Nenciovici c. Université de Montréal |
2015 QCCS 3360 |
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COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N°: |
500-17-072718-128 |
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DATE : |
Le 16 juillet 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE ROBERT CASTIGLIO, J.C.S. |
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LUCIAN NENCIOVICI |
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Demandeur |
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c. |
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UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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JC 00M7
INTRODUCTION
[1] Lucian Nenciovici (Nenciovici) conteste son exclusion du programme des études médicales de premier cycle de la Faculté de médecine (la Faculté) de l’Université de Montréal (l’Université).
[2] Nenciovici affirme que cette décision d’exclusion, prise par le doyen de la Faculté après évaluation de son cheminement dans le programme, constitue une décision arbitraire et déraisonnable, prise en violation des règles d’équité procédurale applicables.
[3] Nenciovici demande au Tribunal d’annuler cette décision et de condamner l’Université à lui verser 120 000 $ à titre de dommages pécuniaires et 30 000 $ à titre de dommages moraux.
[4] L’Université affirme pour sa part que la décision du doyen de la Faculté d’exclure Nenciovici a été prise conformément au Règlement des études de premier cycle[1] (le Règlement des études) et que cette décision est non seulement raisonnable mais tout à fait appropriée dans les circonstances.
[5] Selon l’Université, cette décision du doyen a été prise dans le respect des règles d’équité procédurale applicables, Nenciovici ayant eu l’opportunité de comparaître et de présenter son point de vue tant devant le comité de promotion que devant le conseil de la Faculté de médecine (le Conseil de faculté), deux entités indépendantes l’une de l’autre qui ont été consultées par le doyen avant qu’il ne prenne sa décision.
[6] Quant aux dommages réclamés, l’Université plaide qu’elle n’a commis aucune faute en l’instance et que la réclamation doit être rejetée.
[7] Avant d’analyser les prétentions des parties, il y a lieu de revoir le cheminement de Nenciovici à l’intérieur du programme des études de premier cycle de la Faculté.
LE CHEMINEMENT DU DEMANDEUR DANS LE PROGRAMME DES ÉTUDES
[8] Nenciovici entreprend le programme des études médicales de premier cycle à l’automne 2005. Puisqu’il est alors détenteur d’un certificat d’études collégiales, son programme est d’une durée de 5 ans, incluant une année préparatoire qui débute en août 2005.
[9] Cette année préparatoire est composée principalement de cours magistraux donnés à l’Université; l’étudiant doit toutefois compléter un stage d’une durée d’une semaine dans un centre hospitalier affilié. Dans le cas de Nenciovici, ce stage a lieu à l’Hôpital Sacré-Cœur, au cours du mois de janvier 2006, sous la responsabilité de Dr Pierre Rondeau (Dr Rondeau) (cours MMD 1015).
[10] Nenciovici complète avec succès son année préparatoire, comme le démontre le relevé de notes émis en juin 2006[2].
[11] Bien que le relevé de notes indique que Nenciovici a complété avec succès le stage (MMD 1015), l’évaluation de stage complétée par Dr Rondeau soulève certaines interrogations et réserves concernant l’attitude du demandeur[3].
[12] De façon particulière, Dr Rondeau formule les recommandations suivantes :
« 2. RECOMMANDATIONS
- Compte tenu de certaines attitudes observées durant le stage,
- Compte tenu des 2 retards lors des rencontres de groupe,
- Compte tenu que dans l’ensemble du stage et de son rapport de stage, l’étudiant ne se soit pas assez centré sur l’objectif principal, à savoir l’observation et la réflexion concernant les souffrances des patients,
- Compte tenu du rapport d’une longueur limite (4 pages) et compte tenu que l’étudiant dans ce rapport identifie le cours comme celui d’IMC,
- Compte tenu que les éléments précédents constituent des indices de difficultés plus que des conclusions définitives,
Je recommande que l’étudiant ait la note « Stage réussi, niveau passable », que l’étudiant soit rencontré afin de recueillir plus d’informations, que celui-ci fasse l’objet d’une supervision attentive lors des stages cliniques subséquents et que le dossier de l’étudiant soit porté à l’attention du Dr Marcel Julien[4]. »
[13] Le 15 février 2006, Dr Marcel Julien (Dr Julien), alors directeur du programme des études de premier cycle, inscrit la note suivante au dossier de Nenciovici :
« 15 février 2006
Étudiant qui a eu une évaluation « limite » en immersion clinique (voir rapport du Dr Rondeau tuteur à HSC (Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal), Dr Monday contacté il a parlé à l’étudiant en question avec Dr Bourdy. Suivre en IMC[5] »
Les années précliniques
[14] Nenciovici débute à l’automne 2006 sa première de deux années précliniques. Avant le début de la session d’automne, Dr Christian Bourdy (Dr Bourdy), alors Responsable universitaire du monitorat clinique, présente un diaporama pour l’ensemble des étudiants afin de leur indiquer les principaux objectifs de cette première année d’études d’introduction à la médecine clinique.
[15] Dans le cadre de sa présentation, Dr Bourdy attire l’attention des étudiants sur les compétences CanMeds 2005, recommandées par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (le Collège royal), à savoir :
Ø le professionnalisme;
Ø l’expertise médicale;
Ø la communication;
Ø la collaboration;
Ø l’érudition;
Ø la promotion de la santé;
Ø la gestion[6].
[16] De façon particulière, Dr Bourdy informe les étudiants que l’objectif de cette première année est de développer les compétences suivantes :
« - Cliniques (expertise)
· Anamnèse « réfléchie »
· Examen physique complet
· Amorce d’un raisonnement clinique
- Communicationnelles
· Habiletés de base
- Professionnelles
· Éthique biomédicale
· Comportement adéquat[7] »
[17] À l’égard des stages que les étudiants doivent suivre en milieu hospitalier, sous la supervision d’un moniteur, Dr Bourdy les avise qu’ils seront notés sur les compétences suivantes :
« Évaluation de l’étudiant par le moniteur
- Professionnalisme
o Respect, empathie, comportement
- Expertise médicale
o Anamnèse
o Examen physique
o Raisonnement clinique
- Communication
o Étapes de la rencontre, structure, techniques
- Collaboration
o Participation active
- Érudition[8] »
[18] Toujours dans le cadre de sa présentation, à laquelle assiste Nenciovici, Dr Bourdy explique le système de notation en vigueur à la Faculté; les étudiants sont alors informés que le responsable du stage complète une fiche d’évaluation indiquant, à l’égard de chacune des compétences évaluées, si l’étudiant est :
Ø au-delà des attentes;
Ø conforme aux attentes;
Ø en deçà des attentes;
Ø nettement insuffisant (échec).
[19] Les étudiants sont avisés que plusieurs évaluations « en deçà des attentes » peuvent causer un échec et que la pondération des notes n’est pas complétée par le responsable de stage mais par le bureau d’évaluation de la Faculté.
[20] Nenciovici complète avec succès l’ensemble des cours de sa première année, à l’exception du cours MMD 1239 - introduction à la médecine clinique II - où il se voit attribuer une note d’échec[9].
[21] Les raisons de l’échec de Nenciovici apparaissent à la fiche d’évaluation complétée par la responsable du stage, Dre Nacéra Chabane (Dre Chabane)[10]. Celle-ci juge que Nenciovici ne satisfait pas aux attentes à l’égard des éléments suivants :
Ø démontrer respect et empathie envers le patient;
Ø démontrer respect envers ses pairs, le moniteur et autres professionnels;
Ø démontrer un comportement responsable (assiduité, ponctualité, habillement, préparation adéquate, attitude générale, etc.).
[22] Dre Chabane juge aussi que Nenciovici est en deçà des attentes au niveau de l’érudition puisqu’il ne démontre pas une capacité d’autocritique pouvant l’emmener à modifier ses tâches et attitudes pour tenir compte des rétroactions reçues[11].
[23] Afin de ne pas retarder la progression de Nenciovici dans le programme d’études, le directeur du programme, Dr Julien, décide d’exempter celui-ci de l’obligation de reprendre son cours et de le soumettre à une période de probation d’une année, le tout en conformité avec l’alinéa 14.3 b) du Règlement des études.
[24] Cette disposition permet effectivement à l’autorité compétente, sur recommandation du comité créé à cette fin, d’autoriser l’étudiant à progresser dans le programme en l’avisant toutefois qu’il devra parfaire ses connaissances, améliorer certaines habiletés ou modifier ses attitudes pendant la période de probation déterminée.
[25] La période de probation d’une année déterminée par Dr Julien coïncide avec l’année académique 2007-2008.
[26] Le 30 juillet 2007, Dr Julien transmet à Nenciovici la note suivante :
« J’ai constaté que votre note globale pour l’année académique 2006-2007 avait été retenue due (sic) à l’analyse de votre note en l’IMC à cause d’un échec au niveau des attitudes soit le « professionnalisme » et le sens de « l’autocritique ».
Nous considérons que malgré cet échec vous pourrez poursuivre vos études médicales normalement en deuxième année du programme si vous acceptez à titre de reprise, une probation d’un an avec des conditions dont les détails vous seront fournis lors d’une rencontre où vous êtes convoqué, vendredi le 14 septembre prochain à 11h45 après les APP à mon bureau le U-231-4 en présence du Dr Christian Bourdy, responsable de l’IMC/IDC[12]. »
[27] Le 14 septembre, Nenciovici rencontre Drs Julien et Bourdy afin de connaître les conditions liées à sa probation. Nenciovici accepte alors les conditions résumées dans un courriel transmis le 16 septembre :
« Bonjour Monsieur Nenciovici,
Pour faire suite à notre rencontre de vendredi dernier le 14 septembre, je vous rappelle les éléments suivants qui vous concernent :
1- Vous avez la possibilité de poursuivre vos études médicales en deuxième année malgré un échec en IMC aux éléments de « professionnalisme » et « d’érudition » tel que cités dans un précédent courriel cet été.
2- Vous êtes cependant en Probation pour l’année académique 2007-2008 et tout autre échec de quelque nature soit-il signifiera votre exclusion du programme MD
3- Vous serez convoqué au moins à quatre reprises durant l’année, c’est-à-dire après chacune des évaluations formatives ou sommatives pour faire le bilan de votre progrès
4- Vous devrez lors de ces rencontres nous remettre un résumé (portfolio) de votre réflexion hebdomadaire sur des évènements précis de votre formation où les éléments de professionnalisme et d’érudition auront été mis à l’épreuve
5- Nous vous conseillons fortement de consulter le bureau d’aide aux étudiants pour le support académique ou personnel qui pourrait vous aider à traverser ces difficultés en composant le 514-343-6603
Salutations distinguées et bonne année académique
Marcel Julien MD[13] »
[28] Conformément aux conditions énoncées ci-dessus, Nenciovici rencontre Dr Julien à quatre reprises au cours de l’année académique 2007-2008; il produit à ces occasions des réflexions hebdomadaires portant principalement sur des éléments de professionnalisme et d’érudition, les deux compétences dans lesquelles il avait été noté en deçà des attentes[14].
[29] Le 28 janvier 2008, Dr Julien note au dossier de Nenciovici que ce dernier chemine lentement[15].
[30] Le 30 juin 2008, Dr Julien rencontre Nenciovici pour l’informer de la réussite de sa probation dans les termes suivants :
« Suite à notre rencontre de ce matin, je constate votre succès académique au niveau des examens de connaissances et une nette amélioration au niveau des attitudes cette année. Vous réussissez donc votre année probatoire. Poursuivez vos efforts afin de raffiner votre comportement[16]. »
[31] Nenciovici est donc promu, à l’automne 2008, à la première de deux années d’externat. La directrice de l’externat est alors Dre Martine Jolivet-Tremblay (Dre Jolivet-Tremblay).
Les années d’externat
[32] Les années d’externat s’échelonnent sur deux années académiques (2008-2009 et 2009-2010). Elles se déroulent principalement dans des centres hospitaliers où les étudiants sont pris en charge par des professeurs et résidents, dans le but de leur permettre de développer leur capacité à travailler en milieu clinique auprès de véritables patients.
[33] Comme l’avait fait Dr Bourdy pour les années précliniques, Dre Jolivet-Tremblay présente aussi un diaporama aux étudiants débutant leur externat à l’automne 2008. Cette présentation a principalement pour objectif de rappeler aux étudiants les attentes de la Faculté[17]. Nenciovici assiste à cette présentation.
[34] Dre Jolivet-Tremblay rappelle aux étudiants que les stages visent non seulement à leur permettre d’approfondir leur raisonnement clinique mais aussi à développer leurs habiletés, attitudes et comportements liés à la pratique professionnelle de la médecine.
[35] Au cours de cette présentation, Dre Jolivet-Tremblay informe spécifiquement les étudiants que depuis 2006, 50 % de l’évaluation porte sur les compétences suivantes, issues du cadre CanMeds du Collège royal :
Ø le professionnalisme;
Ø la communication;
Ø la collaboration;
Ø la gestion;
Ø l’érudition.
[36] Tel qu’il appert de la fiche d’évaluation présentée aux étudiants, les critères jugés déterminants sont :
Ø la ponctualité et l’assiduité;
Ø le sens des responsabilités;
Ø l’empathie et le respect;
Ø la capacité d’appliquer les principes éthiques en clinique;
Ø l’autocritique[18].
Une évaluation inférieure aux attentes à l’égard d’un seul de ces critères entraîne l’échec du stage[19].
[37] Au cours de la session de l’automne 2008, Nenciovici suit un stage de médecine interne à l’Hôpital Saint-Luc, sous la supervision de Dr Diem Quiem Nguyen (Dr Nguyen). Le 18 novembre, Dr Nguyen communique à Dr Bourdy, devenu vice-doyen de la Faculté depuis le 6 octobre 2008, certaines de ses inquiétudes à l’égard du comportement et du professionnalisme de Nenciovici.
[38] Le 19 novembre, Nenciovici est convoqué par Drs Julien et Bourdy. Ces derniers lui font part des remarques de Dr Nguyen et lui expriment leur inquiétude à l’égard de la réussite du stage. Ils suggèrent alors à Nenciovici de rencontrer le bureau d’aide aux étudiants et résidents (le BAER); ils recommandent aussi à Nenciovici de s’inscrire à un atelier de raisonnement clinique. Une note de cette rencontre est inscrite au dossier de l’étudiant[20].
[39] Il est à noter que Nenciovici avait déjà consulté le BAER à l’automne 2007, après son échec au stage d’introduction à la médecine clinique (MMD 1239). Dr Ramses Wassef, directeur du BAER, avait alors fait part à Dr Julien des discussions intervenues avec Nenciovici[21].
Le stage de chirurgie
[40] Du 8 décembre 2008 au 8 février 2009, Nenciovici complète son stage de chirurgie à l’Hôpital Sacré-Cœur, sous la supervision de Dre Dominique Synnott (Dre Synnott) (MMD 3602).
[41] Au cours de ce stage d’une durée de 8 semaines, Nenciovici travaille avec différents médecins et résidents. Ses performances sont évaluées à mi-stage et à la fin du stage par Dre Synnott, avec l’assistance du co-directeur du stage, Dr Stéphane Panic (Dr Panic).
[42] Pour compléter son évaluation de mi-stage, Dre Synnott tient compte des commentaires des différents membres de l’équipe; elle exclut de l’évaluation les éléments qui ne font pas consensus. Chaque étudiant est rencontré pour une rétroaction au cours de laquelle Dre Synnott les informe des commentaires reçus et des éléments qui nécessitent amélioration.
[43] Lors de cette rétroaction avec Nenciovici, Dre Synnott fait part à celui-ci de certains problèmes d’attitude à l’égard du personnel médical et infirmier. Elle lui reproche entre autres de ne pas avoir aidé une collègue médecin qui devait se déplacer en chaise roulante et de répondre négativement aux commentaires du personnel infirmier.
[44] L’attitude de Nenciovici lors de cette rétroaction de mi-stage ne plaît pas à Dre Synnott; elle note que ce dernier est « évaché » sur sa chaise et qu’il semble se foutre de ses commentaires. Elle lui recommande d’améliorer son attitude, qu’elle considère nonchalante.
[45] Environ une semaine avant la fin du stage, Dre Synnott complète avec Dr Panic la fiche d’évaluation de Nenciovici; pour ce faire, elle discute avec les différents médecins ayant travaillé avec lui au cours du stage. Nenciovici a par ailleurs été sous sa supervision directe pendant au moins 2 jours, l’un à la salle d’opération, l’autre à l’urgence de l’hôpital. Dre Synnott a aussi présidé une table ronde composée d’un groupe de huit étudiants, dont Nenciovici, dans le but de faire le point sur leur apprentissage. Elle a aussi présidé une visioconférence à laquelle Nenciovici a participé.
[46] Dre Synnott et Dr Panic évaluent alors que la performance de Nenciovici est globalement conforme aux attentes, sauf au niveau de l’autocritique et de l’organisation de son travail, où ils jugent que l’étudiant est en deçà des attentes. Dre Synnott formule les commentaires suivants :
« Organisation du travail à améliorer. Inconstant dans ses performances. Doit apprendre à s’impliquer et à s’intégrer d’avantage (sic) avec l’équipe traitante. Communication parfois difficile. Bénéficierait à être pro-actif[22]. »
[47] Après avoir complété la fiche d’évaluation, Dre Synnott et Dr Panic convoquent Nenciovici afin de lui faire part de leurs commentaires. Celui-ci se présente alors avec 30 minutes de retard; il explique qu’il arrive directement de la salle d’opération.
[48] Dre Synnott permet à Nenciovici de prendre connaissance de la fiche d’évaluation. Après l’avoir consultée, ce dernier esquisse un sourire et précise à Dre Synnott qu’on est incapable de l’évaluer vu « qu’on ne pouvait comprendre son intelligence supérieure ». À sa surprise, Nenciovici signe la fiche d’évaluation.
[49] Dans les jours suivants, Dre Synnott apprend de l’un de ses collègues que Nenciovici lui aurait menti sur son emploi du temps lors de la journée d’évaluation; celui-ci se serait en effet présenté à la salle d’opération à 10 h 30 et l’aurait quittée à 11 h 30, pour aller dîner. Son arrivée tardive à 14 h 30 ne pouvait donc être liée à sa présence en salle d’opération. Dre Synnott est aussi informée que Nenciovici ne se serait pas présenté à un rendez-vous fixé par Dr Giroux pour une réunion de département obligatoire, le jeudi matin de cette même semaine.
[50] Perplexe, Dre Synnott transmet à Nenciovici la note suivante :
« Pourriez-vous me dire où vous étiez le lundi 2 février durant votre stage de chirurgie dans la semaine de neurochirurgie, ainsi que le mercredi 4 février (le lendemain de votre évaluation) et me dire pourquoi vous n’étiez pas à la réunion obligatoire du département de chirurgie le jeudi matin de 7h30 à 8h30[23]. »
[51] Le 12 février, Nenciovici transmet la réponse suivante à Dre Synnott :
« En fait, j’étais chez moi en train de jouer au Nintendo… Ça ne me tentait pas d’aller à l’hôpital!
Trêve de plaisanteries stupides, voici en détail mon horaire pour les lundi 2 février, mercredi 4 février et jeudi 5 février :
- Lundi 8h30 : cours avec Dr Bellemarre sur la séméiologie digestive haute. Je n’ai pas pensé à lui demander un billet de présence…
- Par la suite : j’ai essayé de récupérer des notes d’echocardiographie auprès d’un patron de cardio, sans succès. J’ai également eu des coups de fils à passer.
- Je me suis ensuite dirigé vers le bloc opératoire pour rejoindre Dr Giroux. Cependant, il n’y avait plus d’opération dans sa salle et en regardant l’horaire, j’ai vu qu’il n’avait en effet que deux chirurgies de prévues ce matin-là. Je l’ai fait signaler, sans succès et j’ai pris pour acquis qu’il n’était plus à l’hôpital. (J’apprendrai le lendemain qu’il avait en fait opéré jusqu’à 14h ce jour-là…!!).
- Je suis donc allé voir une chirurgie bariatrique avec Dr Atlas et Dr de Madrid. En ayant déjà vu quelques chirurgies de ce genre pendant ma semaine de bloc op et le menu de la journée n’offrant que de telles chirurgies, plutôt soporifiques, je suis ensuite descendu vers la clinique externe…
- Dr Panic ayant terminé sa clinique externe, je suis allé chercher le paget et me suis renseigné s’il y avait des consult à l’urgence.
- Le paget était pris par l’externe Loic, que j’ai fini par retrouver à la bibliothèque. Je suis donc demeuré en sa présence pour faire les éventuelles consults. Aucune nouvelle consult cependant jusqu’à 17h, heure à laquelle j’ai commencé ma garde.
- Nous avons eu 3 consults pendant la garde, consults que j’ai revues avec Dr de Madrid. J’ai donc quitté l’hôpital peu après la dernière consult, vers 22h quelque. Encore une fois, je n’ai pas pensé à demander un billet de présence à Dr de Madrid…
- Mercredi 8h30 : dernier arc, avec Dr Bellemarre… Je n’ai évidemment pas pensé au billet de présence.
- Il est à noter que la veille, j’ai été en salle d’op avec Dr Giguère et il m’avait proposé de m’emmener à sa clinique à Laval. Cependant, à cause de cet arc, je ne pouvais y aller… À ce que je sache, les arcs sont prioritaires à TOUT.
- Les chirurgies de neurochir ce jour-là étaient annulées (avec un autre Dr que Giroux et Giguère, dont le nom m’échappe). Ce patron n’a pas répondu au paget non plus.
- J’en ai donc profité pour m’absenter brièvement cette journée-là et régler des choses en dehors de l’école, choses qui ne tenaient d’ailleurs aucunement du domaine du plaisir.
- À mon retour, en début de PM, la clinique externe était encore une fois finie, sans consult à l’urgence. Je me suis donc joint à Loic et au paget en attendant des consult.
- Nous avons quitté par la suite pour le cours de pharmaco à HND.
- Jeudi 7h30 : j’attends Dr Giguère dans le stationnement des médecins. Sa clinique à Laval débute à 8h. Donc, pour assister à la fameuse réunion scientifique du département, j’aurais encore une fois dû manquer la clinique de neurochir. A (sic) ce que je sache, les activités cliniques ont priorité sur les réunions départementales… Mais peut-être me trompe-je?
- J’ai passé la journée en compagnie de Dr Giroux finalement (auquel, bien entendu, je n’ai pas pensé à demander un billet de présence). Il est intéressant de noter que j’ai dû débourser presque 6$ de ma poche pour mon chemin retour, car aucun des deux patrons ne revenait à HSC.
Par ailleurs, j’avoue qu’un autre épisode du genre de lundi 2 février m’est arrivé avec Dr (sic) Choinière lors de la semaine de chir thoracique, en décembre. Celle-ci me signalant qu’elle serait sérieusement en retard un matin, je l’ai faite (sic) signaler à chaque heure… C’est finalement elle qui m’aura retrouvé en début de pm à la signalisation générale! J’aurai manqué toute la clinique ce matin-là, car elle était là depuis quelques heures… Je suggère donc qu’il y a des améliorations à apporter pour favoriser les retrouvailles patron-externe.
Alors voilà, si vous avez d’autres questions, je serai heureux d’y répondre…[24] »
[52] Jugeant le comportement et l’attitude de Nenciovici totalement inacceptables, Dre Synnott complète un addendum le 17 février 2009 dans les termes suivants :
« Addendum à l’évaluation du stage en chirurgie générale à l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal de l’externe Lucian Nenciovici
Suite à des rencontres subséquentes avec les professeurs qui ont côtoyé l’externe ci-haut mentionné lors de sa dernière semaine,
Suite à l’évaluation mi-stage de l’externe lui mentionnant des points faibles à corriger, ce qui n’a pas porté fruit,
Suite à la réponse de l’externe à des questions de présence à l’hôpital (voir son courriel ci-joint),
Suite à son mépris vis-à-vis l’apprentissage intra-hospitalier et ses commentaires dégradants (« soporifiques », voir son courriel ci-joint),
je désire apporter des mentions supplémentaires à l’évaluation de l’externe :
L’externe a erré voire menti dans son emploi du temps lors de sa rencontre lors de l’évaluation finale en présence du Dr Panic et de Dre Synnott; la question concernant son horaire lui fut posé (sic) clairement et il a affirmé non seulement n’avoir pas manqué une seconde de présence à son stage, mais a affirmé arriver directement de la salle d’opération lors de son évaluation; il était habillé « en vert » avec le chapeau de salle d’opération. Nous apprendrons par la suite par Dr Giguère que l’externe ne s’est pas présenté à son stage le lundi, qu’il est arrivé tard à la salle d’opération le mardi (une heure plus tard que la fin d (sic) l’ARC), qu’il a quitté vers 11h00 sous prétexte d’aller dîner puis d’aller à un cours. L’évaluation n’était qu’à 14h30; il n’arrivait donc pas de ce pas de la salle d’opération.
L’externe a perdu complètement sa journée du mercredi en prétextant ne pas savoir comment rejoindre le patron, alors qu’il s’agit de la dernière semaine de stage. Aucun autre externe n’a éprouvé ce genre de difficulté à l’externat.
Dr Giroux a donc donné RV à l’externe jeudi matin à 8h30 pour l’amener à son bureau dans sa voiture, puisqu’il y a une réunion de département obligatoire le jeudi matin de 7h30 à 8h30. L’externe était déjà dehors à 8h00 à attendre Dr Giroux et lui a dit qu’il l’attendait depuis 20-30 minutes; l’externe n’a donc pas assisté à la réunion départementale où sa présence est obligatoire et à laquelle les chirurgiens assistent tous (dont Dr Giroux).
Un courriel lui est envoyé le 11 février pour lui demander son emploi du temps et je vous prie de lire attentivement sa réponse.
Il est clair que l’externe Lucian Nenciovici est incapable de comprendre l’utilité de la clinique et de prendre toutes les opportunités pour apprendre. Il n’est ni débrouillard ni objectif. Il fait preuve d’une pauvre autocritique. Il désobéit aux instructions de l’externat et a entraîné dans l’erreur ses évaluateurs en n’exposant pas la vérité. L’externe a besoin d’aide pour évaluer les raisons de ses difficultés d’adaptation et de pauvre jugement, pour empêcher que ceci ne perdure durant tout son apprentissage et peut-être sa carrière.
Je désire changer dans son évaluation :
Présence et assiduité : insuffisant
Autocritique : insuffisant
Relations avec l’équipe : insuffisant
Je vous remercie de prendre en considération cet addendum et je vous prie de nouveau de lire attentivement le courriel de l’externe qui reflète sa pensée concernant la clinique à l’externat[25]. » (souligné par le Tribunal)
[53] L’addendum est transmis à la directrice de l’externat, Dre Jolivet-Tremblay, le 20 février 2009[26].
[54] La journée même, Dre Jolivet-Tremblay transmet l’addendum au bureau d’évaluation afin qu’une nouvelle pondération soit effectuée[27].
[55] Le 27 février, Nenciovici est avisé que cette nouvelle évaluation complétée par Dre Synnott résulte en un échec au stage de chirurgie[28]. On l’informe qu’il sera convoqué à une rencontre avec Dr Julien et Dre Jolivet-Tremblay.
[56] Cette rencontre a lieu le 10 mars 2009.
[57] Lors de la rencontre, Nenciovici réagit négativement à cette nouvelle évaluation. Comme l’indiquent les notes prises à cette occasion par Dre Jolivet-Tremblay, Nenciovici qualifie l’évaluation de « pire bêtise en 20 ans, hallucinant, mensonges de A à Z ». L’étudiant affirme que les mauvaises évaluations de Dres Choinière et Synnott sont le fruit d’une animosité à son égard, qualifiant ces deux médecins de « bonnes femmes de plus de 50 ans qui l’ont eu dure et qui s’acharnent sur lui ». Il va sans dire que Dre Jolivet-Tremblay est estomaquée du ton et des propos tenus par Nenciovici, qu’elle juge méprisants à l’égard de collègues féminins[29].
[58] Le 23 mars, Nenciovici conteste l’évaluation modifiée de Dre Synnott et la note d’échec qui en résulte[30].
[59] Comme le veut la procédure habituelle, à la suite de l’échec et de la contestation logée par l’étudiant, le dossier de Nenciovici est révisé à la réunion hebdomadaire du comité de gestion de la Faculté. Ce comité, composé entre autres du vice-doyen aux études médicales de premier cycle (Dr Bourdy), du directeur du programme de médecine (Dr Julien) et de la directrice de l’externat (Dre Jolivet-Tremblay), recommande alors de suspendre la note d’échec, pour une durée de 6 mois, afin de permettre à Nenciovici de poursuivre son cheminement académique, sans interruption.
[60] Cette décision permet ainsi à Nenciovici de poursuivre ses études, sans avoir à reprendre le stage de chirurgie, un stage devant obligatoirement être réussi au cours de la première année d’externat; la suspension lui permet aussi de pouvoir faire disparaître la note d’échec de son dossier avant le mois de novembre, alors qu’il doit adresser aux différents hôpitaux ses demandes de résidence.
[61] Le 23 avril 2009, Nenciovici est avisé de cette suspension de note; on l’avise spécifiquement de ce qui suit :
« Nous serons extrêmement vigilants au cours de cette période et nous suivrons de très près votre évolution. Advenant une autre évaluation « insuffisante » de vos comportements, nous conserverons la note « échec » pour le stage de chirurgie et vous pourriez aussi obtenir un autre « échec » pour ce nouveau stage[31]. »
[62] Nenciovici accepte de voir sa note ainsi suspendue; il entame à l’automne 2009 sa deuxième et dernière année d’externat.
[63] Le 26 août, Nenciovici requiert de la Faculté une attestation d’études pour l’année 2009-2010 et un relevé de notes provisoire de l’année 2008-2009 afin, dit-il, de récupérer une bourse d’études. En réalité, Nenciovici a besoin de ces documents pour obtenir de la Caisse populaire une reconduction de sa marge de crédit. Comme le relevé de notes disponible sur le site du bureau d’évaluation comporte la mention « échec » au stage de chirurgie, il désire obtenir un relevé modifié[32].
[64] Après avoir été avisée par le registraire qu’il était impossible d’émettre un bulletin de notes officiel ne comportant pas la note « échec », Dre Jolivet-Tremblay demande à la technicienne responsable de la gestion des dossiers étudiants d’informer Nenciovici de la situation[33].
[65] Insatisfait de la réponse obtenue, Nenciovici transmet à Dre Jolivet-Tremblay, le 4 septembre, un courriel que le Tribunal juge opportun de reproduire dans son intégralité, vu son importance sur la suite des choses :
« Mon nom est Lucian Nenciovici, externe II. Ceci concerne mon "échec" au stage de chirurgie générale de cet hiver que j’avais contesté.
Lors de sa décision rendue à ce moment-là, c’est-à-dire la suspension de mon évaluation, le comité de révision mentionnait qu’une décision définitive serait prise suite à une période de probation de 6 mois. Selon mon calcul, cette période de probation se terminerait à la fin de la période 14, soit dans 5 semaines.
Or, il s’avère qu’il m’est impossible d’attendre aussi longtemps, car j’ai besoin du relevé de notes de l’année 2008-2009 afin d’obtenir ma bourse d’études pour l’année présente et je dois remettre ce relevé le plut (sic) tôt possible à la banque.
J’apprécierais donc grandement qu’une décision soit prise après la période 13.
Il est à noter aussi que selon mon point de vue, seulement 2 options sont envisageables pour remplacer cette note E :
- la mention S, pour succès;
- ou la note B+, note que j’ai habituellement dans mes stages et qu’ont eue mes collègues avec qui j’avais fait le stage de chirurgie et auxquels je n’ai en aucun cas été inférieur (excepté, bien sûr, dans les délires de Dominic Synnott et Louise Choinière). Par ailleurs, lors de ce stage, je crois que la différence était fort visible entre les évaluations des patrons sains d’esprit et celles des deux personnes ci-haut mentionnées (sic)
Enfin, une dernière mention concernant le "comportement antérieur non conforme à un étudiant de médecine" que me reproche Christian Bourdy lors de la décision du comité de suspendre l’évaluation. Ceci fait référence à un autre échec en préclinique, IM 2 pour être plus précis. La monitrice avait en effet inventé des plaintes de patients afin de me faire échouer le stage. Après mes vérifications, il s’est avéré qu’aucun patient n’avait déposé de plainte. Il s’agit donc d’un cas important de discrimination, là aussi. Bien que je puisse comprendre que je sois antipathique aux yeux de certains patrons par mon accent étranger, mes prothèses auditives, ma barbe et mes connaissances supérieures aux autres externes, je ne crois pas que j’aie à accepter ce genre de discrimination à mon endroit.
Merci et bonne journée[34]. » (souligné par le Tribunal)
[66] Sidérée par le ton et le contenu du courriel, Dre Jolivet-Tremblay juge à propos de le transmettre à Dr Bourdy et à Dr Éric Drouin (Dr Drouin), qui a succédé le 1er septembre 2009 à Dr Julien, à titre de directeur du programme des études de premier cycle.
[67] Le 5 septembre, lors de sa réunion hebdomadaire, le comité de gestion discute du dossier et du courriel; on juge le courriel inacceptable.
[68] Le 23 septembre, après révision du dossier de Nenciovici, Dr Drouin avise celui-ci que sa situation sera soumise au doyen :
« La direction des études médicales de premier cycle a pris connaissance de votre courriel du 4 septembre 2009 adressé au Docteure Martine Jolivet-Tremblay. Les propos que vous tenez concernant certains professeurs de notre Faculté sont de nature diffamatoire et démontrent un manque de professionnalisme.
Par conséquent, avant de procéder à la notation finale de votre stage de chirurgie, nous allons soumettre votre situation au Doyen.
Nous regrettons de devoir procéder ainsi mais la teneur des propos de votre dernier courriel est inacceptable pour un étudiant en médecine[35]. »
[69] Le 27 septembre, Nenciovici réagit au courriel de Dr Drouin :
« J’admets que mon courriel adressé à Dr Jolivet manquait de professionnalisme. J’étais en effet hors de moi à ce moment-là compte tenu de la menace de la Caisse d’annuler ma bourse si je ne présentais pas dans un court délai de temps un relevé de notes attestant que j’ai bien réussi l’année scolaire 2008-2009. Or, sur mon relevé traînait encore la notation E qui, en plus d’être injustifiée et une source de stress chronique, venait à ce moment-là mettre en péril l’obtention de cette bourse, dont j’ai besoin pour vivre. Cela a donc en quelque sorte été la goutte qui a malheureusement fait déborder le verre…
Je veillerai donc désormais à ne plus écrire de courriels à chaud et à faire preuve de plus de classe dans mes propos…
Merci et bien à vous[36], »
[70] Le 29 septembre, Dr Drouin rencontre le doyen de la Faculté, Dr Jean L. Rouleau (Dr Rouleau), afin de l’informer du dossier de Nenciovici. Après discussion, Dr Rouleau juge qu’il y a lieu de convoquer le comité de promotion, un comité indépendant de la direction des études de premier cycle, afin d’obtenir une recommandation[37].
[71] Le jour même, Dr Drouin avise le comité de gestion de la position du doyen[38].
[72] Le 20 octobre, Nenciovici est avisé de sa convocation devant le comité de promotion « afin d’évaluer (votre) situation en général ». La rencontre est convoquée pour le 26 octobre[39].
[73] En collaboration avec Dr Bourdy, Dr Drouin rédige, pour le bénéfice des membres du comité de promotion, un document résumant le cheminement de Nenciovici et les problèmes notés à l’égard de son professionnalisme, depuis le début de ses études. Le texte du courriel du 4 septembre et la réponse de Nenciovici sont aussi inclus à la présentation[40].
[74] Le 26 octobre, après avoir entendu les représentations de Dr Drouin et de Nenciovici, le comité de promotion recommande le maintien de l’échec au stage de chirurgie et l’exclusion du programme[41]. La recommandation est transmise le jour même à Dr Bourdy et au doyen Rouleau.
[75] Le 28 octobre, Nenciovici est convoqué à une rencontre devant se tenir le 4 novembre 2009 avec Dr Bourdy et le doyen Rouleau. Préalablement à cette rencontre, Dr Rouleau avise Dr Bourdy de son intention de convoquer le Conseil de faculté afin d’obtenir sa recommandation.
[76] Le 4 novembre, Drs Rouleau et Bourdy révisent avec Nenciovici les recommandations du comité de promotion; on l’avise alors que la décision finale ne sera prise qu’après la recommandation du Conseil de faculté[42].
[77] Le lendemain, Nenciovici requiert une dernière chance afin de pouvoir être maintenu dans le programme d’études médicales. Après discussion avec le doyen, Dr Bourdy informe Nenciovici que cette chance ultime ne peut lui être accordée et que le Conseil de faculté se penchera sur son dossier le 16 décembre[43].
[78] Le 2 décembre, Nenciovici rencontre Dr Bourdy, Dr Drouin et Me Lucie Dick (Me Dick), conseillère juridique au Bureau des affaires juridiques de l’Université de Montréal. Nenciovici est pour sa part accompagné de Me Ophélie Scott (Me Scott). On explique alors à Nenciovici la recommandation du comité de promotion et les règles entourant sa comparution devant le Conseil de faculté.
[79] Le 4 décembre, Nenciovici est formellement convoqué devant le Conseil de faculté afin d’y faire les représentations qu’il estime nécessaires[44]; la comparution est fixée au 16 décembre.
[80] À cette date, Dr Bourdy résume devant le Conseil de faculté le cheminement de Nenciovici dans le programme d’études médicales; sa présentation orale, d’une durée de 30 minutes, est résumée à la Pièce D-14.
[81] Nenciovici s’adresse par la suite au Conseil de faculté; sa présentation orale, également d’une durée de 30 minutes, est résumée à la Pièce D-13.
[82] Après délibérations, le Conseil de faculté tient un vote secret : 28 membres votent en faveur de l’exclusion, 6 s’y opposent et 3 s’abstiennent de voter. L’exclusion du programme est recommandée[45].
[83] Le 4 janvier 2010, Drs Rouleau et Bourdy rencontrent Nenciovici pour lui faire part de la décision du doyen de l’exclure du programme des études médicales, laquelle décision est par la suite confirmée par lettre du 11 janvier[46].
[84] Le 6 janvier 2010, Nenciovici prend contact avec le Bureau de l’ombudsman de l’Université afin de requérir son intervention dans le dossier.
[85] Le 5 juin 2012, après avoir résumé le cheminement du dossier et les procédures mises en place par la Faculté, l’ombudsman conclut de la façon suivante :
« Je n’ai pas identifié d’erreurs, d’injustice ou d’iniquité dans le traitement de votre dossier par la Faculté de médecine justifiant la formulation de recommandations relativement au processus ayant mené à votre exclusion du programme de doctorat de médecine de premier cycle et considère en conséquence votre dossier clos[47]. »
[86] Le 4 juillet 2012, Nenciovici intente sa requête introductive d’instance en « évocation et en dommages-intérêts ».
POSITION DES PARTIES
[87] Nenciovici affirme que la décision du doyen de l’exclure du programme d’études médicales a été prise en violation des règles d’équité procédurale applicables.
[88] Essentiellement, Nenciovici affirme que la procédure suivie par le doyen ne lui a pas permis d’exposer valablement son point de vue en raison des éléments suivants :
Ø il n’aurait pas été informé, avant sa comparution devant le comité de promotion, des questions précises soumises au comité;
Ø Dr Drouin aurait fait devant le comité de promotion une présentation mettant indûment l’accent sur les aspects négatifs de son cheminement[48];
Ø cette présentation ayant été faite en son absence, il n’aurait pu y répondre adéquatement;
Ø quant à sa comparution devant le Conseil de faculté, Nenciovici affirme qu’il n’a pu y faire entendre de témoins et que la présentation faite par Dr Bourdy était biaisée, celui-ci ayant aussi mis l’accent principalement sur les aspects négatifs de son cheminement, sans informer les membres du conseil des nombreuses évaluations positives reçues au cours de ses études.
[89] Enfin, Nenciovici affirme que le courriel qu’il a transmis à Dre Jolivet-Tremblay le 4 septembre 2009[49] constituait un manquement disciplinaire qui aurait dû être traité conformément au Règlement disciplinaire concernant les membres du personnel enseignant et les étudiants de l’Université de Montréal (le Règlement disciplinaire)[50]. Selon lui, le doyen ne pouvait s’autoriser de ce courriel pour initier la procédure d’exclusion prévue au Règlement des études.
[90] L’Université maintient que la procédure d’exclusion a été valablement initiée par le doyen, conformément au paragraphe 16.1 du Règlement des études.
[91] Elle affirme que Nenciovici a été informé tout au long du processus des manquements qui lui étaient reprochés et qu’il a pu être entendu, conformément aux règles d’équité procédurale applicables en pareille matière; elle ajoute que le Tribunal ne peut intervenir dans la décision du doyen sans une démonstration que cette décision résulte de la mauvaise foi ou d’agissements déraisonnables, arbitraires ou discriminatoires.
[92] Les moyens invoqués par Nenciovici se résument aux questions suivantes :
Ø 1) : la procédure d’exclusion contrevient-elle aux règles d’équité procédurale applicables?
Ø 2) : l’exclusion de Nenciovici est-elle déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire?
ANALYSE
Question 1 - l’équité procédurale
La réglementation applicable
[93] Le Règlement des études prévoit les règles applicables à la reprise en cas d’échec, à la probation et à l’exclusion du programme :
« 13.1 Droit de reprise
De façon générale, l’étudiant qui subit un échec à un cours a droit de reprise.
À titre exceptionnel et sauf pour les cours individuels, l’étudiant qui n’est pas en probation et qui n’a pas encore obtenu le diplôme ou le certificat postulé peut, avec l’autorisation du doyen ou de l’autorité compétente, reprendre tout cours réussi.
[…]
14.3 b) Probation sur décision du doyen ou de l’autorité compétente
Sur recommandation du comité créé à cette fin, le doyen ou l’autorité compétente autorise l’étudiant à progresser dans le programme, mais l’avise par écrit qu’il devra parfaire ses connaissances, améliorer certaines habiletés ou modifier ses attitudes pendant la période d’observation suivante sans quoi il pourrait être exclu du programme. Le doyen ou l’autorité compétente peut imposer à l’étudiant la reprise d’un ou de plusieurs cours ou toute mesure particulière qu’il juge appropriée.
[…]
16.1 h) Exclusion sur décision du doyen
Sur recommandation du comité créé à cette fin, le doyen ou l’autorité compétente peut exclure un étudiant s’il ne satisfait pas aux conditions d’une probation imposée en raison de ses connaissances, de ses attitudes ou de ses habiletés. Le doyen ou l’autorité compétente doit alors donner à l’étudiant l’occasion de se faire entendre.
Exceptionnellement et sur recommandation du Conseil de faculté, le doyen ou l’autorité compétente peut exclure un étudiant si son cheminement dans le programme le justifie[51]. » (souligné par le Tribunal)
[94] Le Règlement des études prévoit par ailleurs que l’étudiant est soumis à l’évaluation de ses attitudes et habiletés :
« 9.1 Généralités
Tout étudiant doit se soumettre aux évaluations des apprentissages du cours ou, le cas échéant, de la section de cours, auquel il est inscrit.
L’auditeur n’est pas soumis aux évaluations.
Lorsque le programme le justifie, l’étudiant est soumis à l’évaluation de ses attitudes et de ses habiletés.
a) Responsabilité de l’évaluation
Le professeur est responsable de l’évaluation. Par le biais du plan de cours, le professeur indique par écrit les formes d’évaluation qui seront utilisées, les modalités et critères généraux d’évaluation ainsi que la pondération respective de chaque évaluation et, le cas échéant, les exigences spécifiques de réussite propres aux différentes composantes d’un cours. Il doit informer les étudiants de toutes modifications apportées en cours de trimestre. Quels qu’ils soient, les modalités, les critères d’évaluation et la pondération pour chaque évaluation sont approuvés par le doyen ou l’autorité compétente en accord avec les règles adoptées par la Faculté.
S’il y a lieu, le professeur contribue à évaluer le niveau attendu en termes d’habiletés et d’attitudes pour un ensemble de cours prédéterminé ou pour toute autre activité de formation. Un comité créé à cette fin est responsable de la mise en commun des différentes évaluations[52]. »
[95] Par ailleurs, la Politique sur les droits des étudiantes et étudiants de l’Université de Montréal[53] prévoit, à son article 2, qu’est réputée non-discriminatoire une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités scolaires.
« Article 2 Chaque étudiante et chaque étudiant a droit à l’égalité de traitement de la part de l’Université. Ce droit ne doit pas être restreint par la discrimination fondée sur la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale, l’état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, le sexe, l’orientation sexuelle, la grossesse, l’âge, la situation sociale (y compris les responsabilités familiales), la maladie, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Est réputée non discriminatoire une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités scolaires ou physiques pertinentes ou sur l’existence d’un contingentement.
Nul ne doit harceler une étudiante ou un étudiant en raison de l’un des motifs énumérés au premier alinéa[54]. »
[96] Enfin, les Statuts de l’Université de Montréal[55] prévoient que le comité exécutif forme un comité de discipline auquel est soumise toute affaire disciplinaire concernant le personnel enseignant et les étudiants :
« 17.03 comité de discipline
Le comité exécutif forme le comité de discipline auquel est soumise toute affaire disciplinaire concernant les membres du personnel enseignant et les étudiants[56]. »
[97] Ces statuts prévalent sur tout règlement de l’Université[57].
Les principes applicables à l’exercice du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure
[98] L’Université de Montréal est une autorité publique constituée par la Charte de l’Université de Montréal[58]; à ce titre, elle est sujette au pouvoir de surveillance de la Cour supérieure.
[99] Par ailleurs, les tribunaux s’abstiennent généralement d’intervenir à l’encontre des décisions prises par les institutions d’enseignement en matières académiques, à moins de circonstances exceptionnelles, lorsque la preuve démontre une violation des règles d’équité procédurale ou que l’institution a agi de mauvaise foi ou de manière déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire.
[100] Dans Barreau du Québec c. Boyer, la Cour d’appel souligne le devoir de prudence et l’obligation de retenue des tribunaux à l’égard de décisions mettant en cause l’application des normes d’évaluation d’une maison d’enseignement :
« Il est un principe constant et bien reconnu en droit administratif canadien et québécois que les tribunaux de révision judiciaire ne s'immiscent pas dans les activités académiques et le fonctionnement interne des institutions d'enseignement, plus particulièrement lorsqu'il s'agit de matières relatives aux examens et à l'application de normes d'évaluation, à moins de circonstances tout à fait exceptionnelles comme, par exemple, lorsque l'institution d'enseignement a fait preuve de mauvaise foi ou a agi de façon déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire.
Comme il s'agit, en l'espèce, d'une question d'appréciation et d'application des normes d'évaluation d'une maison d'enseignement et qu'il n'existe pas de circonstances pouvant démontrer la mauvaise foi, la discrimination, le favoritisme ou encore quelque erreur ou injustice grave, le devoir de réserve s'impose et la requête en mandamus aurait dû être rejetée[59]. (références omises) »
[101] Ce courant jurisprudentiel de retenue judiciaire à l’égard des affaires académiques des universités est réitéré par la Cour d’appel dans Nguyen c. Université de Sherbrooke :
« [5] Dans un premier temps, le juge de première instance a fait preuve d'une retenue de bon aloi en refusant de s'immiscer dans les affaires académiques et le fonctionnement interne de l'intimée Université de Sherbrooke. Il a en cela suivi un courant jurisprudentiel bien établi[60].
[6] Dans un deuxième temps et sur le fond, la Cour estime que les faits de l'affaire ne justifiaient pas l'immixtion de la Cour supérieure. En effet, à toutes les étapes du processus décisionnel attaqué, l'appelant a eu l'occasion de faire valoir son point de vue et sa version des faits sur les comportements et attitudes qui sont à l'origine de son renvoi. Il a également eu l'opportunité de se faire représenter par les personnes de son choix. [61] »
[102] Plus récemment, la juge Geneviève Marcotte (alors à la Cour supérieure) précise que ce devoir de réserve s’applique même à l’égard des décisions mettant en cause l’évaluation des attitudes ou comportements des étudiants :
« [95] Applying those principles, Québec Courts tend to show deference towards decisions made by universities through intra-faculty mechanisms of evaluation, most often by peers, even where these decisions may not be strictly academic and may relate to the attitude or behaviour of a student, as was the case in Nguyen v. Université de Sherbrooke, in a matter also involving another Faculty of Medicine :
[113] Sans doute l’aspiration du demandeur à être médecin est un idéal bien légitime. Mais il n’a pas pour autant un droit acquis au diplôme universitaire pour accéder à cette carrière en autant qu’il ait obtenu un résultat académique satisfaisant. Quand le législateur a confié à l’UNIVERSITÉ la mission de l’enseignement médical, il lui a aussi confié la responsabilité de voir à ce que ses diplômés aient les capacités morales essentielles à la profession médicale dont ils exercent une portion fragmentaire dès l’externat. Et cette responsabilité n’a d’autre raison d’être que le bien de la société dans le secteur, certes névralgique, de la santé publique. C’est en assumant cette responsabilité que l’UNIVERSITÉ a inséré, spécifiquement pour la Faculté de médecine, un mécanisme intra-facultaire de vérification et de contrôle des attitudes professionnelles. Le mécanisme mis en place se veut en quelque sorte un jugement par les pairs.
[114] Il est certainement difficile de définir l’attitude compatible et l’attitude incompatible pour un profane. Mais ce jugement par les pairs ne réside pas dans l’abstrait. Il se fait de façon contextuelle, avec la compréhension particulière qui existe dans la sphère professionnelle par ceux qui la vivent en tant que médecins et en tant que futurs médecins[62]. (références omises) »
[103] Ce principe de retenue judiciaire à l’égard des décisions d’ordre académique prises par les institutions d’enseignement implique que la décision du doyen d’exclure Nenciovici du programme d’études médicales ne doit pas être révisée du simple fait que le Tribunal est d’avis qu’un décideur différent aurait pu en arriver à une décision différente. À cet égard, le Tribunal partage les commentaires suivants du juge Gaétan Dumas dans Kadi c. Université de Sherbrooke :
« [64] La réserve, dont les tribunaux ont toujours fait preuve à l'égard du fonctionnement interne des institutions d'enseignement et, spécialement, lorsqu'il s'agit de l'application des normes d'évaluation et le fait qu'ils ne doivent intervenir que si l'on établit la mauvaise foi ou un déni de justice, n'est pas sans raison.
[65] La société a donné le mandat aux universités de former des professionnels de haut niveau. Les tribunaux ne doivent pas s'immiscer dans ce mandat. Les tribunaux ne sont pas compétents pour évaluer le rendement académique des étudiants en médecine et ils n'ont pas à le faire. Ils ne doivent intervenir qu'avec grande réserve et dans les cas très précis où un déni de justice a été commis.
[…]
[67] Il pourrait donc être tentant pour le tribunal de revoir l'évaluation faite de l'étudiant et de conclure que celle-ci était bien fondée. Mais, il n'appartient pas au tribunal de le faire. En effet, il existe des cas moins évidents où les organismes chargés d'évaluer les étudiants devront, après mûre réflexion, décider d'exclure un étudiant du programme[63]. (référence omise) »
Quant aux règles d’équité procédurale applicables en l’instance, le Tribunal retient qu’elles n’ont pas à être modelées sur celles des tribunaux judiciaires.
[104] Dans Fekete c. Royal Institution for the advancement of learning (McGill University), la Cour d’appel précise que :
« Par ailleurs, le droit de surveillance et de réforme accordé à la Cour supérieure ne l’autorise certes pas à se substituer au législateur en ordonnant à des institutions ne possédant aucun pouvoir judiciaire ou quasi-judiciaire de conduire leurs enquêtes in a quasi judicial manner and in public[64]. »
[105] Plus récemment, dans Nguyen c. Université de Sherbrooke[65], la Cour d’appel réitère que l’évaluation de la légalité du processus suivi doit s’apprécier en fonction de l’obligation d’agir équitablement :
« [10] L'évaluation de la légalité du processus suivi s'apprécie à l'échelle de l'obligation d'agir équitablement. S'agissant ici d'une institution d'enseignement, les propos de madame le juge L'Heureux-Dubé dans Knight c. Indian Head School Division No. 19, trouvent pleine application (référence omise) :
« Il ne faut pas oublier que tout organisme administratif est maître de sa propre procédure et n'a pas à se modeler sur les tribunaux judiciaires. L'idée n'est pas d'importer dans les procédures administratives toute la rigidité des exigences de la justice naturelle auxquelles doit satisfaire un tribunal judiciaire, mais simplement de permettre aux organismes administratifs d'élaborer un système souple, adapté à leurs besoins et équitable. Comme le fait remarquer de Smith (de Smith's Judicial Review of Administrative Action (4e édition 1980), à la p.240), on ne vise pas à créer [traduction] «la perfection procédurale», mais bien à établir un certain équilibre entre le besoin d'équité, d'efficacité et de prévisibilité des résultats. Il s'ensuit que si, en l'espèce, on peut conclure que l'intimé connaissait en fait les motifs de son congédiement et avait eu la possibilité de se faire entendre par le conseil, les exigences de l'équité procédurale auront été remplies, même s'il n'y a pas eu d'«audition» structurée au sens judiciaire du terme. Je suis d'accord avec Wade, qui écrit (Administrative Law, précité, aux pp. 482 et 483):
[Traduction] Une «audition» sera normalement une audition orale. Il a toutefois été jugé qu'une commission constituée aux termes d'une loi, qui agit à titre administratif, peut décider elle-même si une demande fera l'objet d'une audition orale ou simplement par écrit, pourvu que les demandes soient en fait «entendues»;… »
[106] Le Tribunal conclut que le doyen de la Faculté devait permettre à Nenciovici d’être entendu avant de décider de son exclusion du programme. Ce droit d’être entendu ne requiert toutefois pas la tenue d’une audition formelle, au cours de laquelle des témoins peuvent être entendus. De l’avis du Tribunal, il suffit que l’étudiant soit valablement informé des reproches formulés à son égard et que la procédure mise en place lui permette de faire valoir son point de vue à l’égard des manquements reprochés[66].
Application des principes à la présente affaire
[107] L’alinéa 16.1 h) du Règlement des études stipule :
« […] Exceptionnellement et sur recommandation du Conseil de faculté, le doyen ou l’autorité compétente peut exclure un étudiant si son cheminement dans le programme le justifie[67]. »
[108] En l’instance, le doyen Rouleau a décidé de l’exclusion de Nenciovici après avoir reçu une recommandation en ce sens tant de la part du comité de promotion que de la part du Conseil de faculté.
Comparution devant le comité de promotion
[109] Le comité de promotion est composé à l’époque de quatre médecins et de deux représentants-étudiants. Deux des médecins y siègent alors depuis plus de 10 ans. Aux dires du doyen, ce « comité de sages » est particulièrement habilité et compétent pour réviser les dossiers d’étudiants rencontrant des difficultés.
[110] Au moment où il requiert la convocation du comité de promotion, Dr Rouleau ne connaît pas les détails du dossier de Nenciovici. Il est informé par Dr Drouin que l’étudiant est, à l’époque, l’objet d’une suspension d’une note d’échec pour une durée de 6 mois, expirant en octobre 2009, échec lié à son manque de professionnalisme et d’autocritique. Dr Rouleau est aussi informé des difficultés rencontrées par l’étudiant depuis le début de ses études médicales, difficultés liées non pas à ses connaissances théoriques mais plutôt à des problèmes de comportement à l’égard de collègues, patients, professeurs et membres du personnel infirmier.
[111] Dr Rouleau est aussi mis au courant du courriel transmis par Nenciovici à Dre Jolivet-Tremblay le 4 septembre, lequel courriel met aussi en cause le professionnalisme de l’étudiant et ses difficultés à accepter les critiques.
[112] Dr Rouleau ne participe pas à la réunion du comité de promotion; il assiste cependant Dr Drouin dans l’élaboration des questions soumises au comité.
[113] Le 20 octobre 2009, Nenciovici est avisé formellement de sa convocation devant le comité de promotion; on l’informe alors que le comité procédera à l’évaluation de sa situation générale[68]. Bien que les termes de cette lettre de convocation ne soient pas très précis, Nenciovici sait que sa convocation résulte du courriel transmis à Dre Jolivet-Tremblay puisque dès le 23 septembre, Dr Drouin lui transmet le courriel suivant :
« La direction des études médicales de premier cycle a pris connaissance de votre courriel du 4 septembre 2009 adressé au Dre Martine Jolivet-Tremblay. Les propos que vous tenez concernant certains professeurs de notre Faculté sont de nature diffamatoire et démontrent un manque de professionnalisme.
Par conséquent, avant de procéder à la notation finale de votre stage de chirurgie, nous allons soumettre votre situation au doyen.
Nous regrettons de devoir procéder ainsi mais la teneur des propos de votre dernier courriel est inacceptable pour un étudiant en médecine[69]. »
[114] Nenciovici comparaît éventuellement devant le comité de promotion pendant plus d’une heure. À cette occasion, il a l’opportunité de présenter son point de vue à l’égard des difficultés rencontrées dans le cadre de son programme d’études et particulièrement en regard de l’échec subi au stage de chirurgie. Nenciovici est aussi en mesure de donner son point de vue à propos du courriel transmis à Dre Jolivet-Tremblay.
[115] Après délibérations au cours desquelles le comité de promotion a accès au dossier complet de l’étudiant, celui-ci recommande le maintien de la note d’échec et l’exclusion du programme[70].
[116] Il est vrai que Nenciovici n’a pas assisté à la présentation que Dr Drouin a faite au comité de promotion, la procédure devant ce comité prévoyant en effet que chaque partie y fait sa présentation en l’absence de l’autre. Cette particularité n’a cependant pas d’impact sur la légalité de la décision d’exclusion prise plus tard par le doyen.
[117] D’une part, le doyen n’a aucune obligation de consulter le comité de promotion avant d’exclure un étudiant en raison de son cheminement dans le programme d’études. L’alinéa 16.1 h) du Règlement des études prévoit en effet que le doyen peut exclure un étudiant dans de telles circonstances, « sur recommandation du Conseil de faculté ». Il n’y est pas question d’une consultation du comité de promotion.
[118] D’autre part, même si une telle consultation était nécessaire, celle-ci n’a pas à prendre la forme d’un débat contradictoire, de type procès. Le comité de promotion n’est pas un tribunal judiciaire ou quasi-judiciaire et il n’a aucune obligation de présider un débat contradictoire où chaque partie - on parle ici de Dr Drouin et de Nenciovici - peut répondre aux affirmations de l’adversaire. L’essentiel est que Nenciovici connaisse les raisons de sa convocation devant le comité de promotion. En l’occurrence, Nenciovici connaissait les motifs de sa convocation et il a eu l’opportunité de faire valoir son point de vue sur les questions soumises au comité.
[119] Le Tribunal conclut que la consultation du comité de promotion n’est pas une étape préalable obligatoire à l’exclusion d’un étudiant, aux termes de l’alinéa 16.1 h) du Règlement des études. Au surplus, le Tribunal conclut que Nenciovici a été en mesure de présenter son point de vue au comité de promotion et que la procédure suivie par le comité n’est entachée d’aucune irrégularité.
Comparution devant le Conseil de faculté
[120] Après avoir été informé de la recommandation du comité de promotion du 26 octobre, le doyen Rouleau requiert la convocation du Conseil de faculté.
[121] Le 4 novembre, Drs Rouleau et Bourdy rencontrent Nenciovici afin de l’informer que son dossier sera soumis au Conseil de faculté. Les sujets discutés lors de cette rencontre d’une trentaine de minutes sont résumés ainsi par Dr Bourdy :
« Sujet : rencontre post comité de promotion
Participants :
Dr Jean L.
Rouleau
Dr Christian Bourdy
Monsieur Nenciovici est convoqué suite à sa rencontre avec le comité de promotion le 26 octobre dernier.
Nous leur avions posé 3 questions auxquelles ils ont répondu et nous en informons l’étudiant.
1) Le courriel envoyé au docteur Jolivet par l’étudiant le 4 septembre 2009 fut jugé non professionnel (c’était une attitude non professionnelle qui avait causé l’échec du stage)
2) Compte tenu de ce courriel, le comité recommande de maintenir l’échec au stage de chirurgie (HSC du 8 déc. 2008 au 8 fév. 2009)
3) Le comité recommande l’exclusion de l’étudiant du programme MD compte tenu que des comportements non professionnels ont été notés sans correction depuis le début des études médicales.
Ces recommandations ont été clairement transmises à l’étudiant. Celui-ci a dit qu’il s’en doutait un peu, mais qu’il espérait que la situation ne serait pas ainsi. Il persiste à dire que sa vocation est en médecine malgré que nous lui ayons dit que ce n’est pas le cas. Nous lui signifions sans équivoque que ses comportements sont inacceptables et qu’il a épuisé toutes ses chances au cours des 3 dernières années.
Nous l’informons que don dossier sera présenté au prochain Conseil de faculté le 16 décembre prochain et que la décision finale y sera prise. Nous lui ferons part de cette décision immédiatement après cette date.
Nous lui disons qu’il doit prendre des arrangements avec docteur Martine Jolivet, Directrice de l’externat, pour reprendre son stage de chirurgie advenant qu’il ne soit pas exclus (sic) du programme. Il peut donc continuer ses stages jusqu’au 16 décembre 2009.
Nous lui suggérons de songer dès maintenant à se réorienter dans un domaine qui sera possiblement plus conforme à ses qualités et talents.
La rencontre s’est bien déroulée, sans animosité de la part de l’étudiant. Nous avions pris de (sic) mesures de protection (gardien de sécurité dans une pièce adjacente) car nous craignions une réaction plus vive de l’étudiant[71]. »
[122] Nenciovici comprend bien que sa convocation devant le Conseil de faculté résulte non seulement de son courriel du 4 septembre mais aussi de ses problèmes récurrents, notés au cours de ses années d’études médicales, à l’égard d’un manque de professionnalisme et d’autocritique. Le 5 novembre, au lendemain de sa réunion avec Drs Rouleau et Bourdy, il écrit :
« J’ai longuement réfléchi à notre discussion d’hier, au cours de la soirée et de la nuit. J’ai aussi continué de réfléchir aux événements survenus au fil des ans qui m’ont amené dans cette fâcheuse position. Ce n’est par ailleurs pas une réflexion de novo, induite par l’expulsion future, mais un travail personnel de longue date.
[…]
Force est d’admettre cependant que mes aptitudes communicationnelles et de collaboration ne sont pas encore à la hauteur et c’est autour de ce point que gravitent les commentaires négatifs reçus au fil des ans. J’ai réussi à corriger cet aspect dans mes relations auprès de mes collègues et ça va bien de ce côté-là depuis un bon bout. Cependant, avec les patrons et le personnel soignant en général, cet aspect n’est pas encore à point, comme en font foi l’évaluation de chirurgie et de gynéco-obstétrique. Ceci est du (sic), à mon avis, à un problème d’anxiété, à une timidité naturelle et à une pression de performance.
Or, je crois que travailler avec un psychologue pourrait m’aider à peaufiner cet aspect, car je ne semble pas y arriver seul, malgré des améliorations[72]. » (souligné par le Tribunal)
[123] Au procès, Nenciovici reconnaît n’avoir jamais eu l’intention de travailler avec un psychologue et avoir menti à cet égard dans le seul objectif d’éviter l’exclusion et de pouvoir poursuivre ses études médicales.
[124] Le 2 décembre, Nenciovici, accompagné de son avocate Me Scott, rencontre Dr Bourdy, Dr Drouin et Me Dick; les motifs de sa convocation devant le Conseil de faculté sont rediscutés. Le 4 décembre, Dr Bourdy confirme les motifs de la convocation en ces termes :
« Objet : Convocation à rencontrer le Conseil de faculté de médecine
Monsieur Nenciovici,
Nous vous avons rencontré, le doyen Docteur Jean-Lucien Rouleau et moi-même le 4 novembre dernier pour vous exposer la position actuelle de la Faculté de médecine en regard de votre dossier. Nous vous avons aussi rencontré, le 2 décembre 2009, en présence de Me Scott, avocate de la FAECUM, du Docteur Éric Drouin, directeur du programme MD et de Me Lucie Dick, conseillère juridique du Bureau des affaires juridiques de l’Université de Montréal pour vous faire état plus en détail de la procédure en cour dans votre situation.
Voici en résumé ce que nous vous avons dit :
1) Votre courriel envoyé au Docteure Martine Jolivet le 4 septembre 2009 fut jugé non professionnel (c’était une attitude non professionnelle qui avait causé l’échec de votre stage de chirurgie en février dernier).
2) Nous avons, par la suite, convoqué un comité aviseur (comité de promotion) indépendant de la direction afin qu’ils évaluent la contribution de ce nouvel incident face à l’ensemble de votre parcours académique, comité que vous avez rencontré le 26 octobre 2009.
3) Ce comité constate que votre courriel constitue un problème majeur de manquement à l’éthique professionnelle et recommande de maintenir l’échec à votre stage de chirurgie.
4) Le comité considère que la démonstration d’un manque réitéré de professionnalisme et d’autocritique devrait être considéré comme un critère d’exclusion de la Faculté de médecine.
5) Conséquemment, le comité recommande au doyen votre exclusion du programme des études médicales de premier cycle en vertu de l’article 16.1 h) du Règlement des études médicales de premier cycle qui se lit comme suit :
16. Exclusion et abandon
16.1 Exclusion
(…)
h) Exclusion sur décision du doyen
Sur recommandation du comité créé à cette fin, le doyen ou l’autorité compétente peut exclure un étudiant s’il ne satisfait pas aux conditions d’une probation imposée en raison de ses connaissances, de ses attitudes ou de ses habiletés. Le doyen ou l’autorité compétente doit alors donner à l’étudiant l’occasion de se faire entendre.
Exceptionnellement et sur recommandation du conseil de faculté, le doyen ou l’autorité compétente peut exclure un étudiant si son cheminement dans le programme le justifie.
Nous vous avons mentionné que la prochaine étape consiste donc à présenter votre dossier au Conseil de faculté le 16 décembre prochain. Ce conseil prendra une décision quant à la poursuite ou non de vos études médicales dans notre faculté et fera une recommandation au doyen. Celui-ci prendra une décision finale par la suite et nous vous la communiquerons.
Nous vous avons offert de rencontrer le Conseil de faculté pour leur exposer votre point de vue si vous le désirez. Cette rencontre aura lieu à la Salle du conseil (M-425 du Pavillon Roger-Gaudry) durant l’après-midi du 16 décembre 2009. Nous vous confirmerons l’heure précise dans une autre communication avec vous car elle n’est pas connue actuellement. Si vous décidez de venir, vous pourrez être accompagné, mais cette personne ne pourra cependant vous représenter.
Je vous demanderais de nous confirmer votre présence, si vous décidez de vous présenter.
Je vous prie, monsieur Nenciovici, d’agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs[73]. » (souligné par le Tribunal)
[125] Le conseil de la Faculté de médecine est un organisme regroupant, entre autres, une trentaine de professeurs élus par l’assemblée de Faculté, les directeurs de chacun des départements et des représentants-étudiants[74].
[126] Le 16 décembre, Dr Bourdy présente au Conseil de faculté un diaporama résumant le cheminement de Nenciovici dans le programme des études médicales[75].
[127] Certes, la première partie de cette présentation traite de l’échec subi au stage de chirurgie et du courriel transmis à Dre Jolivet-Tremblay. Mais la présentation de Dr Bourdy ne se limite pas aux seuls aspects négatifs du dossier de Nenciovici.
[128] Dr Bourdy résume correctement le cheminement de Nenciovici dans le programme. Contrairement à ce qu’affirme Nenciovici, Dr Bourdy attire l’attention des membres du Conseil de faculté sur l’ensemble des évaluations reçues par l’étudiant au cours de ses années d’études, incluant certaines qui sont négatives et plusieurs qui sont positives.
[129] Bien sûr, Dr Bourdy met un certain accent sur les problèmes récurrents, liés au manque de professionnalisme et d’autocrique de Nenciovici. Ces problèmes sont la raison de la convocation devant le Conseil de faculté et il est tout à fait normal que Dr Bourdy ait pris soin de les souligner aux membres du conseil. De l’avis du Tribunal, Dr Bourdy n’a pas fait une présentation biaisée comme le prétend le demandeur.
[130] Le Tribunal note d’ailleurs que cette présentation était appuyée du dossier complet de l’étudiant, mis à la disposition du conseil. Par ailleurs, contrairement à la procédure devant le comité de promotion, la présentation de Dr Bourdy au Conseil de faculté s’est faite en présence de Nenciovici.
[131] Nenciovici a profité d’une période équivalente de 30 minutes pour présenter son point de vue aux membres du conseil. Le texte qu’il a remis au conseil, intitulé « Injustices subies au cours des années médicales » explique certaines évaluations négatives reçues au fil des années d’études.
[132] Dans ce document, Nenciovici relie son échec au stage de chirurgie à l’animosité de Dres Choinière et Synnott. Il y indique ce qui suit :
« Contrairement au stage d’IMC 2, cette fois-ci il a été assez facile de cerner les raisons ayant mené à une telle animosité à mon endroit de la part de ces deux chirurgiennes. Ma contestation explique tout ceci. Je juge que le niveau de mes connaissances a encore une fois été un facteur causal. Lors de la journée passée avec Dre Synnott, celle-ci me contredisait même lorsque j’avais raison et le faisait de façon très irrespectueuse[76]. »
[133] Quant au courriel transmis à Dre Jolivet-Tremblay, Nenciovici l’explique en ces termes :
« En ce qui concerne le courriel envoyé au Dre Jolivet-Tremblay, j’admets qu’il s’agit sans contredit d’un manque de professionnalisme. L’expression « délirantes » n’est cependant qu’une figure de style afin d’exprimer mon désaccord et mon dégoût face au manque flagrant de respect que j’ai du (sic) endurer de la part de ces deux personnes [Dres Choinière et Synnott] et face à l’injustice que représente cet échec de stage[77]. »
[134] Nenciovici se plaint qu’il n’a pas été autorisé à faire entendre des témoins devant le conseil. Ce reproche n’a aucun fondement. Comme le Tribunal l’a déjà indiqué, le Conseil de faculté n’est pas un tribunal judiciaire ou quasi-judiciaire et n’a aucune obligation d’entendre des témoins.
[135] L’équité procédurale exige que Nenciovici ait eu l’occasion d’être entendu avant que le doyen ne décrète son exclusion du programme d’études médicales. En l’espèce, ce droit d’être entendu ne requiert pas une audition formelle mais simplement que Nenciovici ait été avisé des manquements et reproches formulés à son égard et qu’il ait eu l’occasion de faire valoir son point de vue sur l’ensemble de ces éléments. De l’avis du Tribunal, la comparution de Nenciovici devant le Conseil de faculté respecte cette exigence d’équité procédurale.
[136] Nenciovici n’a soulevé aucun fait permettant de mettre en doute l’objectivité et l’impartialité du Conseil de faculté, un organisme regroupant plus de trente professeurs et chefs de département qui, pour la très grande majorité, ne l’ont jamais rencontré. Rien dans la preuve ne permet de conclure que ces membres avaient une idée préconçue sur les reproches formulés à l’égard de l’étudiant.
[137] Nenciovici a eu toute la latitude pour préparer sa présentation entre le 26 octobre - date de la recommandation du comité de promotion - et sa comparution devant le Conseil de faculté le 16 décembre.
[138] Par ailleurs, les membres du conseil avaient accès à l’ensemble du dossier de l’étudiant et pas seulement à la présentation faite par Dr Bourdy qui, de toute façon, constituait un résumé représentatif des problèmes rencontrés par l’étudiant depuis le début de ses études médicales.
[139] Le procès-verbal de la réunion démontre que le conseil a délibéré à la suite des présentations de Dr Bourdy et de Nenciovici; après ces délibérations, un vote secret a été tenu : 28 ont voté en faveur de l’exclusion, 6 ont voté contre et 3 se sont abstenus.
[140] Après cette recommandation du conseil, le doyen a jugé qu’il était approprié d’exclure Nenciovici du programme d’études médicales.
[141] Le 4 janvier 2010, Nenciovici a été informé de cette décision du doyen, laquelle fut par la suite confirmée par lettre du 11 janvier 2010[78].
[142] Le Tribunal conclut que la décision du doyen d’exclure Nenciovici du programme d’études médicales a été prise conformément aux règles d’équité procédurale applicables en l’espèce.
Question 2 - le caractère raisonnable de la décision
[143] Nenciovici affirme que la décision de l’exclure du programme constitue une décision déraisonnable d’autant plus que, selon lui, le courriel transmis le 4 septembre à Dre Jolivet-Tremblay constituait tout au plus une faute disciplinaire qui ne pouvait qu’être traitée selon la procédure disciplinaire prévue au paragraphe 17.03 des Statuts de l’Université qui stipulent :
« 17.03 - comité de discipline
Le comité exécutif forme un comité de discipline auquel est soumise toute affaire disciplinaire concernant les membres du personnel enseignant et les étudiants[79]. »
[144] Le Tribunal ne partage pas ce point de vue.
[145] Certes, les propos que tient Nenciovici dans son courriel sont inappropriés; ils sont calomnieux, diffamatoires et constituent sans l’ombre d’un doute une faute pouvant être sujette à la procédure disciplinaire.
[146] Cependant, le fait que l’envoi de ce courriel puisse constituer une faute disciplinaire ne signifie pas que le doyen Rouleau ne pouvait en tenir compte dans l’évaluation du cheminement de Nenciovici dans le programme d’études.
[147] Alors qu’il profite d’une suspension de sa note d’échec pour manque de professionnalisme et d’autocritique, qu’il a déjà été soumis à une période de probation pour les mêmes lacunes et qu’il a été avisé à plusieurs reprises de son manque de professionnalisme, Nenciovici récidive le 4 septembre (à l’intérieur de la période de suspension de note) en adoptant un comportement tout à fait inacceptable à l’égard de deux professeures de la Faculté.
[148] Ce comportement, en lien direct avec les lacunes observées chez l’étudiant depuis le début de ses études, et survenu de surcroît au cours d’une période où l’étudiant se sait observé par les responsables de la Faculté, est pour le moins troublant. À juste titre, le doyen a considéré qu’il devait en tenir compte, non pas sur le strict plan disciplinaire mais bien dans le cadre d’une évaluation globale du cheminement de Nenciovici à l’intérieur du programme d’études.
[149] Conclure autrement signifierait que les comportements les plus graves - ceux qui impliquent une faute disciplinaire - ne pourraient être considérés dans l’évaluation du professionnalisme de l’étudiant. Pareille conclusion serait pour le moins déraisonnable.
[150] Dr Rouleau a témoigné de façon convaincante sur le caractère exceptionnel et inusité du dossier de Nenciovici, dont les connaissances théoriques n’étaient pas mises en cause par les différents évaluateurs et intervenants. Cependant, comme il l’a souligné au Tribunal, la capacité de travailler en équipe et l’autocritique constituent des éléments essentiels à la pratique médicale et il est de la responsabilité de l’Université de s’assurer que les médecins qu’elle forme répondent à ces exigences.
[151] Comme le Tribunal l’a déjà souligné, il n’appartient pas au tribunaux de réviser les activités académiques et de fonctionnement interne des institutions d’enseignement, particulièrement lorsqu’il s’agit de matières relatives aux examens et à l’application des normes d’évaluation[80].
[152] Le Tribunal doit analyser la décision du doyen avec grande déférence et n’intervenir que s’il est convaincu que ce dernier a agi de mauvaise foi ou de manière déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire.
[153] Or, rien dans la preuve ne démontre pareille circonstance.
[154] La décision de Dr Rouleau d’exclure Nenciovici du programme des études médicales repose sur une évaluation raisonnable et rationnelle des événements survenus durant le cursus de l’étudiant.
[155] Dès la première année de ses études médicales (2006-2007), Nenciovici subit un échec au cours MMD 1239 - Introduction à la médecine clinique II.
[156] L’échec résulte de l’évaluation de Dre Chabane qui évalue que Nenciovici est en deçà des attentes à l’égard de trois éléments liés à son professionnalisme; elle juge aussi que Nenciovici est en deçà des attentes au niveau de son érudition puisqu’il ne démontre pas une capacité d’autocritique suffisante[81].
[157] Au lieu de retarder la progression de Nenciovici dans ses études, le directeur du programme de l’époque, Dr Julien, exempte celui-ci de l’obligation de reprendre le cours et lui impose plutôt une probation d’un an, conformément au paragraphe 14.3 du Règlement des études.
[158] Cette probation est à l’avantage de Nenciovici qui, autrement, aurait perdu une année, le cours MMD 1239 ne se donnant qu’à la session d’hiver.
[159] Au cours de la période de probation, Dr Julien met en place un processus permettant à Nenciovici de réfléchir sur les lacunes notées par Dre Chabane. Quatre rencontres sont tenues avec lui durant l’année de probation afin de lui permettre de discuter de ses réflexions hebdomadaires. Au terme de cette année de probation, Dr Julien conclut que Nenciovici a suffisamment progressé pour lui permettre d’entreprendre ses années d’externat à l’automne 2008, tout en lui soulignant qu’il devait poursuivre ses efforts pour améliorer ses comportements.
[160] Or, dès l’automne 2008, Dr Nguyen prend contact avec Dr Bourdy pour souligner certains problèmes de fonctionnement chez Nenciovici. Elle souligne particulièrement son manque d’autocritique.
[161] Le 19 novembre 2008, Nenciovici est rencontré par Drs Rouleau et Bourdy; on lui fait part des inquiétudes soulevées par la responsable du stage de médecine interne (Dre Nguyen).
[162] Afin d’aider Nenciovici dans son cheminement, on lui recommande de prendre contact avec le Bureau d’aide aux étudiants et résidents (le BAER) et de s’inscrire à un atelier de raisonnement clinique[82].
[163] Nenciovici ne communiquera avec le BAER qu’à une seule reprise.
[164] À l’hiver 2009, Nenciovici subit un échec au stage de chirurgie. Les raisons de l’échec sont similaires aux problèmes déjà notés depuis le début de ses études, soit un manque de ponctualité, une absence de collaboration avec l’équipe médicale et un manquement à la compétence d’érudition, soit un manque d’autocritique.
[165] Nenciovici reçoit aussi une mention inférieure aux attentes à l’égard de l’organisation de son travail académique et clinique.
[166] À la suite de la contestation logée par Nenciovici et de discussions au comité de gestion, et toujours dans le but de ne pas retarder la progression de l’étudiant dans ses études, on offre à Nenciovici de suspendre la note d’échec pour une période de 6 mois.
[167] Nenciovici accepte cette suspension qui lui permet de poursuivre ses études, sans avoir à reprendre le stage de chirurgie qui doit obligatoirement être complété au cours de la première année d’externat.
[168] Il est vrai que telle suspension de note n’est pas spécifiquement prévue dans le Règlement des études. Nenciovici l’a cependant acceptée, d’autant plus qu’il ne pouvait être placé en probation une deuxième fois - le sous-alinéa 14.3 a)ii) du Règlement des études le prohibe - et que la suspension de l’échec lui évitait la perte d’une année complète.
[169] Nenciovici ne peut, plus de trois ans après le fait (la requête introductive est instituée le 4 juillet 2012), soulever l’illégalité de pareille suspension de note après l’avoir acceptée et avoir profité de la suspension pour poursuivre ses études, malgré l’échec à un stage obligatoire.
[170] Or, alors qu’il sait pertinemment que plusieurs professeurs ont souligné son manque de professionnalisme et d’autocritique et qu’on lui permet exceptionnellement de poursuivre ses études malgré l’échec au stage de chirurgie, Nenciovici récidive, en quelque sorte, dans la démonstration de ses lacunes en transmettant le courriel du 4 septembre à Dre Jolivet-Tremblay.
[171] Dr Rouleau et Dre Jolivet-Tremblay ont témoigné devant le Tribunal. Avec raison, ils ont exprimé leur consternation devant les propos tenus par Nenciovici dans ce courriel à l’égard des deux professeures concernées.
[172] Loin de vouloir nuire à Nenciovici, Dre Jolivet-Tremblay et Dr Rouleau ont exprimé de façon convaincante leur désarroi devant une situation jugée exceptionnelle, soit celle d’un étudiant qui avait les connaissances requises pour réussir mais qui, depuis le début de ses études, démontrait des lacunes importantes à l’égard de certaines compétences jugées essentielles par la Faculté.
[173] Le législateur a confié aux universités le soin de former les professionnels de la santé. Dans le cadre du mandat qui leur a été confié, celles-ci sont responsables de déterminer les compétences requises des étudiants, non seulement sur le plan des connaissances académiques mais aussi à l’égard de l’acquisition de compétences essentielles à l’exercice de la médecine. Ces compétences, qui découlent du cadre CanMeds du Collège royal, ont clairement été expliquées à Nenciovici par Dr Bourdy au début des années d’études précliniques et par Dre Jolivet-Tremblay, au début des années d’études d’externat.
[174] Il revient à l’Université de s’assurer de la qualité des étudiants qu’elle diplôme et des médecins qu’elle forme. En l’instance, la preuve démontre que Nenciovici avait d’importantes lacunes au niveau du professionnalisme et de l’érudition. Nenciovici a été avisé de ses lacunes à de multiples reprises et les responsables de la Faculté ont pris plusieurs dispositions pour tenter de lui venir en aide.
[175] Malheureusement, Nenciovici n’a pas été en mesure de combler ses lacunes et de convaincre Dr Rouleau qu’il avait les compétences requises de professionnalisme et d’érudition nécessaires pour la poursuite de ses études médicales.
[176] Le Tribunal est conscient que cette décision d’exclure le demandeur intervient au cours de la dernière année du programme d’études. Le Tribunal conclut cependant qu’il n’y a pas lieu d’en faire reproche aux responsables de la Faculté qui, au lieu de sévir rapidement auprès de l’étudiant, ont plutôt opté pour la patience, dans le but de l’amener à corriger les lacunes observées dès le début de ses études.
[177] Le Tribunal conclut que la décision d’exclusion résulte d’une analyse raisonnable et rationnelle du dossier de l’étudiant, qu’elle a été prise conformément au Règlement des études et qu’il n’y a pas lieu à révision judiciaire dans les circonstances.
[178] Vu les conclusions du Tribunal, il va sans dire que la réclamation monétaire de Nenciovici est mal fondée, ce dernier n’ayant pas démontré que l’Université a commis quelque faute que ce soit dans le traitement de son dossier.
[179] Par ailleurs, vu la nature du dossier, l’importance des questions soulevées et l’impact de la décision sur la carrière de Nenciovici, le Tribunal juge qu’il n’y a pas lieu de condamner ce dernier aux dépens.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[180] REJETTE la requête amendée en évocation et dommages-intérêts du demandeur.
SANS FRAIS.
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__________________________________ ROBERT CASTIGLIO, j.c.s. |
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Me Patrice Blais Concordia University Part-Time Faculty Association Procureur du demandeur |
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Me Marie-Hélène Bélanger Robinson Sheppard Shapiro s.e.n.c.r.l. Procureur de la défenderesse |
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Dates d'audition : |
Les 13, 14, 15, 16 et 17 avril 2015 |
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[1] Pièce P-1.
[2] Pièce P-6.
[3] Pièce D-37.
[4] Pièce D-37, partie 2.
[5] Pièce D-36A.
[6] Pièce D-38.
[7] Pièce D-38, page 12.
[8] Pièce D-38, page 19.
[9] Pièce D-1.
[10] Pièce D-1.
[11] Pièce D-1.
[12] Pièce P-7.
[13] Pièce D-2.
[14] Pièce D-3.
[15] Pièce D-36A.
[16] Pièce D-5.
[17] Pièce D-43 : mise à jour 2010-2012 de la présentation faite à l’automne 2008. Pour l’essentiel, cette mise à jour est identique à la présentation faite en 2008.
[18] Pièce D-43, page 31.
[19] Pièce D-43, page 36.
[20] Voir Pièce D-36A.
[21] Pièce P-28.
[22] Pièce D-40.
[23] Pièce D-29, courriel du 11 février 2009.
[24] Pièce D-30.
[25] Pièce D-18.
[26] Pièce D-31.
[27] Pièce D-32.
[28] Pièce D-6.
[29] Pièce D-21.
[30] Pièce D-18.
[31] Pièce D-8.
[32] Pièce P-32.
[33] Pièce P-32.
[34] Pièce P-12.
[35] Pièce P-13.
[36] Pièce P-14.
[37] Pièce D-33.
[38] Pièce P-35.
[39] Pièce P-36.
[40] Pièce D-20.
[41] Pièce D-9.
[42] Pièce D-10.
[43] Pièce D-11.
[44] Pièce D-12.
[45] Pièce D-15.
[46] Pièce P-16.
[47] Pièce P-17.
[48] Pièce D-20.
[49] Pièce P-12.
[50] Pièce P-4.
[51] Paragraphe 13.1, et alinéas 14.3 b) et 16.1 h) du Règlement des études de premier cycle (Pièce P-1).
[52] Paragraphe 9.1 et alinéa 9.1 a) du Règlement des études de premier cycle (Pièce P-1).
[53] Pièce P-3.
[54] Article 2, Pièce P-3.
[55] Pièce P-20.
[56] Paragraphe 17.03 des Statuts de l’Université de Montréal (Pièce P-20).
[57]
Article
[58] Pièce P-19.
[59] Barreau du Québec c. Boyer, (1993) CanLII 4401, pages 6 et 7.
[60]
La Cour réfère aux autorités suivantes : Su c. Foster,
[61] Nguyen c. Université de Sherbrooke, REJB (2001) 27411, paragr. 5 et 6.
[62]
Al-Nowais c. McGill University (Faculty of
Medicine),
[63]
Kadi c. Université de Sherbrooke,
[64]
Fekete c. Royal Institution for the advancement
of learning (McGill University),
[65] Nguyen c. Université de Sherbrooke, REJB (2001) 27411.
[66] Knight c. Indian Head School Division No. 19, (1990) 1 RCS, page 653.
[67] Alinéa 16.1 h) du Règlement des études de premier cycle (Pièce P-1).
[68] Pièce P-36.
[69] Pièce P-13.
[70] Pièce D-9.
[71] Pièce D-10.
[72] Pièce D-11.
[73] Pièce D-12.
[74] Voir alinéa 29.03 b) de la Pièce P-20, Statuts de l’Université de Montréal.
[75] Pièce D-14.
[76] Pièce D-13.
[77] Pièce D-13.
[78] Pièce P-16.
[79] Pièce P-20.
[80] Voir Barreau du Québec c. Boyer, (1993) CanLII 4401.
[81] Pièce D-1.
[82] Pièce D-36.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.