Centre de santé et de services sociaux de Rouyn-Noranda c. J.T. |
2010 QCCS 6532 |
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JD 2521 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT |
DE ROUYN-NORANDA |
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N° : |
600-05-000813-101 |
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DATE : |
6 décembre 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT DUFRESNE, j.c.s. |
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CENTRE DE SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX DE ROUYN-NORANDA, |
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Demandeur |
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c. |
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J... T..., née le [...] 1976, |
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Défenderesse |
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A... L..., curateur aux biens et à la personne de la défenderesse, |
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et |
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LE CURATEUR PUBLIC DU QUÉBEC, |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Le Centre de santé et des services sociaux de Rouyn-Noranda (ci-après le CSSSRN) présente une requête pour autorisation de soins médicaux et d'hébergement à l'égard de Mme J... T... (ci-après la défenderesse).
[2] La défenderesse souffre de maladie schizo-affective. L'ordonnance recherchée est pour une durée de cinq ans.
[3] La défenderesse est âgée de 34 ans. Elle est connue du réseau de la santé depuis 19 ans environ. Elle était âgée de 15 ans lorsqu'elle fut diagnostiquée comme étant affectée de maladie schizo-affective.
[4] La première hospitalisation de la défenderesse remonte à 1992. De nombreuses autres hospitalisations furent requises, dont notamment celle au Centre hospitalier psychiatrique de Malartic qui l'accueillait dès 1996.
[5] Un régime de curatelle fut ouvert pour le bénéfice de la défenderesse le 28 août 2000.
[6] Le 22 octobre 1999, une première ordonnance de soins fut prononcée par notre collègue, le juge Ivan St-Julien, j.c.s., pour une durée de deux ans. Une seconde ordonnance fut prononcée par notre collègue, le juge Laurent Guertin, j.c.s., le 27 mai 2003 pour une durée de 3 ans. Le 23 novembre 2007, une seconde ordonnance d'une durée de trois ans fut prononcée par notre collègue, la juge Catherine La Rosa, j.c.s. Cette dernière ordonnance est venue à son terme. La requête qui était adressée à notre collègue, la juge Catherine La Rosa, j.c.s., demandait une ordonnance d'une durée de cinq ans comme en l'espèce.
[7] Le Tribunal a entendu le psychiatre, le Dr Dubé et il a pris connaissance de son rapport. Depuis la dernière ordonnance, la défenderesse a fait sept fugues de la ressource d'hébergement où elle logeait. Lors de ses fugues, comme depuis longtemps, la défenderesse adopte un mode de vie néfaste pour elle.
[8] En effet, lors de ses fugues, la défenderesse cesse sa médication anti-psychotique, elle consomme de la drogue, essentiellement du cannabis et de la cocaïne. Elle adopte également un mode de vie d'itinérance et elle se prostitue essentiellement pour payer sa drogue. De plus, la défenderesse s'alimente de manière inadéquate.
[9] La défenderesse est extrêmement instable émotionnellement. Son jugement est fortement hypothéqué. Sa médication anti-psychotique aide à l'équilibre de sa chimie cérébrale. Elle est essentiel à son mieux être et à un meilleur équilibre de sa personne.
[10] Cette médication anti-psychotique requiert, lorsqu'elle est administrée, des prises de sang régulières. Dans le cas de la défenderesse, celles-ci se font mensuellement. Or, lorsque la défenderesse cesse la prise de cette médication, il faut recommencer à équilibrer la dose par des prises de sang aux deux semaines. Cette médication anti-psychotique a des effets néfastes sur ses globules blancs qui sont essentiels à la vie. Il faut alors six mois environ pour que la défenderesse retrouve un état plus satisfaisant.
[11] Depuis sept ans, la défenderesse reçoit des injections d'un contraceptif nommé Depo-Provera. Le CSSSRN demande l'autorisation de lui injecter ce contraceptif si la défenderesse venait qu'à refuser sa prise. Depuis sept ans, la défenderesse reçoit ce contraceptif de façon volontaire suite à l'insistance et aux explications principalement des infirmières et de la travailleuse sociale qui la suit.
[12] La défenderesse est d'accord à recevoir tous les médicaments qui lui sont administrés. Toutefois, elle ne manifeste son accord que lorsqu'elle est dans un état plus satisfaisant. Lorsque après une fugue elle est hospitalisée, sa collaboration est moindre. À deux reprises, la défenderesse a fait l'objet de jugements de la Cour du Québec ordonnant sa garde en établissement. La première ordonnance de garde fut rendue en avril 1999, soit avant la première ordonnance de soins prononcée par la Cour supérieure. La seconde ordonnance de garde fut rendue le 24 mars 2003, soit après l'expiration de l'ordonnance de soins prononcée par notre collègue, le juge Ivan St-Julien, j.c.s., mais avant la seconde rendue par notre collègue, le juge Laurent Guertin, j.c.s.
[13] Le Tribunal s'est questionné longuement au sujet de la prise du contraceptif Depo-Provera. Le témoigne du psychiatre, le Dr Dubé, est cependant convaincant et il n'est pas contredit. Il s'agit bien, pour la défenderesse, d'un traitement bénéfique pour elle. Les changements hormonaux, notamment associés à une grossesse, seraient des plus néfastes pour la défenderesse. Il y a lieu ici de référé à notre collègue, la juge Dominique Bélanger, j.c.s., dont les écrits s'appliquent parfaitement en l'espèce[1]:
[6] L'affidavit du psychiatre fait également état du fait qu'une grossesse comporterait pour la défenderesse, à cause de la fragilité de sa condition mentale, des risques majeurs de décompensation tant pendant la grossesse qu'en postpartum. Il y est dit qu'une grossesse favoriserait des complications importantes dans le suivi de sa condition mentale
[…]
[10] Tout comme le Dr Coulong, il constate que la défenderesse ne reconnaît pas l'existence de sa maladie. Il estime également indéniable qu'une grossesse aurait un effet non négligeable sur son état mental et que madame est aussi à risque de présenter des complications psychiatriques en postpartum. Il note également les capacités parentales déficientes de la défenderesse.
[14] La défenderesse vivait en maison de ressource jusqu'à sa dernière hospitalisation de janvier 2010. Elle se disait alors, et ce, depuis plusieurs mois, incapable de continuer à vivre dans cette ressource. Puisque le CSSSRN n'avait pas de ressource alternative à lui offrir, la défenderesse a demandé à être hospitalisée, ce qui fut accepté.
[15] Le psychiatre, le Dr Dubé, mentionne à ce sujet que la défenderesse savait très bien qu'elle était l'objet d'une ordonnance de soins. Cette connaissance aide la défenderesse à se soumettre à ses traitements car elle comprend qu'en cas de refus, le traitement lui sera administré de force. Ce n'est donc pas le bénéfice du traitement que la défenderesse comprend, mais le désagrément de son administration de force qu'elle craint.
[16] L'hospitalisation de la défenderesse a pris fin le 26 avril 2010. Elle est alors déménagée avec son nouveau conjoint. Cet homme contribue, par son aide et son assistance auprès du CSSSRN, à la collaboration de la défenderesse à ses soins.
[17] Le Tribunal conclut de la preuve que les soins tels qu'ils sont administrés le sont de la manière le moins évasive possible en ce que notamment, ils respectent, le plus possible, le choix de vie de la défenderesse.
[18] La défenderesse a témoigné que ce sont les docteurs qui affirment qu'elle a moins d'hallucinations lorsqu'elle prend ses médicaments. Pour elle, elle ne souffre d'aucune hallucination.
[19] Le CSSSRN cherche avant tout, suivant ses représentations, à assurer la présence d'un filet de sécurité pour la défenderesse. Vu la maladie qui l'affecte, le CSSSRN craint une rupture subite de la défenderesse avec son nouveau conjoint et la reprise d'un mode de vie fait d'itinérance, de prostitution, de consommation de drogues et d'abus.
[20] La situation de la maladie de la défenderesse est permanente. La nécessité de la mise en place d'un cadre est bien établie par son historique passé et récent. Cet encadrement doit être quotidien pour la prise de médicaments et également pour surveiller son alimentation. La défenderesse en tire un grand bénéfice.
[21] Le Tribunal est convaincu de la preuve que la défenderesse ne comprend pas sa maladie ni les bénéfices du traitement qui lui est administré. Elle ne reconnaît pas les limites qui sont siennes du fait de sa maladie et des grands risques qu'elle court lorsqu'elle cesse sa médication.
[22] La durée de l'ordonnance demandée de cinq ans s'appuie sur les allégations suivantes :
61. La demanderesse demande que l'ordonnance à être prononcée soit d'une durée de cinq (5) ans. Les motifs principaux au soutien de cette demande sont notamment les suivants :
a) il s'agit d'une quatrième (4e) demande d'ordonnance de soins depuis 1999;
b) la première (1re) ordonnance était d'une durée de deux (2) ans et les deux ordonnances suivantes d'une durée de trois (3) ans;
c) la maladie dont souffre la défenderesse s'est installée de manière constante et définitive;
d) une plus longue période de traitement sous ordonnance devrait permettre de stabiliser encore mieux la condition de la défenderesse;
e) chaque démarche entreprise afin de demander une ordonnance à la Cour ainsi que l'audition de celle-ci ont un effet perturbateur pour la défenderesse;[2]
[23] Le Curateur public s'oppose à ce que l'ordonnance soit d'une durée de cinq ans. Cette opposition en est une de principe. Il relève de la Cour supérieure de veiller au respect des droits de la défenderesse, notamment au caractère inviolable de sa personne.
[24] Les arguments soumis par le CSSSRN ne sont pas convaincants. Ceux mentionnés au paragraphe 61, sous-paragraphes a) à c) précités ne sauraient, en eux-mêmes, être décisifs. Le législateur n'a pas déterminé que ces circonstances justifient de passer outre au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure.
[25] L'argument mentionné au paragraphe 61, sous-paragraphe d), ne s'appuie pas sur la preuve présentée. Suivant celle-ci, il faut environ six mois pour réussir à équilibrer les doses d'anti-psychotique en harmonie avec la composition sanguine de la défenderesse.
[26] Depuis plus d'un an, la situation de la défenderesse est stable. Il n'est pas nécessaire que la présente ordonnance soit d'une durée de cinq ans pour permettre de stabiliser sa situation.
[27] Enfin, quant à l'argument soumis au paragraphe 61, sous-paragraphe e), il n'y a aucune preuve sérieuse de perturbation vécue par la défenderesse. Le Tribunal a plutôt apprécié le fait que la défenderesse semblait être de bonne humeur, sans laisser paraître d'anxiété particulière. Le Tribunal conclut en ce sens que la défenderesse était satisfaite de se faire entendre. C'est son droit.
[28] Pour ces motifs, le Tribunal :
[29] ACCUEILLE la requête;
[30] AUTORISE le CSSSRN à héberger la défenderesse, contre son gré, de même qu'à déterminer quel établissement et/ou ressource d'hébergement seraient les plus appropriés pour l'accueillir, eu égard à son état de santé ou à sa situation une fois que son état de santé se sera stabilisé;
[31] ORDONNE à la défenderesse, malgré son refus, de se soumettre à l'hébergement de même qu'à toute décision du CSSSRN quant au choix de l'établissement et/ou de la ressource communautaire devant l'héberger;
[32] AUTORISE, le cas échéant, l'établissement et/ou la ressource d'hébergement désignée par le CSSSRN à héberger la défenderesse;
[33] AUTORISE le CSSSRN ainsi que tout établissement à l'intérieur duquel la défenderesse pourrait ultérieurement être transférée, par l'intermédiaire de leur personnel et de tout médecin qui détient des statuts et privilèges, que ce soit par le biais d'une hospitalisation ou d'un suivi médical en clinique externe, à traiter la défenderesse malgré son refus catégorique, contre son gré, avec un ou des médicaments appropriés pour traiter la pathologie dont elle est atteinte, de même qu'avec un ou des médicaments visant à atténuer tout effet secondaire de tout médicament précédemment administré à la défenderesse, et ce, dans l'éventualité où de tels médicaments seraient nécessaires;
[34] AUTORISE, le cas échéant, l'établissement et/ou la ressource d'hébergement désignés par le CSSSRN à administrer à la défenderesse, par le biais de son personnel qualifié à cette fin, la médication ci-dessous autorisée;
[35] AUTORISE le CSSSRN, ainsi que tout établissement à l'intérieur duquel la défenderesse pourrait être transférée, et ce, dans l'éventualité où la défenderesse refuserait de prendre de façon volontaire par voie orale les médicaments autorisés aux termes du présent jugement, à administrer les médicaments sous forme d'injection intramusculaire, et ce, en recourant à tout moyen pour les administrer, y compris la force si nécessaire;
[36] AUTORISE le CSSSRN, ainsi que tout établissement auquel la défenderesse pourrait être transférée, à administrer à cette dernière, contre son gré, un médicament contraceptif injectable, tel le Depo-Provera;
[37] AUTORISE le CSSSRN à transférer en tout temps la défenderesse vers un autre établissement et/ou une autre ressource d'hébergement mieux adapté à ses besoins médicaux et psychosociaux dans l'éventualité où un tel transfert serait jugé souhaitable par l'équipe traitante du CSSSRN et DÉCLARE que le présent jugement pourra être appliqué par cet autre établissement et/ou ressource d'hébergement;
[38] ORDONNE à la défenderesse de se soumettre au plan de soins autorisés, y compris l'hébergement et à la contraception, et lui ORDONNE, en cas de congé d'hôpital et/ou de la ressource d'hébergement, de se soumettre aux directives de son médecin traitant quant aux suivis médicaux ultérieurement requis et autorisés par la présente ordonnance;
[39] ORDONNE à la défenderesse de se soumettre aux examens de laboratoire et aux examens physiques que son état ou que la prise de ses médicaments justifient;
[40] ORDONNE à la défenderesse de se présenter aux rendez-vous fixés par le CSSSRN ou ses représentants pour ses suivis médicaux afin de recevoir les soins requis par son état de santé;
[41] ORDONNE à la défenderesse de se soumettre au présent jugement pour une période de trois ans à compter du présent jugement;
[42] AUTORISE et ORDONNE, en cas de refus, à tout agent de la paix, ambulancier et toute autre ressource, d'assister le CSSSRN et ses représentants ou les représentants de tout autre établissement ou ressource impliquée dans l'exécution du présent jugement, sur simple demande verbale de ceux-ci, et ce, quelque soit le lieu où se trouve la défenderesse dans l'éventualité où la défenderesse refuserait de respecter les mesures imposées, le tout dans le meilleur intérêt de la défenderesse;
[43] ORDONNE à tout médecin traitant oeuvrant à l'établissement du CSSSRN à soumettre au comité d'évaluation de l'acte médical, dentaire et pharmaceutique du CSSSRN, à tous les quatre (4) mois, dans les vingt (20) jours suivant le dernier jour du quatrième (4e) mois, un rapport écrit sur les traitements administrés à la défenderesse pendant les quatre (4) mois, sur la réaction de la défenderesse à ses traitements et sur sa condition générale;
[44] ORDONNE au CSSSRN de porter à la connaissance du Tribunal toute conflit ou toute divergence entre le comité d'évaluation de l'acte médical, dentaire et pharmaceutique, et le médecin traitant;
[45] ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution;
[46] SANS FRAIS.
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__________________________________ ROBERT DUFRESNE, J.C.S. |
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Me Louis-Charles Bélanger |
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Bélanger, Barrette |
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Procureurs du CSSSRN |
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Me Imane Kamal |
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Procureure de l'intimée |
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Le Curateur public du Québec |
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Date d’audience : |
30 novembre 2010 |
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AVIS :
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du plumitif s'avère une précaution utile.