Endwave Corporation c. Advantech Advanced Microwave Technologies Inc. (Advantech Wireless Inc.)

2013 QCCS 1469

JM 1796

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-046262-088

 

DATE :

 21 MARS 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DANIÈLE MAYRAND, J.C.S.

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ENDWAVE CORPORATION

Demanderesse

c.

ADVANTECH ADVANCED MICROWAVE TECHNOLOGIES INC.

          (Maintenant désignée : Advantech Wireless inc.)

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Endwave Corporation (« EWA ») réclame d’Advantech Advanced Microwave Technologies Inc. (« ADV ») 885 414,61 M$, au terme d’un cautionnement qu’elle aurait souscrit pour les obligations d’Allgon Microwave AB (« Allgon »), une société liée.

[2]           De 2002 à 2008, EWA fabrique et livre des transmetteurs à Allgon en vertu d’un Supply Agreement[1] (le « Contrat »).

[3]           ADV est à la tête de plusieurs sociétés (le « Groupe ») qui exploitent dans le domaine des télécommunications sans fil et par satellite. L’âme dirigeante du Groupe est son actionnaire, David Gelerman.

[4]           ADV est actionnaire de plusieurs sociétés du Groupe dont Advantech AMT Limited (« ADV UK »), Advantech AMT Corporation et Advantech Allgon Microwave Technologies Inc. (« Allgon Canada »). ADV UK détient 100 % des actions d’Allgon. ADV est la société « grand-mère » d’Allgon.

[5]           Allgon est une société suédoise créée en 2001. Elle fait l’objet de quatre acquisitions avant qu’ADV UK s’en porte acquéreur en 2006. Elle est en faillite depuis le 21 novembre 2008 à la suite de l’échec de son plan de redressement présenté en vertu des lois d’insolvabilité suédoises.

LE LITIGE

[6]           EWA prétend qu’ADV a cautionné les obligations d’Allgon en vertu du Contrat et qu’elle doit lui rembourser la perte subie à la suite de son défaut. Subsidiairement, elle prétend qu’ADV a commis une faute délictuelle et a agi de mauvaise foi à son endroit en l’incitant à poursuivre sa relation d’affaires avec Allgon, alors qu’elle ne la supportait plus financièrement et qu’elle était insolvable.

[7]           La réclamation d’EWA convertie en dollars canadiens au 24 octobre 2008 se ventile ainsi :

ü  534 568,77 $ (419 850 $ US) pour des produits finis et livrés à Allgon ;

ü  189 393 $ (148 750 $ US) pour la valeur d’inventaire complété, commandé par Allgon et non livré ;

ü  161 452,30 $ (126 804,68 $ US) pour l’inventaire de pièces achetées pour la fabrication de produits destinés uniquement à Allgon.

[8]           ADV nie quelque responsabilité et conteste avoir un lien de droit avec EWA. ADV a toujours refusé de garantir les obligations d’Allgon envers EWA. Elle s’est limitée à confirmer qu’Allgon, la filiale de sa filiale ADV UK était intégrée au Groupe et supportée financièrement.

[9]           Cette situation a prévalu jusqu’à la crise mondiale du crédit, alors qu’ADV a dû restructurer le Groupe à la demande de ses créanciers pour réduire ses coûts d’exploitation. ADV a tenté de maintenir Allgon jusqu’à la « dernière heure » et a agi de bonne foi en tout temps.

[10]        Elle soulève qu’EWA a transigé avec Allgon pendant plusieurs années et qu’elle a pris un risque commercial calculé en livrant des marchandises à Allgon, sans garantie d’ADV.


CONTEXTE FACTUEL

[11]        Allgon, une société suédoise, fabrique des radios numériques utilisées pour des connexions sans fil de réseau cellulaire et terrestre de télécommunications (ci-après IDU pour l’intérieur et ODU pour l’extérieur).

[12]        Depuis 2002, EWA fournit des composantes à Allgon qu’elle incorpore à ses transmetteurs ODU pour sa production Streamline qu’elle vend à sa clientèle surtout située en Europe. Elle est un fournisseur clé d’Allgon, la relation est importante de part et d’autre puisqu’EWA est sa seule source d’approvisionnement pour les composantes ODU de la ligne Streamline.

[13]        ADV détient une division qui fabrique des produits électroniques à Cornwall au Canada[2], elle vend une partie de ses produits à Allgon, dont ceux qu’elle intègre à ses modules IDU.

[14]        Les principaux représentants d’ADV et d’Allgon impliqués dans le litige sont :

Ø  David Gelerman[3], chef de l’exploitation (« CEO ») et président du conseil d’administration de toutes les sociétés du Groupe ;

Ø  François Binette[4], chef des opérations financières (« CFO ») de toutes les sociétés du Groupe, jusqu’au 7 novembre 2008 ;

[15]        Ceux d’EWA sont :

Ø  Steven Layton[5], directeur général, vice-président des ventes et du marketing ;

Ø  Curtis Sacks[6], CFO ;

Ø  Lee Provost[7], responsable des ventes et du compte Allgon, il se rapporte à Curtis Sacks.

[16]        Selon le modèle logistique incorporé au Contrat,[8] Allgon doit fournir à EWA ses prévisions d’achat pour les six prochains mois, ceci permet à EWA de faire face aux achats projetés et d’améliorer les délais de livraison. EWA et Allgon s’engagent à acheter, livrer et être liées selon les échéanciers prévus à la logistique du Contrat.

[17]        Le Contrat prévoit des termes de paiement net 60 jours, après l’expédition des produits.

[18]        Allgon est fréquemment en défaut d’effectuer ses paiements dans les délais prescrits, de sorte qu’EWA instaure des méthodes de contrôle de livraison et de paiement pour protéger sa créance en retenant l’expédition des biens lorsque les seuils de paiement sont trop élevés.

[19]        Lorsqu’Allgon est en défaut, EWA applique le « Credit Hold »; aucune marchandise n’est expédiée à moins de recevoir les paiements net 60 jours. Lorsque la situation perdure, elle impose la méthode prépaiement, c’est-à-dire qu’aucune marchandise n’est livrée avant que le paiement n’en soit effectué. Dans ce cas, Allgon ne peut compléter et livrer les transmetteurs ODU Streamline qui requièrent cette pièce essentielle.

[20]        Le 27 avril 2007, Allgon doit 600 000 $ à EWA. Pour l’essentiel, les montants sont dus au-delà de soixante jours. Inquiet, Lee Provost transmet le dossier à son superviseur Curtis Sacks.

[21]        EWA impose le contrôle « Credit Hold » pour l’expédition des biens à Allgon.

[22]        Le 3 mai 2007, Allgon et EWA conviennent d’une entente pour rembourser les montants dus : Allgon doit effectuer les paiements suivants : 150 000 $ le 15 mai 2007, 150 000 $ le 30 mai 2007 et trois paiements de 100 000 $ en juin, juillet et août 2007.

[23]        Allgon fait défaut de rembourser le premier paiement prévu le 15 mai 2007.

[24]        Curtis Sacks retient les services de Dunn & Bradstreet et enquête au sujet du nouvel actionnaire d’Allgon. Il obtient des informations au sujet d’ADV et apprend que sa place d’affaires est au Québec.

[25]        Le 21 mai 2007, EWA envoie une mise en demeure à l’attention du CFO d’ADV[9]. Il retient qu’ADV supporte Allgon. Il prévient qu’Allgon est en défaut aux termes de l’entente convenue début mai 2007 et qu’elle doit 631 075 $ à EWA, dont 524 824 $ excèdent les délais prévus au Contrat. À moins de respecter cette entente, une action sera intentée pour réclamer les montants de 631 075 $. Algon est en mode « Credit Hold » avec EWA.

[26]        Le 13 juin 2007, Curtis Sacks rejoint son vis-à-vis François Binette, le CFO d’ADV, d’Allgon et de toutes les sociétés du Groupe. Curtis Sacks lui fait part de ses soucis et veut connaître le statut d’Allgon au sein du Groupe, notamment si elle est une filiale « on her own ».

[27]        François Binette lui confirme qu’Allgon est partie intégrante du Groupe et qu’elle est supportée financièrement par ADV.

[28]        À la demande de Curtis Sacks, il lui confirme cette conversation dans un courriel (ci-après P-3) le lendemain, le 14 juin 2007.

[29]        Il est utile de le reproduire puisque c’est en vertu de cet envoi qu’EWA prétend qu’ADV a garanti les obligations d’Allgon.

Mr. Sacks,

As discussed yesterday, this is to confirm that Allgon, Microwave AB is a fully integrated business with Advantech AMT Inc., as such Advantech AMT Inc. fully financially supports Allgon Microwave AB.

If you have any further questions, please feel free to contact me.

Regards,

François Binette, CFO

[30]        Après réception du courriel P-3, Curtis Sacks ne formule aucun commentaire ni autre demande à François Binette.

[31]        Allgon rembourse la créance de 631 075 $, selon les termes convenus et EWA recommence à livrer.

[32]        Fin octobre 2007, Allgon est à nouveau en retard dans ses paiements, une autre entente est convenue, nouveau défaut, et EWA impose le Credit Hold et prépaiement. Allgon ne reçoit plus de composantes d’EWA.

[33]        Fin janvier 2008, David Gelerman communique avec Lee Provost[10]. David Gelerman est le CEO d’ADV et d’Allgon, il l’informe qu’ADV a transmis des fonds à Allgon à l’automne, afin qu’elle puisse rembourser ses fournisseurs. Il confirme qu’Allgon a de bonnes commandes. Il est soucieux, par contre, des coûts trop élevés des unités fournies par EWA et lui demande de les réduire.

[34]        David Gelerman l’informe aussi que la ligne de production pour les IDU a été transférée chez ADV au Canada et qu’une partie des ODU l’a aussi été. Éventuellement, le Groupe projette de transférer la plupart des opérations au Canada.

[35]        Ils conviennent que dans la mesure où Allgon paie 60 000 $, EWA accepte de lever le mode prépaiement.

[36]        Lee Provost reproduit dans un courriel qu’il envoie à ses collègues le résumé de cette conversation[11]. Allgon paie 60 000 $ et EWA reprend la livraison. EWA devient à jour dans ses paiements.

[37]        Début 2008, EWA reçoit de nouvelles prévisions qui indiquent une augmentation des commandes d’Allgon à compter de janvier 2008[12].

[38]        Entre temps, la crise financière mondiale affecte ADV et l’ensemble des filiales du Groupe. Le principal créancier d’ADV, Banque Royale, exige une restructuration du Groupe.

[39]        Cette restructuration implique une réduction des coûts de production d’Allgon et conduit à la vente de son exploitation d’usinage et de sa propriété intellectuelle à ADV, dont la division AMS pourra continuer l’exploitation de Cornwall.

[40]        De fait, le coût de production pour la fabrication des unités diminue de près de 30 %. Allgon conserve la vente des produits IDU et ODU, le développement des affaires et un centre de réparation pour sa clientèle en Europe. Selon les prévisions qu’elle remet à EWA, celles-ci augmentent au printemps 2008 avec l’apport de commandes substantielles de sa clientèle en provenance de Russie.

[41]        Entre mai et juin 2008, EWA livre des marchandises à Allgon pour environ 400 000 $.

[42]        Entre temps, ADV et Allgon sont en mode survie. Allgon est aux prises avec le paiement de son loyer[13] et les réclamations de fournisseurs. Les courriels[14] échangés entre François Binette, les responsables chez Allgon et ses divers fournisseurs démontrent la crise de liquidité d’Allgon et les efforts de répartition de paiement auprès de ceux-ci. ADV convient d’une entente de tolérance avec Banque Royale le 24 juillet 2008[15].

[43]        ADV continue par contre à livrer de la marchandise à Allgon via sa division AMS pour lui permettre de vendre ses unités et de percevoir ses comptes clients.

[44]        En juillet 2008 EWA impose le mode prépaiement à Allgon.

[45]        En août 2008 des négociations ont lieu entre EWA et Allgon. Les intervenants sont David Gelerman et Steven Layton et les avocats de leur contentieux. EWA requiert une reconnaissance de sa dette de 544 000 $ qui lui est demandée par ses vérificateurs.

[46]        Me Jim Crossen du contentieux d’EWA prépare la première version, il en profite pour inclure le cautionnement et la garantie d’ADV[16]. Me Alain Laplante son vis-à-vis chez ADV le rappelle, l’avisant qu’il n’en a jamais été question et refuse cette demande. Me Laplante corrige la version pour exclure le cautionnement d’ADV. Il complète la reconnaissance de dette d’Allgon de 544 000 $ qui s’engage à rembourser EWA à raison de 25 000 $ par semaine. Me Laplante la renvoie à EWA dûment signée par Roger Alfredsson, le directeur général d’Allgon[17]. EWA l’accepte, sans aucun autre commentaire.

[47]        David Gelerman déclare que lors de ces négociations, Steven Layton a accepté que dès réception du premier paiement de 25 000 $, EWA reprenait l’expédition des marchandises.

[48]        Steven Layton n’est pas témoin à l’audience et Curtis Sacks n’est pas partie à ces discussions. À l’audience, Curtis Sacks contredit cette version en contre preuve.

[49]        La version de David Gelerman est retenue, elle concorde avec l’entente similaire convenue en janvier 2008[18]. De plus, il est impensable qu’Allgon qui était à court de liquidités ait accepté des paiements de l’ordre de 25 000 $ par semaine sans recevoir la marchandise.

[50]        Après le premier paiement de 25 000 $, Allgon ne reçoit aucune livraison. David Gelerman joint Steven Layton qui justifie le retard parce que les composantes doivent être testées avant de les expédier, ce qui requiert deux semaines additionnelles.

[51]        Trois semaines plus tard, toujours pas de livraison. Steven Layton dit cette fois à David Gelerman que les tests démontrent des failles dans les produits et doivent être faits à nouveau.

[52]        Au bout de cinq semaines et après avoir payé 125 000 $, David Gelerman réalise « that he was tricked by EWA ». Allgon cesse les paiements convenus.

[53]        C’est la fin de la relation commerciale. Le dossier devient litigieux, EWA poursuit ADV fin octobre 2008.

[54]        Le 21 novembre 2008, Allgon demande la protection de la Loi sur les arrangements suédoise et tente d’effectuer un plan de redressement.

[55]        À cette fin, Allgon a besoin de compléter ses radios ODU et IDU. AMS lui livre 1.2 million de marchandises, le 22 novembre 2008. David Gelerman demande à EWA de livrer à Allgon, avec mode prépaiement, la marchandise qu’elle détient et qu’elle réclame dans ses procédures. EWA refuse.

[56]        Me Laplante lui rappelle l’obligation de mitiger ses dommages. Finalement, 82 unités sont livrées par EWA et payées d’avance par le séquestre nommé par la Cour. Par la suite, EWA refuse toute autre livraison à moins de recevoir un honoraire de 10 000 $ pour chaque commande.

[57]        Après un an et quatre prolongations de délais accordés par les tribunaux suédois, Allgon ne peut livrer le plan de redressement envisagé et fait faillite.

ANALYSE ET DISCUSSION

[58]        EWA invoque la responsabilité contractuelle d’ADV. Elle prétend que le courriel P-3 constitue un cautionnement par ADV de toutes les obligations d’Allgon en sa faveur.

[59]        Le cautionnement est défini par l’article 2333 C.c.Q.. Il doit être express[19] et ne se présume pas[20]. En cas du moindre doute, il s’interprète en faveur de la personne qui l’a souscrit[21].

v  la portée du courriel P-3

[60]        Les termes du courriel P-3 : « is a fully intergrated Business with Advantech and as such ADV fully financially supports » constituent-ils un engagement d’ADV de cautionner les obligations d’Allgon ?

[61]        La confirmation par François Binette qu’Allgon jouit du support financier dont il est question à cette date est un énoncé de faits, sans engagements ni promesses par ADV quant aux obligations d’Allgon en faveur d’EWA. D’ailleurs, le courriel P-3 ne réfère même pas au Contrat au terme duquel pourraient découler les obligations d’Allgon envers EWA.

[62]        Le courriel P-3 ne démontre pas l’intention d’ADV de se porter caution ou d’assumer, de façon illimitée, toutes les obligations d’Allgon pour et en son nom. D’ailleurs, ADV n’a jamais payé EWA pour quelques engagements d’Allgon.

[63]        Au mieux, le courriel P-3 constitue un commencement de preuve par écrit, qui autorise la preuve d’un cautionnement verbal. En ce cas, le fardeau de le prouver est encore plus onéreux.


[64]        À cet égard, les principes retenus dans la décision Paquette c. 151082 Canada inc.[22] sont toujours d’application :

The law imposes a particularly heavy burden of proof upon a party who alleges a verbal contract of suretyship. First, he must show that there is a commencement of proof, unless the contract was “carried out by him in the ordinary course of business of an enterprise” (art. 2862 C.C.Q.). Even supposing that this initial hurdle has been overcome, Article 2335 C.C.Q. warns:

 

2335. Suretyship is not presumed; it is effected if it is express.

 

This is a restatement of Article 1935 C.C.b.C. As noted in Commentaires du minister de la Justice, le Code civil du Québec tome II, Québec, Publications du Québec (1993) at page 1467:

 

L’article n’exige pas que le cautionnement soit écrit; il pourrait donc être verbal. En ce cas, cependant, la preuve devrait être faite de l’intention ferme de s’engager ainsi.

 

Professor Jacques Deslauriers Précis de droit des sûretés, 2nd printing, Montreal, Wilson & Lafleur, 1990, writes as follows at page 29 :

 

[…] Il en résulte que le cautionnement ne peut être implicite, ou se déduire des circonstances. La volonté de s’engager de la caution doit être manifeste. Les règles spéciales du cautionnement dérogent à la règle générale des obligations qui prévoient la possibilité d’un consentement implicite (art. 988 C.c.)

 

Later, on the same page, he continues:

 

[…] Même si les règles du cautionnement ne l’exigent pas formellement, un écrit est quant même nécessaire à toutes fins pratiques si le créancier veut prouver devant les tribunaux que la caution a vraiment cautionné la dette. Le créancier ne pourra se servir des présomptions inférées des circonstances. […]

 

This opinion reflects the traditional view that the slightest doubt in these matters should be resolved in favour of the alleged debtor.

 

(Le Tribunal souligne)

[65]        EWA doit prouver une intention ferme d’ADV de se porter caution et de s’engager envers elle. Cette intention ne peut être implicite et on ne peut la déduire des circonstances.

[66]        EWA n’a pas fait cette démonstration.

[67]        En réalité, EWA demande d’intégrer au courriel P-3 le contenu de sa mise en demeure[23] du 21 mai 2007 pour conclure qu’il s’agit d’un cautionnement d’ADV. Cela n’est pas suffisant.

[68]        L’auteur du courriel P-3, François Binette, a expliqué et répété à maintes reprises que le courriel s’adressait à un CFO et qu’il confirmait un fait comptable eu égard à l’organisation financière du Groupe Advantech dont Allgon faisait partie en 2007. François Binette a témoigné qu’il ne pouvait garantir quelque obligation que ce soit, il a simplement exprimé les faits qui prévalaient à l’époque[24].

[69]        Ces échanges entre les CFO des parties se font dans le contexte d’une entente de paiement qui vise à rattraper les retards accumulés du mois de mai et juin 2007 de 631 075 $ et que, de fait, Allgon a entièrement remboursés. La portée du courriel P-3 ne peut être étendue au-delà de ce contexte.

[70]        Enfin, la perception subjective ou non d’EWA quant à la portée du courriel P-3 n’est pas suffisante pour décider de l’engagement d’ADV. Néanmoins, même si tel était le cas, le témoignage de Curtis Sacks à ce sujet n’est pas crédible. C’est un homme d’affaires d’expérience, aguerri qui gère une entreprise comptant plusieurs divisions. Il n’est pas concevable qu’il se soit satisfait que le simple courriel P-3 constitue un cautionnement d’ADV sans autres formalités additionnelles. Il s’agit plutôt d’une interprétation donnée a posteriori pour récupérer d’une société parente les pertes qui découlent du Contrat à la suite de la déconfiture d’Allgon.

v  la réclamation extracontractuelle

[71]        En vertu de l’article 1457 C.c.Q., EWA doit prouver la faute et le préjudice qui découle directement de cette faute.

[72]        EWA prétend qu’ADV aurait dû l’informer qu’elle avait cessé de supporter Allgon à compter d’avril 2008. EWA va plus loin et soulève qu’ADV a agi de mauvaise foi et orchestré à l’avance la déconfiture et la faillite d’Allgon tout en incitant EWA à continuer à lui fournir des unités des composantes pour ses transmetteurs.

[73]        ADV situe cette faute entre mai et juillet 2008, alors qu’elle a livré pour plus de 400 000 $ US de marchandises à Allgon.

[74]        D’une part, la bonne foi se présume et non l’inverse[25]. EWA a le fardeau de renverser cette présomption.

[75]        Pour déterminer s’il y a eu faute, l’examen doit porter sur la conduite d’ADV plutôt que sur les résultats obtenus pour EWA dans ses relations d’affaires avec Allgon[26].

[…]

La décision du Tribunal de lever le “voile corporatif” en vertu de l'article 317 C.c.Q. ou de retenir la responsabilité extracontractuelle d'un administrateur ou d'un actionnaire doit davantage porter sur l'examen de la conduite de celui-ci que sur les résultats pour le créancier de ses relations d'affaires avec la compagnie débitrice. Le comportement du créancier peut aussi faire l'objet de considération.

v  les transactions inter-compagnies au printemps 2008

[76]        EWA prétend que les transactions survenues au printemps 2008 au sein du Groupe ont été faites en violation de ses droits parce qu’elles ont départi Allgon de ses éléments d’actifs au profit d’ADV.

[77]        Il faut apprécier ces transactions dans le contexte global qui prévalait à l’époque.

[78]        En 2008, la crise financière sévit partout dans le monde. Les deux principaux créanciers d’ADV exigent une restructuration du Groupe. C’est dans ce contexte qu’Allgon, qui depuis sa création a toujours été en mode déficitaire, doit assainir ses coûts.

[79]        Selon David Gelerman, la réduction des coûts de fabrication implique un déplacement de l’usinage parce qu’ils sont très élevés en Europe. C’est ainsi qu’il est envisagé de transférer la production à Cornwall. David Gelerman en a d’ailleurs informé EWA dès janvier 2008[27].

[80]        François Binette et Me Sophie Riendeau, une avocate au sein du contentieux d’ADV, ont expliqué les circonstances reliées à l’exécution des transactions survenues entre le 30 avril et le 30 juin 2008.

[81]        La restructuration implique une série de transactions de vente d’actifs inter-compagnies et de remboursements par compensation de dettes inter-compagnies.

[82]        Un rapport d’expert a été requis pour établir la juste valeur marchande de ces transactions.

[83]        L’administrateur séquestre nommé par le Tribunal Suédois révise toutes les transactions effectuées entre les sociétés du Groupe, il les accepte de même que la preuve de réclamation du Groupe.

[84]        EWA n’a pas prouvé que ces transactions étaient frauduleuses ou abusives.

v  le comportement d’adv envers ewa entre avril et juillet 2008

[85]        Les versions de François Binette et David Gelerman sont crédibles et retenues. François Binette est un témoin indépendant, il a quitté le Groupe en novembre 2008.

[86]        ADV est la « grand-mère » corporative d’Allgon. EWA demande en quelque sorte de soulever le voile corporatif pour lier ADV.

[87]        La Cour d’appel édicte ceci à ce sujet :

L’appelant reconnaît qu’en l’espèce les conditions permettant de soulever le voile corporatif ne sont pas remplies. Pour engager la responsabilité extracontractuelle de l’intimé en vertu de l’article 1457 C.c.Q., l’appelant devait démontrer que la faute de ce dernier ne résulte pas uniquement de la transgression d’une obligation contractuelle dont la société est débitrice, mais bien de la transgression d’une obligation légale qui lui incombe et qui est indépendante de la relation contractuelle en cause[28].

(Le Tribunal souligne)

[88]        EWA devait établir, par preuve prépondérante, qu’ADV avait une obligation légale à son endroit et qu’elle l’a transgressée. Le courriel P-3 reflète le statut d’Allgon au sein du Groupe et d’ADV en juin 2007, mais ne comporte pas une obligation envers EWA de maintenir ce statut ad infinitum ni de l’informer d’un changement à cet égard.

[89]        ADV n’a pas contracté l’obligation ni un devoir indéfini envers EWA. Il aurait fallu des termes plus clairs pour dégager un devoir d’information de la nature invoquée par EWA et auquel réfère la jurisprudence qu’elle a déposée à ce sujet[29]. EWA a été remboursée de sa créance qui l’inquiétait à cette époque, mais elle ne peut inférer plus du courriel P-3.

[90]        Allgon est incorporée en vertu des lois suédoises. Certaines exigences non applicables dans notre système juridique sont prévues en vertu de ces lois, tel un apport d’équité minimum de l’actionnaire pour sa filiale. C’est ainsi qu’à la fin de chaque année financière, soit le 30 avril, ADV UK doit prendre un engagement de respecter ces exigences auprès des institutions suédoises appropriées.

[91]        Dans le contexte de la restructuration exigée par les créanciers du Groupe, cet engagement n’a pu être donné le 30 avril 2008. Par contre, cela en soi ne constitue ni une faute ni une transgression quelconque à l’endroit d’EWA envers laquelle ADV n’a aucune obligation légale.

[92]        À compter d’avril 2008, ADV et ses représentants dont François Binette et David Gelerman n’ont pas agi de manière frauduleuse ou trompeuse équivalant à une faute engageant leur responsabilité envers EWA. Le témoignage hors cour de Steven Layron démontre qu’EWA « était sous l’impression » que parce qu’il discutait ou échangeait avec David Gelerman, il obtenait nécessairement des « assurances » d’ADV.

[93]        David Gelerman est le CEO d’Allgon et d’ADV. Il était aux premières loges des opérations du Groupe. Il savait qu’il portait plusieurs « chapeaux » et était prudent avec ses interlocuteurs.

[94]        Le passage suivant du jugement rendu par le juge John Gomery, dans l’affaire Paquette c. 151082 Canada inc.[30] est pertinent :

Applying these principles to the facts in the present matter, it is clear that the assurances given by Defendant to Plaintiffs that he would see to it that their account would be paid by 151082 did not constitute an undertaking by him to be personally bound to their payment. In giving such assurances, he was speaking for and on behalf of the corporation. The only evidence that Defendant might have personally obliged himself towards Plaintiffs is in Gadler’s testimony when he states, on one occasion only, that Defendant assured him that payment of the accounts would “be taken care of, by himself, if necessary”. Apart from the fact that Defendant denies that he made such a promise it is possible to interpret the words allegedly spoken by him to mean that he intented to see to it that 151082 would use its limited resources to pay what it owed to Plaintiffs. They might also be taken to mean that Defendant undertook to advance additional sums to 151082 so that it would be in a position to pay the outstanding accounts, but they do not constitue a clear and unequivocal undertaking that Defendant was binding himself, directly and personally, to pay the account himself.

(Le Tribunal souligne)

[95]        D’ailleurs, David Gelerman a toujours refusé d’assujettir ADV aux obligations d’Allgon. Son témoignage est crédible et retenu. EWA suggère de le discréditer en comparant des extraits de son témoignage hors cour, alors qu’il tente d’expliquer l’obligation imposée par les lois suédoises aux actionnaires des sociétés crées en vertu de celles-ci à la fin de chaque année financière et sa version donnée à l’audience.

[96]        Même si ADV ne pouvait plus satisfaire aux exigences des lois suédoises à compter d’avril 2008, elle a néanmoins continué de supporter Allgon. Le Groupe y injecte 12 M$ sur une période de deux ans et demi. Allgon était un canard boiteux avec lequel transigeait EWA depuis au moins 2002, bien avant l’acquisition par ADV UK.

[97]        David Gelerman reconnaît qu’Allgon est insolvable en avril 2008, mais dit-il, Allgon est déficitaire depuis sa création et ce, bien avant qu’ADV UK n’en fasse l’acquisition.


[98]        La Cour d’appel, dans l’arrêt Lanoue c. La Brasserie Labatt Limitée[31] rappelle que l’insolvabilité d’une société ne doit pas avoir pour effet d’interpréter le comportement de ses actionnaires de manière à les rendre débiteurs personnels.

L'insolvabilité future de la personne morale n'a pas pour effet de rendre les actionnaires débiteurs personnels d'une dette qu'ils n'avaient garantie en aucune façon; c'est l'essence même de la personnalité juridique de la personne morale qui est ici en cause.  Il ne saurait donc être question de «soulever le voile corporatif» pour condamner les frères Lanoue à titre d'actionnaires.

 

Par ailleurs, Labatt n'a pas établi que les frères Lanoue, à titre d'administrateurs, avaient commis une faute entraînant leur responsabilité extracontractuelle.

 

Le premier juge semble conclure que Citi Club a tenté d'éviter le paiement de ses dettes à ses fournisseurs, et ce, à l'instigation, cela va de soi, de ses administrateurs, les frères Lanoue.  Même si on accepte cette conclusion de fait et si l'on retient ce reproche à l'endroit des frères Lanoue, cela me paraît insuffisant pour engager leur responsabilité extracontractuelle.  Raisonner autrement aurait pour effet d'entraîner la responsabilité de tous les administrateurs d'une société qui tente d'éviter le paiement de ses dettes par des gestes peut-être discutables, mais qui n'équivallent ni à la fraude ni à l'abus de droit

(Le Tribunal souligne)

[99]        Quoi qu'il en soit et contrairement aux prétentions d’EWA, ADV a continué de supporter Allgon en lui livrant de la marchandise[32], et ce, jusqu’après le dépôt de l’arrangement par Allgon, lui permettant de recevoir ses comptes clients et de payer ses créanciers. Elle lui transfère des fonds, même en juillet 2008[33]. Les rapports de trésorerie et les échanges entre François Binette, David Gelerman et les responsables chez Allgon entre juin 2008 et août 2008 démontrent les efforts qui sont faits pour sauver Allgon du naufrage.

[100]     Le jugement[34] du juge Jacques Dufresne, alors à notre Cour, confirme dans des circonstances similaires, que les agissements des actionnaires et administrateurs ne sont pas frauduleux ou fautifs surtout quand on apprécie ce comportement avec des gens avisés :

Le Tribunal ne peut se convaincre, dans ces circonstances, que Jean-Pierre Garraud ait abusé de la bonne foi de Winstar. Il est vrai que celui-ci a cherché à obtenir de Winstar et a obtenu, après la remise des quatre chèques, la livraison de nouveaux produits, ce qui permettait à Pasadena d'augmenter ses inventaires. L'augmentation de ses inventaires améliorait les ratios utilisés par la banque pour le calcul de la marge de crédit et permettait du même coup à Pasadena d'espérer de nouvelles entrées de fonds par la vente des produits.

 

Il est apparent que Jean-Pierre Garraud tentait par tous les moyens d'améliorer la position financière de Pasadena, mais le Tribunal ne peut se convaincre que celui-ci agi de façon frauduleuse à l'endroit de Winstar. Jean-Pierre Garraud espérait pouvoir commencer à rembourser Winstar, à même l'augmentation de la marge de crédit de Pasadena.

 

Jean-Pierre Garraud transigeait avec des gens d'affaires avisés.

 

[…]

 

Winstar a choisi de continuer à faire affaires avec Pasadena, malgré le manque de liquidités évident de celle-ci. Elle a adopté cette stratégie croyant qu'elle pourrait être éventuellement remboursée par Pasadena La stratégie de recouvrement de Winstar n'a pas donné les résultats escomptés. Peut-être a-t-elle trop misé sur les représentations du principal dirigeant de Pasadena, mais celui-ci discutait, négociait et faisait des représentations auprès de Winstar dans le but de continuer les activités commerciales de Pasadena.

 

(Leurs soulignés)

[101]     D’ailleurs, les états financiers mensuels de trésorerie démontrent que malgré la compensation des créances dues par Allgon à la suite des transactions au printemps 2008, Allgon a augmenté substantiellement sa dette envers ses sociétés.

[102]     Les dettes d’Allgon augmentent ainsi envers le Groupe[35] :

 

 

En juin 2008

En août 2008

Advantech AMT

7 564 114,00 SEK

8 604 903,67 SEK

Advantech UK

1 228 560,50 SEK

1 128 560,00 SEK

Advantech AMS

6 251 711,72 SEK

8 943 868,03 SEK


[103]     EWA a librement pris un risque calculé en livrant 400 000 $ de marchandises à Allgon et en continuant d’en fabriquer pour son compte. Elle a continué son modus operandi comme elle le faisait auparavant, alors qu’Allgon était fréquemment en retard dans ses paiements. Elle a pris un risque commercial avec une cliente qu’elle connaissait très bien. Elle ne peut imputer sa perte à ADV qui n’a commis aucune faute susceptible d’engager sa responsabilité à son endroit.

[104]     POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[105]     REJETTE la « Re-amended Motion to Institute Proceedings with Particulars » ;

[106]     AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

Danièle Mayrand, j.c.s.

 

Me Stephen G. Schenke et

Me Gene Kruger

mccarthy tétrault

Procureurs de la demanderesse

 

Me Stéphane Cléroux

arnault thibault cléroux

Procureur de la défenderesse

 

Date d’audience :

12, 13, 14, 15 février 2013

 

 



[1]     Le Supply Agreement en vigueur le 1er décembre 2005.

[2]     Advantech Advanced Manufacturing Services (« AMS »)

[3]     Témoignage hors cour le 6 janvier 2010 et à l’audience.

[4]     Témoignage hors cour le 15 septembre 2009 et à l’audience.

[5]     Témoignage hors cour le 26 février 2009

[6]     Témoignage à l’audience.

[7]     Témoignage à l’audience.

[8]     Pièce P-49, Logistical model : delivery forecast agreement, annexe au Contrat.

[9]     Pièce P-2

[10]    Pièce P-47

[11]    Pièce P-48

[12]    Pièce P-46

[13]    Elle négocie une réduction de l’espace avec son locateur.

[14]    Pièces P-33 et P-17

[15]    Foreberance Agreement

[16]    Pièce D-1

[17]    Pièce P-4

[18]    Les pièces P-48 et P-49.

[19]    Bigeault c. Larocque, 2007 QCCA 611 , paragr. 4 : […] Il n’y a jamais eu l’expression de volonté, par résolution ou autrement, de la part de Byroc de se porter caution, contrairement à l’article 2355  C.c.Q. qui exige que le cautionnement soit exprès. […]

[20]    Article 2335 C.c.Q.

[21]    Paquette c. 151082 Canada inc., J.E. 2000-187 , p. 6.

[22]    Précité, note 21.

[23]    Pièce P-2.

[24]    De fait, entre 2006 et 2008, le Groupe a supporté financièrement Allgon et y a investi plus de 12 M$.

[25]    L’article 2805 C.c.Q.

[26]    Winstar Global Products Inc. c. Distribution Pasadena International Inc. (23 août 1999), Montréal, 500-17-001476-970, J.E. 99-1749 , p. 14 (C.S.).

[27]    Pièce P-48.

[28]    Corp. d’hébergement du Québec c. Pouliot (5 mars 2003), Québec, 200-09-003616-015, J.E. 2003-695 , à la p. 3 (C.A.).

[29]    BNP Paribas (Canada) v. Ikea Property Ltd, 2005 QCCA 297  ; Marcel Oligny Inc. v. Development Robero Inc., EYB 1995-71516 .

[30]    Précité, note 21.

[31]    (13 avril 1999) Montréal, 500-09-001693-951, J.E. 99-857 , pp. 7 à 9 (C.A.).

[32]    AMS a livré à Allgon pour 1.2 M$ de marchandise le lendemain du dépôt de sa proposition le 22 novembre 2008.

[33]    Pièce P-16, transfert de fonds d’Allgon Montréal, à Allgon le 7 juillet 2008.

[34]    Précité, note 26, pp. 11, 12 et 13.

[35]    Pièce P-16

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