chef Lamer s’exprime de la façon suivante :

[24] La revendication des appelants comporte l'affirmation que le par. 35(1) englobe le droit à l'autonomie gouvernementale, et que ce droit comprend le droit de réglementer les activités de jeux de hasard dans la réserve. À supposer, sans toutefois en décider, que le par. 35(1) vise les revendications du droit à l'autonomie gouvernementale, la norme juridique pertinente n'en demeure pas moins celle établie dans Van der Peet, précité. À supposer que les revendications du droit à l'autonomie gouvernementale autochtone sont visées par le par. 35(1), ces revendications doivent être examinées à la lumière des objets sousjacents de cette disposition et, par conséquent, être appréciées au regard du critère tiré de l'analyse de ces objets. Il s'agit du critère établi dans Van der Peet, précité. Dans la mesure où elles peuvent être présentées en vertu du par. 35(1), les revendications d'autonomie gouvernementale ne diffèrent pas des autres prétentions à la jouissance de droits ancestraux, et elles doivent, de ce fait, être appréciées au regard de la même norme.

[25] Dans Van der Peet, précité, le critère permettant de déterminer l'existence des droits ancestraux a été énoncé ainsi, au par. 46:

. . . pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d'une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question.

Dans l'application de ce critère, la Cour doit d'abord déterminer la nature exacte de l'activité qui, prétendon, serait un droit, et ensuite se demander si, compte tenu de la preuve présentée au juge du procès et des conclusions de fait du juge du procès, il est possible d'affirmer que cette activité était «une caractéristique déterminante de la culture en cause» (Van der Peet, par. 59), avant le contact avec les Européens.[419]

[Soulignements ajoutés]

[406]      Cet arrêt laisse donc entendre que le droit à l’autonomie gouvernementale, s’il existe comme droit ancestral, doit répondre au critère énoncé dans Van der Peet afin d’être reconnu comme un droit ancestral visé par l’art. 35.

[407]      Par contre, l’année suivante, dans l’arrêt Delgamuukw, la Cour suprême a eu à définir le contenu du titre ancestral. Tant les questions du titre ancestral que du droit à l’autonomie gouvernementale furent soulevées devant toutes les instances judiciaires. Outre la reconnaissance d’un titre ancestral, les parties autochtones demandaient des déclarations judiciaires confirmant qu’elles détenaient aussi une forme de souveraineté résiduelle comprenant le droit de réglementer les terres et les ressources de leurs territoires ancestraux ainsi que tous les individus qui y résident.

[408]      Pour l’essentiel, toutes les revendications des parties autochtones ont été rejetées par le juge en chef McEachern de la Supreme Court de la Colombie-Britannique, qu’elles aient été de nature territoriale ou liées à la gouvernance. La possibilité que l’art. 35 reconnaisse le droit à l’autonomie gouvernementale a d’ailleurs été écartée par le juge en chef McEachern au motif qu’il s’agissait de droits qui ne pouvaient être reconnus sans un accord en ce sens avec les gouvernements :

The plaintiffs must understand that Canada and the provinces, as a matter of law, are sovereign, each in their own jurisdictions, which makes it impossible for aboriginal peoples unilaterally to achieve the independent or separate status some of them seek. In the language of the street, and in the contemplation of the law, the plaintiffs are subject to the same law and the same Constitution as everyone else. The Constitution can only be changed in the manner provided by the Constitution itself.

This is not to say that some form of self-government for aboriginal persons cannot be arranged. That, however, is possible only with the agreement of both levels of government under appropriate, lawful legislation. It cannot be achieved by litigation.[420]

[409]      En appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, les juges Macfarlane, Taggart et Wallace ont reconnu aux demandeurs autochtones certains droits ancestraux restreints et non exclusifs, mais ils ont rejeté leurs prétentions à un titre ancestral et à l’autonomie gouvernementale, et ce, pour des motifs similaires à ceux du juge en chef McEachern. Par contre, les juges Lambert et Hutcheon étaient d’avis contraire, tant en ce qui concerne le titre ancestral que le droit à l’autonomie gouvernementale.

[410]      Examinons leurs points de vue respectifs.

[411]      D’abord, le juge Macfarlane, appuyé par le juge Taggart, conclut que la revendication à l’autonomie gouvernementale implique l’établissement d’un nouvel ordre de gouvernement au Canada, détenteur de pouvoirs législatifs[421]. Selon le juge Macfarlane, « (i)t was on the date that the legislative power of the Sovereign was imposed that any vestige of aboriginal law-making competence was superseded »[422]. De plus, « a continuing aboriginal legislative power is inconsistent with the division of powers found in the Constitution Act, 1867 (…). Sections 91 and 92 of that Act exhaustively distribute legislative power in Canada »[423].

[412]      Dans des motifs concourants, le juge Wallace propose un raisonnement fondé sur l’incompatibilité du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones avec la proclamation de la souveraineté par la Couronne. Pour le juge Wallace, « any claim to aboriginal jurisdiction would require that rights of jurisdiction, that is, governmental powers such as legislative and judicial powers, were recognized and became enforceable by the common law »[424]. Bien qu’avant l’avènement de la souveraineté de la Couronne en Colombie-Britannique, les Autochtones aient exercé leurs compétences souveraines sur le territoire conformément à leurs propres organisations sociales, « once sovereignty was asserted, the Indians became subjects of the Crown and the common law applied throughout the territory and to all inhabitants »[425]. En effet, « upon the exercise of sovereignty, any powers of government of the indigenous people were superseded by the introduction of the common law and the jurisdiction of the Imperial Parliament »[426]. Le juge Wallace poursuit en soutenant, à l’instar des juges Macfarlane et Taggart, que « (a)ny possibility that aboriginal powers of self-government remained unextinguished was eliminated in 1871 by the exhaustive distribution of powers between the Province and the Government of Canada when British Columbia joined Confederation pursuant to the Terms of Union, 1871. Sections 91 and 92 of the Constitution Act, 1867 which provide for this division of powers have been repeatedly interpreted as distributing all legislative jurisdiction between Parliament and the provincial legislatures »[427].

[413]      Le juge Lambert, dissident, est quant à lui d’avis que l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 protège le droit à l’autonomie gouvernementale[428], qui, contrairement à ce qu’a conclu le juge de première instance, n’a pas été éteint par l’affirmation de la souveraineté par la Couronne[429]. Faisant écho aux propos du juge en chef Marshall dans sa trilogie, il se dit d’avis que seuls les droits des Autochtones incompatibles avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne seraient écartés, ce qui laisse place à une forme d’autonomie interne résiduelle pour les peuples autochtones. Il ne s’agit donc pas d’un droit qui permet aux peuples autochtones d’affirmer leur souveraineté sur leurs territoires traditionnels et de régir la conduite de tous les individus qui s’y trouvent, mais bien plutôt d’un droit de se gouverner à l’interne. Le partage des compétences entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces n’aurait pas pour effet de nier aux peuples autochtones ce droit de gouvernance interne.

[414]      Le juge Lambert résume lui-même ses motifs de la façon suivante :

[1029] I propose to summarize. The Gitksan and Wet'suwet'en peoples had rights of self-government and self-regulation in 1846, at the time of sovereignty. Those rights rested on the customs, traditions and practices of those peoples to the extent that they formed an integral part of their distinctive cultures. The assertion of British Sovereignty only took away such rights as were inconsistent with the concept of British Sovereignty. The introduction of English Law into British Columbia was only an introduction of such laws as were not from local circumstances inapplicable. The existence of a body of Gitksan and Wet'suwet'en customary law would be expected to render much of the newly introduced English Law inapplicable to the Gitksan and Wet'suwet'en peoples, particularly since none of the institutions of English Law were available to them in their territory, so that their local circumstances would tend to have required the continuation of their own laws. The division of powers brought about when British Columbia entered confederation in 1871 would not, in my opinion, have made any difference to Gitksan and Wet'suwet'en customary laws. Since 1871, Provincial laws of general application would apply to the Gitksan and Wet'suwet'en people, and Federal laws, particularly the Indian Act, would also have applied to them. But to the extent that Gitksan and Wet'suwet'en customary law lay at the core of their Indianness, that law would not be abrogated by Provincial laws of general application nor by Federal laws, unless those Federal laws demonstrated a clear and plain intention of the Sovereign power in Parliament to abrogate the Gitksan or Wet'suwet'en customary laws. Subject to those over-riding considerations, Gitksan and Wet'suwet'en customary laws of self-government and self-regulation have continued to the present day and are now constitutionally protected by s.35 of the Constitution Act, 1982.[430]

[415]      Finalement, le juge Hutcheon, dissident en partie, est d’avis que les peuples autochtones parties au litige n’ont pas perdu leur droit à l’autoréglementation, qu’il distingue de l’autonomie gouvernementale :

[1163] (…) I think the phrase “right to self-government” refers, in the main, to the traditions of an aboriginal society considered by its members to be binding on them. I would avoid reference to “aboriginal laws” because the word “laws” carries with it the notion that the traditions were enforceable by some state authority. For the same reason I have used “self-regulation” in preference to selfgovernment.[431]

[416]      L’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique fut écarté par la Cour suprême du Canada. Cette dernière a choisi d’intervenir afin de définir le contenu juridique du titre ancestral et pour énoncer les règles de preuve destinées à l’établir devant les tribunaux. Elle a aussi décidé de retourner le dossier en première instance pour un nouveau procès qui tiendrait compte de ses observations.

[417]      Tout en précisant que le titre ancestral est un droit ancestral existant visé par l’art. 35 qui tire ses origines du « rapport entre la common law et les régimes juridiques autochtones préexistants »[432] et qu’il est détenu collectivement[433], le juge en chef Lamer, dans ses motifs majoritaires, a fortement remanié le critère et les facteurs qu’il avait énoncés dans Van der Peet. Il les a adaptés aux particularités de ce titre foncier, vu qu’il s’agit d’une « espèce distincte de droit ancestral reconnu et confirmé par le par. 35(1) »[434].

[418]      Ainsi, le juge Lamer conclut qu’il y a lieu de rejeter la prétention voulant que ce titre comprenne uniquement le droit d’exercer des activités qui sont des aspects de coutumes, pratiques et traditions autochtones faisant partie intégrante de la culture distinctive du peuple autochtone concerné. Le titre ancestral permet donc d’utiliser les territoires auxquels il s’applique à toutes fins, que celles-ci soient liées ou non à des coutumes, pratiques ou traditions faisant partie intégrante de la culture du peuple autochtone qui en est détenteur, sous deux réserves toutefois, soit (1) « que les terres détenues en vertu d’un titre aborigène ne peuvent pas être utilisées d’une manière incompatible avec la nature de l’attachement qu’ont les revendicateurs pour ces terres »[435] et (2) que « les terres détenues en vertu d’un titre aborigène sont inaliénables », en ce qu’elles ne peuvent être cédées qu’à la Couronne[436].

[419]      Cette adaptation du critère et des facteurs de Van der Peet est d’ailleurs explicitement reconnue par le juge en chef Lamer :

[140] En plus de différer des autres droits ancestraux quant au degré de rattachement avec le territoire, le titre aborigène se distingue de ceux-ci d’une autre façon. Jusqu’à maintenant, la Cour a défini les droits ancestraux par rapport à des activités. Comme je l’ai dit dans Van der Peet (au par. 46):

[P]our constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question. [Je souligne.]

Or le titre aborigène est le droit au territoire lui-même. Sous réserve des limites que j’ai exposées précédemment, ce territoire peut être utilisé pour diverses activités, dont aucune ne doit nécessairement être protégée individuellement en tant que droit ancestral prévu au par. 35(1). Ces activités sont des parasites du titre sousjacent.

[141] Cette différence entre les droits ancestraux autorisant l’exercice d’activités particulières et le titre aborigène exige l’adaptation, en conséquence, du critère que j’ai exposé dans Van der Peet. J’ai prévu cette possibilité dans cet arrêt […].

[…]

Comme l’objet du par. 35(1) est de concilier la présence antérieure des peuples autochtones en Amérique du Nord avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, il ressort clairement de cet énoncé que le par. 35(1) doit reconnaître et confirmer les deux aspects de cette préexistence, savoir l’occupation du territoire, d’une part, et l’organisation sociale antérieure et les cultures distinctives des peuples autochtones habitant ce territoire, d’autre part. Jusqu’à ce jour, la jurisprudence relative au par. 35(1) a surtout insisté sur le deuxième aspect. Cette situation est dans une large mesure attribuable aux genres d’affaires qui ont été soumises à notre Cour dans le contexte du par. 35(1), savoir des poursuites intentées relativement à des infractions réglementaires qui, de par leur nature même, interdisent divers types d’activités.

[142] L’adaptation du critère établi dans l’arrêt Van der Peet en vue de son application aux revendications de titre doit également être considérée comme la reconnaissance du premier aspect de cette présence antérieure. Toutefois, comme il deviendra maintenant évident, le critère applicable pour déterminer l’existence de droits ancestraux autorisant l’exercice d’activités particulières et le critère applicable pour déterminer l’existence d’un titre aborigène comportent de grandes similitudes. Par ailleurs, voici quelles sont les principales distinctions: premièrement, dans le cadre du critère relatif au titre aborigène, l’exigence que le territoire fasse partie intégrante de la culture distincte des demandeurs est subsumée sous l’exigence d’occupation; deuxièmement, alors que c’est le moment du premier contact avec les Européens qui est le moment pertinent pour la détermination des droits ancestraux, dans le cas du titre aborigène, c’est le moment de l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur le territoire.[437]

[Soulignements dans l’original]

[420]      Comme c’est le cas pour tout autre droit ancestral, le titre ancestral peut être l’objet d’atteintes tant par le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux, mais cela seulement si ces atteintes satisfont au critère de justification énoncé dans l’arrêt Sparrow et constamment repris et précisé par la suite[438].

[421]      Par contre, dans Delgamuukw, la Cour suprême a refusé de traiter de la question du droit à l’autonomie gouvernementale « [e]n raison des erreurs de fait commises par le juge de première instance, et de la nécessité de tenir un nouveau procès […] [et du] caractère général de la revendication présentée au procès […] »[439]. Elle n’a pas indiqué non plus s’il y avait lieu d’adapter le critère et les facteurs de Van der Peet au droit à l’autonomie gouvernementale, comme elle l’a fait pour le titre ancestral, n’ajoutant rien de plus à ce qui avait été dit dans Pamajewon. Ainsi, à ce jour, la Cour suprême du Canada ne s’est pas prononcée sur l’existence ou le contenu du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones ni ne s’est-elle attardée longuement sur l’application des critères et des facteurs de Van der Peet dans le contexte du droit à l’autonomie gouvernementale.

[422]      Ainsi, bien que l’arrêt Pamajewon puisse laisser entendre que le droit à l’autonomie gouvernementale ne serait pas un droit général aux caractéristiques juridiques uniformes, mais plutôt un droit spécifique qui varierait d’un peuple autochtone à un autre selon les circonstances propres à chacun d’eux, les propos du juge en chef Lamer dans cet arrêt doivent être compris à la lumière de ceux qu’il a subséquemment tenus dans l’arrêt Delgamuukw. Comme le note le professeur Slattery :

The crucial point to note is that [in Delgamuukw] the Supreme Court treats aboriginal title as a uniform right, whose basic dimensions do not vary from group to group according to their traditional ways of life. All groups holding Aboriginal title have fundamentally the same kind of right, subject only to minor variations stemming from the inherent limit. In effect, the Court recognizes that Aboriginal title is not a specific right of a kind envisaged in Van der Peet or even a bundle of specific rights. Aboriginal title is what we may call a generic right – a right of a standardized character that is basically in all Aboriginal groups where it occurs. The fundamental dimensions of the right are determined by the common law doctrine of Aboriginal rights rather than by the unique circumstances of each group. 

In short, in Van der Peet and Delgamuukw, the Supreme Court of Canada recognized two different kinds of Aboriginal rights – specific rights and generic rights. Specific rights are rights whose nature and scope are defined by factors pertaining to a particular Aboriginal group. As such, they vary in character from group to group. Of course, different Aboriginal groups may have similar specific rights, but this is just happenstance. It does not flow from the nature of the right. By contrast, generic rights are rights of a universal character whose basic contours are established by the common law of Aboriginal rights. All Aboriginal groups holding a certain generic right have basically the same kind of right. The essential nature of the rights does not vary according to factors peculiar to the group.

(…)

In light of Delgamuukw, it seems more sensible to treat the right of self-government as a generic Aboriginal right, on the model of Aboriginal title, rather than as a bundle of specific rights. In this view, the right of self-government is governed by uniform principles laid down by Canadian common law. The basic scope of the right does not vary from group to group. However, its application to a particular group differs depending on the circumstances. (…)[440]

[Soulignement ajouté; italiques dans l’original]

[423]      En effet, bien que la Cour ait indiqué dans Van der Peet que « [l]es droits ancestraux n’ont pas un caractère général et universel » et que « [l]eur portée et leur contenu doivent être déterminés au cas par cas »[441], elle a considérablement nuancé cette affirmation dans Delgamuukw en concluant que le titre ancestral était un droit dont la portée est identique pour tous ses détenteurs.

[424]      On peut également relever que, par la suite, la Cour suprême a de nouveau modifié l’approche qu’elle avait adoptée dans Van der Peet afin d’identifier les droits ancestraux reconnus par l’art. 35 aux Métis, « pour tenir compte de l’ethnogénèse postérieure au contact et de l’histoire distinctive des Métis, et des différences qui en résultent du point de vue de leurs revendications et de celles des Indiens »[442]. Ainsi, l’objet de l’art. 35 propre aux Métis ne peut être celui de reconnaître leur occupation du territoire antérieure à l’arrivée des Européens, mais plutôt de « reconnaître et confirmer les droits que détiennent les Métis du fait qu’ils sont des descendants directs des premiers habitants du pays et du fait de la continuité entre leurs coutumes et traditions et celles de leurs ancêtres métis »[443]. De même, la Cour a élaboré une méthode d’identification des communautés détentrices de droits et de leurs membres qui tient compte des spécificités métisses.

[425]      Le droit à l’autonomie gouvernementale requiert lui aussi une modification du cadre d’analyse élaboré dans l’arrêt Van der Peet. À l’instar du titre ancestral, il s’agit d’un droit dont la portée est semblable pour tous les peuples autochtones, position que semble appuyer le juge Binnie dans l’arrêt Mitchell.

[426]      Dans cet arrêt, rendu en 2001, le juge Binnie a choisi de traiter sommairement du droit à l’autonomie gouvernementale des Autochtones dans ses motifs concourants. L’affaire Mitchell portait sur la revendication d’un droit ancestral permettant de rapporter au Canada des marchandises libres de droits de douane. D’avis que le droit ancestral revendiqué était incompatible avec la souveraineté canadienne, le juge Binnie a cependant laissé entendre que ce type d’incompatibilité ne serait pas nécessairement applicable si le droit ancestral en cause était fondé sur le droit à l’autonomie gouvernementale, qu’il entrevoit comme un droit d’un peuple autochtone de réguler ses affaires internes. S’inspirant largement de la trilogie américaine du juge en chef Marshall et de la doctrine du « domestic dependent nation », le juge Binnie semble adopter une vision générale – par opposition à spécifique – d’un tel droit :

[165] Cette conclusion [l’incompatibilité avec la souveraineté canadienne], toutefois, ne signifie aucunement que j’écarte ou appuie un point de vue quelconque quant à la compatibilité ou l’incompatibilité d’institutions autonomes internes des Premières nations avec la souveraineté de la Couronne, dans le passé ou dans le présent. Je souligne à cet égard que le principe de l’incompatibilité avec la souveraineté n’a pas empêché les ÉtatsUnis (malgré leur cadre constitutionnel très différent) de continuer de reconnaître certaines formes d’autonomie gouvernementale interne des autochtones qui, à leur avis, sont des expressions de la souveraineté autochtone résiduelle. La notion de « nation interne dépendante » a été introduite par le juge en chef Marshall dans Cherokee Nation c. Georgia, 30 U.S. (5 Pet.) 1 (1831), p. 17 :

[TRADUCTION] ... on peut fort bien douter que ces tribus qui vivent dans les limites reconnues du territoire des ÉtatsUnis puissent de façon strictement exacte être désignées de nations étrangères. Elles peuvent peutêtre plus correctement être désignées de nations internes dépendantes.

[…]

[169] Je me réfère au droit américain uniquement pour répondre à toute crainte que le fait de traiter certains aspects de la question de souveraineté dans le cadre d’une revendication relative à un droit de commerce et de circulation internationaux, pourrait compromettre d’une façon ou d’une autre la résolution de la revendication beaucoup plus générale et plus complexe d’institutions autonomes internes par les Premières nations au Canada. Les ÉtatsUnis ont fait l’expérience de gouvernements internes tribaux autonomes dans le cadre de relations extérieures régies entièrement par le gouvernement des ÉtatsUnis sans connaître de difficultés théoriques, depuis l’arrêt Johnson c. M’Intosh, 21 U.S. (8 Wheat.) 543 (1823), qui a été rendu il y a près de 170 ans.[444]

[Italiques dans l’original]

[427]      Une dernière décision judiciaire portant sur le droit à l’autonomie gouvernementale mérite d’être soulignée, soit celle de la Supreme Court de la Colombie-Britannique dans Campbell[445]. Les demandeurs dans cette affaire – comprenant notamment des membres de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique – contestaient la validité constitutionnelle des dispositions portant sur l’autonomie gouvernementale d’un accord intervenu entre la nation Nisga’a et les gouvernements du Canada et de la ColombieBritannique. Selon les demandeurs, le partage des compétences entre le Parlement et les législatures provinciales, tel que prévu par la Loi constitutionnelle de 1867, rendait impossible toute reconnaissance d’un droit à l’autonomie gouvernementale pour les peuples autochtones – que ce soit comme droit ancestral ou même acquis par la voie d’un accord – sans un amendement formel en ce sens de la Constitution du Canada.

[428]      S’appuyant sur l’analyse téléologique du fédéralisme canadien menée par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec[446], le juge Williamson rejette l’idée que le partage des compétences a eu pour objet ou pour effet d’écarter les droits ancestraux des Autochtones, y compris le droit à l’autonomie gouvernementale[447]. Référant notamment à la trilogie américaine du juge en chef Marshall, à la jurisprudence canadienne et aux objets de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le juge Williamson conclut plutôt qu’un droit à l’autonomie gouvernementale des Autochtones est incorporé à la common law et que ce droit est maintenant constitutionnellement protégé par l’art. 35 comme droit ancestral[448].

[429]      Sauf dans Campbell, les tribunaux canadiens ne se sont pas à ce jour prononcés de façon définitive sur le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, quoique certains jugements aient rejeté des revendications fondées sur ce droit dans le contexte de la réglementation des relations de travail ou de la fiscalité, s’appuyant à cet égard sur le critère et les facteurs énoncés à l’arrêt Van der Peet[449].

[430]      Par contre, ce droit a fait l’objet de plusieurs reconnaissances par les acteurs politiques canadiens, comme nous l’avons noté précédemment.

[431]      Ainsi dans l’Accord de Charlottetown de 1992, l’ensemble des intervenants ont reconnu que les peuples autochtones du Canada possèdent le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale au sein du Canada[450]. Bien que l’Accord de Charlottetown fût rejeté le 26 octobre 1992 à la suite d’un référendum, cela ne signifie pas que les droits qui y sont énoncés ne puissent pour autant être déjà compris à la Constitution du Canada. D’ailleurs, l’idée que l’échec d’une proposition constitutionnelle – dont les propositions comprises à l’Accord de Charlottetown – permet de conclure que le sujet visé par la proposition ne serait pas autrement protégé par la Constitution canadienne a été fermement rejetée par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême[451].

[432]      Après le rejet de l’Accord de Charlottetown, le gouvernement fédéral a adopté en 1995 sa Politique sur l’autonomie gouvernementale. Nous en avons déjà tracé les grandes lignes, mais il convient de rappeler que cette politique est fondée sur la reconnaissance du droit à l’autonomie gouvernementale comme un droit ancestral existant au sens de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 que les tribunaux peuvent faire respecter. Par contre, vu les embûches pratiques aux recours judiciaires lorsque ce type de droit est en cause, la politique du Canada se fonde plutôt sur la négociation d’ententes sur l’autonomie gouvernementale en tant que droits issus de traités au sens de l’art. 35. La politique envisage aussi d’autres voies afin d’assurer l’exercice effectif du droit à l’autonomie gouvernementale, dont des mesures législatives, des contrats et des protocoles d’entente sans caractère obligatoire. Quelle que soit l’approche adoptée, la politique fédérale soutient que le financement de l’autonomie gouvernementale est une responsabilité conjointe du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux, ce qui implique la participation active de ces derniers aux processus de négociations envisagés[452]. Des extraits de cette politique sont déjà reproduits plus haut dans cet avis et il n’est pas nécessaire de les reproduire à nouveau.

[433]      Au plan international, la Déclaration des Nations Unies de 2007, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, reconnaît aussi le droit des peuples autochtones d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales[453]. Nous y reviendrons.

[434]      Par ailleurs, la plupart des auteurs en droit canadien qui ont exprimé une opinion sur cette question sont d’avis que le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones est implicitement, mais nécessairement, reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[454].

[435]      L’état du droit sur la question étant brièvement décrit, il s’agit maintenant de traiter de la constitutionnalité de la Partie II de la Loi.

c)     Le cadre d’analyse

[436]      Le procureur général du Québec soutient que la Partie II de la Loi est invalide puisqu’elle a pour objet et pour effet de définir unilatéralement les droits protégés à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il avance plusieurs moyens au soutien de cette prétention. Ceux-ci peuvent être regroupés en trois propositions.

[437]      Premièrement, il allègue que la Partie II de la Loi repose uniquement sur la prémisse que l’art. 35 reconnaît et confirme le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones[455]. Il a raison.

[438]      En effet, la Loi repose explicitement sur cette prémisse et elle est particulièrement claire à cet égard. Ainsi, dans le préambule, le Parlement « affirme le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, y compris le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale lequel comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille ». L’al. 8a) de la Loi précise que celle-ci a pour objet « d’affirmer le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale lequel comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille ». Le par. 18(1) de la Loi énonce que « [l]e droit inhérent à l’autonomie gouvernementale reconnu et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille ». Quant aux art. 19 à 26 de la Loi, ils établissent un cadre au sein duquel cette compétence autochtone peut s’exercer.

[439]      Deuxièmement, le procureur général du Québec soutient que le Parlement n’a pas le pouvoir de modifier ou de déterminer unilatéralement la portée ou le contenu de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon lui, il n’appartient pas au Parlement de déclarer l’existence d’un droit ancestral car, ce faisant, il usurperait le rôle des tribunaux[456].

[440]      Troisièmement, le procureur général du Québec brosse un tableau du contexte historique, politique et juridique canadien et avance que le Parlement fédéral a tenté, par une simple loi, de modifier unilatéralement la Constitution en incorporant à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, par voie législative, le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones[457]. En conséquence, la Loi serait invalide, car contraire au par. 52(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 portant sur le processus de modification de la Constitution[458].

[441]      Par contre, malgré la portée très large de ses deuxième et troisième moyens, le procureur général du Québec ajoute que cette Cour n’aurait pas à statuer sur la question de savoir si l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît ou non aux peuples autochtones un droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et à la famille[459]. Il lui suffirait de prononcer l’inconstitutionnalité de la Loi puisque le Parlement n’aurait pas compétence pour légiférer par affirmation de ce droit.

[442]      Nous ne pouvons retenir cet argument. Rien dans la Constitution n’empêche le Parlement de légiférer en fonction des droits énoncés dans celle-ci avant qu’un tribunal se prononce sur la question. Une telle approche, en fait, méconnaît le rôle des tribunaux : en leur qualité de « gardiens de la Constitution »[460], ceux-ci doivent s’assurer de la constitutionnalité de mesures législatives lorsqu’elle est mise en doute. Bien que chaque mesure législative adoptée par l’un ou l’autre palier de gouvernement doive, en principe, s’appuyer sur l’état du droit tel que l’ont déjà arrêté les tribunaux, cela n’empêche pas le législateur d’agir alors que les tribunaux n’ont pas statué de façon définitive sur le sujet. Pareille exigence, en fait, aurait pour effet de paralyser les assemblées législatives provinciales et le Parlement, qui n’auraient, semble-t-il, d’autre choix que de recourir à la procédure de renvoi avant d’adopter une mesure législative dont la constitutionnalité est incertaine.

[443]      Dans ce contexte, il est utile de faire un rapprochement entre le rôle des législatures et du pouvoir exécutif quant à la mise en œuvre des dispositions de la Charte canadienne[461]. À ce titre, la Cour suprême a indiqué dans Mills que « [l]es tribunaux n’ont pas le monopole de la protection et de la promotion des droits et libertés; le législateur joue également un rôle à cet égard et il est souvent en mesure de faire fonction d’allié important pour les groupes vulnérables »[462]. Les gouvernements jouissent d’une latitude semblable à l’égard des droits ancestraux puisque, comme nous le verrons à l’instant, dans le cas des droits ancestraux visés à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, l’honneur de la Couronne leur impose l’obligation de délimiter ceux-ci afin de permettre leur mise en œuvre tangible.

[444]      La Cour suprême a conclu à maintes reprises que l’honneur de la Couronne, un principe constitutionnel[463], impose aux gouvernements le devoir de délimiter les droits ancestraux que reconnaît l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 afin de concrétiser la promesse de reconnaissance de ces droits qui est la raison d’être de cette disposition constitutionnelle. Comme le rappelait récemment le juge Rowe dans Desautel, « [l]’honneur de la Couronne commande que les droits ancestraux soient déterminés et respectés […] »[464]. Il en est ainsi, car refuser de délimiter ces droits peut mener, de fait, à en nier l’existence même ou, à tout le moins, à les rendre inefficaces ou inopérants. L’exigence de longues et coûteuses procédures judiciaires préalables à la reconnaissance d’un droit ancestral peut aussi avoir le même effet.

[445]      Ainsi, dans Nation haïda, la Cour suprême a conclu que les gouvernements avaient le devoir de tenir compte des droits ancestraux, même dans les cas où les droits en cause n’avaient pas déjà été définis ou reconnus par les tribunaux, dans la mesure où ceux-ci étaient potentiellement susceptibles d’être reconnus :

[25] En bref, les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l’arrivée des Européens; ils n’ont jamais été conquis. De nombreuses bandes ont concilié leurs revendications avec la souveraineté de la Couronne en négociant des traités. D’autres, notamment en ColombieBritannique, ne l’ont pas encore fait. Les droits potentiels visés par ces revendications sont protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’honneur de la Couronne commande que ces droits soient déterminés, reconnus et respectés. Pour ce faire, la Couronne doit agir honorablement et négocier. Au cours des négociations, l’honneur de la Couronne peut obliger celle-ci à consulter les Autochtones et, s’il y a lieu, à trouver des accommodements à leurs intérêts.[465]

[Soulignement ajouté]

[446]      Comme l’expliquent la juge en chef McLachlin et le juge Rowe dans l’arrêt Ktunaxa Nation, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 « protège aussi les droits éventuels inhérents aux revendications autochtones qui n’ont pas encore été formellement établies et il peut obliger la Couronne à consulter les Autochtones et à prendre en compte leurs intérêts en attendant qu’il soit statué sur ces revendications par la négociation ou une autre procédure »[466]. Si la Couronne, avant de mettre en place des mesures visant à concilier l’affirmation de sa souveraineté et les droits ancestraux, devait attendre que les tribunaux statuent sur toutes les revendications des peuples autochtones ou que cellesci fassent toutes l’objet d’ententes, elle faillirait à ses obligations. Pour paraphraser le juge Cory dans l’arrêt Nikal[467], c’est à la Couronne, tant fédérale que provinciale, qu’incombe la tâche de déterminer comment les droits ancestraux interagissent avec les droits individuels et collectifs de l’ensemble de la population.

[447]      Interpréter ainsi le principe de l’honneur de la Couronne est compatible avec le pouvoir, reconnu à de nombreuses reprises par la Cour suprême, qu’ont les gouvernements de réglementer les droits ancestraux, pour autant que cette réglementation soit conforme à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, cette disposition n’attente pas au pouvoir législatif qui permet au gouvernement de porter atteinte aux droits qu’elle reconnaît, mais elle le limite en exigeant le respect d’un test justificatif[468]. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les gouvernements peuvent prendre des mesures législatives afin de mettre en œuvre des droits ancestraux.

[448]      Or, si le législateur peut réglementer et encadrer les droits ancestraux, il va de soi qu’il peut cerner la portée de ces droits, y compris en prévoyant un cadre afin qu’ils puissent s’exercer efficacement. Cela ne permet pas pour autant de soutenir que, ce faisant, le législateur modifie la Constitution ou usurpe le rôle des tribunaux puisque, à terme, ce sont ces derniers qui détermineront si l’encadrement législatif respecte la promesse de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, le fait que le législateur n’ait pas le dernier mot quant à la définition et la portée des droits ancestraux ne signifie pas qu’il lui est interdit d’y contribuer, dans la mesure où cette contribution est respectueuse des droits des peuples autochtones. Une telle approche permet d’atteindre l’objectif de réconciliation qui est l’objet de l’art. 35 bien plus aisément qu’une multitude de recours judiciaires. Comme le signalaient les juges Karakatsanis et Brown dans Clyde River (Hameau)[469], « [o]n ne parvient que rarement, voire jamais, à une véritable réconciliation dans une salle d’audience ».

[449]      Bien que la voie privilégiée par la Cour suprême afin d’atteindre cet objectif soit la conclusion d’accords, on voit mal pourquoi un régime législatif qui aménage les modalités d’exercice de ces droits ne pourrait être un autre outil à la disposition des gouvernements afin de favoriser l’accomplissement de la promesse de l’art. 35[470]. Une approche législative, comme le soulignent l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador[471], peut présenter des avantages dans bien des cas, notamment dans le cas d’un droit ancestral de gouvernance dans un champ de compétence qui serait générique à tous les peuples autochtones.

[450]      Cela n’empêche en rien les tribunaux, agissant comme gardiens des droits constitutionnels, de décider de ces droits en dernier ressort ni d’en fixer la portée. Dans l’affaire Desautel, le juge Rowe rappelait à nouveau le rôle des tribunaux à cet égard :

[84] La Cour doit être consciente du rôle qui lui revient dans la défense des droits ancestraux. Comme elle l’a déclaré dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 169, « les tribunaux sont les gardiens de la Constitution et des droits qu’elle confère aux particuliers ». Le rôle de donner une interprétation faisant autorité des lois et de la Constitution appartient aux tribunaux (H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (6e éd. 2014), p. 808809, no X.11 et X.13).

[85] Lorsque les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada ont été reconnus et confirmés par la promulgation de la Loi constitutionnelle de 1982, cela a donné naissance à l’obligation pour les tribunaux de « donner effet à cet engagement national » (R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533 (« Marshall No 2 »), par. 45). Comme les juges majoritaires de la Cour l’ont récemment confirmé dans l’arrêt Uashaunnuat, au par. 24 :

Bien que le par. 35(1) reconnaisse et confirme « [l]es droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada », la définition de ces droits incombe surtout aux tribunaux. L’honneur de la Couronne exige que cette disposition soit interprétée de façon libérale et téléologique en vue d’atteindre l’objectif de la réconciliation. [Je [le juge Rowe] souligne, renvoi omis.]

[86] À mon avis, l’interprétation faisant autorité du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 revient aux tribunaux. Il appartient toutefois aux peuples autochtones de se définir et de choisir par quels moyens prendre leurs décisions, conformément à leurs propres lois, coutumes et pratiques.[472]

[Soulignement ajouté, sauf indication contraire]

[451]      Ce rôle d’arbitre final imparti aux tribunaux découle du régime de suprématie constitutionnelle qu’édicte le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982[473]. Ce sont les tribunaux qui, en dernier ressort, déterminent si une règle de droit est incompatible avec les dispositions de la Constitution canadienne. Cela implique qu’il leur revient ultimement de délimiter l’existence, la portée et les effets des droits ancestraux reconnus et confirmés par la Constitution. Conclure autrement reviendrait à permettre au législateur de lier les tribunaux dans leur fonction d’interprétation et d’application des dispositions de la Constitution. En somme, bien que les législateurs puissent prendre des initiatives en la matière et formuler leurs lois en conséquence, il appartient ultimement aux tribunaux de décider de la constitutionnalité de telles initiatives, puisque celles-ci doivent respecter l’architecture de la Constitution, y compris les droits qui y sont énoncés et le partage des compétences. C’est ainsi que fonctionne le droit constitutionnel canadien.

[452]      Il nous apparaît donc que pour répondre adéquatement à la question du renvoi soumise par le gouvernement du Québec, il faut dans un premier temps déterminer si la prémisse sur laquelle se fonde la Partie II de la Loi est valable, c’est-à-dire si le droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille est effectivement reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[453]      Si un tel droit n’est pas compris à l’art. 35, alors la Partie II de la Loi doit être déclarée inconstitutionnelle dans son ensemble puisque la prémisse sur laquelle elle repose est invalide. Par contre, si ce droit y est effectivement enchâssé, il faut alors décider si le cadre prévu par la Loi pour en délimiter l’exercice est lui-même constitutionnellement valable.


d)    La prémisse de la Loi voulant que le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones soit reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et comprenne la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille est-elle erronée?

[454]      Cette question soulève quatre sous-questions : (1) La proclamation par la Couronne de sa souveraineté sur le territoire canadien et le partage des compétences prévu par la Loi constitutionnelle de 1867 sont-ils compatibles avec la reconnaissance du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones? (2) Si oui, l’expression « droits ancestraux existants » prévue à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 inclutelle le droit pour les peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille? (3) Si oui, s’agit-il d’un droit dit « générique » ou plutôt d’un droit spécifique qui varie d’un peuple autochtone à un autre selon les circonstances qui leur sont propres et qui doit donc être déterminé au cas par cas? (4) Finalement, ce droit peut-il être réglementé par les gouvernements et si oui, comment?

La souveraineté de la Couronne et le partage des compétences

[455]      Comme les propos fortement divergents des juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Delgamuukw le démontrent, un premier obstacle à la reconnaissance du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones repose sur l’idée qu’un tel droit serait foncièrement incompatible avec la souveraineté canadienne. Par ailleurs, le principe de l’exhaustivité des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux constituerait un obstacle supplémentaire à la reconnaissance d’un tel droit.

[456]      Tenant compte de l’histoire des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada, la jurisprudence canadienne nous enseigne pourtant que la simple proclamation par la Couronne de sa souveraineté sur le territoire canadien n’est pas un empêchement à la reconnaissance des droits ancestraux. Compte tenu de cette jurisprudence canadienne, il est difficile de soutenir que le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, s’il s’agit effectivement d’un droit ancestral, n’aurait pas lui aussi survécu à la proclamation de la souveraineté de la Couronne.

[457]      Ainsi, faisant largement écho à la trilogie américaine du juge en chef Marshall, la Cour suprême du Canada n’a pas hésité à conclure dans Mitchell que les peuples autochtones vivaient en « sociétés organisées et distinctives possédant leurs propres structures sociales et politiques »[474], et que « les intérêts et les lois coutumières autochtones étaient présumés survivre à l’affirmation de souveraineté, et ont été incorporés dans la common law en tant que droits, sauf si : (1) ils étaient incompatibles avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne; (2) ils avaient été cédés volontairement par traité; ou (3) le gouvernement les avait éteints »[475].

[458]      Dans la mesure où l’on peut établir que le droit à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral, les éléments de ce droit qui ne sont pas incompatibles avec l’affirmation de la souveraineté par la Couronne, qui n’ont pas été cédés ou éteints par traité ou qui n’ont pas été éteints par le gouvernement, peuvent être reconnus par la common law et, depuis 1982, sont également reconnus et confirmés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[459]      Ce n’est donc pas vraiment la question de la survie du droit des peuples autochtones de se gouverner eux-mêmes à la suite de la proclamation de la souveraineté par la Couronne qui pose problème, mais plutôt celle de savoir si ce droit aurait été subséquemment éteint. Par ailleurs, ce droit serait-il fondamentalement incompatible avec la Loi constitutionnelle de 1867 prévoyant le partage des compétences et avec l’architecture constitutionnelle sous-jacente à ce partage?

[460]      Bien qu’avant l’entrée en vigueur de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la Couronne ait eu le pouvoir d’éteindre un droit ancestral sans le consentement des Autochtones, elle ne pouvait procéder ainsi qu’au moyen d’un texte clair et non équivoque (« clear and plain »)[476]. De plus, comme l’a conclu la Cour suprême du Canada dans Delgamuukw, après la Confédération, un droit ancestral ne pouvait être éteint sans l’accord des Autochtones que par une législation claire et non équivoque du Parlement canadien, et non par une loi provinciale[477]. Dans l’affaire Watt, le juge Strayer résume l’état du droit ainsi :

[13] Mais le juge des requêtes s'est prononcée en cette affaire en 1994 et, depuis lors, la jurisprudence, et en particulier celle de la Cour suprême du Canada, a évolué sensiblement et restreint la notion d'extinction de droits ancestraux. J'estime que, dorénavant, cette jurisprudence exige que:

1. Le législateur ou le gouvernement ait manifesté une «intention claire et expresse» d'éteindre le droit en question. Il faut, pour cela, que l'on ait pu identifier le droit invoqué et décider s'il y avait lieu de l'éteindre. L'adoption d'un dispositif réglementaire susceptible d'affecter l'exercice des droits ancestraux n'est pas constitutive de leur extinction. C'est ainsi qu'il a été affirmé dans l'arrêt R. c. Gladstone:

[. . .] le fait de ne pas reconnaître à un droit la qualité de droit ancestral et de ne pas lui accorder une protection spéciale ne constituent pas l'intention claire et expresse requise pour éteindre le droit en question.

2. C'est bien sûr à celui qui invoque un tel droit qu'il appartient d'en établir l'existence même s'il n'est pas nécessairement tenu en cela au respect des mêmes normes de preuve que d'autres catégories de réclamants. Le simple fait que la puissance souveraine concernée n'ait pas reconnu l'existence d'un tel droit ne permet pas, à lui seul, de nier l'existence de celui-ci.

3. Si l'existence d'un droit ancestral particulier est établie conformément à ces règles, l'existence de dispositions législatives forcément incompatibles avec ce droit ne permet pas en elle-même d'établir qu'il y aurait eu extinction, pas plus que ne le permettait la simple réglementation du droit en question.[478]

[Renvois omis]

[461]      Or, aucune des parties ne nous a renvoyé à un acte pré-confédératif ou à une loi qui aurait été adoptée par le Parlement après 1867 et qui aurait eu pour objet et pour effet d’éteindre de façon claire et non équivoque le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, notamment le droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille les concernant. Nous y reviendrons.

[462]      Qu’en est-il du partage des compétences?

[463]      Lors de son entrée en vigueur, la Loi constitutionnelle de 1867 alors désignée la British North America Act  BNA Act ») – n’a pas conféré au Parlement et aux législatures provinciales une compétence exclusive sur l’ensemble du droit applicable au Canada[479]. Ainsi, non seulement la Couronne impériale se voyait-elle conférer explicitement le droit de réserver et de désavouer les lois du Parlement[480], mais les lois impériales continuaient aussi de s’appliquer au Canada, quoiqu’à certaines conditions[481]. La prérogative royale impériale continuait aussi d’être génératrice de droit dans certains domaines, dont les relations internationales, y compris à l’égard de traités internationaux[482]. De plus, la common law britannique, y compris la common law relative au droit autochtone, continuait de s’appliquer au Canada après l’entrée en vigueur de la BNA Act[483].

[464]      Bien que le détachement juridique du Canada de la Grande-Bretagne se soit subséquemment acquis peu à peu, ce n’est, dans un premier temps, qu’avec le Statut de Westminster[484] de 1931 et, finalement, avec la Loi constitutionnelle de 1982, que celui-ci fut achevé. Il est donc inexact et anachronique de soutenir que le partage des compétences prévu par la BNA Act aurait écarté toute autre source de droit et exclurait donc de ce fait même la reconnaissance de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones comme droit ancestral. L’histoire constitutionnelle du Canada est beaucoup plus nuancée que cela.

[465]      Ainsi, dans la mesure où les droits ancestraux des peuples autochtones ont été incorporés à la common law canadienne lors de la proclamation de la souveraineté par la Couronne – comme l’a affirmé sans ambiguïté la Cour suprême du Canada – il n’y a rien dans la BNA Act qui permettrait de conclure que l’intention du Parlement impérial était d’écarter ces droits au sein de la colonie britannique du Canada. C’est plutôt l’intention contraire qui s’en dégage, vu que la common law britannique, y compris la common law applicable aux droits autochtones, n’a pas été écartée par les dispositions de cette loi impériale.

[466]      Ainsi, si l’on reconnaît que le droit à l’autonomie gouvernementale constitue un droit ancestral, on perçoit mal comment le partage des compétences entre le Parlement et les législatures provinciales aurait rendu ce droit complètement inopérant. Au contraire, l’histoire des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones, tant avant qu’après l’acte confédératif de 1867, établit que ces derniers ont toujours été reconnus comme ­peuples et non comme simples sujets[485] – et qu’ils demeurent régis par leurs propres lois et leurs coutumes dans les domaines de compétence qui ne sont pas en conflit avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, qui n’ont pas été cédés volontairement par traité, ou que le gouvernement n’a pas éteints. C’est du moins ce qu’en a conclu la Cour suprême du Canada, s’appuyant à cet égard sur la trilogie américaine du juge en chef Marshall[486].

[467]      Il en résulte que le partage des compétences n’a pas éteint le droit des peuples autochtones à se gouverner eux-mêmes, à tout le moins dans le domaine de la réglementation des services à l’enfance et à la famille, si ce droit peut être reconnu comme droit ancestral.

Le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et la réglementation des services à l’enfance et à la famille

[468]      Il y a maintenant lieu d’aborder la seconde sous-question, soit celle de savoir si le droit à l’autonomie gouvernementale dans le champ de compétence des services à l’enfance et à la famille constitue un droit ancestral existant au sens de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[469]      Une précision et une mise en garde s’imposent. Aux fins du présent renvoi, il n’est ni nécessaire ni utile de traiter de tous les champs de compétence qui pourraient donner lieu à une réglementation autochtone sous le droit des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale. Bien que ce droit puisse comprendre un champ de compétence en particulier, cela ne signifie pas nécessairement qu’il s’étend à un autre champ. En effet, il est possible que ce droit soit incompatible avec la souveraineté de la Couronne dans un champ de compétence donné – les affaires militaires par exemple, comme l’a conclu le juge Binnie dans l’affaire Mitchell[487] – tout en étant compatible dans un autre, tels les droits de chasse et de pêche autochtones[488] ou les langues autochtones[489]. Il est aussi possible que l’exercice de ce droit dans un champ de compétence particulier ait été éteint par une législation fédérale valide adoptée avant 1982[490].

[470]      Il se peut donc que les champs de compétence visés par ce droit soient très vastes. Ils pourraient par contre être très restreints. Il ne nous appartient pas d’en décider dans le cadre du présent renvoi. C’est la seule compétence en matière de services à l’enfance et à la famille qui est en cause. Au-delà de ce champ de compétence précis, il n’y a pas lieu pour la Cour de délimiter les autres champs de compétence dans lesquels le droit à l’autonomie gouvernementale pourrait s’exercer par les peuples autochtones du Canada ni la portée de ceux-ci ou la manière dont ce droit peut s’exercer.

[471]      L’analyse qui suit permet de conclure que les objets de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, de même que les critères établis par la Cour suprême du Canada pour reconnaître un droit ancestral existant, sont tout à fait compatibles avec la reconnaissance du droit des peuples autochtones du Canada de réglementer par euxmêmes les services à l’enfance et à la famille les concernant.

[472]      L’objet principal de l’art. 35 en est un de réconciliation entre les peuples autochtones et la société canadienne dans son ensemble. Dans un paragraphe souvent cité de Van der Peet, le juge en chef Lamer le précise :

[31] Plus précisément, le par. 35(1) établit le cadre constitutionnel qui permet de reconnaître que les autochtones vivaient sur le territoire en sociétés distinctives, possédant leurs propres cultures, pratiques et traditions, et de concilier ce fait avec la souveraineté de Sa Majesté. Les droits substantiels visés par cette disposition doivent être définis à la lumière de cet objet. Les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) doivent tendre à concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté.[491]

[473]      La Cour suprême a d’ailleurs qualifié l’art. 35 « d’engagement qui doit avoir un sens utile, reconnaissant non seulement l’occupation passée des terres par les autochtones, mais aussi leur contribution à l’édification du Canada »[492]. Elle a aussi précisé que l’objectif est « une relation à long terme empreinte de respect mutuel »[493].

[474]      Cette réconciliation requiert notamment « d’assurer la survie de ces sociétés autochtones particulières » et « d’assurer la sécurité et la continuité culturelles de la société autochtone concernée »[494]. Les critères de reconnaissance d’un droit ancestral établis par la Cour suprême sont d’ailleurs fortement teintés de considérations culturelles liées à l’identité autochtone.

[475]      Comme le notait le juge en chef Lamer dans Van der Peet, « [l]es droits ancestraux tirent leur origine du fait que les peuples autochtones sont des autochtones »[495] ou encore, comme le signalait le juge Binnie dans Première nation de Little Salmon/Carmacks, l’art. 35 constitue un engagement des Canadiens « à protéger et à préserver un espace constitutionnel permettant aux Autochtones d’être des Autochtones »[496]. Nous ajoutons que ces droits tirent aussi leur origine du fait que les peuples autochtones sont des peuples et que l’engagement énoncé à l’art. 35 vise aussi à protéger ceux-ci afin qu’ils puissent s’exprimer et s’épanouir comme peuples.

[476]      Pour conserver leurs caractères distinctifs comme peuples et assurer tant leur sécurité que leur continuité culturelles, les peuples autochtones sont les mieux placés pour décider des mesures requises afin de protéger leurs enfants, d’assurer leur bienêtre et de leur transmettre leurs valeurs culturelles distinctives. La capacité de protéger les enfants autochtones et d’assurer un lien entre ces derniers et la culture distinctive de leur communauté autochtone constitue ainsi un aspect essentiel de la survie des peuples autochtones comme peuples distincts.

[477]      Ce sont la culture, les valeurs et l’identité autochtones qui forment les fondements des caractéristiques distinctives des peuples autochtones. Cette culture, ces valeurs et cette identité peuvent difficilement être communiquées d’une génération à l’autre si le principal lien de transmission de celles-ci, soit le milieu familial, est sevré. Bien que le soin des enfants au sein des familles soit une caractéristique propre à la quasi-totalité des groupes humains, la preuve démontre que dans le cas des peuples autochtones, ceux-ci ont fait l’objet d’une tentative organisée et soutenue d’expropriation culturelle au moyen du sevrage des enfants de leurs familles. À une époque pas si lointaine, les gouvernements ont littéralement arraché les enfants autochtones de leurs familles afin de les couper de leur culture dans une tentative mal avisée d’assimilation, avec tous les traumatismes individuels et collectifs qui en ont résulté. À l’époque contemporaine, les fournisseurs gouvernementaux de services aux enfants et familles autochtones, aussi bien intentionnés soient-ils et de façon souvent inconsciente, ont effectivement perpétué une idéologie d’effacement et de dévalorisation de la culture, des valeurs et de l’identité autochtones. C’est dans ce contexte factuel et historique que la question du droit à l’autonomie gouvernementale se pose dans ce renvoi.

[478]      La preuve soumise par le procureur général du Canada et les intervenantes établit d’ailleurs l’importance qu’ont la protection, les soins des enfants et les pratiques familiales pour les cultures des peuples autochtones.

[479]      Ainsi, l’experte Val Napoleon décrit plusieurs régimes juridiques autochtones portant sur la famille et les enfants et conclut que, bien que ceux-ci aient été fortement touchés et affaiblis par les politiques colonialistes et assimilatrices passées du Canada, ils survivent à ce jour et font l’objet d’une volonté ferme de revitalisation au sein des communautés autochtones :

Through the detailed examples from three Indigenous peoples in Canada, I find that the nurturing of families, their interaction with each other, and the care of children are central to the continued existence and thriving of Indigenous societies. It is within the iterative workings of the whole legal order that these central purposes are realised.

Each child is nested within such legal entities as her family, her lineage and such wider embracing groups as extended biological relations, nominal relations, father’s lineages, spouse’s lineages, and place-based communities. Specific laws govern all such relations such that each child has a network of obligations that together act to provide a secure place within each community and society.

The existence of Indigenous laws governing children and families should not come as a surprise. When one regards the centrality of families and children in Indigenous social, political, economic, and legal lives (and arguably in other societies), it is helpful to analogize from an observation made by Hadley Friedland, who wrote, ‘Because some people can become harmful or destructive to others, and because we are vulnerable beings, Hart is right to ask, ‘If there were not these rules [prohibiting violence, bodily harms and killing] then what point would there be for beings such as ourselves in having rules of any other kind?’’’’ By analogy, if there were not laws to govern families and care of children, both central to the health and continuation of one’s society, what point would there be in having rules of any other kind?

(…)

Across Canada, Indigenous peoples are developing and implementing, or have established various legal and political arrangements with the state for the care and protection of their children. Employing different approaches and methodologies, many of these initiatives draw on historic Indigenous legal orders, laws, institutions, and practices.

As the Gitxsan, Cree, and Secwepemc examples provided here amply demonstrate, the families and the care of children are central to Indigenous societies. Expressed through their own societal structures and constructs, the Gitxsan, Cree, and Secwepemc peoples all have developed laws, rights and obligations, legal processes and responses, and institutions that essentially form their governance to ensure their survival as peoples. However, the hard work of rebuilding Indigenous legal orders must start from the reality of where Indigenous peoples are now without idealization.[497]

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original; renvois omis]

[480]      L’experte Christiane Guay précise dans son rapport l’importance des valeurs autochtones liées à la famille et aux enfants et comment celles-ci sont intimement ancrées dans les pratiques traditionnelles autochtones :

C’est principalement à partir de ce lien au territoire et des systèmes de pensée qui en découlent qu’il est possible de comprendre les pratiques familiales et la plupart des choix que font les familles autochtones à propos de l’éducation des enfants. Certes, le mode de vie des familles autochtones s’est profondément transformé au cours des dernières décennies. Toutefois, ce serait une erreur de croire que les familles autochtones évoluent nécessairement dans le même sens que les sociétés occidentales et qu’ils adoptent, par exemple, les mêmes modes éducatifs ou de gestion des conflits que ceux que l’on retrouve dans la société dominante.

Les résultats de nos recherches avec les Innus et ceux d’autres chercheurs comme Martin (2009), Bousquet (2005) et Poirier (2009) démontrent au contraire que les Autochtones au Québec comme partout au Canada reprennent leur développement en main en se fondant principalement sur leurs systèmes de pensée, sans pour autant tourner le dos à ce que peut leur procurer le monde moderne (Guay, 2017). Ainsi, bien que les familles autochtones se transforment et qu’elles se laissent influencer par des éléments qui relèvent de la modernité, des croyances, des traditions, des valeurs persistent et continuent d’animer la vie de la plupart des familles autochtones (Brant Castellano, 2002). Ce sont ces valeurs qui, de manière concrète, orientent et guident les choix que font les parents autochtones eu égard à la manière d’éduquer, de prendre soin et même de protéger leurs enfants (Guay, 2015; Guay, Ellington et Vollant, en préparation).[498]

[Caractères gras dans l’original; soulignements ajoutés]

[481]      D’ailleurs, dans son rapport, la Commission royale sur les peuples autochtones fait elle aussi le constat que les familles autochtones sont l’institution de base des peuples autochtones, dont la préservation et la revitalisation sont intimement liées à l’épanouissement et la survie des cultures autochtones distinctives :

Les témoignages détaillés sur la famille autochtone mettaient en général l’accent sur les cas de détresse et de désintégration, sauf lorsqu’ils portaient sur la revitalisation de la culture et le renouveau de la collectivité. Dans ce cas, la famille était toujours présentée comme l’un des ingrédients nécessaires pour transformer la réalité : l’individu, la famille et la collectivité sont les trois fils qui, une fois réunis, renforceront les cultures et rendront aux peuples autochtones leur dignité d’antan. Nous avons vu que parfois les individus peuvent guérir et ainsi renforcer l’unité familiale; parfois aussi, ce sont les familles qui contribuent à former des individus en meilleure santé, mais c’est toujours la famille qui occupe la position centrale entre l’individu et la collectivité. La réforme foncière, l’autonomie gouvernementale et des institutions sociales qui se montrent équitables sont des éléments importants. Mais c’est l’espoir de rétablir la vitalité des individus, des familles et des collectivités ensemble qui inspire la vaste majorité des témoins autochtones que nous avons entendus et qui mobilise leur énergie […].[499]

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original]

[482]      L’experte Guay décrit aussi comment les valeurs autochtones se trouvent largement ignorées, sinon écartées, par les régimes de services à l’enfance et à la famille mis sur pied par les gouvernements, s’appuyant à cet égard sur le rapport de la Commission de vérité et réconciliation et sur le rapport de la Commission Viens :

Les lois sur la protection de l’enfance ne sont pas neutres. En effet, elles sont fondées sur des conceptions occidentales de la famille qui laissent peu de place aux conceptions culturelles différentes (Guay et Ellington, 2019a).

[…]

L’ensemble de ces aspects fait en sorte que dans bien des cas, les décisions qui sont prises 1) perpétuent l’idéologie d’assimilation et d’effacement des peuples autochtones (FAQ, 2015); 2) continuent d’engendrer une perte identitaire et linguistique (CVR, 2015, CERP, 2019); et 3) contribuent à exacerber les problèmes sociaux au sein des communautés autochtones (Guay, 2015).

Bref, même avec les meilleures intentions, les intervenants, qu’ils soient allochtones ou non, doivent appliquer une loi dont les principes fondateurs sont à l’opposé des principes et des valeurs qui animent les modes d’éducation des enfants, de résolutions des conflits et de guérison des peuples autochtones. Toute tentative d’adapter les lois de protection de l’enfance afin de les rendre culturellement sensibles et d’ajuster les pratiques afin de les rendre compatibles avec les cultures autochtones ne réglera pas le problème fondamental. Les lois et les systèmes actuels de protection de l’enfance sont trop imprégnés de la culture non autochtone pour que des ajustements à la marge puissent être suffisants (CERP, 2019; Guay et Ellington, 2019a).

C’est ce qui a fait dire à la Commission de vérité et de réconciliation que l’application des systèmes de protection de l’enfance aux peuples autochtones ne fait que perpétuer l’assimilation amorcée par les pensionnats (CVR, 2015). De la même manière, dans son rapport, le juge Viens écrivait : « Pour ma part, il ne fait aucun doute que les limites du système de protection de la jeunesse en contexte autochtone sont atteintes. […] Je crois en effet, qu’en persistant à vouloir imposer ou développer des politiques en ignorant la volonté des Autochtones eux-mêmes, l’état contribue à maintenir les communautés dans un état de fragilité et ne fait que repousser un mouvement de transformation interne déjà bien amorcé. » (CERP, 2019, p. 487, 491).[500]

[483]      L’experte Guay conclut que la réglementation de ce champ de compétence par les peuples autochtones eux-mêmes s’impose pour assurer le processus de réconciliation :

Bref, l’autodétermination en matière de protection de l’enfance permet aux peuples autochtones de fédérer des projets de société où les services sociaux ne sont plus considérés comme une institution exogène, mais plutôt comme le produit de la culture elle-même (Guay, 2017). Cela suppose de reconnaître la capacité des peuples autochtones à définir des lois et des régimes qui ne soient pas une copie conforme des modèles provinciaux. Il s’agit également de permettre aux différents groupes autochtones de définir des lois et des régimes qui reflètent leur système de connaissances respectif. Étant donné les différences importantes sur le plan culturel entre les différents groupes autochtones, une loi et un régime uniformes ne sauraient être envisagés.

Au cours des dernières décennies, plusieurs rapports, commissions d’enquête et consultations régionales ont fait état des enjeux vécus par les communautés autochtones en ce qui concerne les systèmes de protection de l’enfance et ont tous réitéré la nécessité de reconnaître la compétence des nations autochtones en matière de protection de l’enfance et de leur confier la gestion complète de ces services (CSSSPNQL, 1998; CRPA, 1996; CVR, 2015, CERP, 2019). Dans la toute dernière enquête sur le sujet, le Commissaire Viens soulignait dans son rapport :

La preuve soumise à la Commission appelle donc à un changement en profondeur. Il faut reconnaître le droit des peuples autochtones du Québec de mettre sur pied leur propre système de protection de la jeunesse. Il faut accepter que ce système ne soit pas calqué sur le système québécois actuel. Les acteurs actuels du système québécois, notamment les DPJ ainsi que ceux des CISSS/CIUSSS et du MSSS, doivent renoncer à leur pouvoir de juger les capacités des peuples autochtones et le caractère adéquat des systèmes autochtones de protection de la jeunesse – de la même manière dont les dirigeants du système ontarien de protection de la jeunesse n’ont pas à juger le système québécois.

Bref, face aux effets délétères qui persistent au sein des communautés autochtones, l’option de légiférer, de développer et d’administrer leurs propres services de protection de l’enfance apparaît comme étant la plus prometteuse pour assurer l’intérêt et le bien-être des enfants autochtones et leur famille. Elle constitue pour la majorité des groupes autochtones la base du processus de réconciliation.[501]

[484]      Par ailleurs, tel que précédemment décrit, le droit coutumier autochtone est reconnu par les tribunaux canadiens dans les domaines touchant la conjugalité, la famille et les enfants autochtones, notamment dans l’affaire Connolly v. Woolrich[502], confirmée par cette Cour dans Johnstone c. Connolly[503], et dans l’arrêt Casimel de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[504]. Ce droit coutumier est aussi reconnu dans la législation[505], notamment dans le Code civil du Québec en matière d’adoption[506] et dans la Loi sur la protection de la jeunesse[507]. On ne peut donc nier l’existence de ces systèmes normatifs. Le fait qu’ils aient été reconnus par les tribunaux et le législateur montre qu’ils n’ont pas été éteints et sont toujours vigoureux.

[485]      Tout cela pris ensemble permet de conclure que la réglementation des services à l’enfance et à la famille se rapproche sensiblement du critère fondé sur « un élément d'une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive » des peuples autochtones du Canada au sens de Van der Peet et de Pamajewon[508]. En effet, la réglementation de ces services est intimement liée à l’épanouissement et à la survie culturelle des peuples autochtones comme peuples distincts.

S’agit-il d’un droit générique ou d’un droit particulier?

[486]      Comme pour le titre ancestral, il y a lieu d’adapter le critère et les facteurs énoncés dans Van der Peet afin de tenir compte des particularités du droit à l’autonomie gouvernementale permettant de réglementer les services à l’enfance et à la famille. Par sa nature même, ce droit concerne les peuples autochtones comme peuples. Il s’agit ici, comme nous venons de le voir, d’un droit intimement lié à la survie culturelle des peuples autochtones, mais qui n’est pas nécessairement fondé sur une pratique d’activités culturelles distinctives au sens strict. Comme pour le titre ancestral, les facteurs à considérer pour reconnaître le droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille doivent donc être adaptés afin de tenir compte des caractéristiques particulières de ce droit.

[487]      Tout comme le titre ancestral, l’une de ces adaptations nécessaires est la reconnaissance du caractère générique du droit à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et à la famille, c’est-à-dire du droit générique de réglementer ces services. Il en est ainsi vu que cette compétence est essentielle à la sécurité et à la survie culturelles de chacun des peuples autochtones. L’histoire tragique des politiques coloniales qui ont mené aux écoles résidentielles et aux autres mesures assimilatrices visant les enfants autochtones en fait une démonstration éloquente, tout comme la proportion démesurée d’enfants autochtones vivant actuellement sous un régime de protection par rapport à d’autres communautés culturelles canadiennes.

[488]      Comme le droit de conclure des traités, de jouir des traditions autochtones ou d’être lié à la Couronne dans le cadre d’une relation fiduciaire, le droit de réglementer les services à l’enfance et la famille s’étend à tous les peuples autochtones, vu son objet. Le professeur Slattery s’exprime de la façon suivante à propos des droits génériques :

Generic rights are not only uniform in character, they are also universal in distribution. They make up a set of fundamental rights presumptively held by all Aboriginal groups in Canada. There is no need to prove in each case that a group has the right to conclude treaties with the Crown, to enjoy a customary legal system, to benefit from the honour of the Crown, to occupy its ancestral territory, to maintain the central attributes of its culture, or to govern itself under the Crown’s protection. It is presumed that every Aboriginal group in Canada has these fundamental rights, in the absence of valid legislation or treaty stipulations to the contrary. This situation is hardly surprising, given the uniform application of the doctrine of Aboriginal rights throughout the various territories that make up Canada, regardless of their precise historical origins or previous positions as French or English colonies.

The generic rights held by Aboriginal peoples resemble the set of constitutional rights vested in the provinces under the general provisions of the Constitution Act, 1867. Just as every province presumptively enjoys the same array of government powers, regardless of its size, population, wealth, resources, or historical circumstances, so also every Aboriginal group, large or small, presumptively enjoys the same range of generic Aboriginal rights. (…)[509]

[Italiques dans l’original; renvoi omis]

[489]      Comme nous l’avons vu, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 établit des garanties juridiques qui sont intrinsèquement liées à la continuité culturelle des peuples autochtones. Or, puisque la réglementation des services à l’enfance et à la famille est intimement liée – sinon essentielle – à la continuité et à la survie culturelles des peuples autochtones comme peuples distincts, que ce soit dans leur ensemble ou individuellement, il s’ensuit que le droit de les réglementer appartient à tous ces peuples, comme à chacun d’eux. Cet aspect est au cœur de la sécurité et de la survie culturelles de chaque peuple autochtone.

[490]      Par ailleurs, bien que les services aux enfants et aux familles autochtones aient été fortement réglementés dans le passé par les gouvernements, cela ne signifie pas que cette réglementation non autochtone ait éteint le droit des peuples autochtones de les réglementer eux-mêmes ni que ce droit ne puisse être réaffirmé dans une forme contemporaine. À cet égard, les propos du juge en chef Dickson et du juge La Forest dans l’arrêt Sparrow sont particulièrement pertinents :

De plus, un droit ancestral existant ne saurait être interprété de façon à englober la manière précise dont il était réglementé avant 1982. L'idée que le droit a été figé de cette façon aurait pour effet d'introduire dans la Constitution un ensemble de règlements disparates. […]

Comme le souligne le juge Blair, la doctrine tend à étayer la conclusion que le mot «existants» signifie «non éteints» plutôt que «pouvant être exercés à une certaine époque passée». 

[…]

Loin d'être définie selon le régime de réglementation en vigueur en 1982, l'expression «droits ancestraux existants» doit recevoir une interprétation souple de manière à permettre à ces droits d'évoluer avec le temps. Pour reprendre l'expression du professeur Slattery, dans «Understanding Aboriginal Rights,» précité, à la p. 782, le mot «existants» laisse supposer que ces droits sont [TRADUCTION] «confirmés dans leur état actuel plutôt que dans leurs simplicité et vigueur primitives». Il est alors évident qu'il faut rejeter une interprétation de la garantie constitutionnelle énoncée au par. 35(1) qui engloberait des «droits figés».[510]

[491]      La Cour suprême a réitéré qu’une réglementation d’un droit ancestral, même étroite et prohibitive, ne suffit pas pour l’éteindre[511]. La conduite du Parlement doit révéler une intention claire et non équivoque d’éteindre le droit[512]. Il s’agit d’une norme « très élevée »[513]. Or, le Parlement n’a jamais adopté de lois en matière de services à l’enfance et à la famille en contexte autochtone. Les politiques assimilatrices poursuivies par le gouvernement fédéral aux 19e et 20e siècles, y compris le système des écoles résidentielles, ont certainement constitué des entraves importantes à l’exercice du droit ancestral à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et à la famille. Quoi qu’il en soit, ces politiques n’ont jamais été formellement entérinées par le Parlement. Ainsi aucune loi ne prévoit-elle, de façon claire et non équivoque, l’intention du Parlement d’éteindre ce droit. De plus, comme nous l’avons déjà constaté, on ne peut prétendre que le droit des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance a été éteint en raison du refus des gouvernements de reconnaître ce droit[514]. Comme le notait d’ailleurs le juge en chef Lamer dans Gladstone, « le fait de ne pas reconnaître à un droit la qualité de droit ancestral et de ne pas lui accorder une protection spéciale ne constituent pas l’intention claire et expresse requise pour éteindre le droit en question »[515].

[492]      En tout état de cause, comme semble le laisser entendre le juge Rowe dans l’arrêt Desautel, il serait contraire à l’objet de l’art. 35 de conclure qu’un droit ancestral puisse être éteint s’il n’a pu être exercé en raison des politiques assimilatrices qui l’entravaient. Cela équivaudrait à perpétuer « l’injustice historique dont les peuples autochtones ont été victimes aux mains des colonisateurs, qui n’ont pas respecté la culture distinctive des sociétés autochtones préexistantes »[516].

[493]      Finalement, contrairement à la réglementation des activités militaires traitée par le juge Binnie dans l’affaire Mitchell, on ne peut sérieusement prétendre que la réglementation par les Autochtones eux-mêmes des services à l’enfance et à la famille les concernant poserait une menace existentielle à la souveraineté du Canada ou à l’ordre juridique canadien ou qu’elle serait incompatible avec l’un ou l’autre.

[494]      Il en découle que la réglementation des services à l’enfance et à la famille constitue un droit ancestral existant aux fins de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qu’il s’agit d’un droit générique qui s’étend à tous les peuples autochtones.

La réglementation de ce droit

[495]      Comme tout autre droit ancestral, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 empêche le Parlement et les législatures provinciales de nuire à la mise en œuvre de la réglementation autochtone en matière de services à l’enfance et à la famille, à moins que cela se justifie par des motifs réels et impérieux. Le juge en chef Dickson s’exprime ainsi à ce sujet dans Sparrow : « [l]a nature de règlements gouvernementaux ne saurait être déterminante quant au contenu et à la portée d'un droit ancestral existant. La politique gouvernementale peut toutefois réglementer l'exercice de ce droit, mais cette réglementation doit être conforme au par. 35(1) »[517]. Il en découle que « [l]e gouvernement se voit imposer l’obligation de justifier toute mesure législative qui a un effet préjudiciable sur un droit ancestral protégé par le par. 35(1) »[518]. Cette justification obéit à des règles développées par la Cour suprême du Canada et régissant la réconciliation des droits et intérêts des Autochtones avec ceux de la société dans son ensemble. Ces règles sont au cœur même de l’objet de l’art. 35. Elles s’expriment de la manière suivante dans le cadre du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille.

[496]      Il faut, dans un premier temps, déterminer s’il y a un conflit réel entre la réglementation autochtone et celles des gouvernements[519]. Ainsi, il est fort possible, dans bien des cas, que la réglementation autochtone et la réglementation fédérale ou provinciale soient complémentaires et se conjuguent. Ainsi, la réglementation autochtone peut adapter ou moduler l’application de la législation fédérale ou provinciale au contexte autochtone plutôt que de la contredire. Elle peut encore préciser l’exercice d’une discrétion administrative ou judiciaire prévue par la législation fédérale ou provinciale[520]. Dans de tels cas, il pourrait ne pas y avoir contradiction, mais plutôt complémentarité entre la réglementation autochtone et celle du gouvernement fédéral ou celle de la province.

[497]      Dans les cas d’un conflit réel entre la réglementation autochtone et celle du fédéral ou de la province, on doit alors conclure qu’il y a une atteinte au droit ancestral. Étant donné que le droit ancestral est reconnu et confirmé par l’art. 35, la réglementation autochtone doit prévaloir. Conclure autrement viderait de sens l’art. 35. Ainsi, en principe, la réglementation autochtone prévaut sur la législation fédérale ou provinciale incompatible, à moins que le gouvernement concerné ne puisse établir qu’il soit justifié d’y porter atteinte.

[498]      Dans un tel cas, le gouvernement doit démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation procédurale de consultation, qu’une telle atteinte est justifiée par un objectif public réel et impérieux et qu’elle est compatible avec l’obligation fiduciaire de la Couronne envers le peuple autochtone[521].

[499]      L’obligation de consultation est une obligation procédurale qui découle du concept de l’honneur de la Couronne[522]. Lorsque la Couronne, qu’elle soit fédérale ou provinciale, a connaissance d’une réglementation autochtone portant sur les services à l’enfance et aux familles autochtones, ou de l’intention d’un corps dirigeant autochtone d’adopter une telle réglementation – comme le prévoient les mécanismes d’avis et de discussion établis aux par. 20(1) et (2) de la Loi – il lui incombe alors une obligation de consultation et d’accommodement afin de trouver le modus vivendi approprié pour que la réglementation autochtone puisse s’appliquer en harmonie avec sa propre législation.

[500]      Dans le cas où l’incompatibilité entre la réglementation autochtone et celle du gouvernement fédéral ou de la province concernée ne peut être résolue par un accommodement à la suite d’une consultation menée de bonne foi, la réglementation autochtone doit alors prévaloir, à moins que le gouvernement concerné, agissant dans sa sphère de compétence, ne puisse démontrer que sa propre législation, quoiqu’incompatible avec celle des corps dirigeants autochtones, poursuit par ailleurs un objectif public impérieux et réel et est respectueuse de l’honneur de la Couronne, de sorte qu’elle doit écarter, en tout ou en partie, la réglementation autochtone.

[501]      Il s’agit d’un test sévère, voici pourquoi.

[502]      Le gouvernement concerné doit démontrer qu’il poursuit un objectif public impérieux et réel qui respecte l’objectif de réconciliation qui est sous-jacent à l’art. 35 et qui tient compte à la fois des intérêts autochtones et du public en général[523]. Il doit ensuite établir que l’atteinte à la réglementation autochtone est compatible avec l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones.

[503]      Ainsi, le gouvernement concerné doit agir d’une manière qui respecte le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones au regard des services à l’enfance et à la famille et doit tenir compte du fait que ce droit vise à préserver et maintenir les cultures distinctives des peuples autochtones et leur survie comme collectivités distinctives.

[504]      D’autre part, l’obligation fiduciaire impose au gouvernement d’agir d’une façon proportionnée afin d’atteindre l’objectif public impérieux et réel invoqué. Le gouvernement ne peut donc écarter la réglementation autochtone que dans la mesure strictement nécessaire à cette fin. Les principes de l’atteinte minimale et de la proportionnalité de l’atteinte doivent être respectés.

[505]      Ce sont donc les limites qui découlent de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui s’imposent aux gouvernements, tant fédéral que provinciaux, lorsqu’il y a lieu de réconcilier la réglementation autochtone adoptée en vertu du droit à l’autonomie gouvernementale avec celles du Parlement et des législatures provinciales. C’est donc ce test qu’il faut appliquer lorsqu’on s’interroge sur l’application d’une loi ou d’une réglementation fédérale ou provinciale qui serait incompatible avec une réglementation autochtone des services à l’enfance et aux familles, l’objectif poursuivi étant celui de protéger le droit ancestral à l’autonomie gouvernementale dans ce domaine de compétence, tout en permettant la conciliation des intérêts autochtones que vise à protéger ce droit avec les intérêts de la société dans son ensemble.

La Déclaration des Nations Unies

[506]      Dans son préambule et à l’al. 8c), la Loi réfère expressément à la Déclaration des Nations Unies. Cette déclaration reconnaît le droit des peuples autochtones d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales :

Article 3

Les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

Article 4

Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes.

Article 5

Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l’État.

[507]      Bien que cette Déclaration des Nations Unies n’impose pas des obligations qui lient le Canada sur le plan du droit international[524], elle constitue néanmoins un instrument international universel en matière de droits de la personne dont les valeurs, principes et droits sont une source d’interprétation du droit canadien. Le préambule et l’al. 4a) de la Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones[525] l’énoncent clairement en ce qui concerne l’ordre fédéral :

Préambule

Attendu :

[…]

qu’il y a lieu de confirmer que la Déclaration est une source d’interprétation du droit canadien;

[…]

Preamble

 

(…)

Whereas the Declaration is affirmed as a source for the interpretation of Canadian law;

(…)

4 La présente loi a pour objet :

a)      de confirmer que la Déclaration constitue un instrument international universel en matière de droits de la personne qui trouve application en droit canadien;

b)     d’encadrer la mise en œuvre de la Déclaration par le gouvernement du Canada.

4 The purposes of this Act are to

(a)   affirm the Declaration as a universal international human rights instrument with application in Canadian law; and

(b)   provide a framework for the Government of Canada’s implementation of the Declaration.

[508]      La présomption de conformité aux principes internationaux fut notamment abordée dans R. c. Hape[526], où le juge LeBel réitère la règle d’interprétation bien établie voulant qu’une loi soit présumée conforme au droit international et aux obligations internationales du Canada, sauf lorsque l’intention du législateur commande clairement un résultat contraire[527]. Cette présomption s’étend à la Charte canadienne lorsque son libellé le permet[528].

[509]      Il n’y a rien qui justifie de ne pas étendre cette présomption à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, vu qu’il se rattache principalement à la protection des droits fondamentaux des peuples autochtones.

[510]      Toutefois, comme l’ont récemment rappelé les juges Brown et Rowe, ces normes internationales – particulièrement lorsqu’elles n’ont pas de vocation contraignante[529] – jouent habituellement en matière d’interprétation constitutionnelle un rôle limité consistant à appuyer ou à confirmer le résultat auquel arrive un tribunal au moyen d’une interprétation téléologique[530], en raison notamment de la nécessité de préserver l’intégrité de la structure constitutionnelle canadienne et de la souveraineté du Canada[531]. Les instruments internationaux contraignants que le Canada a ratifiés ont nécessairement plus de poids dans l’analyse que les instruments non contraignants[532].

[511]      Qu’en est-il en l’espèce?

[512]      Comme nous l’avons déjà noté, la Déclaration des Nations Unies un instrument non contraignant au plan international, mais mis en œuvre dans l’ordre normatif fédéral grâce à la Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones – énonce que les peuples autochtones ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales[533]. Elle ajoute que ces peuples et les individus qui en font partie ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture[534]. Elle précise que les Autochtones, peuples ou individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de celle-ci[535]. Elle énonce que les peuples autochtones ont le droit de conserver et de développer leurs systèmes et institutions politiques, économiques et sociaux[536].

[513]      L’interprétation de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 voulant que les droits ancestraux existants qui y sont reconnus et confirmés comprennent le droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille apparaît tout à fait conforme aux principes énoncés à la Déclaration des Nations Unies. Cela renforce et confirme la justesse de cette interprétation.

e)     Le cadre prévu par la Loi pour délimiter l’exercice du droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille est-il constitutionnellement valable?

[514]      Tel que nous venons de le conclure, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme, comme droit ancestral, le droit des peuples autochtones de réglementer eux-mêmes les services à l’enfance et à la famille les concernant. Ainsi, lorsque l’art. 18 de la Loi, dans la foulée de l’art. 8 al. a), affirme que « [l]e droit inhérent à l’autonomie gouvernementale reconnu et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 comprend la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, notamment la compétence législative en matière de tels services et l’exécution et le contrôle d’application des textes législatifs pris en vertu de cette compétence législative », le Parlement ne crée pas un nouveau droit constitutionnel, mais ne fait que constater l’existence d’un tel droit sous l’architecture constitutionnelle existante du Canada. Il en découle que la prémisse sur laquelle se fonde la Partie II de la Loi est fondée. Il faut cependant s’assurer que le cadre prévu par la Loi pour délimiter l’exercice de ce droit est lui aussi constitutionnel.

[515]      Avant de ce faire, il vaut cependant de préciser que l’approche déclaratoire adoptée par le Parlement dans le cadre de la Loi est inhabituelle, sinon inusitée. Il est en effet rare qu’un texte législatif ait pour objet d’énoncer la portée d’une disposition constitutionnelle. Cela soulève certes des interrogations, particulièrement en regard de la division des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire. Quoi qu'il en soit, pour les motifs déjà exposés, il n’y a pas lieu d’invalider la Loi pour ce seul motif, d’autant plus que le contexte dans lequel elle s’insère, soit l’affirmation du droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille les concernant, se prête particulièrement bien à une intervention législative fédérale.

[516]      Trois aspects de la Loi doivent être examinés afin de s’assurer que le cadre prévu par la Loi pour délimiter l’exercice du droit qu’elle énonce est lui-même constitutionnel. Le premier concerne les limites que fixe la Loi à l’exercice du droit en question. Le second, la disposition de la Loi voulant que les textes législatifs autochtones aient force de loi à titre de lois fédérales. Le troisième, le principe énoncé à la Loi voulant que les textes législatifs autochtones l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute loi provinciale, conférant ainsi un caractère absolu à ces textes.

Les limites à l’exercice du droit énoncées à la Loi sont-elles permises?

[517]      Bien que le droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille soit reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, comme nous l’avons déjà conclu, cela n’empêche pas le Parlement d’encadrer l’exercice de ce droit en vertu de la compétence que lui attribue le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867[537]. C’est d’ailleurs ce que le Parlement a fait dans la Loi. Cette réglementation fédérale est en principe valide, sauf lorsqu’elle préjudicie à l’exercice du droit, auquel cas, comme nous l’avons déjà souligné, l’atteinte doit être justifiée selon le test établi par la Cour suprême du Canada dans Sparrow et les arrêts qui l’ont suivi, test qui permet d’assurer l’intégrité des droits reconnus par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[518]      Cela étant, il est indéniable que certains aspects de la Loi portent effectivement atteinte au droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et aux familles.

[519]      La Loi prévoit ainsi qu’un texte législatif autochtone ne peut s’appliquer à un enfant autochtone si cela est contraire à l’intérêt de celui-ci[538], ce qui ouvre la porte à une large discrétion pour écarter l’application d’un texte législatif autochtone dans un cas particulier.

[520]      La Loi exige aussi que le corps dirigeant autochtone qui exerce la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille respecte les droits protégés par la Charte canadienne[539].

[521]      La Loi laisse également entendre que les lois fédérales auraient préséance sur un texte législatif autochtone dans les cas où le corps dirigeant autochtone ne se prévaut pas d’une demande d’accord de coordination prévue au par. 20(2) de celle-ci. Par ailleurs, lorsque le corps dirigeant autochtone se prévaut de la possibilité de conclure un tel accord de coordination, la Loi énonce alors que le texte législatif de ce corps dirigeant a préséance sur les lois fédérales, mais demeure néanmoins subordonné au respect des normes nationales établies aux art. 10 à 15 de celle-ci et des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu’un accord de coordination ait été ou non conclu[540].

[522]      Il s’agit là de limites importantes à l’exercice de la compétence autochtone. Néanmoins, elles paraissent à première vue justifiées selon les principes de réconciliation qui sont au cœur de l’objet même de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ces contraintes portent principalement sur la priorité accordée à l’intérêt de l’enfant (lequel est précisé à l’art. 10 de la Loi), le respect des droits fondamentaux des individus et le respect des normes nationales. De prime abord, il s’agit d’objectifs impérieux et réels qui restreignent de façon pondérée et minimale l’exercice du droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille. Cela étant, la validité de ces contraintes, le cas échéant, pourra être tranchée au cas par cas dans l’éventualité d’une contestation judiciaire.

[523]      La question de l’application de la Charte canadienne est plus complexe. L’art. 32 de celle-ci prévoit qu’elle s’applique « a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement […]; b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature ». Puisque, par sa nature même, le droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille découle d’un droit ancestral reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, la Charte canadienne s’applique-t-elle à un corps dirigeant autochtone qui exercerait une compétence en vertu de ce droit?

[524]      La législation autochtone établie en vertu de ce droit n’est pas celle du Parlement ou du gouvernement du Canada ni celle d’une législature ou d’un gouvernement provincial, mais plutôt d’un peuple autochtone exerçant un droit ancestral. L’art. 25 de la Charte canadienne précise aussi que celle-ci « ne porte pas atteinte aux droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada ». Pour certains, ces dispositions auraient pour effet de rendre la Charte canadienne inopposable aux corps dirigeants autochtones puisque l’art. 32 est silencieux à leur égard et l’art. 25 leur conférerait une immunité lorsqu’ils exercent un droit protégé en vertu de l’art. 35[541]. Qu’en est-il?

[525]      Comme le signalait le juge La Forest, « [d]’un point de vue pratique […], il est tout à fait sensé d’interpréter l’art. 32 comme incluant d’autres entités gouvernementales que celles qui y sont expressément énumérées »[542]. La jurisprudence enseigne donc que la Charte canadienne vise une variété de corps publics. En outre, la Charte canadienne vise même les entités privées relativement à certains actes gouvernementaux, comme lorsque de telles entités mettent en œuvre des politiques ou des programmes gouvernementaux précis[543].

[526]      Dans l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority, la juge Deschamps s’est inspirée des propos du juge La Forest dans Eldridge pour conclure que la Charte canadienne s’applique à toute entité qui exerce des activités gouvernementales, qu’elle fasse partie ou non du gouvernement fédéral ou de celui d’une province :

[15]  Dans l’arrêt Eldridge c. ColombieBritannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, le juge La Forest s’est penché sur le point de vue adopté par la Cour dans les arrêts McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229 (université), Harrison c. Université de la ColombieBritannique, [1990] 3 R.C.S. 451 (université), Stoffman c. Vancouver General Hospital, [1990] 3 R.C.S. 483 (hôpital), Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570 (collège), et Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211 (collège), au sujet du caractère « gouvernemental » de diverses entités. Au nom des juges unanimes de la Cour, il résume comme suit les principes applicables (par. 44) :

. . . il peut être jugé que la Charte s’applique à une entité pour l’une ou l’autre des deux raisons suivantes. Premièrement, il peut être décidé que l’entité ellemême fait partie du « gouvernement » au sens de l’art. 32. Une telle conclusion requiert l’examen de la question de savoir si l’entité dont les actes ont suscité l’allégation d’atteinte à la Charte peut — soit de par sa nature même, soit à cause du degré de contrôle exercé par le gouvernement sur elle — être à juste titre considérée comme faisant partie du « gouvernement » au sens du par. 32(1). En pareil cas, toutes les activités de l’entité sont assujetties à la Charte, indépendamment du fait que l’activité en cause pourrait à juste titre être qualifiée de « privée » si elle était exercée par un acteur non gouvernemental. Deuxièmement, une activité particulière d’une entité peut être sujette à révision en vertu de la Charte si cette activité peut être attribuée au gouvernement. Il convient alors d’examiner non pas la nature de l’entité dont l’activité est contestée, mais plutôt la nature de l’activité ellemême. Autrement dit, il faut, en pareil cas, s’interroger sur la qualité de l’acte en cause plutôt que sur la qualité de l’acteur. Si l’acte est vraiment de nature « gouvernementale » — par exemple, la mise en œuvre d’un régime légal ou d’un programme gouvernemental donné — l’entité qui en est chargée est assujettie à l’examen fondé sur la Charte, mais seulement en ce qui a trait à cet acte, et non à ses autres activités privées.

[16]  Deux avenues s’offrent donc pour déterminer si la Charte s’applique aux activités d’une entité : l’examen de la nature de l’entité ou celui de ses activités. Si on conclut que l’entité fait partie du « gouvernement », soit par sa nature même, soit à cause du pouvoir substantiel que l’État exerce sur elle, toutes ses activités sont assujetties à la Charte. Si l’entité comme telle ne fait pas partie du gouvernement, mais qu’elle exerce tout de même des activités gouvernementales, seules les activités pouvant être qualifiées de gouvernementales par nature sont assujetties à la Charte.[544]

[Soulignements ajoutés]

[527]      Quoique les corps dirigeants des peuples autochtones n’agissent pas comme des corps publics fédéraux ou provinciaux lorsqu’ils réglementent les services à l’enfance et à la famille en vertu du droit ancestral à l’autonomie gouvernementale, ils exercent alors néanmoins une activité gouvernementale au sein du Canada. Bien qu’ils ne soient pas directement visés par l’art. 32 de la Charte canadienne, lorsqu’ils exercent cette compétence, ils doivent néanmoins respecter les droits des individus, Autochtones ou non, en tant que citoyens canadiens. Ainsi, « [e]n tant que citoyens canadiens, les Autochtones ont droit tout autant que tous les autres citoyens aux garanties et aux avantages des droits et libertés énoncés dans la Charte », y compris à la protection contre les violations commises par leurs propres gouvernements autochtones[545]. En ce sens, si l’application de la Charte canadienne aux corps dirigeants autochtones impose effectivement certaines limites dans la façon dont ceux-ci réglementent ou dispensent des services, cela n’équivaut pas à une abrogation ou une dérogation au droit à l’autonomie gouvernementale ou à d’autres droits protégés à l’art. 25 et à l’art. 35.

[528]      C’est pourquoi rien n’empêche le Parlement d’adopter une loi précisant que les droits et libertés énoncés à la Charte canadienne s’appliquent à un corps dirigeant autochtone dans la mesure où, comme le prévoit l’art. 25 de cette Charte, l’application de ces droits et libertés dans un cas d’espèce ne porte pas atteinte aux droits et libertés des peuples autochtones du Canada. Le cas échéant, s’il y a atteinte au droit à l’autonomie gouvernementale, celle-ci devra être justifiée selon le test de conciliation des droits établi par la Cour suprême du Canada en application de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il tombe sous le sens que la Charte canadienne doit alors être interprétée et appliquée de façon à prendre en compte la perspective du peuple autochtone en question afin de préserver son statut distinct au sein de la Constitution canadienne[546].

[529]      Ainsi, de prime abord et sous réserve d’éventuelles contestations dans des cas particuliers, rien ne nous permet de conclure, dans le cadre du présent renvoi, que les contraintes à l’exercice du droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et aux familles énoncées à la Loi soient inconstitutionnelles.

Le Parlement peut-il conférer force de loi, à titre de lois fédérales, aux textes législatifs autochtones portant sur les services à l’enfance et aux familles?

[530]      La Loi est silencieuse sur les conflits de lois qui pourraient survenir dans les cas où un corps dirigeant autochtone se prévaudrait du droit de réglementer les services à l’enfance et la famille sans procéder à des discussions préalables aux fins de convenir d’un accord de coordination. Cependant, la Loi est plus précise lorsque le corps dirigeant autochtone s’engage dans un processus de négociation d’un accord de coordination[547]. Les art. 21 et 22 de la Loi s’appliquent alors dès qu’un accord de coordination est conclu, ou, à défaut d’accord, à l’expiration de l’année qui suit la demande en ce sens, dans la mesure où le corps dirigeant autochtone a fait des efforts raisonnables à cette fin[548].

[531]      Plus particulièrement, l’art. 21 de la Loi prévoit alors que les textes législatifs autochtones acquièrent force de loi à titre de lois fédérales. Il y a lieu de reproduire à nouveau cet article :

21 (1) A également force de loi, à titre de loi fédérale, le texte législatif, avec ses modifications successives, du groupe, de la collectivité ou du peuple autochtones visé au paragraphe 20(3), pendant la période au cours de laquelle ce texte est en vigueur.

(2) Les lois fédérales, autre que la présente loi, n’ont aucun effet sur l’interprétation du texte visé au paragraphe (1) du seul fait que ce paragraphe lui donne force de loi à titre de loi fédérale.

(3) Les lois fédérales, autre que la présente loi et la Loi canadienne sur les droits de la personne, ne s’appliquent pas relativement au texte visé au paragraphe (1) du seul fait que ce paragraphe lui donne force de loi à titre de loi fédérale.

21 (1) A law, as amended from time to time, of an Indigenous group, community or people referred to in subsection 20(3) also has, during the period that the law is in force, the force of law as federal law.

(2) No federal law, other than this Act, affects the interpretation of a law referred to in subsection (1) by reason only that subsection (1) gives the law the force of law as federal law.

(3) No federal law, other than this Act and the Canadian Human Rights Act, applies in relation to a law referred to in subsection (1) by reason only that subsection (1) gives the law the force of law as federal law.

[532]      L’objectif de cette disposition, qui donne force de loi aux textes législatifs autochtones et leur confère le statut de lois fédérales, est, avant tout, de faire bénéficier ces textes législatifs de la doctrine de la prépondérance fédérale. Cet objectif est d’ailleurs concordant avec le par. 22(3) de la Loi, dont nous traiterons plus tard.

[533]      Comme nous l’avons déjà constaté, le Parlement peut réglementer les droits ancestraux visés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 dans certaines limites. Mais, ce faisant, il ne peut modifier seul cet article, y compris dans sa portée, ni l’architecture fondamentale de la Constitution canadienne. Or, c’est précisément une telle modification qu’accomplit l’art. 21 de la Loi.

[534]      La notion d'architecture constitutionnelle exprime le principe selon lequel chaque élément de la Constitution est lié aux autres et doit être interprété en fonction de l’ensemble de la structure constitutionnelle[549]. Autrement dit, la Constitution doit être interprétée de façon à discerner la structure de gouvernement qu’elle vise à mettre en œuvre.

[535]      Les doctrines qui régissent l’interaction entre les lois adoptées par les divers paliers de gouvernement sont au centre de cette structure. Elles sont des manifestations concrètes du fédéralisme, « principe directeur fondamental »[550] de la Constitution canadienne, et elles « permettent d’établir un équilibre approprié dans la reconnaissance et l’aménagement des chevauchements inévitables des règles adoptées par les deux ordres de gouvernement, tout en reconnaissant la nécessité de sauvegarder une prévisibilité suffisante du fonctionnement du partage des compétences »[551]. Comme le signalaient récemment le juge en chef Wagner et le juge Brown dans Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général) :

[53] […] le fédéralisme est pleinement inscrit dans la structure de notre Constitution, parce qu’il est inscrit dans le texte qui en est constitutif – particulièrement, mais pas exclusivement, aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les structures ne sont pas composées d’éléments externes non rattachés; elles sont des incarnations de leurs parties constitutives et conjointes. La structure de notre Constitution est définie par ses dispositions en tant que telles, inscrites dans son libellé. […][552]

[Italiques dans l’original]

[536]      La doctrine de la prépondérance fédérale reflète ainsi la structure même des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 tout en contribuant à l’équilibre du fédéralisme en permettant aux lois fédérales de l’emporter sur les lois provinciales, mais seulement en cas de conflit irréconciliable entre celles-ci. Autrement dit, en cas de tel conflit entre l’intérêt provincial et national, lorsque les deux lois irréconciliables sont valides et applicables, la prépondérance fédérale donne préséance au second.

[537]      Or, cette doctrine sous-jacente à l’architecture constitutionnelle des art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’a toutefois pas pour objet de permettre au gouvernement fédéral de conférer une priorité constitutionnelle à la législation d’un corps dirigeant autochtone agissant en vertu d’un droit ancestral de gouvernance. En effet, elle ne concerne que la législation fédérale valablement adoptée dans un champ de compétence fédérale. Elle concerne les art. 91 et 92 et non pas l’art. 35.

[538]      S’il est établi que le Parlement peut faire sienne la loi d’un autre législateur pour ses propres fins fédérales[553], l’art. 21 de la Loi n’a pas cet objet. Il vise plutôt à étendre la doctrine de la prépondérance fédérale à l’exercice du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones en matière de réglementation des services à l’enfance et à la famille.

[539]      Les corps dirigeants autochtones qui agissent sous le droit ancestral à l’autonomie gouvernementale ne sont pas, par leur nature même, des émanations du gouvernement fédéral ni des offices fédéraux, mais plutôt des corps autochtones opérant sous l’autorité d’un droit ancestral de gouvernance reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Bien qu’il puisse s’agir dans certains cas de « conseils de bande » au sens de la Loi sur les Indiens, ils n’agissent pas alors sous l’autorité de cette loi fédérale ni comme office fédéral. C’est plutôt comme corps dirigeants distincts des gouvernements non autochtones qu’ils tirent leur autorité et c’est en vertu du droit à l’autonomie gouvernementale reconnu et confirmé par l’art. 35 qu’ils agissent.

[540]      Ainsi, les textes législatifs qu’ils adoptent en invoquant le droit à l’autonomie gouvernementale ne sont pas des lois fédérales adoptées sous l’art. 91 assujetties à la doctrine de la prépondérance fédérale, mais plutôt des lois autochtones qui répondent à des impératifs autochtones. Cette réglementation autochtone découle d’une compétence autochtone reconnue et confirmée par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et non pas d’une compétence fédérale en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[541]      En édictant l’art. 21 de la Loi, le Parlement tente de conférer au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 une portée qu’il n’a pas afin de permettre l’application de la doctrine de la prépondérance fédérale à un droit ancestral reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le par. 22(3) de la Loi, que nous traiterons bientôt, le confirme aussi. Ce faisant, il modifie de façon significative l’architecture constitutionnelle canadienne. Ce procédé ne saurait être entériné.

[542]      Si la réglementation autochtone adoptée dans l’exercice du droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones a préséance sur les lois incompatibles fédérales et provinciales, ce n’est pas parce que la Loi l’énonce ou parce que la doctrine de la prépondérance fédérale le prévoit. C’est plutôt le résultat de la confirmation et de la reconnaissance constitutionnelle de ce droit par l’effet de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est l’art. 35 qui confère cette préséance et en précise la portée et non pas la législation fédérale adoptée en vertu du par. 91(24).

Le Parlement peut-il rendre absolu un droit ancestral à l’égard de la législation provinciale?

[543]      Le par. 22(3) de la Loi s’applique dès qu’un accord de coordination est conclu, ou, à défaut d’accord, à l’expiration de l’année qui suit la demande en ce sens par un corps dirigeant autochtone, qu’un accord soit conclu ou non[554]. Ce paragraphe prévoit que les textes législatifs autochtones l’emportent alors sur les dispositions incompatibles de toute loi provinciale. C’est en quelque sorte le pendant à l’art. 21 de la Loi, mais qui énonce la règle voulue directement plutôt que par l’intermédiaire de la doctrine de la prépondérance fédérale. Il y a lieu de reproduire à nouveau le par. 22(3) :

22 (3) Il est entendu que les dispositions relatives aux services à l’enfance et à la famille de tout texte législatif d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones l’emportent sur les dispositions incompatibles relatives aux services à l’enfance et à la famille de toute loi provinciale ou de tout règlement pris en vertu d’une telle loi.

22 (3) For greater certainty, if there is a conflict or inconsistency between a provision respecting child and family services that is in a law of an Indigenous group, community or people and a provision respecting child and family services that is in a provincial Act or regulation, the provision that is in the law of the Indigenous group, community or people prevails to the extent of the conflict or inconsistency.

[544]      L’effet de cette disposition est de conférer un caractère absolu aux textes législatifs autochtones par rapport aux lois provinciales. Bien que le Parlement ait compétence en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 pour réglementer un droit ancestral reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, cette compétence ne comprend pas celle de conférer une priorité absolue à ce droit. Comme le signalait la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Chief Mountain : « The fact of the matter is that in light of the constitutional principles that govern the application of s. 35, neither level of government could by statute constitutionally make s. 35 rights of any description absolute »[555].

[545]      Dans Nation Tsilhqot’in, la juge en chef McLachlin conclut que c’est le cadre d’analyse propre à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui régit les conflits qui peuvent survenir entre l’exercice d’un droit ancestral et l’application des législations tant fédérales que provinciales. Tout comme les droits énoncés dans la Charte canadienne, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 impose des limites à l’exercice des compétences législatives fédérales et provinciales. Si la Charte canadienne requiert un cadre d’analyse qui lui est propre afin de déterminer dans quelles circonstances et de quelles façons les limites qui y sont énoncées doivent s’appliquer, il en va de même pour l’art. 35.

[546]      C’est pourquoi la juge en chef McLachlin a écarté en partie le raisonnement de l’arrêt Morris[556] prononcé en 2006 par la Cour suprême – dans lequel la majorité avait conclu que le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’art. 88 de la Loi sur les Indiens empêchaient les provinces de réglementer les droits issus de traités – pour y préférer le cadre d’analyse propre à l’art. 35 :

[150] […] Dans la mesure où l’arrêt Morris appuie la proposition voulant qu’il soit catégoriquement interdit aux gouvernements provinciaux de réglementer l’exercice des droits ancestraux, il ne devrait plus être suivi. J’estime que, conformément aux commentaires formulés dans les arrêts Sparrow et Delgamuukw, la réglementation provinciale d’application générale s’appliquera à l’exercice des droits ancestraux, notamment au titre ancestral sur des terres, sous réserve de l’application du cadre d’analyse relatif à l’art. 35 qui permet de justifier une atteinte. Ce critère soigneusement conçu vise à concilier la loi d’application générale et les droits ancestraux avec la délicatesse qu’exige l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et il est plus équitable et pratique d’un point de vue de politique que l’inapplicabilité générale qu’impose la doctrine de l’exclusivité des compétences.

[…]

[152] Le cadre d’analyse relatif à l’art. 35 s’applique à l’exercice des compétences tant provinciales que fédérales : Sparrow; Delgamuukw. Par conséquent, il offre un moyen exhaustif et rationnel de circonscrire les lois provinciales touchant les terres visées par un titre ancestral dans les limites fixées par la Constitution. La question qui se pose dans des cas comme celui-ci ne porte pas, à la base, sur le conflit entre les paliers fédéral et provincial de gouvernement — les doctrines de la prépondérance fédérale et de l’exclusivité des compétences permettent de traiter cette question selon que l’indique la jurisprudence — il s’agit plutôt de savoir dans quelle mesure le gouvernement provincial peut réglementer des terres visées par un titre ancestral ou faisant l’objet d’une revendication du titre ancestral. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 constitue le cadre approprié à l’intérieur duquel doit être considérée une telle question puisqu’il oblige directement le gouvernement à respecter ces droits ou à démontrer que l’atteinte se rapporte à la poursuite d’un objectif impérieux et réel et qu’elle est compatible avec son obligation fiduciaire envers les groupes autochtones.[557]

[Soulignements ajoutés]

[547]      Un raisonnement similaire fut retenu dans Première Nation de Grassy Narrows, alors qu’une province cherchait à prendre des terres ancestrales autochtones qui avaient été cédées par traité au Canada :

[37]  Le paragraphe 91(24) ne confère pas au Canada le droit de prendre des terres provinciales à des fins exclusivement provinciales, telles la colonisation ou l’exploitation forestière ou minière. Il n’oblige donc pas l’Ontario à obtenir au préalable l’approbation du gouvernement fédéral de prendre des terres en application du Traité no 3. Même si cette disposition habilite le gouvernement fédéral à adopter relativement aux Indiens et aux terres réservées pour eux des lois susceptibles d’avoir des effets accessoires sur un territoire provincial, l’applicabilité d’une loi provinciale qui, par la prise de terres, porte atteinte à des droits issus de traités est déterminée selon l’arrêt Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, et l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.[558]

[Soulignements ajoutés]

[548]      Une approche analogue s’impose au regard du droit à l’autonomie gouvernementale. Le Parlement ne peut restreindre ni élargir la portée de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 en se prévalant de sa compétence en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans ce cas-ci, en édictant le par. 22(3) de la Loi, le Parlement confère un statut de droit absolu au droit ancestral des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille, à tout le moins à l’égard de la législation provinciale. Ce faisant, sans l’accord des provinces, il modifie l’objet et la portée de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, lesquels sont fondés sur des principes de respect mutuel et de réconciliation.

[549]      Comme le souligne le procureur général du Québec dans son mémoire de réplique, le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, historiquement, est étroitement lié aux objectifs d’expansion territoriale du Canada et visait à l’origine à permettre au gouvernement du Canada d’exercer un contrôle sur les peuples autochtones pour ces fins en cherchant, notamment, à les assimiler. Comme l’a constaté la juge Abella dans l’arrêt Daniels :

[5] L’objet du par. 91(24) consistait donc à « exercer, au besoin, un contrôle sur les peuples et les collectivités autochtones, pour faciliter le développement du Dominion », à « honorer les obligations à l’égard des Autochtones que le Dominion avait héritées de la Grande-Bretagne », et, « ultérieurement, [à] civiliser et [à] assimiler les Autochtones » (par. 353). Comme une grande partie des terres du Territoire du NordOuest étaient occupées par les Métis, seule une définition du mot « Indiens » utilisé au par. 91(24) qui englobait « un grand éventail de gens ayant en commun leur ascendance autochtone » (par. 566) conférerait au Parlement le pouvoir nécessaire pour poursuivre ses objectifs.[559]

[550]      Par contraste, l’objet de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est la conciliation des intérêts des peuples autochtones et de leur présence antérieure sur le territoire de ce qui est devenu le Canada avec les intérêts de la société canadienne dans son ensemble et avec la souveraineté de la Couronne[560]. La responsabilité de réaliser cet objet est dévolue aux peuples autochtones et à la Couronne dans son ensemble, ce qui comprend, bien sûr, la Couronne fédérale, mais aussi la Couronne des provinces[561].

[551]      Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, les rapports entre les peuples autochtones et la Couronne sont régis par un nouveau paradigme constitutionnel fondé sur des objectifs de respect mutuel et de réconciliation[562]. Ce paradigme implique tant les gouvernements provinciaux que le gouvernement fédéral qui, chacun dans leurs sphères de compétence respectives, doivent faire progresser la réconciliation et agir conformément au principe de l’honneur de la Couronne.

[552]      En effet, les objectifs sous-jacents de l’art. 35 ne pourraient être adéquatement atteints sans l’implication des provinces, surtout dans les domaines relevant principalement de la compétence provinciale, tels les services à l’enfance et à la famille. Il est reconnu de longue date qu’il existe des sujets pour lesquels il est impossible qu’un ordre de gouvernement agissant seul apporte une solution complète et satisfaisante[563]. Le contexte des droits des peuples autochtones n’échappe pas à cette réalité bien concrète. Par exemple, dans l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême a rappelé que le processus de création des réserves nécessitait la participation des provinces et que « [t]oute tentative unilatérale du gouvernement fédéral de créer une réserve sur des terres publiques de la province aurait été invalide »[564]. Cette nécessaire collaboration se manifeste de façon particulièrement vive dans le contexte des services aux enfants et aux familles autochtones alors que, dans bien des cas, ce sont les provinces qui fournissent les services en cette matière et qui détiennent les ressources et les expertises requises, comme l’illustre d’ailleurs l’affaire NIL/TU,O Child and Family Services Society[565].

[553]      C’est ainsi que, lorsqu’il s’agit de résoudre des conflits entre, d’une part, la réglementation autochtone mise en œuvre dans l’exercice du droit ancestral à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et à la famille, droit visé par l’art. 35 et, d’autre part, la législation provinciale, il y a lieu d’appliquer le cadre d’analyse qui est concordant avec l’architecture constitutionnelle sous-jacente à cette disposition constitutionnelle. Les principes et critères qui caractérisent cette architecture ont été établis de longue date par la Cour suprême du Canada. Dans le cas des droits ancestraux, dont le droit à l’autonomie gouvernementale, ce sont ceux des arrêts Sparrow et des nombreux autres qui l’ont suivi, tous fondés sur la réconciliation et le respect mutuel, ce qui appelle tous les gouvernements à justifier toute réglementation qui porterait atteinte à un droit ancestral, quelle qu’en soit la nature.

[554]      Il faut éviter de renforcer l’idée que les peuples autochtones sont des sujets passifs de droit que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux peuvent réglementer selon les champs de compétence respectifs qu’énoncent les art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Tout comme la Charte canadienne, l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 introduit un changement de paradigme dans l’architecture constitutionnelle canadienne. L’art. 35 modifie ainsi de façon déterminante la dynamique relationnelle entre les peuples autochtones et la Couronne en conférant à ces peuples un statut particulier comme acteurs sociaux et politiques distincts au sein du Canada, un statut qu’ils détenaient déjà, mais qui fut mis en veilleuse avec les politiques colonialistes d’assimilation mises en œuvre de la fin du 19e siècle jusqu’au troisième quart du 20e siècle.

[555]      Ainsi, d’une part, l’idée que les art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 occupent la totalité des champs de compétence et empêchent les peuples autochtones de se réglementer eux-mêmes dans les matières qui sont d’intérêt particulier à ceux-ci ne peut être retenue si l’objectif de réconciliation découlant de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 doit être pris au sérieux. D’autre part, l’idée que la réconciliation avec les peuples autochtones puisse se réaliser par le gouvernement fédéral agissant seul sans la participation active des gouvernements provinciaux doit aussi être écartée.

[556]      L’histoire des relations entre les peuples autochtones et les gouvernements illustre d’ailleurs les effets délétères et l’impraticabilité des confrontations de compétences et des approches unilatérales, particulièrement pour ce qui est des services aux enfants et aux familles autochtones. Lorsque le gouvernement fédéral a tenté d’agir seul en la matière, il l’a fait au moyen d’une politique assimilatrice et raciste, qui plaçait les enfants autochtones dans des écoles résidentielles sans prévoir l’expertise ni les ressources permettant d’assurer leur bien-être. Devant l’absence de véritable volonté et l’incapacité du gouvernement fédéral à fournir des services adéquats aux enfants autochtones, les provinces qui l’ont fait ont, de leur côté, souvent agi à reculons, calculant leurs interventions en fonction du financement fédéral disponible, lequel était chroniquement inadéquat, comme l’a constaté le TCDP :

[388] Le Programme des SEFPN comporte une lacune flagrante au plan de la comparabilité raisonnable des services à l’enfance et à la famille offerts dans les réserves à ceux qui sont offerts hors réserve. Bien que les organismes de SEFPN soient tenus de se conformer aux lois et aux normes provinciales et territoriales, les autorisations de financement du Programme des SEFPN ne sont pas accordées en fonction des lois et des normes de services des provinces et des territoires. Elles sont plutôt fondées sur des niveaux et des modèles de financement qui ne sont pas conformes aux lois et aux normes applicables. Elles ne tiennent par ailleurs pas compte des besoins réels des enfants et des familles des Premières Nations en matière de services, qui sont souvent plus lourds que ceux des personnes vivant à l’extérieur des réserves. De plus, la façon dont les modèles de financement et les autorisations des programmes fonctionnent empêche une comparaison efficace avec les systèmes provinciaux. Les provinces et les territoires utilisent rarement un modèle de financement et la manière dont ils gèrent les variables relatives aux coûts est souvent très différente d’une province et d’un territoire à l’autre. Au lieu de modifier son système pour l’adapter de façon efficace aux systèmes des provinces et des territoires de manière à assurer une comparabilité raisonnable, AADNC a conservé ses modèles de financement et y a incorporé quelques variables, telles que les salaires, qu’il a réussi à obtenir des provinces et des territoires.[566]

[Soulignements ajoutés]

[557]      Ce troublant constat n’a d’ailleurs pas été remis en cause par le gouvernement fédéral dans ses procédures présentées à la Cour fédérale[567].

[558]      Trop souvent, les enfants autochtones ont été les victimes de querelles entre les deux paliers de gouvernement qui ont refusé à tour de rôle d’intervenir pour assurer leur sécurité et leur bien-être sous prétexte qu’ils n’avaient pas la compétence ni la responsabilité financière de le faire. Les résultats désastreux de l’approche fondée sur la compétence exclusive et plénière du gouvernement fédéral à l’endroit des peuples autochtones et le désengagement des provinces montrent qu’elle n’est tout simplement pas adaptée ni conforme à la structure de gouvernement mise en place par la Constitution telle qu’elle se présente aujourd’hui à la lumière de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Principe de Jordan, qu’ont adopté les gouvernements du Canada et plusieurs provinces[568], confirme qu’une interprétation rigoriste des compétences provinciales et fédérales est largement dépassée – dans ce domaine comme dans d’autres – et doit céder le pas devant l’intérêt des enfants et des familles autochtones[569].

[559]      La collaboration du gouvernement fédéral et des gouvernements des provinces à l’égard de la reconnaissance et de la mise en œuvre des droits ancestraux des peuples autochtones est nécessaire pour assurer l’exercice harmonieux de ces droits. Cette collaboration s’impose selon le principe constitutionnel de l’honneur de la Couronne[570]. Ce principe exige, en l’espèce, que les gouvernements coordonnent l’exercice de leurs compétences respectives en matière de services à l’enfance et à la famille destinés aux Autochtones au moyen d’une collaboration fédérale-provinciale et autochtone.

[560]      L’art. 35 a pour prémisse que les peuples autochtones sont des partenaires fondateurs du Canada qui ont un droit à l’autonomie gouvernementale dans certains domaines de compétence d’intérêt particulier à ceux-ci, dont l’exercice doit être coordonné et concilié avec les pouvoirs dont jouissent le gouvernement fédéral et ceux des provinces. Pour ce faire, il est essentiel que ces derniers, dans leurs sphères de compétence, puissent prendre des mesures afin de concilier les intérêts de l’ensemble de la population qu’ils représentent et ceux des peuples autochtones. C’est ce que permet le test élaboré dans l’arrêt Sparrow, précisé par la suite, qui limite le pouvoir des gouvernements de réglementer les droits reconnus par l’art. 35 sans toutefois l’écarter totalement.

[561]      Comme la Cour suprême le confirme dans les arrêts Nation Tsilhqot’in et Grassy Narrows, les deux ordres de gouvernement doivent participer à la délicate tâche de concilier leurs propres intérêts et ceux des peuples autochtones. En effet, les enjeux concrets en matière d’enfance et de familles autochtones ne sont pas du ressort que d’un palier de gouvernement, à l’exclusion de l’autre.

[562]      Ainsi, une nouvelle approche s’impose, ayant pour piliers la collaboration fédéraleprovinciale et la prise en compte des peuples autochtones en tant qu’acteurs politiques et producteurs de droit. Cette approche doit prévaloir tant pour ce qui est des initiatives législatives que de leur mise en œuvre, y compris leur financement.

[563]      Malgré la compétence attribuée au gouvernement fédéral par le par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et le statut particulier des peuples autochtones reconnu par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, les Autochtones sont aussi des citoyens canadiens, et ils ont, à ce titre, le droit de profiter des services qu’offrent les provinces, avec lesquelles le gouvernement fédéral se doit de coordonner ses efforts afin de tenir compte des particularités propres à ceux-ci. Ce n’est que de cette manière que les objectifs du droit moderne relatif aux droits ancestraux, soit la réconciliation et le respect mutuel, peuvent être atteints.

[564]      En effet, comme le laisse entendre la Cour suprême dans Daniels et NIL/TU,O, la compétence fédérale sur les Autochtones prévue au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 n’empêche pas l’application à ces derniers des régimes provinciaux valides de portée générale, tels les régimes de protection à l’enfance et à la famille, dans la mesure où ils ne portent pas atteinte au contenu essentiel de la compétence fédérale[571].

[565]      Les lois provinciales valides d’application générale s’appliquent aux Autochtones ex proprio vigore et ne requièrent donc aucune législation fédérale habilitante pour ce faire[572]. Ce n’est que dans la mesure où la loi provinciale touche la « quiddité indienne » que l’art. 88 de la Loi sur les Indiens intervient : il incorpore alors par renvoi les dispositions de la législation provinciale qui touchent cette quiddité, permettant ainsi leur application aux Indiens au sens de la Loi sur les Indiens[573].

[566]      Or, bien que la Cour suprême ait laissé entendre que les « relations au sein des familles indiennes » étaient au cœur de la compétence du Parlement portant sur les Autochtones[574], elle n’a jamais conclu que la fourniture de services provinciaux à l’enfance et à la famille en général – plus particulièrement ceux qui sont habituellement fournis aux résidents d’une province – faisait partie de la « quiddité indienne ». Les régimes provinciaux de protection à l’enfance et à la famille s’appliquent donc aux Autochtones ex proprio vigore et non par l’effet de l’art. 88 de la Loi sur les Indiens.

[567]      Bien qu’elle ait pu faire l’objet de questionnements au milieu du siècle dernier, une telle conclusion ne se heurte en rien à l’avis donné par la Cour suprême en 1939 dans In re Eskimo[575], où elle a tranché que le mot « Indien » employé au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 incluait les Inuit. Quoique cette affaire ait eu pour trame de fond la fourniture de services à ces derniers, l’avis de la Cour ne portait que sur la question dont elle était saisie. Les motifs, en effet, s’attachent à l’analyse de documents précédant et suivant la Confédération afin de déterminer quel était, à ce moment, le sens du mot « Indien » et sont silencieux à l’égard du rôle que peuvent jouer les provinces dans la fourniture de services aux Autochtones.

[568]      On remarquera d’ailleurs que, dans NIL/TU,O, la juge en chef McLachlin et le juge Fish, dans leurs motifs concourants, en viennent à la conclusion que « [l]a fonction de NIL/TU,O consiste en la prestation de services d’aide à l’enfance dans le cadre du réseau provincial des organismes offrant des services semblables »[576] et que ses activités, « d’un point de vue fonctionnel, ne touchent pas le contenu essentiel que protège le par. 91(24) »[577].

[569]      Ainsi, si l’on accepte qu’en ce qui concerne les services à l’enfance et la famille, tous les gouvernements doivent être impliqués dans l’objectif de l’art. 35, le gouvernement fédéral ne peut dicter dans tous ses aspects la manière dont devront se comporter les provinces avec les peuples autochtones, pas davantage qu’il ne peut complètement les écarter. L’architecture constitutionnelle canadienne est édifiée sur la base de gouvernements coordonnés, et non subordonnés, dans le but de garantir à chacun une autonomie « dans la poursuite de leurs objectifs uniques »[578].

[570]      Dans ce contexte constitutionnel moderne, l’approche préconisée par le par. 22(3) de la Loi ne peut être entérinée. En conférant un statut de droit absolu au droit des peuples autochtones de réglementer les services à l’enfance et à la famille et en écartant le test de réconciliation qui est propre à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le Parlement modifie l’architecture constitutionnelle existante.

Conclusion

[571]      Pour ces motifs, à la question du renvoi qui s’énonce comme suit :

La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis est-elle ultra vires de la compétence du Parlement du Canada en vertu de la Constitution du Canada?

Nous répondons ce qui suit : 

Non, sauf l’article 21 et le paragraphe 22(3) de la Loi.

 

 

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

Me Francis Demers

Me Samuel Chayer

Me Gabrielle Robert

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Me Jean-François Beaupré

Me Tania Clercq

Me Hubert Noreau-Simpson

SOUS-MINISTÉRIAT DES AFFAIRES JURIDIQUES (SMAJ)

Pour le procureur général du Québec

 

Me Bernard Letarte

Me Lindy Rouillard-Labbé

Me Andréane Joanette-Laflamme

Me Amélia Couture

MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA

Pour le procureur général du Canada

 

Me Franklin S. Gertler

Me Gabrielle Champigny

Me Hadrien Gabriel Burlone

FRANKLIN GERTLER ÉTUDE LÉGALE

Me Mira Levasseur Moreau

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS QUÉBEC-LABRADOR

Me Leila Ben Messaoud

CSSSPNQL

Pour l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) et la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL)

 

Me Kathryn Tucker

Me Robin Campbell

LARIVIÈRE DORVAL PALARDY CAMPBELL TUCKER

Pour la Société Makivik

 

Me Stuart Wuttke

Me Adam Williamson

DIRECTION DES AFFAIRES JURIDIQUES ET DE JUSTICE, ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

Pour l’Assemblée des Premières Nations

 

Me Claire Truesdale

JFK LAW CORPORATION

Pour l’Aseniwuche Winewak Nation of Canada

 

Me David Taylor

CONWAY BAXTER WILSON

Me Naiomi W. Metallic

BURCHELLS

Pour la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

 

Dates d’audiences

 : 14, 15 et 16 septembre 2021

 


ANNEXE A

QUELQUES ENTENTES NÉGOCIÉES OU LOIS ADOPTÉES AVANT 1995 SOUS L’ÉGIDE DES POLITIQUES FÉDÉRALES EN MATIÈRE DE REVENDICATIONS TERRITORIALES ET AVEC LE CONCOURS DES PROVINCES, LE CAS ÉCHÉANT.

- La Convention de la Baie James et du Nord québécois (1975) et la Convention du Nord-Est québécois (1978), qui n’utilisent pas l’expression « autonomie gouvernementale », mais prévoient la mise en place d’« administrations locales ». Diverses ententes et lois s’y sont greffées au cours des ans, notamment l’Entente sur la gouvernance de la Nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada (2017), dont il sera question plus loin, dans l’annexe B.

- La Convention définitive des Inuvialuit, entente bilatérale conclue en 1984 entre le gouvernement du Canada et le peuple Inuvialuit (Territoires du Nord-Ouest et Yukon) en vue de régler certaines revendications territoriales. Cette convention (qui comporte une clause de renonciation aux droits ancestraux, art. 3) est entrée en vigueur en vertu de la Loi sur le règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l’Arctique (S.C. 1984, ch. 24), dont l’art. 4 prévoit que la loi et la convention « l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi qui s’applique au Territoire ». Voir aussi le par. 3(3) de la loi, sur l’extinction de « toutes les revendications, tous droits, titres et intérêts ancestraux, quels qu’ils soient, sur les terres du Territoire, de tous les Inuvialuit où qu’ils soient ».

- La Loi sur l’autonomie gouvernementale de la bande indienne sechelte (L.C. 1986, ch. 27) renvoie très explicitement à « l’engagement pris par le Parlement et le gouvernement du Canada de permettre aux bandes indiennes qui le désirent d’exercer l’autonomie gouvernementale sur les terres mises de côté pour elles » (préambule) et à l’objet de « permettre à la bande indienne sechelte d’exercer l’autonomie gouvernementale et de faire fonctionner des institutions autonomes sur les terres secheltes et d’obtenir le contrôle et la gestion des ressources et des services à la disposition de ses membres » (art. 4)[579]. Cette loi prévoit la mise en place d’une constitution sechelte par le conseil de bande, dont les attributions législatives (art. 14) couvrent notamment la prestation de services sociaux aux enfants (al. 14(1)h)). Dans les champs de compétence qui lui reviennent en vertu du par. 14(1) de la loi, le conseil peut également faire siennes, s’il le préfère, « les lois de la Colombie-Britannique » (par. 14(3)), tout comme il peut exercer « les attributions législatives que lui délègue, sous le régime d’une loi, la législature de la Colombie-Britannique » (art. 15). Les art. 37 et 38 de la loi prévoient respectivement que les lois fédérales d’application générale continuent à régir la bande et ses membres, « sauf dans la mesure de leur incompatibilité avec la présente loi » et que, par ailleurs, « les lois de la Colombie-Britannique d’application générale s’appliquent aux membres de la bande, sauf dans la mesure de leur incompatibilité avec un traité, la présente loi ou toute autre loi fédérale, la constitution ou les textes législatifs de la bande ». Tout cela étant, l’art. 3 de la loi précise qu’elle ne porte pas atteinte aux droits protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

- La Loi sur le règlement de la revendication territoriale des Gwich’in (L.C. 1992, ch. 53) prévoit pour sa part que « la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada » (préambule). Comme son titre l’indique, elle avalise pour le reste l’Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in, conclue entre ce peuple et le gouvernement du Canada en 1992. Cette entente, qui, en son préambule, reconnaît génériquement l’existence des droits ancestraux protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, prévoit que les parties s’entendent à négocier des accords sur l’autonomie gouvernementale selon les termes de l’accord-cadre figurant dans son annexe B (art. 1.1.9 et 5), afin de permettre à ces nations « de gérer leurs affaires et d’administrer leurs ressources, programmes et services, compte tenu des circonstances qui leur sont propres » (art. 1.1 de l’annexe B). L’entente suivante entre la Première Nation Gwitchin Vuntut, le gouvernement du Canada et celui du Yukon, a été ultérieurement conclue en vertu de ce cadre : Entente sur l’autonomie gouvernementale de la première nation des Gwitchin Vuntut (1993), qui prévoit l’établissement et le contenu d’une constitution (art. 10.0) et le droit de cette Première Nation d’édicter des textes législatifs sur divers sujets (art. 13.0), dont la prestation de services sociaux, l’adoption, la tutelle, la garde, la prise en charge et le placement des enfants (art. 13.2.4, 13.2.6 et 13.2.7). L’entente prévoit également une série de règles visant à régler les conflits de lois (art. 8.0 et 13.5.0).

- L’Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu (1993), mise en vigueur par la Loi sur le règlement de la revendication territoriale des Dénés et Métis du Sahtu (L.C. 1994, ch. 27), comporte également, en son art. 5, des clauses (art. 5.1.1 à 5.1.12) prévoyant la négociation d’un accord d’autonomie gouvernementale, selon des modalités prévues à l’annexe B (« Entente-cadre sur l’autonomie gouvernementale »).

- On mentionnera aussi la Loi sur l’autonomie gouvernementale des premières nations du Yukon (L.C. 1994, ch. 35). Adoptée en 1994 (peu de temps avant l’élaboration de la Politique sur l’autonomie gouvernementale), cette loi (comme l’entente avec la nation des Gwitchin Vuntut) donne suite à un accord-cadre et divers accords définitifs avec certaines Premières Nations occupant les terres du Yukon (tout en prévoyant que « les autres premières nations du Yukon peuvent aussi conclure des accords sur leur autonomie gouvernementale » (préambule, cinquième attendu)). Onze nations sont désormais parties à un accord prévu par cette loi. L’art. 8 de celle-ci prévoit que chacune de ces nations se dote d’une constitution comportant divers éléments et son art. 11 qu’elle peut édicter des textes législatifs dans tous les champs de compétence qui lui sont dévolus par l’accord qui la concerne (voir l’annexe III de la loi, qui énonce l’ensemble des vastes pouvoirs législatifs en question, incluant « [l]a prestation de services sociaux aux citoyens », « [l]a tutelle, la garde, la prise en charge et le placement des enfants des citoyens de la première nation, sauf l’agrément et la réglementation des services offerts à partir d’installations situées à l’extérieur des terres désignées », ainsi que l’administration de la justice). Sauf exception, la Loi sur les Indiens ne s’applique plus aux nations en question et à leurs citoyens (art. 17), désormais régis par les normes adoptées par leurs propres entités gouvernementales. La loi prévoit également les règles d’application des lois fédérales et territoriales, de même que celles qui régissent les conflits de lois (art. 3, 16, 19 et 23).

- Finalement, on ne peut ignorer l’Accord entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, conclu en mai 1993 et avalisé par la Loi concernant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut (L.C. 1993, ch. 29), qui a mené à l’adoption de la Loi sur le Nunavut (L.C. 1993, ch. 28) et à la création du territoire et du gouvernement du Nunavut, le 1er avril 1999, le tout sous réserve des droits protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. On peut citer ici quelques dispositions de cet accord, qui pourvoit à l’établissement d’une législature et d’un gouvernement publics sur un territoire occupé à plus de 80 % par les Inuit (c’est un modèle qui ne fait toutefois pas l’unanimité chez certains qui auraient préféré un modèle de gouvernance fondé sur la nation – voir infra) :

4.1.1 Le gouvernement du Canada recommandera au Parlement, à titre de mesure gouvernementale, une mesure législative visant la création, dans un délai déterminé, du nouveau territoire du Nunavut, lequel sera doté de sa propre assemblée législative et de son propre gouvernement public, distinct du gouvernement du reste des Territoires du Nord-Ouest.

4.1.1. The Government of Canada will recommend to Parliament, as a government measure, legislation to establish, within a defined time period, a new Nunavut Territory, with its own Legislative Assembly and public government, separate from the Government of the remainder of the Northwest Territories.

4.1.2 En conséquence, le gouver-nement du Canada, le gouvernement territorial et la FTN négocient un accord politique visant l'établissement du Nunavut. Cet accord politique précise la date à laquelle est recommandée au Parlement l'adoption de la mesure législative nécessaire à la création du territoire du Nunavut et du gouvernement du Nunavut, et établit les mécanismes de transition. […]

4.1.2 Therefore, Canada and the Territorial Government and Tungavik Federation of Nunavut shall negotiate a political accord to deal with the establishment of Nunavut. The political accord shall establish a precise date for recommending to Parliament legislation necessary to establish the Nunavut Territory and the Nunavut Government, and a transitional process. […]

Notons que cet accord, tout comme la législation qui le met en œuvre, n’est pas considéré par certains comme un exemple de gouvernance autochtone. Voir par ex. : Lettre de Mme Aluki Kotierk, présidente de Nunavut Tunngavik inc., adressée à l’honorable Elisapee Sheutiapik, ministre des Services à la famille du gouvernement du Nunavut, le 17 mai 2019, à propos du projet de loi C-92, qui deviendra la Loi.


ANNEXE B

quelques Ententes comportant la reconnaissance du droit à l’AUTONOMIE gouvernementalE comme droit ancestral (art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982)

- Accord d’autonomie gouvernementale de la première nation Westbank (2003; accord bipartite entre cette nation et le gouvernement du Canada), dont le préambule indique que « le gouvernement du Canada reconnaît que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (même si la loi qui met cet accord en vigueur ne le mentionne pas). L’art. 1 de l’accord précise qu’il « vise à mettre en œuvre des aspects du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale par la Première Nation de Westbank sur les Terres de Westbank », sans définir ce droit ni le limiter (art. 1(b), 6 et 8), et traduit « une relation de gouvernement à gouvernement […] dans le cadre de la Constitution du Canada, et en reconnaissant que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (art. 3). L’art. 20 énonce que « [l]a Première Nation de Westbank [laquelle doit se doter d’une constitution conforme aux art. 42 et s. de l’accord] a la capacité juridique de se gouverner elle-même conformément au présent Accord », ce qui couvre la capacité d’adopter des lois sur tous les sujets qui y sont prévus, dans le respect de la Charte canadienne (art. 32). L’accord contient un chapitre détaillé relatif à l’application des lois et aux conflits de lois (art. 29 à 41).

- Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen (2007; accord tripartite entre cette nation, le gouvernement du Canada et celui de la Colombie-Britannique), dont le préambule affirme que « le gouvernement du Canada a négocié les dispositions relatives à l’autonomie gouvernementale qui figurent dans l’Accord conformément à sa politique selon laquelle le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (par. D). En vertu de cet accord, la Première Nation Tsawwassen (qui doit elle aussi se doter d’une constitution, chapitre 16, art. 8 et 9) « a droit à l’autonomie gouvernementale et a le pouvoir de légiférer » (chapitre 16, art. 1), notamment en matière d’adoption ou de garde d’un enfant tsawwassen et de services de protection à l’enfance (chapitre 16, art. 69). L’accord prévoit un régime précis de conflits de lois. En matière de services de protection à l’enfance, la règle est celle de la primauté des lois tsawwassen en cas de conflit et dans la mesure de celui-ci (chapitre 16, art. 74), sauf exception (dont l’urgence, chapitre 16, art. 73), le tout dans une approche de collaboration avec le gouvernement de la Colombie-Britannique. Il est également prévu que la Charte canadienne s’applique au gouvernement tsawwassen dans toutes les matières relevant de sa compétence (chapitre 2, art. 9). Notons aussi que l’accord « énonce de façon exhaustive les droits de la Première Nation de Tsawwassen reconnus par l’article 35, les attributs et la portée géographique de ces droits », incluant « les autres droits de la Première Nation de Tsawwassen reconnus par l’article 35 » (chapitre 2, art. 12).

- Accord définitif des premières nations maa-nulthes (2007-2009; accord tripartite entre ces Premières Nations, le gouvernement du Canada et celui de la Colombie-Britannique). En son par. D, le préambule de l’accord (comme celui de la Première Nation de Tsawwassen), indique que le « gouvernement du Canada a négocié les dispositions relatives à l’autonomie gouvernementale qui figurent dans l’Accord conformément à sa politique selon laquelle le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ». L’accord est à maints égards similaire à celui de la Première Nation de Tsawwassen (application de la Charte canadienne, reconnaissance générale du droit à l’autonomie gouvernementale et du pouvoir de légiférer en plusieurs matières, dont l’adoption (art. 13.15.0), la protection (art. 13.16.0) et la garde (art. 13.17.0) de l’enfant ainsi que les soins à l’enfance (art. 13.18.0)).

- Accord définitif des Tla’amins (2014; accord tripartite entre ce peuple, le gouvernement du Canada et celui de la Colombie-Britannique). Le préambule de cet accord comporte, en son par. N, une disposition identique à celle des par. D des accords visant les Tsawwassen et les Maa-nulth (voir supra) confirmant la politique du gouvernement du Canada en matière de reconnaissance d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale dans le cadre de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

- Accord définitif sur l’autonomie gouvernementale de Délįnę (2015; accord tripartite entre ce peuple, le gouvernement du Canada et celui des Territoires du NordOuest). Abandonnant la formule quelque peu alambiquée des accords précédents, le préambule de cet accord énonce clairement ce qui suit en son premier attendu : « le gouvernement du Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest reconnaissent que le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant visé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ».

Sous les réserves usuelles (application de la Charte canadienne, adoption d’une constitution, règles de conflit et rapports entre les lois fédérales, provinciales ou territoriales applicables), adaptées à chaque situation, ces deux derniers accords (Tla’amins et Délįnę) reconnaissent le droit des peuples autochtones en cause à l’autonomie gouvernementale et leur pouvoir d’adopter des lois dans divers domaines, dont l’adoption et la garde des enfants ainsi que les services de protection à l’enfance.

- Accord de gouvernance de la nation Dakota de Sioux Valley (2013; entente bipartite entre ce peuple et le gouvernement du Canada, à laquelle le gouvernement du Manitoba a souscrit). Cet accord procède, en détail, à l’établissement d’un gouvernement, celui de l’oyate dakota de Sioux Valley, doté de vastes compétences. Il comporte en son préambule l’affirmation que le Canada « reconnaît et confirme que le droit à l’autonomie gouvernementale est un droit ancestral existant » et qu’il entend instaurer avec ce peuple « une relation de gouvernement à gouvernement dans le cadre de la constitution canadienne » (ce que reprend l’art. 2.02). L’art. 6.02 précise toutefois que « [l]’accord ne constitue pas un énoncé des positions juridiques sur l’autonomie gouvernementale », les parties ne prenant pas position sur la manière de définir juridiquement ce droit (c’est une réserve du même ordre que celle qu’on retrouve dans l’Accord d’autonomie gouvernementale de la première nation Westbank (2003), ou dans l’Entente sur la gouvernance de la Nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada (2017)).

- Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador (2005; entente tripartite entre ce peuple, le gouvernement du Canada et celui de TerreNeuveetLabrador). Sans contenir l’affirmation expresse de l’autonomie gouvernementale de ce peuple comme droit ancestral garanti par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, cet accord n’en établit pas moins un régime d’autonomie gouvernementale sophistiqué (chap. 17), à la suite d’un préambule déclarant généralement que la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît les droits ancestraux ou issus de traités et affirmant la volonté d’établir « un gouvernement libre et démocratique pour les Inuit ». Notons que le Gouvernement Nunatsiavut établi par cet accord a compétence en matière de services sociaux ainsi que de services aux familles, aux jeunes et aux enfants (partie 17.15, avec préséance de la loi inuite, sauf exception – voir art. 17.15.4 et 17.15.7), de même qu’en matière d’adoption (art. 17.18.9 à 17.18.13).

- Quelques mots enfin de l’Entente sur la gouvernance de la Nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada (2017; entente tripartite entre le gouvernement du Canada, le Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee) et le gouvernement de la Nation crie), dont le préambule comporte une reconnaissance formelle par le gouvernement du Canada de l’autonomie gouvernementale comme droit inhérent protégé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ainsi que l’affirmation d’un dialogue de nation à nation :

ATTENDU QUE les Parties souhaitent conclure une entente de nation à nation qui assurera la modernisation du régime de gouvernance sur les Terres de catégorie IA envisagé, au niveau local, au chapitre 9 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois et prévu précédemment sous forme législative dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec;

[…]

WHEREAS the Parties wish to enter into a nation-to-nation agreement which will provide for the modernization of the governance regime on Category IA Land contemplated, at the local level, in Section 9 of the James Bay and Northern Québec Agreement and previously provided for in legislative form in the Cree-Naskapi (of Quebec) Act;

(…)

ATTENDU QUE la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada, et que le Canada reconnaît, à titre de droit ancestral existant, le droit inhérent des autochtones à l’autonomie gouvernementale;

WHEREAS the Constitution Act, 1982 recognizes and affirms the existing Aboriginal and treaty rights of the Aboriginal peoples of Canada, and Canada recognizes the inherent right of self-government as an existing Aboriginal right;

ATTENDU QUE les positions juridiques de la Nation crie et du Canada peuvent diverger quant à la portée et à la substance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale;

WHEREAS the Cree Nation and Canada may have different legal views as to the scope and content of the inherent right of self-government;

ATTENDU QUE par la présente Entente, la Nation crie et le Canada entendent prévoir un régime de gouvernance crie locale et régionale sur les Terres de catégorie IA sans prendre position sur la manière de définir juridiquement le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale;

WHEREAS by this Agreement, the Cree Nation and Canada intend to set out Cree local and regional government arrangements on Category IA Land without taking positions about how the inherent right of self-government may be defined at law;

[…]

(…)

ATTENDU QUE la présente Entente n’a pas pour objet d’empêcher les Cris de bénéficier de toute mesure législative ou autre, compatible avec la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la présente Entente, édictée à l’avenir en ce qui concerne le régime d’autonomie des Indiens du Canada;

WHEREAS this Agreement is not intended to preclude the Crees from benefitting from future legislative or other measures respecting Indian government in Canada that are not incompatible with the James Bay and Northern Québec Agreement and this Agreement;

[Soulignements ajoutés]

 Cette entente contient des dispositions relatives à la mise en œuvre de cette autonomie par l’établissement d’un régime de gouvernance crie locale et régionale sur les terres attribuées à ce peuple, impose l’élaboration d’une constitution crie (chap. 3), permet à chaque Première Nation crie de même qu’au Gouvernement de la Nation crie d’adopter des lois dans tous les champs de compétence prévus et autres champs pouvant s’y ajouter par la suite (art. 4.25) et prévoit aussi la préséance des lois cries sur les lois provinciales d’application générale, en cas d’incompatibilité, sous certaines réserves (art. 4.3), mais non sur les lois fédérales (art. 4.4, 4.5 et 4.24). Les champs d’intervention législative sont divisés entre les diverses Premières Nations cries (chap. 5 et 6) et le Gouvernement de la Nation crie (chap. 7 et 8). Ces pouvoirs législatifs doivent être exercés dans le respect de la Charte canadienne (art. 2.9), étant entendu que l’entente ne limite en rien ni ne modifie les droits protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (art. 2.8).

- En ce qui concerne la période postérieure à 2019, on peut signaler l’Entente de reconnaissance et de mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale des Métis du Manitoba (2021; entente bipartite entre ce peuple et le gouvernement du Canada), dont le préambule énonce que « [l]e droit à l’autodétermination est reconnu par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est reconnu et confirmé par l’article 35 et protégé par l’article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982 » (point G) et que « [l]e Parlement a édicté des lois affirmant le droit à l’autodétermination des peuples autochtones, y compris le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale » (point N). L’art. 5 de cette entente en définit l’objet comme suit :

5. La présente Entente a pour objet de :

5. The purpose of this Agreement is to:

a. reconnaître, soutenir et promouvoir l’exercice du droit des Métis du Manitoba à l’autodétermination, ainsi que leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale qui est reconnu et confirmé par l’article 35 et protégé par l’article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982, d’une façon qui soit compatible avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et dans le cadre d’un arrangement constructif et tourné vers l’avenir visant à favoriser la réconciliation par la reconnaissance et la mise en œuvre des droits;

a. recognize, support, and advance the exercise of the Manitoba Métis’ right to self-determination, and its inherent right to self-government recognized and affirmed by section 35 and protected by section 25 of the Constitution Act, 1982, in a manner that is consistent with the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, through a constructive, forward-looking, and reconciliation-based arrangement that is premised on rights recognition and implementation;

[…]

(…)

d. servir d’assise à la poursuite des efforts déployés dans le cadre d’une relation de gouvernement à gouvernement pour remédier au « clivage persistant dans notre tissu national » attribuable au défaut du Canada d’agir avec diligence pour s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, lequel a fait en sorte que « [l]es Métis n’ont pas obtenu l’avantage escompté et, après l’arrivée massive de colons, ont été de plus en plus marginalisés et ont dû affronter la discrimination et la pauvreté »;

d. provide a foundation for continuing to address on a government-to-government basis the remedying of “the ongoing rift in the national fabric” caused by Canada’s failure to act diligently to fulfill the obligations set out in section 31 of the Manitoba Act, 1870 as a result of which “the Métis did not receive the intended head start, and following the influx of settlers, they found themselves increasingly marginalized, facing discrimination and poverty”; and

e. éclairer la relation de gouvernement à gouvernement établie entre les Parties et en assurer le maintien.

e. inform and continue the government-to-government relation-ship between the Parties.

L’art. 7 énonce pour sa part que :

7. Le droit des Métis du Manitoba à l’autodétermination est reconnu dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale est reconnu et confirmé par l’article 35 et protégé par l’article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982.

7. The Manitoba Métis has the right to self-determination recognized in the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, and the inherent right to self-government recognized and affirmed by section 35 and protected by section 25 of the Constitution Act, 1982.

Le corps dirigeant des Métis du Manitoba (Fédération Métisse du Manitoba / Manitoba Métis Federation) a le pouvoir d’édicter des lois sur tous les sujets qui lui sont dévolus par l’entente (art. 34), incluant les services à l’enfance et aux familles :

32. Comme l’a confirmé le Parlement dans la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, L.C. 2019, ch. 24, le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des Métis du Manitoba donne compétence à la FMM en ce qui concerne les services à l’enfance et à la famille, et lui confère une autorité législative à l’égard de ces services ainsi que le pouvoir d’administrer et d’appliquer les lois édictées en vertu de cette autorité législative.

32. As affirmed by Parliament in the Act respecting First Nations, Inuit and Métis children, youth and families, S.C. 2019, c. 24, the inherent right of self-government of the Manitoba Métis includes the jurisdiction of the MMF in relation to child and family services, including legislative authority in relation to those services and authority to administer and enforce laws made under that legislative authority.

33. Il est entendu que toute Entente complémentaire sur l’autonomie gouvernementale concernant les services à l’enfance et à la famille peut comprendre des dispositions différentes de celles de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, L.C. 2019, ch. 24.

33. For greater certainty, any Supplementary Self-Government Agreement in respect of child and family services, may include provisions different from those in the Act respecting First Nations, Inuit and Métis children, youth and families, 2019 S.C. 2019, c. 24.

 


[1]  L.C. 2019, ch. 24. Déposée le 28 février 2019, la Loi est entrée en vigueur conformément à un décret pris en vertu de son art. 35 (Décret fixant au 1er janvier 2020 la date d’entrée en vigueur de cette loi, C.P. 2019-1320).

[2]  Le vocabulaire du droit autochtone est en évolution constante. Ainsi, la jurisprudence et les auteurs confondent quelquefois indistinctement les termes « Indiens » et « Autochtones » de même que les termes « nations autochtones », « communautés autochtones », « groupes autochtones », « premières nations », « peuples autochtones », etc. Pour les fins du présent avis, nous avons choisi de favoriser l’usage du terme « Autochtones » pour désigner les individus qui pourraient se prévaloir des droits reconnus et confirmés sous l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, y compris les « Indiens » au sens de la Loi sur les Indiens (L.R.C. 1985, ch. I-5 [« Loi sur les Indiens »]), les Inuit et les Métis. Nous avons aussi choisi de favoriser l’usage de l’expression « peuple autochtone » que l’on retrouve aux art. 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ainsi, à moins que le contexte ne s’y prête pas, nous emploierons les expressions « Autochtones » et « peuples autochtones ». De la même manière, les mots « groupe, collectivité ou peuple autochtones » qui figurent dans la Loi seront également remplacés par l'expression « peuples autochtones ».

[3]  Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 [« Loi constitutionnelle de 1982 »].

[4]  Décret 1288-2019 concernant un renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, (2020) 152 G.O.Q. II, 154, p. 154-155.

[5]  Renvoi à la Cour d’appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières nations, des Inuits et des Métis, C.A. Montréal, no 500-09-028751-196, 25 février 2020, Duval Hesler, j.c.Q.

[6]  Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, no 5 [« Loi constitutionnelle de 1867 »].

[7]  2018 ONSC 3429.

[8]  2018 CF 641.

[9]  Créés en 1991 par la mise en place du Programme fédéral de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, les organismes SEFPN fournissent les services à l’enfance aux membres des Premières Nations qui résident sur une réserve.

[10]  2016 TCDP 2 [« Société de soutien »].

[11]  Infra, par. [167]-[171].

[12]  Affaires indiennes et du Nord, Déclaration par l'Honorable Jean Chrétien, Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien au sujet des revendications des Indiens et des Inuit, Ottawa, Affaires indiennes et du Nord, 1973 [« Politique sur les revendications territoriales globales »].

[13]  Canada, Guide de la politique fédérale – L’autonomie gouvernementale des Autochtones – L’approche du gouvernement du Canada concernant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie, Ottawa, Affaires indiennes et du Nord canadien, 1995.

[14]  Ministère de la Justice, Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones, Ottawa, Ministère de la Justice, 2018 [« Principes de 2018 »].

[15]  A.G. Rés., Doc. off. A.G. N.U., 61e sess., suppl. no 49, Doc. N.U. A/RES/61/295 (2007).

[16]  Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982.

[17]  Le mot « État » pourrait être substitué à celui de « Couronne », mais, vu que ce dernier mot est d’usage courant dans la jurisprudence lorsqu’il s’agit de discuter de questions autochtones, il sera celui retenu dans le présent avis.

[18]  Calder et al. c. Procureur Général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313 [« Calder »].

[19]  R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 [« Sparrow »].

[20]  R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507 [« Van der Peet »].

[21]  R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821 [« Pamajewon »].

[22]  Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010 [« Delgamuukw »].

[23]  Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, vol. 1a, Vancouver, Bureau du Conseil privé, 2019 [« Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Rapport final, vol. 1a »], p. 447; Commission de vérité et réconciliation du Canada, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Montréal, McGillQueens University Press, 2015 [« Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final »], p. 1.

[24]  Le mot « Sauvage » porte en lui une connotation d’infériorité des Autochtones qui reflète l’idéologie colonialiste de l’époque. On le retrouve dans le présent avis chaque fois qu’il apparaît dans le titre d’une loi ou d’un document de l’époque. Autrement, il est remplacé par le mot Autochtone ou Indien, selon le contexte.

[25]  S. Prov. C. 1857, 20 Vict., ch. 26.

[26]  Voir, sur les objectifs et effets de cette loi : Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 1 « Un passé, un avenir », Ottawa, Groupe Communication Canada, 1996 [« Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1 »], p. 290-292. Voir aussi : p. 156-157; Commission de vérité et réconciliation du Canada, Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, vol. 1 « Pensionnats du Canada : L’histoire, partie 1 des origines à 1939 », Montréal, McGillQueens University Press, 2015 [« Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 1 »], p. 69-70.

[27]  Aujourd’hui la Loi constitutionnelle de 1867.

[28]  S.C. 1868, ch. 42.

[29]  Voir à ce sujet : Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 1, p. 119.

[30]  S.C. 1869, ch. 6.

[31]  Voir à ce sujet : Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 1, p. 119-120; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 294-297; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 2 « Une relation à redéfinir », première partie, Ottawa, Groupe Communication Canada, 1996, p. 234-235.

[32]  S.C. 1876, ch. 18. 

[33]  Département de l'Intérieur, Rapport annuel pour l’année expirée le 30 juin 1876, Parlement, Documents de la Session n° 11, 1877, p. xvii, cité dans : Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 297. Voir aussi : Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 1, p. 120121.

[34]  Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 3e lég., 3e sess., 30 mars 1876, p. 952 (D. Laird), cité dans : Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 298.

[35]  Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 298299.

[36]  Id., p. 299.

[37]  Par exemple le potlatch : Acte contenant de nouvelles modifications à l’Acte des Sauvages, 1880, S.C. 1884, ch. 27. Voir : Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 58; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 197 et 313-315.

[38]  Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 5e lég., 1re sess., vol. 2, 9 mai 1883, p. 1175-1176, cité dans : Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 2-3.

[39]  Acte contenant de nouvelles modifications à l’Acte des Sauvages, S.C. 1894, ch. 32.

[40]  Règlement du 10 novembre 1894, (1894) 28 Gaz. C. 1012, p. 1012-1013.

[41]  Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 63-64; Commission de vérité et réconciliation du Canada, Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, vol. 1 « Pensionnats du Canada : L’histoire, partie 2 de 1939 à 2000 », Montréal, McGillQueens University Press, 2015 [« Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 2 »], p. 165.

[42]  Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 2, p. 165-194. La Commission, dans son rapport, insiste sur les lacunes suivantes : les agents des affaires indiennes et le personnel des écoles résidentielles n’ont pas les compétences de travailleurs sociaux, le système mis en place ne permet pas aux enfants de maintenir des liens avec leurs familles, les enfants sont envoyés abusivement et sans motifs valables dans les pensionnats et les fonds versés par le gouvernement fédéral sont insuffisants. Des pensionnats surchargés, avec à leur tête des individus qui n’ont pas les compétences requises afin d’offrir des services de protection à l’enfance, ne pouvaient que mettre les enfants autochtones en péril.

[43]  Voir : Melisa Brittain et Cindy Blackstock, First Nations Child Poverty: A Literature Review and Analysis, Edmonton, First Nations Children's Action Research and Education Service, 2015, p. 61-63; John S. Milloy, A National Crime: The Canadian Government and the Residential School System, 1879 to 1986, Winnipeg, University of Manitoba Press, 1999, p. 212217; Ministère des Affaires Indiennes et du Nord, Indian Residential Schools: A Research Study of the Child Care Programs of Nine Residential Schools in Saskatchewan, Ottawa, Conseil canadien du bien-être social, 1967, p. 62-64; Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes institué pour continuer et terminer l’étude de la Loi sur les Indiens, Procès-verbaux et témoignages, Ottawa, Imprimeur de sa très excellente Majesté le Roi, 1947, fasc. no 5, p. 21.

[44]  Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 2-3.

[45] Loi modifiant la Loi des Sauvages, S.C. 1919-20, ch. 50.

[46]  Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 57.

[47] Comparution de Duncan Campbell Scott devant le Comité spécial de la Chambre des communes chargé d’examiner les modifications de 1920 de la Loi sur les Indiens, citée dans : Ibid.

[48]  Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 2, p. 166.

[49]  Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 43-44.

[50]  Id., p. 44-45.

[51]  Id., p. 80-83.

[52]  Id., p. 83-87.

[53]  Id., p. 89-93.

[54]  Id., p. 93-103.

[55]  Id., p. 95.

[56]  Id., p. 99-100.

[57] Peter Henderson Bryce, Report on the Indian Schools of Manitoba and the Northwest Territories, Ottawa, Imprimerie du Gouvernement, 1907, cité dans : Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 386-387. Voir aussi : Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 95-96.

[59]  Id., p. 62; Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 105-108.

[60]  Voir à cet effet : Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes institué pour continuer et terminer l’étude de la Loi sur les Indiens, Procès-verbaux et témoignages, Ottawa, Imprimeur de sa très excellente Majesté le Roi, 1947, fasc. no 5, p. 18-25.

[61]  Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 2, p. 187-188; Commission de vérité et réconciliation du Canada, Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, vol. 5 « Pensionnats du Canada : Les séquelles », Montréal, McGillQueens University Press, 2015 [« Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 5 »], p. 16. Voir aussi : Public Inquiry into the Administration of Justice and Aboriginal People, Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, vol. 1 « The Justice System and Aboriginal People », Winnipeg, Queen’s Printer, 1991, p. 516-518.

[62]  S.C. 1951, ch. 29.

[63]  Voir, sur le tout : Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 2, p. 187-188; Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 5, p. 16-17; Public Inquiry into the Administration of Justice and Aboriginal People, Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, vol. 1 « The Justice System and Aboriginal People », Winnipeg, Queen’s Printer, 1991, p. 518-520.

[64]  Déclaration sous serment de Nathalie Nepton, 14 octobre 2020, par. 17-18.

[65]  Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 5, p. 17. Voir aussi : Institut des finances publiques et de la démocratie, Enabling First Nations Children to Thrive, Ottawa, Institut des finances publiques et de la démocratie, 2018, p. 26-27; Cindy Blackstock, « Residential Schools: Did They Really Close or Just Morph Into Child Welfare? », (2007) 6:1 Indigenous L.J. 71, p. 73-74; Comité spécial sur l’autonomie politique des Indiens, Rapport du Comité spécial sur l’autonomie politique des Indiens, Ottawa, Imprimeur de la Reine pour le Canada, 1983, p. 33-34.

[66]  Brown v. Canada (Attorney General), 2010 ONSC 3095, par. 1, infirmée en partie par Brown v. Canada (Attorney General), 2013 ONCA 18, repris dans Brown v. Canada (Attorney General), 2017 ONSC 251, par. 7.

[67]  Suzanne Fournier et Ernie Crey, Stolen from our Embrace: The Abduction of First Nations Children and the Restoration of Aboriginal Communities, Vancouver/Toronto, Douglas & McIntyre, 1997, p. 81, tel que cité dans : Brown v. Canada (Attorney General), 2017 ONSC 251, par. 7.

[68]  Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 31-32.

[69]  Id., p. 32 [renvoi omis].

[70]  Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 3 « Vers un ressourcement », Ottawa, Groupe Communication Canada, 1996 [« Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 3 »], p. 32. Voir aussi : Institut des finances publiques et de la démocratie, Enabling First Nations Children to Thrive, Ottawa, Institut des finances publiques et de la démocratie, 2018, p. 27.

[71]  Déclaration sous serment de Nathalie Nepton, 14 octobre 2020, par. 19-20.

[72]  Commission Viens, Rapport final, p. 215. Voir aussi : Société de soutien.

[73]  Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 137-138. Voir aussi : Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 30-31.

[74]  Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 31 [renvoi omis].

[75]  La Convention de règlement est un accord entre le gouvernement du Canada, certains organismes religieux et environ 86 000 Autochtones du Canada qui, à un moment ou un autre, ont fréquenté les pensionnats pour Autochtones. La mise en œuvre de la Convention de règlement a débuté le 19 septembre 2007.

[76]  Les excuses sont reproduites dans : Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 405-407.

[77]  Voir : Riddle c. Canada, 2018 CF 641, par. 14-21; Brown v. Canada (Attorney General), 2018 ONSC 3429, par. 1.

[78]  2017 ONSC 251.

[79]  2018 CF 641.

[80]  2018 ONSC 3429.

[81]  Décret ordonnant qu'une commission soit émise, revêtue du grand sceau du Canada, portant nomination des personnes sus-mentionnées pour faire enquête et rapport sur l'évolution de la relation entre les autochtones (Indiens, Inuit et Métis), le gouvernement canadien et l'ensemble de la société canadienne, laquelle enquête soit désignée sous le nom de COMMISSION ROYALE SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES, C.P. 1991-1597.

[83]  Id., p. 797798; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 3, p. 606-607 et 613.

[84]  Voir par exemple : Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 3, p. 260 et s.

[85]  Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 797.

[86]  Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, vol. 5 « Vingt ans d'action soutenue pour le renouveau », Ottawa, Groupe Communication Canada, 1996, p. 1-2.

[87]  Pour le mandat, voir : Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 371-383.

[88]  Id., p. vii.

[89]  Id., p. 347.

[90]  Id., p. 347-348. Voir aussi : p. 140-148.

[91]  Id., p. 348.

[92]  Fannie Lafontaine, Rapport de l’observatrice civile indépendante : Évaluation de l’intégrité et de l’impartialité des enquêtes du SPVM sur des allégations d’actes criminels visant des policiers de la SQ à l’encontre de femmes autochtones de Val-d’Or et d’ailleurs (phase 1 des enquêtes), Québec, ministère de la Sécurité publique, 2016, p. 11.

[93]  Décret 1095-2016 concernant la constitution de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès, (2017) 149 G.O.Q. II, 24, p. 24-26.

[94]  Id., p. 25, reproduit dans : Commission Viens, Rapport final, p. 21.

[95]  Commission Viens, Rapport final, p. 215-216.

[96]  Id., p. 435.

[97]  Id., p. 236.

[98]  Id., p. 516-519.

[99]  Femmes et égalité des genres Canada, « Document d’information – Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées », 26 novembre 2020.

[100]  Ibid.

[102]  Pour ne mentionner que ceux-ci : Comité spécial sur l’autonomie politique des Indiens, Rapport du Comité spécial sur l’autonomie politique des Indiens, Ottawa, Imprimeur de la Reine pour le Canada, 1983, p. 33-35; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 3, p. 26 et s.; Groupe de travail sur le bien-être des enfants autochtones, Bien-être des enfants autochtones : Rapport aux premiers ministres des provinces et territoires, Ottawa, Secrétariat du Conseil de la fédération, 2015, p. 6-8 et 43-44; Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, « Analyse des trajectoires des jeunes des Premières Nations assujettis à la Loi sur la Protection de la jeunesse. Volet 3 : Analyse de données de gestion des établissements offrant des services de protection de la jeunesse », 2016, p. 11, 14-19 et 73-78. Voir aussi : Affaires Indiennes et du Nord Canada, Évaluation du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations, Ottawa, ministère des Affaires indiennes et du Nord, 2007, p. i-ii; Statistique Canada, La situation des enfants autochtones âgés de 14 ans et moins dans leur ménage, Ottawa, ministère de l’Industrie, 2016, p. 1 et 7-9; Statistique Canada, Les différentes caractéristiques des familles des enfants autochtones de 0 à 4 ans, Ottawa, ministère de l’Industrie, 2017, p. 1 et 5.

[103]  À titre d’exemples : Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 22 et s.; Commission de vérité et réconciliation du Canada, Rapport final, vol. 5, p. 64-68; Groupe de travail sur le bienêtre des enfants autochtones, Bien-être des enfants autochtones : Rapport aux premiers ministres des provinces et territoires, Ottawa, Secrétariat du Conseil de la fédération, 2015, p. 29 et s.

[104]  Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 5, p. 13. Tout ce chapitre du rapport de la Commission de vérité et réconciliation étaye ce constat.

[105]  Id., p. 68-69.

[106]  Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Rapport final, vol. 1a, p. 368. Voir aussi, entre autres : p. 369-387, 397-402, 414-420 et 435-440; Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Rapport final, vol. 1b, p. 219-221.

[107]  Voir, entre autres : Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, « Analyse des trajectoires des jeunes des Premières Nations assujettis à la Loi sur la Protection de la jeunesse. Volet 3 : Analyse de données de gestion des établissements offrant des services de protection de la jeunesse », 2016, p. 14-19 et 73-75.

[108]  RLRQ, c. P-34.1 [« Loi sur la protection de la jeunesse »]. Voir les art. 2.4 sous-par. 5c), 3 al. 2, 4 al. 4, 37.5 et s. Un projet de loi a récemment été déposé auprès de l'Assemblée nationale, visant à modifier cette loi sous divers rapports, dont la mise en place d'un régime propre aux Autochtones : Projet de loi no 15, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives, 42e lég. (Qc), 2e sess., présenté le 1er décembre 2021, notamment à l'art. 54 (ajoutant les art. 131.1 à 131.26 à la Loi sur la protection de la jeunesse).

[109]  Des déclarations sous serment déposées au dossier abordent les difficultés toujours d’actualité : Déclaration sous serment de Derek Montour, 27 novembre 2020, par. 14-64; Déclaration sous serment de Nadine Vollant, 27 novembre 2020, par. 17-35; Déclaration sous serment de Peggie Jérôme, 27 novembre 2020, par. 23-27; Déclaration sous serment d’Isabelle Ouellet, 27 novembre 2020, par. 12-32; Déclaration sous serment d’Amanda Larocque, 30 novembre 2020, par. 21-45; Déclaration sous serment de Marjolaine Siouï, 2 décembre 2020, par. 51-55, 87 et s.; Déclaration sous serment de M. le Chef Ghislain Picard, 7 décembre 2020, par. 39-56 et 70-116; Déclaration sous serment de Charlie Watt Sr., 30 novembre 2020, par. 10-24; Déclaration sous serment de Nancy Etok, 30 novembre 2020, par. 17-54.

[110]  Commission Viens, Rapport final, p. 435. Voir aussi, entre autres : p. 125-127, 473-477 et 487-492.

[111]  Id., p. 487.

[112]  Commission Viens, Rapport final, p. 487-492. Voir aussi : Déclaration sous serment de Marjolaine Siouï, 2 décembre 2020, par. 87118.

[113]  Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Instaurer une société bienveillante pour nos enfants et nos jeunes : Rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Québec, Publications du Québec, 2021, p. 281 et 292.

[114]  L’experte Christiane Guay s’exprime ainsi : « Même si les systèmes de protection de l’enfance diffèrent des pensionnats, puisqu’il ne se donne [sic] pas pour objectif d’éradiquer les cultures et les langues autochtones, le résultat concret est souvent le même : une dévalorisation et une marginalisation des cultures autochtones et un obstacle majeur à la transmission des langues, des pratiques culturelles et des savoirs autochtones » (Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 33).

[115]  Id., p. 16-21 et 30-33; Amy Bombay, Robyn J. McQuaid, Janelle Young et al., « Familial Attendance at Indian Residential School and Subsequent Involvement in the Child Welfare System Among Indigenous Adults Born During the Sixties Scoop Era », (2020) 15:1 First Peoples Child and Family Review 62, p. 71-72; Commission Viens, Rapport final, p. 486-487; Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 5, p. 13 et s., 36-38, 48 et s.; Melisa Brittain et Cindy Blackstock, First Nations Child Poverty: A Literature Review and Analysis, Edmonton, First Nations Children's Action Research and Education Service, 2015, p. 64 et s.; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 3, p. 3840.

[116]  Rapport d’expertise de Nico Trocmé, 26 novembre 2020, p. 13-16, 19-24 et Annexe 2, « Dénouer la protection urgente et le bien-être des enfants : Reconnaître le double mandat de la protection de la jeunesse au Canada », 2020, p. 20-26. Voir aussi : Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Instaurer une société bienveillante pour nos enfants et nos jeunes : Rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, Québec, Publications du Québec, 2021, p. 283; Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 1014; Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, « Analyse des trajectoires des jeunes des Premières Nations assujettis à la Loi sur la Protection de la jeunesse. Volet 3 : Analyse de données de gestion des établissements offrant des services de protection de la jeunesse », 2016, p. 15-17, 42 et 73; Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 5, p. 38-42; Groupe de travail sur le bien-être des enfants autochtones, Bien-être des enfants autochtones : Rapport aux premiers ministres des provinces et territoires, Ottawa, Secrétariat du Conseil de la fédération, 2015, p. 10-11 et 14; Melisa Brittain et Cindy Blackstock, First Nations Child Poverty: A Literature Review and Analysis, Edmonton, First Nations Children's Action Research and Education Service, 2015, p. 71-73; Cindy Blackstock, « Residential Schools: Did They Really Close or Just Morph Into Child Welfare? », (2007) 6:1 Indigenous L.J. 71, p. 75-76.

[117]  Rapport d’expertise de Nico Trocmé, 26 novembre 2020, p. 23.

[118]  Au Québec, à propos de l’incompatibilité avec les principes directeurs de la Loi sur la protection de la jeunesse, voir : Commission Viens, Rapport final, p. 436 et s. Voir aussi : Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 34 et s.; Pièce GP-7, Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Dire les choses comme elles sont : Consultation sur le contenu et l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse et de la Loi sur les jeunes contrevenants dans les communautés des Premières Nations, 1998, p. 51 et s.

[119]  Rapport d’expertise de Nico Trocmé, 26 novembre 2020, p. 15.

[120]  Voir, entre autres : Id., p. 12-13; Melisa Brittain et Cindy Blackstock, First Nations Child Poverty: A Literature Review and Analysis, Edmonton, First Nations Children's Action Research and Education Service, 2015, p. 77-81 et 124-125; Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Un pas de plus vers l’autodétermination et le respect des droits des enfants et des familles des Premières Nations. Processus de consultation pour la réforme du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN), Wendake, Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, 2017, p. 42 et s.

[121]  Melisa Brittain et Cindy Blackstock, First Nations Child Poverty: A Literature Review and Analysis, Edmonton, First Nations Children's Action Research and Education Service, 2015, p. 79-81; Vandna Sinha, Nico Trocmé, Barbara Fallon et al., Kiskisik Awasisak: Remember the Children. Understanding the Overrepresentation of First Nations Children in the Child Welfare System, Ottawa, Assemblée des Premières Nations, 2011, p. 17-19; Cindy Blackstock, « Residential Schools: Did They Really Close or Just Morph Into Child Welfare? », (2007) 6:1 Indigenous L.J. 71, p. 76-77.

[122]  Déclaration sous serment de Nathalie Nepton, 14 octobre 2020, par. 49-56.

[123]  Id., par. 21.

[124]  Id., par. 19-20 et 25.

[125]  Pièce NN-1, Modalités du programme de Services à l’enfance et à la famille des Premières nations, 15 octobre 2020, p. 20-30.

[126]  Voir, sur cette dernière catégorie : Déclaration sous serment de Nathalie Nepton, 14 octobre 2020, par. 21 et 62 et, à titre d’exemple : Pièce NN-2, Tableau sur le mode de fourniture des services à l’enfance et à la famille dans chaque région, août 2020 (où l’on dénombre les Community Well-being and Jurisdiction Initiatives (CWJI) financées au Québec).

[127]  Déclaration sous serment de Nathalie Nepton, 14 octobre 2020, par. 30.

[128]  Id., par. 31-42. Au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest, le financement des services aux enfants autochtones est assuré par des transferts fédéraux aux gouvernements territoriaux : Id., par. 45 et 50.             

[129]  Id., par. 13.

[130]  Ibid. Il semble également que, dans certains cas, des organismes SEFPN fournissent des services hors réserve, mais la nature de ces services et leur mode de financement ne sont pas précisés dans la preuve.

[131]  Commission Viens, Rapport final, p. 201-202. Voir : Loi sur la protection de la jeunesse, art. 32, 33, 37.6 et 37.7. Voir aussi les ententes déposées en preuve par le procureur général du Québec (Pièces CM-13 à CM-23) ainsi que la Pièce CM-3, Entente visant à établir un régime particulier de la protection de la jeunesse pour les membres des communautés de Manawan et Wemotaci entre le Conseil de la Nation Atikamekw et le gouvernement du Québec, 2018.

[132]  Enregistrement de l’audience du 14 septembre 2021, à 9:43:35, référant à : Commission Viens, Rapport final, p. 199200.

[133]  Commission Viens, Rapport final, p. 201.

[134]  Selon la Commission Viens, il s’agirait de huit communautés, mais le procureur général du Québec affirme qu’en date de l’audition du renvoi, quatre d’entre elles ont conclu une entente avec la Direction de la protection de la jeunesse afin d’assumer certains de leurs services : Enregistrement de l’audience du 14 septembre 2021, de 9:44:45 à 9:45:20.

[135]  Commission Viens, Rapport final, p. 200-201. Voir aussi : Déclaration sous serment de Nathalie Nepton, 14 octobre 2020, par. 35.

[136]  Commission Viens, Rapport final, p. 206-207.

[137]  Id., p. 205-206. Voir aussi : Convention de la Baie James et du Nord québécois (1975), art. 14.0.2214.0.24 et 15.0.19-15.0.21.

[138]  Déclaration sous serment de Nathalie Nepton, 14 octobre 2020, par. 56. Voir aussi : par. 63; Déclaration sous serment de Marjolaine Siouï, 2 décembre 2020, par. 69.

[139]  Pièce NN-1, Modalités du programme de Services à l’enfance et à la famille des Premières nations, 15 octobre 2020, p. 30-35.

[140]  La déclaration sous serment de Mme Nepton n’aborde pas cette question plus précise et paraît laisser entendre que chaque réserve est desservie soit par un organisme SEFPN, soit par un organisme provincial.

[141]  On remarque toutefois quelques exceptions.

[142]  Il s’agit du ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, qui est maintenant remplacé par Services aux Autochtones Canada.

[143]  Société de soutien, par. 393.

[144]  Elles allèguent une discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique, en raison d’un financement inéquitable ou insuffisant des services, contrairement à l’art. 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H6 [« Loi canadienne sur les droits de la personne »].

[145]  Société de soutien, par. 28. Voir aussi : par. 456 et 459.

[146]  Id., par. 35. Voir les par. 59-60, qui indiquent que la nature essentielle des programmes SEFPN est d’assurer que les enfants et familles visés reçoivent l’« aide » ou l’« avantage » que sont les services adaptés à la culture et raisonnablement comparables aux services offerts aux autres résidents de la province ou du territoire. Voir aussi : Id., par. 111 et 457.

[147]  Id., par. 66.

[148]  Id., par. 76.

[149]  Id., par. 77. Voir aussi : Id., par. 86 et 110-111.

[150]  Id., par. 83.

[151]  Id., par. 87 et 94-95.

[152]  Id., par. 99-101. Le TCDP (voir les par. 101-104) se réfère aux critères élaborés par la Cour suprême dans Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C.S. 261, par. 36.

[153]  Société de soutien, par. 110.

[154]  Id., par. 216. Ces rapports relèvent également des lacunes dans l’entente bilatérale conclue en 1965 entre le gouvernement fédéral et l’Ontario : Id., par. 217 et s. Pour un survol des ententes avec l’Alberta, la Colombie-Britannique et le Yukon, voir : Id., par. 247-253.

[155]  Id., par. 305.

[156]  Id., par. 305 et 393.

[157]  Id., par. 126-128, 140-141 et 307.

[158]  Id., par. 311 et 315.

[159]  Le TCDP conclut toutefois qu’il n’y a pas d’obligation de présenter une preuve comparative lorsqu’il s’agit d’analyser un argument portant sur la discrimination : Id., par. 323 et s.

[160]  Id., par. 349.

[161]  Id., par. 383 et s. Voir aussi le par. 458 pour un résumé non exhaustif des effets préjudiciables relevés.

[162]  Id., par. 394. Voir aussi : Id., par. 404. Le TCDP fait un historique du système des pensionnats autochtones et de leurs répercussions aux par. 406 et s.

[163]  Id., par. 422.

[164]  Id., par. 459.

[165]  Id., par. 463.

[166]  Id., par. 468.

[167]  Id., par. 481.

[168]  Id., par. 482-490 et 493-494.

[169]  Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 10; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2016 TCDP 16; Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2017 TCDP 7; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2017 TCDP 14; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2017 TCDP 35; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2018 TCDP 4; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 7; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2020 TCDP 20; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2020 TCDP 36. Certaines de ces décisions ont fait l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, Canada (Attorney General) v. First Nations Child and Family Caring Society of Canada, 2021 FC 969, avis d’appel, 29 octobre 2021, no A-290-21 (procédures d’appel suspendues). Voir aussi : Pièce NN1, Modalités du programme de Services à l’enfance et à la famille des Premières nations, 15 octobre 2020, p. 7-10.

[170]  Aucune décision n’a été rendue spécifiquement à ce sujet, mais le TCDP conserve à ce jour sa compétence. Il évoque les éventuelles mesures de réparation à long terme dans une décision récente : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2021 TCDP 12, par. 3, précisant que des étapes restaient à franchir à cet égard.

[171]  Par exemple, Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2020 TCDP 24, où une partie alléguait le non-respect des ordonnances rendues en matière de financement de services de représentant de bande et de services de santé mentale en Ontario. Voir aussi : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2021 TCDP 12, qui porte sur une ordonnance sur consentement « visant à faire statuer que les enfants et familles des Premières Nations qui vivent dans les réserves et au Yukon et qui reçoivent des services d’un organisme ou d’un fournisseur de services provincial ou territorial entrent dans le champ d’application des actuelles ordonnances de réparation du Tribunal » (par. 1).

[172]  Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 39.

[173]  Il s’agit d’une réparation de 20 000 $ pour le préjudice moral (al. 53(2)e)) et de 20 000 $ pour discrimination délibérée ou inconsidérée (par. 53(3)). En concluant de la sorte, le TCDP rejette l’argument avancé par le procureur général du Canada selon lequel seule une réparation systémique peut être ordonnée, et non individuelle. Au contraire, une indemnité individuelle peut être octroyée aux victimes, bien qu’elles ne soient pas des plaignantes, en surplus des autres ordonnances de nature systémique, voir : Id., par. 146 et 154.

[174]  Id., par. 13.

[175]  Selon le cas, l’un ou les deux parents ou grands-parents ont également droit à une indemnité.

[176]  Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 39, par. 231-233.

[177]  Id., par. 242.

[178]  Id., par. 253-257.

[179]  C.F., no T-1621-19.

[180]  Canada (Attorney General) v. First Nations Child and Family Caring Society of Canada, 2021 FC 969, avis d’appel, 29 octobre 2021, no A-290-21 (procédures d’appel suspendues). Ces procédures d’appel ont été suspendues à la suite de la conclusion d’ententes de principe « sur une résolution globale relative à l'indemnisation des personnes lésées par le sousfinancement discriminatoire des services à l'enfance et à la famille des Premières nations et à la réalisation d'une réforme à long terme du programme des services à l'enfance et à la famille des Premières nations et du principe de Jordan, afin qu'aucun enfant ne soit à nouveau victime de discrimination » (Service aux Autochtones Canada, « Conclusion d'accords de principe sur l'indemnisation et la réforme à long terme des services à l'enfance et à la famille des Premières nations et du principe de Jordan », 4 janvier 2022).

[181]  Voir : Société de soutien, par. 381.

[182]  Christiane Guay et Lisa Ellington, Recension des écrits, secteur protection de la jeunesse, Pièce PD-5 soumise dans le cadre de la Commission Viens, 2018, p. 45.

[183]  Voir : Déclaration sous serment de Cindy Blackstock, 4 décembre 2020, par. 57; Société de soutien, par. 352.

[184]  Déclaration sous serment de Cindy Blackstock, 4 décembre 2020, par. 60; Société de soutien, par. 351.

[185]  Société de soutien, par. 351.

[186]  Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 39e lég., 2e sess., vol. 142, no 12, 31 octobre 2007, p. 642 (J. Crowder).

[187]  Chambre des communes, Journaux, 39e lég., 2e sess., no 36, 12 décembre 2007, p. 307-309 (vote no 27).

[188]  Société de soutien, par. 381-382 et 391.

[189]  Voir : Déclaration sous serment d’Isa Gros-Louis, 15 octobre 2020, par. 14-16. Voir aussi : Services aux Autochtones Canada, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Trousse d’information technique, Gatineau, Services aux Autochtones Canada, 2020, p. 7; Déclaration sous serment de Mary Ellen Turpel-Lafond, 4 décembre 2020, par. 20-22.

[190]  Services aux Autochtones Canada, « Allocution de la ministre Jane Philpott à la Réunion d’urgence sur les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, des Inuits et de la Nation métisse », 24 avril 2018.

[191]  Sur l’opportunité de permettre aux peuples autochtones d’élaborer leurs propres règles en matière de protection de l’enfance et de services sociaux, voir par exemple : Comité spécial sur l’autonomie politique des Indiens, Rapport du Comité spécial sur l’autonomie politique des Indiens, Ottawa, Imprimeur de la Reine pour le Canada, 1983, p. 35; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 3, p. 49-50, 59 (point 3.2.2.) et 755-757; Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, « Projet de gouvernance en santé et en services sociaux des Premières Nations au Québec. Améliorer le bien-être par une meilleure gouvernance », 2015, p. 11-13; Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Un pas de plus vers l’autodétermination et le respect des droits des enfants et des familles des Premières Nations. Processus de consultation pour la réforme du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations (SEFPN), Wendake, Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, 2017, p. 32-34; Comité consultatif national sur la réforme du Programme de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, « Interim Report of the National Advisory Committee on First Nations Child and Family Services Program Reform », 2018, p. 15, par. 17. Voir aussi : Premier ministre du Canada, « Notes d’allocution du PM à l’Assemblée des Premières Nations », 4 décembre 2018.

[192]  Pièce IGL-3, Compte rendu de « Enfants et familles réunis : Réunion d’urgence sur les services aux enfants et aux familles autochtones », 31 août 2018, p. 9-11, 13, 42, 49-50 et 61-64 de la pièce non paginée.

[193]  Id., p. 18, 50 et 56-57 de la pièce non paginée.

[194]  Services aux Autochtones Canada, « Engagement du gouvernement fédéral à entreprendre une réforme des services aux enfants et aux familles autochtones », 26 janvier 2018. Sur les liens entre ces engagements et l’adoption de la Loi, voir : Services aux Autochtones Canada, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Trousse d’information technique, Gatineau, Services aux Autochtones Canada, 2020, p. 7, point 6 et p. 12-13; Chambre des communes, Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, Témoignages, 42e lég., 1re sess., no 149, 9 mai 2019, p. 24-25 (P. Bellegarde); Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 409, 3 mai 2019, p. 27 323-27 324 (D. Vandal); Sénat, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Délibérations, 42e lég., 1re sess., fasc. 52, 9, 10 et 11 avril 2019, p. 52:10-52:11 (J.-F. Tremblay).

[195]  Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 409, 3 mai 2019, p. 27 324 (D. Vandal). Voir aussi : Services aux Autochtones Canada, « Progrès à l'égard des 6 mesures visant la surreprésentation des enfants autochtones pris en charge », 7 juin 2020; Déclaration sous serment d’Isa Gros-Louis, 15 octobre 2020, par. 27-34.

[196]  Déclaration sous serment d’Isa Gros-Louis, 15 octobre 2020, par. 30; Déclaration sous serment de Mary Ellen Turpel-Lafond, 4 décembre 2020, par. 28.

[197]  Déclaration sous serment de Mary Ellen Turpel-Lafond, 4 décembre 2020, Pièce D, Courriel de Mme Joanne Wilkinson aux membres du groupe de référence, 9 octobre 2018.

[198]  Voir : Déclaration sous serment de Mary Ellen Turpel-Lafond, 4 décembre 2020, par. 19, Pièce C, Document formulant l’opinion préconisée pour la loi visant le bien-être des enfants, des jeunes et des familles des Premières Nations, des Inuits et de la Nation métisse, 2018, point 3.

[199]  Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 389, 28 février 2019, p. 25 887 (S. O’Regan).

[200]  Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, Rapport final, vol. 1b, p. 219, point 12.1. Voir aussi : point 12.2.

[201]  Id., p. 219, point 12.3.

[202]  Id., p. 219, point 12.4.

[203]  Id., p. 220, point 12.6.

[204]  Sénat, Débats du Sénat, 42e lég., 1re sess., vol. 150, no 308, 21 juin 2019, p. 8845.

[205]  Décret fixant au 1er janvier 2020 la date d’entrée en vigueur de cette loi, C.P. 2019-1320.

[206]  Voir : Services aux Autochtones Canada, « Avis et demandes liés à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis », 18 et 21 janvier 2022. Voir aussi : Pièce DM-6, Courriel de Derek Montour à Julie Gauthier (ministère de la Santé et des Services sociaux), 4 février 2020; Déclaration sous serment de Nadine Vollant, 27 novembre 2020, par. 37-47; Déclaration sous serment de Peggie Jérôme, 27 novembre 2020, par. 45-48; Déclaration sous serment d’Isabelle Ouellet, 27 novembre 2020, par. 58; Déclaration sous serment de Marjolaine Siouï, 2 décembre 2020, par. 151-155.

[207]  Un concept dont les contours et le contenu restent à définir (même si le point de départ habituel de la discussion sur ce sujet est généralement celui de la « presumption of overarching Crown sovereignty, but connected to it seems to be the thought that whatever forms Indigenous sovereignty might retain, they all exist within this larger sovereign structure » (Gordon Christie, Canadian Law and Indigenous Self-Determination: A Naturalist Analysis, Toronto, University of Toronto Press, 2019, p. 125 [renvoi omis]). Sur la manière de considérer ce concept et le droit qui en découle, voir (outre l’ouvrage de Christie) : John Borrows, Indigenous Law and Governance: Challenging Pre-Contact and Post-Contact Distinctions in Canadian Constitutional Law?, Conférences Chevrette-Marx, Montréal, Thémis, 2017, p. 3-36; Sébastien Grammond, Terms of Coexistence: Indigenous Peoples and Canadian Law, Toronto, Carswell, 2013, ch. 4, p. 351 et s.; Andrée Lajoie (dir.), Gouvernance Autochtone : aspects juridiques, économiques et sociaux, Montréal, Thémis, 2007. Voir aussi : Kerry Wilkins, Essentials of Canadian Aboriginal Law, Toronto, Thomson Reuters, 2018, p. 266 et s., par. 470 et s.

[208]  À l’instar de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Desautel, 2021 CSC 17 [« Desautel »], dans cet avis, nous utilisons l’expression « titre ancestral » plutôt que les expressions « titre aborigène » ou « titre autochtone » quelquefois reprises dans la jurisprudence.

[209]  Les juges Martland, Judson et Ritchie, sous la plume du second, concluent toutefois que ce droit, fondé sur l’occupation antérieure des terres de la Colombie-Britannique par les Autochtones, mais subordonné subséquemment au « bon plaisir du Souverain » (p. 328 in fine), a été éteint avant la Confédération (p. 338 in fine-339), lorsque « l’autorité souveraine a décidé d’exercer sur Ses terres en litige une suprématie complète contraire à tout droit d’occupation de la tribu nishga lorsque, par une loi, elle a ouvert ces terres à la colonisation à l’exception des réserves mises de côté aux fins de l’occupation indienne » (p. 344).

Pour leur part, les juges Hall, Spence et Laskin, sous la plume du premier, sont d’avis que les Nishga sont, du fait de leur occupation immémoriale des terres litigieuses, présumés en être les propriétaires en common law (p. 375) et qu’ils en ont certainement, en common law, la possession et la jouissance (p. 376), droit qui « ne pouvait pas être éteint par la suite sauf par cession à la Couronne ou par le pouvoir législatif compétent, et alors uniquement au moyen d’une loi précise » (p. 402), ce qui ne s’est pas produit.

Sans se prononcer sur le fond, le juge Pigeon, retenant un argument de procédure, se range à la conclusion de ses collègues Martland, Judson et Ritchie, d’où le rejet du pourvoi de M. Calder.

[210]  Affaires indiennes et du Nord, Politique sur les revendications territoriales globales et état des revendications, Ottawa, Affaires indiennes et du Nord, 2000, p. 1.

[211]  C’est ce que l’on constate par exemple du document suivant, publié en 2003, et qui traite de front des deux politiques : Affaires indiennes et du Nord Canada, Mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales globales et sur l’autonomie gouvernementale. Guide à l’intention des représentants du gouvernement fédéral, Ottawa, Affaires indiennes et du Nord canadien, 2003.

Voir également : Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, Le renouvellement de la Politique sur les revendications territoriales globales : vers un cadre pour traiter des droits ancestraux prévus par l'article 35, Gatineau, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2014, notamment aux p. 8, 9, 12, 14, 15 et 18-19. Le gouvernement, renvoyant à sa Politique sur l’autonomie gouvernementale de 1995, enchâsse dans son cadre de négociation des droits ancestraux la possibilité d’inclure dans les ententes des dispositions relatives à l’autonomie gouvernementale en vue de permettre aux peuples autochtones de « gouverner leurs propres affaires de manière claire et prévisible afin de faciliter les relations intergouvernementales et l’application des lois » (p. 12).

[212]  Dont les conférences convoquées en vertu des art. 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 afin de discuter de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones, et autres conférences, dont celle qui a donné lieu à l’Accord de Charlottetown, rejeté par référendum populaire. Voir à ce propos : Argumentation au mémoire du procureur général du Québec, par. 104-124.

[213]  Politique sur l’autonomie gouvernementale, p. 3 et 4.

[214]  On notera qu’un discret appel à la négociation comme outil (non exclusif) de la mise en œuvre de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 figure déjà dans Sparrow, p. 1105, arrêt antérieur à la publication de la Politique sur l’autonomie gouvernementale. C’est un appel que la Cour suprême réitérera subséquemment, de façon beaucoup plus vigoureuse. Voir par ex. : Delgamuukw, par. 186, citant Sparrow; Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511 [« Nation haïda »], par. 14 in fine, 20, 25 et 38; Clyde River (Hameau) c. Petroleum GeoServices Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069, par. 24; ainsi que, tout récemment, Desautel, par. 87-91.

[215]  Selon le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, au 25 août 2020, on compterait « 25 ententes sur l’autonomie gouvernementale visant 43 communautés autochtones et 2 ententes sur l’éducation visant 35 communautés autochtones » (Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, « Autonomie gouvernementale », 25 août 2020). On notera que ces ententes sur l’autonomie gouvernementale recoupent les ententes sur les revendications territoriales globales et semblent par ailleurs inclure toutes les ententes négociées en vertu de la Loi sur l’autonomie gouvernementale des premières nations du Yukon (L.C. 1994, ch. 35). Il y a par ailleurs trois ententes sur l’éducation.

Signalons aussi que divers accords-cadres ont été conclus avec quelques nations, en vue de pourvoir à l’établissement d’un gouvernement autochtone et à la reconnaissance d’une autonomie gouvernementale, mais sans qu’un accord final ait encore été conclu. Voir par ex. :

- Entente de principe de la Nation Anishinabek sur la gouvernance (2007, entente bipartite entre cette nation et le gouvernement du Canada), dont le préambule et l’art. 2.9 indiquent que le gouvernement du Canada reconnaît le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale comme droit ancestral protégé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, sans toutefois prendre position sur le contenu précis de ce droit;

- Entente de principe sur l’autonomie gouvernementale de la Première Nation Miawpukek (2013, entente tripartite entre cette nation, le gouvernement du Canada et la province de Terre-Neuve-et-Labrador), qui n’emploie pas dans son corps le terme « autonomie gouvernementale », mais entend conférer au « gouvernement de la Première Nation de Miawpukek » une compétence législative sur l’éducation, la santé, les services à l’enfance et à la famille, entre autres, avec préséance de la loi autochtone sur la loi fédérale ou provinciale, dans certains cas.

Quelques ententes ont également été conclues après 2017 ou même après l’adoption de la Loi (en vertu d’un processus commencé bien avant). Il en va ainsi de l’Entente de reconnaissance et de mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale des Métis du Manitoba (2021, entente bipartite entre la Fédération Métisse du Manitoba et le gouvernement du Canada), du Métis Government Recognition and Self-Government Agreement (2019, entente bipartite entre la Métis Nation of Ontario et le gouvernement du Canada), du Métis Government Recognition and Self-Government Agreement (2019, entente bipartite entre la Métis Nation – Saskatchewan et le gouvernement du Canada) et du Métis Government Recognition and Self-Government Agreement (2019, accord bipartite entre la Métis Nation of Alberta et le gouvernement du Canada).

 D’autres ententes liant revendications territoriales et autonomie gouvernementale sont en cours de négociation, avec ou sans ententes de principe ou ententes-cadres. Il y aurait actuellement 80 tables de discussion actives avec autant de nations. Voir : Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, « Reconnaissance des droits – Tables de discussion », 16 décembre 2020; Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, « Ententes en cours de négociation », 18 juin 2018.

[216]  Cette entente et la loi qui la met en œuvre sont considérées par le gouvernement fédéral comme un accord d’autonomie gouvernementale sectoriel, conclu en l’espèce avec des bandes autrement régies par la Loi sur les Indiens.

[217]  L.C. 1998, ch. 24.

[218]  L.C. 2000, ch. 7. L’accord ainsi mis en vigueur est particulièrement extensif.

[219]  L.C. 2004, ch. 17.

[220]  L.C. 2005, ch. 1.

[221]  L.C. 2005, ch. 27. L’accord mis en œuvre par cette loi (qui avalise également un accord fiscal) reconnaît au gouvernement inuit du Labrador le pouvoir d’adopter des lois en matière de services sociaux en général et notamment de services aux enfants, aux jeunes et aux familles (art. 17.15), avec un accent sur la prévention (art. 17.15.1 al. (a)). Voir infra, annexe B. L’accord reconnaît également au gouvernement inuit (comme à celui d’une communauté inuite) le pouvoir d’« incorporer par renvoi dans une loi inuite [ou] dans un règlement, toute loi d’application générale concernant une matière qui relève de sa compétence en vertu de l’Accord » (art. 17.7.1).

[222]  L.C. 2006, ch. 10. Cette loi confère des pouvoirs législatifs aux nations participantes en matière d’éducation sur leurs terres (art. 9).

[223]  L.C. 2008, ch. 32.

[224]  L.C. 2009, ch. 18.

[225]  L.C. 2014, ch. 1.

[226]  L.C. 2014, ch. 11.

[227]  L.C. 2015, ch. 24.

[228]  L.C. 2017, ch. 32. Cette loi confère des pouvoirs législatifs aux nations participantes en matière d’éducation sur leurs terres (art. 7, qui est le pendant de l’art. 5.1 de l’accord mis en œuvre par la loi).

[229]  L.C. 2018, ch. 4, art. 1.

[230]  C’est le cas des ententes mentionnées dans l’annexe B du présent avis.

[231]  C’est le cas des lois suivantes : Loi sur l’éducation des Mi’kmaq; Loi sur l’Accord définitif Nisga’a; Loi sur l'autonomie gouvernementale de la première nation de Westbank; Loi sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale du peuple tlicho; Loi sur la compétence des premières nations en matière d’éducation en Colombie-Britannique; Loi sur la gouvernance de la nation dakota de Sioux Valley; Loi sur l’accord en matière d’éducation conclu avec la Nation des Anishinabes. C’est également le cas de la Loi sur l’accord concernant la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee.

[232]  C’est le cas des lois suivantes : Loi sur l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador; Loi sur l’accord définitif concernant la Première Nation de Tsawwassen; Loi sur l’accord définitif concernant les premières nations maanulthes; Loi sur l’accord définitif concernant les Tlaamins; Loi sur l’accord définitif sur l’autonomie gouvernementale de Deline. Le préambule des lois relatives aux peuples Tsawwassen, maanulthes et Tlaamins contient également la mention « qu’il importe aux Canadiens et Canadiennes, sur les plans tant social qu’économique, de concilier l’antériorité de la présence de peuples autochtones et l’affirmation de souveraineté de l’État ». La loi relative à Délįnę, dans son préambule, use par ailleurs expressément du terme « autonomie gouvernementale », comme elle le fait dans son titre.

[233]  Voir ainsi, parmi les ententes répertoriées plus haut : Accord définitif Nisga’a (1999), chap. 11, rubrique « Compétence et pouvoirs législatifs », art. 8993 (services à l’enfance et à la famille); Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale conclu entre le peuple Tłı̨chǫ, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Canada (2003), art. 7.4.4 al. (g) (services à l’enfance et à la famille); Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador (2005), partie 17.15 (services sociaux, à la famille, aux jeunes et aux enfants); Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen (2007), chap. 16 (« Gouvernance »), art. 69-76 (services de protection de l’enfance) et 99-100 (services de développement familial); Accord définitif des premières nations maa-nulthes (2007-2009), art. 13.16.1 et s. (services de protection de l’enfance); Accord de gouvernance de la nation Dakota de Sioux Valley (2013), art. 20.01 (soins, protection et tutelle des enfants ayant besoin de protection); Accord définitif des Tla’amins (2014), chap. 15 (« Gouvernance »), art. 73-81 (services de protection de l’enfance) et 99-100 (soins à l’enfant); Accord définitif sur l’autonomie gouvernementale de Délįnę (2015), chap. 11 (services à l’enfance et à la famille et protection de l’enfant).

[234]  Voir la déclaration sous serment d'Isa Gros-Louis, 15 octobre 2020, par. 83-86, particulièrement au par. 86 :

86. I was informed that, to date, Indigenous Governments have yet to exercise their law-making authority in relation to child and family services under their self-government agreements or Treaties.

[235]  L.C. 2005, ch. 9.

[236]  L.C. 2013, ch. 20.

[237]  Une réserve identique figure dans le préambule de la Loi sur la gestion financière des premières nations.

[238]  On soulignera le langage de l’habilitation législative, une reconnaissance plutôt, qui ne s’adresse pas aux conseils de bande désignés en vertu de la Loi sur les Indiens. C’est la Première Nation elle-même qui détient et exerce la compétence législative, sur consultation populaire menée par le conseil :

4 La présente loi a pour objet l’adoption par les premières nations de textes législatifs — et l’établissement de règles provisoires de procédure ou autres — applicables, pendant la relation conjugale ou en cas d’échec de celle-ci ou de décès de l’un des époux ou conjoints de fait, en matière d’utilisation, d’occupation et de possession des foyers familiaux situés dans les réserves des premières nations et de partage de la valeur des droits ou intérêts que les époux ou conjoints de fait détiennent sur les constructions et terres situées dans ces réserves.

4 The purpose of this Act is to provide for the enactment of First Nation laws and the establishment of provisional rules and procedures that apply during a conjugal relationship, when that relationship breaks down or on the death of a spouse or common-law partner, respecting the use, occupation and possession of family homes on First Nation reserves and the division of the value of any interests or rights held by spouses or commonlaw partners in or to structures and lands on those reserves.

 

7 (1) Toute première nation peut adopter des textes législatifs applicables, pendant la relation conjugale ou en cas d’échec de celle-ci ou de décès de l’un des époux ou conjoints de fait, en matière d’utilisation, d’occupation et de possession des foyers familiaux situés dans ses réserves et de partage de la valeur des droits ou intérêts que les époux ou conjoints de fait détiennent sur les constructions et terres situées dans ses réserves.

 

7 (1) A First Nation has the power to enact First Nation laws that apply during a conjugal relationship, when that relationship breaks down or on the death of a spouse or common-law partner, respecting the use, occupation and possession of family homes on its reserves and the division of the value of any interests or rights held by spouses or common-law partners in or to structures and lands on its reserves.

 

8 (1) Lorsqu’une première nation a l’intention d’adopter des textes législatifs en vertu de l’article 7, le conseil de la première nation soumet le projet de textes législatifs à l’approbation des membres de celle-ci.

8 (1) If a First Nation intends to enact First Nation laws under section 7, the council of the First Nation must submit the proposed First Nation laws to the First Nation members for their approval.

 

[239]  Il faut dire aussi que, sous une forme ou sous une autre, le thème de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones (et particulièrement celle des Premières Nations) sous-tend plusieurs projets de loi déposés au cours des ans devant la Chambre des communes ou le Sénat, projets visant une reconnaissance générique de cette autonomie. Mentionnons ainsi :

- le projet de loi C-52, intitulé Loi relative à l’autonomie gouvernementale des nations indiennes, déposé en 1984;

- le projet de loi S-10, intitulé Loi prévoyant l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, déposé en 1995;

- le projet de loi S-9, intitulé Loi prévoyant l’autonomie gouvernementale des premières nations du Canada, déposé en 1996;

- le projet de loi S-12, intitulé Loi prévoyant l'autonomie gouvernementale des premières nations du Canada, déposé en 1996;

- le projet de loi S-14, intitulé Loi prévoyant l'autonomie gouvernementale des premières nations du Canada, déposé en 1998;

- le projet de loi S-38, intitulé Loi proclamant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des premières nations du Canada, déposé en 2002;

- le projet de loi C-61, intitulé Loi concernant le choix des dirigeants, le gouvernement et l'obligation de rendre compte des bandes indiennes et modifiant certaines lois, déposé en 2002, projet intéressant qui prévoit notamment, en son préambule, que la « Loi sur les Indiens et la présente loi n’ont pas pour but de définir la nature et l’étendue de tout droit à l’autonomie gouvernementale ou d’anticiper l’issue des négociations portant sur celle-ci »;

- le projet de loi S-16, intitulé Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l’autonomie gouvernementale des premières nations du Canada, déposé en 2004;

- le projet de loi S-216, intitulé Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l’autonomie gouvernementale des premières nations du Canada, déposé en 2006;

- le projet de loi S-234, intitulé Loi constituant une assemblée des peuples autochtones du Canada et un conseil exécutif, déposé en 2008;

- le projet de loi S-212, intitulé Loi prévoyant la reconnaissance de l’autonomie gouvernementale des Premières Nations du Canada, déposé en 2012;

- le projet de loi C-33, intitulé Loi établissant un cadre permettant aux premières nations de contrôler leurs systèmes d’éducation primaire et secondaire, pourvoyant à leur financement et modifiant la Loi sur les Indiens et d’autres lois en conséquence, déposé en 2014.

[240]  Vu la situation minoritaire des Autochtones au Canada, le modèle du gouvernement fondé sur la nation est privilégié. Sur le cas du Nunavut, voir infra, annexe A.

[241]  Principes de 2018, p. 4.

[242]  Ces ententes comportent souvent l’exigence que la collectivité se dote d’une constitution dont le contenu est assez étroitement défini ainsi que de normes de gouvernance (éthique, transparence, reddition de comptes, etc.). Elles régissent en outre avec un certain degré de détail l’exercice des compétences reconnues aux entités gouvernementales autochtones. N’en donnons ici que deux exemples : celui de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador (2005), chap. 17; celui de l’Accord définitif Nisga’a (1999), chap. 11.

On pourra comparer aussi avec le cadre normatif établi par la Loi sur les Indiens, notamment aux art. 74 à 86, ainsi que par la Loi sur les élections au sein de premières nations, L.C. 2014, ch. 5.

[243]  Services aux Autochtones Canada, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Trousse d’information technique, Gatineau, Services aux Autochtones Canada, 2020, p. 6. Voir aussi : Sénat, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Délibérations, 42e lég., 1re sess., fasc. 53, 30 avril et 1er et 2 mai 2019, p. 53:102 (S. O’Regan).

[244]  Sénat, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Délibérations, 42e lég., 1re sess., fasc. 52, 9, 10 et 11 avril 2019, p. 52:27 et 52:28 (J.-F. Tremblay).

[245]  L.C. 2019, ch. 23 (sanctionnée le 21 juin 2019, tout comme la Loi).

[246]  L.C. 2019, ch. 29, art. 336 (également sanctionnée le 21 juin 2019), ministère dont la mission est de fournir aux « organisations autochtones la possibilité de participer à l’élaboration, à la prestation, à l’évaluation et à l’amélioration » de certains services (al. 7a)) et de « [prendre] les mesures indiquées pour opérer le transfert progressif, à des organisations autochtones, des responsabilités du ministère en ce qui a trait à l’élaboration et à la prestation de ces services » (al. 7b)), dans le cadre des ententes conclues en vertu de l’art. 9 de la loi.

[247]  L.C. 2019, ch. 29, art. 337 (elle aussi sanctionnée le 21 juin 2019). La mission de ce ministère consiste à « assumer un rôle de premier plan au sein du gouvernement du Canada en ce qui a trait à la confirmation et à la mise en œuvre des droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 […] » (al. 7a)), à négocier les traités et accords « pour favoriser l’autodétermination de ces peuples » (al. 7b)) et à « favoriser la réconciliation avec ces peuples, en collaborant avec eux et grâce à des relations renouvelées de nation à nation, de gouvernement à gouvernement et entre les Inuits et le Canada » (al. 7c)).

[248]  Loi sur le ministère des Services aux Autochtones, L.C. 2019, ch. 29, art. 336, par. 6(2) et art. 7, 8 et 9.

[249]  L.C. 2021, ch. 14.

[250]  Cette loi impose notamment au gouvernement du Canada, « en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones », de prendre « toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles » avec la Déclaration des Nations Unies (art. 5).

 Dans un autre ordre d’idées, on peut mentionner aussi la modification apportée concomitamment au serment ou à l’affirmation solennelle de citoyenneté par la Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada) (L.C. 2021, ch. 13) qui comporte la promesse d’observer les lois du Canada, « y compris la Constitution, qui reconnaît et confirme les droits — ancestraux ou issus de traités — des Premières Nations, des Inuits et des Métis ».

[251]  Certains peuples offrent déjà leurs propres services, en totalité ou en partie, notamment par l’intermédiaire des organismes SEFPN dont il a été question dans le chapitre précédent, mais ce n’est pas actuellement le cas de tous.

[252]  Voir aussi la description qu’offrent de cette consultation le décret de mise en vigueur de la Loi (Décret fixant au 1er janvier 2020 la date d’entrée en vigueur de cette loi, C.P. 20191320), ou encore la Trousse d’information technique publiée en 2020 par le ministère des Services aux Autochtones (Services aux Autochtones Canada, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Trousse d’information technique, Gatineau, Services aux Autochtones Canada, 2020, p. 7).

 La réalité ou la qualité de ce processus a été cependant contestée par plusieurs intervenants, dont le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones rapporte les préoccupations (Sénat, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, La teneur du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 42e lég, 1re sess., 17e rapport, 13 mai 2019, p. 7).

[253]  Déclaration sous serment de Mary Ellen Turpel-Lafond, 4 décembre 2020, par. 23 et s.

[254]  Au cours du processus parlementaire menant à l’adoption de la Loi, un certain nombre d’intervenants ont ainsi manifesté leur insatisfaction à l’endroit de cette consultation. Voir par ex. : Chambre des communes, Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, Témoignages, 42e lég., 1re sess., no 149, 9 mai 2019, p. 28 (A. Dumas); Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Délibérations, 42e lég., 1re sess., fasc. 52, 9, 10 et 11 avril 2019, p. 52:45-52:46 (C. Blackstock), 52:48 et 52:55 (F. Joe); Sénat, Débats du Sénat, 42e lég., 1re sess., vol. 150, no 299, 10 juin 2019, p. 8448 (D. G. Patterson, rapportant certains passages du mémoire présenté par l’organisme Chiefs of Ontario).

[255]  L’argumentation au mémoire du procureur général du Québec (par. 155) note d’ailleurs ce manque de coordination avec les autorités provinciales et rappelle que certains (incluant des intervenants autochtones) ont souligné cette faiblesse au moment des débats relatifs à l’adoption de la Loi.

[256]  1992/3 R.T. Can.

[257]  Préambule de la Loi, septième attendu. La version anglaise de cet attendu distingue elle aussi le droit à l’autodétermination des peuples autochtones de leur droit à l’autonomie gouvernementale : « Whereas Parliament affirms the right to self-determination of Indigenous peoples, including the inherent right of self-government, which includes jurisdiction in relation to child and family services; ». Considérant le cadre général du préambule et le texte même de l’al. 8c) de la Loi (voir infra), on comprend que ce droit à l’autodétermination est celui que reconnaissent les art. 3, 4 et 5 de la Déclaration des Nations Unies et que restreint cependant l’art. 46 par. 1 de cette dernière, qui l’assujettit à la préservation de l’intégrité territoriale ou l’unité politique des États qui comptent des peuples autochtones.

[258]  Préambule de la Loi, deuxième paragraphe du neuvième attendu.

[259]  Id., dixième et dernier attendu.

[260]  L’art. 6 de la Loi, qui prévoyait la désignation par décret du ministre responsable de l’application de la Loi, a été supprimé par la Loi no 1 d’exécution du budget de 2019 (L.C. 2019, ch. 29, art. 378), en même temps qu’était modifiée la définition du terme « ministre » dans l’art. 1. Ce dernier désigne désormais le « ministre » responsable comme le ministre des Services aux Autochtones.

[261]  Le terme « corps dirigeant autochtone » est également utilisé dans d’autres lois, depuis 2018, habituellement avec une définition qui coïncide avec celle de la Loi. Ainsi, la Loi sur les langues autochtones (L.C. 2019, ch. 23, art. 2) propose une définition identique à celle de la Loi, tout comme la Loi sur le ministère des Services aux Autochtones (L.C. 2019, ch. 29, art. 336, art. 2), la Loi sur l’évaluation d’impact (L.C. 2019, ch. 28, art. 1, art. 2), la Loi sur l’équité salariale (L.C. 2018, ch. 27, art. 416 (dont l’art. 11 définit les « corps dirigeants autochtones » de la même manière qu’en l’espèce et les exempte temporairement de l’application de la loi)), la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20, art. 79, tel que modifié par L.C. 2019, ch. 27, art. 23) et la Loi sur les pêches (L.R.C. 1985, ch. F-14, par. 2(1), tel que modifié par L.C. 2019, ch. 14, par. 1(8)). La Loi sur le cadre visant à réduire la récidive (L.C. 2021, ch. 18) emploie le terme sans le définir (par. 2(1)). D’autres lois utilisent par contraste l’expression « gouvernement autochtone », parfois définie. Voir par ex. : Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada, L.C. 2002, ch. 18 (pas de définition); Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33 (qui renvoie aux gouvernements établis en fonction d’un accord conclu entre le gouvernement fédéral et un peuple autochtone); Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (dont la définition renvoie à celle de la loi qui suit); Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, L.R.C. 1985, ch. F8 (dont la définition renvoie au « Gouvernement indien, inuit ou métis ou conseil de la bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens »); Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (dont le par. 13(3) énonce une définition à la fois étroite et précise du « gouvernement autochtone », par renvoi à une série d’accords précis). La Loi sur les langues autochtones, en ses art. 25 à 27, utilise également l’expression « gouvernement autochtone », sans la définir.

[262]  Le Canada, qui avait initialement voté contre la résolution de l’Assemblée des Nations Unies (en 2007), a par la suite souscrit à la Déclaration des Nations Unies, d’abord avec réserves (en 2010), puis sans réserve (en 2016). En juin 2021, comme on l’a vu, le Parlement a par ailleurs adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (L.C. 2021, ch. 14). Cette loi est postérieure à la Loi, mais celle-ci présente déjà des caractéristiques congruentes à la Déclaration des Nations Unies, ce qu’illustre la définition qu’elle propose des « corps dirigeants autochtones ».

[263]  Voir supra, note 257.

[264]  On aura noté que plusieurs des accords mentionnés dans les pages précédentes comportent une disposition de même nature. On en retrouve aussi l’équivalent (à d’autres fins) dans la Loi sur le Yukon (L.C. 2002, ch. 7, art. 3).

[265]  L.C. 1993, ch. 28.

[266]  La Cour reviendra sur ce point.

[267]  Voir : Société de soutien, par. 352.

Au sujet de l’inclusion du Principe de Jordan dans la Loi, voir par ex. : Vandna Sinha, Colleen Sheppard, Kathryn Chadwick et al., « Substantive Equality and Jordan's Principle: Challenges and Complexities », (2021) 35 Journal of Law and Social Policy 21, p. 28.

[268]  On verra plus loin que, s’il n’est pas possible de procéder à pareille interprétation et que l’on doit donc conclure à une incompatibilité avec le texte législatif autochtone, il est prévu que la norme décrétée par l’art. 10 l’emporte (par. 22(1), disposition qui ne vise cependant pas tous les textes législatifs autochtones).

[269]  Quoique celui-ci n’ait pas le statut de « partie » reconnu aux parents ou au fournisseur de soins.

[270]  On peut rappeler ici un appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation à ce sujet :

4) Nous demandons au gouvernement fédéral de mettre en place des dispositions législatives en matière de protection des enfants autochtones qui établissent des normes nationales en ce qui a trait aux cas de garde et de prise en charge par l’État concernant des enfants autochtones, et qui prévoient des principes qui :

 […]

iii. établissent, en tant que priorité de premier plan, une exigence selon laquelle le placement temporaire ou permanent des enfants autochtones le soit dans un milieu adapté à leur culture.

(Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 348).

[271]  Commission Viens, Rapport final, p. 435 et s.

[272]  Famille au sens que donne à ce terme l’art. 1 de la Loi.

[273]  L’expression est empruntée à la Commission Viens (Rapport final, p. 446). L’Aboriginal Justice Inquiry du Manitoba parlait pour sa part d’une intrusion « paternalistic and colonial in nature, condescending and demeaning in fact, and often insensitive and brutal » (Public Inquiry into the Administration of Justice and Aboriginal People, Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, vol. 1 « The Justice System and Aboriginal People », Winnipeg, Queen’s Printer, 1991, p. 509).

[274]  Même si leur cadre est bien différent de celui de la Loi, quelques-unes des ententes mentionnées précédemment comportent des dispositions autorisant une nation à établir des cours de justice à certaines fins, moyennant diverses conditions. Voir par ex. : Accord définitif Nisga’a (1999), chap. 12 (« Administration de la justice »), art. 30-44 (établissement et compétence de la Cour Nisga’a) et 4548 (appel des décisions de la Cour Nisga’a à la Supreme Court of British Columbia); Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador (2005), partie 17.28 (« Dispositions générales concernant l’administration de la justice ») et, notamment, art. 17.28.1 al. introductif, ainsi que partie 17.31 (« Cour inuite », dont les jugements sont appelables ou révisables, selon le cas, devant la Supreme Court de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, conformément à l’art. 17.31.21); Accord de gouvernance de la nation Dakota de Sioux Valley (2013), section 53.0 (création d’un tribunal, avec droit d’appel à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en matière d’infractions aux lois de la nation (art. 53.04(3)) et à la Cour du Banc de la Reine ou à la Cour d’appel du Manitoba, selon les circonstances (art. 53.05(6)), dans les autres cas). Notons que cet accord prévoit une intéressante formule de collaboration avec les cours de justice du Manitoba.

[275]  Le par. 20(1), on l’aura noté, n’oblige pas le peuple à donner l’avis qui y est prévu de son intention d’exercer la compétence législative reconnue par l’art. 18 de la Loi. Un peuple, par l’entremise de son corps dirigeant, peut en donner avis, simplement (« may give notice »). On doit sans doute conclure de l’usage de ce verbe (qui marque la possibilité d’agir, mais non pas l’obligation) qu’un peuple pourrait aussi choisir d’exercer sa compétence sans en aviser les gouvernements fédéral ou provinciaux. En pareil cas, les textes législatifs de ce groupe ne bénéficieraient pas des avantages liés à l’application des art. 21 et 22 de la Loi, tout en demeurant visés par les art. 19, 23 et 24 de la Loi (voir infra). Au final, on peut penser que le fait, pour un peuple, de légiférer ainsi, sans en donner d’avis, pourrait se révéler moins pratique.

[276]  La trousse d’information produite par le gouvernement fédéral indique que le corps dirigeant autochtone qui demande la négociation d’un accord de coordination prévu par le par. 20(2) n’a pas à donner l’avis prévu par le par. 20(1). Voir : Services aux Autochtones Canada, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Trousse d’information technique, Gatineau, Services aux Autochtones Canada, 2020, p. 33. On pourrait penser que cette interprétation est justifiée, le corps dirigeant qui demande la conclusion d’un tel accord manifestant de ce fait son intention de légiférer. Toutefois, le texte des dispositions législatives en question pourrait tout aussi bien être interprété comme laissant entendre qu’il s’agit d’obligations distinctes et cumulatives : le corps dirigeant du peuple qui souhaite légiférer en donne avis au ministre fédéral et au gouvernement provincial (par. 20(1)) et peut « également / also » réclamer la conclusion d’un accord de coordination (par. 20(2)).

[277]  On peut s’interroger sur le fait que seuls les art. 10 à 15 de la Loi régissent les textes législatifs autochtones visés par les art. 21 et 22, à l’exclusion des art. 16 et 17. Pourtant, ces deux articles, qui priorisent le placement des enfants au sein de leur famille proche ou élargie ou de la communauté, sont un outil important de leur protection personnelle (physique, psychologique, affective) et de la préservation de leur identité culturelle. La preuve reproduite au dossier du renvoi ne permet pas de saisir avec certitude les raisons d’une telle exclusion.

[278]  Rappelons ici que la portée des textes législatifs autochtones n’est pas territorialement limitée (comme le serait, par ex., la loi d’une province, qui n’a en principe pas d’effets extraterritoriaux), mais peut s’attacher à la personne même des individus qui composent les peuples et les suivre où qu’ils résident au Canada : c’est une sorte de rattachement ratione personae. Ainsi, un corps dirigeant autochtone peut décider que sa loi s’appliquera aux membres du peuple qu’il représente et qui se trouvent hors du territoire habituel de cette communauté et même à l’extérieur de la province où est situé ce territoire. Sur ce point, voir par ex. : Sénat, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Délibérations, 42e lég., 1re sess., fasc. 52, 9, 10 et 11 avril 2019, p. 52:28 et 52:29 (J.-F. Tremblay); Services aux Autochtones Canada, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Trousse d’information technique, Gatineau, Services aux Autochtones Canada, 2020, p. 16. Plus généralement, sur le principe de la personnalité des lois autochtones, voir : Ghislain Otis, « L’autonomie gouvernementale autochtone et l’option de loi en matière de statut personnel », (2014) 55:3 C. de D. 583.

[279]  Le par. 21(2) a selon toute vraisemblance pour effet de soustraire les textes législatifs autochtones à l’application, entre autres, de la Loi d’interprétation fédérale (L.R.C. 1985, ch. I-21) et le par. 21(3) à la compétence des cours fédérales (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7).

[280]  Signalons que l’idée d’une préséance des textes normatifs autochtones sur les lois provinciales n’est pas entièrement nouvelle : l’art. 88 de la Loi sur les Indiens (qui ne vise pas les lois provinciales applicables aux Autochtones ex proprio vigore) l’affirme déjà en ce qui concerne les règlements ou textes législatifs d’une bande. Il importe toutefois de souligner que cette disposition confère préséance aux textes normatifs autochtones à titre de législation fédérale déléguée.

[281]  Il faut rappeler en effet que, indépendamment du fait que les peuples autochtones qui choisiront de ne pas formuler la demande prévue par le par. 20(2) ne bénéficieront pas de certains des avantages qu’elle instaure, la Loi maintient les droits protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et n’y porte pas atteinte (art. 2). Dans l’hypothèse où, comme l’affirme le Parlement à l’art. 18 de la Loi, l’autonomie gouvernementale serait un droit ancestral existant reconnu et confirmé par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ce dernier entraînerait-il de luimême une certaine forme de préséance des textes législatifs autochtones? Dans l’affirmative, les art. 20 à 22 de la Loi ne sauraient alors constituer un empêchement à cette préséance ni la réserver aux seuls peuples qui se seront conformés au par. 20(2).

[282]  On voit donc que si la négociation, prônée comme prélude à l’autonomie gouvernementale dans la Politique sur l’autonomie gouvernementale de 1995, n’est plus la condition préalable de la reconnaissance de cette autonomie, elle demeure cependant un ingrédient important de sa mise en œuvre.

[283]  On aura remarqué que la Loi ne parle pas des territoires du Canada, sauf du Nunavut, visé par l’art. 5. Les débats parlementaires afférents à la Loi font mention de cette disposition et en expliquent la raison d’être. Voir par ex. : Sénat, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Délibérations, 42e lég., 1re sess., fasc. 53, 30 avril, 1er et 2 mai 2019, p. 53:13 et s. (D.G. Patterson); Sénat, Débats du Sénat, 42e lég., 1re sess., vol. 150, no 299, 10 juin 2019, p. 8447-8448 (D.G. Patterson).

[284]  L.C. 2019, ch. 29, art. 336.

[285]  Art. 1 de la Loi, définition de « ministre ».

[286]  Au moins pour ce qui est des peuples qui auront recouru au par. 20(2) de la Loi, le par. 22(1) prévoit que les textes législatifs autochtones visés par l’art. 21 l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute loi fédérale, y compris, par conséquent, la Loi elle-même (sauf en ce qui concerne ses art. 10 à 15), et de tout règlement pris en vertu d’une telle loi. Cela, à première vue, couvrirait les règlements adoptés en vertu des art. 32 et 34.

[287]  Voir par ex. : Carly Minsky, « Around the World: Recent Changes to Indigenous Child Welfare in Canada », (2021) 41:1 Children's Legal Rights Journal 79, p. 81 (l’auteure parle d’une « landmark law »). De leur côté, tout en n’y voyant qu’une réponse partielle aux appels à l’action lancés par la Commission de vérité et réconciliation, les auteures Poirier et Hedaraly trouvent néanmoins dans la Loi un outil qui, « [w]hile not ignoring provinces and territories, […] simultaneously – and implicitly – seems to have paved the way for a concrete, gradual, and pragmatic implementation of a third order of government » (Johanne Poirier et Sajeda Hedaraly, « Truth and Reconciliation Calls to Action across Intergovernmental Landscapes: Who Can and Should Do What? », (2019-2020) 24:2 R. études const. 171, p. 197-198).

[288]  Que les tribunaux québécois, pour ne parler que d’eux, appliquent déjà, le renvoi n’en ayant pas suspendu l’effet. Voir ainsi : Protection de la jeunesse — 216574, 2021 QCCQ 11587; Protection de la jeunesse — 213177, 2021 QCCQ 5824; Protection de la jeunesse — 212924, 2021 QCCQ 6113; Protection de la jeunesse — 211756, 2021 QCCQ 3166; Protection de la jeunesse — 211762, 2021 QCCQ 3064; Protection de la jeunesse — 211757, 2021 QCCQ 3063; Protection de la jeunesse — 209362, 2020 QCCQ 13599; Protection de la jeunesse — 209342, 2020 QCCQ 12974; Protection de la jeunesse — 209335, 2020 QCCQ 12766; Protection de la jeunesse — 208153, 2020 QCCQ 12383; Protection de la jeunesse — 206762, 2020 QCCQ 7952; Protection de la jeunesse — 204534, 2020 QCCQ 4334.

[289]  Par contraste avec la Loi sur les Indiens et par contraste également, avons-nous déjà souligné, avec diverses ententes sur l’autonomie gouvernementale conclues avec certaines nations et qui régissent de près le mode de gouvernance.

[290]  Ce qui, comme on l’a vu plus haut, se fait dans le cadre de certaines ententes existantes sur l’autonomie gouvernementale ou les revendications territoriales.

[291]  Le financement adéquat est depuis longtemps reconnu comme une condition sine qua non de l’autonomie gouvernementale réelle, ce qui vaut tout aussi bien pour l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et à la famille. La Politique sur l’autonomie gouvernementale de 1995, ainsi que les Principes de 2018 en font état. Le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada a également adopté une Politique financière collaborative du Canada sur l’autonomie gouvernementale, énonçant ce qui serait un nouveau modèle de politique financière : Canada, « Politique financière collaborative du Canada sur l’autonomie gouvernementale », 2019. Cependant, on ignore si et comment cette politique pourrait permettre de pourvoir aux besoins de la mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale reconnue par la Loi.

[292]  On pourra consulter ici l’article suivant, qui offre une critique incisive de l’insuffisance du soutien et du financement offerts par le gouvernement fédéral, même après la décision du TCDP : Vandna Sinha, Colleen Sheppard, Kathryn Chadwick et al., « Substantive Equality and Jordan's Principle: Challenges and Complexities », (2021) 35 Journal of Law and Social Policy 21.

[293]  Chambre des communes, Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, Témoignages, 42e lég., 1re sess., no 148, 7 mai 2019, p. 26 (V. Michel).

[294]  Chambre des communes, Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, Témoignages, 42e lég., 1re sess., no 149, 9 mai 2019, p. 4 (B. Narcisse).

[295]  Sénat, Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Délibérations, 42e lég., 1re sess., fasc. 53, 30 avril et 1er et 2 mai 2019, p. 53:11 (E. Sheutiapik).

[296]  Voir par ex. : Johanne Poirier et Sajeda Hedaraly, « Truth and Reconciliation Calls to Action across Intergovernmental Landscapes: Who Can and Should Do What? », (2019-2020) 24:2 R. études const. 171, p. 192.

[297]  Ce fut d’ailleurs le cas d’une loi américaine présentant certaines similarités avec la Loi. L’Indian Child Welfare Act of 1978 (25 U.S.C. § 1901) a généré de nombreux recours judiciaires et provoqué des effets inattendus, tout en se heurtant à la résistance des tribunaux étatiques. À ce propos, voir : Barbara Ann Atwood, « Flashpoints under the Indian Child Welfare Act: Toward a New Understanding of State Court Resistance », (2002) 51:2 Emory L.J. 587.

Cette loi a même récemment été contestée sur le fondement de la clause d’« equal protection » offerte par le quatorzième amendement de la Constitution américaine. Elle a d’abord été déclarée inconstitutionnelle par la U.S. District Court for the Northern District of Texas, dont le jugement (Brackeen v. Zinke (2018), 338 F. Supp. (3d) 514) fut cassé par la Court of Appeals for the Fifth Circuit, qui a ensuite ordonné une réaudition en banc, laquelle s’est soldée par une reconnaissance majoritaire de la compétence du Congrès d’adopter une telle loi et de la validité d’une classification d’« Indian child », les juges de la Cour ne s’entendant toutefois pas sur la question des « adoptive placements ». Voir : Brackeen v. Bernhardt (2019), 937 F. (3d) 406, puis (2019), 942 F. (3d) 287, et, sur le fond, Brackeen v. Haaland (2021), 994 F. (3d) 249, procédures en certiorari pendantes devant la Cour suprême des États-Unis (dossiers nos 21-376, 21-377, 21-378 et 21-380).

Une telle contestation de la Loi n’est pas impossible, mais pourrait se heurter, d’une part, au par. 15(2) de la Charte canadienne et, d’autre part, à l’art. 1 de celle-ci.

[298]  Argumentation au mémoire du procureur général du Québec, par. 30.

[299]  Id., par. 42.

[300]  Id., par. 53.

[301]  Id., par. 80.

[302]  Argumentation au mémoire du procureur général du Canada, par. 39.

[303]  Id., par. 46.

[304]  Id., par. 4, 40, 64 et 81.

[305]  Id., par. 85.

[306]  Id., par. 4 et 40.

[307]  Id., par. 157.

[308]  Argumentation au mémoire de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, par. 18 [renvoi omis].

[309]  Id., par. 57.

[310]  Reference as to whether "Indians" includes in s. 91 (24) of the B.N.A. Act includes Eskimo in habitants of the Province of Quebec, [1939] S.C.R. 104.

[311]  Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, [2016] 1 R.C.S. 99 [« Daniels »].

[312]  Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17, par. 26-29.

[313]  Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3 [« Banque canadienne de l’Ouest »], par. 27-30.

[314]  R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 482-483 et 486-487.

[315]  Banque canadienne de l’Ouest, par. 30.

[316]  Ibid.

[317]  Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453, par. 36; Banque canadienne de l’Ouest, par. 28-29.

[318]  Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada inc., 2019 CSC 58, par. 90-93; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 58; Banque canadienne de l’Ouest, par. 33 et s.

[319]  Daniels, par. 19; Reference as to whether "Indians" includes in s. 91 (24) of the B.N.A. Act includes Eskimo in habitants of the Province of Quebec, [1939] S.C.R. 104.

[320]  Delgamuukw, par. 177-178. Voir également : par. 181.

[321]  Banque canadienne de l’Ouest, par. 61.

[322]  Delgamuukw, par. 176.

[323]  Procureur général du Canada c. Canard, [1976] 1 R.C.S. 170.

[324]  Loi constitutionnelle de 1867, par. 92(13).

[325]  Procureur général du Canada c. Canard, [1976] 1 R.C.S. 170, p. 187, 190-191, 193, 202 et 207.

[326]  Id., p. 191.

[327]  Id., p. 207.

[328]  Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 553, par. VI-2.251.

[329]  Daniels, par. 51.

[330]  NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 41; Renvoi: Family Relations Act (C.-B.), [1982] 1 R.C.S. 62, p. 101; Reference Re Authority to Perform Functions Vested by Adoption Act, The Children of Unmarried Parents Act, The Deserted Wives’ and Children’s Maintenance Act of Ontario, [1938] S.C.R. 398, p. 402-403.

[331]  Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61, [2010] 3 R.C.S. 457, par. 126; Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453, par. 35.

[332]  Commission de vérité et réconciliation, Sommaire du rapport final, p. 348.

[333]  Commission Viens, Rapport final, p. 489.

[334]  Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 392, 19 mars 2019, p. 26 135 et 26 136 (S. O’Regan).

[335]  Loi constitutionnelle de 1867, par. 92(4).

[336]  Loi sur la protection de la jeunesse, art. 37.5, 37.6 et 37.7.

[337]  Québec (Procureur général) c. Lacombe, 2010 CSC 38, [2010] 2 R.C.S. 453, par. 36. Voir également : Banque canadienne de l’Ouest, par. 28.

[338]  Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, p. 275. Voir également : Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 51.

[339]  NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 41.

[340]  Id., par. 42.

[341]  2021 CSC 34, par. 51 et 63.

[342]  Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada inc., 2019 CSC 58, par. 90-93; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, par. 58; Banque canadienne de l’Ouest, par. 33 et s.

[343]  Banque canadienne de l’Ouest, par. 67.

[344]  Transport Desgagnés inc. c. Wärtsilä Canada inc., 2019 CSC 58, par. 93.

[345]  Banque canadienne de l’Ouest, par. 48.

[346]  Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, par. 89 et s.

[347]  Voir notamment les propos du juge en chef McEachern dans Delgamuukw v. British Columbia (1991), 79 D.L.R. (4th) 185, 1991 CanLII 2372 (S.C. B.C.) et ceux des juges majoritaires dans Delgamuukw v. British Columbia (1993), 104 D.L.R. (4th) 470, 1993 CanLII 4516 (C.A. B.C.).

[348]  Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 1, p. 55-60; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 105-122 et 127-141. Voir aussi : Michel Morin, L’usurpation de la souveraineté autochtone : le cas des peuples de la Nouvelle-France et des colonies anglaises de l’Amérique du Nord, Montréal, Boréal, 1997, notamment aux p. 126-127; John Borrows, « Constitutional Law from a First Nation Perspective: Self-Government and the Royal Proclamation », (1994) 28:1 U.B.C. L. Rev. 1; Brian Slattery, « Aboriginal Sovereignty and Imperial Claims », (1991) 29:4 Osgoode Hall L.J. 681; Brian Slattery, « Understanding Aboriginal Rights », (1987) 66:4 R. du B. can. 727.

[349]  Proclamation royale, 1763 (G.B.), 3 Geo. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 1.

[350]  St. Catharines Milling and Lumber Co. v. R. (1887), 13 S.C.R. 577, confirmée par St. Catherine’s Milling & Lumber Company v. The Queen (1888), [1889] 14 A.C. 46 (C.P.).

[351]  (1823), 21 U.S. (8 Wheat) 543.

[352]  (1831), 30 U.S. (5 Pet.) 1.

[353]  (1832), 31 U.S. (6 Pet.) 515.

[354]  St. Catharines Milling and Lumber Co. v. R. (1887), 13 S.C.R. 577, p. 610-613 et 633-635; Calder, p. 320-321 et 380385; Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335 [« Guerin »], p. 377-378; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025 [« Sioui »], p. 1053-1054; Sparrow, p. 1103; Van der Peet, par. 35-37 et 107; Mitchell c. M.R.N., 2001 CSC 33, [2001] 1 R.C.S. 911 [« Mitchell »], par. 165-169; Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245 [« Bande indienne Wewaykum »], par. 75.

[355]  Rennard Strickland et al. (dir.), Felix S. Cohen’s Handbook of Federal Indian Law, Charlottesville, Virginia, The Michie Company, 1982, p. 245-246.

[356]  Iowa Mutual Insurance Co. v. LaPlante (1987), 480 U.S. 9, p. 14.

[357]  United States v. Kagama (1886), 118 U.S. 375, p. 380-384; Jones v. Meehan (1899), 175 U.S. 1, p. 10; United States v. Quiver (1916), 241 U.S. 602, p. 605-606; Santa Clara Pueblo v. Martinez (1978), 436 U.S. 49, p. 55-56; United States v. Wheeler (1978), 435 U.S. 313, p. 323; Washington v. Confederated Tribes of Colville Indian Reservation (1980), 447 U.S. 134, p. 152-153; Merrion v. Jicarilla Apache Tribe (1982), 455 U.S. 130, p. 137; Duro v. Reina (1990), 495 U.S. 676, p. 685-686; Blatchford v. Native Village of Noatak (1991), 501 U.S. 775, p. 782; United States v. Lara (2004), 541 U.S. 193, p. 197-198; Plains Commerce Bank v. Long Family Land & Cattle Co. (2008), 554 U.S. 316, p. 327; Michigan v. Bay Mills Indian Cmty (2014), 572 U.S. 782, p. 788.

[358]  Voir notamment : Michigan v. Bay Mills Indian Cmty (2014), 572 U.S. 782, p. 788 et la jurisprudence y citée.

[359]  Brian Slattery, « Understanding Aboriginal Rights », (1987) 66:4 R. du B. can. 727, p. 736.

[360]  Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 1, p. 60-63; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 122-127, 152 et 278-282.

[361]  Robert S. Allen, His Majesty’s Indian Allies – British Indian Policy in the Defence of Canada, 17741815, Toronto, Dundurn Press, 1992.

[362]  Sioui, p. 1052-1053. Voir également : R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139 [« Côté »], par. 48.

[363]  John Borrows, « Tracking Trajectories: Aboriginal Governance as an Aboriginal Right », (2005) 38:2 U.B.C. L. Rev. 285, p. 296-298; Brian Slattery, « Aboriginal Sovereignty and Imperial Claims », (1991) 29:4 Osgoode Hall L.J. 681, p. 684 et 690-691.

[364]  Le dernier traité historique conclu par le Canada est le Traité no 11 de 1921. Le premier traité dit moderne, aussi désigné « accord de revendications territoriales globales », fut la Convention de la Baie James et du Nord québécois, conclue en 1975.

[365]  Jean Leclair, « Federal Constitutionalism and Aboriginal Difference », (2006) 31:2 Queen’s L.J. 521, p. 529; Brian Slattery, « The Organic Constitution: Aboriginal Peoples and the Evolution of Canada », (1996) 34:1 Osgoode Hall L.J. 101, p. 111.

[366]  Daniels, par. 45, citant le juge Phelan dans Daniels c. Canada, 2013 CF 6.

[367]  Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 1, partie 1, p. 63-70, 117-123, 141-147 et 181-187; Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 1, p. 152-157, 192-202, 282339 et 365373.

[368]  Mark D. Walters, « The Judicial Recognition of Indigenous Legal Traditions: Connolly v Woolrich at 150 », (2017) 22:3 R. études const. 347; Norman K. Zlotkin, « Judicial Recognition of Aboriginal Customary Law in Canada: Selected Marriage and Adoption Cases », (1984) 4 C.N.L.R. 1.

[369]  (1867), 17 R.J.R.Q. 75, [1867] Q.J. no 1 (C.S.).

[370]  (1869), 17 R.J.R.Q. 266, [1869] J.Q. no 1 (B.R.).

[371]  (1889), 1 Terr. L.R. 211, 1889 CarswellNWT 14 (C.S. T.N.-O.).

[372]  (1899), 4 Terr. L.R. 173, 1899 CanLII 111 (C.S. T.N.-O.).

[373]  (1961), 32 D.L.R. (2d) 185, 1961 CanLII 442 (C. terr. T.N.-O.).

[374]  (1921), 30 B.C.R. 303, 1921 CanLII 623 (S.C. B.C.); contra : R. v. Cote (1971), 22 D.L.R. (3d) 353, 1971 CanLII 782 (C.A. Sask.).

[375]  Re Adoption of Kathie E7-1807 (1961), 32 D.L.R. (2d) 686, 1961 CanLII 443 (C. terr. T.N.-O.); Re Beaulieu’s Adoption Petition (1969), 3 D.L.R. (3d) 479, 1969 CanLII 844 (C. terr. T.N.-O.); Re Tucktoo et al. and Kitchooalik et al. (1972), 27 D.L.R. (3d) 225, 1972 CanLII 1223 (C. terr. T.N.-O.), confirmée par Re Kitchooalik et al. and Tucktoo et al. (1972), 28 D.L.R. (3d) 483, 1972 CanLII 977 (C.A. T.N.-O.); Re Wah-Shee (1975), 57 D.L.R. (3d) 743, 1975 CanLII 1200 (C.S. T.N.-O.); Tagornak Adoption Petition (1983), [1984] 1 C.N.L.R. 185, [1983] N.W.T.J. no 38 (C.S. T.N.-O.); McNeil v. MacDougal, 1999 ABQB 945, par. 16-19; M.R.B. (Dans la situation de) (2001), [2002] 2 C.N.L.R. 169, AZ-01036248 (C.Q. Qc); RE: Papatsie Estate, 2006 NUCJ 5, par. 15; Estate of Samuel Corrigan, 2013 MBQB 77. Contra : Mitchell v. Dennis, [1984] 2 W.W.R. 449, 1983 CanLII 670 (S.C. B.C.); Dans la situation de : P. (D.-F.), J.E. 2001-549, 2000 CanLII 17505, par. 8 (C.Q. Qc).

[376]  Casimel v. Insurance Corp. of British Columbia (1993), 106 D.L.R. (4th) 720, 1993 CanLII 1258, par. 42 et 52 (C.A. B.C.).

[377]  St. Catherine’s Milling & Lumber Company v. The Queen (1888), [1889] 14 A.C. 46 (C.P.).

[378]  Delgamuukw, par. 173-183.

[379]  Guerin, p. 376-379.

[380]  Voir : Affaires autochtones et développement du Nord Canada, Le renouvellement de la Politique sur les revendications territoriales globales : vers un cadre pour traiter des droits ancestraux prévus par l'article 35, Gatineau, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2014.

[381]  À ce jour, cette politique a donné lieu à la conclusion de 29 autres accords : Convention du Nord-Est québécois (1978); Convention définitive des Inuvialuit (1984); Loi sur l’autonomie gouvernementale de la bande indienne sechelte, L.C. 1986, ch. 27; Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich'in (1992); Accord entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du Chef du Canada (1993); Entente définitive des Premières Nations de Champagne et de Aishihik (1993); Entente définitive de la Première Nation des Nacho Nyak Dun (1993); Entente définitive du conseil des Tlingits de Teslin (1993); Entente définitive de la Première Nation des Gwitchin Vuntut (1993); Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu (1993); Entente définitive de la Première Nation de Selkirk (1997); Entente définitive de la Première Nation de Little Salmon/Carmacks (1997); Entente définitive des Tr’ondëk Hwëch’in (1998); Accord définitif Nisga’a (1999); Entente définitive du conseil des Ta’an Kwach’an (2002); Entente définitive de la Première Nation de Kluane (2003); Accord d’autonomie gouvernementale de la Première Nation de Westbank (2003); Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale conclu entre le peuple Tłı̨chǫ, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement du Canada (2003); Entente définitive de la Première Nation des Kwanlin Dun (2005); Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador (2005); Entente définitive de la Première Nation de Carcross/Tagish (2005); Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Nunavik (2006); Accord définitif de la Première Nation de Tsawwassen (2007); Accord définitif des premières nations maa-nulthes (2007-2009); Accord sur les revendications territoriales concernant la Région marine d’Eeyou (2010); Accord définitif de la Première Nation de Yale (2013); Accord de gouvernance de la nation Dakota de Sioux Valley (2013); Accord définitif des Tla’amins (2014); Accord définitif sur l’autonomie gouvernementale de Délįnę (2015).

[382]  The Queen v. The Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [1981] 4 C.N.L.R. 86 (Court of Appeal of England and Whales, Lords Denning, Kerr and May).

[383]  Voir : Proclamation de 1983 modifiant la Constitution, TR/84-102, reproduite dans L.R.C. 1985, annexe II, no 46.

[384]  Voir : Kathy L. Brock, « The Politics of Aboriginal Self-Government: A Canadian Paradox », (1991) 34:2 C.P.A. 272; David C. Hawkes, Aboriginal Peoples and Constitutional Reform: What Have We Learned? Kingston, Institute of Intergovernmental Relations, 1989; Norman K. Zlotkin, « The 1983 and 1984 Constitutional Conferences: Only the Beginning », (1984) 3 C.N.L.R. 3.

[385]  Renée Dupuis, Le statut juridique des peuples autochtones en droit canadien, Scarborough, Carswell, 1999, p. 129.

[386]  Sparrow, p. 1106-1107. Dans l’arrêt dont appel a été interjeté à la Cour suprême, la Cour d’appel de la ColombieBritannique explique aussi que rien dans les art. 37 et 37.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’indique que les conférences constitutionnelles qu’ils prévoyaient devaient donner lieu à un consensus afin qu’un droit ancestral soit reconnu par l’art. 35 : R. v. Sparrow (1986), 36 D.L.R. (4th) 246, p. 267-268, [1986] B.C.J. no 1662, par. 62-64 (C.A. B.C.).

[387]  Sparrow, p. 1110.

[388]  Ibid.

[389]  Id., p. 1108.

[390]  Id., p. 1111-1112. Voir aussi : R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723 [« Gladstone »], par. 56.

[391]  Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 256 [« Nation Tsilhqot’in »], par. 82.

[392]  Gladstone, par. 69-75.

[393]  Delgamuukw, par. 161.

[394]  R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013 [« Nikal »], par. 110. Voir aussi : Gladstone, par. 63.

[395]  Nation Tsilhqot’in, par. 87.

[396]  Id., par. 82.

[397]  Sparrow, p. 1113.

[398]  Id., p. 1110.

[399]  Gladstone, par. 73.

[400]  Nikal, par. 92.

[401]  Nation Tsilhqot’in, par. 81-82.

[402]  Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103 [« Première nation de Little Salmon/Carmacks »], par. 10.

[403]  Van der Peet, par. 35-43.

[404]  Id., par. 30 [soulignement dans l’original]. Voir aussi : Calder, p. 328 et 383.

[405]  Van der Peet, par. 28.

[406]  Id., par. 31.

[407]  Id., par. 44.

[408]  Id., par. 46.

[409]  Id., par. 49-50.

[410]  Id., par. 51-54.

[411]  Id., par. 55-59.

[412]  Id., par. 60-67.

[413]  Id., par. 68.

[414]  Id., par. 69.

[415]  Id., par. 70.

[416]  Id., par. 71-72.

[417]  Id., par. 73.

[418]  Id., par. 74.

[419]  Pamajewon, par. 24-25.

[420]  Delgamuukw v. British Columbia (1991), 79 D.L.R. (4th) 185, p. 454-455, 1991 CanLII 2372 (S.C. B.C).

[421]  Delgamuukw v. British Columbia (1993), 104 D.L.R. (4th) 470, p. 518, 1993 CanLII 4516, par. 165 (C.A. B.C.).

[422]  Id., p. 519, par. 167.

[423]  Id., p. 519, par. 168.

[424]  Id., p. 591, par. 478.

[425]  Id., p. 591-592, par. 479.

[426]  Id., p. 592, par. 481.

[427]  Id., p. 592-593, par. 482.

[428]  Id., p. 686, par. 845.

[429]  Id., p. 679-681, par. 812-824.

[430]  Id., p. 730, par. 1029.

[431]  Id., p. 761, par. 1163.

[432]  Delgamuukw, par. 114.

[433]  Id., par. 115.

[434]  Id., par. 2. Voir aussi : Desautel, par. 28 (où la Cour suprême reconnaît que le critère permettant de faire la preuve d’un titre ancestral est « une variante » de celui élaboré dans l’arrêt Van der Peet); Catherine Bell, « New Directions in the Law of Aboriginal Rights », (1998) 77 R. du B. can. 36, p. 6061; David W. Elliott, « Delgamuukw: Back to Court? », (1998) 26:1 Manitoba L.J. 97, p. 112114.

[435]  Delgamuukw, par. 125.

[436]  Id., par. 129.

[437]  Id., par. 140-142.

[438]  Id., par. 160.

[439]  Id., par. 170 et 171. Voir aussi les propos du j. La Forest au par. 205.

[440]  Brian Slattery, « A Taxonomy of Aboriginal Rights », dans Hamar Foster, Heather Raven et Jeremy Webber (dir.), Let Right Be Done: Aboriginal Title, the Calder Case, and the Future of Indigenous Rights, Vancouver, University of British Columbia Press, 2007, 111, p. 113-114 et 121. Voir aussi : Kent McNeil, « Judicial Approaches to Self-Government since Calder: Searching for Doctrinal Coherence », dans Hamar Foster, Heather Raven et Jeremy Webber (dir.), Let Right Be Done: Aboriginal Title, the Calder Case, and the Future of Indigenous Rights, Vancouver, University of British Columbia Press, 2007, 129, p. 135-136; John Borrows, « Tracking Trajectories: Aboriginal Governance as an Aboriginal Right », (2005) 38:2 U.B.C. L. Rev. 285, p. 306-307; Patrick Macklem, Indigenous Difference and the Constitution of Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2001, p. 173-174; Brian Slattery, « Making Sense of Aboriginal and Treaty Rights », (2000) 79:2 R. du B. can. 196, p. 211215.

[441]  Van der Peet, par. 69.

[442]  R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207, par. 14.

[443]  Id., par. 29.

[444]  Mitchell, par. 165 et 169.

[445]  Campbell et al v. AG BC/AG Cda & Nisga’a Nation et al, 2000 BCSC 1123.

[446]  Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217.

[447]  Campbell et al v. AG BC/AG Cda & Nisga’a Nation et al, 2000 BCSC 1123, par. 78-79 et 81.

[448]  Id., par. 88-96, 137-143 et 178-184.

[449]  Robertson c. Canada, 2017 CAF 168; Conseil des Innus de Pessamit c. Association des policiers et policières de Pessamit, 2010 CAF 306; Mississaugas of Scugog Island First Nation v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada, 2007 ONCA 814, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 avril 2008, no 32452.

[450]  Canada, Projet de texte juridique. 9 octobre 1992, Ottawa, Bureau du Conseil privé, 1992, art. 29 modifiant la Loi constitutionnelle de 1982 afin d’y introduire les art. 35.1 à 35.7.

[451]  Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433, par. 102103.

[452]  Politique sur l’autonomie gouvernementale, p. 16-18. Voir aussi : Canada, « Politique financière collaborative du Canada sur l’autonomie gouvernementale », 2019; Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, Approche financière du Canada pour les arrangements financiers avec les gouvernements autonomes, s.l., Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2015.

[453]  Déclaration des Nations Unies, art. 3-5.

[454]  Alan Hanna, « Spaces for Sharing: Searching for Indigenous Law on the Canadian Legal Landscape », (2018) 51:1 U.B.C. L. Rev. 105, p. 121-128 et 138-141; Richard Stacey, « The Dilemma of Indigenous Self-Government in Canada: Indigenous Rights and Canadian Federalism », (2018) 46:4 Fed. L. Rev. 669, p. 683-687; Patrick Macklem, « L'identité constitutionnelle des peuples autochtones au Canada : groupes à statut particulier ou acteurs fédéraux? », (2018) 51:2-3 R.J.T. 389, p. 406-415; Jean Leclair, « Penser le Canada dans un monde désenchanté : réflexions sur le fédéralisme, le nationalisme et la différence autochtone », (2016) 25:1 Forum Const. 1, p. 10; Kirsten Anker, « Reconciliation in Translation: Indigenous Legal Traditions and Canada's Truth and Reconciliation Commission », (2016) 33:2 Windsor Y.B. Access Just. 15, p. 22-25; Clayton Cunningham, « Aboriginal Powers, Privileges, and Immunities of Self-Government », (2013) 76:2 Sask. L. Rev. 315, p. 340-347; Tony Penikett et Adam Goldenberg, « Closing the Citizenship Gap in Canada's North: Indigenous Rights, Arctic Sovereignty, and Devolution in Nunavut », (2013) 22:1 Mich. St. Int'l. L. Rev. 23, p. 40-46; Merrilee Rasmussen, « Honouring the Treaty Acknowledgment of First Nations Self-Government: Achieving Justice through Self-Determination », dans John D. Whyte (dir.), Moving Toward Justice: Legal Traditions and Aboriginal Justice, Saskatoon, Purich/Saskatchewan Institute of Public Policy, 2008, 49, p. 49-50; Kent McNeil, « Judicial Approaches to Self-Government since Calder. Searching for Doctrinal Coherence », dans Hamar Foster, Heather Raven et Jeremy Webber (dir.), Let Right Be Done: Aboriginal Title, the Calder Case, and the Future of Indigenous Rights, Vancouver, University of British Columbia Press, 2007, 129, p. 143-150; Mark D. Walters, « The Morality of Aboriginal Law », (2006) 31:2 Queen's L.J. 470, p. 513-517; John Borrows, « Tracking Trajectories: Aboriginal Governance as an Aboriginal Right », (2005) 38:2 U.B.C. L. Rev. 285; Ghislain Otis, « Élection, gouvernance traditionnelle et droits fondamentaux chez les peuples autochtones du Canada », (2004) 49:2 R.D. McGill 393, p. 397-398; Doug Moodie, « Thinking outside the 20th Century Box: Revisiting ‘Mitchell’ – Some Comments on the Politics of Judicial LawMaking in the Context of Aboriginal Self-Government », (2003) 35:1 R.D. Ottawa 1, p. 15-21 et 25-39; Patrick Macklem, Indigenous Difference and the Constitution of Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2001, p. 49-51, 110-112, 117-119 et 172175; Christopher D. Jenkins, « John Marshall's Aboriginal Rights Theory and Its Treatment in Canadian Jurisprudence », (2001) 35:1 U.B.C. L. Rev. 1, p. 34-40; Kerry Wilkins, « Take Your Time And Do It Right: Delgamuukw, SelfGovernment Rights And the Pragmatics of Advocacy », (19992000) 27:2 Manitoba L.J. 241, p. 247; Catherine Bell et Michael Asch, « Challenging Assumptions: The Impact of Precedent in Aboriginal Rights Litigation », dans Michael Asch (dir.), Aboriginal and Treaty Rights in Canada: Essays on Law, Equality, and Respect for Difference, Vancouver, University of British Columbia Press, 1997, 38, p. 64-74; John Borrows, « Wampum at Niagara: The Royal Proclamation, Canadian Legal History, and Self-Government », dans Michael Asch (dir.), Aboriginal and Treaty Rights in Canada: Essays on Law, Equality, and Respect for Difference, Vancouver, University of British Columbia Press, 1997, 155, notamment à la p. 165; Brian Slattery, « The Organic Constitution: Aboriginal Peoples and the Evolution of Canada », (1996) 34:1 Osgoode Hall L.J. 101, p. 108-112; Peter W. Hutchins, avec la collab. de Carol Hilling et David Schulze, « The Aboriginal Right to Self-Government and the Canadian Constitution: The Ghost in the Machine », (1995) 29:2 U.B.C. L. Rev. 251, p. 268-288; Donna Greschner, « Aboriginal Women, the Constitution and Criminal Justice », (1992) 26 (éd. spéciale) U.B.C. L. Rev. 338, p. 344-348; Alan Pratt, « Aboriginal SelfGovernment and the Crown's Fiduciary Duty: Squaring the Circle or Completing the Circle? », (1992) 2 R.N.D.C. 163, p. 167-169 et 182; Brian Slattery, « First Nations and the Constitution: A Question of Trust », (1992) 71:2 R. du B. can. 261, p. 270-275 et 277-279; Mark Walters, « British Imperial Constitutional Law and Aboriginal Rights: A Comment on Delgamuukw v. British Columbia », (1992) 17:2 Queen’s L.J. 350, p. 376-384, 388-393 et 410-413; Michael Asch et Patrick Macklem, « Aboriginal Rights and Canadian Sovereignty: An Essay on R. v. Sparrow », (1991) 29:2 Alta. L. Rev. 498, p. 505-508; Shaun Nakatsuru, « A Constitutional Right of Indian Self-Government », (1985) 43:2 U. T. Fac. L. Rev. 72, p. 85-89.

[455]  Argumentation au mémoire du procureur général du Québec, par. 84-91.

[456]  Id., par. 92-99.

[457]  Id., par. 100-148.

[458]  Id., par. 149-153.

[459]  Id., par. 148 in fine.

[460]  Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 169.

[461]  Argumentation au mémoire de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, par. 63-64.

[462]  R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, par. 58.

[463]  Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623, par. 69, citant Première nation de Little Salmon/Carmacks, par. 42.

[464]  Desautel, par. 30. 

[465]  Nation haïda, par. 25. Voir aussi : Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, par. 35-36, 38 et 40.

[466]  Ktunaxa Nation c. ColombieBritannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386, par. 78.

[467]  Nikal, par. 92.

[468]  Sparrow, p. 1109.

[469]  Clyde River (Hameau) c. Petroleum GeoServices Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069, par. 24.

[470]  Voir à cet égard : Ghislain Otis, « La protection constitutionnelle de la pluralité juridique : le cas de "l'adoption coutumière" autochtone au Québec », (2011) 41:2 R.G.D. 567, p. 587-590.

[471]  Argumentation au mémoire de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, par. 65.

[472]  Desautel, par. 84-86.

[473]  Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433, par. 89.

[474]  Mitchell, par. 9. Voir aussi : Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765 [« Mikisew Cree First Nation »], par. 88; R. c. Sappier; R. c. Gray, 2006 CSC 54, [2006] 2 R.C.S. 686, par. 45; Côté, par. 48; Van der Peet, par. 31, 40, 43 et 44; Sparrow, p. 1094; Sioui, p. 1052-1053; Calder, p. 328 et 375-376.

[475]  Mitchell, par. 10. Voir aussi : Bande indienne Wewaykum, par. 75; Côté, par. 51-54; Van der Peet, par. 37, citant Worcester v. Georgia (1832), 31 U.S. (6 Pet.) 515; Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, p. 340; Guerin, p. 377-378; Calder, p. 382-383 et 387-389.

[476]  Delgamuukw, par. 183; Gladstone, par. 34-36; Sparrow, p. 1099; Guerin, p. 377; Calder, p. 402-404; Watt c. Liebelt, [1999] 2 R.C.F. 455, par. 13 (C.A.F.); R. v. Jacob (1998), [1999] 3 C.N.L.R. 239, 1998 CanLII 3988, par. 107-109 (S.C. B.C.); Brian Slattery, « Understanding Aboriginal Rights », (1987) 66:4 R. du B. can. 727, p. 748-749 et 765-766.

[477]  Delgamuukw, par. 173-183.

[478]  Watt c. Liebelt, [1999] 2 R.C.F. 455, par. 13 (C.A.F.).

[479]  Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753, notamment aux p. 794, 797 et 799-801; Reference Re: Offshore Mineral Rights, [1967] S.C.R. 792, p. 814-816; Croft v. Dunphy, [1933] A.C. 156 (C.P.); Nadan v. The King, [1926] A.C. 482, p. 492 (C.P.); Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1 par Wade K. Wright, juillet 2021), p. 3-1 à 3-3; Brian Slattery, « The Independence of Canada », (1983) 5 S.C.L.R. 369, p. 392-394.

[480]  Loi constitutionnelle de 1867, art. 55-57.

[481]  Id., art. 129; Colonial Laws Validity Act, 1865 (R.-U.), 28 & 29 Vict., c. 63.

[482]  Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (feuilles mobiles, mise à jour no 1 par Wade K. Wright, juillet 2021), p. 1-25 à 1-28.

[483]  Brian Slattery, « Understanding Aboriginal Rights », (1987) 66:4 R. du B. can. 727, p. 739. Voir aussi en ce sens : Desautel, par. 68; Nation haïda, par. 57-59; Calder, p. 401-404.

[484]  Statute of Westminster, 1931 (R.-U.), 22 & 23 Geo. V, c. 4, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 27.

[485]  D’ailleurs, le Canada a continué de conclure des traités avec les peuples autochtones même après 1867, reconnaissant par ce fait même leur qualité de peuples autonomes.

[486]  Mitchell, par. 9-10. Voir également : Bande indienne Wewaykum, par. 75, citant notamment Johnson v. M’Intosh (1823), 21 U.S. (8 Wheat.) 543, p. 573574; Van der Peet, par. 37, citant Worcester v. Georgia (1832), 31 U.S. (6 Pet.) 515; Guerin, p. 377-378, citant notamment Johnson v. M’Intosh (1823), 21 U.S. (8 Wheat.) 543 et Worcester v. Georgia (1832), 31 U.S. (6 Pet.) 515; Calder, p. 382383 et 387-389, qui s’appuie sur ces deux mêmes arrêts.

[487]  Mitchell, par. 151-153.

[488]  Nikal, par. 88-89 et 103-104. Voir aussi : R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207, par. 30-33; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 17.

[489]  Voir : Loi sur les langues autochtones, L.C. 2019, ch. 23.

[490]  Delgamuukw, par. 173.

[491]  Van der Peet, par. 31. Voir aussi : Desautel, par. 22, 26 et 31; Terre-Neuve-et-Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2020 CSC 4, par. 207; Nation haïda, par. 26; Mitchell, par. 80.

[492]  Terre-Neuve-et-Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2020 CSC 4, par. 21; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 82; Sparrow, p. 1108.

[493]  Première nation de Little Salmon/Carmacks, par. 10.

[494]  R. c. Sappier; R. c. Gray, 2006 CSC 54, [2006] 2 R.C.S. 686, par. 26 et 33.

[495]  Van der Peet, par. 19 [soulignement dans l’original].

[496]  Première nation de Little Salmon/Carmacks, par. 33. Voir aussi : Mitchell, par. 164, citant Donna Greschner, « Aboriginal Women, the Constitution and Criminal Justice », (1992) 26 (éd. spéciale) U.B.C. L. Rev. 338, p. 342.

[497]  Rapport d’expertise de Val Napoleon, 9 octobre 2020, p. 24-25 et 32.

[498]  Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 38-39.

[499]  Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport, vol. 3, p. 11.

[500]  Rapport d’expertise de Christiane Guay, 7 octobre 2020, p. 50 et 62-63.

[501]  Id., p. 69-70.

[502]  (1867), 17 R.J.R.Q. 75, [1867] Q.J. no 1 (C.S.).

[503]  (1869), 17 R.J.R.Q. 266, [1869] J.Q. no 1 (B.R.).

[504]  Casimel v. Insurance Corp. of British Columbia (1993), 106 D.L.R. (4th) 720, 1993 CanLII 1258 (C.A. B.C.).

[505]  Loi de 2017 sur les services à l'enfance, à la jeunesse et à la famille, L.O. 2017, c. 4, annexe 1, par. 2(1), définition de « soins conformes aux traditions » et art. 80; Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.Y. 2008, c. 1, art. 134; Adoption Act, R.S.B.C. 1996, c. 5, par. 46(1); Loi sur la reconnaissance de l’adoption selon les coutumes autochtones, L.T.N.-O. 1994, c. 26, par. 2(1); Children and Family Services Act, S.N.S. 1990, c. 5, par. 78A(1).

[506]  Art. 543.1 C.c.Q.

[507]  Art. 2.4 sous-par. 5c).

[508]  Pamajewon, par. 24-25; Van der Peet, par. 46.

[509]  Brian Slattery, « A Taxonomy of Aboriginal Rights », dans Hamar Foster, Heather Raven et Jeremy Webber (dir.), Let Right Be Done: Aboriginal Title, the Calder Case, and the Future of Indigenous Rights, Vancouver, University of British Columbia Press, 2007, 111, p. 123. Voir aussi en ce sens : Senwung Luk, « Confounding Concepts: The Judicial Definition of the Constitutional Protection of the Aboriginal Right to Self-Government in Canada », (2009-2010) 41:1 R.D. Ottawa 101, notamment aux p. 126-127; Kent McNeil, « Challenging Legislative Infringements of the Inherent Aboriginal Right of SelfGovernment », (2003) 22 Windsor Y.B. Access Just. 329, p. 359; Catherine Bell et Michael Asch, « Challenging Assumptions: The Impact of Precedent in Aboriginal Rights Litigation », dans Michael Asch (dir.), Aboriginal and Treaty Rights in Canada: Essays on Law, Equality, and Respect for Difference, Vancouver, University of British Columbia Press, 1997, 38, p. 64-74.

[510]  Sparrow, p. 1091-1093. Voir aussi : Bande indienne des Lax Kw'alaams c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 56, [2011] 3 R.C.S. 535, par. 49-51; R. c. Sappier; R. c. Gray, 2006 CSC 54, [2006] 2 R.C.S. 686, par. 23 et 48-49; Van der Peet, par. 54 et 64-65.

[511]  Gladstone, par. 34. Voir aussi les motifs dissidents de la j. L’Heureux-Dubé dans : R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd., [1996] 2 R.C.S. 672, par. 76-79.

[512]  Sparrow, p. 1099.

[513]  Delgamuukw, par. 180.

[514]  Id., par. 183; Gladstone, par. 34-36; Sparrow, p. 1099; Watt c. Liebelt, [1999] 2 R.C.F. 455, par. 13 (C.A.F.).

[515]  Gladstone, par. 36.

[516]  Côté, par. 53 [soulignement ajouté], cité dans : Desautel, par. 64.

[517]  Sparrow, p. 1101 [soulignement dans l’original].

[518]  Id., p. 1110. Voir aussi : Nation Tsilhqot’in, par. 13 et 18; R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, par. 56; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 74; Van der Peet, par. 28 in fine.

[519]  Coté, par. 73-75; Sparrow, p. 1111-1113.

[520]  R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, par. 63-64; Côté, par. 76-80; R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, par. 53-54.

[521]  Nation Tsilhqot’in, par. 77. Voir aussi : R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 40-45; Delgamuukw, par. 165-169; Nikal, par. 110.

[522]  Mikisew Cree First Nation, par. 20-27; Première nation de Little Salmon/Carmacks, par. 38, 52 et 61; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, par. 51 et 57; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, par. 21-22, 24-25 et 42; Nation haïda, par. 16-25.

[523]  Nation Tsilhqot’in, par. 82; Delgamuukw, par. 186.

[524]  La proclamation de l’Assemblée générale des Nations Unies énonce que son texte est un « idéal à atteindre » : « Proclame solennellement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont le texte figure ci-après, qui constitue un idéal à atteindre dans un esprit de partenariat et de respect mutuel » [italiques dans l’original].

[525]  L.C. 2021, ch. 14.

[526]  2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292, par. 53.

[527]  Ibid.

[528]  Id., par. 56. Voir aussi : Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 31-36; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 349.

[529]  Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 35-36.

[530]  Id., par. 22.

[531]  Id., par. 23.

[532]  Id., par. 38.

[533]  Déclaration des Nations Unies, art. 4.

[534]  Id., par. 8(1).

[535]  Id., art. 9.

[536]  Id., par. 20(1).

[537]  Daniels, par. 34; Lovelace c. Ontario, 2000 CSC 37, [2000] 1 R.C.S. 950, par. 110; Delgamuukw, par. 181; Sparrow, p. 1110.

[538]  Loi, art. 23.

[539]  Id., art. 19.

[540]  Id., par. 21(3) et 22(1).

[541]  Voir notamment : Patrick Macklem, Indigenous Difference and the Constitution of Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2001, p. 194-233; Kerry Wilkins, « … But We Need the Eggs: The Royal Commission, the Charter of Rights and the Inherent Right of Aboriginal Self-Government », (1999) 49:1 U.T.L.J. 53; Kent McNeil, « Aboriginal Governments and the Canadian Charter of Rights and Freedoms », (1996) 34:1 Osgoode Hall L.J. 61.

[542]  Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844, par. 48. Voir aussi : Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section ColombieBritannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295, par. 13-16.

[543]  Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 41-44.

[544]  Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section ColombieBritannique, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295, par. 15-16.

[545]  Taypotat c. Taypotat, 2013 CAF 192, par. 38-39, infirmée par Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, mais non sur cette question.

[546]  Ghislain Otis, « La gouvernance autochtone avec ou sans la Charte canadienne », (2005) 36:2 R.D. Ottawa 207, p. 256; Brian Slattery, « First Nations and the Constitution: A Question of Trust », (1992) 71:2 R. du B. can. 261, p. 286-287.

[547]  Loi, par. 20(2).

[548]  Id., par. 20(3) et (4).

[549]  Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 CSC 32, [2014] 1 R.C.S. 704, par. 26; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 50.

[550]  Banque canadienne de l’Ouest, par. 21, citant Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 55.

[551]  Banque canadienne de l’Ouest, par. 24.

[552]  Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, par. 53.

[553]  Martin c. Alberta (Workers’ Compensation Board), 2014 CSC 25, [2014] 1 R.C.S. 546; Bande indienne Wewaykum, par. 116; Coughlin v. Ontario Highway Transport Board et al., [1968] S.C.R. 569; Attorney General for Ontario v. Scott, [1956] S.C.R. 137.

[554]  Loi, par. 20(3).

[555]  Sga’nism Sim’augit (Chief Mountain) v. Canada (Attorney General), 2013 BCCA 49, par. 77, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 22 août 2013, no 35301.

[556]  R. c. Morris, 2006 CSC 59, [2006] 2 R.C.S. 915.

[557]  Nation Tsilhqot’in, par. 150 et 152.

[558]  Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles), 2014 CSC 48, [2014] 2 R.C.S. 447, par. 37.

[559]  Daniels, par. 5, citant le juge Phelan dans Daniels c. Canada, 2013 CF 6. 

[560]  Mikisew Cree First Nation, par. 58; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d'évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, par. 42; Delgamuukw, par. 81; Van der Peet, par. 26-43.

[561]  Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles), 2014 CSC 48, [2014] 2 R.C.S. 447, par. 35 et 50; Nation Tsilhqot’in, par. 139; Nation haïda, par. 57-59; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 24.

[562]  Première nation de Little Salmon/Carmacks, par. 10.

[563]  Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 130-133; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Lafarge Canada Inc., 2007 CSC 23, [2007] 2 R.C.S. 86, par. 37-38; R. c. HydroQuébec, [1997] 3 R.C.S. 213, par. 153-154; Reference re Natural Products Marketing Act, 1934 (1937), 1 D.L.R. 691, p. 694-695 (C.P.).

[564]  Bande indienne Wewaykum, par. 15 [renvoi omis].

[565]  NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 43.

[566]  Société de soutien, par. 388. Voir aussi : Commission de vérité et réconciliation, Rapport final, vol. 5, p. 25-28; Déclaration sous serment de Jonathan Thompson, 8 décembre 2020, par. 15-29; Melisa Brittain et Cindy Blackstock, First Nations Child Poverty: A Literature Review and Analysis, Edmonton, First Nations Children's Action Research and Education Service, 2015, p. 77-81.

[567]  Canada (Attorney General) v. First Nations Child and Family Caring Society of Canada, 2021 FC 969, par. 28, avis d’appel, 29 octobre 2021, no A-290-21 (procédures d’appel suspendues).

[568]  Déclaration sous serment de Cindy Blackstock, 4 décembre 2020, par. 62-70. Voir aussi : Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 39e lég., 2e sess., vol. 142, no 12, 31 octobre 2007, p. 642 (J. Crowder); Chambre des communes, Journaux, 39e lég., 2e sess., no 36, 12 décembre 2007, p. 307-309 (vote no 27).

[569]  Johanne Poirier et Sajeda Hedaraly, « Truth and Reconciliation Calls to Action across Intergovernmental Landscapes: Who Can and Should do What? », (2019-2020) 24:2 R. études const. 171, p. 202-205.

[570]  Mikisew Cree First Nation, par. 42; Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles), 2014 CSC 48, [2014] 2 R.C.S. 447, par. 35; Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623, par. 73; Nation haïda, par. 20.

[571]  Daniels, par. 51; NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 3.

[572]  Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31, [2002] 2 R.C.S. 146, par. 66-71; R. c. Francis, [1988] 1 R.C.S. 1025, p. 1028-1029. Voir aussi : Four B Manufacturing c. Travailleurs unis du vêtement, [1980] 1 R.C.S. 1031, p. 1048-1049; Kruger et al. c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 104; Cardinal c. Procureur général de l’Alberta, [1974] R.C.S. 695, p. 702-703.

[573]  Delgamuukw, par. 182; Dick c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 309, p. 326-328. Voir aussi : R. c. Francis, [1988] 1 R.C.S. 1025, p. 1030-1031; Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285, p. 297.

[574]  Banque canadienne de l’Ouest, par. 61.

[575]  Reference as to whether "Indians" includes in s. 91 (24) of the B.N.A. Act includes Eskimo in habitants of the Province of Quebec, [1939] S.C.R. 104.

[576]  NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696, par. 76.

[577]  Id., par. 80.

[578]  Renvoi relatif à la Loi sur la nondiscrimination génétique, 2020 CSC 17, par. 21. Voir aussi : Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11, par. 49; R. c. Comeau, 2018 CSC 15, [2018] 1 R.C.S. 342, par. 78 et 82; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 71.

[579]  Un document préparé par le gouvernement fédéral décrit la loi en ces termes : « L'Accord sur l'autonomie gouvernementale de la bande indienne sechelte (1986) initiait le public canadien au concept de l'autonomie gouvernementale autochtone. La Loi sur l'autonomie gouvernementale de la bande indienne sechelte a fourni une première définition opérationnelle de ce concept obscur et imprécis au moment du rapatriement de la Constitution de l'Angleterre, en 1982. » (Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, « Évaluation des incidences des ententes sur l’autonomie gouvernementale – Numéro de projet : 14078 », 2016, p. 17).

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