Forage Dynami-tech

2012 QCCLP 1935

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

16 mars 2012

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

445616-03B-1108

 

Dossier CSST :

136562840

 

Commissaire :

Claude Lavigne, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

 

Forage Dynami-tech

 

Partie requérante

 

 

 

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DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 2 août 2011, Forage Dynami-tech (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste la décision rendue le 27 juillet 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 8 avril 2011 et déclare que le coût des prestations doit être imputé au dossier de l’employeur en regard de la lésion professionnelle subie par monsieur Yval Talbot (le travailleur) le 27 mai 2010.

[3]           Le 19 janvier 2010, la Commission des lésions professionnelles reçoit de la représentante de l’employeur une argumentation écrite devant tenir lieu et place de sa participation à l’audience prévue le 3 février 2012. À cette argumentation est jointe la demande d’imputation des coûts formulée le 10 mars 2011, document qui est enregistré sous la cote E-1. Elle dépose aussi des décisions de la Commission des lésions professionnelles qui sous-tendent son argumentation.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue le 27 juillet 2011 par la CSST, à la suite d’une révision administrative, et de déclarer qu’il doit être imputé uniquement de la partie de l’indemnité de remplacement du revenu qui correspond au revenu brut de 23 000,35 $ à la suite de l’accident survenu le 27 mai 2010.

LES FAITS

[5]           Le travailleur, bientôt âgé de 59 ans, exerce la fonction d’opérateur de foreuse à temps partiel pour l’employeur depuis 2009.

[6]           Le 27 mai 2010, il se blesse au genou gauche en débarquant de la foreuse, lésion qu’accepte la CSST le 13 septembre 2010.

[7]           Entre-temps, le 10 septembre 2010, la CSST retient comme base salariale devant servir à l’établissement des indemnités de remplacement du revenu du travailleur celle correspondant au revenu d’emploi des 12 mois précédant l’accident du travail, pour la somme de 23 000,35 $.

[8]           Cependant, des 29 dossiers ouverts à la CSST, il y en un pour lequel le travailleur s’est vu reconnaître, en 1991, un emploi convenable d’estimateur en dommages de véhicules avec une indemnité de remplacement du revenu réduite.

[9]           Le 10 octobre 2010, la CSST corrige la base salariale pour retenir celle de 54 739,46 $; base salariale correspondant au revenu brut revalorisé à la suite de la lésion professionnelle survenue dans le dossier 005903307.

[10]        Sensibilisé de cette modification, l’employeur s’adresse à la CSST le 10 mars 2011 pour obtenir un transfert d’imputation suivant l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). À cette occasion, il allègue que cette majoration des coûts n’est pas en lien avec l’événement survenu le 27 mai 2010.

[11]        Le 8 avril 2011, la CSST refuse cette demande de transfert d’imputation au motif que l’application de l’article 73 de la loi ne permet pas de conclure qu’il est obéré injustement par l’imputation des coûts des prestations liées à la lésion professionnelle survenue le 27 mai 2010, décision que l’employeur porte en révision le 11 mai 2011.

[12]        Le 27 juillet 2011, la CSST, à la suite d’une révision administrative, confirme sa décision rendue le 8 avril 2011, d’où la contestation déposée à la Commission des lésions professionnelles par l’employeur le 2 août 2011.

[13]        Dans l’argumentation écrite déposée par la représentante de l’employeur, cette dernière ne conteste pas l’application de l’article 73 de la loi, mais plutôt le fait que l’employeur soit imputé de la différence entre le nouveau revenu brut annuel retenu par la CSST par rapport à celui que le travailleur a retiré dans les 12 mois précédant sa lésion professionnelle du 27 mai 2010.

[14]        Ainsi, elle demande de déclarer que l’employeur doit être imputé seulement de la partie des coûts de l’indemnité de remplacement du revenu établie sur la base du revenu brut annuel de 23 000,35 $.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[15]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le présent employeur a droit de bénéficier d’un transfert d’imputation des coûts des prestations reliées à la lésion professionnelle survenue au travailleur le 27 mai 2010.

[16]        En matière d’imputation des coûts, la règle générale prévue à l’article 326, premier alinéa de la loi, prévoit que c’est l’employeur qui doit assumer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un de ses employés alors qu’il est à son emploi.

[17]        Afin de ne pas pénaliser l’employeur dans certaines circonstances, le législateur a prévu certaines exceptions à ce principe dont le second alinéa de l’article 326 de la loi (faire supporter injustement à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, ou d’être obéré injustement), l’article 327 de la loi (lésion professionnelle visée dans l’article 31 et assistance médicale due en raison d’une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée la lésion), l’article 328 (maladie professionnelle), l’article 329 (travailleur antérieurement handicapé) et l’article 330 de loi (désastre).

[18]        L’employeur ne demande pas à la Commission des lésions professionnelles d’appliquer l’une de ces exceptions, mais plutôt de s’en remettre à la règle générale en matière d’imputation pour que justice soit rendue.

[19]        Dans le dossier à l’étude, la Commission des lésions professionnelles retient qu’au moment où le travailleur est victime d’une lésion professionnelle le 27 mai 2010, il recevait également de la CSST une indemnité de remplacement du revenu réduite en lien avec les conséquences d’une lésion professionnelle antérieure.

[20]        Au lieu d’utiliser comme base salariale celle correspondant au contrat de travail ou le revenu tiré des 12 mois précédant l’accident du travail survenu le 27 mai 2010, soit 23 000,35 $, la CSST, en application de l’article 73 de la loi, revalorise le revenu brut annuel ayant servi à l’établissement des indemnités de remplacement du revenu dans le dossier ouvert sous le numéro 005903307 pour le fixer à 54 739,46 $.

73.  Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.

 

L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 73.

[21]        Sans vouloir remettre en question l’application de cette dernière disposition législative, l’employeur soumet respectueusement qu’il n’a pas à assumer le coût des prestations générées par l’application de cette dernière disposition législative.

[22]        En premier lieu, la Commission des lésions professionnelles reconnaît que la position majoritaire de son tribunal réitère que la CSST doit imputer à l’employeur le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail survenu au travailleur alors qu’il était à son emploi.

[23]        Le principal motif à l’appui de cette position majoritaire est que l’article 73 de la loi ne fait pas en sorte d’imputer à l’employeur une indemnité de remplacement du revenu découlant d’un autre dossier. Cet article sert plutôt au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit en raison de sa lésion professionnelle survenue chez l’employeur.

[24]        Faut-il rappeler que ce n’est pas le nombre de décisions qui fait la valeur d’une position retenue, mais bel et bien les motifs qui la justifient.

[25]        Au soutien de son argumentation écrite, l’employeur s’en remet à une décision du tribunal dans l’affaire J.M. Bouchard & fils inc.[2], décision qui s’écarte de cette position majoritaire. Il y a lieu, en l’instance, de reproduire certains passages de cette décision :

[35]      Avant d’aborder directement la question soulevée, il est nécessaire d’expliquer dans quelles circonstances l’article 73 de la loi s’applique. Nous verrons ensuite quels sont les effets pour l’employeur sur le plan de son imputation.

 

[36]      Si un travailleur reçoit une indemnité de remplacement du revenu réduite, c’est parce qu’il a subi dans le passé une lésion professionnelle qui lui a donné droit à la réadaptation professionnelle et à la détermination d’un emploi convenable. C’est aussi parce que le revenu brut de l’emploi convenable retenu est inférieur à celui de l’emploi qu’il occupait lors de sa lésion professionnelle. C’est ce qui ressort du premier alinéa de l’article 49 :

 

49. Lorsqu'un travailleur incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle devient capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable.

 

Cependant, si cet emploi convenable n'est pas disponible, ce travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi ou jusqu'à ce qu'il le refuse sans raison valable, mais pendant au plus un an à compter de la date où il devient capable de l'exercer.

 

L'indemnité prévue par le deuxième alinéa est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d'emploi, en vertu d'une loi du Québec ou d'ailleurs, autre que la présente loi.

 

1985, c. 6, a. 49.

 

[37]      À partir du moment où le travailleur devient capable d’exercer à temps plein l’emploi convenable déterminé, l’article 49 prévoit que son indemnité de remplacement du revenu doit être réduite5 du revenu net retenu qu’il pourrait tirer de cet emploi convenable. Cependant, si l’emploi convenable n’est pas disponible, il continue de bénéficier de sa pleine indemnité durant une période maximale d’une année, et ce, pour lui permettre de se trouver un emploi.

 

[38]      L’indemnité réduite d’un travailleur est par la suite révisée de façon périodique conformément aux articles 54 et 55 de la loi :

 

54. Deux ans après la date où un travailleur est devenu capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, la Commission révise son indemnité de remplacement du revenu si elle constate que le revenu brut annuel que le travailleur tire de l'emploi qu'il occupe est supérieur à celui, revalorisé, qu'elle a évalué en vertu du premier alinéa de l'article 50.

 

Lorsqu'elle effectue cette révision, la Commission réduit l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur à un montant égal à la différence entre l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle il aurait droit s'il n'était pas devenu capable d'exercer à plein temps un emploi convenable et le revenu net retenu qu'il tire de l'emploi qu'il occupe.

 

1985, c. 6, a. 54.

 

 

 

55. Trois ans après la date de cette révision et à tous les cinq ans par la suite, la Commission révise, à la même condition et de la même façon, l'indemnité de remplacement du revenu d'un travailleur jusqu'à ce que ce travailleur tire de l'emploi qu'il occupe un revenu brut annuel égal ou supérieur à celui qui sert de base, à la date de la révision, au calcul de son indemnité de remplacement du revenu ou jusqu'à son soixante-cinquième anniversaire de naissance, selon la première échéance.

 

1985, c. 6, a. 55.

[39]      Par ce mécanisme, le législateur veut s’assurer que le droit d’un travailleur à l’indemnité réduite subsiste aussi longtemps qu’il n’exerce pas, au moment d’une révision de son indemnité, un emploi qui est au moins aussi rémunérateur que celui occupé lors de sa lésion professionnelle initiale6.

 

[40]      Tout au long de ce processus, la CSST impute le coût de l’indemnité réduite à l’employeur au service duquel était le travailleur lors de l’accident du travail (art. 326, 1er al.)7. Si le droit à l’indemnité réduite origine d’une maladie professionnelle, le coût de l’indemnité est imputé à l’employeur pour qui il a exercé un travail de nature à engendrer la maladie professionnelle (art. 328). Il est normal qu’il en soit ainsi, puisque le coût de l’indemnité réduite est une conséquence directe de l’événement survenu chez cet employeur ou de la maladie qui a été engendrée chez celui-ci.

 

[41]      Lorsque le travailleur subit une nouvelle lésion professionnelle, l’article 73 prévoit une règle particulière pour la détermination de son indemnité. Plutôt que de recevoir à la fois l’indemnité réduite et l’indemnité de remplacement du revenu qui résulte de sa nouvelle lésion, l’article 73 fait en sorte qu’il obtient une seule indemnité basée sur le revenu brut le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale ou, soit de celui qu'il tire de son nouvel emploi.

 

[42]      En procédant de la sorte, le législateur s’assure que le travailleur n’obtient jamais une indemnité inférieure à celle à laquelle il avait droit en raison de la lésion initiale. En même temps, il lui permet de recevoir une indemnité supérieure s’il occupe un emploi plus rémunérateur au moment de sa nouvelle lésion.

 

[43]      L’application de l’article 73 entraîne, dans une certaine mesure, la fusion de l’indemnité de remplacement réduite que le travailleur reçoit déjà et de celle à laquelle il a droit en conséquence de sa nouvelle lésion professionnelle. Nous disons dans une certaine mesure, puisque le salaire gagné par le travailleur dans le cadre de son nouvel emploi ne correspond pas nécessairement à celui de l’emploi convenable déterminé par la CSST.

 

[44]      À partir du moment où le travailleur redevient capable d’exercer son emploi, son droit à l’indemnité réduite revit puisque le motif qui a entraîné sa suspension n’existe plus. D’ailleurs, dans le présent dossier, le travailleur a été jugé apte à reprendre son emploi à compter du 27 mars 2006 et une note au dossier précise qu’il y a eu reprise du versement de son indemnité réduite.

 

[…]

 

 

 

[55]      Dans le présent dossier, ces principes ne sont pas respectés et l’employeur est justifié de prétendre que l’imputation retenue par la CSST lui fait supporter des coûts qui ne découlent pas d’une lésion survenue à son service.

 

[56]      N’eut été de l’accident du travail survenu chez un autre employeur le 14 février 2000, l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur aurait été calculée en fonction du salaire réellement gagné au moment du deuxième accident du travail le 24 octobre 2005, soit 15 850,56 $.

 

[57]      Si le travailleur a droit à une indemnité plus importante, c’est parce que la méthode de calcul de sa nouvelle indemnité tient compte de l’indemnité réduite dont il bénéficiait en conséquence de l’accident du travail survenu le 14 février 2000.

 

[58]      Quand le législateur précise au 2e alinéa de l’article 73 que l’'indemnité de remplacement du revenu que reçoit déjà un travailleur cesse de lui être versée, ce n’est pas parce qu’il perd le droit à celle-ci, mais plutôt parce qu’elle est incluse dans la méthode de calcul prévue au 1er alinéa.

 

[59]      L’employeur a donc raison de prétendre qu’on impute à son dossier financier des coûts qui résultent directement d'un accident du travail survenu alors que le travailleur était à l’emploi d’un autre employeur. Cette décision ne respecte donc pas la règle générale édictée au 1er paragraphe de l’article 326.

 

[60]      La politique d’imputation de la CSST ne constitue ni plus ni moins qu’un transfert d’imputation d’un employeur à un autre, et ce, sans aucune justification rationnelle. Selon le soussigné, il faudrait une disposition spécifique pour permettre une telle entorse à la règle générale de l’article 326.

 

[…]

 

[72]      Il est difficile de concevoir que le législateur veuille d’une part favoriser l’embauche d’un travailleur réadapté en octroyant des avantages financiers à un employeur, et qu’il soit d’accord avec une politique d’imputation dont l’effet est de le pénaliser financièrement dans l’éventualité où ce même travailleur subit une lésion professionnelle.

 

[73]      Il y a là une incohérence manifeste qui s’accorde mal avec la présomption selon laquelle le législateur est censé être rationnel et cohérent dans sa législation12. Le législateur est en effet présumé être logique avec lui-même et vouloir que les dispositions d’une loi s’harmonisent entre elles et non qu’elles se heurtent.

 

[74]      Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois13, Pierre-André Côté écrit ce qui suit :

 

Comme la méthode littérale est fondée sur la présomption de l’aptitude du législateur à transmettre correctement sa pensée par le truchement de la formule légale, la méthode systématique et logique s’appuie sur l’idée que le l’auteur de la loi est un être rationnel : la loi qui manifeste la pensée du législateur rationnel, est donc réputée refléter une pensée cohérente et logique et l’interprète doit préférer le sens d’une disposition qui confirme le postulat de la rationalité du législateur plutôt que celui qui crée des incohérences, des illogismes ou des antinomies dans le loi.

 

[75]      Selon le soussigné, l’approche retenue jusqu’ici par le tribunal est certes défendable sur le plan de l’analyse grammaticale. Elle ne l’est pas, pour les raisons déjà expliquées, lorsqu’on la soumet à la méthode d’interprétation contextuelle préconisée par les plus hautes juridictions.

 

[76]      Dans l’arrêt La Reine c Hypothèques Trustco Canada14, la Cour suprême a fait un commentaire maintes fois repris :

 

[10] Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804 , par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble.  Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation.  Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

 

[77]      Dans l’arrêt Bédard c. Royer15, le juge Paul-Arthur Gendreau de la Cour d’appel du Québec fait remarquer que :

 

[28] Pierre-André Côté explique bien les limites de l'interprétation littérale et l'importance d'une analyse plus large qui fait appel à la recherche de la finalité de la loi et à l'environnement dans lequel s'insère une disposition législative. Je fais miennes ses remarques lorsqu'il écrit :

 

Si le travail de l'interprète consiste, selon la doctrine officielle de l'interprétation, à découvrir la pensée du législateur, l'interprétation doit commencer par l'étude du texte que l'auteur a rédigé pour communiquer ses idées.

 

L'interprète doit-il cependant s'arrêter là?  Sur ce point, je partage l'avis de lord Denning:

 

«Sans aucun doute, la tache de l'avocat et du juge est de découvrir l'intention du législateur.  Pour y parvenir, il faut, assurément, partir des termes de la loi, mais non s'en tenir là, comme d'aucuns semblent le penser.»

 

On doit absolument dépasser le texte, pour deux raisons en particulier.  La première, c'est que, comme on l'a vu, l'objectif de l'interprétation ne consiste pas uniquement à découvrir la pensée historique de l'auteur du texte: l'interprétation poursuit d'autres objectifs et exige donc la prise en considération de facteurs, tels les conséquences de l'interprétation, qui n'ont rien à voir avec la formulation du texte. […]  Deuxièmement, l'approche littérale ne permet de tenir compte que de la partie expresse de la communication légale: la partie implicite, celle qui se dégage du contexte global de l'énonciation légale, doit également être prise en considération si l'on veut reconstituer la pensée du législateur15.

 

[29] La Loi d'interprétation va dans le même sens. Ainsi, à son article 41, on précise le rôle de l'interprète tel que le législateur lui-même l'a conçu et imposé :

 

Toute disposition d'une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d'imposer des obligations ou de favoriser l'exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

 

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

____________________

15     P.A. CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1999, page 352.

                                   

5        De là l’expression « indemnité réduite ».

6        L’article 56 prévoit toutefois une réduction progressive de l’indemnité à compter du 65e anniversaire du travailleur.

7        Il faut signaler qu’après une certaine période de temps les coûts imputés au dossier d’un employeur ne sont plus utilisés dans le calcul de sa cotisation.

12          Ordre des chimistes du Québec c. Chimitec Ltée, C.A, 200-10-000993-001, 9 février 2001, A. Brossard, T. Rousseau-Houle, F. thibault.

13          Les Éditions Yvon Blais inc., Cowansville, 1982, p. 256.

14          [2005] 2 R.C.S. 601 .

15          C.A., 200-09-003896-021, 10 septembre 2003, P.-A. Gendreau, M. Proulx, L. Rochette.

[26]        Cette approche a par ailleurs été retenue subséquemment dans la cause Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)[3].

[27]        Encore ici, le présent tribunal trouve approprié de reproduire certains passages de cette décision :

[35]      Il appert de ces dispositions que le législateur fait clairement une différence entre les lésions imputables à l’employeur et les lésions antérieures imputables aux autres employeurs. Il est donc tout à fait injuste de faire supporter au présent employeur le coût des prestations déjà imputées à un autre employeur, pour lesquelles la CSST a déjà facturé à cet employeur avec des provisions actuarielles nécessaires au paiement des prestations versées.

 

[36]      Les dispositions ayant trait au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu font partie d’un objectif distinct de la loi visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle. Les dispositions quant au financement visent plutôt à imputer les prestations qui sont attribuables aux lésions professionnelles au dossier de l’employeur responsable.

 

 

[37]      À l’instar de la décision dans l’affaire J.M. Bouchard et Fils6, le présent tribunal se distingue également de la thèse majoritaire en ce qu’une telle interprétation ne tient pas compte du contexte global des dispositions relativement au financement du régime dans son interprétation de la notion de prestations à l’alinéa 1 de l’article 326 de la loi.

 

[38]      Au surplus, une telle interprétation entraîne un effet pervers allant à l’encontre de l’objectif de réadaptation prévu à la loi. En effet, il est déjà difficile pour un travailleur de se trouver un emploi convenable lorsqu’il a des limitations fonctionnelles. Si on impose un possible fardeau financier à un employeur subséquent en lui imputant les indemnités de remplacement du revenu réduites résultant d’un accident du travail dont il n’est pas responsable, on ne facilitera pas la tâche du travailleur dans la recherche d’un emploi sur le marché du travail.

 

[39]      Cette façon de faire peut entraîner des craintes chez un employeur éventuel qu’elles soient expressément manifestées ou non.

 

[40]      À cet égard, la Commission des lésions professionnelles a déjà soulevé dans l’affaire Groupe Morrisette autos inc.7, certains propos qui soutiennent le raisonnement du présent tribunal, et ce, bien que la question en litige dans ce dossier diffère. Le tribunal estime pertinent d’en citer quelques extraits :

 

[51]      En effet, la CSST cotise chaque année les employeurs pour couvrir les dépenses qu’elle encourra dans l’avenir, au regard des lésions professionnelles survenant dans l’année de cotisation.

 

(…)

 

[53]      La tenue de comptes distincts et la juste imputation des coûts au dossier des employeurs, dans le respect des règles instaurées, sont des éléments fondamentaux pour garantir l’équité entre les employeurs cotisant au régime d’assurance.

 

[54]      En effet, tel que le prévoit l’article 284 de la loi, la CSST doit faire face à ses dépenses au fur et à mesure de leur échéance pour éviter que les employeurs soient injustement obérés par la suite à cause des paiements à faire pour des lésions professionnelles survenues auparavant.

 

(…)

 

[55]      Ainsi, chaque génération d’employeurs ne doit supporter que les coûts qui lui sont propres. Le législateur a mis en place diverses règles pour atteindre cet objectif. À cet effet, il a notamment prévu qu’un employeur bénéficie d’un délai limité de trois ans pour présenter une demande d’imputation des coûts d’une lésion professionnelle, en vertu de l’article 329 de la loi.

 

[41]      Le tribunal ne croit donc pas que la notion de prestations prévue à l’article 326 de la loi alinéa 1, inclut les prestations versées pour une lésion professionnelle qui n’est pas attribuable au présent employeur. Au surplus, la situation précise du présent dossier entraîne une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter étant donné que la majeure partie de la portion des indemnités de remplacement du revenu qui lui sont imputées relève d’une lésion professionnelle antérieure chez un autre employeur. Cette proportion des coûts est attribuable à cette situation d’injustice et est significative par rapport aux coûts découlant de l’indemnité de remplacement du revenu versée dans l’accident en cause.

                          

6              Précitée, note 3.

7              2011 QCCLP 768 .

[28]        L’actuel tribunal partage d’emblée les conclusions retenues dans les causes citées aux notes 2 et 3 et fait siens les arguments qui les sous-tendent.

[29]        Au surplus, on a souvent écrit que la présente loi, à caractère social, doit être interprétée de façon large et libérale afin de lui permettre d’atteindre son objet qui vise la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elle entraîne pour les bénéficiaires.

[30]        En plus d’avoir comme objectif la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elle entraîne pour les bénéficiaires, la présente loi doit également être appliquée de façon à ne pas causer une injustice envers une autre partie comme c’est le cas en l’instance.

[31]        La Commission des lésions professionnelles voit par cette nouvelle tendance l’occasion de rétablir la justice envers les employeurs qui se voient injustement imputer des coûts qui relèvent d’une revalorisation d’une base salariale déjà retenue chez un ancien employeur.

[32]        Dès lors, dans un souci de justice et d’équité envers le présent employeur, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le coût des prestations correspondant à l’écart entre la base salariale retenue par la CSST qui est de 54 739,46 $ par rapport à celle que le travailleur avait au moment de la survenance de sa lésion professionnelle le 27 mai 2010, soit 23 000,35 $, n’a pas à lui être imputé.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête formulée à la Commission des lésions professionnelles par Forage Dynami-tech, l’employeur, le 2 août 2011;

INFIRME la décision rendue le 27 juillet 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que Forage Dynami-tech n’a pas à être imputé du coût des prestations reliées à l’indemnité de remplacement du revenu qui excède celui qui aurait été fixé sur la base du revenu que monsieur Yval Talbot, le travailleur, avait au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, le 27 mai 2010, soit 23 000,35 $.

 

 

 

 

Claude Lavigne

 

 

 

 

Me Ève St-Hilaire

RAYMOND CHABOT SST INC.

Représentante de la partie requérante

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 372840-02-0903, 17 mai 2010, M. Sansfaçon.

[3]           2011 QCCLP 1741 .

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