Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 9142-4911 Québec inc. (Habitation Innovert) |
2016 QCCQ 9554 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEDFORD |
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LOCALITÉ DE |
COWANSVILLE |
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« Chambre pénale » |
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N° : |
455-61-014241-150 |
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DATE : |
7 septembre 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
MONIQUE PERRON, JUGE DE PAIX MAGISTRAT |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
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Poursuivant |
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c. |
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9142-4911 QUÉBEC INC. (HABITATION INNOVERT) |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Afin de mieux encadrer la mobilité de la main d’œuvre dans l’industrie de la construction, les employeurs doivent aviser la Commission de la construction du Québec (« la CCQ ») dans un délai maximal de 48 heures dès qu’ils embauchent un salarié.
[2] À l’hiver 2014, Habitation Innovert engage un salarié et elle transmet à la CCQ son avis d’embauche dans le délai prescrit. Toutefois, elle envoie cet avis par télécopieur alors que depuis le 9 septembre 2013, la CCQ exige que les avis soient transmis par le service en ligne.
[3] Le Directeur des poursuites criminelles et pénales reproche à Habitation Innovert d’avoir omis d’aviser la CCQ de l’embauche de ce salarié selon la manière prescrite, en contravention aux articles 40 et 41 du Règlement sur l’embauche et la mobilité des salariés dans l’industrie de la construction (« le Règlement 6.1 »)[1] et commettant ainsi une infraction à l’article 107.11 de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'œuvre dans l’industrie de la construction (« la Loi R-20 »)[2].
QUESTION EN LITIGE
[4] Mandater une firme externe pour la gestion de son entreprise dégage-t-elle Habitation Innovert de sa responsabilité pénale?
CONTEXTE
[5] Habitation Innovert est une toute petite entreprise de construction dont monsieur Jean-François Poulin est l’unique actionnaire; il est entrepreneur à son propre compte. Il embauche rarement des salariés pour lui prêter main-forte, préférant procéder par sous-traitance. Ainsi, en deux ans, il n’a embauché que trois personnes.
[6] Puisqu’il travaille généralement seul et qu’il est toujours présent sur ses chantiers, monsieur Poulin a confié toute la gestion de son entreprise à une firme comptable à qui il voue une confiance absolue. En plus de la transmission des avis d’embauche, cette firme d’expérience spécialisée en construction s’occupe de sa comptabilité, des paies, des cessations d’emploi, des demandes de permis ainsi que de tous les échanges avec la CCQ, la Régie du bâtiment, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et autres organismes.
[7] Chaque fois qu’il s’apprête à embaucher un salarié, monsieur Poulin avise la technicienne responsable de la gestion administrative de la firme comptable une semaine à l’avance et celle-ci transmet immédiatement l’avis d’embauche à la CCQ.
[8] Jusqu’au 9 septembre 2013, les avis d’embauche pouvaient être transmis par téléphone, par télécopieur ou par service Internet. En janvier 2014, lors de l’embauche du nouvel employé, autant monsieur Poulin que la technicienne de la firme comptable ignorent que le mode de transmission diffère et que la CCQ n’accepte maintenant que les transmissions par Internet.
[9] Par conséquent, comme à l’habitude, la technicienne comptable transmet l’avis d’embauche du salarié par télécopieur et, par la suite, elle transmet le rapport mensuel de ses heures de travail à la CCQ. Elle est persuadée que le numéro d’embauche sera posté directement à l’employeur, d’autant plus qu’elle a réussi à transmettre l’avis d’embauche par télécopieur.
[10] En effet, malgré la procédure nouvelle, la transmission de documents par télécopieur fonctionne toujours. Par ailleurs, la CCQ ne rappelle pas les employeurs et autres usagers qui continuent d’utiliser cette méthode pour envoyer leurs avis d’embauche. Jamais elle ne les informe qu’ils sont dorénavant irrecevables. Elle considère ne pas avoir cette obligation.
[11] Ce n’est qu’en mars 2014, alors qu’elle tente de déclarer l’embauche d’un salarié par téléphone, que la technicienne comptable prend connaissance du nouveau mode de transmission. Appréhendant des problèmes, elle informe aussitôt tous ses clients de la nouvelle marche à suivre. Monsieur Poulin lui confie alors le mandat de régulariser sa situation auprès de la CCQ, mais c’est peine perdue.
[12] En effet, la CCQ applique maintenant une politique de tolérance zéro à l’endroit des contrevenants. Alors que dans le passé, elle envoyait un avertissement aux employeurs fautifs, elle transmet maintenant tous les dossiers à sa division pénale, y compris celui d’Habitation Innovert, en vue de l’émission d’un constat d’infraction.
ANALYSE
[13] Les nouvelles règles de transmission des avis d’embauche ne sont pas inscrites dans la Loi R-20 ou dans le Règlement 6.1. Les articles 40 et 41 du Règlement 6.1 prévoient dans quel délai et quels jours de la semaine un avis d’embauche doit être transmis, mais sans en préciser la méthode; ils laissent cette prérogative à la CCQ.
«40. Un employeur doit aviser la Commission, au cours des heures normales de travail de ce dernier, de toute embauche, licenciement, mise à pied ou départ d’un salarié.
41. Cet avis doit être donné suivant la manière prévue par la Commission, au moment de l’événement ou au plus tard la journée suivante. À cette fin, les samedi, dimanche et jours fériés chômés et les congés annuels obligatoires durant la période d’hiver prévus au décret ne sont pas compris dans ces délais. L’employeur doit, à cet effet, obtenir de la Commission un numéro qu’il doit inscrire à son registre de paie. » (nos soulignements)
[14] À cause des conséquences pénales sérieuses qu’entraîne la modification au mode de transmission des avis d’embauche et parce que la Gazette officielle du Québec n’en a pas fait mention, la CCQ se devait de diffuser elle-même la nouvelle procédure auprès des employeurs, avant son entrée en vigueur.
[15] Lors du procès, le Tribunal a entendu le témoignage d’une représentante de la CCQ, celui de monsieur Poulin et celui de la technicienne de la firme comptable. La crédibilité de leur témoignage n’est pas en cause. Tous ont fait preuve de franchise et de sincérité.
[16] Dans son témoignage, la représentante de la CCQ affirme qu’avant l’entrée en vigueur de la nouvelle pratique, la CCQ a publié un article dans la revue Bâtir pour informer sa clientèle dans le domaine de la construction de l’adoption prochaine de la nouvelle règle. De plus, des envois postaux ont été transmis aux associations patronales ainsi qu’aux employeurs - mais non aux firmes comptables - les informant du changement. Cependant, elle n’est pas en mesure de confirmer que l’information a été transmise à Habitation Innovert. Monsieur Poulin affirme, quant à lui, n’avoir jamais été avisé.
[17] La technicienne comptable affirme maintenir à jour ses connaissances en consultant les sites Internet, notamment les modifications aux lois et aux règlements. Bien qu’elle reçoive la revue Bâtir, elle n’a jamais pris connaissance de l’article concernant le nouveau mode de transmission.
[18] Certes, on s’attend à ce qu’une firme de gestion qui œuvre auprès d’entrepreneurs en construction se tienne informée de tout changement dans la réglementation. Cependant, ce n’est pas la diligence de la firme comptable qui fait l’objet du présent débat, mais bien celle d’Habitation Innovert.
[19] Bien que ce ne soit pas par manque d’intérêt, monsieur Poulin ignorait que la procédure avait changé. Or, l’ignorance de la loi n’est pas une défense, ni en droit criminel[3], ni en droit réglementaire québécois[4].
[20] Monsieur Poulin soutient cependant qu’en donnant instruction à la firme de gestion de transmettre l’avis d’embauche de son nouvel employé à la CCQ, il a fait preuve de diligence raisonnable. Conscient que les lois et les règlements sont nombreux dans le domaine de la construction et soucieux de les respecter, il a pris soin de confier toute sa gestion administrative à une firme comptable d’envergure.
[21] Mais quelles mesures a-t-il prises lui-même pour s’informer du nouveau mode de transmission imposé par la CCQ ? Quelles précautions Habitation Innovert a-t-elle prises pour éviter la commission de l’infraction ?
[22] Habitation Innovert n’a fait aucune recherche active pour connaître les obligations entourant la transmission des avis d’embauche. Alors que l’information était disponible par téléphone ou sur le site Internet de la CCQ, la preuve démontre qu’Habitation Innovert n’a fait aucune démarche pour se renseigner. Elle s’est contentée de déléguer sa responsabilité à une mandataire, qui elle, s’en est remise à la pratique habituelle, sans plus.
[23] Or, on ne peut se soustraire à sa responsabilité pénale en transférant sa gestion à autrui.
[24] Pour reprendre les enseignements de la Cour suprême du Canada, « le concept de diligence repose sur l’acceptation d’un devoir de responsabilité du citoyen de chercher activement à connaître les obligations qui lui sont imposées. L’ignorance passive ne constitue pas un moyen de défense valable en droit pénal »[5].
[25] Si Habitation Innovert décide de mandater une firme externe afin qu’elle remplisse en son nom ses obligations que la loi lui impose, elle ne peut être exonérée de sa responsabilité pénale dû au fait que le mandataire n’a pas agi correctement. Celui qui délègue sans s’informer et sans effectuer de suivi n’agit pas avec diligence raisonnable.[6]
[26] Toutefois, le Tribunal considère que la CCQ aurait pu faire preuve d’indulgence en période de transition, d’autant plus qu’en l’espèce, l’avis d’embauche a été transmis dans les délais et conformément à l’ancienne méthode. Pour ces raisons, il y aura lieu d’accorder une dispense de frais.
[27] Un dernier commentaire s’impose. Curieusement, lors du procès, la représentante de la CCQ a reconnu qu’il est possible pour un employeur, encore aujourd’hui, de transmettre des avis d’embauche par téléphone. Après les avoir refusés suite au 9 septembre 2013 et au moins jusqu’en mars 2014, la CCQ a recommencé à les accepter. Ce message contradictoire ne peut que semer la confusion et donner lieu à de fausses croyances chez les employeurs et autres utilisateurs du service de transmission.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
DÉCLARE la défenderesse coupable de l’infraction qui lui est reprochée;
LA CONDAMNE à payer une amende de 1009 $;
LE TOUT SANS FRAIS sauf la contribution de 14$.
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__________________________________ MONIQUE PERRON juge de paix magistrat |
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Me Julie Langlois |
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Procureure du poursuivant |
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Me Benoit Laberge |
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Procureur de la défenderesse |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.