Section du territoire et de l'environnement
Référence neutre : 2012 QCTAQ 12112
Dossier : STE-M-200630-1207
ODETTE LACROIX
FRANÇOIS BOUTIN
MUNICIPALITÉ DE SAINT-ALEXANDRE
c.
COMMISSION DE PROTECTION DU TERRITOIRE AGRICOLE DU QUÉBEC
et
FÉDÉRATION DE L'UPA SAINT-HYACINTHE
MINISTÈRE DES TRANSPORTS DU QUÉBEC
PIERRETTE LAROSE D'AVIGNON
ANDRÉ CHOINIÈRE
YVES DENINCOURT
NICOLE CODERRE
FERME R.L.C. BRETON
FERME GRÉGOIRE ET FILS (2005) INC.
FERME BENORIN INC.
KARL HEINZ KLAASSEN
MARTIN VERMEULEN
GÉRARD VERMEULEN
JEAN-GUY OUELLETTE
FERME LUCIEN ET GUY ROY
LUCIEN GILLOT
MARIE-THÉRÈSE GRÉGOIRE
MARIE-DOMINIQUE GILLOT
Parties mises en cause
[1] La requérante, municipalité de Saint-Alexandre, conteste une décision rendue le 8 juin 2012 par la Commission de protection du territoire agricole du Québec (Commission), au dossier 370865. Cette décision a été rendue en vertu des dispositions de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles[1] (LPTAA).
Demandes à la Commission
[2] Dans un premier temps, la Commission refusait la demande de la requérante qui consistait à obtenir, dans le cadre de la relocalisation de l'échangeur Saint-Alexandre, ce qui suit :
- une confirmation de droits acquis à l'égard de plusieurs lots du cadastre de la paroisse de SaintAlexandre, de la circonscription foncière de Saint-Hyacinthe, pour une superficie d'environ 10,8 hectares;
- subsidiairement, à défaut d’obtenir cette reconnaissance, elle demandait deux autorisations, soit, premièrement, l’autorisation d'aliéner en faveur du ministère des Transports du Québec (MTQ) une superficie d'environ 4 hectares et, deuxièmement, l'autorisation d'aliéner en faveur du MTQ et d'utiliser à des fins autres que l'agriculture, soit à des fins de transport, une superficie d'environ 6,8 hectares.
[3] En second lieu, dans le cadre du même projet, la requérante demandait :
- l’autorisation d’aliéner en faveur du MTQ une superficie de 10,8 hectares, située sur plusieurs lots;
- l’autorisation pour aliéner en faveur du MTQ et d’utiliser à des fins autres que l’agriculture, soit à des fins de transport, une superficie d’environ 12 hectares.
[4] Suite à l’audience devant le Tribunal et à des demandes de celui-ci concernant les conclusions recherchées de la requérante au sujet des droits acquis, la requérante, après discussion avec la Commission, a fait parvenir, par lettre datée du 5 septembre 2012, les conclusions amendées suivantes :
« [1] AUTORISER l’aliénation en faveur du ministère des Transports du Québec (MTQ) une superficie d’environ 11,0 hectares, et deuxièmement, AUTORISER l’aliénation en faveur du MTQ et l’utilisation à des fins autres que l’agriculture, à savoir à des fins de transport, d’une superficie de 12,3 hectares, le tout tel que décrit aux tableaux 3.1 et 3.2 accompagnant la lettre du 9 février 2012 du Groupe Conseil UDA inc. et repris ci-après :
[…]
[2] Quant aux droits acquis, RÉSERVER tous les droits et recours de la Requérante et de toute personne intéressée à cet égard. »
[transcription conforme]
[5] Les conclusions amendées ne changent rien au débat principal et quant aux droits acquis, la requérante demande de réserver tous ses droits et recours à leur sujet.
Motifs du refus de la Commission
[6] La Commission refuse la demande pour les motifs suivants :
« [37] Dans le cadre de la construction de l'autoroute 35 entre Saint-Jean-sur-Richelieu et la frontière des États-Unis, des échangeurs sont prévus, dont un à Saint-Alexandre. À la suite des recommandations du BAPE, l'échangeur prévu à Saint-Alexandre serait localisé plus à l’ouest, au niveau de la route 227 existante, à la hauteur du rang Saint-Joachim. Cet échangeur a fait l’objet d’un avis favorable de la part de la Commission à son dossier 349908, notamment pour la localisation de l’échangeur à Saint-Alexandre. Subséquemment, un décret gouvernemental a autorisé le MTQ à procéder à la réalisation de l’ensemble du projet.
[38] Or, la Municipalité de Saint-Alexandre est en désaccord avec cette localisation; elle souhaiterait une localisation plus avantageuse afin de contribuer notamment à son développement économique.
[39] L’emprise projetée par la demande permettait de ne pas emprunter le chemin de la Grande-Ligne et une partie de la route 227, située entre le rang Saint-Joachim et le chemin de la Grande Ligne. Cette partie de la route 227 actuelle serait abandonnée et remise en culture. Le BAPE n'a pas retenu cette option et l'échangeur qui a fait l'objet d'un décret et d'un avis de la Commission se trouve au niveau de la route 227 actuelle. La géométrie de l'échangeur fut modifiée, soit de trèfle à losange et sans voie de desserte, le long de l'autoroute, en direction du rang des Dussault. Ultérieurement, le MTQ a donné un mandat pour faire une étude de faisabilité additionnelle et dans le projet à l'étude, un échangeur avec trèfle est recommandé.
[40] La rencontre publique a permis à tous les intervenants du MTQ d’exprimer les objectifs de la demande, les avantages anticipés au niveau de la sécurité routière et de sa fluidité, les contraintes du site retenu.
[41] Elle a aussi permis au représentant municipal et aux consultants de situer la démarche pour réactiver le tracé que la Municipalité avait déjà défendu lors des audiences précédentes. Selon le représentant municipal, le tracé demandé est une assurance de maintien ou de développement des activités sociales, communautaires, résidentielles et commerciales, ce qui empêcherait la dévitalisation du noyau urbain de la municipalité.
[42] Cette rencontre a permis aux opposants d’exprimer les effets négatifs d’une décision positive en faveur de la demanderesse. Deux entreprises agricoles sont spécialement affectées par le tracé qui fait l’objet de la présente demande et d’autres dans une moindre mesure.
[43] La Commission tient à rappeler que les portions de tracé que la Municipalité entend rétrocéder à l’agriculture sont majoritairement la propriété du MTQ et non la sienne.
[44] Au surplus, la route 227, située entre le rang Saint-Joachim et le chemin de la Grande Ligne ainsi que la montée de la Station, bénéficie de plus de droits acquis au sens de la Loi. La Commission ne possède aucune juridiction à l’égard de ceux-ci et elle ne peut exiger qu’ils soient remis en état d’agriculture.
[45] La Commission a pris connaissance de toutes les informations soumises durant tout le processus de décision et elle a réévalué la demande à la lumière des différents critères applicables de la Loi.
[46] Cette évaluation prend son importance dans ce dossier puisqu’elle met en évidence d’une part les attentes de la demanderesse qui soutient que son projet doit être autorisé selon les critères 9 et 10 de l’article 62 de la Loi, tout en analysant les impacts sur le territoire et les activités agricoles selon les différents critères applicables.
[47] La Commission convient que la demande produite peut répondre à certains objectifs de la Municipalité, plus amplement élaborés lors de la rencontre publique. Elle évalue que les impacts négatifs anticipés sur la protection du territoire et des activités agricoles, dans une perspective de développement durable de la ressource et des activités agricoles qu’elle supporte, sont tels qu’il est préférable de maintenir les conclusions émises à son orientation préliminaire afin de préserver au maximum l’intégrité de ce milieu agricole.
[48] De l’avis de la Commission, les représentations soumises lors de la rencontre publique n’ont pas permis de dégager des arguments nouveaux permettant de statuer différemment de l’orientation préliminaire.
[49] Les arguments soumis par la demanderesse et les faits exposés par ses différents représentants lors de la rencontre publique sont semblables, quoique beaucoup plus élaborées, que les informations déjà soumises au dossier. Dans le présent dossier, la municipalité n’est pas considérée comme une municipalité dévitalisée.
[50] Le rapprochement de la route et de l’échangeur ne permet pas de conclure au maintien et au développement du noyau urbain et, en ce sens, ne peut répondre aux critères 9 et 10 de l’article 62 de la Loi. Aucune démonstration n’a été faite par les représentants municipaux que la modification du tracé aurait un lien direct avec une amorce de développement, le maintien des commerces existants et une augmentation du nombre de résidents du noyau villageois. Les représentations faites par M. Barette verbalement et dans son document font le constat d’un choix politique et de faits, avec l’appui de citoyens, mais aucun lien n’est relaté entre le rapprochement de la route avec l’échangeur générant une croissance réelle de l’activité sociale ou économique.
[51] La Commission a été sensible à la notion de la sécurité en cas d’incendie, mais le déplacement de la route 227 et de l’échangeur plus près du noyau villageois ne modifie pas l’effet du passage de l’autoroute qui coupe le territoire municipal.
[52] Par contre, la Commission ne peut adhérer à la prétention que l’implantation de l’autoroute ne réduira pas de façon significative le flot de circulation sur le chemin de la Grande Ligne et de ce fait, la sécurité routière sur le chemin de la Grande Ligne sera améliorée.
[53] La Commission tient à rappeler qu’elle peut difficilement prendre en considération que le potentiel agricole du site visé par la demande soit de qualité inférieure au site retenu dans l’avis émis au dossier 349908. De plus, il n’appartient pas à la Commission d’apprécier la façon de certains producteurs de mieux mettre en valeur leur propriété agricole que d’autres confrères producteurs.
[54] La Commission ne peut se baser sur le constat que le potentiel agricole des sols qui font l’objet de la demande peut être légèrement inférieur au site retenu de la route 227.
[55] Dans son analyse, la Commission considère non seulement la perte importante en superficie de sol cultivé par la demande actuelle, mais aussi l’effet sur le redécoupage des parcelles visées, principalement sur le lot 412-P. Les superficies requises pour l’échangeur auront pour effet de perturber fortement cette belle parcelle en culture rectiligne et d’un seul tenant pour créer des parcelles angulaires difficilement cultivables avec les équipements agricoles modernes. Ceci sans compter les effets négatifs sur les autres lots, notamment de la Ferme Grégoire et Fils.
[56] L’effet de ce découpage sur le territoire agricole et sur les activités agricoles qui en découlent permet de conclure que le site retenu au décret représente un site de moindre impact sur le territoire et les activités agricoles qui préserverait beaucoup mieux les possibilités d’utilisation à des fins agricoles des lots visés. Créer de nouvelles voies routières et un échangeur dans des terres à très bon potentiel agricole représentent un impact beaucoup plus important sur les activités agricoles présentes et futures que l’élargissement d’une route déjà en place et l’échangeur en losange retenu.
[57] La Commission soutient qu’avant d’autoriser un empiétement sur d’aussi belles terres agricoles et accorder un usage structurant du type recherché par la présente demande, elle doit s’assurer que toutes les alternatives possibles ne peuvent répondre aux besoins exprimés.
[58] La Commission en vient à la conclusion que le site 2-B, qui a fait l’objet d’un avis favorable au dossier 349908, représente le site de moindre impact sur le territoire et les activités agricoles présentes et futures tout en répondant au besoin de liaison de la municipalité avec l’autoroute.
[59] Pour toutes ces raisons, la Commission considère qu’elle ne peut accueillir favorablement la demande et elle maintient les conclusions de son orientation préliminaire du 20 septembre 2011. »
[transcription conforme]
Projet
[7] Dans le cadre du parachèvement de l’autoroute 35 de Saint-Jean-sur-Richelieu jusqu’aux frontières des États-Unis, le tracé prévu traversera le territoire de plusieurs municipalités, dont celui de la requérante, la municipalité de Saint-Alexandre. Il s’agit d’un projet dont le premier décret remonte au 20 février 1974[2].
[8] Plusieurs années après, soit en février 2005, le MTQ obtenait une étude relativement à la localisation et à la configuration des échangeurs projetés dans le cadre du parachèvement de l’autoroute 35.
[9] À la suite d’une analyse de tous les critères traitant des avantages et inconvénients de chaque option sur les aspects techniques, agricoles, environnementaux et économiques, ce rapport recommandait, pour l’échangeur Saint-Alexandre, le redressement de la route 227 (option qui fait l’objet de la présente demande).
[10] Cette option privilégiée par le MTQ consistait à déplacer la route 227 dans l’alignement du rang des Soixante, évitant ainsi le chevauchement de la route 227 sur le chemin de la Grande-Ligne et améliorant, par le fait même, la sécurité routière sur ce tronçon.
[11] L’actuelle partie de la route 227, située entre le chemin de la Grande-Ligne et l’autoroute 35, sera abandonnée et potentiellement réexploitée en terres agricoles.
[12] Des audiences publiques ont été tenues en 2005 par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur la construction de l’autoroute 35 et le MTQ y a présenté l’option impliquant la relocalisation de la route 227 par l’implantation de l’échangeur Saint-Alexandre. Toutefois, le BAPE a plutôt recommandé une autre option, soit un échangeur sur le tracé de l’actuelle route 227 ainsi que l’aménagement d’une voie de desserte.
[13] En vertu de l’article 66 LPTAA, le MTQ a demandé l’avis de la Commission sur le tracé de l’autoroute 35 entre Saint-Jean-sur-Richelieu jusqu’à la frontière américaine, soit jusqu’au poste frontalier de Philipsburg, au bout de l’actuelle route 133.
[14] Dans le dossier 349908[3], la Commission a fourni un avis, selon l’article 66 LPTAA, concernant l’échangeur de la route 227 à Saint-Alexandre :
« [21] Ce tronçon constitue un amendement par rapport au projet initialement exproprié (localisation au niveau de la Montée de la Station, près du noyau villageois) et au projet soumis au Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE)3. Dans la présente version, l’échangeur est maintenant déplacé plus à l’ouest au niveau de l’actuelle route 227 et remplacé par un type en losange plutôt qu’avec des bretelles en trèfle partiel.
[22] Comparativement aux versions antérieures, la modification proposée représente un gain pour le territoire agricole. Elle représente une superficie inférieure, soit quelque 6,57 hectares (incluant l’élargissement de la route 227 de part et d’autre de l’autoroute jusqu’à 35 mètres pour le segment nord jusqu’au chemin Grande Ligne), par rapport aux 8 hectares qu’accaparait l’échangeur exproprié ou encore les 19,03 hectares que nécessitait l’option présentée au BAPE. Évidemment, si la parcelle de 8 hectares n’est pas rétrocédée, le gain en superficie serait annulé, mais l’impact serait tout de même moindre que la version (échangeur en trèfle partiel) proposée au BAPE.
[23] La présente version présente également l’avantage de correspondre à de faibles largeurs situées à l’extrémité des parcelles cultivées, minimisant ainsi les contraintes à la pratique agricole.
3 Le projet soumis au BAPE, qui a examiné le projet de parachèvement de l’autoroute 35 au cours de l’année 2005 et qui a remis son rapport en mars 2006, prévoyait une superficie de quelque 19 hectares pour cet échangeur. »
[transcription conforme]
[15] Suite à cela, deux décrets[4] qui confirmaient l’intention du gouvernement de localiser l’échangeur sur le tracé de l’actuelle route 227 ont été adoptés par le gouvernement. De plus, la forme de l’échangeur fut modifiée en forme de losange plutôt qu’en trèfle, sans voie de desserte longeant l’autoroute 35.
[16] Suite aux demandes de la municipalité en juillet 2010, le MTQ a mandaté le consortium SM / Dessau / Genivar afin d’effectuer une étude de faisabilité additionnelle pour l’échangeur Saint-Alexandre. L’étude recommandait de privilégier un échangeur en trèfle dans le redressement de la route 227, permettant ainsi de répondre aux besoins de dessertes tout en étant optimal au niveau de la sécurité routière. Le projet proposé évitait également les zones de plantes rares, assurant leur protection pour répondre aux exigences du BAPE.
[17] Cette dernière option, dans le cadre de l’audience devant le Tribunal, a été identifiée sous le nom de 2C et l’autre option, celle de l’échangeur en lien avec l’actuelle route 227, a été appelée l’option 2B. Le refus de la Commission vise les autorisations demandées pour l’option 2C.
Arguments de la requérante
[18] La requérante plaide que l’essence du débat concerne l’interprétation des paragraphes 9o et 10o de l’article 62 LPTAA. La Commission n’aurait pas tenu compte de la preuve extensive qui aurait été faite devant elle, tant par les représentants de la municipalité, élus et experts, que par les représentants du MTQ, à ce sujet.
[19] La LPTAA est une loi d’équilibre et la Commission devait soupeser les critères 9o et 10o de l’article 62 avec les autres critères pertinents. Cela nécessite qu’elle soupèse le poids des effets négatifs d’une demande sur la protection du territoire et des activités agricoles avec les effets positifs que celle-ci génère sur le développement économique de la municipalité.
[20] La protection de l’agriculture ne signifierait pas la protection d’un agriculteur. Il devrait s’agir plutôt de l’évaluation des impacts du projet sur le plan agricole et de soupeser ceux-ci avec les impacts sur le développement économique, industriel et social de la municipalité.
[21] Il s’agit, selon la requérante, d’un projet de service public et d’intérêt public. Les choix retenus par la municipalité et le MTQ seraient conformes à l’intérêt public et aux exigences de nature technique, socio-économique et environnementale.
[22] Selon la preuve, l’option 2C, près du noyau urbain de la municipalité, permettrait de revitaliser celle-ci et aurait un effet structurant en permettant, avec l’arrivée de nouveaux résidents, l’implantation de nouvelles résidences et de commerces dans la municipalité.
[23] La Commission aurait tu la preuve qui lui aurait été faite, commettant ainsi un déni de justice, ce qui constituerait une erreur de droit. Plus particulièrement, aux paragraphes [50] et [52], la Commission écarterait complètement la preuve ou n’en tiendrait pas compte. Aux paragraphes [53], [54], [56] et [57], la Commission se contredirait, puisque, d’une part, elle affirmerait ne pas avoir à se baser sur le constat que le potentiel agricole des sols pour le projet 2C serait inférieur et que, d’autre part, elle s’empresserait de qualifier certains des lots visés par le projet 2C comme étant des terres à très bon potentiel agricole. Cette contradiction illustrerait le refus de la Commission d’exercer sa juridiction et le caractère déraisonnable en droit et en fait de la décision.
[24] En conclusion, la Commission aurait traité en vase clos la demande, alors qu’elle devait balancer plusieurs critères.
Arguments de l’intimée
[25] Même si certains détails peuvent manquer, la décision serait claire, selon la procureure de la Commission, concernant le site de moindre impact et la qualité des sols.
[26] Il n’est pas contesté que la demande pour le projet 2C est en zone agricole et, en vertu de l’article 62 , paragraphe 5, de la LPTAA, la Commission doit évaluer s’il s’agit du site de moindre impact pour l’agriculture.
[27] En 2007, la Commission a déjà statué sur l’échangeur situé au projet 2B. La Commission, au paragraphe [48], mentionne qu’il n’y aurait pas d’éléments nouveaux lui permettant de statuer différemment.
[28] Au paragraphe [55] de la décision, la Commission fait un lien direct avec l’expertise urbanistique de M. Brodeur en mentionnant qu’il n’y aurait pas eu de projets spécifiques qui ont été présentés. Il s’agirait plutôt d’hypothèses, de vœux pieux et il n’y aurait rien de concret.
[29] La procureure invoque que la Commission ne pouvait pas baser sa décision sur les risques de sécurité routière, alors qu’il ne s’agirait pas d’un critère décisionnel prévu à la LPTAA.
[30] Concernant la qualité des sols, soit le fait que les sols du projet 2C soient de moindre qualité, la Commission dit au paragraphe [54] qu’elle ne pourrait pas se baser uniquement là-dessus.
[31] La Commission est un organisme spécialisé et elle n’aurait pas à faire de preuve pour en contredire une autre. La procureure de la Commission allègue que cette dernière aurait résumé les représentations des experts et si elle n’y a pas directement référé dans ses motifs de refus, s’il s’agit d’une erreur, ce n’est pas une erreur déterminante.
Analyse
[32] La requérante conteste la décision de la Commission, en vertu de l’article 21.1 LPTAA :
21.1. Une personne intéressée peut contester une décision ou une ordonnance de la commission devant le Tribunal administratif du Québec dans les 30 jours de sa notification.
[33] Le recours en contestation d’une décision de la Commission est encadré par les dispositions de l’article 21.4 LPTAA :
21.4. Le tribunal ne peut, à moins d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait déterminante dans la décision contestée, réévaluer l'appréciation que la commission a faite de la demande sur la base des critères dont elle devait tenir compte.
Lorsque le Tribunal constate, à l'examen de la requête et de la décision contestée, qu'en raison d'une telle erreur de droit ou de fait, la commission a omis d'apprécier la demande sur la base de ces critères, il peut lui retourner le dossier pour qu'elle y procède.
[34] Le pouvoir d’intervention du Tribunal est encadré par l’article 15 de la Loi sur la justice administrative[5] (LJA) :
15. Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.
[35] Dans l’arrêt Saint-Pie[6], la Cour d’appel insiste sur la condition préalable d’erreur de droit ou d’erreur de fait déterminante et précise le rôle du Tribunal :
« [74] Quant au TAQ, si un recours est ensuite intenté devant lui, il ne pourra intervenir qu'après avoir identifié une erreur de droit ou une erreur de fait déterminante dans la décision de la CPTAQ; il s'agit là d'une condition préalable à sa compétence d'intervenir sur le fond. La mission du TAQ n'est pas de déterminer si la décision rendue était la bonne, mais uniquement de déterminer si celle-ci est entachée d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait déterminante.
[75] La deuxième partie de l'article 21.4 de la Loi précise que cet exercice se fait à l'examen de la requête et de la décision contestée, une précision que la jurisprudence de la Cour du Québec favorable à la thèse du recours de novo semble aussi avoir ignorée. »
[transcription conforme]
[36] Comme cela a été décidé dans la décision Ulverton[7], une erreur déterminante est une erreur significative et non pas une simple erreur technique ou une erreur banale.
[37] La requérante plaide que la LPTAA est une loi d’équilibre et que de ce fait, la Commission doit soupeser les critères 9o et 10o de l’article 62 avec les autres critères qui s’appliquent à la demande.
[38] Il y a effectivement, dans ce dossier, des critères favorables et défavorables à soupeser comme le reconnaît l’UPA dans sa lettre d’appui du 7 juin 2011[8].
[39] D’une part, la municipalité s’appuie sur les critères 9o et 10o de l’article 62 à l’effet que le projet 2C stimulerait son développement économique et freinerait la dévitalisation de son noyau urbain. Elle prétend aussi que la qualité des sols est moindre dans le secteur du projet 2C ainsi que le fait qu’au total, il y aurait très peu de différences de perte de sols pour l’agriculture entre les deux projets.
[40] La requérante s’appuie sur le dossier Ville de Lévis[9] où la Commission fait état que la LPTAA est une loi d’équilibre, puisque différents critères l’amènent à soupeser le poids des effets négatifs d’une demande avec les effets positifs sur le développement économique et les conséquences d’un refus pour le demandeur.
[41] Dans le présent dossier, le projet se réalisera dans les deux cas en zone agricole. Les deux projets ont fait l’objet de plusieurs études au MTQ, toutes en faveur du projet 2C, ainsi qu’au BAPE, en faveur du projet 2B. Par ailleurs, le projet 2B a fait l’objet d’un avis de la Commission[10].
[42] La Commission soutient qu’elle a analysé correctement la demande en concluant que le site demandé ne représentait pas le site de moindre impact et qu’en plus, la preuve concernant le potentiel de développement économique, quoique plus élaborée, est semblable à celle qui a donné lieu à l’orientation préliminaire[11].
[43] Si l’on examine l’orientation préliminaire, celle-ci consacre effectivement une section au développement de la municipalité, faisant état de la diminution du nombre de citoyens, de la situation de la municipalité au sujet de son développement commercial, de la sécurité accrue qu’amènerait le projet 2C ainsi que des interventions d’urgence facilitées, des possibilités d’expansion du parc industriel de par une amélioration de l’accès à l’autoroute et de la possibilité d’augmenter l’offre commerciale[12].
[44] Dans l’orientation préliminaire, aucune pondération des critères 9o et 10o n’a été effectuée avec les autres critères prévus à la LPTAA. Le refus ne s’appuie que sur la perte de sols agricoles de haute valeur, des enclaves qui rendront plus difficile la pratique de l’agriculture et des prétentions quant aux pressions sur le développement d’activités autres que l’agriculture.
[45] Lors de la rencontre publique à la Commission, M. Barrette, conseiller municipal depuis 2009 et responsable du dossier de l’échangeur Saint-Alexandre de l’autoroute 35, a présenté un argumentaire écrit[13] et a témoigné[14]. Il mentionne, dans son témoignage, que le projet 2C est l’alternative priorisée par les autorités municipales qui se sont succédé depuis 1970 et qu’à plusieurs reprises, lors de votes au conseil, ce choix a été réaffirmé.
[46] M. Barrette fait état qu’une pétition totalisant 800 noms, dont une centaine d’agriculteurs, exprime la même volonté que celle exprimée par la municipalité de Saint-Alexandre.
[47] L’autre preuve importante à ce sujet a été le témoignage[15] et le rapport d’expertise[16] de M. André Brodeur, urbaniste.
[48] L’analyse de M. Brodeur présente un portrait de l’évolution démographique de la municipalité de Saint-Alexandre et de la contribution positive au développement économique de Saint-Alexandre qu’aurait le projet 2C sur l’augmentation des commerces, du nombre de résidents et des entreprises dans le parc industriel. Cela se traduira, selon lui, par la création d’emplois qui constituera des gains majeurs pour la région afin d’éviter la dévitalisation du noyau villageois.
[49] De plus, il fait état de lacunes importantes au niveau de l’offre en commerces dans la municipalité.
[50] Ainsi, lorsque la Commission mentionne, au paragraphe [50] de sa décision, qu’aucune démonstration n’a été faite par les représentants municipaux que la modification du tracé aurait un lien direct avec une amorce de développement, le maintien des commerces existants et une augmentation du nombre de résidents du noyau villageois, elle ne tient pas compte de toutes les observations qui lui ont été faites.
[51] La Commission n’est pas obligée de partager les conclusions d’un expert, mais ici, elle va plus loin que de ne pas partager l’opinion d’un expert. Elle nie en quelque sorte qu’une telle preuve lui ait été présentée, puisqu’elle affirme que les seules informations à ce sujet sont celles rattachées au témoignage de M. Barrette et au document qu’il a versé au dossier. Il s’agit d’un élément important dans la preuve et elle ne le mentionne pas.
[52] De plus, la Commission qualifie les représentations de M. Barrette de politiques et, même s’il a l’appui de citoyens, aucun lien n’est relaté dans l’appréciation de la demande quant aux avantages soulevés dans le rapport d’expertise de M. Brodeur concernant le projet 2C, soit le rapprochement de l’échangeur avec le noyau urbain, les possibilités d’expansion du parc industriel et une amorce de développement des activités sociales et économiques de la région, tel qu’expliqué par M. Brodeur.
[53] Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une erreur déterminante, étant donné qu’il n’y a pas eu une analyse rigoureuse qui soupèserait les avantages positifs pour la municipalité et les contraintes pour l’agriculture du projet 2C.
[54] La Commission, en déclarant ainsi que la preuve se limite aux informations fournies par M. Barrette, évacue toute possibilité d’avoir une évaluation qui tient compte de tous les critères qui s’appliquent à la présente affaire.
Réévaluation de la décision
[55] Compte tenu de l’erreur identifiée par le Tribunal, la prochaine question qui se pose est de savoir si le Tribunal peut réévaluer la demande et rendre la décision qui aurait dû être rendue ou retourner le dossier à la Commission.
[56] L’article 15 LJA prévoit ce qui suit :
15. Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.
[57] L’article 21.4 LPTAA mentionne ce qui suit :
21.4. Le tribunal ne peut, à moins d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait déterminante dans la décision contestée, réévaluer l'appréciation que la commission a faite de la demande sur la base des critères dont elle devait tenir compte.
Lorsque le Tribunal constate, à l'examen de la requête et de la décision contestée, qu'en raison d'une telle erreur de droit ou de fait, la commission a omis d'apprécier la demande sur la base de ces critères, il peut lui retourner le dossier pour qu'elle y procède.
[58] L’arrêt Saint-Pie traite ainsi du pouvoir d’intervention du Tribunal :
« [82] En somme, le TAQ est un organisme juridictionnel et sa mission est de contrôler la légalité des décisions administratives prises par l'administration publique et de les modifier pour les rendre conformes à la loi, s'il y a lieu. En matière de protection du territoire agricole, lorsqu’une erreur de droit ou de fait déterminante est identifiée par le TAQ dans une décision d'autorisation/exclusion, il peut rendre la décision appropriée sur la demande d'autorisation si les critères qui devaient être pris en considération par la CPTAQ l'ont été et que n’eût été l'erreur identifiée, l'autorisation aurait été accordée. Par contre, si le TAQ ne peut raisonnablement déduire ce qu'aurait été la décision de la CPTAQ n’eût été cette erreur, en raison de l'aspect discrétionnaire qu'elle comporte, il doit lui retourner le dossier afin de ne pas usurper le pouvoir d'appréciation d'opportunité politique et de l'intérêt général de cette dernière, qu’elle seule possède et qu'elle seule est en mesure, par son expertise, sa connaissance du milieu et son personnel, d’exercer.
[83] Le pouvoir du TAQ, qui en l’espèce est strictement juridictionnel, se limite à la légalité du processus et de la décision contestée et non à son opportunité. Il s'apparente ainsi à celui d'une cour de justice à l'égard des décisions discrétionnaires du gouvernement, d'un organisme ou d'une municipalité. Il en diffère cependant par la reconnaissance au TAQ du pouvoir de remplacer la décision entachée de l'erreur identifiée par une nouvelle décision lorsqu'il se considère en mesure de le faire sans usurper l'expertise de la CPTAQ16.
16 La situation du TAQ n'est d'ailleurs pas différente à l'égard des décisions de la Commission des transports (art. 53 de la Loi sur les transports, L.R.Q., c. T-12), comme le souligne l’auteur Villagi dans l'extrait précité. Quant aux décisions de la Régie des alcools et des jeux, les pouvoirs du TAQ sont aussi limités par une disposition spécifique qui lui interdit de substituer son appréciation de l'intérêt public à celle de la Régie (art. 40.2 de la Loi sur la Régie des alcools, des courses et des jeux, L.R.Q., c. R-6.1). »
[transcription conforme]
[59] La Cour d’appel reconnaît le pouvoir du Tribunal de rendre la décision qui aurait dû être rendue si les critères qui devaient être pris en considération l’ont été et si n’eût été de l’erreur identifiée, l’autorisation aurait été accordée.
[60] C’est d’ailleurs l’approche retenue par le Tribunal dans les décisions Domaine de la Cressonnière inc.[17], Claude Médieu[18], Louise Bénard-Lafrance[19] ainsi que dans le dossier Municipalité de Coteau-du-Lac[20] notamment.
[61] Dans le présent dossier, le Tribunal est d’opinion, compte tenu des erreurs identifiées dans la décision contestée et que conformément aux dispositions de l’article 21.4 LPTAA et de l’article 15 LJA, il peut réévaluer l’appréciation que la Commission a faite de la demande sur la base des critères qui s’appliquent et rendre la décision qui aurait dû être prise en premier lieu, le tout dans un esprit de célérité et d’accessibilité de la justice administrative.
Demandes
[62] La requérante demande, d’une part, une autorisation pour aliéner et utiliser à des fins autres que l’agriculture en faveur du MTQ une superficie de 11 hectares pour implanter les infrastructures rattachées à l’échangeur et, d’autre part, une autorisation d’utiliser en faveur du MTQ une superficie de 12,3 hectares à des fins autres qu’agricoles, pour les zones en périphérie des infrastructures qui demeureront probablement en sylviculture[21].
Impacts sur le potentiel agricole des terrains visés
[63] La requérante a présenté une expertise agricole signée par M. Réjean Racine, ingénieur et agronome. La Commission réfère d’ailleurs à son témoignage et à son rapport aux paragraphes [12], [13] et [14] de sa décision.
[64] Pour l’évaluation de ce critère, la position de la Commission se retrouve aux paragraphes [53], [54] et [55]. Dans son appréciation, la Commission affirme qu’elle ne peut se baser sur le fait que le potentiel agricole des sols qui font l’objet de la demande peut être légèrement inférieur au site retenu de la route 227.
[65] Elle considère plutôt la perte importante en superficie de sols cultivés ainsi que l’effet sur le redécoupage des parcelles visées, principalement sur le lot 412-P. Les superficies requises auront pour effet de perturber fortement cette parcelle qui est d'un seul tenant et de créer des parcelles angulaires difficilement cultivables avec les équipements agricoles modernes, de sorte que le site retenu du projet 2B représente un site de moindre impact qui préserverait beaucoup mieux les possibilités d’utilisation à des fins agricoles des lots visés.
[66] La requérante, pour sa part, soutient que les sols du projet 2C sont de moins bonne qualité et que certaines zones visées par le projet sont des boisés contrairement au secteur du projet 2B.
[67] En fait, les parcelles visées par le projet 2C se retrouvent dans une portion de la municipalité où les boisés représentent une proportion supérieure, soit 45 % des terrains sont boisés, 38 % sont en culture, 14 % ne sont pas des utilités à des fins agricoles et 3 % sont des terrains en friche.
[68] Selon l’expertise agricole[22] de M. Réjean Racine, ingénieur et agronome, pour la partie où une autorisation non agricole est demandée, 79 % des terres sont en culture, soit 9,5 sur 12 hectares.
[69] D’après la carte cadastrale et de potentiel des sols superposés, les sols dans le secteur du projet 2C sont de classes 3 et 4, alors que ceux dans le projet 2B sont de classes 2 et 3. Effectivement, la qualité des sols est un peu inférieure dans le secteur 2C.
[70] De plus, l’utilisation des sols au projet 2C comprend des boisés, et ce, principalement dans le secteur de l’échangeur.
[71] La présente demande touche neuf propriétaires, dont trois ne sont pas des exploitants agricoles parmi lesquels un de ceux-ci loue ses terres à un agriculteur de la région.
[72] L’expert de la requérante mentionne que les superficies demandées sont situées en bout de champs et de propriétés, sauf à deux endroits où il y aura enclavement d’une parcelle (lot P-412) et coupure de terres en deux (lot P-315).
[73] Le lot P-412 appartient à Messieurs Vermeulen qui perdront environ 3,6 hectares de terres en culture et se retrouveront avec une enclave d’environ 4,6 hectares, entraînant la création de champs à géométrie variable. Messieurs Vermeulen ont d’ailleurs exprimé à la Commission, tant par une lettre datée du 13 octobre 2011 que par leur témoignage à la rencontre publique, les inconvénients que créeront, comme ils les ont appelés, les « racoins » avec la machinerie agricole. Ils sont des producteurs laitiers et céréaliers et l’organisation de la ferme est facilitée parce qu’il s’agit d’une terre d’un seul morceau.
[74] Pour ce qui est du lot P-315 appartenant à Ferme Grégoire et fils (2005) inc., les deux propriétaires se sont opposés à la demande par une lettre et par leur témoignage à la rencontre publique. Ils affirment avoir fait l’achat de ce lot parce qu’il était situé entre deux terres qu’ils possédaient déjà. Pour se rendre conforme au Règlement sur les exploitations agricoles[23], ils ont acheté ce lot pour pouvoir faire de l’épandage conformément au plan agro-environnemental de fertilisation (PAEF). Ils y cultivent du grain, du soya et du foin. La requérante a produit une lettre de Ferme G et F Blum mentionnant qu’elle est prête à recevoir du fumier pour accommoder d’autres fermes[24].
[75] Des non-producteurs agricoles, soit ceux qui possèdent les lots 307 et 309, dont les interventions sont moins pertinentes aux fins de la présente, se sont aussi opposés.
[76] Sur les neuf propriétaires, en excluant les trois qui ne sont pas des exploitants agricoles, des six restants, quatre auront des pertes de moins de 2 hectares en culture et de moins de 4 hectares au total (en bout de champs et de propriétés), alors qu’un autre aura des pertes d’environ 3,6 hectares en culture. L’exploitation agricole la plus touchée perdra 7,2 hectares de terres en culture, 4,8 hectares boisés ou en friche et environ 12 hectares au total, selon l’expertise agricole[25].
[77] Selon l’expert, bien que la demande semble importante en terme de superficie, si l’on tient compte des droits acquis potentiels (environ 10,8 hectares) et du fait qu’environ 10,8 hectares demandés demeureront en culture, la perte réelle de superficie est d’environ 14,1 hectares, dont environ 12 hectares sont en culture[26].
[78] Pour ce qui est du site alternatif pour le projet 2B, environ 8 hectares en culture, situés le long de la route 227 et en bout de champs ou en bordure de champs, seraient nécessaires. Le projet s’insère dans un milieu agricole dynamique où les superficies sont utilisées à des fins agricoles intensives. Les terrains touchés appartiennent à cinq producteurs agricoles et à un propriétaire qui loue ses terres.
[79] Les effets consistent en des pertes de terres en culture qui seraient de moins de 1 hectare par propriétaire, sauf pour celui des lots P-324 et P-326 qui sont de part et d’autre de la route 227, qui perdrait un peu plus de 4 hectares[27].
[80] Selon l’expert, la perte de 8 hectares se fait sur des terres à haut potentiel agricole, alors que les superficies en demande sont situées sur des terrains moins propices à la culture. Les deux projets sont, par ailleurs, situés dans un environnement similaire.
[81] La Commission se prononce sur cet aspect aux paragraphes [55] à [58].
[82] Avec les différents témoignages entendus, elle conclut que les terres du projet 2C sont à très bon potentiel. Messieurs Grégoire et Vermeulen rapportent dans leur témoignage qu’une partie des parcelles affectées sont cultivées, que certaines ont été déboisées et drainées pour être cultivées.
[83] Il est incontestable que le redressement de la route 227 entraînera la séparation en deux d’une terre qui est d’un seul tenant, la création d’enclaves ainsi qu’une configuration qui rendra certaines de ces terres moins accessibles avec la machinerie qu’utilisent aujourd’hui les agriculteurs.
[84] Pour la Commission, le projet 2B est le site de moindre impact concernant les aspects agricoles, ce qui l’a conduite au refus de la demande. Pour ce qui est du Tribunal, l’analyse de l’impact sur l’agriculture ne peut à lui seul décider du sort de la demande, il faut le soupeser avec les critères 9o et 10o de l’article 62 LPTAA.
Conclusions du Tribunal
Développement économique
[85] Le Tribunal, comme mentionné précédemment, considère qu’il y a eu une preuve sérieuse quant à l’application des critères 9o et 10o. Dans une telle situation, comme l’a reconnu la Commission dans la décision Ville de Lévis, la LPTAA étant une loi d’équilibre, cela implique qu’il faut soupeser le poids des effets positifs sur le développement économique de la municipalité et des effets négatifs sur l’agriculture.
[86] Concernant les effets positifs sur le développement économique, la preuve à ce sujet découle du témoignage du conseiller municipal, de l’écrit qu’il a déposé, de l’appui de citoyens et de l’expertise urbanistique. Elle ne se résume pas, comme le mentionne erronément la Commission, au constat d’un choix politique fait par la municipalité et les citoyens. Aucun lien n’est relaté dans l’appréciation de la demande au sujet du fait que le rapprochement de la route avec l’échangeur générerait une croissance réelle de l’activité sociale ou économique[28].
[87] Le témoignage et le rapport de l’expert, M. André Brodeur, font ressortir que la dévitalisation est un processus ou une tendance qui existe et que celle-ci est un enjeu pour la municipalité. Selon l’indice de défavorisation sociale et matérielle mis au point par le ministère de la Santé et des Services sociaux[29], un secteur correspondant à une partie du territoire urbanisé situé au sud du chemin de la Grande Linge est caractérisé par une forte défavorisation matérielle et une moyenne défavorisation sociale.
[88] Il y a eu une diminution de la population de 40 personnes entre 1996 et 2006 et une augmentation du nombre de ménages de 60. Il y donc une diminution du nombre de personnes par ménage. Alors que si on compare avec la MRC du Haut-Richelieu, même s’il y a diminution du nombre de personnes par ménage, la MRC a quand même augmenté de 11 000 personnes. La densité de la population est très faible, soit 30 résidents par kilomètre carré. La population de la municipalité est de 2 340 en 2006, dont environ 1 400 dans le noyau villageois. Il existe 11,36 hectares disponibles pour la construction de logements dont on évalue le potentiel à 160 logements, ce qui fait 14 logements à l’hectare. Avec un tel potentiel et à ce rythme-là, la municipalité en a au moins pour 50 ans.
[89] Toujours selon l’expert, le scénario 2B aurait pour effet de créer une pression pour du développement économique linéaire dans la zone agricole immédiate, alors que le projet 2C permettrait de consolider le développement commercial dans la zone urbaine.
[90] En ce qui concerne la contribution positive au développement économique du projet 2C, celui-ci permettra de développer le parc industriel. Ce dernier est situé à proximité et il aura un lien direct avec l’autoroute. Il bénéficie de 460 000 pieds carrés dont 362 700 sont vacants, soit 79 % du territoire.
[91] Le parc industriel comprend actuellement trois entreprises qui génèrent 12 emplois, dont 8 à temps plein. Le développement de la totalité pourrait générer 56 emplois, dont 38 à temps plein.
[92] Le projet 2C facilitera aussi l’accès à d’autres entreprises situées en dehors du parc industriel. Cela amènerait aussi la consolidation des activités économiques du noyau urbain.
[93] Selon l’analyse de l’expert, il y a des lacunes importantes au niveau de l’offre en commerces dans la municipalité. Une localisation avantageuse de l’échangeur à proximité du noyau urbain permettrait d’accroître cette activité et ainsi amener une population additionnelle.
[94] Le développement de l’ensemble des espaces disponibles à l’intérieur du périmètre urbain permettrait, par exemple, d’accroître la demande commerciale de près de 1 600 000 $ annuellement pour certains types de commerces et services courants.
[95] L’expert touche aussi au problème de sécurité soulevé par le MTQ pour le tronçon du chemin de la Grande-Ligne où il y a chevauchement avec la route 227 et qui amène un taux supérieur au taux critique pour les accidents. Cet aspect de la sécurité est appuyé par l’Association du camionnage. Le redressement de la route 227 est avantageux pour les interventions d’urgence, tant pour les véhicules qui doivent se rendre du côté sud de l’autoroute que pour ceux qui proviennent d’ailleurs comme les ambulances.
[96] Le scénario de l’échangeur dans le redressement de la route 227 résulterait en une meilleure lisibilité et compréhension du réseau routier et offrirait un accès plus direct à l’autoroute 35, empêchant la circulation de transit par le milieu urbain depuis le parc industriel.
[97] Le maintien du projet sur la route 227 actuelle n’offre aucun accès à l’échangeur depuis le parc industriel. Les camions devraient effectuer un détour de 4,3 kilomètres par le noyau urbain.
[98] Il ressort assez clairement que le projet 2C est plus avantageux pour les perspectives de développement de la municipalité, créant un accès à proximité du noyau urbain ainsi qu’un lien direct au parc industriel, ce dernier pouvant accueillir plusieurs nouvelles entreprises et créer ainsi plusieurs emplois.
[99] La facilité d’accès à une autoroute et la proximité de celle-ci favoriseront l’installation d’entreprises.
[100] En qui concerne la sécurité, il ne s’agit pas d’un critère qui est prévu à la LPTAA, mais elle vient expliquer l’appui et le choix du MTQ pour l’option 2C, car l’option 2B est la pire solution à ce sujet, ce que n’ont pas à discuter la Commission et le Tribunal.
[101] Il est certain aussi qu’il s’agit d’un moment unique pour la municipalité. Si l’échangeur est maintenu sur la route 227 actuelle, elle n’aura pas la possibilité d’obtenir ce qu’elle demande une prochaine fois. En soi, les conséquences sont irréversibles pour la municipalité qui attend depuis les années 1970 le passage de l’autoroute 35 avec un échangeur à proximité du noyau urbain.
[102] Dans le cas présent, les effets sur l’agriculture tels qu’évalués précédemment sont plutôt les effets sur des agriculteurs, car les deux projets s’effectuent dans le même milieu et ont le même impact sur celui-ci.
[103] Outre les superficies différentes, le projet 2C créera plus d’inconvénients négatifs pour deux agriculteurs particulièrement que le projet 2B, quoiqu’il n’y a pas de données ou d’informations précises sur les conséquences pour les agriculteurs touchés par le projet 2B pour le moment, seule est connue la perte d’hectares et de terres en culture de grande qualité.
[104] L’existence de la route 227 et la conception en losange de l’échangeur ne créent pas les inconvénients du projet 2C, soit de couper en deux une terre et de créer des enclaves et une configuration en bout de champs moins facile d’accès. Toutefois, le projet 2C s’effectuera sur des sols de moins bonne qualité et dont une partie est boisée, surtout dans le secteur de l’échangeur.
[105] Le Tribunal, après pondération des critères, en arrive à la conclusion que le projet 2C devrait être retenu.
[106] Il a certes des effets sur deux agriculteurs, mais indéniablement il est structurant pour le développement d’une municipalité qui a besoin de cet apport pour accroître tant sa population que son activité économique. Le projet 2B, à part le fait de donner un accès à l’autoroute 35, n’insufflera pas cet élan dont a besoin la municipalité.
[107] De plus, le projet 2C créera moins de pression sur la zone agricole pour l’installation de commerces et même d’habitations dans celle-ci, vu la proximité d’un secteur non agricole.
[108] Le législateur a prévu au critère 9o à l’article 62 LPTAA que sur preuve soumise par une municipalité, les effets sur le développement économique de la région doivent être pris en considération ainsi qu’au critère 10o du même article, les conditions sociales et économiques nécessaires à la viabilité d’une collectivité lorsque la faible densité d’occupation du territoire le justifie. L’alinéa 3 du deuxième paragraphe prévoit que peuvent être prises en considération les conséquences d’un refus pour le demandeur.
[109] Dans le cas présent, le Tribunal est d’opinion que la municipalité a fait une preuve suffisante pour l’application des critères 9o et 10o et qu’après pondération avec les impacts sur des agriculteurs qui existent dans les deux projets, il ressort de la preuve que le projet aura des effets importants sur le développement économique et social de la municipalité et que les conséquences d’un refus auront un effet indéniable pour la municipalité.
[110] Après pondération de l’ensemble de ces critères, le Tribunal
ACCUEILLE le recours tel que formulé dans la demande amendée :
« [1] AUTORISER l’aliénation en faveur du ministère des Transports du Québec (MTQ) une superficie d’environ 11,0 hectares, et deuxièmement, AUTORISER l’aliénation en faveur du MTQ et l’utilisation à des fins autres que l’agriculture, à savoir à des fins de transport, d’une superficie de 12,3 hectares, le tout tel que décrit aux tableaux 3.1 et 3.2 accompagnant la lettre du 9 février 2012 du Groupe Conseil UDA inc. et repris ci-après :
Tableau 3.1 Propriétaires touchés
Propriétaire |
Inscription |
Lot(s) visé(s) |
Ferme RLC Breton enr. M. Robert Breton 1385, Montée de la Station Saint-Alexandre (Québec) J0J 1S0 |
257 118 |
P-309A et P-313 (4 389 979) |
Ferme Grégoire et Fils (2005) inc. 1228, chemin de la Grande-Ligne Saint-Alexandre (Québec) J0J 1S0 |
12 995 186 |
P-313, P-314, P-315- P-316 et P-499 (4 389 978, 4 389 973, 4 389 984, 4 389 983) |
Ferme Benorin Inc. 1122, chemin de la Grande-Ligne Saint-Alexandre (Québec) J0J 1S0 |
282 223 |
P-317 et P318 (4 389 982) |
M. Karl Heinz Klaassen 944, Montée de la Station Saint-Alexandre (Québec) J0J 1S0 |
104 382 |
P-411 (4 389 895) |
MM. Martin et Gérard Vermeulen 838, chemin St-Charles Notre-Dame-de-Stanbridge (Québec) J0J 1M0 |
15 989 281 |
P-412 (4 389 936) |
M. Jean-Guy Ouellette 1113, rang des Dussault Saint-Alexandre (Québec) J0J 1S0 |
129 292 |
P-414 (4 389 938) |
Ferme Lucien et Guy Roy 870, chemin de la Grande-Ligne Saint-Alexandre (Québec) J0J 1S0 |
224 324 |
P-415 (4 389 937) |
M. René Bergeron 1190, Grande-Ligne Saint-Alexandre (Québec) J0J 1S0 |
11 252 472 295 843 |
P-315-1 (4 390 619) |
Tableau 3.2 Superficies en demande - Tableau résumé
# Lot |
Superficie (~m2) |
|
Aliénation |
UNA et aliénation |
|
4 389 979 |
10 067,3 |
3 682,4 |
4 389 978 |
10 097,8 |
1 687,2 |
4 389 973 |
10 610,4 |
1 678,0 |
4 389 984 |
16 546,9 |
61 712,1 |
4 389 983 |
21 346,1 |
4 439,5 |
4 389 982 |
3 570,9 |
14 766,4 |
4 389 895(1) |
0 |
0 |
4 389 936 |
16 267,5 |
21 682,4 |
4 389 938 |
21 493,4 |
13 309,4 |
4 389 937 |
0 |
20,2 |
4 390 619 |
0 |
249,5 |
Total |
110 000,3 (~11,0 ha) |
123 227,1 (~12,3 ha) |
(1) Droits acquis
[2] Quant aux droits acquis, RÉSERVER tous les droits et recours de la Requérante et de toute personne intéressée à cet égard. »
[transcription conforme]
Fasken Martineau DuMoulin
Me Karl Delwaide
Procureur de la partie requérante
Cardinal, Lan
Me Isabelle Ouellet
Procureure de la partie intimée
[1] L.R.Q., c. P-41.1.
[2] Cahier de la Commission, onglet 39, décret no 694-74.
[3] Cahier de la Commission, onglet 41.
[4] Cahier de la Commission, onglet 42, décrets 598-2007 et 599-2007.
[5] L.R.Q., c. J-3.
[6] Saint-Pie (Municipalité de) c. Commission de protection du territoire agricole du Québec, 2009 QCCA 2397 .
[7] Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Ulverton (Municipalité de), 2010 QCCQ 4060 .
[8] Cahier de la Commission, onglet 38.
[9] Dossier 351711.
[10] Dossier 349908.
[11] Décision de la Commission, paragr. [48].
[12] Cahier de la Commission, onglet 35.
[13] Pièce D-2.
[14] Notes sténographiques, pages 43 à 54.
[15] Transcription de l’audience tenue le 20 décembre 2011 à la Commission, pages 101 à 152.
[16] Cahier de la Commission, onglet 47.
[17] Domaine de la Cressonnière inc. c. Commission de protection du territoire agricole du Québec, 2010 QCTAQ 07505 .
[18] Claude Médieu c. Commission de protection du territoire agricole du Québec, 2010 QCTAQ 08196 .
[19] Louise Bénard-Lafrance c. Commission de protection du territoire agricole du Québec, 2010 QCTAQ 1068 , appel rejeté, CQ 550-80-002766-095.
[20] Municipalité de Coteau-du-Lac c. Commission de protection du territoire agricole du Québec, 2011 QCTAQ 03685 , requête en permission d’appel accueillie, CQ 760-80-001620-1122.
[21] Expertise agricole, p. 3-2.
[22] Page 4-3.
[23] c. Q-2, r.26.
[24] Pièce D-14.
[25] Expertise de M. Réjean Racine, page 4-10.
[26] Expertise urbanistique de M. André Brodeur, p. 8-1.
[27] Expertise de M. Réjean Racine, pages 6-1 et 6-2.
[28] Décision de la Commission, paragr. [50].
[29] Expertise urbanistique de M. André Brodeur, p. 15, figure 8.
AVIS :
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