[1] Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 12 avril 2013 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Réjean F. Paul)[1], qui infirme la décision de la Cour municipale de la Ville de Montréal (l’honorable Florent Bisson)[2] et les déclare coupables quant à trois constats d’infraction leur reprochant d’avoir exercé un usage non autorisé par les règlements de zonage d’entreposage de conteneurs. Le juge les condamne, dans chacun des trois dossiers, à la peine minimale de 100 $ et aux frais minimaux de 41 $.
[2] Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrivent les juges Julie Dutil et Claude C. Gagnon;
[3] LA COUR :
[4] REJETTE l’appel, avec dépens.
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MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER |
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[5] Le pourvoi soulève la question de savoir si les appelantes bénéficient de droits acquis à l’entreposage de conteneurs empilés les uns sur les autres, sur un terrain situé sur le territoire de la Ville de Montréal. De façon subsidiaire, les appelantes allèguent qu’elles peuvent bénéficier d’une fin de non-recevoir quant à des accusations d’avoir enfreint le règlement municipal, étant donné l’imprécision des règlements de zonage et le fait qu’elles exercent l’usage depuis plusieurs décennies.
[6] L’appelante, Édifices industriels Notre-Dame ltée, est propriétaire depuis 1975 d’un immeuble à vocation industrielle d’une superficie de quelque 3,8 millions de pieds carrés, terrain qu’elle-même ou ses locataires utilisent à des fins industrielles.
[7] Depuis 1976, elle loue environ un demi-million de pieds carrés de ce terrain à l’appelante Transport de conteneurs Garfield inc. La partie ouest du terrain loué est située sur le territoire de l’ancienne Ville St-Pierre, devenue Ville Lachine[3], puis l’arrondissement Lachine de la nouvelle Ville de Montréal[4]. La partie est du terrain est située sur le territoire de la Ville de Montréal (arrondissement sud-ouest).
[8] Les bureaux de l’entreprise, de même qu’un garage et des entrepôts sont situés sur le terrain qui accueille aussi un bureau de Douanes Canada, ainsi qu’un entrepôt sous douane.
[9] Les parties ont formulé l’admission suivante : « Toutefois, de ces activités, seuls des conteneurs et des remorques sont situés sur le terrain situé dans l’arrondissement de Lachine. »
[10] La principale activité de Garfield est le transport de conteneurs par camion. Les parties admettent ce qui suit :
8.- Garfield’s principal business consists in the transportation of containers to and from Montreal, from and to various U.S. ports including New Jersey, New York and Baltimore. Containers are generally filled with product at local manufacturers and sent to Garfield for transport to American shipping ports. Containers are placed on a trailer which is trucked to the port where the container is offloaded and placed on a ship. While at the port, containers from foreign suppliers are loaded on Garfield trailer trucks for return transport to Montreal. In Montreal the containers are delivered directly to local clients, or are offloaded at Garfield’s yard to be picked up by local carriers, or are unloaded and the contents stored in regular or bonded warehouses. While on site at Garfield containers are stacked up to four high awaiting reuse.
[11] On comprend donc de cette admission que des conteneurs vides ou pleins et pouvant être empilés jusqu’à quatre conteneurs de hauteur sont entreposés sur le terrain.
[12] L’entreprise a connu une expansion certaine. Dès 1982, elle transportait plus de 15 000 conteneurs par année, possédait 35 camions et avait recours aux services d’autant de camionneurs-artisans. En 1983, Garfield a acquis un système de grue lui permettant d’empiler les conteneurs les uns sur les autres.
[13] Le 19 mai 2005, un constat d’infraction est émis, reprochant aux appelantes de contrevenir au Règlement no 641 sur le zonage de l’arrondissement Lachine (article 4.3.2.2.)[5] et d’exercer ou de laisser exercer un usage (entreposage de conteneurs) non autorisé au Règlement.
[14] Le 4 octobre 2005, quatre jours après l’entrée en vigueur du nouveau règlement de zonage, deux nouveaux constats sont émis, alléguant une contravention à l’article 4.13.9 du Règlement no 2710 sur le zonage de l’arrondissement Lachine[6].
[15] L’intimée estime que l’entreposage de conteneurs contrevient à son Règlement de zonage, tout en admettant que les appelantes ont un droit acquis à entreposer des conteneurs jusqu’à une hauteur de 12 pieds, impliquant ainsi qu’ils ne puissent être empilés les uns sur les autres. Pour leur part, les appelantes estiment avoir des droits acquis à l’entreposage de conteneurs, sans limitation quant à leur hauteur.
[16] Le juge de la Cour municipale a rejeté l’argument de l’intimée selon lequel la présence de conteneurs sur le terrain constitue de l’entreposage. Le juge décide plutôt que les conteneurs eux-mêmes sont utilisés à titre d’entrepôts, au sens du règlement municipal. Voici son raisonnement :
[28] En effet, la Cour, suivant le témoignage de M. Dubois qui n’a fait que constater la présence de conteneurs, en vient à la conclusion suivant le témoignage du représentant des compagnies, que les conteneurs dont il est question dans la présente affaire sont utilisés à titre d’entrepôts.
[29] L’établissement industriel dont il est question, tout en n’étant pas nommé comme tel dans des usages autorisés se classe beaucoup plus facilement sous la rubrique entrepôts. En effet le règlement à son article 1-1 pour ce qui est des définitions nous indique que :
Les expressions, termes et mots employés dans le présent règlement ont le sens et l’application qui leur sont respectivement attribués dans le présent article, à moins que le contexte ne justifie une interprétation différente. On y définit certains termes comme :
· Entrepôts : tout bâtiment ou structure servant à emmagasiner des effets quelconques;
· Structure : toute construction fixée au sol ou supportée par elle;
· Construction : assemblage ordonné de matériaux pour servir d’abri, de soutien, de support, ou d’appui.
[30] Si on reprend maintenant ces définitions on peut facilement en arriver à la conclusion que les conteneurs sont des structures servant à emmagasiner des effets quelconques supportés par le sol et que ce conteneur est un assemblage ordonné de matériaux pouvant servir d’abri.
[31] Cette interprétation se rapproche le plus du genre d’industrie exploitée par les défenderesses. Il est vrai que des camions sont nécessaires pour transporter les conteneurs mais là s’arrête le rapprochement avec le terme « véhicule ».
[32] Il ne s’agit pas ici d’entreposage à ciel ouvert il s’agit effectivement d’entreposage mais dans des conteneurs utilisés comme des entrepôts.
[17] Le juge de la Cour supérieure a estimé au contraire qu’un conteneur n’est pas un entrepôt et que le fait de les empiler constitue de l’entreposage à ciel ouvert :
[6] Avec égard, ce n’est pas le cas. D’abord, à mon avis, un conteneur n’est pas un entrepôt, proprement dit.
[7] Le fait d’empiler des conteneurs à l’arrière de bâtisses industrielles selon l’article 7-12 du règlement 2710 précité, c’est faire de l’entreposage à ciel ouvert, ce qui a comme conséquence que la limite de 12 pieds doit être respectées à l’intérieur d’une clôture non ajoutée de 12 pieds.
[8] Un conteneur n’est pas une structure servant à emmagasiner des effets quelconques supportés par le sol.
[18] Les deux questions de droit suivantes ont fait l’objet d’une autorisation d’appeler :
1) Les règlements municipaux interdisent-ils l’entreposage des conteneurs, tel qu’il est décrit dans les admissions faites par les parties?[7]
2) Les appelantes peuvent-elles recourir à la doctrine de la préclusion?[8]
[19] Contrairement à ce que plaident les appelantes, un règlement municipal ne doit plus être interprété de façon restrictive. Les règlements de zonage, quoiqu’ils limitent le droit de propriété et peuvent créer des infractions pénales, doivent être interprétés comme tout autre texte législatif, selon la méthode d’interprétation moderne préconisée par Elmer Driedger et reconnue clairement par les tribunaux canadiens : « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global et suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[9].
[20] D’ailleurs, depuis l’arrêt Mascouche (Ville de) c. Thiffault, l’interprétation restrictive des règlements municipaux a été écartée par la Cour pour des raisons bien expliquées par le juge Forget :
À l'époque du libéralisme économique du 19e siècle, le droit de propriété était conçu comme un droit absolu.
Les choses ont bien évolué depuis: les notions d'intérêt commun, de développement harmonieux, de qualité de la vie et d'environnement - alors inconnues - sont maintenant au centre des préoccupations des citoyens et font l'objet d'une abondante législation et réglementation publique.[10]
[21] Aujourd’hui, encore plus qu’il y a quelques décennies, le législateur reconnaît la nécessité de restreindre le droit de propriété au bénéfice de la collectivité, que ce soit en matière municipale ou environnementale. L’augmentation de la densité des activités humaines et de la population fait en sorte qu’un retour en arrière est impensable. Ainsi, l’arrêt Cité de Sherbrooke c. King[11], cité par les appelantes et rendu il y a plusieurs décennies, doit être lu dans cette nouvelle perspective.
* * * * *
[22] Le Règlement no 2710 de l’arrondissement Lachine, applicable le 4 octobre 2005, au moment de l’émission des deux derniers constats d’infraction, interdit l’entreposage de conteneurs dans la zone I-902 où est situé l’immeuble des appelantes. Toutefois, le Règlement protège, par droits acquis, l’usage dérogatoire d’une construction ou d’un terrain existant à la date d’entrée en vigueur du Règlement, pourvu que cet usage ait été jusque-là effectué conformément aux règlements alors en vigueur[12]. La contravention au règlement de zonage est donc démontrée, il reste à voir si les appelantes peuvent bénéficier du moyen de défense que constituent les droits acquis.
[23] Les appelantes ont commencé l’entreposage de conteneurs vers 1976 et l’empilage des conteneurs les uns par-dessus les autres vers 1983. À cette époque, le Règlement de zonage no 409 de Ville St-Pierre est en vigueur[13] et tout comme maintenant, l’immeuble était situé en zone industrielle (zone 40).
[24] Le Règlement no 409 énumère les usages et constructions autorisés dans les zones industrielles. Soulignons immédiatement que l’entreposage de conteneurs ne figure pas dans la liste des usages et constructions autorisés. Toutefois, l’entreposage de conteneurs peut être classé avec l’industrie dont elle se rapproche le plus, tel que le prévoit la disposition que voici :
ARTICLE 7-2 : constructions et usages autorisés
« Dans les zones industrielles, sauf les exceptions mentionnées à l’article 7-3 ci-après, sont autorisés les constructions et genres d’occupation suivants :.
[…]
- les industries énumérées dans la liste suivante :
[…]
Entrepôts : pour mobiliers, marchandises, produits alimentaires, bagages,
[…]
Véhicules : ateliers de réparations, manufactures, établissements de lavage, entrepôts de véhicules neufs, entrepôts de camionnage.
Les établissements industriels qui ne figurent pas dans la liste inscrite ci-haut seront classés avec ceux dont ils se rapprochent le plus, sinon leur classification sera faite par le Conseil de Ville après consultation avec l’ingénieur.
[…]
[25] Par ailleurs, les établissements industriels peuvent entreposer à ciel ouvert, à certaines conditions. Tel que le permet l’article 7-12 du Règlement, l’intimée reconnaît que l’appelante avait le droit d’entreposer des conteneurs jusqu’à une hauteur de 12 pieds, ce qui signifie qu’elle ne pouvait pas les empiler les uns sur les autres :
ARTICLE 7-12 : Entreposage
L’entreposage à ciel ouvert n’est permis qu’à l’arrière des bâtisses industrielles et cet espace d’entreposage doit être entouré d’une clôture non ajourée. La marchandise ou le matériel entreposé ne doit jamais dépasser la hauteur de cette clôture.
La hauteur maximum de cette clôture ne devra pas dépasser 12 pieds.
Aucun entreposage à ciel ouvert n’est permis sur l’avant et sur les côtés d’une bâtisse industrielle.
[26] Pour justifier sa conclusion selon laquelle l’usage effectué par Garfield se rapproche d’un usage « entrepôts », la Cour municipale a utilisé trois définitions contenues au Règlement, celles des mots « entrepôt », « structure » et « construction ».
[27] Or, la Cour supérieure a eu raison d’intervenir. L’appelante n’exploite pas un établissement industriel qui se rapproche d’une industrie du type « entrepôts ».
[28] Un conteneur n’est pas un entrepôt au sens du règlement municipal, car ce n’est ni un bâtiment ni une structure :
Les expressions, termes et mots employés dans le présent règlement ont le sens et l’application qui leur sont respectivement attribués dans le présent article, à moins que le contexte ne justifie une interprétation différente.
[…]
Bâtiment : Construction ayant une toiture appuyée sur des murs et/ou des colonnes et destinée à abriter ou loger des personnes, des animaux ou des choses.
Bâtiment accessoire (secondaire ou dépendance) : Bâtiment annexé ou détaché, subordonné à un bâtiment principal, situé sur le même lot que ce dernier, et servant à procurer une meilleure jouissance du bâtiment principal.
Bâtiment industriel : Bâtiment utilisé ou à être utilisé pour la fabrication, la transformation, l’assemblage, l’entreposage, la manutention ou la manipulation de produits.
Construction : Assemblage ordonnée de matériaux pour servir d’abri, de soutien, de support ou d’appui.
Entrepôt : Tout bâtiment ou structure servant à emmagasiner des effets quelconques.
Établissement industriel : Bâtiment servant à la fabrication, la transformation, l’assemblage, la manipulation, l’entreposage ou la manutention de produits.
Structure : Toute construction fixée au sol ou supportée par lui.[14]
[29] Un entrepôt au sens du règlement municipal possède un caractère plus permanent convenant mal à un conteneur qui peut être vide ou plein et qui est continuellement déplacé pour remplir sa fonction première, soit permettre le transport de marchandises d’un endroit à un autre. La définition du mot « structure », combinée à la définition du mot « construction », conduit à cette conclusion. Par ailleurs, s’il fallait conclure qu’un conteneur est un entrepôt, il devrait alors être conforme aux normes de construction applicables pour ce type de bâtiment et serait soumis au rôle d’évaluation, comme tout autre bâtiment.
[30] La Cour supérieure a donc eu raison d’affirmer qu’« [Un] conteneur n’est pas une structure servant à emmagasiner des effets quelconques supportés par le sol », avec comme conséquence que la limite de 12 pieds de hauteur doit être respectée. Elle a eu raison de conclure que les appelantes ne peuvent bénéficier de droits acquis eu égard au Règlement no 409.
[31] Le 7 janvier 1991, le Règlement no 641 est entré en vigueur et remplaçait le Règlement no 409. Pour l’essentiel, ce règlement n’a pas eu pour effet de modifier les usages permis.
[32] En vertu de ce Règlement, l’immeuble se retrouve dans la zone i2-57. Quoique l’usage d’entreposage de conteneurs soit spécifiquement prévu, il ne l’est pas dans la zone i2-57. L’entreposage extérieur est toutefois permis, sujet aux mêmes contraintes, soit que le matériel ne soit pas visible et soit entouré d’une clôture dont la hauteur maximale est de 3,7 m (12 pieds).
[33] Les appelantes ne peuvent donc prétendre détenir des droits acquis leur permettant d’entreposer des conteneurs à une hauteur supérieure à 12 pieds.
[34] Dans la foulée de l’arrêt Immeubles Jacques Robitaille[15], rendu par la Cour suprême en mai 2014, les appelantes ont obtenu la permission de produire un exposé supplémentaire, afin de soumettre les arguments appropriés à l’application de la doctrine de la préclusion.
[35] Les appelantes plaident que le fait que le Règlement ne soit pas clair et qu’elles bénéficient de droits acquis ouvre la voie à l’application de la doctrine de la préclusion promissoire.
[36] Comme nous l’avons vu, des conteneurs sont entreposés sur le terrain depuis 1976. La contravention au Règlement débute lorsque l’usage s’est intensifié, à compter de 1983, lorsque les conteneurs sont empilés les uns sur les autres.
[37] Les appelantes n’ont reçu aucun avis de non-conformité entre 1983 et le 17 mars 1994, moment où la municipalité de Ville St-Pierre avise Garfield que l’entreposage de conteneurs ne cesse de croître en bordure du canal de Lachine, que la présence des conteneurs constitue une infraction à l’article 7.7. du Règlement no 641 et que « les conteneurs sont prohibés pour toutes fins ».
[38] Aucune suite n’a été donnée à cet avis. Des notes manuscrites contenues au dossier de la municipalité en regard de l’immeuble indiquent qu’il a été réglé après l’intervention du procureur des appelantes.
[39] L’inaction de la municipalité de Ville St-Pierre, suivie de celle de la municipalité de Lachine et ensuite de celle de la Ville de Montréal, après les fusions, indiquerait, selon les appelantes, que la municipalité convenait qu’il n’y avait pas contravention au règlement municipal. L’intimée ne pourrait donc invoquer une nouvelle interprétation du Règlement.
[40] Il est vrai que les différentes municipalités qui se sont succédé ont toléré l’empilage des conteneurs. Toutefois, cela ne crée aucun droit en faveur des appelantes.
[41] La doctrine est unanime à affirmer que la tolérance, par une municipalité, d’un comportement dérogatoire à ses règlements n’entraîne pas la création de droits acquis[16]. En 1979, le juge Lorne Giroux, alors professeur, s’exprimait ainsi dans son livre Aspects juridiques du règlement de zonage au Québec :
Nul ne peut prescrire le droit à une affectation qui contrevient au règlement de zonage et son exercice à l’encontre du règlement ne peut conférer aucun droit acquis. La tolérance d’un usage dérogatoire ne peut pas non plus être invoquée comme justifiant la violation du règlement lorsqu’une corporation municipale décide d’agir pour faire cesser la contravention, même si cette tolérance durait depuis plusieurs années.[17]
[42] Malgré l’évolution de la jurisprudence, dont l’affaire Chapdelaine, cette position est toujours de mise.
[43] Par ailleurs, la doctrine de la préclusion ne peut trouver application en l’espèce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il n’y a eu aucune promesse faite par l’intimée aux appelantes. Les autorités législatives, ici les municipalités qui se sont succédé, n’ont jamais exprimé explicitement, soit par résolution adoptée en bonne et due forme, que l’interprétation proposée par les appelantes fût la bonne ou, encore, leur intention de ne pas les poursuivre. D’ailleurs, une municipalité ne pourrait consentir à ce qu’un justiciable exerce un usage allant à l’encontre de sa propre réglementation. Au surplus, même si un préposé de la municipalité autorisait un usage illégal, cela ne pourrait avoir pour effet de créer des droits.
[44] Le juge Wagner, dans l’affaire Immeubles Jacques Robitaille, fait le point sur l’application de la doctrine de la préclusion promissoire en droit public et établit les conditions donnant ouverture à celle-ci :
Ø En droit public, la préclusion promissoire exige la preuve d’une promesse claire et non équivoque;
Ø La promesse doit être faite par l’autorité publique à un justiciable, afin de l’inciter à accomplir certains actes;
Ø Il est nécessaire que le justiciable se fie à cette promesse et agisse sur la foi de celle-ci pour modifier son comportement;
Ø La préclusion ne peut être invoquée pour contester l’application d’une disposition explicite de la loi;
Ø Les promesses faites par les représentants des autorités publiques ne doivent pas être contraires à la législation applicable et doivent être, dans les faits, conformes au pouvoir discrétionnaire prévu par la loi.
[45] Aucune de ces conditions ne se retrouve ici.
[46] Comme le juge Wagner le souligne, la doctrine de la préclusion n’est d'aucun secours lors de poursuites pénales : « [l’] adoption de la réglementation en matière de zonage doit tenir compte de l’intérêt public, et les dispositions pénales réglementaires en assurent le respect. En présence d’une telle disposition réglementaire explicite, la doctrine de la préclusion n’est d'aucun secours à l’appelante »[18].
[47] Par ailleurs, l’affaire Chapdelaine n’est d’aucune utilité pour les appelantes. Dans cette affaire, le juge Chamberland, avec le concours de la juge Lemelin et voulant mettre fin à une controverse sur la question, a décidé que le recours en vertu de l’article 227 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme[19] confère une certaine discrétion au tribunal, « […] dans des circonstances particulières et exceptionnelles », de refuser d’ordonner la cessation d’une utilisation du sol, même si cette utilisation est contraire aux règlements de zonage.
[48]
Quoique l’article
[49] Finalement, les appelantes soumettent un nouvel argument : l’intimée ne peut adopter un règlement interdisant d’empiler des conteneurs, sans avoir obtenu l’approbation du ministère des Transports, car cette pratique fait partie intégrante du système de transport intermodal. Ainsi, elles invitent la Cour à interpréter ce Règlement de façon à ne pas l’invalider. Cet argument n’a pas été plaidé en Cour municipale ni en Cour supérieure et n’a pas fait l’objet d’une autorisation d’appeler.
[50] Je propose donc le rejet de l’appel, avec dépens.
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
[1] Ville de Montréal c. Édifices Industriels Notre-Dame ltée et Transports de conteneurs Garfield inc., nos 500-36-006151-123, 500-36-006152-121 et 500-36-006153-129, 12 avril 2013, J. Paul.
[2] La Ville de Montréal c. Transport de conteneurs Garfield inc. et Édifice Industriel Notre-Dame ltée, nos 305-102-434, 305-102-814 et 305-102-825, 8 février 2012, J. Bisson.
[3] Décret 1276-99, de la Loi sur l’organisation territoriale municipale, RLRQ, c. O-9, fusion intervenue le 1er janvier 2000.
[4] Loi portant réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais, RLRQ, c. 56; Fusion intervenue le 1er janvier 2002.
[5] Règlement de zonage no 641 de l’arrondissement Lachine, entré en vigueur le 7 janvier 1991.
[6] Règlement de zonage no 2710 de l’arrondissement Lachine, entré en vigueur le 30 septembre 2005.
[7]
Jugement autorisant l’appel sur cette question du juge Y.-M. Morissette, du
28 mai 2013,
[8]
Jugement accordant aux appelantes le droit de plaider cette question, 28
avril 2014 (C.A.) (Doyon, Vézina et Gagnon),
[9] Elmer A. Driedger, The Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, p. 87. Voir aussi : Stéphane Beaulac et Frédéric Bérard, Précis d’interprétation législative, 2e éd., Montréal, LexisNexis, p. 26.
[10]
Mascouche (Ville de) c. Thiffault, J.E. 96-1097,
[11] Cité de Sherbrooke c. King Street shopping Center Limited,
[1963] B.R. 340,
[12] Ville de Montréal - arrondissement de Lachine, Règlement no 2710, Règlement de zonage (30 septembre 2005), art. 3.1.
[13] Règlement de zonage no 409 de Ville St-Pierre en vigueur de 1968 à 1990.
[14] Ville St-Pierre, Règlement no 409, Règlement de zonage (19 mars 1968), art. 1-1.
[15]
Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville de),
[16]
Rino Soucy, « En matière d’urbanisme : l’intervention tardive
d’une municipalité a-t-elle pour effet de créer un droit acquis
déguisé? », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements
récents en droit municipal, vol. 203, Cowansville, Éditions Yvon Blais,
2004, p. 62-70; Marc-André LeChasseur,
[17]
Lorne Giroux,
[18] Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville de), supra, note 13, paragr. 23.
[19] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ, A-19.1.
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