Décision

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Brière c. Rogers Communications, s.e.n.c. (Rogers Sans-fil, s.e.n.c.)

2014 QCCS 5917

JN 0326

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-06-000557-112

 

 

 

DATE :

  5 décembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE 

L’HONORABLE

PIERRE NOLLET, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

MARIO BRIÈRE

Requérant

c.

ROGERS COMMUNICATIONS S.E.N.C., faisant également affaires

sous la raison sociale ROGERS SANS-FIL S.E.N.C.

Intimée

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]   Le requérant, Mario Brière, dûment autorisé par la Cour, exerce un recours collectif contre l'intimée, Rogers Communications S.E.N.C. (Rogers).

[2]   Entre 2007 et 2013, sur la foi du contrat de service avec abonnement l'y autorisant, Rogers a facturé des frais de résiliation anticipée (les FRA) de 69 135 228 $ à des consommateurs et de 4 145 078 $ à des petites et moyennes entreprises (PME).

[3]   Le requérant s’est vu facturé et a payé des FRA de 200 $.Il en demande le remboursement de même que des dommages punitifs.

[4]   Pour les motifs exprimés ci-après, le Tribunal ordonne à Rogers d'indemniser les membres du groupe de la différence entre les FRA récupérés par Rogers et les bénéfices reçus par les membres lors de la conclusion du contrat avec abonnement, soit le rabais offert sur le prix de leur appareil téléphonique.

I.     Les faits

[5]   Le Tribunal a accordé à Mario Brière le statut de représentant aux fins de représenter le groupe suivant :

Toutes les personnes physiques et morales (comptant au plus 50 employés dans les douze mois précédant le présent recours), résidant ou ayant résidé au Québec et ayant bénéficié du service de téléphonie cellulaire ou de transmission de données de Rogers, qui se sont vues facturer par cette dernière et qui ont payé, depuis le 21 février 2008, des frais de résiliation en vertu d'un contrat écrit conclu avant (i) le 1er février 2007 et qui contient une clause de résiliation exigeant des frais de résiliation de 20 $ par mois restant au contrat jusqu'à concurrence de 200 $ ou (ii) un contrat conclut avant le 30 juin 2010 et après le 1er février 2007 et qui contient une clause de résiliation exigeant des frais de résiliation du plus élevé de 100 $ ou de 20 $ par mois restant à courir jusqu'à concurrence de 400 $ ou dans le cas de la transmission de données du plus élevé de 25 $ ou de 5 $ par mois restant à courir jusqu'à concurrence de 100 $[1]

[6]   Rogers a plusieurs types de comptes de téléphonie cellulaire. Ceux-ci ne sont pas modelés exactement sur la définition des membres du groupe du recours collectif.

[7]   Aux fins du recours toutefois, les parties ont admis que le Tribunal pouvait utiliser les catégories suivantes : 

7.1.    les comptes qui sont propriété de « personnes physiques résidant au Québec » et que Rogers appelle les comptes consommateurs.

7.2.    les comptes qui incluent « les entreprises comptant au plus 50 employés dans les 12 mois précédant le présent recours et d'autres entreprises » et que Rogers appelle les comptes PME.

[8]   Aux fins du recours, il est admis que le Tribunal peut utiliser la catégorie PME de Rogers comme celle correspondant, dans son ensemble, à la catégorie d'entreprises (personnes physiques ou morales) comptant au plus 50 employés dans les 12 mois précédant le recours.

[9]   Il existe trois types de contrats de téléphonie cellulaire chez Rogers: les contrats prépayés, les contrats payables mensuellement suivant l’usage, mais sans terme (contrats sans abonnement) et les contrats payables mensuellement suivant l’usage, mais avec un terme de 12, 24 ou 36 mois (contrats avec abonnement).

[10]               Le 29 janvier 2009, M. Brière, client de la téléphonie cellulaire de Rogers depuis plusieurs années, achète, au prix de 249,99 $, un téléphone cellulaire en remplacement de son ancien appareil. Il choisit un forfait « voix seulement », sans utilisation du service de transmission de données, et ce, pour un terme de 36 mois. C’est un contrat avec abonnement.

[11]               Le prix de détail suggéré de l'appareil acheté par M. Brière serait de 360 $[2]. Rogers a payé celui-ci 300 $[3].

[12]               Au moment de l'achat, Rogers n'informe pas M. Brière qu’il bénéficie d'un rabais sur le prix de l'appareil[4], qu’il renonce à son droit à une résiliation unilatérale de son forfait avant terme, et qu'il contracte pour une nouvelle période de trois ans.

[13]               Suivant le témoignage de M. Brière, c'est après avoir payé l'appareil avec sa carte de crédit que le représentant de Rogers l'informe que le nouveau contrat a une durée de 36 mois. M. Brière s'oppose, mais le représentant lui dit qu'il est trop tard, le contrat ayant été conclu. M. Brière admet avoir reçu copie du contrat d'une durée de 36 mois[5].

[14]               En février 2009, M. Brière reçoit sa facture mensuelle de Rogers, laquelle indique qu'un rabais de 50 $ lui a été octroyé sur le prix de son appareil[6].

[15]               En novembre 2010, M. Brière avise Rogers qu’il met fin à son contrat. À ce moment, il reste 13 mois à courir sur le terme de 36 mois[7].

[16]               Lorsqu'il reçoit sa facture du 26 novembre 2010, M. Brière constate que Rogers lui facture des FRA de 200 $ plus les taxes[8]. M. Brière contacte alors Rogers et tente de contester l'imposition des FRA, sans succès. Il acquitte donc les FRA imposés.

[17]               Il est admis que, pour la période de 13 mois restant à courir à son contrat, la facture moyenne de M. Brière aurait été de 36,59 $ par mois, le tout en se basant sur les factures émises par Rogers entre février 2009 et novembre 2010[9].

[18]               Suivant la preuve faite par Rogers, les trois contrats, prépayés, postpayés sans abonnement et avec abonnement, ont un coût d'opération et d'utilisation similaire pour le client et une marge d'opération bénéficiaire mensuelle équivalente pour Rogers. Les mêmes forfaits sont disponibles pour les trois types de contrat.

[19]               Entre 2008 et 2013, Rogers recouvre les FRA suivants pour les forfaits voix seulement[10]:

19.1.             157 800 comptes consommateurs :            27 953 252 $

19.2.             5 524 comptes PME:                                       2 122 109 $

[20]               Pour la même période, Rogers perçoit les FRA suivants pour la transmission de données :

20.1.             50 744 comptes consommateurs:                 4 939 624 $

20.2.             3 401 comptes PME:                                         422 701 $

II.   Les questions en litige

[21]               Le jugement autorisant le recours définit comme suit les principales questions en litige à être traitées collectivement :

1)    Les frais de résiliation de contrat (FRA) facturés par l'intimée au requérant et aux membres sont-ils excessifs ou abusifs?

2)    Les frais de résiliation de contrat (FRA) facturés au requérant et aux membres excèdent-ils le montant du préjudice réellement subi par l'intimée?

3)    S'il y a lieu, comment doit être établi le montant à être remboursé au requérant et aux membres du groupe?

4)    Est-ce que l'intimée a contrevenu à la Loi sur la protection du consommateur? Si oui, est-ce que l'intimée est tenue au paiement des dommages punitifs?

III.  Position des parties

A.   Position du requérant

[22]               M. Brière souhaite un remboursement complet des FRA qui lui ont été imposés. Il plaide que les FRA ne visent qu'à garantir Rogers contre une perte de profits, ce à quoi elle n'a pas droit vu les articles 2125 et 2129 C.c.Q.

[23]               M. Brière ne prétend pas que le droit à la résiliation anticipée soit d’ordre public, mais il soutient que Rogers n’a pas fait la preuve qu’il a renoncé à ce droit. Il ajoute que les FRA sont disproportionnés par rapport au préjudice réellement subi et qu'ils sont abusifs, contrevenant ainsi à la Loi sur la protection du consommateur (L.P.C.)[11].

B.   Position de l'intimée

[24]               Rogers est d'avis que le jugement en autorisation, en écartant la question de la renonciation comme question commune, décide que le requérant a renoncé à l'application des articles 2125 et 2129 C.c.Q. Au surplus, elle plaide qu'il y a eu renonciation implicite sans équivoque au droit à la résiliation anticipée et qu'en conséquence, l'article 2129 C.c.Q. limitant le préjudice pouvant être réclamé ne s'applique pas. Selon Rogers, la règle générale est alors le droit de recouvrer tout préjudice y compris les profits perdus au moyen de ce que Rogers qualifie d'une clause pénale.

[25]               Selon Rogers, le montant payé par M. Brière n'est pas abusif et la preuve ne soutient aucunement le droit à des dommages punitifs.

IV. Analyse

A.   Y a-t-il chose jugée sur la renonciation à la résiliation anticipée prévue par l’article 2125 C.c.Q.?

[26]               Rogers soutient que le jugement d’autorisation a déterminé que la clause de FRA constituait une renonciation au droit à la résiliation unilatérale autorisée par l’article 2125 C.c.Q.

[27]               La clause établissant les FRA se lit comme suit :

Frais de résiliation anticipée (s'appliquent uniquement aux clients avec un abonnement) :

Des frais de résiliation anticipée s'appliquent si, pour quelque raison que ce soit, le service est annulé avant la fin de la période d'abonnement. Les frais de résiliation anticipée correspondent au montant le plus élevé de ces deux éventualités : (i) 100 $ ou (ii) 20 $ par nombre de mois restant à la période d'abonnement, jusqu'à un maximum de 400 $, et s'appliquent pour chaque ligne inscrite au compte annulé. Si le client souscrit un forfait avant le 1er février 2007 et le conserve ou le renouvelle pour une période d'un an, de deux ans ou de trois ans, les frais de résiliation anticipée correspondant à 20 $ par nombre de mois restant à la période d'abonnement, jusqu'à un maximum de 200 $.

Frais de résiliation anticipée pour la transmission de données :

Selon votre service de transmission de données sans fil, des frais de résiliation anticipée pour la transmission de données s'appliquent si, pour quelque raison que ce soit, le service est annulé avant la fin de la période d'abonnement (au forfait Données). Les frais de résiliation anticipée pour la transmission de données correspondent au montant le plus élevé de ces deux éventualités : (i) 25 $ ou (ii) 5 $ par nombre de mois restant à la période d'abonnement, jusqu'à un maximum de 100 $, et s'appliquent en plus des frais de résiliation anticipée lorsque le service est annulé avant la fin de la période d'abonnement. Les frais de résiliation anticipée et les frais de résiliation anticipée pour la transmission de données s'appliquent si vous êtes abonné à un forfait combinant les services Voix et données.

[28]               L’article 2125 C.c.Q. stipule :

2125. Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l'ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise.

[29]               Dans sa requête en autorisation, le requérant suggère de traiter collectivement la question suivante: Les frais de résiliation contreviennent-ils au droit du requérant et des membres à la résiliation unilatérale d’un contrat ?

[30]               Voici ce que dit le Tribunal dans le jugement d'autorisation:

[32] Les parties pouvaient-elles convenir d’une clause qui détermine à l’avance l’indemnité à laquelle est tenue la partie qui souhaite résilier le contrat afin de faire échec à l’application de l’article 2129 C.c.Q.?

[33] Cette question est une pure question de droit. Elle peut être déterminée à ce stade [citation omise].

[34] Pour pouvoir conclure que les parties ne pouvaient contractuellement convenir de frais de résiliation, le Tribunal doit se convaincre que l’article 2129 C.c.Q. est d’ordre public. Cette Cour a déjà reconnu que tel n’était pas le cas dans l’affaire Construction Jag inc. c. 9055-2274 Québec inc. [citation omise]. Le seul fait d’avoir introduit au contrat une clause pénale applicable en cas de résiliation ne peut donc donner lieu à un recours collectif.

[31]               On notera en premier lieu que le jugement d’autorisation réfère à l’établissement de l’indemnité suivant 2129 C.c.Q. et non à la renonciation suivant l’article 2125 C.c.Q.

[32]               Le jugement d’autorisation n'a pas pour objet ni ne s'est prononcé sur l'existence ou non d'une renonciation au droit de M. Brière à la résiliation anticipée.

[33]               D’ailleurs, le professeur Lafond rappelle au sujet du jugement d’autorisation que « [il] ne constitue qu’une décision préliminaire susceptible d’être modifiée au cours du procès, voire avant, et qui ne préjuge pas du résultat de la contestation finale »[12].  

[34]               La question écartée l’a été parce que la détermination à l’avance d’une indemnité de résiliation ne pouvait être présumée fautive, l’article 2129 C.c.Q. n'étant pas d’ordre public. Le Tribunal s’est toutefois gardé de conclure sur l’existence ou non d’une renonciation à l’article 2125 C.c.Q., ou d’une renonciation à l’indemnité prévue à l’article 2129 C.c.Q., ignorant si la preuve de la renonciation découlerait de situations individuelles ou pouvant être traitées collectivement.

[35]               La preuve établit l'absence de représentations faites à M. Brière au sujet de la renonciation. Rogers n'a pas tenté de prouver que les représentants étaient formés de telle façon que cette clause était expliquée en détail aux clients et que dans les faits, la renonciation au droit à la résiliation anticipée était connue du client. Rogers fait plutôt valoir, de façon subsidiaire, un argument de texte qui lui peut être traité collectivement : il s’agit de la renonciation présumée découlant de la détermination à l’avance de l’indemnité de résiliation.

B.   Y a-t-il renonciation présumée à la résiliation anticipée ?

[36]               Selon Rogers, la présence de la clause imposant les FRA signifie que le client a implicitement renoncé à son droit à la résiliation anticipée prévue à l’article 2125 C.c.Q.

[37]               Le Tribunal est d’avis que l'existence d'une clause prévoyant le paiement de FRA pour mettre fin au contrat avec abonnement ne permet pas d’inférer une renonciation au droit à la résiliation anticipée.

[38]               La rédaction de la clause de résiliation anticipée tend plutôt à prouver le contraire. Cette clause porte sur des frais dus à l’occasion d’une résiliation anticipée et non pas sur une pénalité pour le cas où le client serait en défaut de se rendre au terme de son contrat.

[39]               Le droit à la résiliation étant assujetti à certaines modalités, il faut plutôt en conclure que ce droit est préservé et non en inférer une renonciation implicite.

[40]               Pour cette même raison, le Tribunal ne peut conclure que la seule existence des frais de résiliation contrevient au droit du requérant à la résiliation unilatérale d’un contrat. Le Tribunal est d’opinion que la faculté de résiliation moyennant paiement accordée au client consacre son droit à la résiliation anticipée.

[41]               La jurisprudence citée par le requérant dont les affaires Services Matrec[13] et Gagnon c. Bell Mobilité[14] de même que la doctrine de l'auteur Vincent Karim[15] nous apparaissent  concluantes quant au fait que la renonciation doit apparaître clairement à la lecture de la clause. Ce n’est pas notre cas ici.

[42]               L'affaire Gagnon c. Bell Mobilité mettait en cause des FRA semblables à ceux dont il est question ici, mais justifiés d'une façon différente par Bell Mobilité. La juge Nantel décide qu'il n'y a pas lieu de conclure à la renonciation au droit à la résiliation anticipée, le texte de la clause n'étant pas clair à cet effet.

[43]               Au procès, la preuve se résume ainsi: M. Brière n'a pas été informé que la clause prévue au contrat équivalait à une renonciation à son droit à la résiliation anticipée prévue au Code civil ni à l’établissement d’une indemnité calculée différemment du principe énoncé à l’article 2129 C.c.Q. Rogers ajoute qu’il n’appartient pas au commerçant de conseiller juridiquement le client à cet égard.

[44]               À l'égard des clients consommateurs, nous sommes en présence d'un contrat de consommation[16]. Pour les clients PME, il s’agit d’un contrat d'adhésion[17].

[45]               Dans un contrat de consommation ou d’adhésion, le commerçant se doit d’être transparent. Si l’intention du commerçant est d’obtenir une renonciation du client à son droit d’obtenir la résiliation unilatérale du contrat ou de calculer le préjudice suivant la loi, cette intention ou la renonciation elle-même doit être stipulée en toutes lettres à moins d'être expliquée de vive voix au client. Or, nous n’avons ici ni l’un ni l’autre. On ne peut donc parler de renonciation explicite ou implicite.

C.   Les frais de résiliation de contrat facturés au requérant et aux membres excèdent-ils le montant du préjudice réellement subi par l’intimée?

[46]               Les deux parties font valoir que si la clause de FRA est une clause pénale, ce sur quoi nous reviendrons plus bas, le calcul du préjudice exigible du client qui met fin prématurément à son contrat avec abonnement peut inclure les pertes de profits futurs. Si la clause de FRA n’est pas une clause pénale, alors le calcul du préjudice ne peut excéder ce qui est prévu par l’article 2129 C.c.Q.

[47]               Pour mettre fin à son contrat d'une durée de 36 mois, M. Brière a payé le maximum prévu à la clause de FRA soit 200 $ (étant client avant février 2007).

a)    S’agit-il d’une clause pénale?

[48]               L'article 1622 C.c.Q. stipule ce qui suit :

1622. La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n'exécuterait pas son obligation.

Elle donne au créancier le droit de se prévaloir de cette clause au lieu de poursuivre, dans les cas qui le permettent, l'exécution en nature de l'obligation; mais il ne peut en aucun cas demander en même temps l'exécution et la peine, à moins que celle-ci n'ait été stipulée que pour le seul retard dans l'exécution de l'obligation.

[Le Tribunal souligne]

[49]               Si la clause pénale a pour but de sanctionner un défaut d'exécution, clairement ce n'est pas l'objectif de la clause de résiliation anticipée dont il est question ici. En effet, le contrat accorde le droit à M. Brière de résilier son contrat avant terme. Le fait de le faire ne constitue pas un défaut.

[50]               Contrairement aux prescriptions de l'article 1622 C.c.Q., il ne s'agit pas non plus d'une clause négociée par les parties. M. Brière n’est pas informé, au moment de l'achat de son appareil, a) de l'existence de la clause b) de la façon dont l’indemnité a été établie, c) qu'elle est requise en contrepartie d'une réduction du prix de l'appareil qu’il achète, ni d) qu'elle a pour but de garantir à Rogers les marges d'opération bénéficiaire de son contrat.

[51]               Les FRA, malgré les arguments de Rogers, ne constituent pas une évaluation par anticipation des dommages-intérêts, mais un montant déterminé en fonction de deux critères dont l'un est les frais similaires chargés par les compétiteurs et l'autre la marge d'opération bénéficiaire anticipée suivant le forfait choisi par le client[18].

[52]               Au surplus et contrairement à une clause pénale, Rogers n’a pas la faculté d’exiger l’exécution de l’obligation principale (le paiement du contrat jusqu’à la fin du terme) si le client décide de mettre fin au contrat avec terme.

[53]               De l'avis du Tribunal, la clause de résiliation anticipée que l'on retrouve au contrat de M. Brière n'a pas les attributs d'une clause pénale. S’il faut définir la nature de cette obligation, il faudrait alors la qualifier d’obligation facultative[19]. Peu importe sa définition, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une clause pénale, l’article 2129 C.c.Q. doit être respecté sauf convention contraire des parties.

b)    Les FRA sont-ils contraires à l’article 2129 C.c.Q.?

[54]               Voici ce qu’édicte l’article 2129 C.c.Q. :

2129. Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.

L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédent de ce qu'il a gagné.

Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir.

[Le Tribunal souligne]

[55]               Il a déjà été établi plus haut que l’existence d’une indemnité de résiliation ne fait pas présumer de la renonciation à un droit. La preuve n’a pas démontré de renonciation au droit à la résiliation anticipée ni au respect de l’article 2129 C.c.Q. pour le calcul du préjudice. En conséquence, il faut examiner si les FRA correspondent au préjudice subi par Rogers.

[56]               Les membres pouvaient résilier unilatéralement leur contrat avec abonnement. Dans un tel cas, ils étaient tenus, en proportion du prix convenu, des frais et dépenses actuels, de même que la valeur des travaux exécutés ou biens fournis. En outre, ils pouvaient être tenus de tout préjudice que Rogers pouvait subir.

[57]               Lors de l’application de l’article 2129 C.c.Q., il est de jurisprudence constante que le préjudice n’inclut pas le gain dont le fournisseur est privé ou son profit futur[20].

[58]               Dans l’affaire Gagnon, la juge Nantel écarte de la définition de préjudice toute notion de profit futur. Elle conclut que seul le rabais sur l'appareil octroyé par le fournisseur au client constitue le préjudice réel du fournisseur.

[59]               Dans notre affaire, il en est de même.

[60]               Dans le cas des contrats avec abonnement, Rogers consent un rabais. C'est le rabais qui constitue la contrepartie du terme et qui constitue le préjudice de Rogers si le client ne se rend pas au terme de son contrat. Le Tribunal exclut du calcul du préjudice les commissions payées par Rogers au détaillant pour conclure le contrat puisque le client n'a aucun contrôle sur celles-ci, qu'elles ne lui sont pas dévoilées, qu’elles peuvent varier[21] et qu'il ne s'agit pas d'un préjudice prévisible pour le client.

[61]               Le rabais consenti à M. Brière est soit 160 $ si l’on prend en compte le prix de détail suggéré, soit 100 $ selon le calcul que fait Rogers sur la base de son coût ou soit 50 $ si l’on se fie uniquement au rabais qui apparaît sur la facture de M. Brière.

[62]               Aux fins des présentes, le Tribunal détermine que la prépondérance de la preuve établit que M. Brière a bénéficié d’un rabais de 100 $ sur le prix de son appareil puisque Rogers a établi avoir payé 300 $ pour cet appareil et le lui avoir vendu 200 $.

[63]               M. Brière fait cependant valoir que l’évaluation du préjudice devrait correspondre uniquement à une fraction du rabais consenti. Selon lui, cette fraction devrait être établie en fonction du temps écoulé au contrat au moment où le client y met fin.

[64]               Dans le cas de M. Brière, si on applique le calcul suggéré en amortissant le préjudice en fonction du temps écoulé, le préjudice de Rogers serait réduit à 36,11 $[22] au lieu de 100 $[23].

[65]               L’argument de M. Brière se fonde sur la notion de « proportion du prix convenu » pour les services ou biens, prévue au premier alinéa de l'article 2129 C.c.Q.

[66]               Cette notion ne peut recevoir application ici puisque l'indemnisation du préjudice se fait en vertu du 3e alinéa de l'article 2129 C.c.Q., alinéa auquel la notion de proportion ne s'applique pas.

[67]               Pour appuyer sa position, M. Brière a également référé le Tribunal au Journal des débats de l’Assemblée nationale lors de l’adoption de la loi modifiant la L.P.C. en juin 2010[24].

[68]               M. Louis Borgeat, témoin interrogé lors de l’étude du projet de loi, déclarait :

« Il y a bien sûr, un amortissement de prévu sur la valeur du bénéfice économique faisant partie de l’indemnité de résiliation, là, dans le sens qu’il va de soi que, sur un contrat de trois ans, le rabais consenti au départ n’est pas le même après 24, 12 et six mois. Il y a un amortissement qui est considéré, dont bénéficie le consommateur, sur la durée…on le verra, là, potentiellement sur la durée du contrat. »

[69]               Ce témoignage n’a pas été entendu devant le Tribunal et n’a donc pas force probante. Que le législateur se soit inspiré d’un possible amortissement du rabais consenti pour établir l’indemnité de résiliation payable par le consommateur ne peut influer sur l’analyse de la situation ici.

[70]               Au surplus, la preuve non contredite offerte par Rogers permet de conclure que le rabais n’est pas amorti sur la durée du contrat. Le coût est porté à la dépense comme étant le coût d’acquisition d’un client. Il s’agit bien entendu d’un traitement comptable qui ne porte pas nécessairement à conséquence d’un point de vue juridique, mais M. Brière n'a pas établi que l'amortissement sur l'ensemble du contrat devait être privilégié.

[71]               Pour le Tribunal, le rabais est consenti en contrepartie d'un terme prévu au contrat. Il apparaît juste que le consommateur ou adhérent puisse remettre le rabais ou le bénéfice reçu, peu importe le moment où la résiliation intervient, s’il souhaite mettre fin à l’abonnement par anticipation.

[72]               L’objet de l’indemnité de FRA étant d’éteindre l’obligation principale, cette indemnité doit correspondre au préjudice de Rogers. Elle est donc constituée du rabais entier consenti au client, et ce, peu importe le moment où l’on se situe dans l’exécution de l’obligation principale.

[73]               Rogers a mis en preuve un rabais moyen pour chaque type de client (consommateur ou PME) et suivant le type de forfait (voix seulement ou transmission de données). Le Tribunal référera à ces moyennes plus loin dans ce jugement.

D.   Les frais de résiliation (FRA) de contrat facturés par l’intimée au requérant et aux membres sont-ils excessifs ou abusifs?

[74]               Le requérant plaide qu'il s'agit d'un contrat de consommation ou d'adhésion et que dans ce contexte les FRA sont abusifs (1437 C.c.Q.). Selon lui, le contrat de consommation qui contient des prestations disproportionnées au sens de l'article 8 de la L.P.C. peut également être annulé.

[75]               Voyons d'abord ce que dit l'article 1437 C.c.Q. :

1437. La clause abusive d'un contrat de consommation ou d'adhésion est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible.

Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l'adhérent d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre de ce qu'exige la bonne foi; est abusive, notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu'elle dénature celui-ci.

[76]               Quant à lui, l'article 8 de la Loi sur la protection du consommateur édicte :

8. Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu'elle équivaut à de l'exploitation du consommateur, ou que l'obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante.

[77]               Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina dans Les obligations[25] précisent ce qui suit à l'égard des clauses abusives:

144 - Nature - À notre avis, la clause abusive constitue un concept original, possédant des règles et une interprétation qui lui sont propres. En fait, l’article 1437 appartient à un ensemble de règles d’équité judiciaire par lesquelles le législateur vise à bannir les pratiques véritablement choquantes, soit les stipulations qui s’écartent manifestement des pratiques contractuelles généralement acceptées par la société, et non pas celles qui sont seulement regrettables.

[]

147 - La bonne foi dans l’appréciation du caractère abusif - […] En réalité, cette petite controverse a une importance fort relative parce que l’article 1437 laisse au juge un très large pouvoir d’appréciation. On se rappellera que le législateur lutte ici contre l’exploitation, les pratiques véritablement choquantes, les stipulations qui s’écartent manifestement des pratiques contractuelles généralement acceptées par la société, et non pas celles qui sont seulement regrettables. En appliquant l’article 1437, le tribunal doit donc centrer son analyse sur le caractère répréhensible de la clause attaquée.

[78]               Didier Lluelles et Benoît Moore[26] quant à eux énoncent que :

La ligne de démarcation est, en apparence tout au moins, assez claire : profiter d’une position dominante est acceptable, mais en abuser, en outrepassant les bornes du raisonnable, ne l’est pas. Dans sa grande prudence, notre législateur n’a pas cru approprié de fournir la moindre indication de ce que constitue l’excessif ou le déraisonnable. Ce calibrage, exercice sensible et difficile, appartient donc aux tribunaux. Toutefois, le législateur a décidé d’aider la magistrature en prévoyant une norme d’appréciation extérieure, l’exigence de la bonne foi.

[…]

Pour la majorité des auteurs, la présence de la bonne foi, à l’article 1437, ne semble pas ajouter un critère distinct des caractères excessif et déraisonnable. Elle constitue plutôt le fondement de la règle, en plus d’affirmer le sens à donner au seul véritable critère - le caractère excessif et déraisonnable de la clause - d’en donner un facteur d’évaluation. On rejoint alors indubitablement l’idée d’exploitation de l’article 1406. On ne condamne pas toute clause qui avantage la partie dominante. On condamne uniquement la clause qu’un autre stipulant, se trouvant dans cette même situation privilégiée, n’aurait pas, profitant de l’incapacité de l’autre d’y faire obstacle, incluse dans le contrat. Agissant autrement, le stipulant profite indûment du déficit de résistance de l’adhérent. Il n’adopte pas un comportement raisonnablement prudent et diligent : il pose ainsi un geste fautif.

[79]               Il est révélateur que la rédaction de la clause de résiliation anticipée ait comme prémisse de départ que, si le contrat est annulé « pour quelque raison que ce soit », le client doit payer le montant prescrit. Même s'il ne s'agit pas de la situation envisagée ici, une annulation de service due à a) la mauvaise qualité du service de Rogers, b) des changements aux conditions du contrat ou encore c) un cas de force majeure, aurait pu justifier Rogers à réclamer le paiement des FRA si l’on se fie au texte de la clause.

[80]               Si, comme le plaide Rogers, l'obligation vise à forcer le client à abandonner son droit à une résiliation anticipée ou de le faire à des conditions différentes de celles énoncées à l’article 2129 C.c.Q., il apparaît nécessaire, dans le cas d’un contrat de consommation ou d’adhésion, de l'informer que c'est bel et bien l'effet de la clause. Le manque de transparence est un élément dont il faut tenir compte dans la détermination de l’existence ou non d’un abus.

[81]               Pour évaluer le caractère abusif de la clause, le Tribunal peut aussi tenir compte du préjudice subi par Rogers suite à la résiliation anticipée et du bénéfice reçu par M. Brière en contrepartie de la signature de cette entente avec terme.

a)    Le bénéfice

[82]               M. Brière a payé l’appareil 200 $ en contrepartie d’un contrat avec abonnement de 36 mois. Sans abonnement, il aurait payé 300 $. Rogers elle-même calcule le coût d'acquisition du client sur la foi de son propre coût d'acquisition de l'appareil et non selon le prix de détail annoncé.

[83]               Le Tribunal établit à 100 $ le bénéfice que M. Brière tire du contrat avec abonnement.

[84]               Dès lors, n'apparaît-il pas déraisonnable d'exiger de M. Brière qu'il paie 200 $ pour mettre fin à son abonnement?

b)    Le préjudice

[85]               Tel que discuté plus haut, c'est le fait d'avoir accordé un rabais sur l'appareil de M. Brière qui constitue le préjudice de Rogers puisque, si M. Brière avait opté pour l'un ou l'autre des deux autres types de contrat, prépayé ou sans abonnement, Rogers n'aurait jamais obtenu l’engagement de M. Brière pendant 36 mois, mais aurait perçu 100 $ de plus à l’achat de l’appareil.

c)    Le caractère excessif

[86]               En cherchant à se garantir une source de revenus, sans même tenir compte de la contrepartie offerte, Rogers oublie l’objet premier du contrat de téléphonie cellulaire qui demeure l’obtention d’un service en contrepartie d’un paiement mensuel. Rogers modifie cet objet en cherchant à obtenir une garantie que le client ne mettra pas fin au contrat ou encore que, si le client y met fin et que Rogers n’a plus à offrir le service, elle pourra tout de même engranger des bénéfices .

[87]               Rogers profite du fait que les consommateurs ou adhérents sont réceptifs à tout ce qui coûte moins cher au départ, pour imposer des FRA sans commune mesure avec la contrepartie fournie par Rogers.

[88]               Pour le Tribunal, les FRA sont excessifs et abusifs dans la mesure où ils excèdent le préjudice de Rogers.

[89]               Le Tribunal estime qu’il n’est pas utile ici d'utiliser l’article 8 L.P.C., l’article 1437 C.c.Q. étant suffisant en soi. En tout état de cause, la détermination du montant à rembourser se fera, comme nous le verrons ci-après, sur la base de l’article 2129 C.c.Q.

E.   S'il y a lieu, comment doit être établi le montant à être remboursé au requérant et aux membres du groupe?

[90]               Bien que les deux questions précédentes aient été formulées sur la base des montants « facturés » par Rogers, la seule réponse qui est véritablement importante est celle qui concerne les FRA récupérés par Rogers.

[91]               Rogers devra donc remettre les FRA perçus qui excèdent le rabais moyen consenti à chaque catégorie de membres suivant le type de forfait dont ils bénéficiaient.

[92]               L’obligation des membres est réductible parce qu’excessive. Le Tribunal choisit d’indemniser les membres du groupe en tenant compte que les FRA auraient dû respecter les termes de l’article 2129 C.c.Q.

[93]               Le Tribunal maintient la définition du groupe telle qu'établie dans le jugement d'autorisation soit :

Toutes les personnes physiques et morales (comptant au plus 50 employés dans les douze mois précédant le présent recours), résidant ou ayant résidé au Québec et ayant bénéficié du service de téléphonie cellulaire ou de transmission de données de Rogers, qui se sont vues facturer par cette dernière et qui ont payé, depuis le 21 février 2008, des frais de résiliation en vertu d'un contrat écrit conclu avant (i) le 1er février 2007 et qui contient une clause de résiliation exigeant des frais de résiliation de 20 $ par mois restant au contrat jusqu'à concurrence de 200 $ ou (ii) un contrat conclut avant le 30 juin 2010 et après le 1er février 2007 et qui contient une clause de résiliation exigeant des frais de résiliation du plus élevé de 100 $ ou de 20 $ par mois restant à courir jusqu'à concurrence de 400 $ ou dans le cas de la transmission de données du plus élevé de 25 $ ou de 5 $ par mois restant à courir jusqu'à concurrence de 100 $; 

[94]               Suivant la preuve, il y a lieu d’établir les sous-catégories suivantes parmi les membres du groupe :

·        Les personnes physiques ayant détenu pour la période visée par le recours, un  compte consommateur avec forfait de téléphonie cellulaire (Consommateurs forfait voix);

·        Les personnes physiques ayant détenu pour la période visée par le recours, un  compte consommateur avec forfait de transmission de données (Consommateurs forfait transmission de données);

·        Les personnes physiques ou morales non incluses dans les sous-catégories ci-dessus et ayant bénéficié pour la période visée par le recours du service de téléphonie cellulaire (PME forfait voix);

·        Les personnes physiques ou morales non incluses dans les deux premières sous-catégories ci-dessus et ayant bénéficié pour la période visée par le recours, du service de transmission de données (PME forfait transmission de données).

[95]               Les indemnités à payer pour chacune de ces sous-catégories s'établissent comme suit :

Sous-catégorie

FRA[27]

Rabais[28]

Différence

Indemnité

Consommateurs forfait voix

177,14 $

(81,35 $)

95,79 $

95,79 $

Consommateurs forfait transmission de données

97,34 $

(118,48 $)[29]

(21,14 $)

Aucune

PME forfait voix

384,16 $

(97,07 $)

287,09 $

287,09 $

PME forfait transmission de données

124,28 $

(86,80 $)

37,48 $

37,48 $

[96]               Vu l’utilisation de moyennes, la preuve établit que les FRA récupérés pour la portion transmission de données des clients consommateurs n’excèdent pas le bénéfice reçu. Dans ce cas particulier, le préjudice subi par Rogers est plus élevé que le bénéfice[30] retiré par le membre. Ces derniers n’auront donc pas droit à une indemnité.

[97]               Rogers doit donc payer les dommages suivants à chaque sous-catégorie :

Sous-catégorie

Nombre de comptes[31]

Indemnité

Total à payer

Consommateurs forfait voix

157 800

95,79 $

15 115 662 $

Consommateurs forfait transmission de données

  50 744

Aucune

0 $

PME forfait voix

 5 524

287,09 $

1 585 885 $

PME forfait transmission de données

   3 401

 37,48 $

 127 469 $

F.    Est-ce que l’intimée a contrevenu à la Loi sur la protection du consommateur? Si oui, est-ce que l’intimée est tenue au paiement de dommages punitifs?

[98]               L'article 272 L.P.C. édicte ce qui suit :

272.  Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l'article 314 ou dont l'application a été étendue par un décret pris en vertu de l'article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas :

 a) l'exécution de l'obligation;

 b) l'autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

 c) la réduction de son obligation;

 d) la résiliation du contrat;

 e) la résolution du contrat; ou

 f) la nullité du contrat,

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

[99]               La Cour suprême a conclu dans l’arrêt Richard c. Time[32] que les dommages punitifs doivent être accordés dans un contexte de prévention, c’est-à-dire pour décourager la répétition de comportements indésirables, d'actes intentionnels, malveillants ou vexatoires qui contreviennent à la L.P.C.

[100]            M. Brière fait valoir que Rogers a manqué à son obligation en vertu de la L.P.C. Il réfère plus particulièrement à de fausses représentations ou un manquement à une obligation de divulgation. Les avocats de M. Brière n'ont toutefois pas précisé au Tribunal à quel article de la L.P.C. ils entendaient référer.

[101]            Sur la foi du Journal des débats de l'Assemblée nationale concernant l'adoption du projet de  loi 60[33], M. Brière demande au Tribunal de conclure qu'il y a preuve d'une pratique de commerce interdite et répréhensible. Il fait entre autres référence à la description que la ministre de l’époque fait de certaines pratiques qui confèrent aux commençants des « avantages excessifs » et qu’elle qualifie de « pratiques abusives ».

[102]            Le Journal des débats de l'Assemblée nationale ne fait pas la preuve de pratiques abusives. Bien que les commentaires qui y sont contenus soient instructifs quant à l'interprétation qui doit être donnée aux articles du projet de loi, rien ne permet de les considérer comme une preuve de faits établissant des pratiques abusives dans la présente cause.

[103]            De même, la demanderesse n'a pas fait la preuve de représentations trompeuses suivant l'article 219 L.P.C. Au contraire, le contrat des membres énonçait clairement, en toutes lettres, le montant à payer afin de bénéficier de la résiliation anticipée. Il s’avère seulement que ce montant, imposé et non négociable, contrevient au droit des membres de bénéficier des termes de l’article 2129 C.c.Q.

[104]            La contravention à une disposition spécifique de la L.P.C. n'a pas été établie. Dans ces circonstances, il ne saurait être question d'accorder un remède suivant l'article 272 L.P.C. et en particulier des dommages punitifs.

V.  Le recouvrement sera-t-il collectif?

[105]            Dans l’affaire Gagnon c. Bell Mobilité inc.[34], la juge Nantel, référant aux principes déjà énoncés dans l'affaire Laflamme c. Bell Mobilité inc., écrit :

·         Le jugement final qui condamne à des dommages-intérêts ou au remboursement d'une somme d'argent donne lieu à un recouvrement collectif ou individuel.

·         En matière de recours collectif, l'objectif de la réparation emboîte le pas sur le recouvrement individuel, lequel peut connaître un faible taux de réclamation. [citation omise]

·         Le recouvrement collectif consiste à ordonner au défendeur le dépôt d'une somme globale pour distribution éventuelle et se présente comme une ordonnance en deux étapes : le dépôt et ensuite le mode de distribution appropriée laquelle peut être individuelle ou collective.

·         Le recouvrement individuel exige que chaque réclamant fasse valoir sa réclamation personnelle.

·         Il appartient au juge du fond de choisir la modalité de recouvrement du groupe, mais sa discrétion est toutefois encadrée par le libellé de l’article 1031 C.p.c. qui édicte que :

o   1031. Le tribunal ordonne le recouvrement collectif si la preuve permet d'établir d'une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres; il détermine alors le montant dû par le débiteur même si l'identité de chacun des membres ou le montant exact de leur réclamation n'est pas établi.

·         Dans la mesure où le juge dispose d'une preuve suffisamment précise, le législateur donne préséance au recouvrement collectif. Il devient la règle alors que le recouvrement individuel demeure l'exception. [citation omise]

·         Si à partir des éléments de preuve, le Tribunal décide qu’il est possible d’en arriver à une certaine approximation quant au montant total des réclamations, il ordonnera le recouvrement collectif.

·        De cette manière, la réparation intégrale du préjudice subi est assurée.

·         Pour paraphraser le professeur P.-C. Lafond un recouvrement collectif est possible même si l'identité de tous les membres n'est pas connue ni le montant exact des réclamations de chacun des membres.

[106]            S’il est vrai que le montant exact des réclamations des membres varie en fonction du rabais dont ils ont bénéficié et des FRA qu’ils ont payés, aux fins du recouvrement, l’utilisation de moyennes qui sont significatives par rapport à la plus grande partie des réclamations permet de satisfaire les objectifs visés par le recours collectif.

[107]            Le préjudice et sa base de calcul présentent un caractère commun.

[108]            Comme le mentionnait la juge Paquette dans l’affaire Martin c. Telus Communication[35], « Ce type de réparation permet d’indemniser le groupe d’un point de vue global, et non dans une perspective rigoureusement individuelle et parfaitement exacte, comme les règles d’évaluation des dommages l’exigent normalement ».

[109]            Il suffit que le total soit raisonnablement exact en regard de la réclamation même si celles-ci prises individuellement ne peuvent être établies précisément, ou encore pourraient l'être, mais au prix de démarches qui pourraient décourager toute indemnisation. Dans ce contexte, les tribunaux jugent utile et nécessaire d’utiliser des moyennes afin de favoriser la réparation intégrale du préjudice. Le recouvrement peut alors être collectif.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[110]            ACCUEILLE en partie le recours collectif;

[111]            DÉFINIT le groupe visé comme suit :

Toutes les personnes physiques et morales (comptant au plus 50 employés dans les douze mois précédant le présent recours), résidant ou ayant résidé au Québec et ayant bénéficié du service de téléphonie cellulaire ou de transmission de données de Rogers, qui se sont vues facturer par cette dernière et qui ont payé, depuis le 21 février 2008, des frais de résiliation en vertu d'un contrat écrit conclu avant (i) le 1er février 2007 et qui contient une clause de résiliation exigeant des frais de résiliation de 20 $ par mois restant au contrat jusqu'à concurrence de 200 $ ou (ii) un contrat conclut avant le 30 juin 2010 et après le 1er février 2007 et qui contient une clause de résiliation exigeant des frais de résiliation du plus élevé de 100 $ ou de 20 $ par mois restant à courir jusqu'à concurrence de 400 $ ou dans le cas de la transmission de données du plus élevé de 25 $ ou de 5 $ par mois restant à courir jusqu'à concurrence de 100 $; 

[112]             ÉTABLIT les sous-catégories de membres suivantes :

·        Consommateurs forfait voix;

·        PME forfait voix;

·        PME forfait transmissions données.

[113]            ORDONNE le recouvrement collectif pour les membres du groupe, suivant les sous-catégories établies;

[114]            CONDAMNE la défenderesse à déposer au greffe de la Cour supérieure ou dans une institution financière que le Tribunal approuvera, dans les 30 jours du présent jugement, les montants suivants destinés aux sous-catégories suivantes :

·        Pour les membres consommateurs forfait voix 15 115 662 $;

·        Pour les membres PME forfait voix : 1 585 885 $

·        Pour les membres PME forfait transmission de données : 127 469 $

Plus taxes, intérêts et l’indemnité additionnelle depuis la date de la signification de la requête en autorisation;

[115]            CONVOQUE les parties devant le Tribunal à une date ultérieure afin de déterminer le mode de distribution et toutes autres modalités qui pourront être jugées utiles ou nécessaires;

[116]            AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________ 

Pierre Nollet, j.c.s.

 

Me David Bourgoin

Me Benoit Gamache

Pour les demandeurs

 

Me Nick Rodrigo

Me David Stolow

Me Mouna Aber

Davies Ward Phillips & Vineberg

Pour la défenderesse

 

Date d'audition:

30 septembre, 1er, 2 octobre 2014

 



[1] Voir jugement autorisant le recours daté du 24 mai 2012.

[2] Voir réponse numéro 3 aux engagements du 16 juin 2011 de l'interrogatoire de M. Barry Choi.

[3] Pièce D-6a).

[4] Suivant les témoignages, mais aussi la note au bas de la pièce P-1. « Le coût de l’équipement ne comprend pas rabais » (sic).

[5] Pièces P-1 et P-2.

[6] Facture du 26 février 2009 jointe à l'affidavit de Barry Choi du 23 juin 2011. Dans les faits, le crédit est intitulé « rabais du fabricant », ce qui laisse croire que ce crédit s'applique au prix de l'appareil, mais il pourrait tout aussi bien être, suivant le témoignage de Barry Choi, un incitatif à l'achat s'appliquant à d'autres coûts occasionnés par l'activation du nouveau téléphone.

[7] Il semble que la période de 13 mois commence à courir 30 jours après la période de facturation pendant laquelle le préavis est donné. Il serait donc effectif le 26 décembre 2010.

[8] Voir pièce P-3.

[9] Tel qu'il appert de la pièce BC-1 au soutien de l'affidavit de Barry Choi du 23 juin 2011. M. Brière payait en réalité une surcharge de temps à autre lorsqu’il excédait les limites de son forfait.

[10] Pièce D-7.

[11] L.R.Q., c. P-40.1.

[12] Pierre-Claude LAFOND, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, pp. 25 et ss,116-117 et ss; Ridley inc. c. Bernèche, 2006 QCCA 984, par. 25.

[13] 2014 QCCA 221.

[14] 2014 QCCS 4236.

[15] Vincent KARIM, Contrats d'entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), contrat de prestation de services et l'hypothèque légale, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2011.

[16] 1384 C.c.Q.

[17] 1379 C.c.Q.

[18] Pièce D-3.

[19] 1552 C.c.Q.; Suissa c. Gestion Stag Canada Ltée (C.A., 1990-10-18), SOQUIJ AZ-90012062, J.E. 90-1547; Schacter c. Centre d'accueil Horizons de la jeunesse, (C.A., 1997-05-28), SOQUIJ AZ-97011553, J.E. 97-1307.

[20] G.I.E. Environnement inc. c. Pétrolière Impériale, 2009, QCCA 2299; Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de Golf Balmoral, J.E. 2003-2078.

[21] Voir interrogatoire de Barry Choi, 11 juin 2011, page 33, lignes 8 et ss.

[22] Sur la foi d'un rabais de 100 $ accordé par Rogers à M. Brière et du fait que 23 mois s’étaient écoulés depuis le début du contrat.

[23] 100$ correspond à la différence entre le prix payé par Rogers pour l’appareil et celui payé par M. Brière.

[24] Projet de loi 60 modifiant la Loi sur la protection du consommateur, 10 novembre 2009, vol. 41, no. 12, page 5.

[25]  Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, « Les obligations », 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013. paragr. 144 et 147.

[26] Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Thémis, 2012, paragr. 1854-1855.

[27] Pièce D-7.

[28] Pièce D-8.

[29] Tiré de la portion "data" de Consumer Voice & Data Pièce D-8.

[30] Rabais attribués à la portion transmission de données.

[31] Pièce D-7.

[32] 2012 C.S.C. 8.

[33] Projet de loi 60 modifiant la Loi sur la protection du consommateur, 1ère session, 39e législature, 4 novembre 2009, vol. 41, no.10, pages 6 et 9.

[34] 2014 QCCS 4236.

[35] 2014 QCCS 1554.

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