Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

CSSS du Haut-Richelieu/Rouville

2011 QCCLP 1172

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

17 février 2011

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

368397-62B-0901-R

 

Dossier CSST :

127667293

 

Commissaire :

Diane Lajoie, juge administratif

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

CSSS du Haut-Richelieu/Rouville

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 30 juillet 2010, l’employeur, CSSS du Haut-Richelieu/Rouville, dépose une requête en révision d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 juin 2010.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de l’employeur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 6 janvier 2009, à la suite d’une révision administrative et déclare que le coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse, madame Marie-Josée Laroche, le 7 mai 2005 doit être imputé en totalité à l’employeur.

[3]           À l’audience tenue à St-Hyacinthe le 13 décembre 2010, l’employeur est représenté par sa procureure. L’affaire est prise en délibéré ce même jour.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 29 juin 2010 parce qu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Il demande au tribunal de déclarer qu’il a droit à un partage de coûts de l’ordre de 5 % à son dossier et de 95 % aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS

[5]           Le 7 mai 2005, la travailleuse, une infirmière alors âgée de 50 ans, subit une lésion professionnelle, à la suite d’une chute dans un escalier. Les diagnostics d’entorse lombaire et de contusions multiples sont retenus en lien avec l’événement.

[6]           La travailleuse est traitée en physiothérapie, ergothérapie, massothérapie et ostéopathie. Elle reçoit aussi des blocs facettaires qui ont toutefois peu modifié sa condition.

[7]           Le 9 juillet 2005, la travailleuse passe une résonance magnétique cervico-dorsolombaire. Le docteur Thi-Tam Pham décrit en L3-L4, une très discrète hernie, sans compression radiculaire. Cette hernie apparaît inchangée par rapport à la tomodensitométrie du 8 mai 2005. En L5-S1, il y a un pincement modéré. Il existe un signal anormal. Le radiologiste indique qu’il pourrait s’agir de modifications dégénératives de type Modic I plutôt qu’un œdème osseux post traumatique. Il existe par ailleurs un petit nodule de Schmorl avec un peu d’œdème adjacent. Il y a une légère protrusion avec une petite hernie à large base. Il y a une légère arthrose facettaire bilatérale, le tout causant un rétrécissement modérément important des trous de conjugaison.

[8]           Le 12 octobre 2005, la travailleuse subit une scanographie des membres inférieurs. Cet examen révèle que le membre inférieur gauche (77.5 cm) est plus long que le membre inférieur droit (76.5).

[9]           Le 9 janvier 2006, la travailleuse est examinée par le docteur Claude Jean-François, chirurgien orthopédiste. Il conclut que l’examen physique clinique ne met pas en évidence d’atteinte neurologique. Les allégations de douleurs lombaires gauches qui sont rapportées dans différentes situations ne permettent pas de relier ces allégations de douleurs avec une structure pathologique au niveau de la colonne lombaire. Enfin, selon le docteur Jean-François, les examens de type résonance magnétique cervicale, dorsale et lombaire semblent être en faveur d’une dégénérescence discale et d’arthrose dégénérative plutôt que de hernies discales cliniques.

 

[10]        Le médecin conclut à des diagnostics d’entorse lombaire et contusion à la suite de la chute dans l’escalier le 7 mai 2005. Il conclut également à de la dégénérescence discale et de l’arthrose dégénérative étagée cervicale basse et lombaire. Il conclut enfin à une possibilité de contusion du nerf cubital gauche ancienne. Il estime que la lésion n’est pas consolidée.

[11]        Le docteur Jean-François revoit la travailleuse le 9 juin 2006 et conclut à la consolidation de la lésion. Il reconnaît des limitations fonctionnelles et évalue le déficit anatomophysiologique à 5 % pour une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles.

[12]        L’électromyogramme du 19 avril 2006 révèle des anomalies suggérant une neuropathie cubitale gauche ancienne chronique.

[13]        Le 12 septembre 2006, la travailleuse est examinée par le docteur Jodoin, orthopédiste, membre du Bureau d'évaluation médicale.  L’examen révèle des mouvements de la colonne lombaire limités. Il n’y a pas de signes neurologiques. La longueur des membres inférieurs est mesurée à 85 cm, de chaque côté.

[14]        Considérant les diagnostics d’entorse lombaire et de contusions multiples, considérant l’ensemble des traitements administrés, considérant la stabilité de la condition et considérant qu’il s’agit maintenant d’une condition chronique, le membre du Bureau d'évaluation médicale retient que la lésion est consolidée le 9 juin 2006, sans nécessité de traitement.

[15]        Il évalue le déficit anatomophysiologique à 2 % pour une entorse lombaire avec séquelles objectivées et reconnaît à la travailleuse les limitations fonctionnelles suivantes :

Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

 

- soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 10 kg;

- travailler en position accroupie;

- ramper, grimper;

- effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire.

 

 

[16]        Le 2 octobre 2006, la travailleuse subit une scintigraphie osseuse et tomoscintigraphie de la colonne dorsolombaire.  Le docteur Taillefer conclut que l’hyperconcentration de légère à modérée décrite au niveau de la portion distale des apophyses épineuses de L3-L4-L5 est compatible avec une enthésopathie localisée à ce niveau.

[17]        Le 5 octobre 2006, la CSST rend une décision en conséquence de l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale.

[18]        Le 11 octobre 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que la lésion professionnelle entraîne pour la travailleuse une atteinte permanente de 2,20 %.

[19]        Les décisions des 5 et 11 octobre 2006 sont confirmées le 12 décembre 2006, à la suite d’une révision administrative.

[20]        Le 26 février 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que la travailleuse est capable d’occuper son emploi à compter du 26 février 2007 et que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu cesse à cette date. Cette décision sera confirmée le 29 juin 2007, à la suite d’une révision administrative.

[21]        Le 28 mai 2007, l’employeur présente une demande de partage de coûts à la CSST. Il soumet que la travailleuse était déjà handicapée au moment de la lésion professionnelle, au sens de l’article 329 de la loi.

[22]        Le 11 juin 2007, la CSST refuse de reconnaître que la travailleuse a subi le 29 janvier 2007 une récidive, rechute ou aggravation. Le 14 septembre 2007, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative par laquelle elle déclare irrecevable la demande de révision présentée par la travailleuse à l’encontre de cette décision.

[23]        Le 8 juillet 2008, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que l’employeur n’a pas démontré que la travailleuse présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. En conséquence, la décision d’imputer à l’employeur la totalité des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse demeure inchangée. La CSST confirme cette décision le 6 janvier 2009, à la suite d’une révision administrative. L’employeur a contesté cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.

[24]        Une audience a été fixée devant la Commission des lésions professionnelles. Cependant, l’employeur, par sa procureure, a renoncé à cette audience et a présenté, au soutien de ses prétentions, une opinion médicale et une argumentation écrite.

[25]        Dans cette argumentation, l’employeur soumet que les conditions personnelles de la travailleuse, soit une maladie discale dégénérative au niveau lombaire, particulièrement en L5-S1, compliquée de changements Modic I, ainsi qu’une différence de un centimètre entre ses deux membres inférieurs sont significatives et équivalent à un handicap, tel que défini par la jurisprudence. L’employeur réfère le tribunal à l’opinion du docteur Yvan Comeau, chirurgien orthopédiste, produite au soutien de son argumentation.

[26]        L’employeur réfère également aux critères retenus par la jurisprudence permettant d’analyser l’impact de la déficience sur la lésion professionnelle et ses conséquences.

[27]        Il plaide que selon la jurisprudence du tribunal, il faut tenir compte, aux fins d’établir le pourcentage du partage de coûts accordé, non seulement de la prolongation de la période de consolidation, mais aussi de l’impact du handicap sur la lésion et l’ensemble de ses conséquences.

[28]        Tel que mentionné, l’employeur produit, au soutien de son argumentation, l’opinion du docteur Comeau. Dans cette opinion rendue à partir du dossier, le docteur Comeau décrit en premier lieu l’événement survenu au travail le 7 mai 2005. Il passe ensuite en revue l’ensemble du dossier médical de la travailleuse en décrivant, entre autres, les résultats des différents examens paracliniques.

[29]        Au chapitre de la discussion de son opinion, le docteur Comeau se demande si la travailleuse présente un handicap. Il établit que les diagnostics retenus en lien avec l’événement à titre de lésion professionnelle sont ceux d’entorse lombaire et de contusions multiples.

[30]        Afin de déterminer la condition lombaire que présentait la travailleuse au moment de l’événement, le docteur Comeau réfère aux résultats de la résonance magnétique passée le 9 juillet 2005. Il retient la présence au niveau L5-S1 d’un signal correspondant à des modifications dégénératives de type Modic I. Selon le docteur Comeau, les modifications de type Modic I représentent un processus inflammatoire au niveau du contour supérieur du corps vertébral de S1 en contact avec le disque intervertébral. Ce processus Modic I est toujours associé à un processus dégénératif avancé en évolution depuis plusieurs années. Ce qui signifie, à son avis, qu’au moment de l’événement, la travailleuse est porteuse d’une maladie dégénérative de longue date.

[31]        Il ajoute qu’il est maintenant reconnu que la maladie discale dégénérative, c’est-à-dire la dégénérescence discale, n’est pas une condition inévitable du vieillissement. Il explique en quoi ces deux conditions diffèrent et leurs effets sur le disque.

[32]        Le docteur Comeau rapporte que différentes études ont démontré que la maladie discale dégénérative fragilise anormalement la condition pour des périodes aiguës de douleur. Il explique de quelle façon la maladie dégénérative discale fragilise le disque.

[33]        De plus, cette maladie prolonge indûment  le temps de consolidation et entraîne souvent des limitations fonctionnelles, empêchant la personne de reprendre ses activités normales.

[34]        Le docteur Comeau souligne que la travailleuse présente de plus un pincement modéré du disque, ce qui entraîne une pression au niveau des facettes et favorise la dégénérescence des surfaces cartilagineuses, d’où la présence d’arthrose, aussi constatée chez la travailleuse au niveau L5-S1. Ce pincement, associé à l’arthrose, a pour conséquence de provoquer une instabilité mécanique du segment atteint et le fragilise.

[35]        Selon le docteur Comeau, le processus dégénératif discal et facettaire prolonge de façon indue les phénomènes douloureux au-delà de la phase inflammatoire post traumatique normale.

[36]        Il mentionne que des études récentes ont démontré que les changements de type Modic I sont des réactions d’hypervascularisation et d’inflammation au niveau du plateau vertébral adjacent et en communication avec le disque intervertébral. Sur le plan clinique, ces études ont démontré qu’il y avait un haut taux de douleur lombaire associée à la maladie discale dégénérative compliquée de changements de type Modic,  surtout au niveau L5-S1, comme c’est le cas chez la travailleuse.

[37]        Le docteur Comeau écrit que la maladie discale dégénérative constitue en fait une pathologie ce qui en fait d’emblée une condition nettement hors-norme biomédicale.

[38]        L’imagerie par résonance magnétique a mis en évidence chez la travailleuse la présence d’une maladie discale dégénérative avancée au niveau L5-S1, compliquée de changements de type Modic I, représentant une fragilité toute particulière, prédisposant à des lombalgies significatives et potentiellement handicapantes à long terme.

[39]        Il affirme que la maladie discale dégénérative est d’origine multifactorielle. Toutefois, les facteurs génétiques sont les plus dominants, et ce, à une hauteur de 70 % au niveau lombaire.

[40]        Il résume en écrivant que les personnes porteuses de gènes défavorables seront plus prédisposées et fragilisées pour développer des maladies discales dégénératives. Des études ont permis de mettre en évidence des gènes qui sont particulièrement impliqués dans les changements de type Modic I, II et III. Aussi, seule une minorité de personnes avec des gènes défavorables entraînant une maladie discale dégénérative vont évoluer vers la complication ultime de hernie discale ou vont développer des changements de type Modic. D’ailleurs, les changements de type Modic, qui  sont fortement associés à la dégénérescence discale avancée et à la lombalgie, ne se retrouvent que dans une petite portion de la population, soit aux environs de 26 %.

[41]        Enfin, le docteur Comeau est d’avis que le handicap de la travailleuse n’a joué aucun rôle sur la survenance de l’événement.

[42]        Toutefois, alors qu’une entorse guérit habituellement en six semaines, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, chez les personnes affectées par une maladie discale dégénérative sévère, comme la travailleuse, une entorse traumatique de ce genre provoque une cascade de conséquences aggravantes sur le plan douloureux au niveau du disque dégénéré. Ceci s’explique entre autres par la présence de terminaisons nerveuses nociceptives au niveau du disque dégénératif douloureux.

[43]        La persistance de phénomènes douloureux au-delà de la phase inflammatoire post-traumatique entraîne une neurosensibilisation centrale qui nécessite la reconnaissance de limitations fonctionnelles.

[44]        En conclusion, le docteur Comeau estime que l’employeur est justifié de demander un partage de coûts . Il écrit :

« En résumé, nous pouvons conclure que le processus dégénératif particulièrement sévère chez Madame Laroche a contribué à aggraver sérieusement le traumatisme pour le rendre plus douloureux que ce à quoi nous aurions dû nous attendre chez une personne normale. Ce handicap dégénératif a également prolongé considérablement le délai de consolidation. Et il a finalement rendu nécessaire des restrictions fonctionnelles permanentes en raison de l’impossibilité de venir à bout du processus douloureux chronique imputable à une neurosensibilisation centrale.»

 

 

[45]        Le docteur Comeau a produit de la littérature médicale au soutien de son opinion[1].

[46]        En conséquence, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un partage de coûts de l’ordre de 5% à son dossier et de 95% aux employeurs de toutes les unités.

[47]        Le 29 juin 2010, la Commission des lésions professionnelles[2] rend une décision par laquelle elle rejette la requête de l’employeur et déclare que la totalité des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse, madame Marie-Josée Laroche le 7 mai 2005, doit être imputée à l’employeur.

[48]        Dans cette décision, le premier juge administratif expose ainsi les faits :

[6]        ATTENDU que la travailleuse est âgée de 50 ans, occupe un emploi d’infirmière pour l’employeur lorsque, le 7 mai 2005, elle trébuche dans un escalier; elle consulte le même jour pour une entorse lombaire et une contusion à la hanche gauche; la lésion est acceptée par la CSST en relation avec une entorse lombaire et des contusions multiples;

 

[7]        ATTENDU que le 9 juillet 2005, la travailleuse passe un examen par résonance magnétique de la colonne cervico-dorso-lombaire qui révèle, au niveau L3-L4, une très discrète hernie à large base en post-foraminale gauche et à L5-S1, une légère protrusion discale circulaire avec des changements au niveau des plateaux, compatible avec une discopathie;

 

[8]        ATTENDU que le 1er décembre 2005, la travailleuse passe un examen par tomodensitométrie de la colonne lombaire qui révèle, notamment des signes de discopathie L5-S1, et ce, sans évidence de hernie discale;

 

[9]        ATTENDU que le 9 juin 2006, la travailleuse est examinée par le docteur Claude Jean-François, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur; ce dernier retient les diagnostics d’entorse lombaire, d’arthrose dégénérative cervicale basse, dorsale et lombaire, et ce, avec une dégénérescence discale associée et de neuropathie cubitale chronique; il estime que la lésion est consolidée le 9 juin 2006, et ce, avec atteinte permanente et des limitations fonctionnelles;

 

[10]      ATTENDU que, par après, la travailleuse est examinée par un médecin du Bureau d’évaluation médicale (BEM) qui émet l’avis que la lésion de cette dernière est consolidée le 9 juin 2006, et ce, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles; puis, la CSST donne suite à cet avis et rend par après une décision de capacité à exercer l’emploi prélésionnel;

 

 

 

[49]        Il réfère ensuite à l’opinion du docteur Comeau, produite par l’employeur, en ces termes :

[12]      ATTENDU que, par après, la procureure de l’employeur dépose son argumentation accompagnée de notes du docteur Yvan Comeau, chirurgien orthopédiste, qui émet l’avis que les anomalies, dont est porteuse la travailleuse, ont favorisé l’apparition de la lésion et la prolongation, de façon appréciable, de la période de consolidation.  

 

 

[50]        Le premier juge administratif cite l’article 329 de la loi et expose les principes de droit applicables :

[16]      CONSIDÉRANT que le handicap se définit comme étant une déficience congénitale ou acquise équivalant à une perte de substance ou à l’altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique, mais qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale2;

 

[17]      CONSIDÉRANT que la jurisprudence du tribunal établit que pour bénéficier d’un partage de coût, l’employeur doit démontrer la présence d’un handicap antérieur à la survenance de la lésion professionnelle, de même que son influence sur la production et les conséquences de celle-ci;

 

[18]      CONSIDÉRANT que sur ce dernier aspect, l’employeur doit également démontrer que la déficience a eu une incidence sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences et à cet égard, plusieurs éléments peuvent être considérés3, notamment la nature et la gravité du fait accidentel, le diagnostic initial et l’évolution des diagnostics, la durée de la période de consolidation de la lésion, la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic reconnu, l’existence ou non de séquelles et l’âge du travailleur;

 

[[19]     CONSIDÉRANT cependant qu’aucun de ces paramètres n’est à lui seul décisif, mais considérés ensemble, ils peuvent permettre d’apprécier le bien-fondé de la demande de l’employeur;

 

                                                        

2                     Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST, C.L.P. 115785-32-9905, 17 novembre 1999, M-A. Jobidon.

3                      Hôpital Général de Montréal, [1999] C.L.P. 891                       

 

                  

  

[51]        Enfin, le premier juge administratif écrit : 

[20]      CONSIDÉRANT qu’en l’espèce, l’employeur soumet que la travailleuse était affectée d’un handicap préexistant, ce qui, de l’avis du tribunal, n’a pas été démontré par la preuve administrée, de sorte qu’il n’a pas été établi que cette dernière présentait une ou des déficiences au moment de la lésion professionnelle;

 

 

 

[21]      CONSIDÉRANT qu’à cet égard, le soussigné rappelle qu’il ne suffit pas d’alléguer que la travailleuse a une ou des conditions personnelles pour qu’un handicap soit démontré; sur cet aspect, le tribunal estime que l’opinion du docteur Comeau n’est ni documentée ni basée sur des études spécifiques comme le cas sous espèce, de sorte qu’il ne peut la retenir;

 

[22]      CONSIDÉRANT qu’à cet égard, le soussigné rappelle qu’il ne suffit pas d’alléguer que des changements radiologiques notés à l’imagerie équivalent à une déficience pour qu’un handicap soit démontré, d’autant qu’ici, rien dans la preuve offerte ne convainc le tribunal que lesdites modifications constituent une déviation par rapport à la norme biomédicale chez une travailleuse de 50 ans lors de l’événement;

 

[23]      CONSIDÉRANT que le tribunal rappelle que le dépôt d’un rapport d’expertise médicale n’emporte pas automatiquement la conviction du tribunal, et ce, même s’il s’agit du seul rapport déposé, puisque l’appréciation doit se faire en tenant compte de la valeur probante que l’on y apporte et de l’ensemble de la preuve4;

 

[24]      CONSIDÉRANT que le soussigné rappelle que l’événement et les circonstances de l’accident du travail ne sont pas « banals », puisque les diagnostics retenus sont compatibles avec la lésion démontrée et que de plus, cela n’a pas été contesté par l’employeur; aussi, on ne peut invoquer, comme déficience, la lésion professionnelle elle-même5;

 

[25]      CONSIDÉRANT que, dans les circonstances, le tribunal est d’avis que la preuve d’une déficience n’a pas été faite et il n’a donc pas à en apprécier les conséquences sur la lésion professionnelle;

 

[26]      CONSIDÉRANT qu’en ce qui a trait à la jurisprudence à laquelle réfère la procureure de l’employeur, le tribunal souligne que bien qu’attentif aux principes qui y sont dégagés, il ne peut les appliquer au présent cas, et ce, compte tenu de la preuve alors administrée et que celle-ci comporte des caractéristiques qui lui sont propres;

           

[27]      CONSIDÉRANT que, de l’avis du soussigné, les prétentions de l’employeur ne sont pas supportées, de sorte que la requête doit être rejetée.

 

                                                      

4                     Bouthillier et A. Chalut Auto ltée, C.L.P. 253573-63-0501, 24 mars 2006, D. Beauregard, révision rejetée, 12 décembre 2006, B. Lemay.

5           Association Action Plus LGS inc., C.L.P. 142148-32-0006, 6 avril 2001, M.-A. Jobidon; CAD Railway Services inc., C.L.P. 333678-01C-0711, 27 août 2008, R. Arseneau.

 

 

 

[52]        Le 30 juillet 2010, l’employeur présente une requête en révision de cette décision. Il allègue que contrairement à ce qu’écrit le premier juge administratif, il ne s’est pas contenté d’alléguer que la travailleuse était porteuse de conditions personnelles. Il soumet que ces conditions sont démontrées par les différents examens au dossier. Il plaide de plus que l’opinion du docteur Comeau, qui comporte 22 pages, est documentée et basée sur la littérature médicale dont les références apparaissent dans l’expertise. Cette opinion médicale remplit certainement le fardeau de prépondérance de la preuve.

[53]        L’employeur reproche au premier juge administratif de ne pas avoir expliqué quelle valeur probante il accordait à cette expertise ni au raisonnement du docteur Comeau. Selon l’employeur, la décision du 29 juin 2010 n’est pas suffisamment motivée pour qu’il puisse comprendre le raisonnement du juge administratif et, de façon plus particulière, pourquoi il écarte la conclusion non contredite de l’expert.

[54]        La spécificité du handicap de maladie discale dégénérative avancée au niveau lombaire, particulièrement en L5-S1, compliquée de changements Modic I, ne justifie pas que le juge administratif se base uniquement sur sa seule connaissance d’office pour rejeter la seule preuve médicale pertinente.

[55]        De plus, le handicap identifié par l’employeur est différent de la lésion professionnelle.

[56]        La décision comporte, selon l’employeur, des vices de fond de nature à l’invalider.

[57]        À l’audience, la procureure de l’employeur affirme que la littérature médicale à laquelle réfère le docteur Comeau dans son opinion a été soumise au tribunal, par messager, en même temps que l’argumentation écrite et l’opinion médicale. Elle soumet cette littérature médicale au présent tribunal  (E-1).

[58]        La procureure de l’employeur reprend les arguments formulés dans la requête en révision. Elle demande au tribunal de réviser la décision et de déclarer que l’employeur a droit à un partage de coûts de l’ordre de 5 % à son dossier et de 95 % aux employeurs de toutes les unités, et ce, considérant les arguments soumis dans l’argumentation écrite et considérant l’opinion du docteur Comeau.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[59]        Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 juin 2010.

[60]        L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi) prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

 

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[61]        La loi prévoit un recours en révision ou révocation dans certaines circonstances particulières :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[62]        Ce recours en est un d’exception, dans un contexte où les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel. Ainsi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 est démontré.

[63]        Dans le présent cas, l’employeur  prétend que la décision comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider. Les notions de «vice de fond» et «de nature à l’invalider» ont été interprétées par la Commission des lésions professionnelles. L’interprétation retenue par le tribunal a par la suite été confirmée par la Cour d’appel. Le tribunal retient des enseignements de la jurisprudence que le vice de fond de nature à invalider la décision est une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation[4], une erreur qui est déterminante dans les conclusions atteintes[5].

[64]        Il faut aussi retenir que le pouvoir de révision ne peut être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments[6]. Dans le cadre d’un recours en révision, le présent tribunal ne peut non plus substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle de la première formation. Ce n’est pas non plus une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[7].

[65]        Dans l’affaire CSST c. Touloumi[8], la Cour d’appel écrit qu’une décision attaquée pour vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

[66]        Enfin, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit faire preuve d’une grande retenue puisque la première décision rendue fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée[9].

[67]        Dans la présente affaire, l’employeur invoque de façon plus particulière que la décision du 29 juin 2010 n’est pas motivée. Il estime qu’on ne peut, à la lecture de cette décision, comprendre pourquoi le premier juge administratif n’a pas retenu la seule preuve médicale pertinente et pourquoi il a rejeté la requête de l’employeur.

[68]        Conformément à l’article 429.50 de la loi, une décision de la Commission des lésions professionnelles doit être écrite et motivée.

[69]        La jurisprudence nous enseigne que les critères à retenir quand on invoque une motivation inadéquate affectant la validité d’une décision sont de déterminer si la décision est intelligible et si elle est suffisamment motivée pour que l’on puisse comprendre ses fondements[10]. Bien que le décideur n’ait pas besoin de commenter tous les faits mis en preuve, ni de trancher tous les arguments soumis, une lecture de la décision doit permettre de comprendre son raisonnement[11].

 

[70]        Il faut distinguer entre une absence totale de motivation et une motivation succincte ou abrégée, pourvu toutefois que les motifs soient intelligibles et permettent de comprendre les fondements de la décision. Une décision d’un tribunal administratif doit être lue dans son ensemble[12].

[71]        Il a été reconnu que l’absence de motivation contrevenait non seulement à l’obligation légale de motiver, mais constituait également une erreur de droit dans l’exercice de la compétence du tribunal qui n’a pas vidé une question. L’obligation de motiver trouve son fondement dans le fait que la motivation logique constitue pour le justiciable une garantie que la décision qui affecte ses droits n’est pas le résultat d’une appréciation arbitraire, mais qu’elle repose sur une réflexion dont les raisons sont suffisamment et intelligemment explicitées dans la décision[13].

[72]        Aussi, un décideur qui veut écarter une preuve scientifique ou médicale qui lui est présentée doit justifier adéquatement les raisons pour lesquelles il ne la retient pas, surtout lorsqu’elle est la seule qui lui est présentée[14]. Le fait d’écarter une telle preuve de façon capricieuse constitue une erreur.

[73]        L’omission de discuter un élément majeur de la preuve peut constituer, selon les circonstances, une erreur de droit manifeste qui justifie la révision de la décision. Il faut cependant que l’erreur soit déterminante et par conséquent que l’élément qui n’a pas été traité emporte le sort du litige et fasse pencher la prépondérance de la preuve en faveur d’une autre conclusion que celle retenue[15].

[74]        À la lumière de ces principes, le tribunal en vient à la conclusion que la décision du 29 juin 2010 n’est pas suffisamment motivée. Le tribunal conclut de plus qu’on ne peut, à la lecture de cette décision, comprendre son fondement et, de façon plus particulière, on ne peut comprendre pour quelles raisons le premier juge administratif n’a pas retenu l’opinion du docteur Comeau,

[75]        Après avoir lu l’opinion du docteur Comeau, le tribunal estime que les motifs inscrits aux paragraphes 21 à 24 de la décision sont insuffisants pour comprendre les raisons qui ont mené le premier juge administratif à ne pas retenir cette opinion. On ne peut conclure de ces paragraphes que le premier juge administratif a discuté et analysé cet élément essentiel de la preuve.

 

[76]        De façon plus particulière, le premier juge administratif écrit qu’il ne suffit pas d’alléguer que la travailleuse présente des conditions personnelles pour qu’un handicap soit démontré. Il ajoute que sur cet aspect, l’opinion du docteur Comeau n’est ni documentée ni basée sur des études spécifiques comme le cas sous espèce.

[77]        Or, dans son opinion, le docteur Comeau identifie comme déficience une maladie discale dégénérative avancée au niveau L5-S1, compliquée de changements de type Modic I. Il explique d’abord la distinction entre la maladie dégénérative discale et le vieillissement puis il réfère à la prévalence des changements de type Modic I dans la population. Il cite au soutien de son opinion diverses études, dont il donne les références. Certaines de ces études portent précisément sur les changements Modic I. Il explique en quoi, selon lui, cette condition dévie de la norme biomédicale.

[78]        Le tribunal estime dans un premier temps que sur ce point, l’opinion du docteur Comeau va au-delà de la simple allégation et que sa conclusion est documentée et appuyée par de la littérature médicale. Dans un tel contexte, il est difficile de comprendre pourquoi le premier juge affirme qu’il ne suffit pas d’alléguer la présence d’une condition personnelle ou que l’opinion médicale n’est pas documentée ni appuyée par des études.

[79]        Le premier juge administratif mentionne, à juste titre, que le dépôt d’un rapport d’expertise médicale n’emporte pas automatiquement la conviction du tribunal, même s’il s’agit du seul rapport puisque son appréciation doit se faire en tenant compte de la valeur probante. Or, le tribunal ne retrouve pas dans la décision du 29 juin 2010 d’analyse de la valeur probante de l’opinion du docteur Comeau.

[80]        Cette omission constitue une erreur déterminante puisque l’opinion médicale du docteur Comeau est l’unique preuve médicale d’expert portant sur la présence d’un handicap, question dont était saisi le premier juge administratif.

[81]        Le premier juge administratif écrit aussi qu’on ne peut invoquer comme déficience, la lésion professionnelle elle-même. Dans le présent cas, le docteur Comeau identifie comme déficience une maladie dégénérative discale L5-S1, compliquée de changements Modic I alors que les diagnostics de la lésion professionnelle sont une entorse lombaire et des contusions multiples.

[82]        Le docteur Comeau identifie donc une déficience qui n’est pas la lésion professionnelle. Le premier juge administratif ne mentionne pas dans sa décision la déficience ainsi identifiée par l’expert et ne discute pas de la prépondérance de cette preuve.

 

[83]        Aussi, dans son opinion, le docteur Comeau explique de façon détaillée en quoi la déficience qu’il qualifie de déviance par rapport à la norme biomédicale a eu un impact sur les conséquences de la lésion. Il émet toutefois l’opinion que cette déficience n’a pas eu d’effet sur la survenance même de la lésion.

[84]        Le premier juge administratif rappelle dans sa décision que l’événement survenu n’est pas banal et que les diagnostics retenus sont en lien avec cet événement, ce que ne remet aucunement en question le docteur Comeau. Au contraire, il affirme que la déficience n’a pas eu d’effet sur la survenance de la lésion.

[85]        Comment expliquer que le premier juge administratif retienne que les anomalies dont est porteuse la travailleuse ont, selon le docteur Comeau, favorisé l’apparition de la lésion? Le premier juge administratif ne s’explique pas.

[86]        L’ensemble de ces éléments mène le tribunal siégeant en révision à la conclusion que le premier juge administratif a omis de discuter un élément majeur de la preuve, soit l’opinion du docteur Comeau, ce qui constitue en l’espèce, une erreur de droit manifeste et déterminante qui justifie la révision de la décision. En effet, l’absence d’analyse de l’opinion médicale du docteur Comeau emporte le sort du litige.

[87]        La motivation de la décision rendue le 29 juin 2010 ne permet pas d’en comprendre les fondements ni les motifs qui ont mené le premier juge administratif à ne pas retenir l’opinion du docteur Comeau.

[88]        La décision du 29 juin 2010 doit donc être révisée.

[89]        Le tribunal siégeant en révision doit décider si l’employeur a droit à un partage de coûts en vertu de l’article 329 de la loi qui se lit comme suit :

329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[90]        Le tribunal constate d’abord que la demande de partage d’imputation présentée par l’employeur le 28 mai 2007 respecte le délai prescrit.

[91]        La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si la travailleuse était déjà handicapée au moment de la survenance de la lésion professionnelle le 7 mai 2005.

[92]        La loi ne définit pas la notion de handicap. Il convient donc de s’en remettre à la définition retenue par la jurisprudence de façon pratiquement unanime depuis l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François[16] :

« La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion. »

 

 

[93]        La jurisprudence nous enseigne également qu’une déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et elle peut se traduire ou non par une limitation des capacités du travailleur à fonctionner normalement. Elle peut aussi être asymptomatique jusqu’à la survenance de la lésion professionnelle[17].

[94]        L’employeur doit donc démontrer que la travailleuse était, au moment de la lésion professionnelle, porteuse d’une déficience, laquelle correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale.

[95]        Dans le cas où l’employeur réussit cette démonstration, il doit démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

[96]        Dans une opinion médicale non contredite produite au soutien des prétentions de l’employeur, le docteur Comeau, chirurgien orthopédiste, analyse les résultats de la résonance magnétique passée par la travailleuse en juillet 2005. Il conclut qu’il est démontré à l’imagerie médicale que la travailleuse présente une maladie discale dégénérative surtout au niveau L5-S1, compliquée de changements Modic I.

[97]        Le docteur Comeau explique en quoi cette maladie dégénérative se distingue du vieillissement normal. Il affirme qu’il s’agit d’une pathologie et non d’une évolution inévitable. Référant à la littérature médicale, il affirme que peu de personnes développent des changements de type Modic I.

[98]        Le tribunal estime que la condition décrite constitue l’altération d’une structure.

[99]        La résonance magnétique qui révèle ces conditions chez la travailleuse est faite en juillet 2005 alors que l’événement est survenu le 7 mai 2005. Le docteur Comeau explique dans son opinion que les changements de type Modic I sous-tendent une condition avancée qui se développe de longue date.

[100]     Les diagnostics de la lésion professionnelle sont une entorse lombaire et des contusions multiples. La déficience identifiée par le docteur Comeau est donc de nature personnelle.

[101]     Considérant ces éléments, le tribunal peut donc raisonnablement conclure que la travailleuse est porteuse, au moment de la lésion professionnelle, d’une condition personnelle, laquelle constitue une déficience qui dévie de la norme biomédicale.

[102]     À l’instar du docteur Comeau, le tribunal siégeant en révision conclut que la déficience n’a pas eu d’impact sur la survenance de la lésion professionnelle, qui a été causée par une chute dans un escalier.

[103]     Toutefois, comme l’explique le docteur Comeau, la déficience a eu un impact sur la période de consolidation de la lésion et sur la reconnaissance d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

[104]     En effet, selon l’opinion médicale produite, la maladie de dégénérescence discale compliquée de changements de type Modic I prolonge le syndrome douloureux au-delà de la phase inflammatoire normale post traumatique, ce qui entraîne une période de consolidation plus importante et la reconnaissance de limitations fonctionnelles.

[105]     Le tribunal en vient à la conclusion que la travailleuse était déjà handicapée au moment de la survenance de la lésion professionnelle et que l’employeur a donc droit à un partage de coûts.

[106]     En retenant qu’une entorse lombaire se consolide habituellement en six semaines et considérant qu’en l’espèce la période de consolidation est d’un peu plus d’un an, le tribunal calcule qu’en considérant uniquement l’impact du handicap sur la période de consolidation, le pourcentage de coûts qui doit être imputé à l’employeur est de 10 %.

[107]     La jurisprudence nous enseigne toutefois qu’il faut, aux fins d’établir le pourcentage de partage de coûts accordé, tenir compte de l’impact du handicap sur la survenance de la lésion et sur l’ensemble des conséquences de cette lésion.

[108]     Le tribunal retient que le handicap a eu aussi un impact sur la reconnaissance d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. Toutefois, il faut aussi considérer que ces limitations fonctionnelles n’ont pas empêché la travailleuse de reprendre son emploi.

[109]     En conséquence, le tribunal conclut que le partage de coûts de l’ordre de 5 % au dossier de l’employeur et de 95 % aux employeurs de toutes les unités demandé par l’employeur est justifié. 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision de l’employeur CSSS Haut-Richelieu/Rouville;

RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 juin 2010;

ACCUEILLE la requête de l’employeur du 15 janvier 2009;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 janvier 2009, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse, madame Marie-Josée Laroche le 7 mai 2005, de l’ordre de 5 % à son dossier et de 95 % aux employeurs de toutes les unités.

 

 

__________________________________

 

Diane Lajoie

 

 

 

 

Me Isabelle Auclair

MONETTE BARAKETT & ASS.

Représentante de la partie requérante

 

 



[1]           Holme A.M.K., Holm S.H. : The Lumbar Spine, Third Edition « Biomechanical Considerations of Disc Degeneration », pages 31-42

            Nachemson A. : The Lumbar Spine, Third Edition « Epedemiology and the Economics of Low Back Pain », pages 3-9

            Battié M.C., Videman T. : The Lumbar Spine, Third Edition « Genetic Transmission of Common Spinal Disorders», pages 98-105

            Brinckmann, P., Porer W.R. : « A Laboratory Model of Lumbar Disc Protrusion », pages 228-235

            American Academy of Orthopaedic Surgeons « Low Back Pain : A Scientific and Clinical Overview », pages 291-293

            C. Lapointe : Bilan des Connaissances «Procédure d’intégration professionnelle», Pages 17-21

            M.A. Adams, N. Bogouk, K. Burton, P. Dolan : « The Biomechanics of back Pain », Pages 67-69, 86-87

            M. Benoist, P. Boulu : Degenerative Disc Disease « Disc Degeneration and Low Back Pain », Pages 111-199

            P. Kjaer, L. Korsholn , T. Bendix : « Modic changes and their associations with clinical findings », Eur Spine J (2006), 15 : 1312-1319

            J. Karppinen, S. Solovieva, K. Luoma, R. Raininko, P. Leino-Arjas, H. Riihimäki; « Modic changes and intereleukin 1 gene locus polymorphisms in occupational cohort of middle-aged men », Eur Spine J (2009) 18 : 1963-1970

            M. Kuisma, J. Karppinen, J. Niinimäki, R. Ojala, M. Haapea, M. Heliövaara, R. Korpelamen, S. Taimela, A. Natri , O. Tervonen : Modic Changes in Endplates of Lumbar Vertebal Bodies «Prevalence and Association With Low Back and Sciafic Pain Among Middle-Aged Male Workers»,  Spine, vol.1 2, Number 10, Pages 116-122     

           

[2]           Le dossier avait d’abord été assigné à un juge administratif, lequel a pris l’affaire en délibéré après avoir reçu l’argumentation écrite et l’opinion médicale produites par l’employeur le 15 février 2010. Toutefois, ce juge administratif est devenu dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions pour des raisons de santé, et ce, pour une période indéterminée. Par une ordonnance rendue par le Président et juge administratif en chef, Me Jean-François Clément, le juge administratif à qui le dossier avait été assigné en premier lieu a été remplacé.

[3]           L.R.Q., c. 3.001

[4]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733

[5]           Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783

[6]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.)

[7]           Bourassa c. CLP [2003] C.L.P. 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004 (30009); CSST c. Fontaine [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[8]           [2005] C.L.P. 921 (C.A.)

[9]           Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, 214190-07-0308, 20 octobre 2005, L. Nadeau (05LP-220).

[10]         Blanchard c. Control Data Canada ltée [1984] 2 R.C.S. 476

[11]         Molson O’Keefe ltée c. Boucher, C.S. Montréal 500-05-009440-932, 29 septembre 1993, j. Gomery, D.T.E. 93T-1279

[12]         Château inc. c. CLP , C.S. Montréal, 500-05-065039-016, 1er octobre 2001, j.Poulin (01LP-92)

[13]         Lavoie et Agropur (Natrel St-Laurent) [2005] C.L.P. 901

[14]         Mine Jeffrey inc. c. CLP et CSST, C.S. St-François, 450-17-002254-077, 13 mars 2009, j. Bureau

[15]         Duguay et Boîte Major inc. 133845-71-0003, 19 juillet 2002, C.-A. Ducharme

[16]         [1999] C.L.P. 779

[17]         Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST, C.L.P. 115785-32-9905, 17 novembre 1999, M-A. Jobidon;  Centre hospitalier Baie-des-Chaleurs, C.L.P. 226576-01C-0402, 10 novembre 2004, R. Arseneau.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.