DÉCISION
DOSSIER 176341-71-0201
[1] Le 10 janvier 2002, madame Gregoria Gonzalez (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 13 décembre 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 21 août 2001 de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse du 17 août 2001 au 28 août 2001.
DOSSIER 178744-71-0202
[2] Le 14 février 2002, la travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 4 février 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 25 octobre 2001 et déclare que l’emploi d’emballeuse est un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). La CSST confirme également sa décision du 21 novembre 2001 et déclare que la travailleuse était capable d’exercer l’emploi convenable d’emballeuse à compter du 26 novembre 2001.
[3] Seule la travailleuse était présente à l’audience. Elle était représentée par son procureur. Bien qu’un avis d’audition lui ait été expédié, Manufacture Lingerie Château inc. (l’employeur) n’était pas présent et n’avait aucun représentant.
L'OBJET DES CONTESTATIONS
DOSSIER 176341-71-0201
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu du 17 au 28 août 2001 n’était pas justifiée et d’ordonner à la CSST de lui verser l’indemnité de remplacement du revenu pour cette période.
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[5] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi d’emballeuse n’est pas un emploi convenable et qu’elle n’est pas capable de l’exercer.
L'AVIS DES MEMBRES
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[6] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 17 août 2001 n’était pas justifiée. Le programme de réadaptation de la travailleuse n’était pas encore arrêté quand elle a dû s’absenter pour aller au chevet de son frère qui était très gravement malade. Son absence, dont elle a prévenu la CSST, ne paraît pas avoir nui à sa réadaptation et la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Ils accueilleraient la requête de la travailleuse.
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[7] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que l’emploi d’emballeuse tel que décrit au dossier et tel qu’exercé par la travailleuse pendant son stage ne respecte pas ses limitations fonctionnelles et, par conséquent, n’est pas un emploi convenable au sens de la loi. Ils accueilleraient la requête de la travailleuse.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
DOSSIER 176341-71-0201
[8] La travailleuse est opératrice de machine à coudre et elle a été victime d’une lésion professionnelle le 1er août 1997, soit un syndrome du tunnel carpien gauche. Elle a alors cessé de travailler.
[9] Elle a été opérée au mois de mai 1998 et elle a ensuite reçu des traitements de physiothérapie. Le médecin qui l’a opérée a rédigé un rapport final le 4 mars 2000 et il a déclaré la lésion consolidée le jour-même de son rapport. Il a ajouté qu’il subsistera une atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[10] Le 27 septembre 2000, le docteur N. Taillefer qui avait charge de la travailleuse, a produit un rapport d’évaluation médicale. Par ce rapport, il retient un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour le syndrome du tunnel carpien au poignet gauche. Il décrit les limitations fonctionnelles suivantes :
« […]
Cette patiente devrait éviter de faire un travail nécessitant de la précision avec la main gauche. Elle ne peut pas manipuler de charges dépassant 5 livres, de façon répétitive ou soutenue. Elle devrait éviter de faire des mouvements de flexion ou extension ou déviation radiale-cubitale avec son poignet gauche de façon répétitive ou soutenue ou en force. Il est suggérer qu’elle travaille dorénavant sur une base horaire plutôt qu’à la pièce, afin de réduire la cadence et la répétitivité des mouvements.
[…]. » (sic)
[11] Le 30 mai 2001, comme ces limitations fonctionnelles sont incompatibles avec son emploi prélésionnel, la CSST informe la travailleuse qu’elle a droit à la réadaptation.
[12] Dès le début du mois de juin 2001, la CSST a commencé à évaluer si la travailleuse était capable d’occuper un autre emploi. Le travail d’assemblage de petits objets a d’abord été envisagé puisque la travailleuse semblait s’y intéresser. Aux fins de mettre sur pied un programme de formation et en vertu d’un mandat qui lui est confié par la CSST, monsieur Marco Larocque rencontre la travailleuse au mois de juin et il a alors été question de chercher un stage.
[13] Il est à noter que ces démarches se sont faites avec la collaboration de la travailleuse. En fait, cette dernière s’est montrée également intéressée par un emploi dans l’entretien ménager léger, dans l’inspection de vêtements, comme coupeuse de fils ou comme emballeuse de petits objets.
[14] Le 8 août, monsieur Larocque a informé la CSST qu’il avait trouvé un stage dans une entreprise de confection de tableaux de bord pour voiture.
[15] Le 16 août 2001, monsieur Larocque informe la CSST que la travailleuse doit quitter la ville pour voir son frère qui est malade à Los Angeles. Il ajoute cependant qu’après avoir discuté avec la travailleuse, il a identifié un autre stage qui pourrait convenir, soit celui d’emballeuse de cosmétiques chez BASQ International.
[16] Comme le propriétaire de cette dernière entreprise se montre disposé à recevoir la travailleuse en stage, la CSST demande à monsieur Larocque de « finaliser les modalités du stage ». Toutefois, à la demande de BASQ International qui se préoccupait de sa responsabilité face à une éventuelle réclamation, la CSST lui explique par une lettre que l’entreprise ne sera pas tenue responsable d’une récidive, rechute ou aggravation en cours de stage. Selon les notes évolutives, cette lettre est envoyée par courrier le 23 août 2001. On ne sait pas quand elle a été reçue mais il est fort probable qu’elle n’a pas été reçue avant le lundi 27 août 2001.
[17]
Entre-temps, le 21 août 2001, la CSST a informé la
travailleuse qu’en vertu de l’article
[18] La travailleuse a contesté cette décision de la CSST qui a été confirmée à la suite d’une révision administrative. La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu était justifiée.
[19]
L’article
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1 si le bénéficiaire :
[…]
d)omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
[…].
________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[20] En l’espèce, la CSST a suspendu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du 17 août 2001 au 28 août 2001, date à laquelle la travailleuse est revenue à Montréal.
[21] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la suspension imposée par la CSST n’était pas justifiée. En effet, la travailleuse a quitté le 17 août 2001 alors que le stage n’était pas encore mis sur pied. Il était question initialement d’une entreprise de fabrication de tableaux de bord mais la travailleuse a suggéré un stage dans l'entreprise où son mari travaille, BASQ International. Elle y aurait fait l’emballage de cosmétiques. Or, il a nécessairement fallu communiquer avec cette entreprise et obtenir son accord. Les notes évolutives indiquent que BASQ International était prête à recevoir la travailleuse « immédiatement » mais, en réalité, la CSST a dû écrire à l’entreprise pour clarifier la question de l’étendue de sa responsabilité advenant que la travailleuse produise une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation en cours de stage. Tel que déjà indiqué, cette lettre a été envoyée par la poste le jeudi 23 août 2001 et elle n’a probablement pas été reçue avant le lundi suivant, soit le 27 août 2001, compte tenu des délais de livraison postale habituels.
[22] Ainsi, pendant que la travailleuse était absente, son stage était en voie d’être mis sur pied. Lors de son retour, le 28 août 2001, elle n’avait vraisemblablement encore rien manqué. On ne peut donc pas lui reprocher d’avoir « omis de se prévaloir de mesures de réadaptation ». Par conséquent, la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du 17 au 28 août 2001. Sur cette question, la Commission des lésions professionnelles entend donc accueillir la requête de la travailleuse et infirmer la décision du 21 août 2001 de la CSST.
DOSSIER 178744-71-0202
[23] Le 25 octobre 2001, la CSST informe la travailleuse qu’elle a retenu comme emploi convenable, au sens de la loi, celui d’emballeuse. Elle indique que la mesure de réadaptation consiste en un stage de quatre semaines chez BASQ International.
[24] Cette décision a été suivie d’une autre en date du 21 novembre 2001 qui a indiqué que la travailleuse était capable d’exercer cet emploi convenable à compter du 26 novembre 2001.
[25] La travailleuse a contesté ces deux décisions, tel que déjà indiqué.
[26] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’emploi d’emballeuse est un emploi convenable pour la travailleuse.
[27]
L’article
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
«emploi convenable» : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1.
[28] En l’espèce, il convient de faire remarquer que les capacités requises pour l’exercice de cet emploi, selon le système Repères dont la CSST s’est servie, sont à l’effet qu’il faut notamment être capable de soulever des poids d’environ 20 kilos ou plus. Il faut également une capacité d’effectuer des gestes rapides et répétitifs ainsi qu’une capacité de s’adapter aux objets en mouvement. Il est également mentionné qu’une formation préalable de « quelques années » d’études secondaires serait nécessaire.
[29] Il convient également de rappeler que selon les limitations fonctionnelles décrites par le docteur Taillefer, la travailleuse doit éviter un travail de précision avec la main gauche, elle ne peut pas manipuler de charges de plus de 5 livres de façon répétitive ou soutenue, elle doit aussi éviter la flexion, la dorsi-flexion ou la déviation radio-cubitale avec son poignet gauche de façon répétitive ou soutenue ou en force. Enfin, elle devrait éviter un travail rémunéré à la pièce de façon à réduire la cadence et la répétitivité des mouvements.
[30] À l’audience, la travailleuse a expliqué que lorsqu’elle a commencé le stage chez BASQ International, dès le début de la deuxième journée, elle a ressenti une douleur qui s’est étendue jusqu’à l’épaule à compter du poignet. Elle a dû arrêter de travailler afin de consulter son médecin qui lui a prescrit un analgésique. Elle n’a repris le travail que plus tard et elle a connu d’autres épisodes semblables.
[31] Le 17 octobre 2001, elle a rencontré madame Sarah Beauregard, une ergothérapeute mandatée par la CSST. Cette dernière a rapporté que la travailleuse avait dû consulter son médecin la veille. Elle a également noté la présence d’œdème à la face antérieure de l’avant-bras gauche et un spasme musculaire au trapèze gauche. L’amplitude articulaire en flexion des épaules était limitée à 160°/180°. Madame Beauregard a recommandé, finalement, la poursuite du stage mais « en privilégiant les activités unilatérales avec la main droite ».
[32] La travailleuse a expliqué que le travail se faisait à compter d’un convoyeur et qu’il lui fallait faire vite pour suivre la cadence. Par exemple, elle avait à placer dans une boite, une bouteille en se servant de la main gauche pour tenir la boîte. Il fallait de la précision et de la rapidité pour éviter de prendre du retard. Ses deux mains devaient servir.
[33] Lorsqu’elle a eu terminé son stage, elle a cherché de façon systématique, avec l’aide de sa file, du travail dans le domaine de l’emballage malgré les difficultés qu’elle avait éprouvées durant son stage. Elle n’a pas réussi à se trouver un emploi. Par ailleurs, BASQ International lui a offert un poste permanent dans la mesure où elle pourrait augmenter son nombre d’heures. Comme elle n’a pas pu augmenter ses heures, elle n’a pu rester en poste.
[34] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les résultats de la tentative de la travailleuse d’effectuer le travail chez BASQ International sont assez probants. Bien que ce travail était assez léger puisqu’il s’agissait d’emballer des cosmétiques, la travailleuse a dû arrêter de travailler à plus d’une reprise et consulter pour une symptomatologie reliée à son poignet gauche et son membre supérieur gauche. En fait, l’ergothérapeute Sarah Beauregard a elle-même rapporté la présence d’œdème et d’un spasme, ainsi qu’une diminution de l’amplitude articulaire au niveau du membre supérieur gauche.
[35] Les limitations fonctionnelles de la travailleuse prises dans leur ensemble, sont incompatibles avec l’emploi d’emballeuse. La répétitivité et la cadence du travail ainsi que la nécessité pour une emballeuse, selon le guide Repères, de soulever un poids de 40 kilos ou plus sont autant de motifs qui ne permettent pas de considérer que, globalement, cet emploi est approprié.
[36] Par ailleurs, la travailleuse est pratiquement analphabète. Elle n’a complété qu’une cinquième année et elle ne comprend pratiquement pas le français. Rappelons que le système Repères fait mention de la nécessité d’une formation préalable beaucoup plus avancée que celle que possède la travailleuse.
[37] Enfin, les démarches de la travailleuse tendent à montrer qu’elle n’aurait pratiquement pas de chance de se trouver un emploi dans ce domaine.
[38] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’emploi d’emballeuse n’est pas un emploi convenable pour la travailleuse compte tenu de ses limitations fonctionnelles, ses capacités résiduelles et compte tenu des perspectives d’emploi faibles pour elle, dans ce domaine.
[39] Il y a donc lieu d’accueillir la requête de la travailleuse et d’infirmer la décision de la CSST rendue le 4 février 2002 à la suite d’une révision administrative.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DOSSIER 176341-71-0201
ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Gregoria Gonzalez ;
INFIRME la décision du 13 décembre 2001 rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu du 17 au 28 août 2001 n’était pas justifiée ;
ORDONNE à la CSST de verser à la travailleuse l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle elle a droit pour cette période.
DOSSIER 178744-71-0202
ACCUEILLE la requête de la travailleuse ;
INFIRME la décision du 4 février 2002 rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que l’emploi d’emballeuse n’est pas un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Me Bertrand Roy |
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Commissaire |
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CLAUDE BOVET, AVOCAT |
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Procureur de la partie requérante |
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