Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [2003] 1 R.C.S. 178, 2003 CSC 17
Les Éditions Chouette (1987) inc. et Christine L'Heureux Appelantes
c.
Hélène Desputeaux Intimée
et
Me Régis Rémillard Mis en cause
et
Centre d'arbitrage commercial national et international du
Québec, Union des écrivaines et écrivains québécois, Conseil
des métiers d'art du Québec et Regroupement des artistes en
arts visuels du Québec Intervenants
Répertorié : Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc.
Référence neutre : 2003 CSC 17.
No du greffe : 28660.
2002 : 6 novembre; 2003 : 21 mars.
Présents : Les juges Gonthier, Iacobucci, Bastarache, Binnie, Arbour, LeBel et Deschamps.
en appel de la cour d'appel du québec
Arbitrage — Interprétation d’un contrat entre un artiste et un diffuseur — Droit d’auteur — La Loi sur le droit d’auteur empêche-t-elle un arbitre de statuer sur la question des droits d’auteur? — Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, art. 37.
Arbitrage — Interprétation d’un contrat entre un artiste et un diffuseur — Droit d’auteur — Ordre public — La question relative à la paternité des droits d’auteur échappe-t-elle à la compétence arbitrale parce qu’elle est assimilable à une question d’ordre public tenant à l’état des personnes et aux droits de la personnalité? — La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en indiquant que le caractère erga omnes des décisions concernant la paternité des droits d’auteur fait obstacle à la procédure arbitrale? — Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 2639 — Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q., ch. S-32.01, art. 37.
Arbitrage — Sentence arbitrale — Validité — Étendue du mandat de l’arbitre — Interprétation d’un contrat entre un artiste et un diffuseur — L’arbitre a-t-il outrepassé son mandat en se prononçant sur la question de la propriété des droits d’auteur? — La sentence doit-elle être annulée parce que l’arbitre n’a pas respecté les exigences relatives à la forme et au contenu des contrats entre les artistes et les diffuseurs? — Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q., ch. S-32.01, art. 31, 34.
Arbitrage — Sentence arbitrale — Examen d’une question d’ordre public — Limites du contrôle de la validité des sentences arbitrales — Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 946.4, 946.5.
Arbitrage — Procédure — Justice naturelle — Modes de preuve — Interprétation d’un contrat entre un artiste et un diffuseur — La procédure arbitrale a-t-elle été conduite en violation des règles de justice naturelle?
D, L et C s’associent en vue de créer des livres pour enfants. L est
dirigeante et actionnaire majoritaire de C. D dessine et L rédige les textes
des premiers livres de la série Caillou. Entre 1989 et 1995, plusieurs
contrats relatifs à la publication des illustrations du personnage Caillou
interviennent entre D et C. D signe à titre d’auteure et L signe à titre
d’éditrice. En 1993, les parties signent un contrat de licence d’exploitation
du personnage Caillou. D et L s’y représentent comme coauteures et cèdent à C,
à l’exclusion des droits accordés dans les contrats d’édition, certains droits
de reproduction pour le monde entier et sans aucune stipulation de durée. Les
parties renoncent à exercer toute revendication fondée sur leur droit moral à
l’égard de Caillou. Elles autorisent également C à concéder à des tiers des
sous-licences sans leur approbation. Un avenant signé en 1994 stipule
que dans l’éventualité où D réaliserait des illustrations destinées à l’un des
projets d’utilisation de Caillou, un forfait correspondant au travail exigé lui
serait payé. En 1996, confrontée à des difficultés d’interprétation et
d’application du contrat de licence d’exploitation, C présente une requête pour
faire reconnaître ses droits de reproduction. D lui oppose une requête en
exception déclinatoire visant à renvoyer les parties devant un arbitre comme le
prévoit l’art.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli. L’arbitre a agi conformément à sa mission et n’a commis aucune erreur qui donne ouverture à l’annulation de la sentence arbitrale.
Les parties à une convention d’arbitrage jouissent d’une autonomie
quasi illimitée pour identifier les différends qui pourront faire l’objet de la
procédure d’arbitrage. Sous réserve des dispositions législatives pertinentes,
cette convention constitue l’acte de mission de l’arbitre et définit le cadre
fondamental de son intervention. Toutefois, dans le présent litige, la
mission arbitrale n’est pas définie par un document unique. Son cadre et son
contenu ont été établis par un jugement de la Cour supérieure, ainsi que par un
échange de lettres entre les parties et l’arbitre. Le premier jugement de la
Cour supérieure a limité la compétence de l’arbitre en lui retirant l’examen
des problèmes de validité des ententes intervenues. Cette restriction incluait
nécessairement les moyens de nullité fondés sur la conformité des conventions
aux formalités impératives imposées par les art.
L’article
La sentence arbitrale n’est pas contraire à l’ordre public.
L’interprétation et l’application de la notion d’ordre public dans le domaine
de l’arbitrage conventionnel au Québec doivent prendre en compte la politique
législative qui accepte cette forme de règlement des différends et qui entend
même en favoriser le développement. Sauf dans quelques matières fondamentales
mentionnées à l’art.
La Cour d’appel a également commis une erreur en mentionnant que l’opposabilité d’une décision en matière de droit d’auteur à l’égard de tous et, par conséquent, la nature de ses effets sur les tiers font obstacle à la procédure arbitrale. Le Code de procédure civile ne considère pas l’effet d’une sentence arbitrale sur les tiers comme un motif permettant de l’annuler ou d’en refuser l’homologation. L’arbitre s’est prononcé sur la titularité des droits d’auteur afin de départager les droits et obligations des parties au contrat. Cette décision arbitrale fait autorité entre les parties mais ne lie pas les tiers.
Enfin, en adoptant une norme de révision fondée sur le contrôle pur et simple de toute erreur de droit commise à l’examen d’une question d’ordre public, la Cour d’appel a appliqué une approche qui porte atteinte au principe fondamental de l’autonomie de l’arbitrage et qui étend l’intervention judiciaire au moment de l’homologation ou de la demande d’annulation de la sentence arbitrale bien au-delà des cas prévus par le Code de procédure civile. L’ordre public reste certes pertinent, mais uniquement au niveau de l’appréciation du résultat global de la procédure arbitrale.
D n’a pas établi une violation des règles de justice naturelle pendant la procédure arbitrale.
Jurisprudence
Arrêts approuvés : Laurentienne-vie, compagnie
d’assurance inc. c. Empire, compagnie d’assurance-vie,
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 2638, 2639, 2640, 2643,2848.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 33, 846, 943, 943.1, 944.1 [mod. 1992, ch. 57, art. 422], 944.10, 946.2, 946.4, 946.5, 947, 947.1, 947.2.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(14), 96, 101.
Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. 1985, ch. 17 (2e suppl.), ann., art. 5.
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, art. 2 « œuvre créée en collaboration », 9 [abr. & rempl. 1993, ch. 44, art. 60], 13, 14.1 [aj. 1985, ch. 10 (4e suppl.), art. 4], 37 [mod. 1997, ch. 24, art. ;20].
Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q., ch. S-32.01, art. 31, 34, 37, 42.
Doctrine citée
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Bachand, Frédéric. « Arbitrage commercial : Assujettissement d’un tribunal arbitral conventionnel au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure et contrôle judiciaire d’ordonnances de procédure rendues par les arbitres » (2001), 35 R.J.T. 465.
Baudouin, Jean-Louis, et Pierre-Gabriel
Jobin.
Blessing, Marc. « Arbitrability of Intellectual Property Disputes » (1996), 12 Arb. Int’l 191.
Brierley, John E. C. « Chapitre XVIII de la convention d’arbitrage, articles 2638-2643 » dans La réforme du Code civil : obligations, contrats nommés, t. 2. Textes réunis par le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec. Ste-Foy, Qué. : Presses de l’Université Laval, 1993, 1067.
Brierley, John E. C. « La convention d’arbitrage en droit québécois interne », [1987] C.P. du N. 507 .
Brierley, John E. C. « Une loi nouvelle pour le Québec en matière d’arbitrage » (1987), 47 R. du B. 259.
Brun, Henri, et Guy Tremblay. Droit constitutionnel, 4e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2002.
Fortier, L. Yves. « Delimiting the Spheres of
Judicial and Arbitral Power : “Beware, My Lord, of Jealousy” »
Fouchard, Gaillard, Goldman on International Commercial Arbitration, edited by E. Gaillard and J. Savage. The Hague : Kluwer Law International, 1999.
Goudreau, Mistrale. « Le droit moral de
l’auteur au Canada »
Grantham, William. « The Arbitrability of International Intellectual Property Disputes » (1996), 14 Berkeley J. Int’l L. 173.
Racine, Jean-Baptiste. L’arbitrage commercial international et l’ordre public, t. 309. Paris : L.G.D.J., 1999.
Royer, Jean-Claude.
Thuilleaux, Sabine.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec,
Stefan Martin et Sébastien Grammond, pour les appelantes.
Normand Tamaro, pour l’intimée.
Pierre Bienvenu et Frédéric Bachand, pour l’intervenant le Centre d'arbitrage commercial national et international du Québec.
Daniel Payette, pour les intervenants l’Union des écrivaines et écrivains québécois et le Conseil des métiers d’art du Québec.
Louis Linteau, pour l’intervenant le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le Juge LeBel —
I. Introduction
1 La bonne bouille, les joues rondes et les yeux étonnés du petit Caillou ont charmé d’innombrables petits enfants comme ils ont séduit leurs parents et grands-parents. Aujourd’hui, ce charmant personnage, création de l’imagination et de l’art des formes et des couleurs, quitte le monde de la naissance de la petite sœur ou de la préparation à la maternelle. Involontairement, sans doute, il contribue maintenant au développement du droit de l’arbitrage commercial dans le domaine de la propriété intellectuelle. En effet, celles qui s’estiment ses mères s’affrontent. L’intimée prétend à une maternité exclusive. Les appelantes l’estiment partagée. Le mode de règlement de leur désaccord est lui-même devenu l’objet d’un désaccord important, dont notre Cour est maintenant saisie.
2 En effet, un arrêt de la Cour d’appel du Québec a invalidé une sentence arbitrale rendue par le mis en cause Rémillard qui donnait en partie raison aux appelantes au sujet de la propriété intellectuelle du personnage Caillou. L’intimée Desputeaux réclame la confirmation de ce jugement. À son avis, l’arbitre n’avait pas respecté sa mission arbitrale. De plus, il se serait saisi d’une matière, la propriété du droit d’auteur, qui ne pouvait faire l’objet d’un arbitrage. Ensuite, la procédure arbitrale aurait été conduite au mépris des principes fondamentaux de justice naturelle et d’équité procédurale. Enfin, la décision de l’arbitre aurait violé des règles d’ordre public. Les appelantes contestent ces prétentions et plaident que le jugement de la Cour d’appel doit être infirmé et la validité de la sentence arbitrale confirmée, conformément aux conclusions de la Cour supérieure. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le pourvoi doit être accueilli. En effet, l’arbitre a agi conformément à la mission qui lui a été confiée. L’allégation de violation des règles de justice naturelle n’a pas été établie. L’arbitre pouvait statuer sur les matières en litige. De plus, aucune violation de règles d’ordre public ne justifiait l’annulation de la sentence par les tribunaux supérieurs.
II. L’origine du litige
3 En 1988, l’intimée et les appelantes Christine L’Heureux et Les Éditions Chouette (1987) inc. (« Chouette ») s’associent en vue de créer des livres pour enfants. L’appelante Mme L’Heureux est dirigeante et actionnaire majoritaire de Chouette. Les premiers livres de la série Caillou sont publiés en 1989. Alors que l’intimée dessine le petit personnage fictif, Mme L’Heureux rédige les textes des huit premiers livres. Entre le 5 mai 1989 et le 21 août 1995, plusieurs contrats relatifs à la publication sous forme de livres et de produits dérivés des illustrations du personnage Caillou interviennent entre l’intimée et l’appelante Chouette. Tous ces contrats d’une durée de dix ans sont signés par l’intimée à titre d’auteure et par l’appelante L’Heureux à titre d’éditrice. Les parties utilisent alors des formules types rédigées conformément à une entente entre l’Association des éditeurs et l’Union des écrivaines et écrivains québécois. Les parties n’y ont ajouté que les particularités les concernant spécifiquement, notamment le titre de l’œuvre, le territoire couvert, la durée de la convention et le pourcentage de redevances payables à l’auteur.
4 Le 1er septembre 1993, les parties signent un contrat de licence d’exploitation du personnage fictif Caillou. L’intimée et l’appelante L’Heureux s’y représentent comme coauteures d’une œuvre consistant en un personnage fictif connu sous le nom de Caillou. Elles cèdent à l’appelante Chouette, à l’exclusion des droits accordés dans les contrats d’édition, les droits suivants (les « droits de reproduction ») pour le monde entier et sans aucune stipulation de durée :
a) . . . le droit de reproduire Caillou sous toute forme et sur tout support ou marchandise;
b) le droit d’adapter Caillou à des fins de réalisation et production d’œuvres sonores et/ou d’œuvres audiovisuelles, d’exécuter en public et/ou de communiquer au public toute œuvre en résultant;
c) le droit de demander, à titre de propriétaire, l’enregistrement à titre de marque de commerce du nom de Caillou en quelque langue que ce soit, ou de sa représentation graphique;
d) le droit de demander, à titre de propriétaire, l’enregistrement de quelques configurations ou caractéristiques visuelles de Caillou, comme dessin industriel.
5 Les parties renoncent à exercer toute revendication fondée sur leur droit moral à l’égard de Caillou. Leurs ententes autorisent également Chouette à concéder à des tiers des sous-licences, et ce, sans l’approbation des autres parties contractantes. Le 15 décembre 1994, les parties ajoutent un avenant à l’entente du 1er septembre 1993. Cet avenant ne remplace ni n’abroge les contrats d’édition antérieurs mais modifie l’entente du 1er septembre 1993 quant aux redevances payables aux parties concernant la licence d’exploitation du personnage fictif Caillou. Dans l’éventualité où Mme Desputeaux réaliserait des illustrations destinées à l’un des projets d’utilisation du personnage, un forfait correspondant au travail exigé lui serait payé. Ni cet avenant, ni le contrat de licence d’exploitation ne déterminent la durée de l’entente des parties.
6 En octobre 1996, confrontée à des difficultés d’interprétation et d’application du contrat de licence d’exploitation, Chouette présente une requête pour jugement déclaratoire. Par cette procédure, la requérante veut faire reconnaître qu’elle peut exploiter les droits de reproduction. L’intimée lui oppose alors une requête en exception déclinatoire visant à renvoyer les parties devant un arbitre. Le 28 février 1997, le juge Bisaillon de la Cour supérieure accueille en partie le moyen déclinatoire et renvoie l’affaire à l’arbitrage : [1997] A.Q. no 716 (QL). Il constate qu’aux termes des conclusions recherchées par les parties dans les deux requêtes l’existence du contrat n’est pas en cause et qu’on n’y retrouve aucune allégation relative à sa validité.
7 Après audition de la cause, l’arbitre désigné par les parties, le notaire Régis Rémillard, conclut que Chouette détient les droits de reproduction recherchés et qu’elle seule a le droit d’utiliser le personnage Caillou. La Cour supérieure rejette une requête en annulation de la sentence. L’appel de ce jugement est accueilli à l’unanimité par la Cour d’appel qui casse la sentence, d’où le pourvoi devant notre Cour.
III. Dispositions législatives pertinentes
8 Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42
2. . . .
« œuvre créée en collaboration » Œuvre exécutée par la collaboration de deux ou plusieurs auteurs, et dans laquelle la part créée par l’un n’est pas distincte de celle créée par l’autre ou les autres.
13. . . .
(3) Lorsque l’auteur est employé par une autre personne en vertu d’un contrat de louage de service ou d’apprentissage, et que l’œuvre est exécutée dans l’exercice de cet emploi, l’employeur est, à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d’auteur; mais lorsque l’œuvre est un article ou une autre contribution, à un journal, à une revue ou à un périodique du même genre, l’auteur, en l’absence de convention contraire, est réputé posséder le droit d’interdire la publication de cette œuvre ailleurs que dans un journal, une revue ou un périodique semblable.
14.1 (1) L’auteur d’une œuvre a le droit, sous réserve de l’article 28.2, à l’intégrité de l’œuvre et, à l’égard de tout acte mentionné à l’article 3, le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en revendiquer, même sous pseudonyme, la création, ainsi que le droit à l’anonymat.
(2) Les droits moraux sont incessibles; ils sont toutefois susceptibles de renonciation, en tout ou en partie.
(3) La cession du droit d’auteur n’emporte pas renonciation automatique aux droits moraux.
(4) La renonciation au bénéfice du titulaire du droit d’auteur ou du détenteur d’une licence peut, à moins d’une stipulation contraire, être invoquée par quiconque est autorisé par l’un ou l’autre à utiliser l’œuvre.
37. La Cour fédérale, concurremment avec les tribunaux provinciaux, connaît de toute procédure liée à l’application de la présente loi, à l’exclusion des poursuites visées aux articles 42 et 43.
Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q., ch. S-32.01
31. Le contrat doit être constaté par un écrit rédigé en double exemplaire et identifiant clairement :
1o la nature du contrat;
2o l’œuvre ou l’ensemble d’œuvres qui en est l’objet;
3o toute cession de droit et tout octroi de licence consentis par l’artiste, les fins, la durée ou le mode de détermination de la durée et l’étendue territoriale pour lesquelles le droit est cédé et la licence octroyée, ainsi que toute cession de droit de propriété ou d’utilisation de l’œuvre;
4o la transférabilité ou la non transférabilité à des tiers de toute licence octroyée au diffuseur;
5o la contrepartie monétaire due à l’artiste ainsi que les délais et autres modalités de paiement;
6o la périodicité selon laquelle le diffuseur rend compte à l’artiste des opérations relatives à toute œuvre visée par le contrat et à l’égard de laquelle une contrepartie monétaire demeure due après la signature du contrat.
34. Toute entente entre un diffuseur et un artiste réservant au diffuseur l’exclusivité d’une œuvre future de l’artiste ou lui reconnaissant le droit de décider de sa diffusion doit, en plus de se conformer aux exigences de l’article 31 :
1o porter sur une œuvre définie au moins quant à sa nature;
2o être résiliable à la demande de l’artiste à l’expiration d’un délai d’une durée convenue entre les parties ou après la création d’un nombre d’œuvres déterminées par celles-ci;
3o prévoir que l’exclusivité cesse de s’appliquer à l’égard d’une œuvre réservée lorsque, après l’expiration d’un délai de réflexion, le diffuseur, bien que mis en demeure, n’en fait pas la diffusion;
4o indiquer le délai de réflexion convenu entre les parties pour l’application du paragraphe 3o.
37. Sauf renonciation expresse, tout différend sur l’interprétation du contrat est soumis, à la demande d’une partie, à un arbitre.
Les parties désignent l’arbitre et lui soumettent leur litige selon les modalités qu’ils peuvent prévoir au contrat. Les dispositions du livre VII du Code de procédure civile (chapitre C-25) s’appliquent à cet arbitrage compte tenu des adaptations nécessaires.
42. Sous réserve des articles 35 et 37, on ne peut renoncer à l’application d’une disposition du présent chapitre.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »)
2639. Ne peut être soumis à l’arbitrage, le différend portant sur l’état et la capacité des personnes, sur les matières familiales ou sur les autres questions qui intéressent l’ordre public.
Toutefois, il ne peut être fait obstacle à la convention d’arbitrage au motif que les règles applicables pour trancher le différend présentent un caractère d’ordre public.
2640. La convention d’arbitrage doit être constatée par écrit; elle est réputée l’être si elle est consignée dans un échange de communications qui en atteste l’existence ou dans un échange d’actes de procédure où son existence est alléguée par une partie et non contestée par l’autre.
2643. Sous réserve des dispositions de la loi auxquelles on ne peut déroger, la procédure d’arbitrage est réglée par le contrat ou, à défaut, par le Code de procédure civile.
2848. L’autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même.
Cependant, le jugement qui dispose d’un recours collectif a l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties et des membres du groupe qui ne s’en sont pas exclus.
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25 (« C.p.c. »)
943. Les arbitres peuvent statuer sur leur propre compétence.
943.1 Si les arbitres se déclarent compétents pendant la procédure arbitrale, une partie peut, dans les 30 jours après en avoir été avisée, demander au tribunal de se prononcer à ce sujet.
Tant que le tribunal n’a pas statué, les arbitres peuvent poursuivre la procédure arbitrale et rendre leur sentence.
944.1 Sous réserve des dispositions du présent titre, les arbitres procèdent à l’arbitrage suivant la procédure qu’ils déterminent. Ils ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence, y compris celui de nommer un expert.
944.10 Les arbitres tranchent le différend conformément aux règles de droit qu’ils estiment appropriées et, s’il y a lieu, déterminent les dommages-intérêts.
Ils ne peuvent agir en qualité d’amiables compositeurs que si les parties en ont convenu.
Dans tous les cas, ils décident conformément aux stipulations du contrat et tiennent compte des usages applicables.
946.2 Le tribunal saisi d’une requête en homologation ne peut examiner le fond du différend.
946.4 Le tribunal ne peut refuser l’homologation que s’il est établi :
1o qu’une partie n’avait pas la capacité pour conclure la convention d’arbitrage;
2o que la convention d’arbitrage est invalide en vertu de la loi choisie par les parties ou, à défaut d’indication à cet égard, en vertu de la loi du Québec;
3o que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n’a pas été dûment informée de la désignation d’un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu’il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses moyens;
4o que la sentence porte sur un différend non visé dans la convention d’arbitrage ou n’entrant pas dans ses prévisions, ou qu’elle contient des décisions qui en dépassent les termes; ou
5o que le mode de nomination des arbitres ou la procédure arbitrale applicable n’a pas été respecté.
Toutefois, dans le cas prévu au paragraphe 4o, seule une disposition de la sentence arbitrale à l’égard de laquelle un vice mentionné à ce paragraphe existe n’est pas homologuée, si cette disposition peut être dissociée des autres dispositions de la sentence.
946.5 Le tribunal ne peut refuser d’office l’homologation que s’il constate que l’objet du différend ne peut être réglé par arbitrage au Québec ou que la sentence est contraire à l’ordre public.
947. La demande d’annulation de la sentence arbitrale est le seul recours possible contre celle-ci.
947.1 L’annulation s’obtient par requête au tribunal ou en défense à une requête en homologation.
947.2 Les articles 946.2 à 946.5 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à la demande d’annulation de la sentence arbitrale.
IV. Historique judiciaire
A. Sentence arbitrale (Me Régis Rémillard, notaire) (22 juillet 1997)
9
L’arbitre décide tout d’abord que son mandat
inclut l’interprétation du contrat de licence d’exploitation comme celle de
l’avenant et des contrats d’édition, afin de déterminer la méthode
d’exploitation commerciale de la licence. Après un examen des contrats
d’édition, il estime que la signature de l’intimée comme « auteure »
ne traduit pas la réalité. Selon lui, tant Mme Desputeaux que Mme L’Heureux
pouvaient, en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985,
ch. C-42, réclamer le statut d’auteure à l’égard de Caillou, l’appelante
L’Heureux pour la partie littéraire des premiers textes et l’intimée pour
l’illustration et la dimension matérielle du personnage. Selon l’arbitre,
l’intimée et l’appelante L’Heureux ont participé de façon indissociable à
l’élaboration du personnage Caillou. Il s’agit donc d’une œuvre créée en
collaboration au sens de l’art.
10
Le contrat de licence d’exploitation du
personnage fictif Caillou doit ainsi être replacé dans son contexte. Il avait
été signé après de longues tractations entre les parties qu’assistaient alors
leurs avocats. L’intimée et l’appelante L’Heureux se reconnaissaient alors
mutuellement la qualité de coauteure du personnage Caillou, comme le confirment
des lettres échangées postérieurement à l’entente et soumises à l’arbitre. Celui-ci
n’hésite donc pas à rejeter l’argument du caractère simulé de ce contrat. Par
cette entente, les coauteures ont cédé à l’appelante Chouette tous les droits
nécessaires à l’exploitation commerciale de Caillou dans le monde entier. Sans
toutefois mentionner les dispositions d’ordre public de la Loi sur le statut
professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la
littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs (« Loi sur le
statut professionnel des artistes »), l’arbitre estime que, puisque les
parties n’avaient pas stipulé de limite dans le temps, le contrat bénéficie de
la protection prévue par l’art.
11 En conclusion, l’arbitre rappelle que le contrat de licence et l’avenant portent uniquement sur les œuvres futures de ces auteures, ayant pour objet le personnage Caillou. À cet égard, il précise que Chouette, en raison de sa qualité de détenteur des droits de reproduction, demeure seule autorisée à utiliser le personnage Caillou sous toute forme et tout support, à la condition qu’un tribunal judiciaire convienne de la validité des contrats. Me Rémillard s’abstient d’exprimer une opinion sur ce sujet. À son avis, en effet, le jugement de renvoi à l’arbitrage a réservé cette question à la Cour supérieure.
B. Cour supérieure du Québec (13 mars 1998)
12 Madame Desputeaux attaque alors la sentence arbitrale dont elle demande l’annulation devant la Cour supérieure. Elle allègue notamment que l’arbitre s’est prononcé sur un différend dont il n’était pas saisi, la propriété intellectuelle du personnage Caillou et le statut de coauteure des parties. Elle lui fait aussi grief de ne pas avoir appliqué des dispositions impératives de la Loi sur le statut professionnel des artistes. Leur mise en œuvre aurait justifié l’annulation des ententes des parties. Enfin, l’intimée reproche à Me Rémillard d’avoir jugé sans preuve sur les principales questions en débat et d’avoir mené la procédure arbitrale au mépris des règles fondamentales de justice naturelle.
13 Dans un bref jugement prononcé à l’audience, le juge Guthrie de la Cour supérieure rejette la demande d’annulation. À son avis, aucun des moyens de nullité soulevés n’était pertinent ou fondé. Ce jugement se limite toutefois, pour l’essentiel, à un résumé du contenu de la procédure en annulation et à un renvoi aux principales dispositions législatives applicables, notamment aux articles du Code de procédure civile du Québec portant sur le contrôle judiciaire de la validité des décisions arbitrales. Madame Desputeaux se pourvoit alors devant la Cour d’appel du Québec.
C. Cour d’appel du Québec
(les juges Gendreau, Rousseau-Houle et Pelletier),
14
La Cour d’appel du Québec réserve un meilleur
accueil à la demande d’annulation présentée par Mme Desputeaux. Un
arrêt unanime fait droit au pourvoi et annule la sentence arbitrale. D’abord,
selon la juge Rousseau-Houle, une première cause de nullité découlait de
l’application de l’art.
Le droit de se voir justement attribuer la paternité d’une œuvre tout comme le droit au respect du nom revêtent une connotation purement morale tenant à la dignité et à l’honneur du créateur de l’œuvre. Sous ces aspects, la question de la paternité du droit d’auteur ne serait pas arbitrable.
. . .
En se prononçant sur le monopole conféré par la [Loi sur le droit d’auteur] à un auteur, l’arbitre a rendu une décision qui a non seulement une incidence sur le droit à la paternité de l’œuvre, mais qui devient opposable à d’autres personnes que celles impliquées dans le différend soumis à l’arbitrage.
15 D’après la juge Rousseau-Houle, la sentence doit aussi être annulée parce que l’arbitre n’a pas appliqué ou a mal interprété les art. 31 et 34 de la Loi sur le statut professionnel des artistes qui édictent des exigences relatives à la forme et au contenu des contrats entre les artistes et les diffuseurs. Notamment, les contrats ne mentionnaient pas l’étendue des concessions des droits exclusifs, la périodicité des redditions de comptes, non plus que la durée des ententes. La violation de ces règles d’ordre public emportait la nullité des conventions et de la sentence. Les appelantes obtinrent alors l’autorisation de se pourvoir devant notre Cour. Par ailleurs, d’autres débats sont toujours en cours devant la Cour supérieure sur divers aspects des relations juridiques entre les parties.
V. Analyse
A. Les questions en litige et les positions des parties et des intervenants
16 Ce pourvoi remet en cause trois catégories de problèmes, toutes rattachées à la question centrale de la validité de la sentence arbitrale. D’abord, il importe de préciser la nature et les limites de la mission arbitrale. On devra identifier ce dont l’arbitre était saisi pour parvenir ensuite à déterminer si et comment cette mission a été exécutée. Se rattachera à cette question l’étude des moyens qu’invoque l’intimée afin d’attaquer la conduite de la procédure arbitrale, comme la violation des principes de justice naturelle et celle des règles de la preuve civile. Enfin, on examinera les questions principales de ce pourvoi. Celles-ci ont trait au caractère arbitrable des problèmes de droit d’auteur et à la nature et aux limites du contrôle judiciaire des sentences arbitrales prononcées sous le régime du Code de procédure civile. Cette partie de la discussion impliquera un examen de la mise en œuvre des règles d’ordre public par les arbitres et des limites des pouvoirs d’intervention des tribunaux judiciaires à l’égard des décisions rendues à ce sujet.
17 Les parties défendent des positions fortement contrastées, que soutiennent, de part et d’autre, certains intervenants. Je résumerai d’abord les moyens proposés par les appelantes, qu’appuie, en grande partie, l’un des intervenants, le Centre d’arbitrage commercial national et international du Québec (le « Centre »). Je rappellerai ensuite les arguments développés par l’intimée et par d’autres intervenants, l’Union des écrivaines et écrivains québécois (l’« Union ») et le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (« RAAV »). Ces intervenants défendent, sur certains points, la même position que Mme Desputeaux.
18
Selon les appelantes, la sentence arbitrale
était valide. À leur avis, la Cour d’appel a adopté une approche juridique qui
contredit les orientations adoptées par la plupart des systèmes de droit
modernes à l’égard de la définition de la fonction de l’arbitrage civil et
commercial et de la reconnaissance de son autonomie décisionnelle. Notamment,
dans le domaine même du droit de la propriété intellectuelle, les droits
modernes utilisent fréquemment l’arbitrage comme mode de règlement des
différends (voir M. Blessing, « Arbitrability of Intellectual Property
Disputes » (1996), 12 Arb. Int’l 191, p. 202-203; W.
Grantham, « The Arbitrability of International Intellectual Property Disputes
» (1996), 14 Berkeley J. Int’l L. 173, p. 199-219). Sur ce
point, le Centre souligne les risques de la décision de la Cour d’appel et la
nécessité de sauvegarder le rôle de l’arbitrage. En substance, Chouette et Mme
L’Heureux plaident d’abord que l’art.
19
L’intimée s’en prend d’abord à la définition que
l’arbitre a donnée à sa mission. D’une part, il l’aurait indûment étendue en
s’estimant à tort saisi du problème de la propriété du droit d’auteur et de
celui du statut de coauteure de Mmes L’Heureux et Desputeaux.
D’autre part, il l’aurait restreinte par erreur en n’appliquant pas les règles
impératives de la Loi sur le statut professionnel des artistes et en
omettant ainsi de se prononcer sur la validité des contrats en litige. Madame
Desputeaux critique de plus la conduite de la procédure arbitrale. Elle fait
grief à l’arbitre d’avoir statué sans preuve sur le problème du droit d’auteur
comme sur celui des droits moraux qui en découlent. À son avis, l’art.
B. La mission arbitrale
20
Le seul rappel des prétentions des parties
démontre l’existence d’un problème préliminaire dans l’analyse de ce pourvoi.
On ne saurait guère apprécier la pertinence des moyens de droit substantiel
avancés de part et d’autre, ni la justification d’une intervention de la Cour
supérieure, sans identifier au préalable les questions dont les parties ou les
décisions antérieures des tribunaux avaient effectivement saisi l’arbitre. Ce
seul examen peut éliminer, ou du moins circonscrire, certaines questions de
droit ou de procédure. Tel serait le cas si, par exemple, l’on devait conclure
que l’arbitre n’avait pas été saisi du problème de la titularité du droit
d’auteur, en raison de la législation qui encadre son intervention. Ce seul
moyen justifierait l’annulation de la sentence, suivant l’art.
21 La question de l’étendue du mandat de l’arbitre influence le cours des procédures judiciaires dans ce dossier depuis son origine. Ce problème présente des difficultés sérieuses tant en raison du déroulement des procédures arbitrales que de celui de la demande d’annulation dont notre Cour est maintenant saisie. On peut seulement regretter que les parties et l’arbitre n’aient pas défini clairement le contenu de la mission arbitrale. Une telle précaution aurait probablement limité et abrégé les conflits entre les parties.
22
Les parties à une convention d’arbitrage
jouissent d’une autonomie quasi illimitée pour identifier les différends qui
pourront faire l’objet de la procédure d’arbitrage. Tel que nous le verrons
par la suite, cette convention constitue l’acte de mission de l’arbitre et
définit le cadre fondamental de son intervention, sous réserve des dispositions
législatives pertinentes. En effet, la source première de la compétence d’un
arbitre réside dans le contenu de la convention d’arbitrage (art.
23 Cependant, il importe tout d’abord de souligner l’importance du jugement de la Cour supérieure prononcé par le juge Bisaillon. Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’affrontement judiciaire entre les parties avait débuté par le dépôt d’une requête pour jugement déclaratoire par Chouette. Celle-ci désirait faire déclarer valides les conventions la liant à Mmes Desputeaux et L’Heureux et confirmer ses droits à l’exclusivité de la diffusion de Caillou. Se fondant sur l’art. 37 de la Loi sur le statut professionnel des artistes, l’intimée a présenté un moyen déclinatoire visant le renvoi du litige devant un arbitre. Le juge Bisaillon fit droit en partie à cette demande. Il renvoya le dossier à l’arbitrage, à l’exception de la question de l’existence même du contrat et de sa validité qui, à son avis, relevait de la compétence de la Cour supérieure. Ce jugement, qui n’a jamais été attaqué, limite à la compétence de l’arbitre en lui retirant l’examen des problèmes de validité des ententes intervenues. Cette restriction incluait nécessairement les moyens de nullité fondés sur la conformité des conventions aux exigences de la Loi sur le statut professionnel des artistes. La teneur du jugement prononcé par le juge Bisaillon permet ainsi d’écarter immédiatement l’un des griefs de l’intimée lorsqu’elle lui reproche de ne pas avoir examiné ni appliqué cette loi. Devant la décision de la Cour supérieure, l’arbitre devait tenir pour acquis qu’il n’était pas saisi de ce problème. Il reste maintenant à examiner si la question du droit d’auteur et de sa titularité se trouvait devant Me Rémillard.
24
À ce sujet, il faut s’en rapporter aux échanges
entre les parties. La convention d’arbitrage étudiée dans le présent dossier
revêt la forme d’un échange de lettres plutôt que celle d’un acte unique et
complet, stipulant d’une façon exhaustive l’ensemble des paramètres de la
procédure d’arbitrage. Si l’on peut regretter que les parties aient ainsi omis
de circonscrire de façon plus claire les pouvoirs de l’arbitre, reconnaissons
cependant que le législateur a prévu une règle très souple à cet égard, en
dépit de la nécessité de l’écrit : « La convention d’arbitrage doit être
constatée par écrit; elle est réputée l’être si elle est consignée dans un
échange de communications qui en atteste l’existence ou dans un échange d’actes
de procédure où son existence est alléguée par une partie et non contestée par
l’autre » (art.
25 Les juridictions inférieures, ainsi que l’arbitre, se sont peu attardées à définir le contenu effectif de la convention d’arbitrage. L’arbitre a confirmé l’existence de son mandat aux parties par une lettre datée du 13 mai 1997, sans toutefois préciser l’étendue de sa mission (dossier des appelantes, p. 61). Dans la sentence arbitrale, on ne retrouve aucun exposé dans lequel l’arbitre énonce clairement les limites de sa compétence, à l’exception de quelques affirmations selon lesquelles il est compétent pour interpréter les contrats, mais non pour les invalider (voir, par exemple, les p. 11 et 15 de la sentence arbitrale ainsi que le premier « Attendu » de la sentence (dossier des appelantes, p. 65 et suiv.)).
26 La décision succincte de la Cour supérieure ne contient pas non plus d’indications sur l’étendue du mandat de l’arbitre. Sur cette question, le juge Guthrie a simplement affirmé à la p. 3, sans discuter du contenu de la convention, que :
Considérant que la requérante n’a pas prouvé que la sentence arbitrale porte sur un différend n’entrant pas dans les prévisions de la convention d’arbitrage;
. . .
Le Tribunal rejette la requête amendée avec dépens.
Le premier juge a ainsi omis d’étudier la question de l’étendue de la convention à la lumière de l’ensemble des faits, bien que la preuve au dossier démontre que cette question avait été débattue devant lui. Le juge Guthrie a d’ailleurs refusé d’entendre la preuve relative aux débats sur l’étendue du mandat de l’arbitre, faute de transcription des débats devant ce dernier. (Extraits de l’argumentation des avocats, dossier de l’intimée, p. 10 et suiv.; mémoire de l’intimée, par. 25; voir également la requête amendée de l’intimée-requérante Hélène Desputeaux pour annuler une sentence arbitrale, 28 octobre 1997, dossier des appelantes, p. 14 et suiv.)
27 La Cour d’appel n’a également traité que brièvement de la question des limites conventionnelles du mandat de l’arbitre. Elle a estimé que « [l]’examen des conclusions recherchées par les avocats de l’appelante dans leur exposé des faits soumis à l’arbitre permet difficilement de prétendre que la sentence arbitrale porte sur un différend qui n’était pas spécifiquement mentionné dans la convention d’arbitrage » (par. 31).
28 Selon les appelantes, le mandat de l’arbitre lui permettait de trancher la question des coauteures. En effet, l’arbitre avait compétence pour interpréter les contrats soumis à l’arbitrage. D’ailleurs, l’article 1 du contrat d’exploitation affirme que l’appelante L’Heureux et l’intimée sont coauteures. Madame Desputeaux analyse beaucoup plus restrictivement le contenu du mandat de l’arbitre. À son avis, les parties avaient convenu que l’arbitre ne devait pas se prononcer sur la question des coauteures. Elle reproche de plus à l’arbitre de ne pas avoir expressément déclaré qu’il avait compétence sur le sujet. Cette omission l’aurait privée de la possibilité de contester l’existence de cette compétence ou de déposer la preuve pertinente au dossier.
29 Bien que les lettres échangées entre les parties à ce propos n’aient pas été reproduites au dossier d’appel, on retrouve cependant un exposé de leur contenu dans la requête amendée que Mme Desputeaux avait introduite devant la Cour supérieure afin de faire annuler la sentence arbitrale (requête amendée de l’intimée-requérante Hélène Desputeaux pour annuler une sentence arbitrale, 28 octobre 1997, dossier des appelantes, p. 12 et suiv.). Il semble que la première proposition de mandat ait été formulée par Chouette le 20 mai 1997. Cette proposition visait clairement la question des coauteures. On pouvait y lire, au par. 8.1c) : « [e]n cas de décision favorable à Hélène Desputeaux quant à l’interprétation des contrats R-1 (RR-3) et R-2 (RR-5), arbitrage sur la notion des coauteurs dans le but d’établir le droit des parties ». L’intimée répondit à cette proposition dès le 21 mai 1997, en formulant ainsi la question sur le statut des coauteures : « Que la décision soit ou non favorable à notre cliente, Mme L’Heureux et Mme Desputeaux sont-elles coauteures de Caillou? » Le 23 mai 1997, l’appelante Chouette faisait parvenir à l’intimée une copie conforme d’une lettre transmise à l’arbitre, dans laquelle on lisait les passages suivants à propos du mandat de l’arbitre :
Il y a donc lieu, avant d’aller plus loin et avant d’examiner toute autre question, de déterminer l’interprétation qui découle des pièces R-1 (RR-3) et R-2 (RR- 5), de voir si elles sont compatibles et de voir les obligations qui en découlent pour chacune des parties.
Lorsque cette question aura été tranchée, selon le sens de votre décision, nous pourrons examiner l’obligation financière qui découle de ces contrats de même que la question des coauteurs.
30 Le 3 juin 1997, l’intimée transmettait à l’arbitre son dossier, qui comprenait notamment des documents relatifs à l’établissement des droits d’auteur. Le 9 juin 1997, elle définissait une nouvelle fois le mandat de l’arbitre en réponse à une lettre de ce dernier envoyée aux parties le 4 juin 1997 (malheureusement non reproduite au dossier). Elle confirmait alors qu’elle comprenait de cette lettre que l’arbitre avait l’intention de se prononcer sur la question des coauteures. Puis, elle décrivait ainsi l’étendue du mandat de l’arbitre :
Ainsi, Me Rémillard se demandera quelle est la portée réelle des pièces R-1 (RR-3), R-2 (RR-5) et R-3 (RR-15) et quelles [sic] sont les pouvoirs à la disposition de Les Éditions Chouette (1987) inc. (point a) de votre lettre du 20 mai 1997).
À nos yeux cette interprétation conduira nécessairement sur la question des coauteurs, laquelle question vous souleviez au début de votre lettre datée du 4 juin 1997 et dans celle du 20 mai 1997. Me Rémillard devra nous dire si les pièces R-1 (RR-3) et R-3 (RR-15), telles qu’elles s’interprètent dans le contexte de l’ensemble des relations contractuelles entre les parties, constituent ou non une entente entre des coauteurs sur leurs droits et obligations respectifs . . .
31 Le 11 juin 1997, l’appelante Chouette transmettait à l’intimée et à l’arbitre sa dernière proposition de mandat. On peut y lire ce qui suit :
Quant à nous, nous continuons effectivement de croire qu’il y a lieu de procéder dans un premier temps sur l’interprétation des pièces R-1 (RR-3), R-2 (RR-5) et R-3 (RR-15) qu’on ne peut évidemment dissocier de leur contexte.
L’autre étape, soit celle des co-auteurs, nous la gardons au programme et nous sommes certains que Me Rémillard a toute compétence pour l’entendre. Cependant, nous continuons de maintenir que dans la mesure où l’interprétation des contrats R-1 (RR-3), R-2 (RR-5) et R-3 (RR-15) nous sera favorable, cette discussion sera inutile. Nous ne nous engageons donc pas à procéder à ce sujet.
Et, plus loin, à propos de la preuve éventuelle :
Évidemment, si la discussion se poursuit du côté de la notion des co-auteurs, nous nous réservons le droit de faire volte-face et de requérir l’audition de témoins et la production de pièces supplémentaires.
32 Enfin, le 11 juin 1997, l’intimée revenait sur sa compréhension du mandat dans la dernière lettre échangée par les parties. Selon les termes de cette lettre, la question des coauteures aurait été suspendue et la compétence de l’arbitre sur ce sujet aurait été tributaire de la négociation d’un nouveau mandat.
Nous constatons que nous nous entendons minimalement pour procéder sur l’interprétation des pièces R-1 (RR-3), R-2 (RR-5) et R-3 (RR-15).
Nous procéderons donc sur cette question clairement établie. Pour les autres étapes que vous suggérez, nous verrons s’il y a possibilité de s’entendre sur un éventuel mandat qui serait donné à un arbitre. Nous ne souscrivons à aucun engagement à cet égard et réitérons notre précédente correspondance.
33 Ajoutant à la confusion, au cours de cette même journée, l’intimée modifiait son exposé des faits soumis à l’arbitre en sens contraire. On y retrouvait encore une conclusion demandant à l’arbitre de se prononcer sur le statut de coauteure de Mme L’Heureux et de l’intimée :
pour tout ce qui précède, mme desputeaux demande à l’honorable arbitre : [. . .] d’interpréter que conformément aux contrats d’édition R-2 Mme Desputeaux est la seule auteure et la seule propriétaire des droits d’auteur sur ses illustrations du personnage Caillou comme sur le personnage lui-même;
34 Ultérieurement, les procureurs de l’intimée faisaient retirer du dossier l’ensemble des pièces qui auraient servi à la preuve de leur cliente au sujet de la question du statut de coauteure. Selon les appelantes et la Cour d’appel, l’étendue du mandat de l’arbitre est confirmée par cette conclusion de l’intimée dans son exposé des faits. À leur avis, cette dernière ne peut à la fois demander expressément à l’arbitre de se prononcer sur une question et invoquer ultérieurement qu’il a outrepassé son mandat en se prononçant sur cette question (voir arrêt de la Cour d’appel, par. 31). Cependant, l’intimée répond maintenant que ses conclusions ont été modifiées devant l’arbitre et qu’il a annoté l’exposé des faits lors de la première journée de la procédure arbitrale. Le juge Guthrie de la Cour supérieure a refusé le dépôt de la version annotée de l’exposé des faits et aucune copie n’en a été déposée par les parties devant notre Cour. L’on ne saurait alors considérer cette modification comme un fait établi pour conclure sur l’étendue du mandat confié à Me Rémillard.
35
Malgré les incertitudes déplorables qu’a
laissées la procédure suivie pour définir la mission arbitrale, celle-ci
comprenait nécessairement le problème dit des « coauteures » dans le
contexte de cette affaire. Pour comprendre la portée du mandat de l’arbitre,
il ne suffit pas de se livrer à une analyse purement textuelle des
communications entre les parties. Il ne faut pas interpréter le mandat de
l’arbitre de façon restrictive en le limitant à ce qui est expressément énoncé à
la convention d’arbitrage. Le mandat s’étend aussi à tout ce qui entretient
des rapports étroits avec cette dernière, ou, en d’autres mots, aux questions
qui entretiennent un « lien de connexité de la question tranchée par les
arbitres avec le litige qui leur est soumis » (S. Thuilleaux,
36 Certains éléments des lettres échangées par les parties et de la sentence arbitrale confirment la validité de cette interprétation. Ainsi, dans sa lettre du 9 juin 1997, l’intimée a affirmé que l’interprétation des contrats et la détermination des pouvoirs que possède l’appelante Chouette, « conduira nécessairement sur la question des coauteurs » (requête amendée de l’intimée-requérante Desputeaux pour annuler une sentence arbitrale, dossier des appelantes, p. 16). En réponse à cette communication, Chouette souligne que, dans la mesure où l’interprétation des contrats lui serait favorable, la discussion sur la question des coauteures deviendrait inutile (requête amendée de l’intimée-requérante Desputeaux pour annuler une sentence arbitrale, dossier des appelantes, p. 17). De plus, le passage suivant de la p. 7 de la sentence arbitrale indique que l’interprétation des contrats en ce qui concerne la titularité des droits d’auteur entretient un lien de connexité avec les questions liées aux pouvoirs de Chouette et aux droits économiques et moraux découlant de l’exploitation commerciale du personnage Caillou :
Les prétentions respectives des parties découlent de la titularité des droits d’auteur à l’égard de Caillou. Il s’agit de définir ce concept selon la loi. Il faudra déterminer si ces droits s’appliquent à tout ce qui se rattache à Caillou, ou à l’égard de quelques-unes des composantes seulement, s’il y a plus d’un titulaire des droits d’auteur; il faudra également faire la part respective tant des droits économiques et moraux découlant de la production littéraire et artistique originale que de ceux dits des « produits dérivés ».
37 L’article 37 de la Loi sur le statut professionnel des artistes prévoit que tout différend sur l’interprétation d’un contrat entre un artiste et un diffuseur doit être soumis à un arbitre. La nature des questions d’interprétation soumises à l’arbitre exigeait l’examen du problème de la titularité du droit d’auteur. Celui-ci s’avérait intimement et nécessairement lié à l’interprétation et à l’application des ententes que l’arbitre devait étudier. Puisque l’arbitre était effectivement saisi de cette question, il faut maintenant examiner si la législation applicable interdisait de lui en confier l’étude, comme le plaide l’intimée. À cette fin, Mme Desputeaux présente son moyen en deux volets. Le premier repose sur la législation fédérale concernant le droit d’auteur qui, à son avis, interdirait de renvoyer la question de la propriété intellectuelle d’une œuvre à l’arbitrage. Le second invoque les dispositions du Code civil et du Code de procédure civile qui feraient obstacle au renvoi à l’arbitrage de questions relevant des droits de la personnalité. Comme on le sait, l’arrêt d’appel a retenu les deux branches de ce moyen.
C. L’article
38
Selon la Cour d’appel, l’art.
39 L’objet et le contexte de l’art. 37 de la Loi sur le droit d’auteur démontrent que cette disposition vise deux objectifs. Premièrement, elle entend affirmer la compétence de principe des tribunaux provinciaux dans les litiges de droit privé concernant les droits d’auteur. Elle vise ensuite à éviter la fragmentation des procès concernant les droits d’auteur en raison du partage des compétences matérielles entre les tribunaux fédéraux et provinciaux dans ce domaine.
40
Selon l’argumentation de l’intimée, l’art.
41 Toutefois, les compétences de l’arbitre découlent habituellement de la convention d’arbitrage. En général, l’arbitrage ne fait pas partie de la structure judiciaire étatique, bien que l’État attribue parfois directement des compétences ou des fonctions aux arbitres. L’institution arbitrale demeure cependant, en un sens plus large, une partie du système de règlement des litiges, dont le législateur reconnaît pleinement la légitimité.
42 L’adoption d’une disposition comme l’art. 37 de la Loi sur le droit d’auteur vise à définir la compétence matérielle des tribunaux judiciaires sur une question. Elle n’entend pas exclure la procédure arbitrale. Elle ne fait qu’identifier le tribunal qui, au sein de l’organisation judiciaire, aura compétence pour entendre les litiges concernant une matière particulière. On ne saurait présumer qu’elle exclut la juridiction arbitrale, faute de la mentionner expressément. Celle-ci fait maintenant partie du système de justice du Québec, tel que celui-ci peut l’aménager en vertu de ses compétences constitutionnelles.
43
Le paragraphe 92(14) de la Loi
constitutionnelle de 1867 confie aux provinces le pouvoir de créer des
tribunaux qui auront juridiction sur des matières aussi bien provinciales que
fédérales. L’article 101 de cette même loi permet au Parlement du Canada de
créer des tribunaux qui assureront l’application des lois fédérales. À moins
que le législateur fédéral ne confie à un tribunal spécifique une juridiction
exclusive sur une matière relevant du droit fédéral, les tribunaux créés par la
province en vertu de sa compétence générale sur l’administration de la justice
auront compétence sur toute matière, juridictions confondues (H. Brun et G.
Tremblay, Droit constitutionnel (4e éd. 2002), p. 777).
Comme l’affirmait notre Cour dans l’arrêt Canada (Commission des droits de
la personne) c. Canadian Liberty Net,
Ainsi, même lorsqu’il s’agit d’une question relevant nettement d’une règle de droit fédérale valide, la Cour fédérale du Canada n’est pas présumée avoir compétence en l’absence d’un texte de loi fédéral exprès. En revanche, en raison de leur compétence générale sur toute question en matière civile, criminelle, provinciale, fédérale et constitutionnelle, les cours supérieures des provinces jouissent de cette présomption.
44
Dans l’affaire Ontario (Procureur général) c.
Pembina Exploration Canada Ltd.,
Je conclus qu’une législature
provinciale a, en vertu du par.
45
Une province détient le pouvoir de créer un
système d’arbitrage visant les recours impliquant des lois fédérales, à moins
que le Parlement du Canada n’attribue une compétence exclusive sur le sujet à
un tribunal qui relève de ses pouvoirs constitutionnels ou que la matière ne
relève de la compétence exclusive des cours supérieures en vertu de l’art.
46
L’article 37 de la Loi sur le droit d’auteur
attribue à la Cour fédérale une compétence concurrente pour l’application de la
loi, en partageant la compétence matérielle sur les droits d’auteur entre la
Cour fédérale et les « tribunaux provinciaux ». Cette disposition demeure
suffisamment générale à mon avis pour inclure les procédures arbitrales créées
par une loi provinciale. Si le législateur fédéral avait voulu exclure
l’arbitrage en matière de droit d’auteur, il l’aurait fait clairement (pour une
approche similaire, voir Automatic Systems Inc. c. Bracknell Corp.
(1994), 113 D.L.R. (4th) 449 (C.A. Ont.), p. 457-458; J. E. C. Brierley, « La
convention d’arbitrage en droit québécois interne »,
D. Le droit d’auteur, l’ordre public et l’arbitrage
47
Le débat s’inscrit à cette étape dans le cadre
législatif de l’arbitrage au Québec. La nature juridique de la procédure
arbitrale en cause appelle toutefois une nuance. Le renvoi à l’arbitrage a eu
lieu en vertu de l’art. 37 de la Loi sur le statut professionnel des artistes.
Cette disposition prévoit l’existence de la compétence arbitrale. Elle permet
à une partie d’imposer le renvoi devant l’arbitre. Elle autorise cependant les
parties à renoncer à saisir la juridiction arbitrale, ce qui laisse à cette
procédure un caractère consensuel, contrairement, par exemple, à l’arbitrage de
griefs en vertu des législations canadiennes du travail. (Voir, par exemple, Weber
c. Ontario Hydro,
48
Le cadre juridique applicable à cet arbitrage
demeure alors celui qu’ont établi les dispositions pertinentes du Code civil
et du Code de procédure civile. Le Code civil reconnaît
l’existence et la validité de la convention d’arbitrage. Sous réserve des
questions intéressant l’ordre public et certaines matières comme l’état des
personnes, il laisse aux parties la liberté de soumettre tout conflit à
l’arbitrage et de déterminer les termes de la saisine de l’arbitre (art.
49
La Cour d’appel, s’appuyant sur les art.
Le droit de se voir justement attribuer la paternité d’une œuvre tout comme le droit au respect du nom revêtent une connotation purement morale tenant à la dignité et à l’honneur du créateur de l’œuvre. Sous ces aspects, la question de la paternité du droit d’auteur ne serait pas arbitrable.
50 De plus, selon la Cour d’appel, les litiges relatifs à la paternité des droits d’auteur, ainsi que ceux portant sur l’étendue et la validité du droit, doivent être confiés exclusivement aux tribunaux judiciaires puisque les décisions rendues dans ces affaires deviennent en principe opposables à tous. Ce caractère d’opposabilité ne permettrait pas de les déférer aux arbitres, mais exigerait l’intervention de la justice publique (par. 42).
51
L’article
52
Afin de déterminer si les questions relatives à
la paternité des droits d’auteur échappent à la compétence arbitrale comme l’a
conclu la Cour d’appel, il est nécessaire de cerner davantage la notion d’ordre
public dans le contexte de l’arbitrage, où elle peut intervenir de diverses
façons, notamment, comme ici, pour circonscrire le domaine matériel de
l’arbitrage (Thuilleaux, op. cit., p. 36). Ainsi, une matière peut être
exclue du champ de l’arbitrage en raison de sa nature, en tant que « question
qui intéresse l’ordre public ». Le concept intervient aussi pour définir et,
parfois, pour restreindre le champ des initiatives juridiques individuelles ou
celui de la liberté contractuelle. Le caractère variable, protéiforme et
évolutif de ce concept d’ordre public rend toutefois fort difficile toute
tentative de définition précise ou exhaustive de son contenu. (J.-L. Baudouin
et P.-G. Jobin, Les obligations (5e éd. 1998), p.
151-152; Auerbach c. Resorts International Hotel Inc.,
53
L’interprétation extensive du concept d’ordre
public de l’art.
54
L’ordre public intervient principalement
lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité de la sentence arbitrale. Les limites
de son rôle doivent cependant être correctement définies. D’abord, comme nous
l’avons vu, les arbitres sont fréquemment tenus d’examiner des questions et des
dispositions législatives d’ordre public pour régler le différend dont ils ont
été saisis. Ce seul examen ne rend pas la décision annulable. L’article
55
Le présent litige soulève plusieurs aspects du
recours aux règles et principes appartenant à l’ordre public. Il faut se
demander, en premier lieu, si les droits d’auteur, en tant que droits moraux,
sont analogues aux matières énumérées à l’art.
(i) L’ordre public et la nature des droits d’auteur
56
À mon avis, la Cour d’appel a eu tort
d’affirmer que l’incessibilité des droits moraux prévue à l’art.
57
Ces droits moraux sont certes déclarés
incessibles, mais le législateur permet à leurs titulaires de renoncer à leur
exercice. La législation canadienne reconnaît ainsi l’imbrication des droits
économiques et des droits moraux dans la définition du droit d’auteur. Notre
Cour a d’ailleurs souligné l’importance attachée aux aspects économiques du
droit d’auteur au Canada. En effet, la Loi sur le droit d’auteur traite
d’abord celui-ci comme une institution destinée à organiser la gestion
économique de la propriété intellectuelle. Elle y voit avant tout un mécanisme
de protection et de transmission des valeurs économiques reliées à ce type de
propriété et à son utilisation. (Voir Théberge c. Galerie d’Art du Petit
Champlain inc.,
58
Dans le cadre de la législation canadienne sur
le droit d’auteur, bien que l’œuvre constitue une « manifestation de la
personnalité de l’auteur », on se trouve fort loin des questions relatives à
l’état et la capacité des personnes et aux matières familiales au sens de
l’art.
59 Par ailleurs, la législation québécoise reconnaît la légitimité des transactions sur le droit d’auteur et la validité du recours à l’arbitrage pour régler les différends survenus à leur sujet. En effet, à l’art. 37 de la Loi sur le statut professionnel des artistes, le législateur a expressément prévu que, sauf renonciation expresse, tout litige sur l’interprétation d’un contrat entre un artiste et un diffuseur doit être soumis à un arbitre. Les contrats signés entre les artistes et les diffuseurs contiennent systématiquement des stipulations relatives aux droits d’auteur. Il serait paradoxal que le législateur considère les questions concernant les droits d’auteur comme soustraites à l’arbitrage parce que d’ordre public, d’une part, et que, d’autre part, il privilégie ce mode de règlement des différends dans l’éventualité de conflits relatifs à l’interprétation et à l’application des contrats qui régissent l’exercice de ce droit entre les artistes et les diffuseurs.
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Ainsi, la sentence en question ne traite pas
d’une matière qui échappe par nature à la compétence des arbitres en l’espèce.
En ce sens, elle n’est pas contraire à l’ordre public; si elle l’avait été, un
tribunal judiciaire aurait été justifié de l’annuler (art.
(ii) L’ordre public et le caractère erga omnes des décisions concernant la paternité des droits d’auteur
61 Selon la Cour d’appel, l’opposabilité d’une décision en matière de droit d’auteur à l’égard de tous et, par conséquent, la nature de ses effets sur les tiers feraient obstacle à la procédure arbitrale. Ces caractéristiques réserveraient la connaissance de ces litiges aux seuls tribunaux judiciaires (arrêt de la Cour d’appel, par. 42 et 44). Cette interprétation repose sur une erreur quant à la nature du concept de la chose jugée et quant à l’étendue de l’opposabilité des décisions de justice.
62
D’abord, le Code de procédure civile ne
considère pas l’effet d’une sentence arbitrale sur les tiers comme un motif
permettant de l’annuler ou d’en refuser l’homologation (art.
(iii) Les articles 31 et 34 de la Loi sur le statut professionnel des artistes
63 À titre subsidiaire, la Cour d’appel a affirmé que l’arbitre avait l’obligation de s’assurer que les formalités impératives imposées par les art. 31 et 34 de la Loi sur le statut professionnel des artistes ont été respectées lors de la formation des contrats et qu’il n’avait pas rempli sa mission à cet égard (arrêt de la Cour d’appel, par. 48-49). L’étude de la conduite de l’arbitrage a permis de disposer de ce grief, parce que ce problème de validité des contrats avait été exclu du mandat de l’arbitre par la décision du juge Bisaillon de la Cour supérieure.
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À cette étape de l’examen de ce pourvoi, il
paraît utile de rappeler certaines particularités du mécanisme de saisine de
l’arbitre en vertu de l’art. 37 de la Loi sur le statut professionnel des
artistes. Une seule des deux parties peut décider de renvoyer à l’arbitre
un différend sur l’interprétation et l’application des dispositions d’un
contrat sujet à la Loi. Cependant, si les deux parties s’entendent pour
limiter la mission de l’arbitre, celui-ci ne peut élargir son mandat de son
propre chef. Dans la mesure, toutefois, où sa mission aurait comporté l’examen
de la validité des contrats et notamment des formalités et règles qualifiées d’impératives
que l’on retrouve aux art. 31 et 34 de la Loi, comme celles relatives à la
durée des engagements des parties, l’arbitre aurait dû décider si les ententes
étaient valides. La solution contraire multiplierait les procédures dans les
cas où un différend concernerait autant l’interprétation des clauses du contrat
que sa validité. Cette solution ferait violence à l’un des principes
fondamentaux de l’arbitrage, qui veut offrir aux contractants un forum efficace
pour régler leurs litiges (Compagnie nationale Air France c. Mbaye,
(iv) Les limites du contrôle de la validité des décisions arbitrales
65 La Cour d’appel a affirmé au par. 49 que :
Lorsqu’un arbitre est appelé, dans le cadre de son mandat, à appliquer les règles d’ordre public, il doit les appliquer correctement, c’est-à-dire de la même façon que les tribunaux.
66 Cette affirmation porte atteinte au principe fondamental de l’autonomie de l’arbitrage (Compagnie nationale Air France, précité, p. 724). En effet, elle conduit nécessairement à l’examen du fond du différend par le tribunal judiciaire. De plus, elle perpétue une conception de l’arbitrage qui en faisait une justice inférieure à celle offerte par les tribunaux judiciaires (Condominiums Mont St-Sauveur, précité, p. 2785).
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Le législateur a consacré l’autonomie de
l’arbitrage en affirmant à l’art.
68
Malgré la précision de ces dispositions du
Code de procédure civile et la clarté de l’intention législative qui s’en
dégage, des courants contradictoires ont traversé la jurisprudence québécoise
quant aux limites des interventions judiciaires à l’occasion des demandes
d’homologation ou d’annulation de sentences arbitrales régies par le Code de
procédure civile. Certains jugements ont adopté une vue large de ce
pouvoir ou tendent parfois à le confondre avec le pouvoir de contrôle
judiciaire en vertu des art.
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Cette dernière orientation a d’ailleurs été
adoptée par un courant jurisprudentiel important. On reconnaît ainsi que les
recours à l’encontre des sentences arbitrales sont limités aux cas prévus par
les art.
À mon avis, l’argument voulant qu’une interprétation du règlement différente, voire même contraire de celle retenue par les tribunaux de droit commun, fasse en sorte que la sentence arbitrale dépasse les termes de la convention d’arbitrage résulte d’une méconnaissance profonde du système d’arbitrage conventionnel. L’argument assujettit ce système distinct de justice à un contrôle de la justesse de ses décisions et il réduit ainsi, de façon significative, la latitude que le législateur et les parties entendaient conférer au conseil d’arbitrage.
(Laurentienne-vie, compagnie d’assurance, précité, par. 43)
(v) La conduite de l’arbitrage et la justice naturelle
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Madame Desputeaux a reproché à l’arbitre de
n’avoir pas entendu la preuve testimoniale ou documentaire relative à la
titularité des droits d’auteur. À son avis, cette erreur justifierait
l’annulation de la sentence. Les articles
71 Certes, toutefois, la liberté de l’arbitre à l’égard de la procédure n’est pas totale. En effet, en vertu des art. 947.2 et 946.4 , par. 3 C.p.c., une sentence arbitrale pourra être annulée lorsque « la partie contre laquelle la sentence est invoquée n’a pas été dûment informée de la désignation d’un arbitre ou de la procédure arbitrale, ou qu’il lui a été impossible pour une autre raison de faire valoir ses moyens ». Le dossier en question n’établit cependant pas un grief de cette nature. Son contenu ne démontre pas l’existence de faits permettant de l’examiner et ne justifierait donc pas une intervention de notre Cour à propos de cette question.
VI. Conclusion
72 L’arbitre a agi conformément à sa mission. Il n’a commis aucune erreur qui donne ouverture à l’annulation de la sentence arbitrale. Pour ces motifs, l’appel doit être accueilli, l’arrêt de la Cour d’appel infirmé et la requête en annulation de la sentence rejetée avec dépens dans toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs des appelantes : Fraser Milner Casgrain, Montréal.
Procureurs de l'intimée : Tamaro, Goyette, Montréal.
Procureurs de l’intervenant le Centre d'arbitrage commercial national et international du Québec : Ogilvy Renault, Montréal.
Procureurs des intervenants l’Union des écrivaines et écrivains québécois et le Conseil des métiers d'art du Québec : Boivin Payette, Montréal.
Procureurs de l'intervenant le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec : Laurin Lamarre Linteau & Montcalm, Montréal.