Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Gosselin c. R.

2012 QCCA 1874

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-004802-102

(765-01-021434-101)

(765-01-021435-108)

 

DATE :

  LE 22 OCTOBRE 2012

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

RICHARD WAGNER, J.C.A.

CLÉMENT GASCON, J.C.A.

 

 

JOEY GOSSELIN

APPELANT - accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 28 octobre 2010 par la Cour du Québec, Chambre criminelle, district de Richelieu (l'honorable juge Richard Marleau), qui l'a déclaré coupable d'un chef de voies de fait et de trois chefs de bris d'une ordonnance de probation qui découlent du même incident;

[2]           Pour les motifs du juge Kasirer, auxquels souscrivent les juges Wagner et Gascon, LA COUR :


[3]           REJETTE le pourvoi.

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

RICHARD WAGNER, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLÉMENT GASCON, J.C.A.

 

Me Laurent Carignan

Me Clemente Monterosso

MONTEROSSO & ASSOCIÉS

Pour l'appelant

 

Me Sylvie Villeneuve

PROCUREURE AUX POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

Le 19 septembre 2012



 

 

MOTIFS DU JUGE KASIRER

 

 

[4]           Joey Gosselin se pourvoit contre un jugement rendu le 28 octobre 2010 par la Cour du Québec qui l'a déclaré coupable d'un chef de voies de fait commises à l'endroit de N... V..., sa conjointe, et de trois chefs de bris d'une ordonnance de probation qui découlent du même incident.

[5]           Le 7 février 2011, le juge qui a présidé le procès lui impose une peine de 30 mois d'emprisonnement ferme sur le chef de voies de fait, peine à laquelle il soustrait 5 mois de détention préventive, et de 12 mois d'emprisonnement sur chacun des chefs de bris de probation, concurrents entre eux et la peine imposée pour les voies de fait.

[6]           Il interjette appel de la déclaration de culpabilité. Il présente aussi un appel distinct (500-10-004871-115) contre la peine.

I           LE CONTEXTE

[7]           Le 3 septembre 2010, les policiers interviennent au domicile de Mme  V... et de l’appelant en raison d'un incident allégué de violence conjugale qui ne fait pas l'objet du présent pourvoi. À ce moment, Martine Plourde, une voisine du couple, leur dit qu'elle et son mari, Marc Bélair, ont été témoins d'un incident impliquant M. Gosselin et Mme  V... quelques jours auparavant, soit le 29 août 2010. C’est cet incident qui fait l’objet des accusations portées contre M. Gosselin.

[8]           Au procès, le juge devait trancher entre deux versions contradictoires des événements du 29 août 2010.

[9]           La preuve de la poursuite se résume au témoignage de Mme Plourde et à la déclaration faite par M. Gosselin au poste de police le soir de son arrestation. (M. Bélair n’a pas témoigné au procès, mais la défense admet que s’il l’avait fait, il aurait corroboré les dires de Mme Plourde). Le seul témoin présenté en défense est Mme  V..., la supposée victime, qui nie la commission de l'infraction. Selon ses explications, elle était consentante à ce que son conjoint la retienne pour l’embrasser.

[10]        Selon la version de Mme Plourde des événements du 29 août 2010, elle entend, de son salon, Mme  V... crier « lâche-moi, lâche-moi ». Elle sort de son appartement pour rejoindre son mari qui est déjà dehors et voit l'appelant retenir Mme  V... par la taille. Elle dit que Mme  V... se débat et essaie de se déprendre de l’appelant. M. Bélair s'approche alors du couple et demande à l’appelant de laisser aller Mme   V... L'appelant obtempère, tout en déclarant : « je vais la lâcher, mais calme-la ». Toujours selon Mme Plourde, une fois libérée par l'appelant, Mme  V... se réfugie sur le balcon du couple Plourde-Bélair. Alors que Mme  V... s’y trouve, l’appelant vient vers elle à plusieurs reprises et cette dernière lui manifeste son intention de ne plus le revoir. Elle lui demande les clés du logement et de s’en aller.

[11]        En vue de confirmer le témoignage de Mme Plourde, la poursuite présente la preuve d’une déclaration faite par l’appelant au moment de son arrestation le 3 septembre 2010. Transporté au poste de police de Sorel-Tracy, l’appelant y affirme ne pas vouloir d'avocat ni ne vouloir faire de déclaration. Il a alors déjà reçu deux mises en garde de la part des policiers. Il s'informe régulièrement du délai avant sa libération. Vers minuit et quatre, l'agent Alexandre Moreau lui indique que de nouveaux témoins ont été rencontrés. L'accusé rétorque spontanément : « C'est les voisins qui nous ont vus sur le balcon v'là trois jours, Nathalie voulait se sauver et je l'ai retenue pour qu'elle reste avec moi ». Après cela, il rajoute « Il ne s’est rien passé de plus ». Selon la poursuite, la teneur de la déclaration de M. Gosselin sert à confirmer la véracité de la version de l’incident relatée par Mme Plourde et démontre que l'appelant a commis l'infraction de voies de fait pour laquelle il est accusé.

[12]        Mme  V... ne porte pas plainte contre son conjoint à la suite de l'incident du 29 août 2010. Elle décide plutôt de témoigner en défense au procès de M. Gosselin pour voies de fait et bris de conditions.

[13]        Bien qu’elle corrobore le témoignage de Mme Plourde sur certains points, la version offerte par Mme  V... au procès diffère sensiblement sur certains faits essentiels donnant lieu aux accusations. Selon sa version de l'incident, elle se trouve sur le trottoir avec son conjoint le soir du 29 août 2010 alors qu'un voisin s'approche d'eux. Elle ne comprend pas ce qu'il veut. Mme  V... témoigne qu’elle et M. Gosselin sont fatigués à la suite d’un déménagement fait sous une chaleur intense. Il y avait une tension entre eux, mais Mme  V... nie que le climat en était un d'agressivité ou de violence. Au moment où elle annonce vouloir prendre une marche, témoigne-t-elle, l'appelant la prend par le bras afin de lui demander de l'embrasser. Mme  V... affirme au procès que les gestes de l’appelant, même s’ils ont pu paraître brusques aux yeux d’un observateur externe, ont été faits sans agressivité. Elle nie avoir dit « lâche-moi, lâche-moi » et explique, au contraire, qu’elle a consenti aux gestes faits par son conjoint qui n’avaient rien d’anormal. Mme  V... dit avoir fait sa marche par la suite et, de retour au logement, elle s’est assise avec son conjoint pour prendre un café avant de sortir à deux en vélo.

[14]        En somme, Mme  V... est d’avis que les actes de l’appelant ne reflètent qu’une démonstration maladroite d’affection et non un acte d'agression à son égard.

II          LE JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC

[15]        Le juge ne retient pas la version des faits présentée par Mme   V... Se basant sur l’ensemble de la preuve, et notamment les faits qui se dégagent du témoignage de Mme Plourde et de la déclaration de M. Gosselin, il déclare ce dernier coupable de voies de fait et des chefs de bris de conditions.

[16]        Après avoir rappelé les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt W.D.[1], le juge relève des lacunes dans le témoignage offert en défense par Mme   V...

[17]        Le juge estime que ce témoignage ne jouit pas d'une très grande fiabilité. Il est d'avis que la crédibilité de Mme  V... est sérieusement mise en doute par les déclarations contradictoires qu'elle a faites lors d'un procès antérieur de l'appelant pour des accusations similaires survenues dans un contexte de violence conjugale. Le juge retient de son témoignage sur les faits du 29 août 2010 que l'appelant l'a prise par la taille, mais rejette son explication qu'il l'a fait pour l'embrasser. Il ne croit pas la suite de sa version selon laquelle elle affirme « que le but recherché n’était que de la retourner et de lui donner un petit bec, comme il avait l’habitude de le faire ». Il retient plutôt le témoignage de Mme Plourde selon lequel Mme  V... criait « lâche-moi, lâche-moi » et conclut qu’on ne peut réconcilier de tels propos avec la proposition que Mme  V... a été consentante à l’acte posé.

[18]        Le juge estime que les explications fournies par Mme  V... ne suscitent pas un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'appelant.

[19]        Quant à la troisième étape de W.D., le juge accepte la version mise en preuve par Mme Plourde, y voyant une confirmation dans la déclaration faite par l’appelant au poste de police. Tenant compte de l’ensemble de la preuve, il conclut que M. Gosselin a retenu Mme  V... par la force, contre son gré. Le juge déclare alors l'appelant coupable de voies de fait et des trois bris de probation qui en découlent.

III         L'ANALYSE

[20]        L'appelant soutient que le juge a erré dans son appréciation du témoignage de Mme   V... Il aurait aussi erré en admettant en preuve la déclaration de l'appelant faite au poste de police. Troisièmement, compte tenu de l'ensemble de la preuve, il aurait fallu conclure que la poursuite ne s'est pas déchargée du fardeau qui est le sien. Finalement, il ajoute que le juge se méprend en qualifiant le geste plutôt banal de l'appelant comme un acte criminel.

***

[21]        Le juge a-t-il fait une erreur dans l'appréciation du témoignage de la conjointe de l’appelant?

[22]        Pour l'appelant, le juge n’aurait pas dû se fier aux déclarations de Mme  V... au procès antérieur puisqu’elles ne sont pas reliées aux faits en litige ici. Il soutient que le juge retient, erronément, les seuls passages de la version des faits de Mme  V... qui permettent de corroborer la théorie de la poursuite reposant sur la violence conjugale commise par l'appelant. Dans l’ensemble, le témoignage de Mme  V... relativement à son consentement serait de nature, selon l’appelant, à soulever un doute raisonnable sur la preuve des éléments essentiels des voies de fait.

[23]        L’appelant a tort sur ce point.

[24]        Le juge a longuement et soigneusement motivé les raisons qui l’ont amené à ne pas retenir des aspects de la version proposée par Mme  V... ayant trait aux accusations portées contre M. Gosselin.

[25]        Contrairement à ce que plaide l’appelant, le juge n’a pas accordé trop d'importance au témoignage que Mme  V... a rendu en juin 2010 dans un autre dossier de violence conjugale impliquant l'appelant. Pour l’appelant, ces déclarations n’avaient aucun lien avec les faits en cause. Pourtant, il a été mis en preuve que Mme  V... a rendu deux témoignages contradictoires sous serment et que la contradiction était directement liée à la survenance des gestes de violence commis à son endroit par l’appelant. Au procès, Mme  V... confirme s'être déjà déclarée prête à se parjurer pour éviter que M. Gosselin soit condamné pour voies de fait (MA 181, 183-4). Il est important de rappeler que ces témoignages antérieurs ont été rendus dans un dossier qui concernait Mme  V... et l’appelant, dossier dans lequel Mme  V... avait, à l’origine, porté plainte pour violence conjugale contre l’appelant. Le fait que ces déclarations ne réfèrent pas au présent dossier n’a pas pour effet d’atténuer leur importance aux fins de l’évaluation de la crédibilité.

[26]        Le choix par le juge d’écarter d’importants passages du témoignage de Mme  V... repose pour l’essentiel sur le déficit de crédibilité qu’il lui accorde. Il n’y a pas lieu d’intervenir dans cette appréciation par le juge qui a eu l’avantage d’entendre et de soupeser la preuve. Comme l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Gagnon[2], une cour d’appel doit déférence à cette évaluation et il faut « respecter les perceptions du juge de première instance, sauf erreur manifeste et dominante ». Ici, l’appelant n'a pas démontré une telle erreur dans la démarche du juge.

***

[27]        Qu’en est-il de la déclaration de l’appelant faite au poste de police?

[28]        Comme deuxième reproche au jugement d’instance, l’appelant plaide que le contexte dans lequel la déclaration a été faite milite en faveur de son exclusion de la preuve. Subsidiairement, le juge aurait fait une interprétation déraisonnable de la déclaration en y lisant une confirmation que l’appelant savait que Mme  V... ne consentait pas à ses gestes.

[29]        En premier lieu, il convient de noter que la déclaration de l'appelant au poste de police servait avant tout à corroborer le témoignage de Mme Plourde et les constats de son mari, M. Bélair, témoins oculaires et neutres de l'incident.

[30]        Rappelons aussi que le juge interprète la déclaration de l’appelant, citée plus haut, comme la « manifestation de sa reconnaissance qu’au moment où il a retenu Madame, il le faisait sans le consentement de cette dernière ». Cette interprétation s’accorde sur le sens commun des propos spontanément prononcés par l’appelant. Contrairement à ce que plaide l’appelant, sa déclaration est sans ambiguïté.

[31]        L’appelant soutient que la déclaration faite au poste de police a été obtenue en violation de son droit au silence. Il reconnaît que les policiers l’ont informé de son droit à l’assistance d’un avocat et de son droit au silence à son arrivée au poste. Il soutient toutefois qu’ils devaient le faire à nouveau à la suite d’un changement de circonstances dans sa détention au moment où les policiers ont appris que d’autres témoins avaient des informations concernant l’appelant. Ce changement de circonstances a entraîné un changement de risque pour l’appelant et, suivant les enseignements de la Cour suprême dans la trilogie McCrimmon, Willier et Sinclair[3], les policiers auraient dû donner à l’appelant une autre possibilité de consulter un avocat.

[32]        Cet argument doit échouer. 

[33]        Notons d’abord qu’aucune requête basée sur une quelconque violation de la Charte canadienne des droits et libertés n’a été présentée en première instance. Notons aussi qu’à la différence des circonstances dans les arrêts de la trilogie citée par l’appelant, la déclaration n’a pas été faite dans le cadre d’un interrogatoire sous garde, mais plutôt prononcée de façon spontanée. Il n'y avait par ailleurs aucun changement de circonstances faisant en sorte que l'appelant soit soupçonné d'une infraction différente et plus grave. Après la déclaration des voisins, l'appelant demeurait soupçonné de voies de fait à l'endroit de sa conjointe. Seule la date du nouvel événement était différente. De plus, on ne peut pas dire que l’information parvenue à l’agent Moreau indiquait à ce dernier l’existence d’un changement dans les circonstances de l’appelant exigeant de nouveaux conseils pour ce dernier. Au contraire, aucune nouvelle mise en garde ne devait être faite avant la déclaration de l’appelant puisque, comme le retient le juge de la preuve, à ce moment-là l’agent ne connaissait pas la teneur des informations que les voisins allaient transmettre (MA 142). À supposer qu'il y ait eu changement de risque, celui-ci n'a pris forme que lorsque les policiers ont décidé de porter de nouvelles accusations (MA 143). Or, lorsque l'appelant a fait sa déclaration, cette décision n'avait pas été prise. L’appelant ne fait pas voir une erreur dans la conclusion du juge quant au caractère libre et volontaire de la déclaration.

***

[34]        Troisièmement, l’appelant soutient que le juge a erré en concluant, eu égard à l’ensemble de la preuve, que la poursuite s'était déchargée de son fardeau de prouver les éléments essentiels de l’infraction de voies de fait hors de tout doute raisonnable. Il plaide que, même si on tenait les propos relatés par Mme Plourde pour avérés, l'exclamation « lâche-moi, lâche-moi » de Mme  V... du 29 août 2010 signifierait davantage qu’elle ne souhaitait plus parler avec lui plutôt qu'une absence de consentement à ce que son conjoint la touche pour l’embrasser.

[35]        L’appelant se trompe.

[36]        Dans son argumentation sur ce point, l’appelant passe sous silence le fait que Mme  V... se débattait contre son conjoint au moment où il la retenait, un fait que Mme Plourde souligne dans son témoignage. Il passe aussi sous silence le fait que M. Bélair a dû intervenir dans l’altercation du couple afin que l’appelant se décide à lâcher Mme  V..., un point sur lequel le juge insiste. S’appuyant sur le témoignage de Mme Plourde - un témoin neutre - et la déclaration de l’appelant, le juge conclut au terme de son analyse menée sous la troisième étape de W.D. que la victime a été retenue par l’appelant et qu’elle n’a pas donné son consentement aux actes posés à son endroit. L’appelant ne fait voir ici aucune erreur révisable commise par le juge.

***

[37]        Qu’en est-il de l’argument du de minimis non curat lex (« des petites choses la loi ne se soucie pas »[4]) soulevé par l’appelant? Le geste fait par l’appelant est-il trop peu important pour justifier une condamnation dans les circonstances?

[38]        L’appelant qualifie de banal son geste en plaidant que retenir sa conjointe comme il l’a fait ne peut sérieusement être considéré comme des voies de fait dignes d’une accusation criminelle. En appui de cet argument, il cite un extrait de l’arrêt de la Cour suprême dans R. c. Jobidon[5] concernant un acte innocent posé par un parent à l’endroit de son enfant récalcitrant. Pour l’appelant, le contact entre conjoints en l’espèce est tout aussi trivial et, par conséquent, doit être également considéré comme innocent. Fait dans le cadre des rapports entre deux individus qui forment un couple, le geste ne peut, dit-il, justifier la qualification d’acte criminel.

[39]        L’argument de la banalité du geste est sans mérite.

[40]        Contrairement à ce que plaide l’appelant, il ne s’agit pas d’une violation technique de l’article 266 du Code criminel. Sur le plan théorique et pratique, l'application de la maxime de minimis non curat lex à une déclaration de culpabilité pour l'infraction des voies de fait s'avère toujours difficilement soutenable[6]. Dans les faits de l'espèce, le juge ne pouvait écarter la preuve présentée devant lui en application du concept de minimis non curat lex. Les éléments de l’infraction sont ici clairement établis : l’acte de retenir Mme  V... a été fait de manière intentionnelle et la victime n’y a pas consenti. Même en l'absence de séquelles physiques, les actes de nature hostile posés dans un contexte de violence conjugale sont généralement considérés incompatibles avec une « défense » fondée sur de minimis[7].

[41]        De fait, le contexte conjugal fait voir que le geste de l’appelant est tout sauf un acte banal. Le professeur Glanville Williams expose les bases de l'application très exceptionnelle de la maxime de minimis dans le contexte de l'infraction d'assault en droit anglais en soulignant que le « contact social ordinaire » ne constitue pas des voies de fait[8]. Or, cette exception ne peut s'appliquer à un acte hostile, commis à l'endroit d'une conjointe sans son consentement, comme l'acte posé par l'appelant. Son comportement n'est pas susceptible d'être qualifié d'« ordinary social contact » pour reprendre l'expression de l'auteur Williams.

[42]        Profitant de la confiance que procurent les rapports intimes qui caractérisent l'union conjugale, l’appelant retient physiquement sa conjointe sans son consentement d’une manière que, d’ordinaire, on ne ferait pas avec un étranger. Elle lui résiste et, avant l’intervention de M. Bélair, l’appelant ne la laisse pas aller. Il s’autorise, au nom de son statut de conjoint, à ignorer l’absence de consentement clairement manifestée par sa conjointe avec qui il est censé mener des relations d’égal à égal. Appliquer le concept de minimis non curat lex ici aurait l’effet pervers de ne pas tenir compte de l’absence de consentement de Mme  V... du seul fait qu’elle est la conjointe de l’accusé. Il aurait aussi l’effet pervers de nier le mal social - la violence conjugale - dont la conduite de l’appelant est une manifestation claire[9]. Pour reprendre les mots de la Cour suprême dans Jobidon, « [l]e législateur n’a certainement pas voulu cette conséquence absurde ».

[43]        Je propose de rejeter le pourvoi.

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 



[1]     R. c. W.D., [1991] 1 R.C.S 742 .

[2]     [2006] 1 R.C.S. 621 , paragr. [20].

[3]     R. c. McCrimmon, [2010] 2 R.C.S. 402 ; R. c. Willier, [2010] 2 R.C.S. 429 et R. c. Sinclair, [2010] 2 R.C.S. 310 .

[4]     Cette traduction de de minimis non curat lex est proposée par Albert Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 4e éd., mise à jour par Mairtin Mac Aodha, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 121.

[5]     R. c. Jobidon, [1991] 2 R.C.S. 714 , 743 et 744. Parlant du libellé de la définition des voies de fait au Code criminel, le juge Gonthier écrit ce qui suit :

                  À première vue, cette formulation voudrait dire que le contact intentionnel le plus banal constituerait des voies de fait. Pour ne mentionner qu’un des nombreux exemples possibles, citons le cas du père qui se livrerait à des voies de fait sur la personne de sa fille s’il tentait de placer une écharpe autour de son cou pour la protéger du froid, mais que celle-ci ne consentait pas à ce contact, parce qu’elle trouve l’écharpe est laide et ne veut pas la porter. [...] Le législateur n’a certainement pas voulu cette conséquence absurde.

[6]     Voir Simon Roy et Julie Vincent, « La place du concept de minimis non curat lex en droit pénal canadien », (2006) 66 R. du B. 213, paragr. 52. Les auteurs n'écartent pas, par contre, l'application de la maxime lors de la détermination de la peine, notamment sous l'angle du principe de la proportionnalité entre la peine et la gravité subjective du délit.

[7]     Les auteurs Morris Manning et Peter Sankoff soulignent qu'un geste hostile, « even if force used is of a trifling nature », ne peut être considéré comme un acte de minimis, notamment dans un contexte de violence conjugale: Manning, Mewett & Sankoff, Criminal Law, 4e éd., Toronto, LexisNexis, 2009, 526.

[8]     Dans son ouvrage Texbook of Criminal Law, 2e éd. Londres, Stevens & Sons, 1983, 177, Glanville Williams écrit :

            'Ordinary social contact' (tapping a man on the shoulder to attract his attention) is not an assault. This rule may be based on the necessities of social intercourse. The exemption applies to non-hostile acts, for, in the words of Holt C.J. [Cole v. Turner, [1705] 87 E.R. 907], 'the least touching of another in anger is a battery,' a physical assault. [Références omises.]

[9]     En écartant l’argument de minimis dans un contexte de violence conjugale, la Cour d’appel d’Ontario écrit : « The extent of injuries resulting from the use of force, while an important factor, is not the sole determinative of the personal or societal interest in a crime.  The harm to society occasioned by domestic violence, even of a minor nature, cannot be understated ». R. c. Carson, 2004 CanLII 21365, paragr. [25].

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.