Pedneault-Turmel c. Directeur des poursuites criminelles et pénales |
2015 QCCS 1203 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-36-002152-148 |
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DATE : |
17 mars 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
LOUIS DIONNE, j.c.s. |
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RICHARD PEDNEAULT-TURMEL |
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Appelant |
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c. |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
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Intimé |
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JUGEMENT sur appel d’une condamnation |
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[1] Richard Pedneault-Turmel porte en appel, conformément aux dispositions du Code de procédure pénale (C.p.p.), la déclaration de culpabilité intervenue le 8 octobre 2014 à la suite de son procès devant la juge Réna Emond. Un constat d’infraction lui reproche d’avoir conduit un véhicule en faisant usage d’un appareil tenu en main muni d’une fonction téléphonique, commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 439.1 du Code de la sécurité routière (C.s.r.).
LES FAITS
[2] Les faits de cette affaire sont très simples. L’appelant a été interpelé le 10 février 2013 sur la route 573 (autoroute Henri-IV) à Québec. Dans son constat d’infraction, l’agent Boissonneault précise qu’il circulait en direction sud sur l’autoroute Henri-IV et que c’est en passant à côté du véhicule de l’appelant qu’il a constaté que ce dernier avait un cellulaire à l’oreille droite, soit un iPhone blanc intelligent.
[3] Lors du procès, la preuve de la poursuite s’est résumée en une preuve documentaire. Le constat d’infraction ainsi qu’un rapport d’infraction abrégé sur constat furent déposés.
[4] L’appelant n’a pas témoigné en défense.
[5] Au terme du procès, la juge Emond a déclaré l’appelant coupable et l’a condamné à payer une amende minimale de 80 $, plus les frais, dans un délai de trois mois.
QUESTIONS EN LITIGE
[6] 1. La juge d’instance a-t-elle erré en droit en concluant que l’article 439.1 C.s.r. requiert la preuve que de trois éléments essentiels par la poursuite?
2. La juge d’instance a-t-elle erré en droit en concluant que le simple fait qu’un téléphone cellulaire soit sur l’oreille constitue un usage au sens de l’article 439.1 C.s.r.?
LA DÉCISION ATTAQUÉE
[7] La juge d’instance mentionne que l’article 439.1 C.s.r. ne comporte que trois éléments essentiels dont la poursuite doit faire la preuve hors de tout doute raisonnable pour obtenir une déclaration de culpabilité.
[8] Ainsi, elle affirme que « l’élément essentiel de tenir en main... n’est pas... un élément essentiel pour démontrer l’infraction ».
[9] Elle précise que l’actus reus de l’infraction est de faire usage de l’appareil et qu’il n’est nul besoin de démontrer que le conducteur tient en main son appareil pour qu’il en fasse usage.
[10] Elle ajoute qu’en l’espèce, la présomption à l’alinéa 2 de l’article 439.1 C.s.r. ne s’applique pas, car la preuve ne démontre pas que l’appelant tient effectivement en main son cellulaire. Par contre, elle mentionne que la preuve est faite que l’appelant n’utilise pas d’accessoire relié à son cellulaire, mais plutôt qu’il l’a directement à son oreille.
[11] Elle conclut que malgré qu’il n’est pas démontré que l’appelant tenait en main l’appareil, « que le fait de l’avoir à son oreille en constitue son usage, et il ne change rien que cet appareil-là tienne seul ou avec sa main ».
LA POSITION DES PARTIES
[12] L’appelant avance que depuis l’entrée en vigueur de l’article 439.1 C.s.r., le 8 avril 2008, la Cour supérieure a maintenu une jurisprudence constante à l’effet que cet article comprend quatre éléments essentiels selon les affaires Villemaire[1], Paquet[2], Mérineau[3] et Sanderson[4].
[13] L’appelant ajoute que la notion d’usage prévue à l’article 439.1 C.s.r., dans les cas où la présomption de l’alinéa 2 ne s’applique pas, implique nécessairement la preuve que l’appareil est en fonction.
[14] L’intimé avance que l’appelant tente indûment d’ajouter un élément essentiel au fardeau de la poursuite et que l’expression « tenu en main » se réfère plutôt au type d’appareil utilisé.
[15] L’intimé ajoute que l’appelant soutient erronément qu’il faut démontrer que l’appareil est en fonction pour prouver l’usage mentionnant que le législateur, en créant la présomption de l’article 439.1 C.s.r., n’a pas restreint la notion d’« usage » à la preuve du fonctionnement de l’appareil. Pour l’intimé, le seul fait d’avoir un appareil muni d’une fonction téléphonique à l’oreille constitue un usage.
LE DROIT
[16] La version française de l’article 439.1 C.s.r. se lit comme suit :
Une personne ne peut, pendant qu’elle conduit un véhicule routier, faire usage d’un appareil tenu en main muni d’une fonction téléphonique.
Pour l’application du présent article, le conducteur qui tient en main un appareil muni d’une fonction téléphonique est présumé en faire usage.
Cette interdiction ne s’applique pas au conducteur d’un véhicule d’urgence dans l’exercice de ses fonctions.
Le premier alinéa ne vise pas une radio bidirectionnelle, à savoir un appareil de communication vocale sans fil qui ne permet pas aux interlocuteurs de parler simultanément.
Le ministre peut, par arrêté, prévoir d’autres situations ou types d’appareil qui ne sont pas visés par l’interdiction prévue au premier alinéa.
(Le Tribunal souligne)
[17] Alors que la version anglaise dudit article est la suivante :
No person may, while driving a road vehicle, use a hand-held device that includes a telephone function.
For the purposes of this section, a driver who is holding a hand-held device that includes a telephone function is presumed to be using the device.
This prohibition does not apply to drivers of emergency vehicles in the performance of their duties.
The first paragraph does not apply to a two-way radio, that is to say a cordless voice communication device which does not allow the parties to speak simultaneously.
The Minister may, by order, determine other situations or types of devices to which the prohibition set out in the first paragraph does not apply.
(Le Tribunal souligne)
[18] En matière d’interprétation des lois, l’auteur Côté[5] rappelle que la rédaction bilingue peut offrir certains avantages : bien souvent, le sens qui se dégage d’une version sera confirmé par la lecture de l’autre. Ce qui n’est pas toujours le cas cependant. Il se peut qu’il y ait des divergences entre deux versions que l’interprète doit alors surmonter.
[19] À sa face même, l’on constate qu’il y a divergence entre les deux versions alors que les mots en français : « faire usage d’un appareil tenu en main muni d’une fonction téléphonique » et « tient en main un appareil » sont rendus en anglais par : « use a hand-held device that includes a telephone function » et « holding a hand-held device ».
[20] Traitant des divergences possibles entre les deux versions officielles d’un même texte législatif, Pierre-André Côté ajoute ce qui suit :
1211. Souvent aussi, hélas, il y a divergence entre les deux versions, divergence que l’interprète doit surmonter. Pour le guider, le législateur et les tribunaux ont énoncé certains principes. La démarche à suivre pour résoudre les antinomies découlant de divergences entre les deux versions d’un texte législatif peut être résumée par la proposition suivante : sauf disposition légale contraire, toute divergence entre les deux versions officielles d’un texte législatif est résolue en dégageant, si c’est possible, le sens qui est commun aux deux versions. Si cela n’est pas possible, ou si le sens commun ainsi dégagé paraît contraire à l’intention du législateur révélée par recours aux règles ordinaires d’interprétation, on doit entendre le texte dans le sens qu’indiquent ces règles.
[21] Discutant de la recherche du sens commun, Côté mentionne que le principe de la cohérence interne de la loi commande d’interpréter ces diverses parties de manière à faire disparaître les contradictions. Il ajoute ce qui suit :
1218. [...] Ce principe s’applique tout particulièrement lorsque les deux versions d’un texte législatif paraissent être antinomiques; d’après une jurisprudence ancienne et constante, puisque les deux versions ont le caractère officiel, il faut tenter de les concilier :
« [TRADUCTION] Au cas d’ambiguïté [résultant de la divergence entre les deux versions], lorsqu’il y a quelque possibilité de concilier les deux versions, il faut interpréter l’une grâce à l’autre ».
1219. En pratique, concilier les deux versions signifie rechercher le sens qui est commun aux deux versions. [...]
1220. Dans un second type de situation, une version est ambiguë, c’est-à-dire susceptible de plus d’un sens, et l’autre claire, c’est-à-dire non équivoque. Le sens commun aux deux versions, qu’il faut a priori préférer, est celui de la version claire. [...]
1221. Le sens commun est donc, dans ces cas, celui de la version qui ne présente pas d’ambiguïté. [...]
(Références omises)
[22] Côté ajoute qu’il existe un troisième type de situation lorsqu’une version est plus large que l’autre et renvoie à un concept d’une plus grande extension, comme en l’espèce, alors que le texte français exige la tenue en main de l’appareil pour qu’il y ait infraction tandis que la version anglaise se limite à la notion de « tenir ».
[23] Cependant, il faut aussi, dans tous les cas, se rapporter aux autres dispositions de la loi pour vérifier si le sens commun est bien compatible avec l’intention du législateur, tel qu’on peut la déduire en appliquant les règles ordinaires d’interprétation.[6]
[24] Dans Doré c. Verdun (Ville), le juge Gonthier souligne la relativité de l’argument tiré de l’interprétation menant à un sens commun en ces termes[7] :
25 Cela dit, il n’empêche que le principe voulant que l’on favorise l’interprétation menant à un sens commun n’est pas absolu. La Cour peut ne pas retenir ce sens s’il paraît contraire à l’intention du législateur au regard des autres principes d’interprétation. L’arrêt R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée, [1979] 1 R.C.S. 865, est un bon exemple où notre Cour a préféré la version ayant la portée la plus large parce qu’elle était conforme à l’intention du législateur. À l’époque où la décision a été rendue, l’art. 8 de la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O-2, était en vigueur et son al. (2)b) édictait que le sens commun des versions anglaise et française devait être favorisé. Le juge Pratte, au nom de la Cour, a écrit, aux pp. 871 et 872, et 874 et 875:
La règle prescrite par [l’al. 8(2)b)] n’est qu’un guide parmi plusieurs autres, dont il faut se servir pour rechercher le sens d’une loi qui, «selon l’esprit, l’intention et le sens véritables du texte, assure le mieux la réalisation de ses objets» (al. 8(2)d)). La règles de l’al. 8(2)b) n’est pas absolue au point d’automatiquement l’emporter sur tous les autres principes d’interprétation. J’estime donc qu’il ne faut pas retenir la version la plus restrictive si elle va clairement à l’encontre du but de la loi et compromet la réalisation de ses objets au lieu de l’assurer.
Un examen approfondi des textes me convainc [. . .] qu’il ne faut pas s’arrêter aux quelques cas où le texte français, considéré isolément, justifierait une signification plus restrictive. Le sens étroit du texte français ne peut ici restreindre le sens beaucoup plus large des expressions anglaises particulièrement lorsqu’il est évident que tel n’est pas le but visé, bien au contraire. [Je souligne.]
(Voir également: Côté, Interprétation des lois, op. cit., aux pp. 310 à 312.)
(Reproduction intégrale)
[25] C’est donc dire que si un sens commun entre les deux versions officielles d’un même texte législatif peut être établi, rien n’assure que ce sens doive être retenu. Il reste à déterminer si le contexte global de la loi ne s’oppose pas à ce que ce sens soit retenu.[8]
[26] Dans l’arrêt Bell Express Vu[9], le juge Iacobucci rappelle qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi et l’intention du législateur.
[27] Traitant de l’ambiguïté en droit, il ajoute :
29 Qu’est - ce donc qu’une ambiguïté en droit? Une ambiguïté doit être « réelle » (Marcotte, précité, p. 115). Le texte de la disposition doit être [traduction] « raisonnablement susceptible de donner lieu à plus d’une interprétation » (Westminster Bank Ltd. c. Zang, [1966] A.C. 182 (H.L.), p. 222, lord Reid). Il est cependant nécessaire de tenir compte du « contexte global » de la disposition pour pouvoir déterminer si elle est raisonnablement susceptible de multiples interprétations. Sont pertinents à cet égard les propos suivants, prononcés par le juge Major dans l’arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 14 : « C’est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externes » (je souligne), propos auxquels j’ajouterais ce qui suit : « y compris d’autres principes d’interprétation ».
[28] Dans l’affaire Mérineau[10], le juge Vauclair rappelle ce qui suit lorsque vient le temps de rechercher l’intention du législateur en regard de l’article 439.1 C.s.r. :
[16] Il faut déterminer le but recherché par le législateur en introduisant l'article 439.1 au Code de la sécurité routière. À cet égard, les travaux parlementaires peuvent être utiles, mais ils ne sauraient être utilisés pour dégager une interprétation de la loi elle-même. Comme l'a fait la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R. c. G.G. Construction et Location Inc. [1995] R.J.Q. 1308, il faut rappeler que, en dehors des questions constitutionnelles, les débats parlementaires ne sont pas un outil admissible pour l'interprétation de la loi sauf peut-être pour le but très limité de dégager l'objectif global recherché par le législateur: R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, pp. 787-788; R. c. Lyons, [1984] 2 R.C.S. 633 , p. 684.
(Le Tribunal souligne)
ANALYSE
Première question :
[29] La juge d’instance a-t-elle erré en droit en concluant que l’article 439.1 C.s.r. requiert la preuve que de trois éléments essentiels par la poursuite?
[30] Force est d’admettre que le législateur québécois est peu précis dans la rédaction de cette disposition pénale qui, à sa face même, entre ces versions française et anglaise, comporte des divergences appréciables.
[31] Aux yeux du Tribunal, l’expression « hand-held device » est beaucoup plus précise en ce qu’elle décrit une caractéristique de la conception de l’appareil, soit sa qualité d’être portable ou portatif, plutôt que de préciser une façon de le tenir.
[32] Le dictionnaire Oxford[11] définit l’expression « handheld device » comme suit :
A peace of computing equipment that can be used in the hand, such as a smartphone or tablet computer.
[33] Le Merriam-Webster’s Advanced Learner’s English Dictionary, édition 2008, définit l’expression « hand-held », utilisée comme adjectif, de la façon suivante :
Designed to be used while being held in your hands.
[34] Le Harrap’s Shorter, dictionnaire anglais-français, édition 2006, définit l’expression « hand-held », utilisée comme adjectif, comme désignant un appareil qui est portable ou portatif.
[35] Utilisée comme nom, l’expression « handheld device » désigne donc un appareil portable, un appareil portatif ou un appareil de poche ou encore un téléphone mobile.[12]
[36] Pour tenter de réconcilier ces deux versions et d’en rechercher le sens commun, il faut donc les revoir à la lumière de l’objectif global recherché par le législateur.
[37] En adoptant l’article 439.1 C.s.r., le but recherché par le législateur est de contrer les risques de distraction lors de la conduite d’un véhicule routier, en l’occurrence en prohibant l’usage d’un téléphone cellulaire.
[38] La ministre des Transports de l’époque, madame Julie Boulet, mentionnait en effet lors des débats de la Commission des transports et de l’environnement, à sa séance du 13 décembre 2007, que le simple fait d’avoir une conversation téléphonique augmentait d’une manière significative la possibilité d’avoir un accident :
Mme Boulet: Merci. Alors, l'institut... En fait, c'était une recommandation de la table. En fait, c'était même une recommandation de la commission à l'époque, qui avait dit de légiférer sur le cellulaire, le combiné seulement. 50 pays à travers le monde ont légiféré dans ce sens-là, et 48 d'entre eux ont légiféré pour interdire le combiné seulement, et le Brésil et la Grèce qui ont interdit les deux.
On sait, selon l'Institut de santé publique, et on le reconnaît, on est d'accord avec cette donnée-là, que, peu importe que ce soit une conversation téléphonique au combiné ou au mains-libres, elle dérange la concentration du conducteur, et ça, on en convient tous, on est d'accord avec cet élément-là, et c'est dans ce contexte-là qu'on dit qu'on va continuer à faire de la sensibilisation et à dire aux gens que d'avoir une conversation téléphonique, c'est dommageable à la concentration. Une personne qui parle au cellulaire a 40 % de chances de plus d'être impliquée dans un accident. Quelqu'un qui est un grand utilisateur, ça peut être encore deux fois plus important en termes de risque.
[39] À la lecture des travaux parlementaires visant l’étude détaillée du projet de loi 42, Loi modifiant le Code de la sécurité routière et Règlement sur les points d’inaptitude[13], les parlementaires conviennent en ces termes que la version anglaise de l’article 439.1 C.s.r. est la plus claire :
M. Copeman: Merci, M. le Président. Je ne veux pas interrompre les collègues et revenir sur le texte du projet de loi, mais je partage un peu le point de vue du député de Chicoutimi. D’ailleurs, dans la rédaction française du projet de loi, on a quasiment deux notions différentes, c’est-à-dire «faire usage» et «tenu en main». Dans la rédaction anglaise du projet de loi, il est assez intéressant de voir qu’on dit simplement : «No person may, while driving a road vehicle, use a hand-held device that includes a telephone function.» Alors, dans le texte anglais, il n’y a pas ces deux notions. On a réussi à les combiner en anglais pour dire «a hand-held device». Alors, je ne sais pas. Loin de moi de prétendre que je suis un spécialiste, en langue française...
[...]
M. Copeman: ... en rédaction des lois, M. le Président, mais je dois avouer qu’à première vue, peut-être pour une des rares fois, le texte anglais du projet de loi me paraît plus clair que le texte français de la loi, et je sais que les cours doivent interpréter les deux à une... pas une force, mais une interprétation égale. Alors, s’il y avait moyen peut-être de tenter de clarifier ces choses-là, je pense que le Parlement du Québec sortira gagnant.
[...]
Mme Boulet: Oui. Moi, j’ai dit qu’on était d’accord. À soir, si on est capable de revenir avec quelque chose qui s’apparente davantage à la philosophie du texte anglais, moi, je n’ai pas de problème du tout.
(Le Tribunal souligne)
[40] Le Tribunal, comme le prétend l’intimé, est d’avis que la version anglaise de l’article 439.1 C.s.r. est la plus claire et que c’est elle qu’il faut privilégier. Ce que prohibe l’article en question, au nom de la sécurité publique, c’est l’usage d’un appareil portatif, en l’occurrence un téléphone cellulaire, et ce, peu importe la façon dont on le tient lors de la conduite d’un véhicule routier.
[41] Le législateur n’exige pas, dans sa version anglaise, que l’appareil soit « tenu en main », mais plutôt simplement tenu (« holding »).
[42] Selon le Tribunal, il s’agit d’un cas peu heureux de traduction d’une expression anglaise claire signifiant simplement qu’il doit s’agir d’un appareil conçu pour être tenu en main et comportant la caractéristique d’être portable, contrairement à un appareil fixe.
[43] Cette interprétation permet de concilier les deux versions et d’éviter une application différente d’une même disposition selon qu’on l’utilise en français ou en anglais.
[44] Par conséquent, le Tribunal s’en remet à la version anglaise de l’article 439.1 C.s.r. qui ne requiert que trois éléments constitutifs soit :
1. Être à la conduite d’un véhicule routier;
2. Faire usage;
3. D’un appareil portable muni d’une fonction téléphonique.
[45] L’appelant appuie son argumentation quant aux éléments essentiels de l’infraction décrite à l’article 439.1 C.s.r. sur quatre décisions de la Cour supérieure. Or, l’essentiel du débat dans ces décisions portait sur le type d’appareil utilisé et non sur les éléments essentiels constituant l’infraction en cause en regard des divergences entre les deux versions officielles de la disposition législative à l’étude. Seul le juge Vincent, dans l’affaire Villemaire[14], effleure le débat en l’espèce lorsqu’il mentionne que « le texte anglais de la disposition législative est beaucoup plus clair que le texte français et traduit plus fidèlement l’intention du législateur ». Vu les faits en l’espèce, ces décisions ne sont pas d’un grand secours.
[46] Ainsi, dans l’affaire Villemaire, la principale question en litige était de savoir si d’avoir en main une des composantes de l’appareil, un casque d’écoute, était suffisant pour entraîner l’application de l’article 439.1 C.s.r.
[47] Dans l’affaire Paquet[15], le litige portait sur l’appréciation erronée de la preuve par le juge d’instance. La preuve démontrait que l’intimé tenait un iPod muni d’une fonction téléphonique dans sa main droite.
[48] En ce qui concerne l’affaire Mérineau[16], le litige portait sur la question de savoir si l’appareil utilisé était muni d’une fonction téléphonique.
[49] Enfin, dans l’affaire Sanderson[17], il s’agissait de savoir si un accessoire de type Bluetooth servant de microphone et d’amplificateur de la voix dans un système téléphonique à main libre constituait « un appareil tenu en main muni d’une fonction téléphonique ».
[50] En l’espèce, la preuve, quoique réduite à sa plus simple expression, mais non contredite, démontre que l’appelant était à la conduite d’un véhicule routier alors qu’il faisait usage d’un appareil portable muni d’une fonction téléphonique.
[51] Il faut donc répondre à la première question par la négative.
Deuxième question :
[52] La juge d’instance a-t-elle erré en droit en concluant que le simple fait qu’un téléphone cellulaire soit sur l’oreille constitue un usage au sens de l’article 439.1 C.s.r.?
[53] L’appelant soutient que la poursuite doit démontrer que l’appareil est en fonction pour en prouver l’usage.
[54] Le Tribunal ne trouve rien dans le libellé de l’article 439.1 C.s.r. faisant en sorte que la notion d’« usage » implique la preuve que l’appareil soit en fonction.
[55] Encore une fois, pour répondre à la question en litige, il ne faut pas perdre de vue l’intention du législateur, soit l’interdiction de faire usage d’un téléphone cellulaire lors de la conduite d’un véhicule routier.
[56] Selon la méthode moderne d’interprétation législative, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.[18]
[57] Lors de l’étude détaillée du projet de loi 42[19], Me Christine Claraz, avocate aux affaires juridiques de la Société d’assurance automobile du Québec, suite aux questions du député de Chicoutimi, quant à la nécessité d’ajouter au texte de l’article 439.1 C.s.r. une présomption prévoyant que celui qui tient en main un appareil est présumé en faire usage afin d’éviter que les policiers soient dans la situation difficile de faire la preuve que le contrevenant est en train de faire un appel téléphonique, s’exprime ainsi :
Mme Claraz (Christine): Oui, alors à Terre-Neuve, pour prendre l’expérience à Terre-Neuve, il y a effectivement la notion de «faire usage». Le tribunal, en Cour d’appel, s’est prononcé à l’effet que la notion de «faire usage», qui, dans un premier temps, avait fait l’objet d’une décision de première instance à l’effet qu’il fallait faire la preuve effectivement d’une communication téléphonique, a été renversée, cette décision-là, par la Cour d’appel à Terre-Neuve. Et, à ce moment-ci, le juge a dit: Non, faire usage, ce n’est pas aller aussi loin que ça. Dès lors que vous avez un téléphone entre les mains et que vous le portez à l’oreille, à ce moment-ci, vous faites de l’usage. Ce serait donner à la loi une portée beaucoup trop restrictive que de l’interpréter dans le sens où on exige vraiment que la personne soit en communication téléphonique.
M. Bédard: O.K. Mais tenir en main et faire usage, c’est que c’est deux choses différentes. Si vous le mettez dans l’article, c’est que vous concluez que c’est deux choses différentes. En tout cas, je serais curieux de voir la rédaction de l’article. Mais si, vous-même ? nous-mêmes ? dans le texte, vous prévoyez deux choses distinctes, tenir en main... Et, moi, je ne mettrais pas «tenu en main», en passant, je mettrais plutôt: Une personne ne peut, pendant qu’elle conduit un véhicule, tenir en main et faire usage... parce que, là, vous prenez un participe passé au lieu de le mettre à la forme infinitive. Alors ça, je vous inviterais peut-être, si vous voulez le garder tel quel, plutôt de le ramener à la forme infinitive, donc «tenir en main et faire usage». En tout cas, mon interprétation... Je vous dirais qu’à partir du moment où vous le précisez, que c’est deux choses différentes, le tribunal ne peut pas arriver à la conclusion que c’est la même chose.
Mme Claraz (Christine): La notion de «tenu en main» fait référence, là, au combiné.
[...]
Mme Claraz (Christine): C’est ça, c’est la notion de «combiné».
M. Bédard: Donc, vous le tenez en main. C’est ça. Donc, on peut tenir en main et ne pas faire usage.
Mme Claraz (Christine): Bien, c’est sûr que, là, à ce moment-là, il y a une question de preuve. Mais, comme je vous le dis, si je me fie à l’expérience vécue à Terre-neuve, qui utilise une terminologie analogue à la nôtre, bien...
[...]
Mme Claraz (Christine): En tout cas, il y a eu une conclusion à l’effet que, la notion de «faire usage», on doit se référer au contexte, à l’objectif qui est visé, et ça ne se limite pas au fait de faire une conversation téléphonique.
[58] Dans l’affaire Aisthorpe[20], une décision de la Cour d’appel de Terre-Neuve et Labrador, le juge Rowe introduit la question en litige de la façon suivante :
[1] This appeal concerns whether a person who has a hand-held cell phone turned on and held between his shoulder and ear while operating a motor vehicle is “using” a cell phone contrary to s. 176.1(2) of the Highway Traffic Act.
[59] Au paragraphe 2 de cette affaire, le juge Rowe reprend la définition de l’expression « hand-held cellular phone » de l’article 176.1(1)(b) du Highway Traffic Act[21], qui se lit comme suit :
(b) “hand-held cellular phone” means a cellular phone the use of which requires being placed in proximity to the mouth and ear by being held in the hand or by another means that uses one or more parts of the body, but does not include a cellular phone that is equipped with and used with an external speaker or ear phone and microphone that may stand alone, be mounted in the vehicle, or worn on the body.
[60] Dans son analyse de la question en litige, il s’attarde à la définition à donner au mot « use » de l’article 176.1(2) de ladite loi[22] :
[22] “Use” is defined in the Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed., vol. II 95 as “the act of using a thing for any (esp. a profitable) purpose”. This definition suggests that “use” would include utilization of a cell phone for “any purpose”.
[61] Revoyant le but recherché par le législateur lors de l’introduction de cette disposition, il précise ce qui suit :
[23] The purpose of prohibiting cell phone use while driving is clear: to prevent drivers from being distracted while driving. As the Minister of Government Services stated in the House of Assembly on November 18, 2002 in debate on the legislation enacting s. 176.1:
Studies have demonstrated that driving while using a cellphone is more dangerous than driving while legally intoxicated. Mr. Speaker, we feel that it is incumbent on governments to deal with this clear evidence that is out there and to do what we can to make sure that we make our highways as safe as possible.
[62] Le Tribunal constate que le but recherché est bien semblable à celui souhaité par notre législateur lorsqu’il a ajouté l’article 439.1 C.s.r.
[63] Enfin, sur le sens à donner au mot « use » et après avoir considéré l’intention du législateur, le juge Rowe conclut ainsi :
[32] Based on all the foregoing, I am satisfied that “use” in s. 176.1(2) has a wider meaning than that given to it by the summary conviction appeal judge (“sending and receiving a communication”). I would hold that “use” in s. 176.1(2) encompasses a variety of operations of a hand-held cellular telephone that could result in the driver being distracted, including Mr. Aisthorpe’s actions as charged. Thus, I would set aside the decision of the summary appeal court judge to the extent that he had entered an acquittal (based on the definition he gave “use”).
[64] Pour bénéficier de la présomption d’« usage » ajoutée à l’alinéa 2 de l’article 439.1 C.s.r., la poursuite doit prouver que le conducteur tient en main un appareil muni d’une fonction téléphonique.
[65] La poursuite n’est cependant pas limitée à cette seule présomption pour établir l’usage d’un appareil muni d’une fonction téléphonique lors de la conduite d’un véhicule routier. L’usage visé n’implique pas la preuve du fonctionnement de l’appareil.
[66] Dans l’arrêt R. v. Whalen[23] de la Cour de justice de l’Ontario, le juge Epstein, revoyant la définition des mots « holding or using » de l’article 78.1(1) du Highway Traffic Act[24], reprend les propos de l’honorable James Bradley[25] :
”11. The ordinary meaning of ‘holding’ a cell phone is having it in one’s hand. The New Shorter Oxford Dictionary, 1993 defines ‘to hold’ as ‘to have a grip on’ or ‘to support in or with the hands’. There is no suggestion that only if one has the cell phone in one’s hand for a sustained period of time is one holding the cell phone.
12. In my view, this interpretation of ‘holding’ best ensures the attainment of the objective of the HTA, which is to protect those who use the roads of Ontario: see R. v. Raham, 2010 ONCA 206 (CanLII), 99 O.R. (3d) 241, at para. 33.
13. This interpretation also best serves the legislature’s purpose in enacting the provision in which ‘holding’ appears. Section 78(1) was added to the HTA with the enactment of the Countering Distracted Driving and Promoting Green Transportation Act, 2009, S.O. 2009 c. 4. On third reading, on April 22, 2009, the Minister of Transportation described the purpose of the amending legislation this way:
[O]ur eyes-on-the-road, hands-on-the-wheel legislation aims to stop the use of hand-held wireless communication devices such as cellphones while driving. The goal is not to inconvenience people but to make our roads safer for them and for everyone else who shares our roads. For safety’s sake, drivers should focus on one thing and one thing only: driving.”
[67] En l’espèce, comme l’affirme la juge d’instance et la poursuite, la preuve circonstancielle non contredite révèle que l’appelant a à son oreille droite un téléphone de marque iPhone blanc, ce qui, pour le Tribunal, est une façon de tenir ledit appareil et d’en faire usage, en contravention de l’article 439.1 C.s.r.
[68] Il faut donc répondre à la deuxième question également par la négative.
CONCLUSION
[69] Le Tribunal est d’avis que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur de droit justifiant son intervention suivant l’article 286 du Code de procédure pénale.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE l’appel;
LE TOUT, sans frais.
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__________________________________ LOUIS DIONNE, j.c.s. |
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Me Mathieu Camirand Binet Noël Procureur de l’appelant |
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Me Catherine Frenette Directeur des poursuites criminelles et pénales Procureure de l’intimé |
[1] Villemaire c. L’Assomption (Ville), 2011 QCCS 1837.
[2] Longueuil (Ville) c. Paquet, 2011 QCCS 4742.
[3] Mérineau c. Longueuil (Ville), 2011 QCCS 2905.
[4] Sanderson c. Saint-Bruno-de-Montarville (Ville), 2013 QCCS 3566.
[5] Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 4e éd., Éditions Thémis, Montréal, 2009, p. 372-376.
[6] Id., page 377, par. 1223.
[7] Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 25.
[8] P.-A.CÔTÉ, p. 378, par. 1225.
[9] Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42.
[10] Mérineau c. Longueuil (Ville), préc., note 3.
[11] Site Oxford, en ligne : http://www.oxforddictionaries.com/definition/english/handheld-device.
[12] Site Linguee, en ligne : http://www.linguee.fr/anglais-français/traduction/handheld=device.html.
[13] Loi modifiant Le Code de la sécurité routière et le Règlement sur les points d’inaptitude, projet de loi no 42 (étude détaillée - 13 décembre 2007), 1re sess., 38e légis. (Qc).
[14] Villemaire c. L’Assomption (Ville), préc., note 1.
[15] Ville de Longueuil c. Paquet, préc., note 2.
[16] Mérineau c. Ville de Longueuil, préc., note 3.
[17] Sanderson c. Saint-Bruno-de-Montarville (Ville), préc., note 4.
[18] Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, préc., note 9.
[19] Loi modifiant le Code de la sécurité routière et le Règlement sur les points d’inaptitude, préc., note 13.
[20] R. v. Aisthorpe, 2006 NLCA 40 (CanLII).
[21] Highway Traffic Act, RSNL 1990, Chapter H-13.
[22] Id.
[23] R. v. Whalen, 2014 ONCJ 223 (CanLII), par. 10.
[24] Highway Traffic Act, R.S.S. 1990, c. H.8.
[25] Ontario, Legislative Assembly, Official Report of the Debates (Hansard), 39th Parl., 1st Sess., (22 April 2009).
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