Décision

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Modèle de décision CLP - octobre 2008

Rivard et Roxboro Excavation inc.

2015 QCCLP 4047

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

22 juillet 2015

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

507610-64-1304

 

Dossier CSST :

139449300

 

Commissaire :

Marie Langlois, juge administrative

 

Membres :

René F. Boily, associations d’employeurs

 

Marc Marcoux, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

Marc-André Rivard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Roxboro Excavation inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 13 août 2014, Roxborro Excavation inc. (l’employeur) dépose une requête par laquelle il demande la révision ou la révocation d’une décision rendue le 31 juillet 2014 par la Commission des lésions professionnelles.

[2]           Par cette décision du 31 juillet 2014, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de monsieur Marc-André Rivard (le travailleur); infirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 3 avril 2013 à la suite d’une révision administrative; déclare que le travailleur était incapable d’exercer son emploi prélésionnel à compter du 1er février 2013 et qu’il avait droit à la poursuite du versement d’une indemnité de remplacement du revenu; et déclare qu’il n’a pas à rembourser la somme de 703.85 $ représentant l’indemnité de remplacement du revenu qui lui a été versée pour la période comprise entre le 1er et le 7 février 2013.

[3]           Une audience portant sur la requête en révision ou révocation est tenue le 17 juin 2015 à St-Jérôme. Le travailleur n’est pas présent, mais il est représenté par un avocat. L’employeur est également représenté par un avocat. La cause est mise en délibéré au terme de l’audience le 17 juin 2015.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           Par sa requête, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision du 1er juillet 2014 et de déclarer que le travailleur avait la capacité de reprendre son travail à compter du 1er février 2013, du fait qu’aucune limitation fonctionnelle ne résulte de la lésion professionnelle, conformément à l’opinion du médecin qui a charge du travailleur, le docteur Mal-Lawane. De façon subsidiaire, l’employeur demande de retourner le dossier à la CSST pour que le dossier soit soumis au Bureau d’évaluation médicale dans le cadre du processus d’évaluation médicale afin que les limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle soient évaluées.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la décision du 31 juillet 2014 n’est entachée d’aucun vice de fond de nature à l’invalider. Ils rejetteraient la requête de l’employeur.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la décision du 31 juillet 2014 doit être révisée ou révoquée.

[7]           La Commission des lésions professionnelles peut réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue uniquement pour l’un des motifs prévus à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). L’article 429.56 se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]           Ainsi, pour pouvoir bénéficier de la révision ou de la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, une partie doit démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs prévus par le législateur à la disposition précitée, sans quoi, sa requête doit être rejetée.

[9]           Comme l’énonce la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles[2], le pouvoir de révision ou de révocation prévu à l’article 429.56 de la loi doit être considéré comme une procédure d’exception ayant une portée restreinte.

[10]        La jurisprudence rappelle invariablement que le recours en révision ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :

429.49.

(…)

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[11]        En l’espèce, l’employeur soumet que la décision du 31 juillet 2014 comporte un vice de fond de nature à l’invalider en application du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[12]        Comme le rappelait la Cour d’appel en 2005 dans les affaires Fontaine et Touloumi[3], une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel insiste sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitant et incitant la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue lorsqu’elle est saisie d’un recours en révision. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle pourra être révisée[4]. D’ailleurs, dans une récente décision[5], la Cour d’appel reprend avec encore plus d’emphase ces principes dans les termes suivants :

[65]      Nous l’avons vu, un vice de fond n’est pas une divergence d’opinions ni même une erreur de droit. Un vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même.

 

[66]      Les qualificatifs utilisés par la Cour ne manquent pas : « serious and fundamental defect, fatal error, unsustainable finding of facts of law », décision ultra vires ou légalement nulle.

 

 

[En italique dans le texte original]

[13]        De plus, le recours en révision, sous prétexte d’un vice de fond, ne peut constituer un appel ni une invitation faite à un second juge administratif de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle du premier juge administratif[6]. Le recours en révision ou en révocation n’est donc pas une occasion permettant à une partie de bonifier sa preuve ou de peaufiner ses arguments[7]. La requête en révision n’est pas non plus un outil destiné à assurer la cohérence des décisions administratives[8]. D’ailleurs, la Cour d’appel reconnaît que le système de droit administratif admet la théorie du pluralisme interprétatif[9]. Il ne s’agit pas non plus d’une occasion pour faire a posteriori ce qui aurait pu être fait lors de l’audience initiale ou pour s’en plaindre.

[14]        En l’espèce, l’employeur soutient que le premier juge administratif était lié par l’opinion émise par le docteur Mal-Lawane dans son « rapport final » du 28 janvier 2013 eu égard à l’absence de limitation fonctionnelle. Selon lui, le fait que le premier juge administratif retienne les conclusions du docteur Gaspard, émises au « rapport d’évaluation médicale » le 30 septembre 2013, constitue un vice de fond de nature à invalider la décision du 31 juillet 2014. L’employeur soulève également que le premier juge administratif a erronément tenu compte du rapport du docteur Boivin alors que celui - ci avait été mandaté par la Commission de la construction du Québec. De plus, il invoque que les conséquences de cette décision ont pour effet de le priver de son droit d’utiliser la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi. Il invoque alors que son droit à une défense pleine et entière a été bafoué.

[15]        Qu’en est-il?

[16]        Il y a lieu de rapporter quelques éléments de la preuve pour une meilleure compréhension.

[17]        Le 17 mai 2012, le travailleur est victime d’une lésion professionnelle lors d’une chute au sol. Il s’inflige une fracture du tibia et du péroné gauches.

[18]        Le 19 mai 2012, le travailleur subit une intervention chirurgicale pour la réduction de la fracture, chirurgie qui est pratiquée par le docteur Mal-Lawane, chirurgien orthopédiste. Ce médecin assumera le suivi médical au cours des visites médicales mensuelles subséquentes.

[19]        Le 28 janvier 2013, le docteur Mal-Lawane produit un formulaire de « rapport final ». Il indique que la lésion est consolidée le 28 janvier 2013 avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et sans limitations fonctionnelles. Le médecin précise qu’il ne produira pas le « rapport d’évaluation médicale » et il dirige le travailleur au docteur Antoine Gaspard, chirurgien orthopédiste, pour ce faire.

[20]        Par ailleurs, dans une décision du 7 février 2013, la CSST informe le travailleur qu’elle considère qu’il est capable d’exercer son emploi depuis le 1er février 2013 et qu’il n’a plus droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date. De plus, la CSST informe le travailleur qu’il devra rembourser les indemnités qui lui ont été versées du 1er au 7 février 2013, soit la somme de 703,85 $. Le travailleur conteste cette décision qui est maintenue par la CSST le 3 avril 2013 à la suite d’une révision administrative. Il s’agit du litige soumis au premier juge administratif.

[21]        Le 8 mai 2013, le travailleur revoit le docteur Mal-Lawane se plaignant de douleurs résiduelles. Le médecin envisage l’exérèse du matériel de synthèse installé au niveau du tibia gauche.

[22]        Ce n’est finalement que le 30 septembre 2013 que le travailleur est vu par le docteur Gaspard pour l’évaluation médicale demandée par le docteur Mal-Lawane en janvier précédent. Ce dernier indique avoir pris connaissance du rapport médical final du 28 janvier 2013, lequel indique que le travailleur conserve une atteinte permanente, mais pas de limitations fonctionnelles. Malgré tout, le docteur Gaspard est d’avis que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles de la classe 1 qui pourraient être réévaluées à la suite de l’exérèse du matériel de synthèse.

[23]        Le 9 janvier 2014, le docteur Mal-Lawane précise dans un formulaire de demande d’invalidité que le travailleur présente des restrictions marquées et qu’il est incapable d’effectuer les tâches habituelles de sa fonction puisqu’il n’a pas de tolérance à la marche ni à la station debout. Il mentionne qu’il s’agit de limitations fonctionnelles temporaires et que le travailleur est en attente pour une chirurgie visant l’exérèse du matériel de synthèse.

[24]        Le 6 février 2014, le travailleur est évalué par le docteur Jules Boivin, chirurgien orthopédiste, à la demande de la Commission de la construction du Québec qui agit en tant que gestionnaire du régime d’assurance du travailleur. Le médecin est d’avis que le travailleur n’était pas en mesure d’exercer complètement les tâches habituelles de sa fonction de manœuvre spécialisée à temps plein depuis le 1er février 2013. Il écrit « Dans la même foulée, j’ajouterais que les limitations fonctionnelles temporaires qui ont été reconnues par le docteur Gaspard pourront être révisées une fois que le travailleur aura complété sa convalescence après la chirurgie qui est prévue pour le 7 février 2014 ».

[25]        Finalement, le 7 février 2014 le docteur Mal-Lawane procède à l’exérèse du matériel de synthèse.

[26]        Le travailleur produit alors une réclamation auprès de la CSST afin de faire reconnaître la chirurgie en tant que lésion professionnelle, à savoir une récidive, une rechute ou une aggravation en lien avec la lésion professionnelle initiale survenue le 17 mai 2012. Le 11 mars 2014, la CSST accepte la réclamation du travailleur.

[27]        Le 11 juin 2014, le docteur Mal-Lawane produit un nouveau rapport médical final en lien avec la récidive, rechute ou aggravation du 7 février 2014 dans lequel il consolide la lésion du travailleur avec la présence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique, mais sans limitations fonctionnelles.

[28]        À la suite de l’audience qui a mené à la décision du 31 juillet 2014, le premier juge administratif retient du témoignage du travailleur que « cette intervention [exérèse du matériel de synthèse] a été une réussite puisqu’il ne ressent presque plus de douleurs au niveau de son membre inférieur gauche. Il évalue qu’il a récupéré environ 95 % des capacités qu’il présentait avant son accident du 17 mai 2012 ».

[29]        De l’ensemble de cette preuve, eu égard aux limitations fonctionnelles, le premier juge administratif constate à bon droit qu’il y a contradiction entre l’opinion du docteur Mal-Lawane, médecin qui a charge du travailleur, et celle du docteur Gaspard, médecin chargé par le docteur Mal-Lawane de procéder à l’évaluation des séquelles. Le docteur Mal-Lawane indique au « rapport final » que la lésion professionnelle n’a pas entraîné de limitations fonctionnelles, alors que le docteur Gaspard identifie des limitations fonctionnelles de classe 1 à son « rapport d’évaluation médicale ». Il y a donc contradiction entre l’opinion du médecin qui a complété le « rapport final » et celui qui a complété le « rapport d’évaluation médicale ».

[30]        Le premier juge administratif, se fondant sur la jurisprudence, retient que la CSST était liée par le « rapport d’évaluation médicale » complété par le docteur Gaspard et conclut en conséquence que la décision de capacité rendue par la CSST avant le « rapport d’évaluation médicale » était prématurée. Par conséquent, compte tenu des limitations fonctionnelles, de l’opinion du docteur Gaspard et de celle du docteur Boivin, il conclut que le travailleur n’a pas la capacité de reprendre son emploi à compter du 1er février 2013.

[31]        L’employeur plaide que ce faisant, le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante qui vicie la décision et qu’il a été privé de son « droit à une défense pleine et entière ».

[32]        La soussignée estime qu’aucune erreur manifeste et déterminante de nature à invalider la décision n’a été commise et que l’employeur n’a pas été privé de ses droits de présenter sa preuve, ses moyens et ses arguments.

[33]        En effet, le premier juge administratif distingue les faits de l’espèce de ceux rapportés dans les décisions soumises en appui à la thèse de l’employeur[10]. Il écarte donc les arguments de l’employeur fondés sur ces décisions. Aucun reproche ne peut lui être adressé à ce sujet.

[34]        Puis, après avoir cité l’article 203 de la loi, il souligne que le formulaire de « rapport final » ne permet pas de préciser le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ni de décrire les limitations fonctionnelles, ce qui est plutôt fait dans le cadre du « rapport d’évaluation médicale ». Il s’exprime ainsi :

[43]      À cet égard, soulignons que le formulaire prescrit par la CSST et qui s’intitule « Rapport final » permet rarement au médecin qui a charge d’un travailleur de produire un rapport conforme aux dispositions de l’article 203 de la loi lorsqu’il est d’avis que ce dernier conserve une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles à la suite de la lésion professionnelle subie.

 

[44]      En effet, ce rapport permet au médecin d’indiquer si la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles, mais il ne contient pas un espace suffisant qui permet, en règle générale, au médecin de préciser le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ainsi que de décrire les limitations fonctionnelles résultant de la lésion.

 

 

[35]        Il retient que « [l]a Commission des lésions professionnelles a donc décidé à de nombreuses reprises que dans ces circonstances c’est la conjugaison du “Rapport final” et du “Rapport d’évaluation médicale” sur les formulaires prescrits par la CSST qui constitue le rapport final au sens de l’article 203 de la loi ». Il cite la jurisprudence du tribunal[11] en dégageant et en adoptant les principes énoncés en ce sens.

[36]        Son analyse l’emmène à donner un caractère liant aux conclusions du « rapport d’évaluation médicale » quant aux limitations fonctionnelles plutôt qu’à celles du « rapport final ». Il s’explique comme suit :

[53]      Le soussigné partage l’opinion exprimée dans ces décisions et considère qu’il y a lieu de préférer le rapport d’évaluation médicale comme étant celui qui possède un caractère liant puisqu’il est celui qui respecte les dispositions de l’article 203 de la loi.

 

 

[37]        La soussignée ne peut voir quelque erreur que ce soit dans l’analyse des faits ou dans l’interprétation de la loi et encore moins une erreur de nature à invalider la décision. Certes, l’employeur estime que la loi aurait dû être interprétée de sorte que le « rapport final » émis par le médecin qui a charge a préséance sur le « rapport d’évaluation médicale » produit par un autre médecin. Pour lui, les conclusions du docteur Mal-Lawane sur l’absence de limitations fonctionnelles sont celles qui lient le tribunal. Ce n’est pas l’interprétation que fait le premier juge administratif de l’article 203 de la loi et l'interprétation qu'il retient est dûment appuyée par la jurisprudence du tribunal.

[38]        Rappelons à nouveau, comme l’énonce la Cour d’appel dans l’affaire Godin[12], qu’une divergence d’opinions quant à la façon d’interpréter une disposition législative ne constitue pas un vice de fond de nature à invalider la première décision, l’article 429,56 de la loi (dont le libellé est le même que l’article 154 de la Loi sur la Justice administrative RLRQ, J-3, que la Cour d’appel était chargée d’interpréter dans cette affaire) ne crée pas de droit d’appel. Dans l’affaire M.L.[13], la Cour d’appel ajoute qu’une divergence d’opinions, même sur une question importante, ne constitue pas un vice de fond. Ces principes sont repris avec approbation dans l’affaire Moreau[14] de la Cour d’appel de mai 2014.

[39]        Cette conclusion dispose du premier argument de l’employeur.

[40]        Le premier juge administratif était valablement saisi de la question de capacité et il lui appartenait à la lumière de la preuve au dossier et de celle produite à l’audience de trancher cette question. L’employeur lui reproche de s’être fondé, entre autres, sur le rapport médical du docteur Boivin alors que ce dernier agissait dans le cadre d’un mandat confié par la Commission de la construction du Québec. Ce reproche ne tient pas la route puisque cet élément de preuve est tout à fait pertinent pour l’issue du litige.

[41]        Rappelons que la jurisprudence établit qu’en droit civil, la règle principale en matière de recevabilité d’une preuve est sa pertinence par rapport au litige. Cette règle s’applique également à la Commission des lésions professionnelles[15].

[42]        Or, un rapport médical dans lequel un médecin se prononce sur la capacité du travailleur à reprendre son emploi compte tenu de sa condition médicale est certainement un élément de preuve des plus pertinents au présent cas où justement la question en litige est la capacité du travailleur à reprendre son emploi. La pertinence de cet élément de preuve n’est aucunement affectée par la provenance du mandat. Que le mandat ait été donné par le gestionnaire du régime d’assurance du travailleur ne change rien à la pertinence de son contenu. Certes, l’opinion de ce médecin n’a aucun caractère liant pour la CSST et sa valeur probante doit être évaluée, mais il n’en demeure pas moins que l’opinion est pertinente à la solution du litige.

[43]        Ainsi, le premier juge administratif n’a certainement pas erré en tenant compte du rapport médical du docteur Boivin dans sa prise de décision. Cet argument de l’employeur est également rejeté.

[44]        Quant au troisième argument, il est vrai que le « rapport d’évaluation médicale » a été produit plus de 8 mois après le « rapport final » et qu’entretemps la CSST a rendu une décision de capacité. L’employeur indique qu’il n’avait pas de motifs de contester le « rapport final » puisque ce dernier ne prévoyait aucune limitation fonctionnelle. Le premier juge administratif s’écartant des conclusions du rapport final eu égard aux limitations fonctionnelles, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de retourner le dossier à la CSST afin que ses droits quant au processus d’évaluation médicale soient préservés.

[45]        Appuyant son propos, l’employeur dépose une décision de la Cour supérieure rendue en 1988[16] stipulant que la CSST doit avoir l’opportunité de se prononcer sur une question avant que l’instance d’appel le fasse. Dans cette affaire, la Cour supérieure énonce que la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) n’avait pas la compétence juridictionnelle pour statuer sur une question puisque le bon processus n’avait pas été suivi, à savoir que le litige aurait dû être soumis au Bureau de révision paritaire et non pas à l’arbitrage médical, avant d’être décidé par la CALP, conformément aux dispositions de la loi en vigueur à cette époque. La Cour décide que la CALP aurait dû se contenter de constater l’erreur de processus et retourner le dossier à la CSST pour qu’elle se prononce sur la demande initiale du travailleur.

[46]        Avec respect, la soussignée estime que cette décision ne permet pas de faire droit aux prétentions de l’employeur puisque dans le cadre du présent dossier, contrairement à ce que prétend l’employeur, le premier juge administratif n’avait pas à retourner le dossier à la CSST. Au contraire, il devait se saisir de la question et en disposer.

[47]        D’ailleurs, la Cour d’appel[17] invite les tribunaux administratifs à trancher les litiges dont ils sont saisis sans retourner inutilement aux paliers inférieurs. Selon la Cour d’appel, les tribunaux administratifs doivent refuser d’adopter une position rigide et inflexible qui peut conduire à un va-et-vient stérile entre les divers paliers de décision et à un allongement néfaste des délais.

[48]        En l’espèce, constatant que le docteur Gaspard identifiait des limitations fonctionnelles au « rapport d’évaluation médicale », l’employeur aurait pu dès ce moment entamer le processus d’évaluation médicale qui aurait pu mener à un avis du Bureau d’évaluation médicale conformément aux dispositions de la loi et, le cas échéant, influencer la décision de capacité en résultant. Ne l’ayant pas fait, il est maintenant forclos de le faire et il ne peut reprocher quoi que ce soit au premier juge administratif à ce chapitre. Il n’a pas entamé le recours approprié pour contester les limitations fonctionnelles établies dans le « rapport d’évaluation médicale ».

[49]        Le premier juge administratif était saisi d’une question de capacité à exercer l’emploi. Il a conclu que la CSST avait rendu une décision de façon prématurée en se prononçant sur cette question alors que le « rapport d’évaluation médicale » annoncé par le docteur Mal-Lawane dans son « rapport final » du 28 janvier 2013 n’avait pas encore été fait. C’est d’ailleurs ce qu’il énonce au paragraphe 55 de sa décision :

[55]      Puisque la CSST a rendu une décision concernant la capacité du travailleur d’exercer son emploi avant qu’elle ait entre les mains la description des limitations fonctionnelles que conserve ce dernier à la suite de la lésion professionnelle qu’il a subie le 17 mai 2012, il appert que cette décision était prématurée et qu’elle a été rendue sans tenir compte d’éléments de preuve pertinents, soit les limitations fonctionnelles.

 

 

[50]        Devant cet état de fait, le premier juge administratif tranche donc la question de la capacité du travailleur à exercer son emploi à partir des éléments de preuve dont il dispose au moment de rendre sa décision. Encore là, on ne peut lui reprocher quoi que ce soit dans l’exercice de son rôle d’adjudication. L’argument de l’employeur est ainsi rejeté.

[51]        En somme, l’employeur n’a pas fait la preuve d’une erreur manifeste et déterminante correspondant à un vice de fond de nature à invalider la décision au sens de l’article 429.56 de la loi, pas plus qu’il n’a démontré avoir été privé de ses droits. Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révision ou en révocation.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision ou en révocation déposée par Roxboro Excavation inc..

 

 

__________________________________

 

Marie Langlois

 

 

 

 

Me Dominic Martineau

Martineau Hébert avocats S.E.N.C.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Bernard Cliche

Langlois Kronström Desjardins

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Voir entre autres Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[3]           CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).

[4]           Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).

[5]           Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2014 QCCA 1067, par. 65 et 66.

[6]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée 22 janvier 2004 (30009).

[7]           Bossé et Mirinox, C.L.P. 352202-31-0806, 6 novembre 2009, C. Racine, (09LP-158).

[8]           Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec, précité, note 5, par. 71.

[9]           Idem, par. 71.

[10]         Voir les paragraphes 28 à 31 de la décision qui réfère aux décisions suivantes : Lapierre-Gagnon et Élagage Gaspé, 2011 QCCLP 2693; Charest et Corporation municipale de St-Calixte, 2011 QCCLP 4561; Caron et Aliments surgelés Conagra ltée, C.L.P. 243164-03B-0409, 1er mars 2005, M. Cusson; Gauthier et Express Golden Eagle inc,, C.L.P. 286081-63-0604, 10 avril 2008, M. Gauthier;

 

[11]         Voir notamment : Leclair et Ressources Breakwater - Mine Langlois, C.L.P. 138655-08-0004, 23 juillet 2001, P. Prégent; Côté et Gestion Rémy Ferland inc., C.L.P. 175597-03B-0201, 20 juin 2002, J.-F. Clément; Bussières et Abitibi Consolidated (division La Tuque), [2004] C.L.P. 648; Trudel et Transelec/Common inc., C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois, requête en révision rejetée, 13 juillet 2007, C.-A. Ducharme; Morin et Agence du revenu du Canada, 2011 QCCLP 6132.

[12]         [2003] R.J.Q. 2490.

[13]         M.L. c. Québec (Procureur général), 2007 QCCA 1143, J. E. 2007-1728 (C.A.).

[14]         Précité, note 5.

[15]         D… B… et Compagnie A, 2011 QCCLP 6240; Vézina et Canada (Ministère de la Défense nationale) (Adm. Pers. Civil), 2014 QCCLP 5147; Boivin et AMR Maître Ébéniste, 2014 QCCLP 1968.

[16]         Duplantis c. CALP et STCUM, [1988] C.A.L.P. 911 (désistement en appel 500-09-001272-889).

[17]         J.R. c. Société d’assurance automobile du Québec, 2011 QCCA 1595, [2011] J.Q. no 11991.

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