Carrières Denis Lavoie & Fils |
2012 QCCLP 2735 |
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[1] Le 25 juillet 2011, Carrières Denis Lavoie & fils (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 21 juin 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 25 janvier 2011, déclarant que l’employeur doit être imputé de 100 % du coût des prestations dues en raison de la maladie professionnelle dont est atteint monsieur Rodrigue Tremblay (le travailleur).
[3] L’employeur a renoncé à l’audience à laquelle il a été convoqué et a produit une argumentation écrite au soutien de ses prétentions, le 27 mars 2012, suivie d’un affidavit, le 29 mars suivant. La cause a été mise en délibéré le 2 avril 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
retourner le dossier à la CSST, afin qu’il soit décidé du coût des prestations
à être imputé à son dossier, ainsi qu’aux dossiers des autres employeurs chez
qui le travailleur a exercé un emploi, de nature à avoir engendré la maladie
professionnelle diagnostiquée le 18 août 2008, en application de l’article
LES FAITS
[5] De la preuve documentaire au dossier, le tribunal retient principalement ce qui suit.
[6] Le travailleur œuvre chez l’employeur depuis le 26 août 1996, comme opérateur de machinerie lourde.
[7] Le 17 novembre 2008, le travailleur dépose une réclamation à la CSST en lien avec un diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral, s’étant manifesté le 18 août 2008 et diagnostiqué le 12 septembre suivant, par le docteur Daniel Delaunais.
[8] Le 4 mars 2010, la Commission des lésions professionnelles[2] déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle, le 18 août 2008, soit une maladie professionnelle, dont le diagnostic est celui de syndrome du canal carpien bilatéral.
[9] Plus particulièrement, le juge administratif de l’affaire retient que dans l’exécution de ses tâches d’opérateur de machinerie lourde, le travailleur faisait, depuis plusieurs années, un travail où des mouvements sont exécutés dans des positions contraignantes ainsi qu’avec force, avec des amplitudes qui varient, soit de façon statique ou continue, et ce, sans période de récupération suffisantes entre les divers mouvements.
[10]
Le 25 janvier 2011, à la suite d’une demande de partage de coût formulée
par l’employeur en vertu de l’article
[11] L’employeur a déposé un historique des employeurs du travailleur pour la période comprise entre 1985 et 2010. Il appert de cet historique que le travailleur a effectivement débuté son travail d’opérateur de machinerie lourde pour l’employeur en 1996.
[12] Aux fins de préciser cet historique, l’employeur a produit un affidavit du travailleur apportant certaines précisions sur les emplois effectués auparavant chez ses autres employeurs.
[13] Plus particulièrement, le travailleur affirme avoir travaillé comme journalier sur des exploitations agricoles, entre 1985 et 1987.
[14] Par la suite, en 1988, le travailleur a travaillé comme bûcheron, alors qu’il effectuait de la coupe d’arbres avec une scie mécanique.
[15] Au cours de la période de cinq ans suivante, entre 1988 et 1993, le travailleur a opéré une débusqueuse pour des compagnies papetière et forestière. L’engin s’opérait avec un volant et des manettes.
[16] Entretemps, en 1992 et 1993, le travailleur a aussi travaillé comme journalier dans une compagnie de fabrication d’armoires. Il utilisait alors des outils tels qu’une scie à onglet, un banc de scie, une toupie, une sableuse, un tournevis, une perceuse, etc.
[17] Par la suite, de 1994 à 1995, le travailleur a travaillé comme journalier chez un autre ébéniste où il manipulait les outils précédemment énumérés : une scie à onglet, un banc de scie, une toupie, une sableuse, un tournevis, une perceuse.
[18] De 1995 à 1997, le travailleur a œuvré comme menuisier pour un entrepreneur. Dans la réalisation de son travail, il utilisait des outils tels qu’une cloueuse, une scie portative et une scie à onglet.
[19] En 2004 et 2005, le travailleur a opéré une chargeuse, ses tâches étant les mêmes que celles effectuées pour l’employeur.
[20] Finalement, le travailleur indique, dans son affidavit, qu’entre 1999 et 2010, il a effectué pour Denis Lavoie & fils, les mêmes tâches que pour l’employeur.
[21] Une lettre de l’employeur datée du 26 mars 2012, confirme que le travailleur a été embauché le 26 août 1996. Depuis son embauche, il a effectué 26 515 heures chez l’employeur et 4 948 heures pour Denis Lavoie & fils.
[22] Le nombre d’heures travaillées quant aux autres emplois occupés n’apparaît pas au dossier, la CSST n’ayant pas requis d’historique des employeurs auprès du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[23]
La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a
droit au partage de coût qu’il réclame en vertu du deuxième alinéa de l’article
[24]
L’article
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312 .
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1985, c. 6, a. 328.
[25] La loi prévoit donc que lorsqu’un travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle chez plusieurs employeurs, la CSST doit imputer le coût des prestations reliées à cette maladie à tous les employeurs, et ce, proportionnellement à la durée du travail chez chacun de ces employeurs et à l’importance du danger que présentait le travail chez chacun d’eux[3].
[26] En l’espèce, la CSST a refusé la demande de partage de coût de l’employeur, au motif qu’étant donné que la tâche d’opérateur de machinerie lourde n’implique pas une exposition à plus de 50 % aux vibrations, l’imputation du dossier doit être considérée à partir des premiers symptômes de la maladie professionnelle, laquelle est un syndrome du canal carpien bilatéral.
[27] Le tribunal comprend que cette décision de la CSST a été rendue en application d’une de ses orientations internes.
[28]
Or, notre jurisprudence a décidé, à maintes reprises, que dans le cadre
de l’application de l’article
[29]
Par conséquent, en décidant que l’imputation doit se faire à partir du
moment de l’apparition des premiers symptômes de la maladie professionnelle, la CSST n’a pas procédé à la détermination de l’imputation conformément au deuxième alinéa de
l’article
[30] En l’espèce, le syndrome du canal carpien bilatéral diagnostiqué chez le travailleur a été reconnu par la Commission des lésions professionnelles[5] comme une maladie professionnelle liée aux risques particuliers de son travail d’opérateur de machinerie lourde.
[31] Il va sans dire qu’il appartient à l’employeur de démontrer que le travail exercé par le travailleur chez d’autres employeurs est de nature à avoir engendré la maladie professionnelle.
[32] La soussignée fait siens les propos du juge administratif dans l’affaire Kingston Byers inc.[6] :
[29] … en vertu de l’article 328, il doit être établi de façon prépondérante que le travail réellement exercé chez chacun des employeurs en était un de nature à engendrer la maladie professionnelle en cause.
[sic]
[33] Dans le présent dossier, la preuve offerte par l’employeur démontre que le travailleur a occupé divers emplois, depuis 1985, parmi lesquels celui de journalier, de bûcheron, de menuisier, d’ébéniste et d’opérateur de débusqueuse, de chargeuse et de machinerie lourde.
[34] Cependant, les heures effectuées chez les autres employeurs, mis à part celles effectuées pour le compte de l’employeur et de l’entreprise Denis Lavoie & fils, ne sont pas précisées. Il en va de même de la nature du travail effectué chez les autres employeurs ainsi qu’à ses conditions d’exercice.
[35] En effet, la preuve démontre qu’entre le 26 août 1996 et le 26 mars 2012, le travailleur a effectué 26 515 heures pour le compte de l’employeur, et 4 948 heures pour l’entreprise Denis Lavoie & fils, pour laquelle il a effectué des tâches similaires à celles exercées chez l’employeur.
[36]
Bien que le travailleur précisait qu’il s’agissait d’un syndrome du
canal carpien dans sa Réclamation du travailleur, la CSST n’a pas obtenu la liste de tous les employeurs chez qui le travailleur avait œuvré, tel
que le prévoit l’article
[37] En conséquence, la CSST ne s’étant pas enquise de l’identité des employeurs précédents, elle ne disposait certes pas des informations relatives à la durée des emplois du travailleur chez les autres employeurs.
[38] Or, l’employeur n’a pas à être pénalisé par le défaut de la CSST d’avoir obtenu de telles informations pas plus que de l’incapacité du travailleur de les lui fournir[7].
[39] Dans de telles circonstances, puisqu’il est impossible de procéder à l’analyse du partage de coût, en l’absence de certaines informations concernant la durée et la nature des emplois occupés par le travailleur qui pourraient avoir engendré sa maladie, le tribunal estime que le dossier doit être retourné à la CSST.
[40]
Ainsi, la CSST pourra compléter son travail en recueillant toutes les
informations nécessaires à l’analyse d’un partage de coût en vertu des critères
de l’article
[41] Par ailleurs, le tribunal considère que le droit d’être entendu des employeurs chez qui le travailleur a exercé un emploi de nature à avoir engendré sa maladie professionnelle doit être préservé[9].
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Carrières Denis Lavoie & fils, l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 21 juin 2011 à la suite d’une révision administrative;
RETOURNE le dossier à la CSST pour qu’elle procède à une nouvelle analyse de l’imputation en tenant compte des
prescriptions de l’article
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Valérie Lajoie |
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M. Frédéric Boucher |
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MÉDIAL CONSEIL SANTÉ ET SÉCURITÉ INC. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Tremblay et Carrières Denis Lavoie & fils,
C.L.P.
[3] Major Drilling Group
International inc., C.L.P.
[4] Perfect-Bois inc., C.L.P.
[5] Tremblay et Carrières Denis Lavoie & fils, précitée note 2.
[6] Précitée, note 3.
[7] Major Drilling Group International inc., précitée note 3.
[8] Centre Serv. Ress. Humaines Civils E. et D.R.H.C.,
précitée note 4; Maçonnerie Demers inc., C.L.P.
[9] Maçonnerie Demers inc., précitée note 8.
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