Décision

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COUR SUPÉRIEURE

 

 

JL 0716

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

No:

500-11-017543-022

 

DATE:

 14  juillet  2003.

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE:

L’HONORABLE

DENIS LÉVESQUE, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

DENIS Y. TREMBLAY,

demandeur-requérant

 

c.

 

ACIER LEROUX INC.

et

3652581 CANADA INC.

et

3652599 CANADA INC.

et

3652661 CANADA INC.

et

GESTION GILLES LEROUX INC.

et

GILLES D. LEROUX,

et

LE GROUPE CANAM MANAC INC.

et

MARCEL E. DUTIL,

et

SYLVAIN LEROUX,

et

SERGE BERGERON,

et

CATHERINE FRIGON,

défendeurs-intimés

 

et

 

POUTRELLES DELTA INC. / DELTA JOISTS INC.

et

GILLES LACHANCE,

et

RÉNALD FILLION,

et

DELTA STEEL JOIST INC.

et

VINCENT R. FERLISI,

mis en cause

 

 

J U G E M E N T

(1)

 

 

[1]                À l'occasion d'un recours institué par le demandeur (requérant) qui cumule des demandes d'ordonnances de faire ou de ne pas faire, basées sur l'oppression en vertu des articles 241 et suivants de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (L.R.C. (1985) ch. C-44) (la Loi), une action en dommages basée sur les mêmes articles de la Loi et sur les articles 66.2, 77, 78, 79 et 85 de la Loi sur la concurrence (L.R.C. (1985) ch. C-74 et sur les articles 6, 7, 300, 317, 321 et suivants, 1375, 1457, 1631 et suivants et 2130 et suivants du Code civil du Québec et une demande d'autorisation pour action oblique pour représenter la mise en cause, Poutrelles Delta Inc. en vertu de l'article 239 de la Loi, certaines défenderesses (intimées) ont présenté deux défenses préliminaires du type d'exceptions déclinatoires de compétence. Ce sont les requêtes de Canam-Manac d'une part et d'Acier Leroux d'autre part.

 

1.         POSITION DES PARTIES:

[2]                Par la première exception, les intimées nient la compétence à la Cour supérieure parce que toutes les parties intéressées ont conclu une convention d'actionnaires assortie d'une clause d'arbitrage exclusive. Selon elles, tous les différends entre les parties qui pourraient relever des recours entrepris devant la Cour supérieure sont couverts par la convention d'actionnaires.

[3]                Le requérant soutient que la convention d'actionnaires, même si elle semble couvrir à première vue les mêmes sujets que les recours devant le Tribunal, doit céder le pas aux recours d'attribution des articles 239 et suivants parce que la convention d'actionnaires, et en particulier les arbitres qui ont les pouvoirs de la sanctionner, ne détiennent pas celui de décider qui peut représenter la société elle-même. Il s'agit là de l'essence même des recours recherchés par le requérant. Le requérant ajoute qu'en l'espèce, la convention d'actionnaires, et particulièrement la clause compromissoire, doivent être mises de côté pour des raisons d'ordre public et de la préséance de la Loi sur la convention d'actionnaires et sur la clause d'arbitrage.

[4]                Le second déclinatoire est basé sur l'article 8 de la Loi sur le Tribunal de la concurrence (L.R.C. 2e supplément (1985) ch. 19) et sur l'article 36 de la Loi sur la concurrence (L.R.C. (1985) ch. C-34).

[5]                Pour les intimées, toutes les allégations de la déclaration se résument à une accusation de concurrence illégale que lui livrent les intimés en tentant en définitive d'éliminer Poutrelles Delta du marché des poutrelles d'acier au profit de Canam-Manac, sa principale concurrente. Dans une telle conjoncture, le seul forum compétent pour entendre les litiges entre les intéressés est le Tribunal de la concurrence.

 

2.         MOTIFS DU JUGEMENT:

2.1              Commentaires préliminaires:

[6]                Toutes les parties au débat, tant pour les exceptions préliminaires examinées dans le présent jugement que pour celles qui ont trait au cumul, aux allégations superflues ou calomnieuses qu'au rejet de la demande principale amendée, ont tenu pour acquis que le Code de procédure civile s'applique à l'administration de la Loi. Elles ont raison.

[7]                Même si la Loi ne prévoit pas quel droit judiciaire s'applique, il ressort que la conjugaison des articles 252 de la Loi et de l'article 416 du Code de procédure civile ne fait que reconnaître les pouvoirs inhérents de la Cour supérieure en matière de Common Law en droit public et de la Chancery Law.

[8]                Les articles 2 et 20 du Code de procédure civile sont donc aussi applicables pour tout ce qui n'est pas prévu à la Loi. Il faut aussi ajouter les autres causes d'action qui relèvent du droit commun.

2.2       L'exception basée sur la clause d'arbitrage:

[9]                Les parties signataires de la convention d'actionnaires sont Acier Leroux, Gilles Lachance, Rénald Fillion, Denis Tremblay, collectivement désignés les actionnaires dans la convention. Ont aussi signé à titre d'intervenantes 2994283 Canada Inc. et Poutrelles Delta.

[10]           Comme 2994283 Canada Inc. n'est pas mise en cause dans le présent dossier, il n'y a pas lieu de lui appliquer le jugement en l'instance. Pour les autres parties à la convention, les clauses suivantes de celle-ci régissent leurs rapports juridiques:

  3. Représentation au conseil d'administration;

  4. Émission et répartition d'actions;

  5. Premier refus;

  6. Offre au préalable;

  7. Vente à Le Groupe Canam-Manac;

  8. Valeur des actions;

  9. Paiement des actions;

10. Achat (des actions) par la société;

11. Retrait des affaires;

12. Congédiement;

13. Assurance-vie et décès;

14. Contrôle d'un actionnaire corporatif;

15. Non-concurrence;

16. Non-sollicitation;

17. Actions d'autres catégories et créances;

18. Libération des endossements;

19. Hypothèque des actions;

20. Certificats d'actions;

22. Dispositions diverses;

24. Arbitrage.

 

[11]           De cet ensemble, il est pertinent de citer les stipulations suivantes in extenso:

3.         REPRÉSENTATION AU CONSEIL D'ADMINISTRATION

3.2    Pendant la durée de la présente convention, les actionnaires conviennent de voter leurs actions ordinaires de façon à ce que les personnes suivantes soient en tout temps élues ou réélues administrateurs de la Société:

3.2.1                quatre (4) représentants désignés par Leroux;

3.2.2                M. Lachance;

3.2.3                M. Fillion;

3.2.4                M.Tremblay.

7.                  VENTE À LE GROUPE CANAM MANAC

7.1    Pour une période de quatre (4) ans, aucun des actionnaires ne pourra, pour quelque raison que ce soit, vendre ou autrement disposer ou aliéner toutes ou une partie de ses actions ordinaires en faveur de Le Groupe Canam Manac ou d'une personne (morale ou physique) lui étant liée au sens des lois fiscales ou à une personne (morale ou physique) faisant partie du Réseau Acier Plus.

10.              ACHAT PAR LA SOCIÉTÉ

10.1  Advenant le cas où un actionnaire offre de vendre ses actions ordinaires aux autres actionnaires en vertu de l'application des présentes, les actionnaires acheteurs pourront, si la situation financière de la Société permet de le faire sans contrevenir aux dispositions de l'article 34 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, choisir que cet achat s'effectue par la Société plutôt que par eux-mêmes personnellement, à la condition que ce rachat par la Société n'implique pas de conséquences plus onéreuses au point de vue fiscal à l'offrant et dans ce cas l'offrant s'engage à voter en faveur de cet achat, qui restera cependant sujet aux autres dispositions des présentes.

10.2  Dans un tel cas, l'offrant pourra, s'il le désire, transférer ses actions ordinaires dans une Société de gestion contrôlée par l'offrant, immédiatement avant l'achat des actions ordinaires par la Société aux termes des présentes.

12.       CONGÉDIEMENT

12.1  M. Lachance, M. Fillion ou M. Tremblay, selon le cas, offre irrévocablement aux autres actionnaires de leur vendre la totalité des actions ordinaires qu'il détient dans le capital social de la Société, à un prix représentant la valeur des actions ordinaires établie à l'article 8 des présentes, advenant son congédiement pour cause juste et suffisante à titre d'employé de la Société ("l'offrant"), lequel événement est une condition suspensive à la présente offre.

14.              CONTRÔLE D'UN ACTIONNAIRE CORPORATIF

14.1  Sauf tel que prévu ci-après, et à moins du consentement écrit des autres actionnaires, si M. Lachance, M. Fillion et/ou M. Tremblay transfèrent leurs actions ordinaires de la Société à une personne morale, ils s'engagent envers les autres actionnaires à détenir individuellement dans cette personne morale le contrôle, et ce pendant toute la durée de la présente convention. Leroux s'engage envers les autres actionnaires à ce que la famille Leroux détienne le contrôle de Acier Leroux Inc., et ce pendant toute la durée de la présente convention.

14.2  Seront sujettes aux dispositions de cet article, toutes les actions comportant droit de vote que pourraient acquérir les actionnaires par suite de l'émission par un actionnaire corporatif de nouvelles actions comportant droit de vote.

14.3  Tout défaut d'un actionnaire ou d'un éventuel actionnaire corporatif en vertu de cet article auquel il ne serait pas remédié dans les soixante (60) jours d'un avis écrit donné à cette fin par l'un quelconque des actionnaires, obligera l'actionnaire ou autre actionnaire corporatif en défaut d'offrir aux autres actionnaires d'acquérir la totalité des actions ordinaires de l'actionnaire au sujet duquel se rapporte le défaut, conformément aux dispositions de l'article 6 des présentes, tant que durera le défaut.

15.              NON-CONCURRENCE

15.1  M. Lachance, M. Fillion et M. Tremblay s'engagent, tant qu'ils demeurent actionnaires de la Société et pour une période de (4) ans par la suite à ne pas exploiter dans le territoire de la province de Québec, de la province de l'Ontario et de la Nouvelle Angleterre, directement ou indirectement, seuls ou en société ou conjointement avec toute autre personne, société ou corporation, à titre de mandant, mandataire ou actionnaire ou de toute autre manière, toute entreprise exerçant dans le domaine de la fabrication et/ou la vente et la vente de poutrelles d'acier, y participer ou y être intéressés ou la conseiller, lui consentir des prêts, en garantir les dettes ou obligations ou lui permettre l'utilisation de son nom, sous peine de dommages intérêts liquidés de QUATRE CENTS DOLLARS (400,00$) par jour chacun jusqu'à concurrence d'un montant global maximal de DEUX CENT MILLE DOLLARS (200 000,00$) chacun, somme que les actionnaires estiment raisonnable et sous réserve de tout recours permis par la Loi, incluant l'injonction.

16.       NON-SOLLICITATION

16.1  M. Lachance, M. Fillion et M. Tremblay s'engagent, pour une période de cinq (5) ans à compter de la date à laquelle ils cessent, volontairement et/ou en cas de fraude, d'être actionnaires de la Société, à ne pas solliciter, directement ou indirectement et de quelque manière que ce soit, les clients, à ne pas amener ou inciter les clients à mettre fin à leur relation avec la Société dans le but d'offrir aux clients des produits concurrents ou semblables à ceux offerts par la Société. En cas d'infraction au présent engagement, M. Lachance et/ou M. Fillion et/ou M. Tremblay s'engagent à verser à la Société la somme de CENT MILLE DOLLARS (100 000,00$) chacun à titre de pénalité, somme que les parties estiment raisonnable et sous réserve de tout recours permis par la Loi, incluant l'injonction.

20.              CERTIFICATS D'ACTIONS

20.1    Tous les certificats d'actions de la Société représentant des actions du capital de la Société doivent comporter à leur recto ou verso, selon le cas, en caractères lisibles, une mention à l'effet qu'elles sont soumises aux dispositions d'une convention unanime des actionnaires de la Société.

22.        DISPOSITIONS DIVERSES

22.1  La présente convention ne peut être modifiée que par écrit du consentement des actionnaires.

22.2  La présente convention sera régie et interprétée conformément aux lois de la province de Québec et sera soumise à la juridiction des tribunaux de cette province.

22.3  Toutes les dispositions de cette convention sont distinctes. Dans l'éventualité où une disposition de la convention serait illégale ou invalide pour quelque motif que ce soit, cette illégalité ou invalidité n'affectera pas la validité des autres dispositions ou conditions de la convention.

22.4  La présente convention liera et avantagera les ayant droits respectifs des parties.

24.       ARBITRAGE

24.1  Tout différend, mésentente ou réclamation entre les parties portant sur les dispositions de ce contrat, leur interprétation ou leur application ou sur le défaut d'une partie aux présentes de respecter ces dispositions doit être soumis à l'arbitrage conformément aux dispositions applicables du Code civil du Québec et du Code de procédure civile du Québec et ce à l'exclusion de tout tribunal et de toute cour. Nonobstant l'article 941 du Code de procédure civile du Québec, il n'y aura qu'un seul arbitre qui devra être choisi d'un commun accord entre les vendeurs et l'acheteur dans les dix jours du fait ou de l'événement qui requiert l'utilisation de l'arbitrage. À défaut d'entente entre les parties, la nomination de l'arbitre devra être effectuée par un juge de la Cour supérieure du district judiciaire de Québec, à la requête de l'une des parties. Toute décision ainsi rendue est finale et sans appel.

25.       INTERVENTION

25.2  AUX PRÉSENTES intervient la Société, représentée par son président Gilles Lachance, laquelle déclare avoir pris connaissance de la présente convention, en accepte toutes les stipulations qui y sont faites en sa faveur et s'engage à observer les termes de ladite convention qui lui sont applicables et s'engage à n'autoriser aucun transfert d'actions ordinaires à moins que chacune des dispositions des présentes n'aient été suivies.

 

[12]           Toutes les personnes qui ne sont pas parties à la convention ne peuvent et ne sont pas soumises à la clause compromissoire et peuvent être poursuivies devant la Cour supérieure, soit en vertu des pouvoirs d'attribution prévus à l'article 2 de la Loi, à la définition du mot "tribunal" (voir art. 2d de la Loi), soit en vertu de ses pouvoirs généraux en matière civile dans la province de Québec (C.p.c. art. 31), à moins qu'il s'agisse de concurrence au sens de la Loi sur la concurrence touchant la compétence d'attribution du Tribunal sur la concurrence dont il sera fait état plus loin s'il y a lieu.[1]

[13]           En sus des parties signataires elles-mêmes, on peut se demander si d'autres parties qui n'ont pas signé la convention d'actionnaires y sont parties en vertu des principes du droit commun, comme par exemple les ayants droits des signataires et de la clause 22.4 ci-dessus citée et des articles 1440 et suivants du Code civil du Québec.

[14]           Comme aucune des parties à la convention d'actionnaires n'a cédé ses droits prévus à la convention, les autres intimés ne peuvent être liés contractuellement par la convention d'actionnaires. Par ailleurs, si des intimés, non parties à la convention, ont participé à des actions qui ont pour effet de violer ou de tenter de violer la convention, ils peuvent être tenus responsables extra-contractuellement et faire l'objet d'ordonnances de la Cour supérieure s'ils ont causé un préjudice ou sont susceptibles de causer un préjudice au requérant ou à Poutrelles Delta.

[15]           Cependant, il n'appert pas des faits allégués dans la requête et la déclaration amendée et tenus pour avérés pour le moment qu'Acier Leroux ait cédé une partie des actions ordinaires qu'elle détient dans Poutrelles Delta à Canam-Manac avant le 1er août 2001. La clause étant alors expirée dans sa durée, elle ne faisait plus partie des obligations contractuelles de la convention des actionnaires au moment de l'institution du recours en l'instance.

[16]           Les allégations sur le changement de structure de l'actionnariat qui sont reliées à l'interprétation et à l'application de l'article 14 de la convention d'actionnaires, en tenant compte des faits avérés à ce jour, ne révèlent pas une perte de contrôle de la part d'Acier Leroux ou des membres de la famille Leroux ou de leurs compagnies sur Poutrelles Delta en faveur de Canam-Manac, même si Canam-Manac participe de façon importante à l'actionnariat d'Acier Leroux comme le rapportent les paragraphes 47 à 53 de la déclaration et les pièces P-22 à P-24 inclusivement.

[17]           Normalement, l'arbitrabilité de la clause 14.1 relativement à l'interprétation et l'application devrait être soumise à l'arbitre nommé en vertu de la stipulation d'arbitrage (C.p.c. art. 943 et ss.). Cependant, comme le requérant soutient que la clause d'arbitrage ne s'applique pas, il est séant pour décider du déclinatoire d'examiner cette question puisque le déclinatoire de compétence est une question qui relève ultimement de la Cour supérieure. C'est celle-ci qui devrait de toute façon en décider soit à l'occasion d'une demande d'annulation de la décision de l'arbitre en vertu de laquelle il prononce qu'il a la compétence, soit à l'occasion d'une décision où l'arbitre décline compétence. Dans cette dernière hypothèse, ce sont les intimés qui attaqueraient la décision de l'arbitre (943.1 et 947 et ss. du Code de procédure civile[2]).

[18]           Par ailleurs, parmi les débats que soulève la question de la compétence, il faut se demander si Canam-Manac, bien que non signataire de la convention d'actionnaires, est une partie comme ayant droit à un titre quelconque. Comme elle n'a pas acquis d'actions de Poutrelles Delta, elle ne peut être considérée partie à la convention. La clause anti Canam-Manac ne constitue pas non plus une stipulation pour autrui puisqu'à l'évidence pour Canam-Manac, cette stipulation constitue une obligation (C.c.Q. art. 1444) et non un droit ou une créance qu'elle n'a jamais voulu assumer.

[19]           L'intimé Dutil n'est partie à la convention ni directement ni indirectement et n'est dont pas lié contractuellement par elle.

[20]           En résumé, les intimés Dutil et Canam-Manac ne peuvent être poursuivis contractuellement. De même en est-il pour les mêmes raisons de 3652581 Canada Inc., 3652661 Canada Inc., Gestion Gilles Leroux Inc., Sylvain Leroux, Serge Bergeron et Catherine Frigon.

[21]           Poutrelles Delta est partie à la convention à un titre particulier décrit à l'article 25.2 de la convention d'actionnaires. Comme il n'y a pas de transfert d'actions ordinaires au sens de la convention, on ne peut recourir à la clause d'arbitrage à son endroit. Sur la clause anti Canam-Manac et sur la clause 14.1, les commentaires faits plus haut sont applicables de telle sorte que malgré les transferts d'actions d'Acier Leroux à Canam-Manac, le contrôle de celle-ci est toujours entre les mains d'Acier Leroux.

[22]           L'action oblique du requérant est une matière où d'une part le requérant et d'autre part les actionnaires majoritaires sont en conflit sur ce qui représentent les meilleurs intérêts de Poutrelles Delta. Cette matière n'est pas couverte par la convention unanime et relève de l'interprétation et de l'application de l'article 239 de la Loi et non de la convention d'actionnaires[3].

[23]           Pour les raisons déjà exprimées plus haut, l'arbitre n'a pas la compétence pour décider les différends relevant de l'application de l'article 241 de la Loi puisque l'action pour oppression n'entre pas dans le champ de la convention d'actionnaires, Deluce Holdings Inc. v. Air Canada[4]. C'est dans la même perspective qu'il faut lire l'arrêt Camirand c. Rossi & al [5].

[24]           Tous les commentaires qui précèdent permettent de distinguer l'arrêt Desputeux c. Éditions Chouette (1987) Inc.[6], notamment les paragraphes 47 à 53, parce qu'il s'agit ici de déclinatoire sur la matière. La Cour suprême du Canada, sur un déclinatoire préalable, n'a pas mis en doute l'autorité de la Cour supérieure (paragraphe 63).

[25]           À titre subsidiaire et dans la mesure où certaines dispositions de la convention d'actionnaires devraient faire l'objet d'un arbitrage, notamment la clause anti Canam-Manac et la clause d'un contrôle corporatif entre le requérant, Acier Leroux et Poutrelles Delta, il demeure que tous les autres intimés, n'étant pas parties à la convention d'actionnaires et n'étant pas soumis à la clause d'arbitrage, ne peuvent être recherchés qu'extra-contractuellement, car les fautes invoquées contre eux sont hors du champ conventionnel[7].

[26]           La coexistence des fautes contractuelles et des fautes extra-contractuelles devrait, dans les circonstances particulières du présent dossier, faire en sorte que l'action civile et la procédure d'arbitrage pourraient en théorie être entendues devant deux forums différents. La rhétorique judiciaire, pour les raisons déjà exprimées et pour les motifs que l'on trouve dans la cause de Deluce Holdings Inc. v. Air Canada, déjà citée, militerait de toute façon en faveur de la suspension de l'arbitrage en attendant le sort du recours extra-contractuel basé sur les articles de la Loi sur la concurrence et des articles des Code civil et Code de procédure civile énumérés plus haut.

[27]           Si l'on ajoute que les demandes d'ordonnances provisoires ou de sauvegarde ou interlocutoires peuvent être sollicitées sans passer par des ordonnances qui doivent être homologuées par la Cour après une décision des arbitres, il est plus pratique et opportun de s'adresser directement à la Cour supérieure elle-même[8].

[28]           Pour ces raisons, le Tribunal peut rejeter la requête pour déclinatoire afférente au forum arbitral et, subsidiairement, pour autant que nécessaire, peut suspendre les instances à venir devant l'arbitre qui serait nommé conformément à la convention d'actionnaires et à la clause d'arbitrage qui l'assortit jusqu'à ce qu'il soit décidé des recours extra-contractuels.

2.3       Le déclinatoire basé sur la Loi sur la concurrence et sur la Loi sur le Tribunal de la concurrence:

[29]           En l'absence d'une faute naissant de l'interprétation et de l'application d'un contrat en matière de concurrence déloyale, il peut exister une faute extra-contractuelle au chef de la concurrence déloyale qui est un concept très large. Par exemple, le droit commun québécois, la Loi aux articles 239 et suivants et la Loi sur la concurrence prévoient que les faits et gestes posés par des tiers ou des conventions conclues par des tiers ou des coalitions entre tiers qui ont pour but de limiter la concurrence de façon déloyale peuvent entraîner pour un justiciable un recours pour réprimer ou pour compenser le préjudice qui a été causé par ces tiers. Ainsi, dans la présente instance, le requérant prétend que la concurrence déloyale des intimés actionnaires, administrateurs et directeurs de Poutrelles Delta a pour effet de diminuer la valeur du capital qu'il y a investi ainsi que son accroissement et lui cause un préjudice de la nature d'un abus au sens de l'article 241, puisque les actionnaires qui ont le contrôle sont en conflit d'intérêt et manquent à leurs obligations fiduciaires en préférant les intérêts de Canam-Manac et ses filiales et de ses représentants, notamment d'Acier Leroux et ses filiales et à ceux des actionnaires minoritaires et plus particulièrement du requérant qui est un plaignant selon l'article 238 de la Loi.

[30]           Le même raisonnement est applicable relativement aux allégations de l'action oblique puisque les intimés visés en tant qu'actionnaires et administrateurs agissent au détriment de Poutrelles Delta. C'est pourquoi le requérant et plaignant veut avoir le droit d'exercer de façon oblique les droits de celle-ci.

[31]           Dans le cas de l'application des articles 238 et suivants, la Cour supérieure est le tribunal compétent (art. 2 de la Loi au mot tribunal).

[32]           La concurrence déloyale peut constituer un délit de droit privé rattaché à l'abus de droit en application des articles 6, 7, 300, 317, 321, 1375, 1457, 1480, 1626, 1627 et 1628 du Code civil du Québec. Le Tribunal compétent est la Cour supérieure si en plus des dommages-intérêts dépassant 70 000 $ sont réclamés du Tribunal. Les ordonnances recherchées dans la procédure amendée de la nature d'une injonction interlocutoire ou permanente selon le Code de procédure civile aux articles 31, 34, 66, 67 et 752 sont de la compétence exclusive de la Cour supérieure.

[33]           En passant, les articles 66 et 67 du Code de procédure civile auxquels il a été fait référence ci-dessus, de même que les moyens relevant des articles 165 et 168.4, ne peuvent être décidés que si le Tribunal détient compétence ratione materie. C'est en raison de cette situation que les déclinatoires doivent être décidés en priorité et avant les autres moyens. Comme les requêtes pour exceptions de compétence ont été signifiées et déposées au greffe sous la Loi ancienne, l'article 179 de la Loi portant sur la réforme du Code de procédure civile (L.Q. 2002 ch. 7) trouve application.

[34]           Les articles de la Loi sur la concurrence cités au début peuvent être acheminés devant les tribunaux de deux façons, soit selon les mécanismes de cette Loi (art. 36) et suivant l'article 8 de la Loi sur le Tribunal de la concurrence qui se lit ainsi:

8. (1) Les demandes prévues aux parties VII.1 ou VIII de la Loi sur la concurrence, de même que toute question s'y rattachant ou toute question qui relève de la partie IX de cette loi et qui fait l'objet d'un renvoi en vertu du paragraphe 124.2(2) de cette loi, sont présentées au Tribunal pour audition et décision.

 

[35]           La Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence ne créent pas expressément un forum exclusif sur la concurrence déloyale. Elles reconnaissent plutôt que si l'on emprunte une voie prévue par elles, il faudra se présenter devant le Tribunal de la concurrence, devant la Cour fédérale ou devant la Cour supérieure de juridiction criminelle, selon le cas. Au contraire, dans les recours de droit privé basés sur des principes de la concurrence déloyale en vertu de la Loi sur la concurrence, ses dispositions reconnaissent la juridiction concurrente des deux tribunaux, comme il ressort de l'article 36 et de l'article 74.09.

[36]           Comme quelques-uns des articles de la Loi sur la concurrence invoqués par le requérant font partie de l'énumération prévue à l'article 8, il est opportun de se demander si la Cour supérieure peut examiner des dispositions en regard des faits allégués et des ordonnances et les dommages réclamés dans les conclusions de la requête et déclaration amendée du requérant.

[37]           Rien n'empêche une personne qui n'est pas la Couronne fédérale, le Commissaire ou une personne autorisée aux termes des articles 124.2 et 125 d'invoquer un article couvert par l'article 8, de se présenter devant le Tribunal de droit commun d'une province pour faire valoir les droits qui peuvent lui résulter d'une violation de ces dispositions. Autrement, il y aurait danger de donner une interprétation qui aurait pour effet de rendre la concurrence déloyale un champ exclusif du droit fédéral alors qu'il s'agit d'une clause où les compétences provinciale et fédérale sont conciliables.

[38]           D'ailleurs, si l'on considère toutes les actions cumulées dans le recours amendé du requérant, il est aisé de constater que les dispositions de la Loi sur la concurrence invoquées par lui dans sa requête sont centrées sur l'oppression, le recours oblique et l'abus de droit dont la concurrence déloyale est un des éléments déclencheurs.

[39]           Dans cette perspective, la Cour supérieure est habilitée à examiner les dispositions de la Loi sur la concurrence et constitue un forum approprié.

[40]           Une lecture combinée des arrêts MacDonald & al c. Vapor Canada Ltd.[9], Multiple Access Ltd. c. McCutcheon[10], Quebec Ready Mix Inc. c. Rocois Construction Inc.[11] et Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix Inc.[12] fait ressortir qu'il ne faut pas confondre le déclinatoire avec le cumul des actions, avec l'option des causes d'actions et avec la litispendance: "Una via electa, non datur recursus ad alteram"[13].

[41]           Il n'est pas nécessaire pour disposer du déclinatoire de pousser plus loin l'examen, puisque toutes les causes d'action invoquées par le requérant relèvent de la compétence ratione materiae de la Cour supérieure relativement à toutes les parties en cause.

 

EN CONSÉQUENCE, LE TRIBUNAL:

 

REJETTE la requête d'Acier Leroux pour exception déclinatoire basée sur la clause compromissoire de la convention d'actionnaires, avec dépens;

REJETTE la requête de Le Groupe Canam-Manac pour exception déclinatoire basée sur la Loi sur la concurrence, sur la Loi sur le Tribunal pour la concurrence et sur la clause compromissoire de la convention d'actionnaires, avec dépens.

 

 

 

 

                      DENIS LÉVESQUE, j.c.s.

 

Me Chantal Perreault,

Me Guy Paquette,

PAQUETTE GADLER,

Procureurs du demandeur-requérant,

Intimé dans la présente requête

 

Me Guy Turner,

LANGLOIS, GAUDREAU,

Procureurs des défendeurs-intimés,

requérants dans la présente requête,

Acier Leroux Inc., 3652581 Canada Inc., 3652599 Canada Inc.,

3652661 Canada Inc., Gestion Gilles Leroux Inc., Gilles D. Leroux,

Sylvain Leroux, Serge Bergeron et Catherine Frigon.

 

Me Claude Marseille,

FASKEN, MARTINEAU,

Procureurs de la défenderesse

Le Groupe Canam Manac Inc.

 

Me François Aquin,

Procureur du défendeur Marcel E. Dutil

 

Date d’audience :

4 juin 2003.

 

 

 

AUTORITÉS CONSULTÉES PAR LE TRIBUNAL:

 

Doctrine:

 

-     Bériault, Yves, Renaud, Madeleine, Comtois, Yves, Le droit de la concurrence au Canada, Carswell, 1999, p. 59, 98, 99 et 100.

-     Martel, Paul et Maurice, La compagnie au Québec: Les aspects juridiques, Volume 1, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2003.

-     Vézina, G., La convention d'arbitrage vs La convention entre actionnaires et la promesse d'achat-vente, (1990) 1 C.P. du N. 189 , 199 et ss.

-     Martel, P., L'incidence des conventions entre actionnaires sur les recours dans Développements récents en droit commercial, (1991) Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1991, p. 1 à 34.

 

Jurisprudence:

 

-     Bélanger c. 2846-7405 Québec Inc., 250-05-000006-916, 17 mai 1991.

-     Bridgepoint International (Canada) Inc. c. Ericsson Canada Inc., J.E. 2001-1233 (Règlement hors cour 2001-10-29).

-     Condominiums Mont St-Sauveur Inc. c. Les constructions Serge Sauvé Ltée, [1990] R.J.Q. 2783 (C.A.).

-     Construction Stam Inc. c. A. & J.L. Bourgeois Ltée, REJB 98-07116 (C.S.), p.4.

-     Décarel Inc. c. Concordia Project Management Ltd., J.E. 96-1612 (C.A.).

-     Delisle c. Bélanger, Sauvé, société en nom collectif, J.E. 98-88 (C.S.).

-     Entreprises Labler Inc. c. Œufs Trois-Rivières Ltée, J.E. 90-320 (C.A.) p. 2 et 3.

-     Groupe A.M.L. Inc. c. Beaudoin, J.E. 89-361 (C.S.).

-     Guns N'Roses Missouri Storm Inc. c. Donald K. Donald Inc., [1994] R.J.Q. 1183 (C.A.).

-     Kightley c. Beneteau, May 31, 1999, Ont. S.C. Spence J., file no 98-CL-3184, p. 3-4.

-     Kingsway Financial Services Inc. c. 118997 Canada Inc., J.E. 2000-224 (C.A.).

-     Lamothe c. Lamothe, J.E. 2001-1068 (C.S.).

-     Lortie-Gagnon c. Entreprises M. Canada Abitibi Inc., [1987] R.L. 145 .

-     Mégadragon Films Corp. c. Société nationale d'affichage Omni Inc., J.E. 91-1179 (C.S.) p. 8 et 11.

-     Mousseau c. Société de gestion Paquin, [1994] R.J.Q. 2004 (C.S.) (appel rejeté sur requête, 1994-10-06).

-     Plante Réfrigération Inc. c. Assurances Desgroseillers Inc., B.E.2000 BE-730 (C.Q.).

-     Poinsot c. Abaziou, 1991, R.D.J. 145 .

-     Société de gestion Pamafret Ltée c. Dupont, AZ-89021199 (C.S.), p. 9-10.

-     Tanadgusix Corp. T.D.X. c. Bonspille, J.E. 90-276 (C.A.) p. 6.

-     Vaughan-Molson c. Boyd, J.E. 93-1790 (C.S.) p. 3 à 6.

-     Ville de La Sarre c. Gabriel Aubé Inc. [1992] R.D.J. 273 .

-     Watson Computer Products Inc. c. 136067 Canada Inc. & al, (1987) R.D.J. 326 .

-     Zodiak International c. Polish Peoples's republic, [1983] 1 R.C.S. 529 .

-     2160-8948 Québec Inc. c. Simplex Phonographs Inc., J.E. 92-853 (C.S.) p. 25 à 28.



[1]    Uni-Select c. Acktion Corp. J.E. 99-2191 (C.S.) et C.A.M. 500-09-008798-993, jj. Proulx, Rousseau-Houle et Otis, [2002] R.J.Q.3005, sp. paragraphe 65, Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can. 2003-06-12) 29449.

[2]    514 International Sportswear Exchange Inc. c. S.L.R. Fashion Ltd., C.S.M. 500-05-002639-886, le 19 mai 1988; Dominion Bridge Corporation c. Steinar Knai, J.E. 97-1089 (C.S.), [1998] R.J.Q. 321 (C.A.); Résidences Laurendeau, Légaré, Louvain c. Tribunal des droits de la personne, [2000] R.J.Q. 588 (en appel).

[3]    Investissements Mauricie-Bois-Francs Drummond, c. 2840-0158 Québec Inc. & al, Tribunal d'arbi-trage, 18 juillet 2001, sp. 18 et 19.

[4]    (1992) 12 O.R. (3d); voir aussi 820099 Ontario Inc. v. Harold E. Ballard Ltd. (1991) 3 B.L.R. (2d) 113 (Ont. Gen. Div.) [affd loc. cit. (Div. Ct.)]; Boart Sweden AB v. NYA Stromnes AB (1988), 41 B.L.R. 295 (Ont. H.C.J.); Scottish Co-operative Wholesale Society Ltd. v. Meyer, [1959] A.C. 324 (H.L.).

[5]    AZ-50169618 (C.A.) 7 avril 2003, 500-09-010107-001.

[6]    (2003) C.S.C. 17 .

[7]    Voir ci-dessus note 1.

[8]    Voir par analogie Ste-Anne de Nackawic Pulp and Paper c. C.S.C.T.P., [1986] 1 R.C.S. 704 et Fraternité des préposés à l'entretien des voies Fédération du Réseau canadien Pacifique c. Canadien Pacifique Limitée, [1996] 2 R.C.S. 495 .

[9]    [1977] 2 R.C.S. 134 .

[10]   [1982] 2 R.C.S. 160, sp. 191.

[11]   [1989] 1 R.C.S. 695 .

[12]   [1990] 2 R.C.S. 440 sp. 448 et suivants.

[13]   Mayrand, Albert, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 3e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., p.124 et 523.

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