Décision

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Expertech Bâtisseur Réseaux inc. et Resto Soleil en bouche

2008 QCCLP 1991

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

1er avril 2008

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

299476-05-0609-2

 

Dossier CSST :

126040492

 

Commissaires :

Me Jean-François Clément, président

Me Diane Lajoie

Me Jean-François Martel

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Expertech Bâtisseur Réseaux inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Resto Soleil en bouche

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 29 septembre 2006, l’employeur, Expertech bâtisseur réseaux inc. (Expertech), dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 14 août 2006, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme la décision initiale qu’elle a rendue le 11 janvier 2006 et déclare que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par le travailleur, monsieur Jean-Luc Vaillancourt, le 7 avril 2004, doit être imputé à l’employeur.

[3]                Par une ordonnance rendue le 25 mai 2007 par la présidente de la Commission des lésions professionnelles, Me Micheline Bélanger, le présent dossier a été réuni à plusieurs autres dossiers dont les questions en litige sont en substance les mêmes.

[4]                Le 12 mars 2007, la présidente de la Commission des lésions professionnelles désignait une formation de trois commissaires pour entendre l’ensemble de ces dossiers, lesquels concernent tous une demande de transfert de coûts en raison d’un accident attribuable à un tiers.

[5]                Le tribunal a tenu des audiences les 21 et 22 juin 2007 à Québec et les 26 octobre et 26 novembre 2007 à Montréal. Les employeurs Ville de Montréal, Sûreté du Québec, Ministère des Transports du Québec, Expertech Bâtisseur Réseaux inc., Fondation Pétrifond cie ltée et Bell Canada de même que la CSST ont mandaté des procureurs à l’audience. Le Ministère des Transports et Bell Canada ont aussi délégué des représentants.

[6]                Le délibéré dans tous ces dossiers a débuté le 26 novembre 2007.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit à un transfert des coûts reliés à l’accident du travail subi par le travailleur puisque cet accident est attribuable à un tiers.

 

LES FAITS

[8]                Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et des admissions faites par les parties, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.

[9]                Le travailleur est épisseur de câbles chez Expertech. Cette entreprise fournit des services d’infrastructures de réseaux voix, données et vidéo sur fibres optiques, câbles de cuivre ou coaxiaux ou encore sans fil (Exp-1). Les épisseurs de câbles ont reçu une formation complète pour ce faire (Exp-2).

[10]           Le 7 avril 2004, tôt le matin, le travailleur se rend d’abord sur les lieux du travail. De là, il se rend au garage d’Expertech porter une roulette de fil optique.

[11]           Vers 8 h, il se rend au restaurant Soleil en bouche rejoindre un collègue de travail pour déjeuner. Il appert du dossier qu’étant donné que les techniciens travaillent sur la route, cette pause-déjeuner est autorisée par la convention collective.

[12]           C’est en se dirigeant vers l’entrée du restaurant que monsieur Vaillancourt glisse sur le trottoir glacé et fait une chute. En tentant de se raidir, il ressent une vive douleur. Il raconte l’événement à son collègue qui lui répond qu’il a aussi glissé au même endroit. Monsieur Vaillancourt demande à son collègue d’y placer un cône afin d’aviser du danger.

[13]           Monsieur Vaillancourt quitte le restaurant en ambulance. Le jour même, il consulte un médecin et un diagnostic de rupture du quadriceps gauche est posé. La CSST accepte la réclamation du travailleur.

[14]            Le 9 juin 2004, l’employeur adresse à la CSST une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Il allègue que l’accident est attribuable à un tiers, soit le restaurant Soleil en bouche.

[15]           Le 11 janvier 2006, la CSST refuse la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur. Elle déclare que bien que l’accident soit attribuable à un tiers, il n’est pas injuste d’en imputer les coûts à l’employeur puisque cet accident fait partie des risques inhérents à ses activités.

[16]           Cette décision est confirmée le 14 août 2006 à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[17]           Les parties admettent les éléments suivants :

- L’accident de monsieur Vaillancourt est attribuable à un tiers comme le constatait déjà la CSST dans sa décision initiale et dans la décision rendue à la suite d’une révision administrative.

 

-  9866,31 $ furent imputés au dossier d’expérience d’Expertech à la suite de cet accident.

 

-  Expertech était assujetti au régime du taux personnalisé pour l’année de référence 2004 et est assujetti au régime rétrospectif depuis l’année 2006.

 

 

[18]           En 2007, Expertech bénéficie de trois unités de classification :

            -80060           intitulée « construction de lignes de transport ou de distribution d’énergie; construction de poste de transformation d’énergie ».

            -800190         intitulée « installation d’équipement électronique, de système d’alarme ou de contrôle ».

            -90010           intitulée « travail effectué exclusivement dans les bureaux »  (CSST-2)

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[19]           Le tribunal doit décider si l’employeur a droit au transfert des coûts reliés à l’accident du travail subi par le travailleur le 7 avril 2004 et ce, en vertu de l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[20]           Afin de statuer sur le présent litige, le tribunal réfère aux motifs élaborés dans la décision rendue le 28 mars 2008 concernant l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[2].

[21]           Ainsi, pour réussir dans son recours, l’employeur doit démontrer que l’ « accident du travail » survenu est « attribuable » à un « tiers » et qu’il est « injuste » de faire supporter à l’employeur les coûts de cette lésion professionnelle.

[22]           En l’espèce, personne n’a fait valoir que l’accident ne serait pas attribuable à un tiers et la preuve offerte ne soutient pas pareille hypothèse, bien au contraire.

[23]           La preuve au dossier révèle un défaut d’entretien du trottoir glacé accessible au public. D’ailleurs, un collègue de travail a aussi glissé au même endroit. On ne peut pas simplement attribuer la présence de glace aux seules conditions climatiques mais aussi au défaut d’entretien de l’employeur.

[24]           Reste donc à décider si l’imputation à l’employeur est injuste, eu égard aux facteurs suivants :

-          les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;

-          les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;

-          les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi ;

[25]           Pour indemniser le travailleur, la CSST a décidé que sa lésion était survenue à l’occasion du travail. Les principes d’indemnisation ne sont cependant pas nécessairement identiques à ceux qui doivent régir l’imputation des coûts.

[26]           Ainsi, le tribunal ne croit pas que le fait pour un travailleur de se rendre au restaurant pour prendre un petit déjeuner constitue un risque inhérent à l’ensemble des activités de l’employeur, lesquelles visent la construction de lignes de transport d’énergie et l’installation d’équipement électronique.

[27]           Pareil risque n’est sûrement pas envisagé dans l’établissement de la cotisation de l’employeur. Le fait pour un travailleur de se rendre au restaurant pour déjeuner n’est pas lié de manière intime et nécessaire aux activités de l’employeur telles que décrites dans ses unités de classification. Il ne s’agit pas d’un risque inséparable, essentiel ou intrinsèque à ce genre d’activité.

[28]           On ne peut donc conclure qu’un événement comme celui subi par le travailleur est probable quand on tient compte du contexte particulier circonscrit par ses tâches et les conditions d’exercice de son emploi.

[29]           Dans ces circonstances, le tribunal conclut que l’imputation à l’employeur des coûts résultant de l’accident du travail du 7 avril 2004 est injuste au sens de l’article 326 de la loi.

[30]           La demande de l’employeur est donc bien fondée.

[31]           Le tiers à qui l’accident du travail est attribuable dans le présent dossier est un employeur qui a fait défaut de bien entretenir sa propriété.

[32]           Selon les termes du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, le présent tribunal peut imputer le coût des prestations dues en raison de l’accident survenu le 7 avril 2004 aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités.

[33]           Le tribunal estime que lorsque le tiers impliqué est une personne non assujettie au régime prévu à la loi, comme par exemple un individu, il est préférable d’imputer les coûts à l’ensemble des employeurs afin de faire supporter par le plus grand nombre possible les frais découlant d’un accident auquel aucun d’entre eux n’a contribué.

[34]           Lorsque plusieurs tiers employeurs ont contribué à la survenance d’un accident, le tribunal estime qu’on doit alors imputer le coût des prestations aux employeurs de plusieurs unités, soit celles où évoluent les tiers employeurs concernés et ce, en parts égales. Il devient, en pareilles circonstances, équitable et logique de transférer les coûts de façon égalitaire entre chacune des unités dont ils font partie[3].

 

 

[35]           Cependant, lorsqu’un seul tiers employeur est à la source d’un accident, comme c’est le cas en l’espèce, le tribunal croit qu’il est alors équitable d’imputer les coûts aux employeurs de l’unité dont fait partie cet employeur. Il serait injuste de faire supporter aux employeurs de d’autres unités les coûts découlant directement de l’action ou de l’omission d’un employeur en particulier[4].

[36]           Comme la loi ne permet pas d’imputer ces coûts au dossier d’un employeur en particulier[5], il y a lieu de les imputer plutôt à l’unité de classification à laquelle appartient le tiers employeur. C’est ce niveau qui permet l’imputation la plus juste à défaut de pouvoir imputer directement et uniquement le dossier de l’employeur à qui l’accident est attribuable.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Expertech Bâtisseur Réseaux inc.;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 août 2006 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par monsieur Jean-Luc Vaillancourt le 7 avril 2004 doit être imputé aux employeurs de l’unité dont fait partie Resto Soleil en bouche, la partie intéressée.

 

 

 

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Me Jean-François Clément, président

 

Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Me Diane Lajoie

 

Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

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Me Jean-François Martel

 

Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Jean-François Gilbert

GILBERT, AVOCATS

Procureur de la partie requérante

 

 

Me François Fortier

PANNETON LESSARD

Procureur de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c.A-3.001

[2]           C.L.P. 288809-03B-0605, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F Martel.

[3]           GMC ltée et CSST [1996] C.A.L.P. 866 , révision rejetée 50690-60-9304, 20 mars 1997, E. Harvey

[4]           CSST et Échafaudage Falardeau inc. [1998] C.L.P. 254 ; Aménagements Pluri-Services inc. et Simard-Beaudry Construction inc. 104279-04-9807, 26 novembre 1999, J.-L. Rivard; Castel Tina 1987 enr. et Lofti Tebessi, 123916-71-9909, 18 décembre 2000, D. Gruffy.

[5]           Castel Tina 1987 enr. et Lofti Tebessi, 123916-71-9909, 18 décembre 2000, D. Gruffy

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