Décision

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STM et Bouchard

2011 QCCLP 2324

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

30 mars 2011

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

313966-63-0704

 

Dossier CSST :

114884562

 

Commissaire :

Michèle Juteau, juge administrative

 

Membres :

Carl Devost, associations d’employeurs

 

Guy Mousseau, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

S.T.M.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Jean Bouchard

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 4 avril 2007, l’employeur, S.T.M., conteste la décision rendue le 28 mars 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST conclut que la lettre du 1er novembre 2006, dont l’employeur demande la révision, ne constitue pas une décision révisable en vertu de l’article 358 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Elle se juge sans compétence et déclare que la demande de l’employeur est irrecevable.

[3]           Par sa lettre du 1er novembre 2006, la CSST refusait de rembourser à l’employeur les sommes versées par celui-ci à monsieur Jean Bouchard, le travailleur, pour la période du 16 mai 1998 au 9 juillet 1998. La CSST jugeait la demande prescrite. Elle ajoute que selon ses dossiers, le travailleur était de retour à un emploi modifié le 11 mai 1998 « donc avons inscrit une base Nouvel emploi payé à 0 du 17 mai au 2 août 1998 ».

[4]           Une audience a été tenue à Joliette les 8 juillet 2010, 28 septembre 2010 et 14 octobre 2010. L’employeur, le travailleur, et la CSST étaient représentés.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement de la somme payée au travailleur pour la période du 16 mai 1998 au 9 juillet 1998 qui équivaut à l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle celui-ci avait droit.

 

LES FAITS

[6]           Le 7 avril 1998, le travailleur subit un accident du travail reconnu par la CSST. Il est en arrêt de travail pour une très courte période, soit du 17 au 22 avril 1998. Il ne produit pas de réclamation à la CSST à la suite de cet événement.

[7]           Par contre, l’employeur transmet à la CSST un Avis de l’employeur et demande de remboursement en date du 5 mai 1998. Il informe la CSST que le travailleur a été en arrêt de travail à compter du 17 avril 1998 et qu’il a repris ses fonctions le 22 avril 1998. Il demande un remboursement de 436,25 $ qu’il a versé au travailleur en application de l’article 60 de la loi.

[8]           Il appert que la CSST a procédé au remboursement demandé par l’employeur pour la période du 18 au 21 avril 1998 inclusivement, comme le lui commande le troisième alinéa de l’article 60 de la loi.

[9]           Une note en ce sens a été inscrite sur le formulaire reproduit à la page 6 du dossier du tribunal. De surcroît, un extrait du fichier électronique de la CSST démontre que celle-ci a effectivement déboursé 436,25 $ à titre d’indemnité de remplacement du revenu pour la période allant du 18 au 21 avril 1998.

[10]        Le 3 mai 1998, le travailleur cesse de travailler suivant ainsi une prescription médicale. Il retourne à des tâches légères le 11 mai 1998. Toutefois, en raison d’une aggravation de ses symptômes, le retour au travail est interrompu à compter du 16 mai 1998.

[11]        Le 21 mai 1998, le travailleur fait une réclamation que la CSST accepte à titre de récidive, rechute ou aggravation survenue le 2 mai 1998. Le travailleur informe également la CSST qu’il a été payé par son employeur pour les quatorze premiers jours et que le versement du salaire sera maintenu par la suite.

[12]        Le 9 juin 1998, l’employeur produit à la CSST un nouvel Avis de l’employeur et demande de remboursement. Il indique que le travailleur a été en arrêt de travail du 3 au 11 mai 1998. Il demande un remboursement de 646,15 $ qu’il a versé au travailleur en application de l’article 60 de la loi. Il indique également qu’il continue de payer le travailleur après la période des quatorze premiers jours.

[13]        Il appert que la CSST a procédé au remboursement demandé par l’employeur pour la période du 3 au 11 mai 1998 inclusivement, en application du troisième alinéa de l’article 60 de la loi. L’extrait du fichier électronique de la CSST démontre que celle-ci a payé 646,15 $ à titre d’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 3 au 16 mai 1998.

[14]        En raison de la récidive, rechute ou aggravation reconnue, le travailleur reste inactif jusqu’au 13 juillet 1998. À cette date, il revient à son emploi de manière progressive. La période d’incapacité est motivée par les rapports médicaux du médecin traitant lesquels ont été transmis à la CSST. 

[15]        Toutefois, il n’apparaît pas que la CSST a versé au travailleur une indemnité de remplacement du revenu pour la période d’invalidité postérieure au 16 mai 1998 ni qu’elle a rendu une décision à cet égard.   

[16]        Le 20 juillet 1998, la CSST reçoit de l’employeur un autre Avis de l’employeur et demande de remboursement daté du 14 juillet 1998. Celui-ci l’informe que le travailleur a été en arrêt de travail en raison de la récidive, rechute ou aggravation depuis le 16 mai 1998. Il précise également, comme il l’avait fait précédemment en cochant la case prévue, qu’il verse au travailleur son salaire régulier.

[17]        Une mention faite au dossier de la CSST permet au tribunal de comprendre que la CSST a considéré que la période d’incapacité signalée par l’employeur découlait de la récidive, rechute ou aggravation du 2 mai 1998.

[18]        Le 3 août 1998, la CSST reçoit de l’employeur le formulaire Rapport de l’employeur et absence du travail. Elle est ainsi informée que le travailleur a été absent de son travail du 16 mai 1998 au 12 juillet 1998 et que le 13 juillet 1998 celui-ci entreprend un retour progressif à ses activités professionnelles. L’employeur précise que le travailleur « a reçu son plein salaire durant toute la durée de l’absence ».

[19]        La lésion professionnelle est consolidée le 31 août 1998 sans la nécessité de traitement. Le travailleur reste avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique de 2,2 %. La CSST lui accorde le droit à une indemnité pour préjudice corporel au montant de 1 440,10 $ avec intérêts.

[20]        Il n’apparaît pas des notes évolutives du dossier de la CSST que la détermination du droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu non plus que le calcul ou le versement de cette indemnité ont été des préoccupations pour l’agent d’indemnisation. La seule mention d’une prestation payable au travailleur est datée du 2 et 7 septembre 1999. Elle concerne l’indemnité pour préjudice corporel. Par ailleurs, l’agente écrit « aucun surpayé » sans préciser les éléments consultés pour faire ce constat.

[21]        Le tribunal comprend que le dossier du travailleur est resté inactif pendant plus de cinq ans, soit jusqu’à ce que l’employeur insiste pour obtenir une réponse sur sa demande de remboursement restée sans réponse. 

[22]        Le 8 février 2005, l’employeur écrit à la CSST. Il demande de nouveau le remboursement de l’indemnité de remplacement du revenu avancée pour la période du 16 mai 1998 au 9 juillet 1998. Le 4 août 2006, il réitère sa demande n’ayant pas reçu de réponse.   

[23]        Une troisième relance est faite le 22 septembre 2006. Le message électronique est ainsi libellé :

3e relance pour la période 1998-0516 au 1998-07-09. Nous n’avons jamais reçu les paiements pour cette période.

 

Pourriez-vous SVP déarchiver [sic] le dossier et l’acheminer au responsable.

 

 

[24]        Le 27 novembre 2006, monsieur Patrick Lévesque des services de l’employeur fait le suivi de la demande précédente. Il désire être informé du traitement du dossier. Ce message amène la CSST à faire les vérifications nécessaires. 

[25]        Elle répond à l’employeur le 1er novembre 2006. Elle refuse de procéder au remboursement en indiquant que la demande est prescrite.

[26]        L’employeur demande la révision administrative sans obtenir gain de cause. Il porte l’affaire devant la Commission des lésions professionnelles. Il s’agit du recours dont nous sommes saisis.

[27]        Il n’apparaît pas du dossier que la CSST a remis à l’employeur une somme qu’elle aurait prélevée sur l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur avait droit.

[28]        Il n’apparaît pas non plus qu’une somme équivalente à l’indemnité de remplacement du revenu correspondant à la période du 16 mai au 13 juillet 1998 ait été imputée au dossier de l’employeur.

[29]        À l’audience, monsieur Robert Lavallée, conseiller à la gestion des accidents du travail chez l’employeur, témoigne. Il explique les différentes démarches effectuées pour vérifier le dossier du travailleur chez l’employeur et les relances faites auprès de la CSST.

[30]        Le tribunal retient qu’en vertu de la convention collective applicable au travailleur, celui-ci reçoit son salaire régulier pendant la période d’incapacité résultant d’une lésion professionnelle. Ce fait est connu des agents de la CSST qui traitent de nombreux dossiers impliquant des réclamations produites par les travailleurs qui sont au service de l’employeur.

[31]        Le témoin confirme que l’employeur a versé le salaire régulier du travailleur pour la période du 16 mai au 9 juillet 1998. Il poursuit en expliquant la procédure en usage pour obtenir un remboursement suivant l’article 126 de la loi.

[32]        Il indique que, normalement, la CSST rembourse à l’employeur un montant équivalent à l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit pour la période équivalente, ce qui n’a pas été fait dans le présent dossier. Les démarches sont minimales. Habituellement, l’envoi du formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement dûment rempli est suffisant.

[33]        Le témoin explique que, dans certains cas, la CSST omet de faire le paiement requis. L’employeur doit alors intervenir auprès de l’agent de la CSST.

[34]        Chez l’employeur, la vérification des remboursements à recevoir est faite en utilisant un système qui s’est révélé imparfait. Ainsi, un certain nombre de dossiers, dont celui du travailleur, n’ont pas fait l’objet de relance systématique auprès de la CSST. Certaines demandes de remboursement sont restées lettre morte.

[35]        Lorsqu’on a découvert l’anomalie et que l’employeur en a été alerté, celui-ci a procédé à la vérification de ses dossiers et repris ses démarches de remboursement auprès de la CSST pour les cas oubliés, d’où les messages transmis à partir du mois d’août 2005.

[36]        Monsieur Lavallée fait valoir par ailleurs que la position de la CSST n’est pas cohérente. Dans certains cas similaires au présent dossier, il a obtenu remboursement sans que la CSST soulève la prescription de son recours. Il cite un exemple précis pour appuyer son affirmation avec documentation à l’appui.  

 

L’AVIS DES MEMBRES

[37]        Le membre issu des associations d’employeurs considère que les conditions d’ouverture au remboursement prévues à l’article 126 de la loi ne sont pas satisfaites. Il refuserait donc de rembourser l’employeur. Il fait remarquer que le travailleur ne s’est pas vu reconnaître le droit à une indemnité de remplacement du revenu. D’autre part, il signale qu’aucun montant à ce titre n’a été imputé au dossier de l’employeur en regard de la réclamation du travailleur pour la récidive, rechute ou aggravation au-delà des quatorze premiers jours. Ainsi, la CSST n’a pas pu percevoir sur l’indemnité de remplacement du revenu payable quelque montant que ce soit. 

[38]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’employeur a été négligent en attendant cinq années avant d’avertir la CSST qu’il n’avait pas reçu les sommes qu’il avait déboursées à partir de la quinzième journée d’incapacité des travailleurs. Bien que la loi ne prévoit pas de délai à l’article 126 de la loi, cela n’exclut pas qu’il doit être diligent dans la gestion des dossiers pour lesquels il a lui-même choisi de verser l’indemnité de remplacement du revenu.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[39]        D’entrée de jeu, le tribunal précise que la lettre du 1er novembre 2006 constitue une décision de la CSST dont l’employeur pouvait demander la révision. À l’audience, la CSST a d’ailleurs renoncé à faire valoir que l’absence de pouvoir du tribunal pour disposer du différend qui l’oppose à l’employeur quant au droit de celui-ci d’obtenir le remboursement visé par l’article126 de la loi.

[40]        La Commission des lésions professionnelles doit donc disposer de la demande de remboursement formulée par l’employeur par laquelle il invoque l’application de l’article 126 de la loi, lequel se lit comme suit :

126.  La Commission peut prélever sur une indemnité de remplacement du revenu et rembourser à l'employeur l'équivalent de ce qu'il paie au travailleur à compter du quinzième jour complet d'incapacité sous forme d'allocation ou d'indemnité, à moins que ce paiement ne soit fait pour combler la différence entre le salaire du travailleur et le montant de l'indemnité à laquelle il a droit.

__________

1985, c. 6, a. 126.

 

 

[41]        Dans le présent dossier, le tribunal considère que la demande de l’employeur a été faite dès le 20 juillet 1998 et complétée au début du mois d’août suivant. Celui-ci a agi conformément à la pratique en usage qui dans la très grande majorité des cas suffit à la CSST. Clairement, cette demande est introduite dans un délai raisonnable.

[42]        En outre, l’employeur a respecté les formalités relatives aux réclamations et aux avis que le législateur édicte aux articles 268 et 269 de la loi. Il a fait parvenir sa demande de remboursement relative aux quatorze premiers jours avec les renseignements requis en utilisant le formulaire en usage. Il a tenu la CSST informée des périodes d’invalidité du travailleur et du moment de son retour au travail. À cet égard, on ne peut pas nier qu’il a agi avec diligence.  

[43]        Le tribunal conclut donc que la demande de remboursement est recevable. On ne peut pas l’écarter sur la base du non-respect d’un délai raisonnable.

[44]        De la même façon, on ne peut pas l’écarter en opposant une prescription extinctive. D’abord, la loi n’en prévoit aucune.

[45]        D’autre part, celle de trois ans édictée à l’article 2925 au Code civil du Québec[2] (le CCQ) ne peut être soulevée puisque l’employeur a fait sa demande dans les trois ans des événements qui en sont la cause. Cette prescription extinctive, pourvu qu’elle soit applicable, n’est pas acquise.

 

[46]        Le tribunal est conscient qu’il existe un débat relatif à l’utilisation des règles du CCQ à titre de droit supplétif. La CSST cite des décisions où la Commission des lésions professionnelles a eu recours aux règles du droit commun, dont l’article 2925 CCQ pour rejeter la demande présentée à la CSST laquelle avait été faite plus de trois ans après la naissance du droit[3].

[47]        En contrepartie, l’employeur avance que le régime d’indemnisation des victimes de lésions professionnelles est un système complet en soi qui ne peut supporter que l’on importe les règles relatives à la prescription afin de disposer des droits et obligations découlant d’une réclamation. Certaines décisions de la Commission des lésions professionnelles peuvent également être citées pour appuyer cette façon de voir[4].

[48]        Quoi qu’il en soit, dans le présent dossier, en ce qui concerne l’introduction de la demande, le débat jurisprudentiel n’a pas d’impact. Il faut cependant poursuivre notre analyse des faits et du droit avant de conclure.   

[49]        Alors que la demande de l’employeur est recevable, peut-on lui opposer une fin de non-recevoir considérant le simple écoulement du temps. Cette demande serait-elle prescrite? Les arguments de la CSST vont dans ce sens.

[50]        Cette question ramène sur la table la question du recours aux règles du CCQ à titre de droit supplétif. D’emblée, le tribunal écarte l’idée voulant que le recours au CCQ ne soit pas utile ou pertinent considérant le régime d’indemnisation particulier édicté par la loi.

[51]        À cet égard, il est utile de se rappeler que le législateur a précisé dans la disposition préliminaire du CCQ que celui-ci constitue la codification du droit commun au Québec et qu’il est le fondement des autres lois lesquelles peuvent y déroger :

Le Code civil du Québec régit, en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les biens.

 

Le code est constitué d'un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l'esprit ou l'objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. En ces matières, il constitue le fondement des autres lois qui peuvent elles-mêmes ajouter au code ou y déroger.

 

 

[52]        Ainsi, en matière de droit statutaire, le recours au CCQ peut être de mise pour interpréter les dispositions d’une loi ou pour y suppléer dans le respect de l’intention manifestée par le législateur.

[53]        Toutefois, dans le présent dossier, même si on retenait que les dispositions du CCQ relatives à la prescription pouvaient s’appliquer à titre de droit supplétif, le tribunal en viendrait à la conclusion que le recours de l’employeur n’est pas prescrit puisque le temps écoulé est majoritairement attribuable à un oubli, voire un manque de diligence de la part de la CSST. Par ailleurs, la demande initiale de l’employeur s’assimile à une cause de suspension de la prescription. Enfin, compte tenu des faits du présent dossier, il serait contraire à l’équité de rejeter la demande de l’employeur sur la base de la prescription.  

[54]        La CSST n’a pas disposé de la première demande de remboursement que lui adresse l’employeur le 14 juillet 1998 et qu’il complète le 29 juillet 1998. Elle n’a pas non plus rendu de décision sur le droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu ni sur le montant de cette indemnité.

[55]        Elle a ainsi manqué à son devoir élémentaire de rendre une décision écrite et motivée dans les plus brefs délais. Cette obligation est édictée à l’article 354 de la loi :

354.  Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.

__________

1985, c. 6, a. 354.

 

 

[56]        En tant que décideuse de l’administration gouvernementale, chargée de dispenser la justice administrative, la CSST a également manqué à ses obligations de prudence et de célérité que lui impose l’article 4 de la Loi sur la justice administrative[5] :

4. L'Administration gouvernementale prend les mesures appropriées pour s'assurer:

 

1° que les procédures sont conduites dans le respect des normes législatives et administratives, ainsi que des autres règles de droit applicables, suivant des règles simples, souples et sans formalisme et avec respect, prudence et célérité, conformément aux normes d'éthique et de discipline qui régissent ses agents, et selon les exigences de la bonne foi;

 

2° que l'administré a eu l'occasion de fournir les renseignements utiles à la prise de la décision et, le cas échéant, de compléter son dossier;

 

3° que les décisions sont prises avec diligence, qu'elles sont communiquées à l'administré concerné en termes clairs et concis et que les renseignements pour communiquer avec elle lui sont fournis;

4° que les directives à l'endroit des agents chargés de prendre la décision sont conformes aux principes et obligations prévus au présent chapitre et qu'elles peuvent être consultées par l'administré.

__________

1996, c. 54, a. 4.

 

[Nos soulignements]

 

 

[57]        Le tribunal comprend que l’erreur est humaine et qu’un agent peut omettre certains aspects dans le traitement d’un dossier. Toutefois, il lui peine à conclure à la prescription d’un recours, qu’on a effectivement exercé, afin de dispenser la CSST de rendre une décision conforme aux exigences de la justice administrative.  

[58]        Il est aussi inspirant de citer l’article 2892 du CCQ qui prévoit l’interruption de la prescription par le dépôt d’une demande en justice :

2892. Le dépôt d'une demande en justice, avant l'expiration du délai de prescription, forme une interruption civile, pourvu que cette demande soit signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire, au plus tard dans les 60 jours qui suivent l'expiration du délai de prescription.

 

La demande reconventionnelle, l'intervention, la saisie et l'opposition sont considérées comme des demandes en justice. Il en est de même de l'avis exprimant l'intention d'une partie de soumettre un différend à l'arbitrage, pourvu que cet avis expose l'objet du différend qui y sera soumis et qu'il soit signifié suivant les règles et dans les délais applicables à la demande en justice.

_____

1991, c. 64, a. 2892.

 

 

[59]        Ainsi, la prescription ne courrait pas pendant l’instance, et ce, jusqu’au résultat final, comme le prévoit l’article 2896 CCQ :

2896. L'interruption résultant d'une demande en justice se continue jusqu'au jugement passé en force de chose jugée ou, le cas échéant, jusqu'à la transaction intervenue entre les parties.

 

Elle a son effet, à l'égard de toutes les parties, pour tout droit découlant de la même source.

_____

1991, c. 64, a. 2896

 

 

[60]        Dans le contexte de la loi, c’est la CSST qui rend les décisions en première instance. Elle possède une compétence exclusive à cet égard selon ce qu’on lit à l’article 349 de la loi :

349.  La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.

__________

1985, c. 6, a. 349; 1997, c. 27, a. 12.

 

 

[61]        Elle est protégée contre certains recours par une clause d’immunité[6]. Elle a pour fonction en quelque sorte de rendre la décision de première instance. Dans ce contexte, conclure à la prescription serait un grave manquement à l’équité et au droit d’obtenir une décision conforme à la loi.  

[62]        D’ailleurs, la fonction de rendre des décisions suivant l‘équité et le mérite réel du cas constitue l’une des premières responsabilités de la CSST en matière de réparation des lésions professionnelles comme l’a édicté le législateur à l’article 351 de la loi :

351.  La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

 

[63]        Certains pourraient prétendre que l’analogie que le présent tribunal fait entre la demande en justice et une demande faite à la CSST est exagérée et qu’elle trahit l’intention du législateur et qu’il faudrait plutôt l’assimiler à la contestation soumise à la Commission des lésions professionnelles.

[64]        À ceux-là, il faut répondre que le régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles constitue une exception au droit commun relatif à la responsabilité civile. En édictant la loi, le législateur a créé un régime de réparation sans égard à la faute :

25.  Les droits conférés par la présente loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque.

__________

1985, c. 6, a. 25.

 

 

[65]        Il a précisé à l’article 438 de la loi que le travailleur ne peut pas intenter une action en justice contre son employeur. Sauf de rares exceptions, les droits des travailleurs et ceux des employeurs s’exercent d’abord en s’adressant à la CSST. Le chapitre VIII de la loi établit une procédure de réclamation et d’avis dont certaines dispositions sont applicables aux employeurs.

[66]        Dans le contexte particulier de la loi, le tribunal considère qu’il n’est pas exagéré ni déraisonnable d’assimiler la demande de l’employeur à une demande en justice. De surcroît, la décision de la CSST est un passage obligé vers l’organisme juridictionnel de dernière instance qu’est la Commission des lésions professionnelles[7]. On ne peut pas assimiler la demande en justice mentionnée à l’article 2892 du CCQ à la seule contestation qu’une partie soumet à la Commission des lésions professionnelles.

[67]        La règle du droit commun appliquée de cette façon deviendrait si limitative qu’elle trahirait l’intention du législateur, lequel a fait de la CSST un organisme qui participe à rendre la justice administrative.

[68]        La CSST ne peut pas refuser de répondre à l’employeur en invoquant le désintéressement de celui-ci puisqu’elle a elle-même manqué à ses propres devoirs et omis de rendre une décision conforme aux exigences de la loi et aux règles de la justice administrative. De plus, la demande initiale de l’employeur peut être assimilée à une action qui suspend le délai de prescription pourvu que ce délai soit applicable, bien entendu. 

[69]        Par ailleurs, en prenant en compte les fondements de la prescription qui incluent l’ordre public et la sanction des comportements négligents ainsi que la paix sociale[8], le tribunal conclut qu’en regard des faits de la présente affaire, la prescription extinctive de l’article 2925 du CCQ ne permet pas à la CSST d’opposer à l’employeur une fin de non-recevoir.

[70]        On en vient maintenant à la question du remboursement en précisant que la Commission des lésions professionnelles rend maintenant la décision que la CSST aurait dû rendre en premier lieu. Ce faisant, elle exerce ses pouvoirs suivant l’article 377 de la loi :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

 

 

 

[71]        Il est établi que le travailleur était incapable d’occuper son emploi à la suite de la récidive, rechute ou aggravation qu’il a subie le 2 mai 1998. Il avait donc droit à une indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 44 de la loi, à tout le moins pour la période visée par la demande de remboursement de l’employeur.  

[72]        Il est également établi que l’employeur a versé au travailleur son salaire régulier du 16 mai 1998 au 9 juillet 1998. En application de l‘article 126 de la loi, il y a donc lieu de prélever l’entièreté de l’indemnité de remplacement du revenu payable au travailleur et de rembourser l’employeur.

[73]        La CSST devra donc rembourser l’employeur en conséquence. 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation de l’employeur, S.T.M.;

INFIRME la décision le 28 mars 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la demande de remboursement de l’employeur est recevable;

DÉCLARE que l’employeur a droit d’être remboursé par la CSST d’une somme équivalente à l’indemnité de remplacement du revenu payable au travailleur pour la période du 16 mai 1998 au 9 juillet 1998 en contrepartie du salaire qu’il lui a versé.

 

__________________________________

 

Michèle Juteau

 

Me François Bouchard

Langlois Kronström Desjardins

Représentant de la partie requérante

 

Monsieur Pierre Kingsbury

S.C.F.P. (local 1983)

Représentant de la partie intéressée

 

Me Myriam Sauviat

Vigneault, Thibodeau, Giard

Représentante de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          L.Q., 1991, c. 64.

[3]          Charron et Marché André Martel inc., [2010] C.L.P. 219 , révision pendante, révision judiciaire        demandée; Sinclair et Prévost Car inc., [2010] C.L.P. 4729, révision judiciaire demandée.

[4]          STM et Richer, C.L.P. 314421-71-0704, 9 novembre 2009, L. Crochetier; Barbeau et        Récupération Emric inc., C.L.P. 159883-71-0104, 8 mars 2002, L. Landriault.

[5]          L.R.Q., c. J-3.

[6]          Article 350 de la loi.

[7]           Articles 358 à 359.1 de la loi.

[8]          Céline GERVAIS, La prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 304.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.