[1] La défenderesse (la Municipalité) est l'objet d'une plainte pénale lui reprochant l'infraction suivante:
"Le ou vers le 7 octobre 1999, en tant qu'employeur sur un chantier de construction situé au 991, boulevard Sainte-Anne, à Saint-Charles Borromée, district de Joliette, Québec, a compromis directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l'intégrité physique de ses travailleurs alors que ceux-ci sont à l'œuvre dans une tranchée non sécuritaire, contrevenant ainsi à l'article 237 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., ch. S-2.1), et se rendant passible des peines prévues au premier alinéa dudit article."
LES FAITS
[2] À la date et au lieu indiqués au constat, des travaux étaient effectués à l'initiative d'un résident de la Municipalité en raison d'un problème lié à la conduite de l'égoût sanitaire de sa propriété. Il fit appel à un entrepreneur qui dépêcha un de ses employés sur les lieux avec une rétrocaveuse, lequel procéda à effectuer une tranchée dans le but qu'il soit procédé à la réparation ou au débouchage du conduit, enfoui sous l'entrée privée asphaltée de sa propriété.
[3] Informé de l'existence de ce chantier, l'inspecteur de la C.S.S.T. Claude BOURASSA se présenta sur les lieux à 11h00. Constatant que deux travailleurs se trouvaient dans le fond de la tranchée, il les fit immédiatement sortir. Il arrêta les travaux et prit une série de photographies. Celles-ci font voir que c'est dans une tranchée profonde d'environ 9 ou 10 pieds que ces deux travailleurs étaient descendus pour procéder avec des pelles à dégager le tuyau. Cette tranchée avait à son sommet une ouverture d'environ 12 pieds de largeur sur une longueur d'environ 30 pieds et un fond de 1 mètre de largeur, totalement inondé. La pente se situait entre 70 et 80 degrés et les matériaux de déblai étaient déposés directement en bordure de la tranchée sur une hauteur d'environ 11/2 mètre.
[4] L'inspecteur identifia ces deux travailleurs comme étant Richard DESROSIERS et Pierre ARPIN, deux salariés de la Municipalité qui, accompagnés de leur supérieur, le contremaître des travaux publics, s'étaient présentés sur les lieux le matin même, dans le but de déterminer si la réparation devait être à la charge de la la Municipalité ou du contribuable. Après 10 ou 15 minutes de travail, soit au moment de l'arrivée de l'inspecteur, ils étaient debout, en train de déterminer la longueur du tuyau à remplacer et le contremaître était alors absent, ayant quitté les lieux dans le but d'aller en chercher un nouveau, dont le branchement devait prendre environ 5 minutes.
[5] À l'aide des photos, l'inspecteur commenta la nature des matériaux soit, à partir du fond, de l'argile sur 1 mètre, puis du sable sur également un mètre, directement sous la pierre concassée et l'asphalte. Puis, à la frange située entre l'argile et le sable, un ruissellement d'eau, lavant la surface d'argile et enlevant une partie du sable, attaquant sa stabilité, d'où des décrochements de sable et des failles. Selon l'inspecteur, en raison du travail effectué à proximité et de la circulation, des vibrations étaient ressenties. En plus des fissures, la présence additionnelle de l'eau au fond de la tranchée présentait, selon l'inspecteur, une véritable recette de danger.
[6] Environ trois mois après l'événement, la C.S.S.T. dépêcha un représentant d'une firme spécialisée pour procéder à un forage géotechnique, à quelques pieds seulement du lieu où avait été creusée la tranchée. À l'aide d'appareils appropriés, un technicien procéda à divers échantillonnages devant établir la résistance au cisaillement pour tester la solidité du sol, échantillons qui furent examinés en laboratoire. Louis D'AMOURS, un ingénieur spécialisé en mécanique des sols et entendu comme témoin expert, procéda à des essais sur la plasticité pour conclure que selon les résultats constatés, on était en présence d'une argile beaucoup plus liquide que plastique, soit à un niveau de 20k pa, représentant une argile molle, très sensible au remaniement. Compe tenu des autres facteurs en cause, dont l'inspecteur lui fit part, soit l'angle des pentes, l'accumulation des matériaux à proximité de la crête et les vibrations ressenties, il opina qu'il pouvait y avoir effondrement dans un délai de 0 minute à 24 heures. Témoignant à l'aide des photos produites, il nota des fissures, des décrochements ainsi que du suintement sur les parois.
[7] Les deux travailleurs furent entendus. Catégoriques et affirmatifs, leurs témoignages concordent à l'effet que la tranchée était asséchée au moment où ils s'y trouvaient, soit pendant une dizaine de minutes, et qu'ils n'ont constaté ni éboulement, fissure, décrochement ou suintement, de sorte que la tranchée leur est apparue tout-à-fait stable et sécuritaire. Jocelyn ROBITAILLE, l'opérateur de machinerie lourde qui fit l'excavation ainsi que son patron Gabriel PARENT, rendirent un témoignage semblable en ajoutant que les abondantes et profondes racines contribuaient à ce que le sol se tienne très bien.
ANALYSE ET DISCUSSION
[8] La nature de la poursuite entreprise en l'espèce exige la preuve hors de tout doute raisonnable de l'existence d'un état de dangerosité, ce qui est le cœur de la question que le Tribunal doit trancher.
[9] En effet même si la preuve est claire que l'état de la tranchée, vu l'absence d'étançonnement, n'était pas réglementaire et qu'il pouvait certes en découler une responsabilité au niveau pénal pour celui qui en était l'auteur ou le responsable, il va de soi qu'il n'en découle pas automatiquement qu'il y a eu mise en péril par la défenderesse de la sécurité de ses travailleurs affectés au travail dans cette tranchée. De même en serait-il dans l'hypothèse où on pourrait conclure que le devoir général de protection imposé à un employeur à l'article 51 de la Loi n'avait pas été en tous points respecté et aurait pu donner lieu à une poursuite pour contravention, notamment aux alinéas 3 et 5 dudit article.
[10] Ce qui est ici en cause, c'est donc la recherche de l'existence d'un danger direct, sérieux et prévisible. Si la preuve en est faite, il apparaît incontestable qu'il y aura existence d'un lien entre le danger et l'action de la défenderesse, celle-ci consistant dans l'acquiescement, tacite ou non, du contremaître, engageant la responsabilité pénale de cette dernière, à ce que ces deux travailleurs exécutent un travail au fond de cette tranchée, la preuve excluant toute hypothèse voulant qu'ils aient agi ainsi de leur propre initiative.
[11] C'est donc à raison que la poursuite a cherché à faire la preuve que l'exécution de ce travail présentait un véritable danger en raison des conditions auxquelles il était soumis.
[12] Cette preuve repose d'abord sur l'examen visuel de la tranchée à l'aide de quatre photos produites en liasse et auxquelles l'inspecteur et l'ingénieur se sont longuement référés pour démontrer l'état de dangerosité des lieux. Elle repose en second lieu sur l'analyse des sols, faite quelques mois après l'événement.
[13] Sur ce dernier point, mentionnons immédiatement que malgré le caractère incontestable de la preuve voulant que la composition de ce sol présente une instabilité certaine et que pour ce motif un effondrement était prévisible à court terme, sa pertinence est valable en autant qu'au moment de l'événement cette situation pouvait être perceptible, car on ne peut se prémunir contre un danger si on est incapable de le déceler.
[14] Il faut donc s'en tenir aux constatations que les personnes présentes sur les lieux ont pu, auraient pu ou auraient dû faire. Or, à cet égard, le Tribunal fait face à une preuve largement contradictoire quant à l'état des lieux relatif à la bonne ou mauvaise condition des parois et plus particulièrement quant à la présence d'eau dans la tranchée.
[15] À la vue des photos, la tranchée est totalement inondée. Or les deux travailleurs ainsi que le préposé à l'excavation affirment catégoriquement que ces photos ne représentent pas l'état des lieux car la tranchée était tout-à-fait asséchée. L'inspecteur, qui est resté sur place jusqu'à midi puis est revenu à 13h15, affirme avoir pris 12 photos immédiatement après avoir fait sortir les travailleurs de la tranchée. Mais ces derniers affirment qu'en aucun moment des photos ne furent prises pendant qu'ils étaient sur les lieux. Le procureur de la défenderesse émit l'hypothèse qu'elles furent prises en début d'après-midi seulement alors que manifestement, à cause de la nature du sol, la tranchée s'était remplie d'eau.
[16] La question est importante car s'il est exact que la tranchée était inondée pendant que les travailleurs y étaient, ce que soutient l'inspecteur, il est plausible que des fissures et des décrochements existaient à ce moment et qu'il y avait suintement apparent des parois, ce qui, si tel est le cas, aurait présenté effectivement un état certain de dangerosité, puisque selon l'ingénieur, l'eau constitue un facteur important quant à la stabilité des parois.
[17] Après examen attentif de l'ensemble de la preuve, le Tribunal n'a aucune raison de douter de la version de tous les témoins, qui affirment avec conviction que non seulement il n'y avait pas d'eau dans la tranchée mais qu'il n'y avait apparence ni de fissure, décrochement ou suintement, contrairement à ce que les photos indiquent, de sorte que la tranchée apparaissait solide et stable en raison principalement de la multitude de racines qui s'y trouvaient. Fait à noter, Richard DESROSIERS, un des travailleurs, a été appelé à la barre par la poursuite dans sa preuve principale. Soulignons de plus que lors de sa visite du chantier, l'inspecteur ne prit aucune note. En l'absence d'un rapport d'intervention rédigé de manière contemporaine aux événements, il a témoigné en se fiant uniquement à sa mémoire, sur ces faits survenus près d'un an et demi auparavant.
[18] De l'avis du Tribunal, la preuve prépondérante suggère ainsi que l'état des lieux, dont l'inspecteur et l'expert font état, ne correspond pas à celui qui existait et qu'ainsi le danger dû à l'effondrement des parois, malgré son caractère sérieux en raison des conséquences graves en cause, loin d'être une prévisibilité, ne demeurait qu'une simple possibilité. Mais la poursuite suggère, avec insistance, que la tranchée a pu toutefois se remplir d'eau dans un court délai après que les travailleurs en soient sortis. Qu'en est-il? De l'avis du soussigné, cette hypothèse ne concorde pas avec la preuve qui veut, selon les travailleurs, qu'elle était encore asséchée quand ils quittèrent le chantier longtemps après en être sortis. Mais il y a plus. En effet, lorsque l'entrepreneur se présenta sur les lieux à 13h00, soit deux heures après l'événement, il ne constata qu'un peu d'eau dans le fond de la tranchée. Ainsi tout porte à croire que ces photos ne furent pas prises au moment des événements mais bien après, présumément au moment où l'inspecteur revint au chantier en début d'après-midi, alors que l'état des lieux s'était manifestement gravement détérioré. Leur fiabilité doit ainsi être fortement remise en cause et laisse la preuve de la poursuite avec peu d'éléments pour supporter son fardeau.
[19] En outre des photos, le reste de la preuve demeure insuffisant. En effet, l'inspecteur a mentionné qu'on ressentait des vibrations en raison de la présence d'un camion qui chargeait les débris, événement qui aurait pu constituer un facteur aggravant important. Une fois de plus, les deux travailleurs affirmèrent qu'outre la rétrocaveuse, il n'y avait pas d'autre machinerie sur place. Ce qu'on sait par ailleurs du témoignage de l'opérateur, c'est que le camion n'est venu charger ces matériaux qu'en début de l'après-midi. Une fois de plus, peut-on croire, l'inspecteur, se fiant de nouveau à sa seule mémoire quant à la reconstitution des événements, a possiblement confondu le moment précis et exact de la survenance de ce fait. De toute façon, contre-interrogé sur ce point précis, il dut reconnaître n'avoir pas vu lui-même ce camion. On le lui en a parlé, a-t-il dit, mais ne peut se souvenir qui le lui a dit.
[20] Cet élément supplémentaire s'ajoute au doute sérieux pesant sur la preuve des éléments essentiels dont la poursuite avait charge d'établir. En présence d'un tel doute, le Tribunal n'a d'autre choix que d'en faire profiter la défenderesse, ce qui doit mener à son acquittement, sans qu'il ne soit requis de se pencher sur la suffisance de la défense de diligence raisonnable soumise en l'espèce.
[21] POUR CES MOTIFS, le Tribunal:
REJETTE la plainte;
ACQUITTE la défenderesse de l'accusation telle que portée.
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Panneton Lessard Procureur de la poursuivante
Me André LAPORTE Laporte Larouche Procureur de la défenderesse
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Domaine du droit: |
Santé et sécurité du travail
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.