Décision

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Couche Tard inc.

2009 QCCLP 8093

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

30 novembre 2009

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent

et Côte-Nord

 

Dossier :

359591-01A-0809

 

Dossier CSST :

125131730

 

Commissaire :

Raymond Arseneau, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Couche Tard inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 30 septembre 2008, l’entreprise Couche Tard inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 septembre 2008 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 4 décembre 2007. Elle déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie par madame Mélanie Soucy (la travailleuse) le 23 novembre 2003.

[3]                L’employeur est représenté à l’audience tenue le 1er septembre 2009 à Rivière-du-Loup.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande de déclarer que le coût des prestations versées en lien avec le syndrome douloureux régional complexe (ou algodystrophie réflexe) du membre supérieur droit, diagnostiqué à compter du 28 avril 2004, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités, conformément aux dispositions de l'article 327 (1) de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]                Au départ, il paraît opportun de faire un rappel non exhaustif des faits à l’origine de la requête.

[6]                Le 23 novembre 2003, la travailleuse alors âgée de 17 ans subit un accident du travail dans l’exercice de son emploi de cuisinière pour l’employeur. Selon les renseignements contenus au dossier, sa main droite a glissé à l’intérieur d’une friteuse qu’elle nettoyait et le contact avec l’huile chaude lui a causé une brûlure de deuxième degré à la face dorsale des 3e, 4e et 5e doigts.

[7]                La travailleuse est aussitôt amenée dans un service d’urgence où un médecin lui prodigue les premiers soins, mettant notamment un pansement autour de sa main.

[8]                À compter du 24 novembre 2003, la travailleuse est suivie par le docteur Patrick Blouin. Ce dernier initie un traitement incluant l’application de pansements, le port d’une orthèse de flexion, de la physiothérapie et de l’ergothérapie.

[9]                Dans les semaines qui suivent le début des traitements, la condition de la travailleuse s’améliore. Par exemple :

-     le 15 décembre 2004, la physiothérapeute note : « Amélioration progressive, meilleure mobilité, guérison progressive »;

-     le 19 décembre 2004, l’ergothérapeute note : « Belle apparence des téguments, peau rosée, n’a plus de pansements »;

-     le 6 janvier 2004, l’ergothérapeute note qu’elle ressent encore une douleur sous forme d’étirement au 3e doigt lors du mouvement de flexion et que sa force de préhension est faible, mais signale qu’elle ne ressent plus aucune douleur au repos, que ses téguments ont un bel aspect, que sa peau est « rosée pâle », que la mobilité de ses doigts est complète, qu’elle a récupéré 50 % de sa force lors du mouvement de pince et qu’elle utilise sa main dans les activités de la vie quotidienne;

-     à ce moment-là, l’ergothérapeute suggère de procéder au retrait progressif de l’orthèse de flexion;

-     le 4 février 2004, la physiothérapeute note dans son rapport de fin d’intervention qu’elle n’a pas revu la travailleuse depuis le 22 janvier 2004 et qu’à cette date, elle avait une bonne mobilité des doigts et ses douleurs au 3e doigt avaient diminué d’intensité; elle spécifie que « les brûlures étaient bien guéries ». (Notre soulignement)

[10]           Vers la fin de l’hiver ou le début du printemps 2004, la condition de la travailleuse se détériore. C’est ce qui ressort des éléments de preuve suivants :

-          le 17 mars 2004, le docteur Blouin fait état de douleurs neuropathiques au 3e doigt droit avec hypoesthésie touchant les 3e, 4e et 5e doigts;

-          le 31 mars 2004, l’ergothérapeute note que la travailleuse ressent depuis un mois une douleur à l’activité soutenue au membre supérieur droit;

-          le 21 avril 2004, l’ergothérapeute signale que la travailleuse éprouve une douleur à l’épaule droite « qui se manifeste au moindre mouvement »;

-          le 22 avril 2004, le docteur Claude Morel, médecin régional de la CSST, inscrit ce qui suit après avoir discuté avec le docteur Blouin : « […] la situation […] se complexifie. […] une nouvelle douleur est apparue au niveau du sus-épineux droit […]. Ce problème […] serait possiblement dû à une augmentation des exercices en physio ou peut être un début d’algodystrophie »;

-          le 25 avril 2004, le docteur Blouin indique dans un rapport médical que la travailleuse présente depuis quelques semaines de l’œdème et des douleurs dans « tout le bras »; il suspecte alors la présence d’un syndrome douloureux régional complexe.

[11]           Le 28 avril 2004, la travailleuse passe une scintigraphie osseuse dont le compte rendu fait état d’anomalies touchant plusieurs articulations du membre supérieur droit compatibles avec un syndrome douloureux régional complexe.

[12]           Par la suite, la travailleuse est suivie par la docteure Hélène Cambron. Cette dernière confirme le diagnostic de syndrome douloureux régional complexe du membre supérieur droit.

[13]           Dans les mois suivants, la travailleuse reçoit divers soins et traitements, notamment des blocs stellaires, en raison de la nouvelle pathologie diagnostiquée. Durant cette période, elle effectue un bref retour au travail.

[14]           Le 22 octobre 2004, le docteur Alain Bois rédige une opinion médicale à la demande de l’employeur. Sans exclure que la brûlure puisse avoir participé à l’apparition du syndrome douloureux régional complexe, il spécifie : « Cette ADRS est sûrement en lien également avec les traitements reçus, soit les pansements répétés que la travailleuse a eus depuis le début des traitements. Toute immobilisation par pansement peut […] être à l’origine d’une telle ADRS ». Il explique qu’il s’agit d’une complication non prévisible et très peu fréquente, voire rare. Il ajoute que n’eut été cette nouvelle pathologie, la brûlure aurait été consolidée au début de l’année 2004. Il conclut « qu’il y a matière à application de l’article 327 et 31 de la LATMP ».

[15]           Le même jour, l’employeur dépose à la CSST une demande de transfert d’imputation en invoquant l’application des articles 327 (1) et 31 de la loi. Il joint à sa demande une copie de l’opinion du docteur Bois.

[16]           À partir de la fin novembre 2004, la travailleuse effectue un retour progressif au travail dans un poste de caissière.

[17]           Le 20 décembre 2004, le docteur Morel rédige une opinion au regard du diagnostic de syndrome douloureux régional complexe du membre supérieur droit. Il écrit :

Considérant - un diagnostic d’algodystrophie du membre supérieur droit;

[…]

 - l’apparition d’une telle condition se produit après un traumatisme comme celui au dossier;

Opinion : Il existe une relation entre le diagnostic d’algodystrophie du membre supérieur droit et l’É.O.

Ce problème n’est pas dû à une augmentation d’exercices, mais a pu être mis en évidence par une augmentation de la mobilité.

 

 

[18]           Le 21 décembre 2004, la CSST rend une décision donnant suite à l’opinion du docteur Morel. Ainsi, elle déclare « qu’il y a relation entre l’événement et l’algodystrophie réflexe du membre supérieur droit ».

[19]           Le 25 mai 2005, la docteure Cambron rédige un rapport final dans lequel elle indique que la lésion est consolidée. Elle précise que les séquelles permanentes seront évaluées par le docteur Sylvain Blanchet.

[20]           Le 29 juin 2005, le docteur Blanchet rédige un rapport d’évaluation médicale. Il évalue le déficit anatomo-physiologique à 6,3 %, soit 2 % pour une atteinte des tissus mous du bras droit, 2 % pour une diminution de mobilité de l’épaule droite, 1 % pour une diminution de mobilité du coude droit et 1,3 % pour une ankylose de certaines articulations des 2e, 3e et 4e doigts droits. Il émet les limitations fonctionnelles suivantes : « Ne peut soulever, transporter et manipuler des charges de plus de 20 livres; A plus de difficulté dans les manipulations fines avec la main droite. […] ». Il soupçonne de plus la présence d’un phénomène de Raynaud et suggère de faire évaluer cet aspect par un chirurgien vasculaire.

[21]           Le 12 septembre 2005, à la demande de la CSST, le docteur Luc Bruneau, chirurgien vasculaire, examine la travailleuse et conclut qu’elle est atteinte d’un phénomène de Raynaud léger. Il évalue le déficit anatomo-physiologique en lien avec cette pathologie à 0,5 % et suggère que la travailleuse évite de travailler dans un environnement froid à moins d’être protégée par des gants ou mitaines « efficaces ».

[22]           Le 6 octobre 2005, le docteur Blanchet transmet à la CSST une information médicale complémentaire dans laquelle il confirme être d’accord avec les conclusions du docteur Bruneau.

[23]           Les 19 et 20 octobre 2005, la CSST rend des décisions par lesquelles elle donne suite à l’évaluation des séquelles permanentes effectuée par les docteurs Blanchet et Bruneau. Ainsi, elle évalue l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique à 7,70 %, soit 6,80 % à titre de déficit anatomo-physiologique et 0,90 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie. Par ailleurs, elle déclare que la travailleuse est capable d’exercer un emploi convenable de commis de dépanneur.

[24]           Le 4 décembre 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la demande de transfert d’imputation déposée à l’automne 2004 par l’employeur. Cette décision est ultérieurement confirmée à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[25]           À l’audience, le représentant de l’employeur dépose une opinion complémentaire du docteur Bois, dont voici certains extraits :

Au moment de l’événement du 23/11/2003, la T a 17 ans et on est loin de s’attendre à une complication majeure des suites d’une telle blessure soit une brûlure de 2e degré aussi peu extensive […].

 

[…] une telle brûlure se consolide à l’intérieur de 4 semaines et elle aurait dû être consolidée au 01/01/2004 au plus tard, et ceci sans DAP et sans limitations fonctionnelles. (en bout de ligne, il n’y a pas de P.E. pour cette brûlure).

[…]

Quant aux facteurs prédisposant [à l’ADRS], il y a des facteurs génétiques […].

 

[…] on retrouve des facteurs liés au traitement dont l’immobilisation. Dans ce dossier, la T a eu des pansements qui immobilisaient sa main droite de même qu’une orthèse de flexion […].

[…]

La T est jeune et la brûlure à la main droite était guérie vers le 19/12/2003.

 

La brûlure à la main n’est pas la cause directe de cette complication d’ADRS […].

 

Quant à la cause de cette ADRS, il y a, bien évidemment, sûrement une prédisposition personnelle de la T […].

 

Comme autre cause, il y a à mon avis surtout les traitements sous forme de pansements immobilisant répétés et l’orthèse qui immobilise la main droite et ceci jusqu’au début de janvier 2004.

 

Je crois qu’il est valable et logique médicalement d’établir un lien entre cette ADRS et les traitements par immobilisation. Ceci est bien connu. [Nos soulignements]

 

 

[26]           Le représentant de l’employeur dépose également une copie du chapitre 22 de l’ouvrage Pathologie médicale de l'appareil locomoteur[2], auquel le docteur Bois fait référence dans son opinion complémentaire. Voici certains extraits de ce chapitre, qui traite du syndrome douloureux régional complexe :

L’apparition d’un SDRC se produit le plus souvent après un traumatisme, habituellement mineur39-41. Il peut s’agir de l’immobilisation d’un membre, d’une blessure ou d’une chirurgie42-45. […]

[…]

Des facteurs génétiques pourraient expliquer la susceptibilité de certains patients au SDRC […]

[…]

La grande majorité des SDRC surviennent après une période d’immobilisation d’un membre. Ce syndrome pourrait résulter de l’immobilisation consécutive à un traumatisme plutôt que de la blessure elle-même. […] l’immobilisation peut contribuer autant à l’apparition du syndrome qu’à sa chronicité.

____________

39, 40, 41, 42, 43, 44, 45 [Références omises].

 

 

[27]           Ce résumé des faits étant présenté, examinons maintenant le cadre légal permettant de disposer de la requête.

[28]           L’article 327 (1) de la loi invoqué par l’employeur prévoit que :

327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations:

 

1°   dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;

[…]

__________

1985, c. 6, a. 327.

 

 

[29]           L’article 31 auquel réfère le premier paragraphe de l'article 327 énonce ce qui suit :

31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1°   des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

2°   d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

[30]           En l’espèce, la réviseure de la CSST motive sa décision de la façon suivante :

[…] la Révision administrative rappelle que la Commission a accepté le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe du membre supérieur droit en relation avec l’événement survenu le 23 novembre 2003 dans sa décision datée du 21 décembre 2004 et que cette décision n’a pas fait l’objet d’une demande de révision. Ainsi, ce diagnostic étant la lésion professionnelle, il ne peut s’agir d’une blessure ou d’une maladie survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus par la travailleuse, mais bien de la lésion professionnelle elle-même.

 

 

[31]           Dans les faits, la réviseure estime que l’employeur est forclos de demander un transfert d’imputation vu son défaut d’avoir contesté la décision rendue le 21 décembre 2004, laquelle a reconnu « qu’il y a relation entre l’événement et l’algodystrophie réflexe du membre supérieur droit ».

[32]           Pour les motifs ci-après énoncés, le tribunal n’est pas d’accord avec la position exprimée par la réviseure.

[33]           Premièrement, la jurisprudence enseigne que l'absence de décision explicite par la CSST disposant de l'existence d'une lésion professionnelle en vertu de l'article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non-recevoir à une demande de transfert de coûts en vertu du premier paragraphe de l'article 327[3].

[34]           Deuxièmement, le fait que la décision du 21 décembre 2004 établisse un lien entre le syndrome douloureux régional complexe du membre supérieur droit et l’événement accidentel n’empêche pas de considérer que cette pathologie découle, de façon plus spécifique, des soins ou traitements reçus en relation avec la lésion professionnelle. Comme le soulignait le tribunal dans l’affaire Métro Richelieu[4], à propos d’une dystrophie réflexe diagnostiquée chez un travailleur victime d’un accident du travail ayant causé une fracture à un pied et nécessité une immobilisation plâtrée :

[12]    Le 5 mars 2004, la CSST rend une décision dans laquelle elle reconnaît le diagnostic de syndrome de dystrophie réflexe secondaire comme étant en relation avec l’événement du 21 novembre 2003.

[…]

[24]    Le 17 novembre 2005, l’employeur dépose une demande de transfert d’imputation en vertu du premier paragraphe de l’article 327 de la loi.

[...]

[49]    Même si la CSST a décidé que le nouveau diagnostic de dystrophie réflexe au membre inférieur gauche constituait une lésion professionnelle, cela n’empêche toutefois pas qu’elle peut aussi correspondre à la définition d’une lésion au sens de l’article 31 de la loi, soit une maladie survenue par le fait ou à l’occasion des soins que le travailleur a reçus pour sa lésion professionnelle, en l’occurrence en raison de l’immobilisation plâtrée. Dans un tel cas, l’employeur a raison de prétendre à l’application en sa faveur des bénéfices de l’article 327 de la loi.

 

 

[35]           Troisièmement, et il s’agit ici d’un élément important, à l’époque où la CSST a rendu sa décision du 21 décembre 2004, l’employeur avait déjà initié sa demande de transfert d’imputation en vertu des articles 327 (1) et 31 de la loi. Il avait donc clairement manifesté sa perception quant à l’origine du syndrome douloureux régional complexe du membre supérieur droit diagnostiqué et pouvait croire, de manière légitime, que la CSST rendrait une décision explicite quant à l’application de l’article 31 en disposant de sa demande en matière d’imputation.

[36]           Dans les circonstances, le tribunal considère que la demande de l’employeur doit être analysée à son mérite.

[37]           À ce stade-ci, il est utile de rappeler que selon la jurisprudence, notamment l'affaire Abattoirs R. Roy inc. et Fleury[5], pour bénéficier d'un transfert d'imputation en fonction de l'article 327 (1), l'employeur doit prouver les éléments suivants :

·        l’existence d’une blessure ou maladie distincte de la lésion professionnelle initiale;

·        que la nouvelle blessure ou maladie est attribuable aux soins reçus pour la lésion professionnelle initiale ou à l'omission de tels soins.

[38]           Voici ce que mentionnait le tribunal dans l'affaire Polar Plastique ltée[6] à ce sujet :

[55]    En édictant l’article 31, le législateur a prévu qu’est considérée une lésion professionnelle une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion des soins qu’un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l’omission de tels soins, établissant ainsi comme critères d’admissibilité, la démonstration de l’existence d’une nouvelle lésion et celle d’une relation causale entre la survenance de celle-ci et les soins reçus ou, selon le cas, ceux qui ont été omis.

 

[56]    Par ailleurs, suivant la jurisprudence constante3 cet article vise bien la survenance d'une nouvelle pathologie distincte de celle qui a été reconnue à titre de lésion professionnelle initiale, laquelle est proprement attribuable aux conséquences du traitement de cette lésion. Il ne vise pas une période de consolidation qui est prolongée en raison de l’interférence de divers facteurs ni les phénomènes qui ne peuvent être dissociés de la lésion d’origine ou du traitement qu’elle a nécessité telles, la cicatrice qui constitue une conséquence directe et inévitable d’une chirurgie ou la complication relative à l’évolution de la lésion elle-même. [...]

____________

3 [Références omises].

 

 

[39]           La jurisprudence reconnaît également qu'une complication peut être assimilée à une blessure ou maladie au sens de l'article 31 de la loi, pour autant qu'elle ne soit pas une conséquence indissociable de la lésion d'origine ou du traitement qu'elle a nécessité, « telle la cicatrice qui résulte inévitablement d'une chirurgie ou la complication médicale qui résulte de l'évolution de la lésion elle-même »[7]. Ce principe a été réitéré par le tribunal dans l'affaire Structures Derek inc. :

[30]    [...] bien que plusieurs décisions reconnaissent que l’article 327 permet de répartir les coûts d’une lésion professionnelle augmentés par une complication survenue suite à un traitement prodigué pour cette lésion7, elles exigent aussi que les conséquences pour lesquelles on demande l’application de l’article 327 ne soient pas indissociables de la lésion professionnelle et n’en soient pas la conséquence normale.

 

[31]    Il faut donc faire la distinction entre un phénomène qui est inhérent à la lésion initiale et celui qui est proprement attribuable aux conséquences de son traitement8. Ainsi, si une lésion constitue une conséquence directe et indissociable de la lésion initiale, il n’y aura pas ouverture à l’application de l’article 3279. Cependant, le tribunal estime qu’il y aura lieu d’appliquer l’article 327 lorsque la lésion qui découle des soins reçus pour une lésion professionnelle n’en est pas une conséquence automatique et indissociable et qu’elle constitue plutôt une complication qui ne survient pas dans la majorité des cas. [...]

____________

7  8  9  [Références omises].

 

 

[40]           En l'instance, la preuve laisse voir que le syndrome douloureux régional complexe du membre supérieur droit diagnostiqué à compter du 28 avril 2004 est une pathologie distincte de la lésion professionnelle initiale dont le diagnostic est une brûlure de deuxième degré à la face dorsale des 3e, 4e et 5e doigts de la main droite.

[41]           Par ailleurs, il est probable que ce syndrome douloureux régional complexe résulte des soins que la travailleuse a reçus pour sa lésion professionnelle, plus spécifiquement de ses pansements répétés et de l’orthèse de flexion utilisée jusqu’au mois de janvier 2004.

[42]           À cet égard, le tribunal accorde une valeur prépondérante à l’opinion du médecin de l’employeur, puisqu’elle est bien motivée et prend appui sur la littérature médicale.

[43]           En outre, les prétentions de l’employeur sont corroborées par plusieurs documents au dossier, dont :

-          les rapports des premiers médecins consultés, qui indiquent que la période prévisible de consolidation est de 60 jours ou moins;

-          les rapports des intervenants en physiothérapie et en ergothérapie, qui laissent voir que la brûlure était en bonne voie de guérison durant les mois de décembre 2003 et janvier 2004;

-          les diverses notes de consultation qui confirment qu’à partir du 28 avril 2004, les soins et traitements prodigués à la travailleuse ont été axés sur la nouvelle pathologie diagnostiquée;

-          le rapport d’évaluation médicale du docteur Blanchet, qui montre que la brûlure n’a pas entrainé de préjudice esthétique.

[44]           Finalement, il est incontestable qu’il y a une relation temporelle entre la fin de l’immobilisation de la main droite (il y a eu retrait progressif de l’orthèse de flexion en janvier 2004) et l’apparition des symptômes neuropathiques (rapportés à la mi-mars 2004).

[45]           Tenant compte de ces faits, le tribunal conclut que l’employeur a droit à un transfert d’imputation au regard du coût des prestations versées en lien avec le syndrome douloureux régional complexe du membre supérieur droit, diagnostiqué à compter du 28 avril 2004.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Couche Tard inc., l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 septembre 2008 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations versées en raison de la lésion professionnelle subie par madame Mélanie Soucy le 23 novembre 2003 en lien avec le syndrome douloureux régional complexe du membre supérieur droit, diagnostiqué à compter du 28 avril 2004, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

 

Raymond Arseneau

 

 

Me Éric Latulippe

LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]       L.R.Q., c. A-3.001.

[2]     Nicole BEAUDOIN et autres, chap. 22 : « Syndrome douloureux régional complexe (SDRC) », dans Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, p. 1036-1065.

 

[3]     Industrie manufacturière Mégantic et Roy, [1995] C.A.L.P. 842 ; Centre hospitalier Pierre Boucher et CSST, C.A.L.P. 68820-62-9504, 27 novembre 1996, M. Lamarre; Provigo Div. Montréal Détail, [1999] C.L.P. 1029 ; Ministère de la Solidarité sociale (Programme Expérience Travail Extra), C.L.P. 117998-72-9906, 25 janvier 2000, M. Lamarre.

[4]     C.L.P. 291111-71-0606, 31 janvier 2007, D. Lévesque.

[5]     [1993] C.A.L.P. 1140 . Voir également : Asea Brown Boveri inc. et Desautels, C.A.L.P. 55197-05-9311, 14 août 1995, M. Denis; Commission scolaire Châteauguay et Ghali, C.L.P. 105037-72-9807, 29 avril 1999, D. Lévesque; Ressources Meston inc. et C.S.S.T., [2001] C.L.P. 355 .

[6]     [2002] C.L.P. 895 .

[7]     Bombardier Aéronautique [2002] C.L.P. 525 . Dans cette affaire, le tribunal, après avoir analysé la jurisprudence, suggère de retenir le critère de la « conséquence indissociable » lorsque la preuve présentée nécessite de faire la distinction entre un phénomène qui est inhérent à la lésion initiale et celui qui est proprement attribuable aux conséquences de son traitement.

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