Lehouillier-Rail c. Visa Desjardins |
2007 QCCQ 10123 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D’ |
ABITIBI |
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LOCALITÉ DE |
LA SARRE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
620-32-000735-066 |
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DATE : |
Le 24 août 2007 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
NORMAND BONIN, J.C.Q. |
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NICOLE LEHOUILLIER RAIL |
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Demanderesse |
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c. |
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VISA DESJARDINS |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse, Mme Nicole Lehouillier Rail, poursuit Visa Desjardins, la défenderesse, et allègue le harcèlement continu de cette dernière qui tente de recouvrer d’elle le solde dû sur une des cartes de crédit de son époux, M. André Rail, alors que celui-ci a fait une proposition concordataire pour le règlement de l’ensemble de ses dettes. Elle réclame des dommages compensatoires et exemplaires pour le harcèlement, le préjudice psychologique, le non-respect de son individualité, l’absence d’information adéquate, le fait que son crédit personnel en soit affecté, l’abus de pouvoir de la défenderesse et tout le temps qu’elle a dû consacrer afin de tenter de corriger la situation.
[2] Visa Desjardins, pour sa part, nie quelque harcèlement et invoque avoir agi en toute bonne foi et en conformité avec la loi et le contrat entre les parties. Elle prétend que Mme Lehouillier Rail est codétentrice de la carte et que, soit en raison de sa signature, soit encore en raison de l’usage de la carte, elle est responsable solidairement des dettes de son conjoint. Elle est enfin d’avis que les dommages réclamés sont exagérés.
[3] Le 14 avril 1992, M. André Rail complète une demande d’adhésion, portant le numéro 4563839, à une carte Visa Desjardins. Il y indique le nom de sa conjointe, Nicole Lehouillier Rail, mais ne l’inscrit pas comme codétentrice et elle ne signe pas comme utilisatrice d’une carte supplémentaire.
[4] Le 21 avril 1992, un compte portant le numéro 45300XXXXXXXX6965 est attribué par Visa Desjardins à M. André Rail. Ce compte est en vigueur jusqu’en mars 1995, alors qu’il y a une conversion suite à une modification au système informatique requérant son remplacement par un autre portant le numéro 4540 XXXX XXXX 2000. Il est aussi expliqué à la Cour que les deux derniers chiffres peuvent changer selon l’étape de gestion de la carte. Ainsi le compte 4540 XXXX XXXX 2000 parvient au détenteur comme étant le 4540 XXXX XXXX 2008 et le relevé informatique produit sous D-3 fait état que deux cartes de crédit sont émises, soit celle portant le numéro 4540 XXXX XXXX 2016 au nom de André Rail et celle portant le numéro 4540 XXXX XXXX 2024 au nom de Nicole Lehouillier Rail suite à sa demande ultérieure.
[5] En mai 1996, Visa Desjardins fait une offre spéciale de conversion pour la carte Visa Or Desjardins à laquelle adhère M. Rail. Mme Nicole Lehouillier Rail signe alors, en date du 8 mai 1996, pour une demande de carte supplémentaire. Elle reconnaît, par sa signature, que chacun des signataires s’engage à l’utiliser selon les modalités du contrat de la Confédération des caisses populaires Desjardins accompagnant la carte; chacun se porte solidairement et indivisément responsable de toute dette contractée relative à l’utilisation des cartes émises à la suite de cette demande. Le compte 4540 XXXX XXXX 2000 devient donc en lien avec le compte 4530 XXXX XXXX 6000 qui semble correspondre à la nouvelle carte Visa Or Desjardins dont est titulaire M. Rail. La première utilisation de la carte émise au nom de la demanderesse portant le numéro 4540 XXXX XXXX 2024 a lieu le 27 mai 1996.
[6] Le 27 juin 1997, la Banque Royale du Canada retourne à Visa Desjardins cette dernière carte détruite avec une demande précise de radier le nom de Mme Nicole Lehouillier Rail sur le compte de M. Rail. Par la suite, aucune autre carte n’est émise au nom de celle-ci et aucune transaction n'est faite à partir de la carte 4540 XXXX XXXX 2024.
[7] La preuve révèle cependant que Mme Lehouillier Rail effectue des achats personnels, d’autres pour son conjoint et son entreprise par téléphone à quelques occasions en utilisant la carte de M. Rail. Des récépissés de transactions démontrent que Mme Lehouillier Rail a effectué des achats, notamment les 13 août et 16 novembre 2005, 17 et 21 février, 2, 15, 21, 24, 28 et 30 mars, ainsi que le 4 mai 2006. Visa Desjardins est d'avis qu'il ne s'agit pas d'une utilisation ponctuelle, mais bien d'une continue, et cela, pour des montants importants.
[8] Dans une lettre postérieure à ces achats envoyée à Visa Desjardins le 3 décembre 2006, M. André Rail réitère qu’il est l’unique détenteur du compte 4540 XXXX XXXX 2008 et que, même s’il a autorisé Mme Lehouillier Rail à l’utiliser pour faire des achats personnels et autres, il en assume l’entière responsabilité; ces achats, préalablement approuvés, ayant été faits sous son autorité.
[9] M. André Rail est chirurgien dentiste et possède une clinique privée. Mme Lehouillier Rail est responsable de l’administration des comptes. Elle effectue tous les achats requis par M. Rail à même sa carte de crédit. Elle est aussi autorisée, ponctuellement, à faire des achats personnels.
[10] Le 4 mai 2006, Visa Desjardins offre à M. Rail d’augmenter sa marge de crédit en lien avec le compte 4540 XXXX XXXX 2008; d’aucune façon Mme Lehouillier Rail n’est consultée sur la question.
[11] Du 2 décembre 2004 au 5 juillet 2006, l’ensemble de la facturation relative au compte 4540 XXXX XXXX 2008 est au nom de M. André Rail. Il y a lieu de noter que toutes les transactions sont exécutées à partir de la carte identifiée au nom de M. André Rail, soit celle portant le numéro 4540 XXXX XXXX 2016, et aucune ne provient de la carte 4540 XXXX XXXX 2024 préalablement identifiée au nom de Mme Lehouillier Rail et pour laquelle il y a eu une demande de radiation. Depuis le 2 décembre 2004, des achats sont effectués chez le même commerce identifié où Mme Lehouillier Rail reconnaît avoir fait des achats personnels et en avoir fait aussi pour M. Rail et son entreprise.
[12] Le 5 juillet 2006, un avis est donné par un syndic aux créanciers de M. André Rail de sa proposition concordataire et de la tenue d’une assemblée à cet égard. Depuis cette date, aucun nouvel achat ou sortie d’argent n’est porté au compte de crédit 4540 XXXX XXXX 2008. S’y ajoutent seulement des frais de crédit.
[13] Les relevés de compte des 2 août, 5 septembre, 3 octobre, 2 novembre, 4 décembre 2006, 3 janvier et 2 février 2007 pour le même numéro de compte 4540 XXXX XXXX 2008 sont désormais émis au nom de Mme Lehouillier Rail. Contrairement à la compréhension de Mme Lehouillier Rail, ce n’est pas à compter du 2 août que le taux d’intérêt double; il a changé lors du dernier relevé de compte émis au nom de M. Rail. Néanmoins, les soldes dus inscrits au nom de M. Rail sont intégralement transférés au nom de Mme Lehouillier Rail sans autre avis.
[14] Mme Lehouillier Rail explique qu'à la suite du relevé de compte du mois d’août elle commence à recevoir des appels, de façon répétée, de Visa Desjardins l’informant qu’elle est responsable à 100% du compte de M. Rail. M. Sébastien Crête l’aurait appelée quatre à cinq fois par jour : le jour, en soirée, à la maison et au bureau. Elle lui fait part alors qu’elle n’est pas détentrice de cette carte, n’est donc pas responsable du compte et ne s’est pas portée caution pour son époux. Elle demande qu’on lui fasse parvenir tout document démontrant le contraire, notamment une demande d’adhésion qu’elle aurait présentée, les conventions entre elle ou son conjoint et Visa Desjardins. Elle n’obtient pas ces documents malgré ses nombreuses demandes. Ce n’est qu’à la cour qu’elle constate l’existence de la demande d’adhésion qu’elle a signée comme cotitulaire de la carte en mai 1996; compte pour lequel elle a demandé la radiation un an plus tard, tel que précédemment expliqué.
[15] Le 11 août 2006, Mme Lehouillier Rail réitère les mêmes informations par courrier enregistré à Visa Desjardins et conteste sa responsabilité eu égard au solde du compte 4540 XXXX XXXX 2008. Le 14, elle envoie une lettre similaire au syndic. Le 25, par une autre lettre enregistrée, Mme Lehouillier Rail confirme à Visa Desjardins qu’elle n’endosse aucune responsabilité pour les cartes 4540 XXXX XXXX 2016 et 4540 XXXX XXXX 9025. Elle leur demande d’arrêter de lui envoyer des relevés de compte ne lui appartenant pas. Le 28 du même mois, elle réitère le tout par courrier enregistré et somme Visa Desjardins, à l’égard de ces deux comptes, de cesser immédiatement tout harcèlement téléphonique ou pression quelconque, y compris des menaces, que ce soit à son domicile ou lieu de travail.
[16] En dépit de ces lettres, Madame Lehouillier Rail reçoit encore des appels jusqu’à quatre fois par jour de Visa Desjardins. Parfois, elle ne répond pas lorsqu’elle reconnaît sur l’afficheur le numéro de téléphone, mais les appels continuent tout de même. Elle a notamment noté ceux-ci:
Au domicile : |
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8 et 11 août 2006 |
1 message/jour |
2 et 5 septembre 2006 |
2 messages/jour |
6 septembre 2006 |
4 messages/jour |
23 et 24 septembre 2006 |
1 message/jour |
5, 7 et 11 octobre 2006 |
1 message/jour |
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Au travail : |
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13 septembre 2006 |
2 messages/jour |
Du 18 au 22 septembre 2006 |
1 message/jour |
[17] Visa Desjardins confirme aussi cinq appels entre les 14 et 27 juillet 2006.
[18] Par ailleurs, le relevé informatique indique que les numéros de téléphone de Mme Lehouillier Rail à sa résidence et à son travail sont inscrits au système informatique automatisé depuis le 24 août 2006; des appels lui sont faits ce jour au travail et le 27 à sa résidence.
[19] La représentante de Visa Desjardins confirme en effet que leur système de perception est muni d'un générateur informatisé d'appel qui compose le numéro des gens qui sont en retard dans leur paiement et tente d'établir un contact. Si la personne ne répond pas ou raccroche pendant le message, il rappelle automatiquement jusqu'à cinq fois par jour jusqu'à 20h00. S'il n'y a aucune réponse dans la journée, le générateur d'appel réessaie le lendemain. Si la personne répond, un message électronique l’avise qu’elle est transférée à un agent de Visa Desjardins.
[20] Le relevé informatique mentionne aussi, en date du 1er septembre 2006, que Mme Lehouillier Rail ne fera pas de paiement sur le compte où Visa Desjardins a substitué les noms. Il fait aussi état d’un appel au travail de Mme Lehouillier Rail, alors qu’elle n’est pas présente, le 7 septembre, et de tentatives de la rejoindre par le système automatique informatisé les 11 et 18 septembre, 4, 10, 17, 23 et 30 octobre, 9 et 21 novembre ainsi que les 5 et 19 décembre 2006. Ce n’est que le 19 décembre que le relevé informatique porte la mention « ne jamais appeler ce compte et référer à un agent ». Il y a lieu de noter que le registre d'appels ne comptabilise pas ceux où il n'y a pas de réponse ni ceux où la personne raccroche pendant le message.
[21] Le 19 septembre 2006, Mme Lehouillier Rail formule une plainte à l’Office de la protection du consommateur. Elle y précise qu’elle a aussi été codétentrice de la carte 4540 XXXX XXXX 9009, mais que le 14 février 2006 elle a fait annuler cette carte supplémentaire. Elle y mentionne également qu’elle était titulaire de la carte 4540 XXXX XXXX 0015. Les 12 et 14 octobre 2006 ainsi que le 12 février 2007, elle apporte des précisions sur sa demande à l’Office.
[22] Mme Lehouillier Rail évoque d’ailleurs à la Cour qu’elle avait enregistré devant la Division des petites créances un autre recours à l’égard de la carte 4540 XXXX XXXX 9009 présentant un solde de 7 873,89 $, alors qu’elle invoquait aussi le harcèlement de Visa Desjardins et le transfert illégal du compte de M. Rail à son nom. Une décision du Tribunal a été rendue ne permettant pas de diviser les recours aux fins de produire une réclamation de plus de 7 000 $ devant la Division des petites créances et précisant qu’il devait y avoir un seul recours pour harcèlement, même si trois cartes de crédit portant des numéros différents étaient en cause.
[23] La demanderesse est aussi d’avis que Visa Desjardins a ensuite créé un nouveau compte se terminant par 3009 et y a imputé un paiement. Elle perçoit ces gestes comme du harcèlement supplémentaire, mais le Tribunal n’est saisi, à sa demande, que du harcèlement concernant le compte se terminant par les numéros 2000 et 2008, puisque Mme Lehouillier Rail n’a pas cru bon d’amender l’une de ses requêtes à la Division des petites créances pour y inclure le harcèlement à l’égard des deux cartes. Elle n’a pas choisi non plus d’opter pour un recours devant la chambre civile de la Cour du Québec afin d’y inclure la réclamation pour les deux ou trois cartes, soit un montant dépassant 15 000 $. Le Tribunal ne statuera donc pas sur le harcèlement allégué à l’égard des cartes se terminant par les numéros 9009 et 3009.
[24] Le 23 octobre 2006, Visa Desjardins répond à Mme Lehouillier Rail au sujet de sa plainte à l’Office de la protection du consommateur et lui rappelle que, le 8 mai 1996, elle a fait une demande d’adhésion comme cotitulaire de la carte, que, par le fait même, elle s’est engagée solidairement à l’égard de toute dette contractée par l’utilisation de celle-ci et qu’elle a aussi utilisé la carte 4540 XXXX XXXX 9009, notamment entre les mois de mai 2005 et janvier 2006.
[25] Le 30 octobre 2006, Mme Lehouillier Rail met en demeure Visa Desjardins de l’indemniser pour la somme de 7 000 $, vu le harcèlement lié au compte 4540 XXXX XXXX 2008.
[26] Le 3 novembre 2006, l’Office de la protection du consommateur répond à Mme Lehouillier Rail pour lui indiquer que Visa Desjardins leur confirme avoir retiré, le 28 septembre, ses coordonnées du système de composition téléphonique automatisé et que, dorénavant, leurs appels lui seront faits manuellement par l’agent qui aura son dossier en main. Mme Lehouillier Rail est d’avis que les appels téléphoniques cessent alors à la fin octobre, mais qu’elle continue à recevoir des relevés de compte portant le numéro 4540 XXXX XXXX 2008. Par ailleurs, les relevés informatiques de Visa Desjardins démontrent que le numéro de téléphone au travail de Mme Lehouillier Rail est retiré du système d’appel informatique le 26 septembre et celui de sa résidence le 27.
[27] Le 17 novembre 2006, Mme Lehouillier Rail inscrit le présent recours devant la Division des petites créances de la Cour du Québec.
[28] Le 21 décembre 2006, Visa Desjardins fait parvenir une mise en demeure formelle à Mme Lehouillier Rail concernant le compte 4540 XXXX XXXX 2008 et lui indique qu’à défaut de régulariser la situation un de leurs agents communiquera avec elle sous peu.
[29] Le 12 janvier 2007, Visa Desjardins inscrit sa contestation, dans le présent recours, devant la Division des petites créances de la Cour du Québec.
[30] Le 14 février 2007, Mme Lehouillier Rail formule une plainte pour pratique douteuse de la part de Visa Desjardins auprès de l’Autorité des marchés financiers du Québec. Elle réitère sa demande le 2 avril 2007.
[31] Le 2 mars 2007, le compte 4540 XXXX XXXX 2008 au nom de Mme Lehouillier Rail, depuis le 2 août 2006, comporte la mention « transfert compte radié crédit 9 440,71 $ CR ».
[32] Le 27 mars 2007, Mme Lehouillier Rail reçoit un relevé de compte à son nom portant le numéro 4999 XXXX XXXX 2851 où le solde du compte 4540 XXXX XXXX 2008 de 9 440,71$ y est transféré. La preuve ne révèle pas si ce compte 4999 XXXX XXXX 2851 appartient à M. Rail ou à Mme Lehouillier Rail ou s’il s’agit d’un nouveau numéro.
[33] Le 14 mars 2007, les parties sont convoquées pour l’audience devant la Division des petites créances.
[34] Le 23 mars 2007, Visa Desjardins fait parvenir à Mme Lehouillier Rail une lettre suivant laquelle elle prend acte du dépôt de la plainte à l’Autorité des marchés financiers et l’avise que ses conseillers juridiques entreprendront les procédures appropriées contre elle, puisqu’elle maintient ses prétentions que Mme Lehouillier Rail est responsable de ce compte.
[35] Le 26 mars 2007, Visa Desjardins fait parvenir à Mme Lehouillier Rail une mise en demeure de payer tous les montants échus pour les deux cartes, soit la 4540 XXXX XXXX 2008 et la 4540 XXXX XXXX 9009 ayant respectivement des soldes dus de 9 440,71 $ et 7 873,89 $; totalisant la somme de 17 314,60 $. Un avis de déchéance du bénéfice du terme lui est aussi envoyé.
[36] Le 2 avril 2007, Visa Desjardins demande une remise de l’audience en raison du dépôt éventuel d’une requête introductive d’instance à la chambre civile de la Cour du Québec contre Mme Lehouillier Rail. Celle-ci est refusée par la Cour le 5 du même mois.
[37] Le Tribunal fait fi, dans l’exposé des faits, des négociations à l’amiable qu’il y a eues entre les parties. Celles-ci ne se sont pas conclues positivement et les parties ont décidé de soumettre le litige au Tribunal pour qu’il le tranche.
[38] La représentante de Visa Desjardins, Madame Marie-Paule Lefebvre, n’est en mesure de produire le document D-6 faisant état d’une convention entre les parties, qui accompagnait la carte et la demande d’adhésion de Mme Lehouillier Rail, qu’à la deuxième journée d’audience. C’est donc que Mme Lehouillier Rail a raison de signaler que celui-ci ne lui avait jamais été remis auparavant malgré ses nombreuses demandes antérieures.
[39] Celui-ci énonce notamment que :
(PRÉAMBULE): Lorsque le détenteur signe la carte (…) portant son nom imprimé en relief, ou lorsqu'il s'en sert pour la première fois ou autorise un tiers à s'en servir après l'avoir signée, il accepte les conditions d'utilisation suivantes (…):,
(…)
Article 19: Aux fins du présent contrat, l'émission de la carte tient lieu de signature du commerçant et l'utilisation de la carte par le consommateur tient lieu de signature du consommateur.
[40] Par sa lettre du 23 octobre 2006, produite sous P-14, Visa Desjardins prétend que le préambule énonce aussi que le détenteur se porte solidairement responsable de toute dette contractée relativement à l'utilisation de la carte. Manifestement, cette référence est faite en lien avec un autre contrat probablement émis ultérieurement. Le Tribunal ne considérera que le contrat entre les parties au moment de l'émission de la carte. Il n'a pas été mis en preuve que ce contrat ait été, par la suite, modifié entre les parties. Cette mention supplémentaire a peu d'incidence de toute façon car elle fait référence au détenteur et non au tiers utilisateur et que le Tribunal n'a pas, dans le cadre du présent dossier, à trancher si la réclamation de Visa Desjardins contre Mme Lehouillier est bien fondée.
1525. La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas; elle n'existe que lorsqu'elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi.
Elle est, au contraire, présumée entre les débiteurs d'une obligation contractée pour le service ou l'exploitation d'une entreprise.
Constitue l'exploitation d'une entreprise l'exercice, par une ou plusieurs personnes, d'une activité économique organisée, qu'elle soit ou non à caractère commercial, consistant dans la production ou la réalisation de biens, leur administration ou leur aliénation, ou dans la prestation de services.
1991, c. 64, a. 1525.
464. Chacun des époux est tenu, tant sur ses biens propres que sur ses acquêts, des dettes nées de son chef avant ou pendant le mariage.
Il n'est pas tenu, pendant la durée du régime, des dettes nées du chef de son conjoint, sous réserve des dispositions des articles 397 et 398.
1991, c. 64, a. 464.
397. L'époux qui contracte pour les besoins courants de la famille engage aussi pour le tout son conjoint non séparé de corps.
Toutefois, le conjoint n'est pas obligé à la dette s'il avait préalablement porté à la connaissance du cocontractant sa volonté de n'être pas engagé.
1991, c. 64, a. 397.
398. Chacun des époux peut donner à l'autre mandat de le représenter dans des actes relatifs à la direction morale et matérielle de la famille.
Ce mandat est présumé lorsque l'un des époux est dans l'impossibilité de manifester sa volonté pour quelque cause que ce soit ou ne peut le faire en temps utile.
1991, c. 64, a. 398.
2157. Le mandataire qui, dans les limites de son mandat, s'oblige au nom et pour le compte du mandant, n'est pas personnellement tenu envers le tiers avec qui il contracte.
Il est tenu envers lui lorsqu'il agit en son propre nom, sous réserve des droits du tiers contre le mandant, le cas échéant.
1991, c. 64, a. 2157.
2158. Le mandataire qui outrepasse ses pouvoirs est personnellement tenu envers le tiers avec qui il contracte, à moins que le tiers n'ait eu une connaissance suffisante du mandat, ou que le mandant n'ait ratifié les actes que le mandataire a accomplis.
1991, c. 64, a. 2158.
2159. Le mandataire s'engage personnellement, s'il convient avec le tiers que, dans un délai fixé, il révélera l'identité de son mandant et qu'il omet de le faire.
Il s'engage aussi personnellement s'il est tenu de taire le nom du mandant ou s'il sait que celui qu'il déclare est insolvable, mineur ou placé sous un régime de protection et qu'il omet de le mentionner.
1991, c. 64, a. 2159.
12. Aucuns frais ne peuvent être réclamés d'un consommateur, à moins que le contrat n'en mentionne de façon précise le montant.
1978, c. 9, a. 12.
13. Est interdite la stipulation qui impose au consommateur, dans le cas d'inexécution de son obligation, le paiement de frais autres que l'intérêt couru.
Le présent article ne s'applique pas à un contrat de crédit.
1978, c. 9, a. 13; 1980, c. 11, a. 105.
(…)
27. Sous
réserve de l'article 29, le commerçant doit signer et remettre au consommateur
le contrat écrit dûment rempli et lui permettre de prendre connaissance de ses
termes et de sa portée avant d'y apposer sa signature.
1978, c. 9, a. 27.
28. Sous réserve de l'article 29, la signature des parties doit être apposée sur la dernière page de chacun des doubles du contrat, à la suite de toutes les stipulations.
1978, c. 9, a. 28
29. Les articles 27 et 28 ne s'appliquent pas à un contrat de crédit variable conclu pour l'utilisation de ce qui est communément appelé carte de crédit. Dans le cas d'un tel contrat, l'émission de la carte tient lieu de signature du commerçant et l'utilisation de la carte par le consommateur tient lieu de signature du consommateur.
1978, c. 9, a. 29.
(…)
118. Le contrat de crédit variable est le contrat par lequel un crédit est consenti d'avance par un commerçant à un consommateur qui peut s'en prévaloir de temps à autre, en tout ou en partie, selon les modalités du contrat.
Le contrat de crédit variable comprend notamment le contrat conclu pour l'utilisation de ce qui est communément appelé carte de crédit, compte de crédit, compte budgétaire, crédit rotatif, marge de crédit, ouverture de crédit et tout autre contrat de même nature.
1978, c. 9, a. 118.
(…).
120. Nul ne peut émettre une carte de crédit pour un consommateur ni lui en faire parvenir une si le consommateur ne l'a pas sollicitée par écrit.
1978, c. 9, a. 120.
121. L'article 120 ne s'applique pas au renouvellement ou au remplacement, aux mêmes conditions, d'une carte de crédit que le consommateur a sollicitée ou utilisée.
Nul ne peut, cependant, renouveler ou remplacer une carte de crédit lorsque le consommateur a avisé par écrit l'émetteur de la carte de son intention d'annuler cette carte.
1978, c. 9, a. 121.
122. Nul ne peut émettre plus d'une carte de crédit portant le même numéro, sauf à la demande écrite du consommateur partie au contrat de crédit variable.
1978, c. 9, a. 122.
(…)
129. Malgré l'article 98, le commerçant peut modifier le contrat de crédit variable pour augmenter la somme exigible à titre de frais d'adhésion ou de renouvellement ou le taux de crédit.
Le commerçant doit, selon les modalités de temps prescrites par règlement, expédier au consommateur un avis contenant exclusivement les clauses modifiées, anciennes et nouvelles, et la date de l'entrée en vigueur de l'augmentation.
La modification unilatérale d'un contrat de crédit variable non conforme au présent article est inopposable au consommateur.
1978, c. 9, a. 129; 1984, c. 27, a. 85.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.
1991, c. 64, a. 7.
2. Une personne ne peut, dans le recouvrement d'une créance, faire, par quelque moyen que ce soit, une représentation fausse ou trompeuse.
Aux fins du présent article, une représentation comprend une affirmation, un comportement ou une omission.
1979, c. 70, a. 2.
3. Une personne ne peut, dans le recouvrement d'une créance:
(…)
2° communiquer avec le débiteur si celui-ci l'a avisé par écrit de communiquer avec son conseiller juridique;
2.1° communiquer oralement avec le débiteur avant l'introduction d'une demande en justice si celui-ci l'a avisée, par écrit, que la créance est contestée et qu'il souhaite que le créancier s'adresse aux tribunaux; toutefois, pour le recouvrement d'une créance par le gouvernement ou l'un de ses ministères, cette interdiction ne s'applique qu'à l'expiration d'un délai de 120 jours suivant l'envoi d'une demande de paiement de la créance ;
3° faire du harcèlement, des menaces ou de l'intimidation;
(…)
7° réclamer une somme d'argent à une personne autre que le débiteur ou sa caution ;
8° communiquer oralement avec une personne qu'elle croit être le débiteur lorsque celle-ci lui a indiqué, lors d'une première communication, qu'elle ne l'était pas.
La seule menace d'exercer un droit reconnu par une loi ou un règlement n'est pas une menace au sens du paragraphe 3°.
1979, c. 70, a. 3; 1996, c. 2, a. 843; 2002, c. 6, a. 152; 2006, c. 56, a. 11.
4. Une personne ne peut, dans le but de recouvrer une créance, communiquer avec l'époux ou le conjoint uni civilement, les membres de la famille, les amis, les connaissances, les voisins ou l'employeur du débiteur sauf, une seule fois, pour obtenir l'adresse ou le numéro de téléphone du débiteur si elle ne connaît pas ces renseignements ; elle peut toutefois, dans le but de recouvrer sa créance, communiquer avec l'une ou l'autre de ces personnes lorsque celle-ci s'est portée caution du débiteur.
Une personne qui, dans le but de recouvrer une créance, communique avec un débiteur ou une personne visée dans le premier alinéa doit s'identifier.
À moins d'une autorisation expresse du débiteur ou de la caution, une personne ne peut, dans le but de recouvrer une créance, communiquer avec ce débiteur ou cette caution à son travail, sauf une seule fois dans l'un ou l'autre des cas suivants :
1° elle ne connaît ni l'adresse ni aucun autre numéro de téléphone lui permettant de joindre le débiteur ou la caution ;
2° elle a tenté en vain de joindre le débiteur ou la caution par téléphone à son domicile.
1979, c. 70, a. 4; 2006, c. 56, a. 12.
4.1. Le paragraphe 7° du premier alinéa de l'article 3 et l'article 4 n'ont pas pour effet de limiter l'exercice d'un droit ou d'un pouvoir prévu par une autre loi.
2006, c. 56, a. 13.
(…)
45. On ne peut déroger à la présente loi par une convention particulière.
1979, c. 70, a. 45.
(…)
49. Si une personne manque à une obligation que lui impose la présente loi ou un règlement, la personne qui en subit un préjudice peut demander des dommages-intérêts.
1979, c. 70, a. 49.
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
1991, c. 64, a. 3.
(…)
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.
1991, c. 64, a. 35; 2002, c. 19, a. 2.
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
1975, c. 6, a. 4.
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
1975, c. 6, a. 5.
(…)
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
1975, c. 6, a. 49; 1999, c. 40, a. 46.
[41] La demanderesse est d'abord d'avis qu'elle ne doit aucun des montants qui lui sont réclamés. Elle fait aussi valoir que Visa Desjardins n'aurait pas dû se comporter ainsi à son égard. Le transfert de compte à son nom, les appels et lettres répétés constituent, selon elle, du harcèlement et elle demande d'être indemnisée pour les préjudices subis.
[42] Visa Desjardins prétend essentiellement qu’il y a lieu de considérer que la demanderesse a fait une demande d’adhésion à titre de cotitulaire de la carte de M. André Rail, que la demande de radiation de son nom sur le compte de ce dernier n’en était pas une de ne pas se rendre responsable du compte et enfin que l’utilisation ponctuelle par Mme Lehouillier Rail de la carte de M. Rail avait pour effet de la rendre responsable solidairement du compte.
[43] D'abord, il n'appartient pas au Tribunal, dans le cadre du présent litige, de décider si oui ou non Mme Lehouillier Rail doit les montants réclamés par Visa Desjardins. Cette dernière a annoncé un recours civil à cet égard et, s'il y a lieu, il appartiendra au Tribunal qui en sera saisi d'en décider. La vraisemblance de recours ou l'absence de vraisemblance de recours peut néanmoins être pertinente pour décider s'il y a ou non harcèlement.
[44] En principe la solidarité ne se présume pas, elle doit être clairement établie par contrat ou par la loi.[7] La loi le prévoit autrement, notamment lorsqu'une dette a été contractée pour le service ou l'exploitation d'une entreprise[8] ou par l’époux pour les besoins courants de la famille[9] et dans certains cas spécifiques par le mandataire.[10]
[45] Mme Nicole Lehouillier se marie à M. André Rail le 30 décembre 1976 sous le régime matrimonial de la société d’acquêts. Sous ce régime matrimonial, une personne n’est pas tenue des dettes nées du chef de son conjoint.[11] Dans tous les cas cependant, même en séparation de biens, celui qui contracte pour les besoins courants de la famille engage aussi pour le tout son conjoint.[12]
[46] Sauf circonstances spécifiques, le ou la mandataire d'une personne n'est pas tenu des dettes de celle-ci.[13] Ainsi, à moins de dispositions contractuelles spécifiques, une autorisation ponctuelle faite à une personne d’utiliser une carte de crédit ne la rend pas responsable solidairement de l’ensemble du compte. La loi prévoit que l’utilisation de la carte par le détenteur vaut signature du contrat et non pas qu’un tiers devient solidairement responsable du compte du détenteur de la carte.
[47] En l'espèce, lorsque la demanderesse a demandé à la défenderesse de radier son nom à titre de cotitulaire de la carte de crédit de son époux André Rail, elle n'était plus tenue de la responsabilité solidaire à laquelle elle s'était possiblement initialement engagée contractuellement à l'égard d'un compte spécifique de celui-ci. Néanmoins, il n'est pas impossible que Mme Lehouillier Rail puisse être tenue personnellement responsable de certains montants. La preuve n'a pas départagé le type de chacune des transactions. Il n'est pas pertinent de le faire pour trancher le présent litige. Notons toutefois qu'à priori il existe des fondements légaux qui peuvent appuyer des prétentions de réclamation à l'égard de Mme Lehouillier Rail du seul fait qu'elle soit son épouse, qu’elle a possiblement fait des achats pour les besoins courants de la famille et encore davantage si elle est impliquée dans l'entreprise de son époux.
[48] Ainsi, en soi, les prétentions que la demanderesse puisse être débitrice de certains montants ne sont pas farfelues et ne peuvent être considérées en elles-mêmes comme du harcèlement. Des prétentions à un droit, même erronées, ne sont pas, en soi, porteuses de harcèlement dans la mesure où les moyens pour les faire valoir demeurent légitimes et légaux.
[49] Dans un premier temps, le Tribunal note que Visa Desjardins s'est autorisée à transférer complètement le compte de M. Rail, dans les semaines suivant sa proposition concordataire, au nom de Mme Lehouillier Rail sans aucune distinction à l'égard des montants. La prétention suivant laquelle celle-ci s'était engagée, par sa signature, solidairement responsable du compte ne peut valoir dans le contexte où elle avait demandé la radiation de son nom à titre de cotitulaire de la carte de M. Rail. Le Tribunal ne peut qu'être étonné de la prétention suivant laquelle il aurait fallu qu'elle spécifie ne plus être solidairement responsable pour se dégager de sa responsabilité. Le mot radier est suffisamment clair de sens.
[50]
En supposant même que les prétentions de Visa Desjardins contre Mme
Lehouillier Rail soient valables à certains égards et qu'elle puisse être
reconnue débitrice relativement à certains montants en faisant les distinctions
requises si on les lui réclame à titre d'épouse, de mandataire ou de personne
impliquée dans l'entreprise de son conjoint, il est peu probable que cela
autorise le transfert du compte complet au nom de la demanderesse.
[51] De la même façon, dans le contexte où les parties ont eu bon nombre de communications, le Tribunal ne peut qu'être étonné que ce n'est qu’à la deuxième journée d'audience à la cour que Mme Lehouillier Rail a pu obtenir une copie du contrat entre les parties. Les commettants de Visa Desjardins ont toujours prétendu auprès de Mme Lehouillier Rail qu'ils s'appuyaient sur sa signature pour l'inscrire comme codébitrice. Elle avait pourtant demandé ce document à moult reprises. Il semble aussi que ce n'est que lors de la communication des pièces avant l'audience que Visa Desjardins lui a fait parvenir sa demande d'adhésion faite en mai 1996. Elle a pu alors faire valoir qu'elle avait demandé la radiation de son nom pour la carte 4540 XXXX XXXX 2024 à titre de cotitulaire de la carte de M. Rail.
[52] Suivant la réception des premiers relevés de compte à son nom, elle reçoit également des appels quatre à cinq fois par jour, y compris à la maison et au bureau. Or, suivant la Loi sur le recouvrement de certaines créances,[14] Visa Desjardins ne pouvait communiquer avec la demanderesse au travail, puisqu'elle connaissait ses coordonnées à la résidence et qu'elle les utilisait.
[53] Mme Lehouillier Rail les informe immédiatement qu'elle conteste ce compte, qu'elle n'est pas titulaire de la carte et demande une copie de tout document qui la rendrait responsable du compte. Elle ne les obtient jamais et les communications persistent.
[54] L'esprit de la loi est qu'une personne qui a des prétentions d'obligations juridiques contre un présumé débiteur doit le mettre en demeure de s'exécuter et, en cas d'omission de le faire, peut le poursuivre devant les tribunaux aux fins de faire trancher le litige. Évidemment, de nombreuses situations surviennent. Dans certains cas, les débiteurs admettent devoir la totalité ou une partie du montant; dans d'autres, les débiteurs chercheront à négocier les modalités de paiement, requerront plus d'informations ou encore afficheront une mauvaise foi et une mauvaise volonté à faire face à leurs obligations et tenteront délibérément de s'esquiver. Ainsi, chaque situation en demeure une d'espèce. Bon nombre de cas requerront de multiples communications et s'expliqueront valablement. Il est certain que ceux qui cherchent à s'esquiver engendrent, par leur attitude, une série de démarches pour le créancier qui se doit quelquefois d'être inventif, ne serait-ce que pour les retrouver.
[55] En l'espèce, la preuve ne permet d'établir aucune tentative d'esquive ni mauvaise foi de la part de Mme Lehouillier Rail. Elle a simplement avisé Visa Desjardins qu'elle contestait leurs prétentions suivant lesquelles elle devenait débitrice du compte de son époux. Vu que cela était clair, il aurait suffi à Visa Desjardins d'entreprendre des procédures.
[56] Dès la réception des lettres de Mme Lehouillier Rail des 11, 14, 25 et 28 août 2006 établissant clairement sa contestation de leurs prétentions et les sommant de cesser toute communication téléphonique, Visa Desjardins aurait dû se conformer aux articles 3 et 4 de la Loi sur le recouvrement de certaines créances.[15]
[57] Malheureusement, les appels se poursuivent alors. Parfois, ils proviennent d'un agent et, parfois, du système informatisé générateur d'appel automatique. Ces appels se font à son travail et à son domicile sur une base continue, répétée et indue. Les 26 et 27 septembre, les numéros de téléphone à la résidence et au lieu de travail de Mme Lehouillier Rail sont retirés du système automatisé générateur d'appel. Néanmoins, le Tribunal retient de la preuve que cette dernière continue à recevoir des appels des agents.
[58] Indépendamment de la question de savoir s'il y a eu ou non harcèlement, le Tribunal constate qu'il y a eu violation de la Loi sur le recouvrement de certaines créances[16] à deux égards : en ayant communiqué chez l'employeur de la demanderesse, bien que la défenderesse connaisse ses coordonnées à sa résidence, et en continuant les communications téléphoniques malgré une demande écrite de les cesser, alors que le bien-fondé de la créance était contesté. Il n’est pas nécessaire que le verbatim des articles 3 et 4 de la Loi sur le recouvrement de certaines créances[17] soit transcrit dans la lettre; il suffit que les termes soient suffisamment clairs pour noter l’opposition d’une personne à la créance alléguée.
[59] Le Tribunal est aussi d'avis qu'il y a eu harcèlement. Le fait d'appeler cinq fois par jour un débiteur de façon répétée, de signaler qu'un message important lui est destiné, de le soumettre à l'attente d'un système informatisé et d'un agent et de continuer à prétendre à la responsabilité à 100% sans fournir les documents à l'appui constitue du harcèlement. En l'espèce, la demanderesse était en mesure de voir sur son afficheur téléphonique la provenance des appels. Tant qu'elle ne répondait pas, le système persistait à appeler cinq fois par jour jusqu'à 20h00 à sa résidence et à son lieu de travail, alors qu’elle avait fait savoir qu'elle contestait sa responsabilité à l'égard du compte qui lui est transféré.
[60] Une personne a le droit de contester une réclamation qui lui est faite. Les tribunaux peuvent trancher tout litige entre des parties. Une fois que le créancier est avisé de la contestation et que les communications pour fins d'informations ou de négociations sont complétées, une personne est en droit de s'attendre à ne pas être soumise à des rappels répétés et incessants qui sont de nature à causer des tourments ou de l'intimidation. Il est fort légitime qu'un créancier fasse des démarches pour percevoir les montants qui lui sont dus; la loi vise cependant à éviter les abus. Le Tribunal est donc d’avis que la réclamation est bien fondée et que la demanderesse a le droit d'être indemnisée suite aux torts qui lui ont été causés.
[61] Les appels répétés sont de nature à atteindre la vie privée d'une personne. Chacun est présumé avoir droit à la quiétude de son domicile. En l'espèce, il ressort très clairement de la preuve que Mme Lehouillier Rail a été considérablement dérangée par ces appels. Elle n’a pas été traitée de façon à respecter sa dignité. Ses demandes de lui fournir les documents explicatifs demeuraient vaines. Ses explications répétées et l'affirmation qu'elle était bien fondée de contester sont demeurées lettres mortes. Elle a dû, à de nombreuses reprises, répondre par téléphone et écrire à la défenderesse. Ces lettres demeurant sans réponse, elle a écrit à l'Office de la protection du consommateur, au syndic de faillite de son époux et à l'Autorité des marchés financiers. Son conjoint vivait, à ce moment, des difficultés financières et elle devait vivre ce harcèlement de la part de la défenderesse. Le Tribunal est d'avis que la somme de 3 000 $ est bien fondée en regard des dommages pour compenser le stress, les ennuis, troubles et inconvénients causés à Mme Lehouillier Rail.
[62] La demanderesse demande aussi des dommages exemplaires. La représentante de Visa Desjardins affirme qu'elle fait affaire avec un très grand nombre de débiteurs et qu'il lui faut prendre notamment des moyens automatisés pour maximiser le recouvrement des créances en péril. Le Tribunal reconnaît d'emblée la légitimité de cette préoccupation. Cependant, il soumet respectueusement qu'en l'espèce l'ensemble des démarches concernant Mme Lehouillier Rail n'a pas respecté la spécificité de sa situation, notamment le fait qu'elle contestait le bien-fondé de la réclamation. Même ses mises en demeure ne sont pas parvenues à lui procurer la paix.
[63] Le Tribunal est d'avis de ne pas retenir l'argument de bonne foi de la défenderesse. La Loi sur le recouvrement de certaines créances[18] existe déjà depuis plus de 25 ans. Devant l'importance de l'institution financière, le Tribunal ne peut accepter qu'elle n'ait pas connaissance de cette loi. Il y a eu, en l'espèce, aveuglement volontaire devant le fait que le système de perception des comptes à l'égard de Mme Lehouillier Rail n'était pas adapté à la Loi sur le recouvrement de certaines créances[19] ni non plus en lien avec sa situation, alors qu'elle contestait le bien-fondé de la réclamation et devant le fait qu'il pouvait mener à du harcèlement. Le Tribunal est d'avis que l’institution financière défenderesse n'a pu qu'agir en toute connaissance de cause des conséquences probables pour la demanderesse de ses agissements et qu’elle doit assumer maintenant un dédommagement punitif. Ainsi, le Tribunal est d'avis de condamner la défenderesse à payer 3 000 $ supplémentaires en dommages-intérêts exemplaires.
[64] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[65] ACCUEILLE la requête de la demanderesse, Mme Nicole Lehouillier Rail;
[66] CONDAMNE la défenderesse, Visa Desjardins, à payer à la demanderesse, Mme Nicole Lehouillier Rail, la somme de 6 000 $ plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec[20] depuis la mise en demeure du 30 octobre 2006;
[67] CONDAMNE la défenderesse, Visa Desjardins, à payer à la demanderesse, Mme Nicole Lehouillier Rail, les dépens, soit le montant de 149 $ plus les intérêts au taux légal depuis le présent jugement.
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__________________________________ NORMAND BONIN, J.C.Q. |
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Dates d’audience : |
23 et 24 avril 2007 |
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[1] Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.
[2] Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q. c. P-40.1.
[3] Code civil du Québec, supra note 1, art. 7.
[4] Loi sur le recouvrement de certaines créances, L.R.Q. c. R-2.2.
[5] Code civil du Québec, supra note 1.
[6] Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12.
[7] Code civil du Québec, supra note 1, art. 1525.
[8] Ibid.
[9] Ibid., art. 397.
[10] Ibid., art. 2157 à 2159.
[11] Ibid., art. 464. (Code civil du Québec (1980), art. 496 et Code civil du Bas-Canada, art. 1266p.)
[12] Ibid., art. 397. (Code civil du Québec (1980), art. 446)
[13] Ibid., art. 2157 à 2159.
[14] Loi sur le recouvrement de certaines créances, supra note 4.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] Ibid., art. 3 et 4.
[18] Ibid.
[19] Ibid.
[20] Code civil du Québec, supra note 1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.