Décision

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                               COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE
                               LÉSIONS PROFESSIONNELLES

     QUÉBEC                   MONTRÉAL, le 11 septembre 1989

     DISTRICT D'APPEL             DEVANT  LE COMMISSAIRE:      Fernand
     Poupart
     DE QUÉBEC

     RÉGION: Mauricie/
             Bois-Francs
     DOSSIER: 06169-04-8801
     DOSSIER CSST: 9620 301

                              AUDITION TENUE  LE:           24 janvier
     1989
                              A:                        Arthabaska

                               MONSIEUR GERMAIN GOSSELIN
                               2, Raux
                               Princeville (Québec)
                               G0P 1E0

                                             PARTIE APPELANTE

                               et

                               LES MEUBLES PRINCEVILLE INC.
     

55, rue des Érables Princeville (Québec) G0P 1E0 PARTIE INTÉRESSÉE COMMISSION DE LA SANTE ET DE LA SECURITE DU TRAVAIL 1055, boul. des Forges 2e étage, bureau 200 Trois-Rivières (Québec) G8Z 4J9 PARTIE INTÉRESSÉE D É C I S I O N Le 26 janvier 1988, Monsieur Germain Gosselin, le travailleur, en appelle d'une décision rendue par le Bureau de révision de la région de Mauricie - Bois- Franc, le 26 novembre 1987.

Cette décision unanime du Bureau de révision maintient la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission), le 26 février 1987, à l'effet que le travailleur n'a pas droit au remboursement du coût de remplacement de ses lunettes en vertu de l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).

La Commission est intervenue dans la présente affaire conformément a l'article 416 de la Loi sur les acci- dents du travail et les maladies professionnelles.

Bien que dûment convoqué, l'employeur du travailleur, Les Meubles Princeville Incorporé, était absent lors de l'audition de l'appel de ce dernier.

06169-04-8801 3/ OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer la décision du Bureau de révision et de déclarer qu'il a droit à l'indemnité prévue à l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour le remplacement de ses lunettes endommagées involontairement par le fait ou a l'occasion de son travail.

LES FAITS Le travailleur est préposé aux services d'emballage de l'employeur. Le vendredi, 25 janvier 1987, environ 15 minutes avant la fin de son quart de travail, il fait un faux mouvement en soulevant une caisse de marchandise et échappe ses lunettes sur le plancher de béton. Il les ramasse aussitôt, les remet sans les examiner et termine son quart de travail.

De retour chez lui, il entreprend de nettoyer ses lunettes. La monture se brise soudainement. Il constate aussi que les verres optiques sont égrati- gnés. Il attribue ces dommages au fait qu'il a 06169-04-8801 4/ échappé ses lunettes au travail, sur le Plancher de béton.

Le lundi, 28 janvier 1987, il explique ce qui lui est arrivé à son contremaître et, le jeudi, 29 janvier 1987, il Paye $ 200.00 pour remplacer ses lunettes, soit $ 140.00 pour les verres optiques et $ 60.00 pour la monture. Il produit ensuite au bureau de la Com- mission une réclamation à laquelle il joint ses pièces justificatives.

Le 23 février 1987, l'employeur adresse la lettre suivante à la Commission: "Concernant la réclamation de Monsieur Germain Gosselin, nous aurions des précisions à vous fournir sur les faits de l'événement.

1- Le salarié a échappé ses lunettes par terre et elles n'étaient pas cassées, il a donc fini sa période de travail sans problème.

Ceci se passait le vendredi.

Le lundi suivant, la salarié nous annonce que ses lunettes ont cassé chez-lui durant la fin de semaine et ceci parce qu'il les avaient échappées le vendredi. (?) (sic) 2- Le questionnaire ci-joint demande si nous avons un plan d'assurance couvrant ces dépenses, nous avons répondu "oui" parce que nous avons une assurance groupe dont les coûts sont défrayés par l'employeur et ses salariés, donc ceci veut dire que Mons.

Gosselin n'a qu'a remettre son reçu a la compagnie d'assurance et il sera rem- boursé." (sic) 06169-04-8801 5/ Le 26 février 1987, la Commission rend une décision qui se lit ainsi: "Nous ne pouvons procéder au paiement puisque votre réclamation a été refusée. CAR VOTRE EMPLOYEUR POSSEDE UNE ASSURANCE GROUPE ET QUE D'APRÈS CELUI-CI VOTRE LUNETTE N'ÉTAIT PAS BRISÉE SUITE A CET ACCIDENT" (sic) Le 20 mars 1987, le travailleur demande la révision de cette décision par un bureau de révision.

Le bureau de révision tient une audition, le 20 octobre 1987, et rend une décision, le 26 novembre 1987, dans laquelle il déclare notamment ce qui suit: "L'article 113 de la loi fixe les conditions pour qu'un travailleur puisse avoir droit à une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'un orthèse ou d'une prothèse qu'il brise involontairement par le fait ou à l'occasion du travail.

(...) Les conditions ouvrant droit à une indemnité pour le remplacement d'une orthèse ou d'une prothèse sont donc: - Production de pièces justificatives; - Réparation ou remplacement d'une orthèse ou prothèse au sens de la Loi sur la protection de la santé publique; - Endommagée involontairement par le fait ou à l'occasion de son travail; - Dans la mesure ou il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.

Dans le présent cas, le Bureau de révision paritaire n'est pas convaincu que les lunettes 06169-04-8801 6/ du travailleur ont été brisées par le fait ou à l'occasion de son travail. En effet, lui-même a déclaré les avoir ramassées par terre et les avoir remises; il est donc logique de penser qu'à ce moment-là, elles n'étaient pas brisées.

Il a raconté également, que c'est en les lavant, une fois rendu chez-lui, qu'elles se sont bri- sées. De plus, en compagnon de travail est venu témoigner qu'il se rappelle que l'appelant a échappé ses lunettes mais ne se rappelle pas si elles étaient brisées; ce qu'il aurait sûrement constaté si tel avait été le cas.

Il a également été mis en preuve, que le tra- vailleur pouvait bénéficier d'une indemnité pour remplacer ses lunettes, en vertu d'un autre régime existant chez son employeur.

Le Bureau de révision paritaire est donc d'avis que deux (2) des conditions énoncées à l'article 113 ne sont pas présentes, c'est-à-dire que la preuve n'a pas été faite que les lunettes ont été brisées par le fait ou à l'occasion du tra- vail et que de plus, le travailleur a droit à une indemnité pour le remplacement de ses lunettes, en vertu d'un autre régime.

(...) En conséquence, le Bureau de révision paritaire confirme la décision de première instance, à l'effet que le travailleur n'a pas droit au remboursement du coût de remplacement de ses lunettes, en vertu de l'article 113 de la loi." (sic) Le travailleur en appelle de la décision du Bureau de révision, le 26 janvier 1988.

Témoignant devant la Commission d'appel, le travail- leur relate les faits ci-haut décrits et produit une photocopie de certains extraits d'une description de la police d'assurance collective en vigueur chez son 06169-04-8801 7/ employeur et a laquelle il a souscrit. Cette assu- rance, dont la Prime est payable par les employés, couvre, entre autres, les frais pour l'achat, le rem- placement ou la réparation de lunettes aux conditions suivantes: "(...) pourvu que lesdits appareils soient nécessaires pour la correction de la vision et qu'ils soient prescrits par un optométriste ou un ophtamologiste, (...) jusqu'à concurrence de $ 125.00 par personne assurée, au cours de toute période de 24 mois consécutifs." Aucun autre témoin n'est entendu par la Commission d'appel.

ARGUMENTATION DES PARTIES Le travailleur affirme que toutes les conditions pré- vues a l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles sont réunies pour qu'il ait droit à une indemnité pour le rempla- cement de ses lunettes: il les a endommagées involon- tairement, à l'occasion de son travail.

Le travailleur plaide que les mots "dans la mesure ou il n'a pas droit a une telle indemnité en vertu d'un autre régime", utilisés a la fin du premier alinéa de l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail 06169-04-8801 8/ et les maladies professionnelles ont uniquement pour objet les régimes publics d'indemnité. Il soutient qu'il ne peut s'agir des régimes privés parce que le régime créé par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est de nature publi- que et aussi parce que, ailleurs dans la loi, notam- ment aux articles 448 et suivants, le législateur mentionne expressément d'autres régimes publics, comme, par exemple, une autre loi administrée par la Commission, la Loi de l'assurance automobile (L.R.Q.

c. A-25) ou une loi autre qu'une loi du parlement du Québec. Il n'utilise l'expression "régime privé d'as- surance" qu'à l'article 453 de la Loi sur les acci- dents du travail et les maladies professionnelles.

Le travailleur souligne aussi que, dans son contrat d'assurance privé, l'indemnité pour le remplacement de ses lunettes est limitée à $ 125.00 pour deux ans.

En conséquence, si le bris de ses lunettes au travail était indemnisé par son assureur, il subirait une préjudice puisqu'il ne bénéficierait plus de cette protection à l'extérieur de son travail pour les deux prochaines années.

06169-04-8801 9/ En conclusion, le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du Bureau de révision et d'ordonner a la Commission de lui verser l'indem- nité prévue à l'article 113 de la Loi sur les acci- dents du travail et les maladies professionnelles.

Le travailleur plaide alternativement que, si la Com- mission d'appel arrivait à la conclusion que l'expres- sion "autre régime" inclut les régimes privés d'assu- rance, elle devrait ordonner a la Commission de lui verser la différence entre le coût de remplacement de ses lunettes et l'indemnité payée par son assureur.

La Commission soutient qu'a l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies profes- sionnelles, le législateur n'a pas utilisé le mot "public" dans l'expression "autre régime" et qu'il serait contraire aux règles d'interprétation des lois que de vouloir ajouter ce mot au texte pour inter- préter ce qu'il a dit. Quand le législateur a voulu parler d'autres régimes publics, par exemple aux articles 448 et 452 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il les a mentionnés expressément.

06169-04-8801 10/ Pour ces raisons, la Commission plaide que l'expres- sion "autres régimes" apparaissant a l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles inclut les régimes privés d'assu- rance. Elle estime cependant qu'elle doit verser au travailleur la différence entre le coût de rempla- cement de ses lunettes et l'indemnité payée par son assureur.

MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider si le travailleur a droit a une indemnité pour le remplacement de ses lunettes.

L'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit ce qui suit: 113. Un travailleur a droit, sur production de pièces justificatives, a une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'un prothèse ou d'un orthèse au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre p-35) endommagée involontairement par le fait ou a l'occasion de son travail, dans la mesure ou il n'a pas droit a une telle indemnité en vertu d'un autre régime.

La Commission détermine les indemnités maximales payables en vertu du présent article.

06169-04-8801 11/ La Commission d'appel estime que la preuve offerte et, en particulier, le témoignage non contredit du tra- vailleur créent des présomptions de faits qui permet- tent de conclure que ce dernier a endommagé ses lunet- tes involontairement par le fait ou à l'occasion de son travail.

Il est toutefois bénéficiaire d'un contrat d'assurance privée prévoyant le remboursement du coût de rempla- cement de lunettes à certaines conditions et jusqu'à concurrence de $ 125.00 pour une période de 24 mois.

Est-il, pour cette raison, privé de l'indemnité prévue à l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles? Cette loi est d'ordre public. Son article 4 de cette loi édicte en effet ce qui suit: 4. La présente loi est d'ordre public.

Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.

Une convention ou un contrat ne peut donc avoir pour effet de nier ou de restreindre un droit qu'un tra- vailleur possède en vertu de cette loi.

06169-04-880l 12/ L'article 113 de la loi donne au travailleur le droit d'obtenir une indemnité pour la réparation ou le rem- placement d'une orthèse endommagée involontairement par le fait ou a l'occasion de son travail. Conformé- ment au deuxième alinéa de cet article, l'indemnité maximale qu'il peut réclamer est déterminée par le Règlement sur le remboursement d'un vêtement, d'une prothèse ou d'une orthèse endommagé ou brisé (L.R.Q., 1981, c. A-3, r.11) dont les dispositions pertinentes sont en l'espèce les suivantes: 1. Dans le présent règlement, a moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par: (...) b) "valeur de remplacement": la valeur équivalant au coût actuel pour l'achat d'un vêtement neuf de qualité semblable a celui endommagé ou détruit, d'une prothèse ou d'une orthèse, sans tenir compte de l'usure de celui-ci.

6. Le remboursement effectué par la Com- mission pour la réparation ou le remplace- ment d'une prothèse ou d'une orthèse brisée ou endommagée involontairement par le fait ou a l'occasion du travail, est basé sur la valeur de remplacement.

7. Les frais de réparation ou de remplace- ment d'une prothèse ou d'une orthèse brisée ou endommagée sont remboursés sur produc- tion de pièces justificatives.

06169-04-8801 13/ Soulignons que ce règlement a été adopté en vertu de la Loi sur les accidents du travail (L.R.Q., c. A-3), mais qu'il demeure en vigueur et est réputé être un règlement adopté en vertu de l'actuel Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles jusqu'à ce qu'il soit remplacé ou abrogé, le tout conformément aux dispositions de l'article 552 de cette dernière loi.

Dans le présent dossier, la Commission conteste le droit du travailleur à l'indemnité prévue à l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour le remplacement de ses lunettes Parce qu'il aurait droit à une telle indem- nité en vertu de son régime privé d'assurance.

La preuve démontre toutefois que l'assureur du tra- vailleur ne s'est pas engagé à verser une indemnité identique à celle qui est prévue à l'article 113. En effet, il est tenu de payer au travailleur les frais pour l'achat, le remplacement ou la réparation de lunettes prescrites par un optométriste ou un ophtalmologiste jusqu'à concurrence d'un maximum de 125,00 $ au cours de toute période de vingt-quatre mois consécutifs alors que l'article 113 et le Règle- 06169-04-8801 14/ ment sur le remboursement d'un vêtement, d'une orthèse ou d'une prothèse endommagé ou brisé permet au travailleur d'être remboursé pour les frais de répara- tion ou de remplacement de ses lunettes chaque fois qu'ils sont brisées ou endommagées involontairement par le fait ou à l'occasion de son travail.

De plus, le travailleur subirait un préjudice s'il devait être indemnisé par son assureur plutôt que par la Commission puisqu'il serait ainsi privé de son droit à la somme prévue à son contrat d'assurance pour les vingt-quatre prochains mois.

A la lumière de ces faits et considérant les disposi- tions de l'article 4 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la Commis- sion d'appel estime qu'en l'espèce, le travailleur a droit de réclamer l'indemnité prévue à l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles parce qu'il n'a pas "droit à une telle indemnité" en vertu du régime d'assurance privé auquel il a souscrit.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LESIONS PROFESSIONNELLES 06169-04-8801 15/ ACCUEILLE l'appel du travailleur, Monsieur Germain Gosselin; INFIRME la décision rendue par le bureau de révision de la région de la Mauricie-Bois-Francs, le 26 novem- bre 1987; DÉCLARE que le travailleur a droit à l'indemnité pré- vue à l'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour le rem- placement de ses lunettes endommagées involontairement par le fait ou à l'occasion de son travail; ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de verser au travailleur l'indemnité auquelle il a droit, sur production des pièces jus- tificatives.

Fernand Poupart, commissaire Me Michelle Carignan 801, 4e Rue Québec (Québec) G1J 2T7 Représentant de la partie appelante 06169-04-8801 16/ Me Benoit Boucher (Lafontaine, Chayer, Cliche) 1199, rue de Bleury Montréal (Québec) H3C 4E1 Représentant de la partie intéressée La Commission de la santé et de la sécurité du travail

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.