Ressources Métanor inc. |
2014 QCCLP 149 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 30 septembre 2013, Ressources Métanor inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 23 septembre 2013 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 26 juin 2013 et déclare que l’employeur doit être imputé de 8,75 % du coût des prestations découlant de la lésion professionnelle reconnue à monsieur Léonce Gallant (le travailleur) le 3 novembre 2011.
[3] Une audience devait avoir lieu le 5 décembre 2013 à Saguenay, mais le représentant de l’employeur a renoncé à la tenue de celle-ci et a fait parvenir une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’en vertu de l’article 328 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), aucun coût ne doit lui être imputé relativement à la maladie professionnelle reconnue au travailleur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si des coûts doivent être imputés au dossier financier de l’employeur relativement à la maladie professionnelle reconnue au travailleur le 3 novembre 2011.
[6] Dans le présent dossier, l’employeur invoque l’application de l’article 328 de la loi qui prévoit que :
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312.
__________
1985, c. 6, a. 328.
[7] Selon cette disposition, la CSST impute le coût des prestations découlant d’une maladie professionnelle à l’employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie. Lorsque celui-ci a exercé un tel emploi pour plus d’un employeur, la répartition de ces coûts doit se faire entre les employeurs en cause en tenant compte de deux critères, soit la durée du travail exercé par le travailleur qui est de nature à avoir engendré sa maladie et de l’importance du danger que représentait ce travail chez chacun des employeurs en cause.
[8] Comme l’a décidé à juste titre et à maintes reprises la Commission des lésions professionnelles[2], la CSST ne peut, afin d’établir la répartition des coûts entre les employeurs en cause, tenir compte d’autres critères que ceux énumérés à l’article 328 de la loi, telles la date ou la période d’apparition des symptômes de la lésion reconnue au travailleur.
[9] En l’espèce, la preuve révèle que le travailleur a exercé, pendant près de 40 ans, le métier de mineur et de superviseur mineur pour le compte de diverses compagnies minières.
[10] De façon plus spécifique, il a été à l’emploi de l’employeur du mois d’août 2009 jusqu’à sa mise à pied définitive au mois de mars 2013.
[11] Le 6 janvier 2012, le travailleur consulte le docteur Michel Langelier qui pose le diagnostic de phénomène de Raynaud. Selon ce médecin, la condition du travailleur est secondaire à l’utilisation d’outils vibrants. Au sujet de l’exposition professionnelle du travailleur aux vibrations, le docteur Langelier écrit que :
[…]
Ce patient qui est un mineur de 38 ans, a utilisé des outils vibrants à raison de 3 à 4 heures/jour pendant de nombreuses années.
Depuis quelque temps, il est plus superviseur mais il utilise occasionnellement des outils vibrants. Il a développé des phénomènes vasospastiques, type phénomène de Raynaud, impliquant les deux mains légèrement plus à droite qu’à gauche et affectant plus les 3e et 4e doigts.
[…]
[sic]
[notre soulignement]
[12] Le 8 avril 2013, le travailleur soumet à la CSST une réclamation par laquelle il allègue être atteint d’une maladie professionnelle.
[13] Le 18 avril 2013, lors d’une conversation téléphonique avec une agente d'indemnisation de la CSST, madame Mélanie Verreault, cette dernière écrit notamment ce qui suit :
[…]
T est mineur depuis 40 ans.
Il est superviseur depuis 2 ans.
Malgré son titre de superviseur T devait travailler avec des outils vibrants comme les autres travailleurs car c’est lui qui leur montrait comment faire. […]
[sic]
[notre soulignement]
[14] Le 30 mai 2013, la CSST reconnaît que le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle prenant la forme d’un phénomène de Raynaud.
[15] Le 10 juin 2013, une conseillère en réadaptation de la CSST, madame Nadine Schmitt, note ce qui suit au sujet des tâches que le travailleur affirme avoir exécutées chez l’employeur :
[…]
RETOUR D’APPEL DU T :
· J’explique au T que j’ai communiqué avec Mme Claudia Fairfield pour connaître ses tâches. Elle me dit qu’au cours des trois dernières années, le T a occupé des tâches administratives : contremaître, superviseur, surintendant.
· Le T me confirme se fait et me décrit ses tâches comme suit :
- 2011 / Metanor : réhabilitation du puits, travail sous terre, utilisation de différents outils (vibrants ou non) pour réparer et remettre en fonction le puits;
- 2011 / arrêt temporaire à Metanor : suite à un accident mortel;
- 2011 / Baril : mine à ciel ouvert, travaux de forage avec des outils vibrants;
- jusqu’à octobre 2012 / Metanor : fonçage de puits (forer 575 pieds de plus), rôle de superviseur donc doit descendre sous terre 2 à 3 x / semaine (3 à 4 heures chaque fois), il n’utilise pas d’outils vibrants;
- d’octobre 2012 à mars 2013 / Metanor: superviseur terrain, 12 employés à superviser, doit descendre sous terre au moins une fois par jour (2 à 3 heures / jour), il utilise parfois des outils vibrants pour monter au nouveau comment les utiliser.
· Le T dit qu’en dernier, ses mains étaient douloureuse dès qu’il descendait sous terre en raison du froid et de l’humidité : « J’avais toujours les mains gelées. »
· J’informe le T que sa description de tâches diffèrent de celle de Mme Fairfield. Il me donne les noms de ses supérieurs pour que je puisse vérifier ses tâches : jusqu’en octobre 2012 M. Mauril Gauthier (1 819 753-2043 # […] et M. Claude Imbeault jusqu’en mars 2013 (1 819 753-2043 # […]).
APPEL À M. MAURIL GAUTHIER :
· Il me confirme la description de tâches données par le T.
APPEL À M. CLAUDE IMBEAULT :
· Il me confirme la description de tâches données par le T.
[sic]
[16] Le 11 juin 2013, madame Schmitt note ce qui suit lors d’une conversation téléphonique avec l’infirmière responsable des dossiers d’invalidité chez l’employeur, madame Claudia Fairfield :
[…]
APPEL À L’E:
· Je communique avec Mme Claudia Fairfield (infirmière 819 753-2043 poste 2006), responsable du suivi des dossiers CSST chez l’E; je lui demande de me décrire les tâches du T. Elle me dit que depuis les 3 dernières années, le T a fait des essais à différents postes administratifs : contremaître, superviseur et surintendant. Elle m’explique que les deux derniers postes (superviseur et surintendant) occupés par le T consistaient majoritairement à faire du travail de bureau : compléter les cartes de temps, organiser et animer des réunions de sécurité, collaborer avec les ingénieurs pour approuver les plans, expliquer aux nouveau leur travail, etc. Le T pouvait faire une inspection une fois / semaine ou au deux semaines, sous terre. Selon elle, le T n’avait pas à utiliser d’outils vibrants.
· L’E me dit qu’elle n’a pas de définition écrite des tâches.
· Elle ajoute qu’après ces essais, le T a été mis à pied en date du 2013-03-27, car il ne répondait pas aux exigences de l’emploi. Elle ajoute que l’E ne pourra pas offrir au T aucun autre emploi.
[sic]
[17] Le 26 juin 2013, conformément à l’article 328 de la loi, la CSST procède à la répartition, entre les différents employeurs pour lesquels le travailleur a exercé un emploi de nature à engendrer sa maladie, des coûts découlant de la maladie professionnelle reconnue à ce dernier. C’est ainsi que la CSST établit que le travailleur a œuvré, à titre de superviseur mineur, pendant 42 mois chez l’employeur (sur un total de 480 mois de travail au cours de sa carrière), de sorte que l’employeur doit être imputé de 8,75 % du coût des prestations découlant de la maladie professionnelle reconnue au travailleur. L’employeur demande alors la révision de cette décision de la CSST.
[18] Le 28 juin 2013, un rapport final est complété par le docteur Langelier sur lequel il écrit que le phénomène de Raynaud dont est atteint le travailleur est consolidé avec séquelles permanentes et limitations fonctionnelles.
[19] Le même jour, le docteur Langelier signe un rapport d’évaluation médicale dans lequel il décrit les limitations fonctionnelles que conserve le travailleur ainsi que les séquelles permanentes, qu’il évalue à 6,00 %. Au sujet de l’exposition professionnelle du travailleur aux vibrations, le docteur Langelier écrit que :
[…]
Ce patient qui est mineur depuis plus de 38 ans a utilisé des outils vibrants à raison de trois à quatre heures par jour pendant de nombreuses années.
Depuis quelques temps, il est superviseur et utilise occasionnellement des outils vibrants.
[…]
[sic]
[notre soulignement]
[20] Le 23 septembre 2013, à la suite d'une révision administrative, la CSST confirme sa décision du 26 juin 2013 établissant à 8,75%, la proportion des coûts devant être imputée à l’employeur en lien avec la maladie professionnelle reconnue au travailleur.
[21] Le 30 septembre 2013, l’employeur conteste à la Commission des lésions professionnelles, la décision rendue par la CSST le 23 septembre 2013, d’où le présent litige.
[22] Par ailleurs, accompagnant son argumentation écrite, le représentant de l’employeur fait parvenir au tribunal divers documents médico-administratifs, dont une copie d’un courriel de madame Fairfield décrivant comme suit les tâches exercées par le travailleur chez l’employeur :
[…]
Pour la description de tâche de monsieur Gallant,
Le travailleur est appeler à travailler dans un bureau environ 12hr /jr et descendre sous-terre 1 fois par semaine ou au 2 semaines pendant environ 3-4 hr;, au froid (10 degrés) à l’humidité, dans le noir, comme seule lumière sa lumière frontale et tout ce sur un terrain accidenté.
Dans une journée type, quand il descend sous-terre à l’aide d’une cage ( Ascenseur) c’est pour faire des inspections, prendre des notes, donner des conseils aux travailleurs et ensuite il remonte à la surface ( à l’aide de la cage) pour rédiger des comptes rendus par écrit.
Auparavant, il a travaillé environ 6 mois sur des foreuses à la surface (open-pit) i.e qu’il opérait ces machines avec des « joystick » … sans vibrations, à l’extérieur, 10 hr par jour.
Nom de la machine : T-Rex
[…]
[sic]
[23] En l’espèce, l’employeur soumet essentiellement que les fonctions exercées par le travailleur, alors qu’il était à son emploi, n’ont pas contribué au développement de sa maladie professionnelle, car celles-ci ne comportaient aucune exposition aux vibrations.
[24] Or, après analyse et considération de l’ensemble de la preuve documentaire, le tribunal estime que cette prétention de l’employeur ne peut être retenue.
[25] En effet, bien que l’employeur appuie ses prétentions sur les déclarations écrites de madame Fairfield quant à la nature des tâches exercées par le travailleur chez l’employeur, le tribunal constate que les déclarations de celle-ci sont contredites par les notes prises le 18 avril 2013 par l’agente d'indemnisation de la CSST, madame Verreault. Cette dernière indiquait alors que malgré son titre de superviseur chez l’employeur, le travailleur devait occasionnellement travailler avec des outils vibrants, lorsqu’il montrait la tâche à exécuter aux autres travailleurs. Dans le même sens, mais de façon plus détaillée, les notes prises par la conseillère en réadaptation de la CSST le 10 juin 2013 confirment également que le travailleur devait parfois utiliser des outils vibrants chez l’employeur.
[26] Le tribunal estime qu’il faut accorder une valeur prépondérante à ces dernières notes de madame Schmitt, puisque cette dernière indique avoir vérifié les tâches décrites par le travailleur chez l’employeur, auprès de deux supérieurs de celui-ci, soit messieurs Mauril Gauthier et Claude Imbeault, qui ont tous deux confirmé les dires du travailleur.
[27] Considérant ces éléments, force est donc de conclure que l’employeur n’a pas rempli son fardeau de preuve, soit de démontrer de façon prépondérante, que les tâches exercées par le travailleur alors qu’il était à son emploi, n’étaient pas de nature à avoir engendré sa maladie.
[28] Par ailleurs, le tribunal constate que l’employeur n’a fait aucune représentation au sujet de la période d’exposition de 480 mois qu’a eu le travailleur au cours de sa carrière et prise en considération par la CSST dans le présent dossier.
[29] Il en est de même quant au second critère prévu au deuxième alinéa de l’article 328 de la loi, à savoir l’importance du danger présent chez l’employeur comparativement à celui présent chez les autres employeurs pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie.
[30] Néanmoins, de l’avis du tribunal, la preuve au dossier permet de conclure que les tâches de supervision effectuées par le travailleur chez l’employeur impliquent certainement une moins grande exposition aux vibrations, comparativement aux autres emplois de mineur occupés par celui-ci au cours de sa carrière et qui ne comportaient pas de tâches de supervision.
[31] Cette moins grande exposition aux vibrations lorsque le travailleur occupe l’emploi de superviseur mineur est confirmée par les évaluations médicales réalisées par le docteur Langelier les 6 janvier 2012 et 28 juin 2013, où ce médecin fait alors référence à l’utilisation occasionnelle d’outils vibrants.
[32] Ce raisonnement du tribunal s’impose d’autant plus lorsque l’on tient compte que selon les notes prises par la conseillère en réadaptation de la CSST le 10 juin 2013, on peut lire que pendant une certaine période de temps se situant dans les années 2011 et 2012, le travailleur, n’avait pas à utiliser d’outils vibrants. La preuve ne permet cependant pas de déterminer avec exactitude cette période où le travailleur n’a pas été exposé à des vibrations.
[33] C’est ainsi que malgré que la durée d’exposition du travailleur soit difficilement quantifiable, force est de conclure que la durée de l’exposition aux vibrations dans l’emploi de superviseur mineur occupé chez l’employeur était significativement moindre, que dans les autres emplois de mineur occupés par le travailleur. Dans ces circonstances, le tribunal estime équitable et justifié de réduire de moitié, le pourcentage des coûts devant être imputé à l’employeur au présent dossier.
[34] La Commission des lésions professionnelles conclut ainsi que la requête de l’employeur doit être partiellement accueillie et établit à 4,37 %, le pourcentage du coût des prestations devant être imputé au dossier financier de l’employeur en lien avec la maladie professionnelle reconnue au travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête déposée par Ressources Métanor inc., l’employeur;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 septembre 2013 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit être imputé de 4,37 % du coût des prestations reliées à la maladie professionnelle reconnue à monsieur Léonce Gallant, le travailleur.
|
|
|
Jean Grégoire |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Jean-François Dufour |
|
ASSPP QC INC. |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.