Alcantara c. Gauthier |
2019 QCRDL 4228 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
428248 31 20181116 G |
No demande : |
2630043 |
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Date : |
07 février 2019 |
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Régisseur : |
André Gagnier, juge administratif |
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Elogio Alcantara
Marcelina Alcantara-Eleccion |
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Locateurs - Partie demanderesse |
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c. |
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Christine Gauthier |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Par une procédure déposée au tribunal de la Régie du logement le 16 novembre 2018, les locateurs demandent l‘autorisation de reprendre possession du logement pour y loger leur fille Marie Margaret Alcantara.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 740 $.
[3] Il s’agit d’un logement comportant 5 ½ pièces situé à l’étage du duplex, les locateurs occupant le logement du rez-de-chaussée depuis leur acquisition de l’immeuble en 2004.
[4] La locataire habite le logement depuis 23 années. Elle indique y habiter seule et que ce logement fut aménagé par ses soins comme s’il s’agissait de sa maison, de « son endroit de vie », voulant y vivre encore longtemps. Le logement est sis à 10 minutes à pied de son travail.
[5] La locataire doute de la bonne foi des locateurs, croyant déceler dans la reprise un motif oblique visant à augmenter le loyer mensuel. De façon contradictoire, la locataire reproche les augmentations annuelles du loyer mensuel depuis l’acquisition de l’immeuble par les locateurs affirmant avoir été augmentée de 25 $ par mois à chaque année, bien que la preuve démontre une augmentation annuelle moyenne avoisinant 13,50 $ par mois (190 $ sur 14 années).
[6] Elle ajoute qu’un logement similaire dans son quartier a une valeur marchande avoisinant 1 000 $ par mois et qu’elle ne pourra se trouver un autre logement similaire à un loyer semblable à celui qu’elle verse actuellement. La doléance de la locataire quant aux augmentations annuelles est donc logiquement incompatible avec une prétention que le loyer mensuel est fort inférieur à la valeur marchande.
[7] Évidemment, le fait que la locataire a pu bénéficier d’un loyer inférieur au marché n’est pas un facteur prohibant la reprise de possession.
[8] Cela peut quelquefois amener à se poser des questions sur le motif des locateurs, tel qu’un motif oblique visant à évincer la locataire afin d’augmenter le loyer mensuel malgré que la loi le prohibe, mais aucune preuve présentée ne soutient une telle prétention de façon prépondérante : il s’agit ici de pures spéculations.
[9] Quant à l’enracinement de la locataire dans le logement et dans le quartier, cela ne constitue pas des motifs prohibant une reprise de possession.
[10] Il en est de même de la prétention de la locataire à l’effet qu’elle ne croit pas que la fille des locateurs occupera seule ce grand logement, alors que la locataire l’occupe actuellement seule.
[11] Il est à noter qu’une reprise de possession au bénéfice de la fille des locateurs ne constitue pas une prohibition au fait que la fille puisse ultérieurement vouloir partager ce logement avec un tiers ou un conjoint.
[12] La fille des locateurs loue actuellement un logement ailleurs et son bail prendra fin le 30 juin 2019. Elle souhaite intégrer à long terme le logement sis à l’étage afin d’apporter le soutien nécessaire à ses parents âgés dont l’état de santé décline.
[13] Bien qu’il y ait des disparités mineures entre le témoignage du locateur, qui ne s’exprime pas aisément dans les langues officielles du Canda et celui de sa fille, le tribunal croit la véracité de la version de la fille et cela emporte de constater que les critères pertinents à la présente décision d’accorder la reprise sont rencontrés par la preuve prépondérante.
[14] La reprise de possession sera donc accordée.
[15] Le locateur indique qu’il pourrait consentir à ce que la locataire puisse mettre fin prématurément à son bail, sans préciser de paramètres ou de limites quant à cet aspect. La locataire est muette quant à cette possibilité. Aucune ordonnance ne sera donc rendue quant à cet aspect imprécis, les parties étant toujours libres de discuter de cet aspect à leur convenance.
[16] Le locateur indique vouloir payer l’indemnité au moment du départ de la locataire. Il ne précise pas de montant quant à cette indemnité et ne dispose pas d’évaluation par une firme de déménagement.
[17] La locataire indique posséder de nombreux meubles dans le logement et dans un cagibi (« Locker ») d’une superficie avoisinant 40 pieds carrés, ce qui fait en sorte que ses frais de déménagement doivent être évalués comme si le logement comportait 6 ½ pièces. Elle indique avoir deux réfrigérateurs, un congélateur, un appareil elliptique, un gros climatiseur et de nombreux meubles dans les chambres à coucher bien que les photographies déposées (L-1) démontrent que les pièces ne sont pas embourbées et que les meubles sont des meubles de tailles usuelles.
[18] Elle ajoute avoir acquis un aquarium de 55 gallons en mars 2018 et affirme que si elle doit le vider pour le déménagement, elle perdra sans doute des poissons ou des plantes ou devra le réaménager. Tout comme lors des nettoyages complets sporadiques. Il est évident qu’un tel aquarium ne peut pas être déménagé lorsqu’il est rempli d’eau et de poissons. On voit mal comment un tel aquarium peut être descendu dans des escaliers en étant rempli. Mais si les poissons et les plantes ont pu y être amenés, c’est qu’il est manifestement possible de les emmener ailleurs.
[19] Le tribunal constate qu’il y a un désagrément à ce faire, mais ce désagrément découle de l’initiative de la locataire à vouloir posséder un tel item. Mais les frais de déménagements doivent tenir compte de cet aquarium et de l’ensemble de tous les biens.
[20] La locataire dit avoir appelé quelques firmes de déménagement qui ne pouvaient donner d’estimations écrites car elles seraient débordées de demandes et qui évaluaient plutôt le tout verbalement, selon des critères généraux, à des coûts oscillant entre 2 500 $ à 3 000 $, pour un déménagement nécessitant de 5 à 7 heures effectuées par 3 déménageurs.
[21] Elle n’a obtenu qu’une seule évaluation écrite (L-2, Clan Panneton) et elle dit que cela était la compagnie la plus onéreuse. Selon ce document, un tarif horaire de 210 $ est exigé pour un déménagement prévu le 30 juin 2019. Bien que ce document ne le précise pas, la locataire affirme qu’on a alors évalué le nombre d’heures nécessaires à 7, en ajoutant une heure de déplacement.
[22] Ainsi, cette évaluation indiquerait un coût avoisinant 1 680 $, plus taxes (8 heures x 210 $), ce qui avoisinerait donc 1 900 $ avec les taxes.
[23] La locataire dit qu’il y aura aussi des frais de déménagement spécifiques pour l’aquarium, sans les préciser : comme indiqué précédemment, la locataire semble croire qu’un tel aquarium peut être déménagé sans être vidé, ce qui apparaît impensable.
[24] Si cette évaluation est la plus coûteuse, comme le prétend la locataire, il est donc contradictoire qu’elle puisse affirmer que les autres compagnies réclamaient une somme oscillant entre 2 500 $ et 3 000 $. La valeur probante de cette affirmation est affectée par une telle contradiction.
[25] Par ailleurs, la locataire indique que les frais administratifs des services publics reliés à son déménagement seront limités à ceux requis par Hydro-Québec et Vidéotron, sans les préciser.
1) La détermination de l’indemnité :
[26] Le tribunal autorisant la reprise du logement concerné, il y a donc lieu d'examiner les circonstances, en regard des termes de l'article 1967 du Code civil du Québec qui stipule que :
« Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
[27] Dans l'affaire Boulay c. Tremblay[1] , la Cour du Québec précise la nature de l'indemnité applicable en matière de reprise de logement :
« ...dans les cas d'éviction du locataire pour subdivision ou agrandissement du logement ou changement d'affectation, le législateur a prévu une indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme supérieure si le locataire le justifie (art. 1660.4 C.c.). cependant, en matière d'éviction pour reprise de possession, le législateur n'a déterminé aucune indemnité précise. Il laisse au Tribunal le soin de fixer les conditions justes et raisonnables et notamment l'indemnité de déménagement.
(...)
Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit au maintien dans les lieux et qu'elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voit indemnisé pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit de reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive ».
[28] Dans l'affaire Lefranc c. Roy[2], la Cour du Québec indique clairement que seuls les frais de déménagement peuvent être octroyés en cas de reprise de logement et qu'il s'agit de la seule obligation de nature indemnitaire que le législateur permet d'imposer au locateur.
[29] Dans l'affaire Carlin[3], la Cour du Québec a énuméré les critères à considérer dans l'évaluation de cette indemnité. Ainsi, l'âge de la locataire, sa condition physique, la durée d'occupation, son enracinement dans le logement et la valeur de son mobilier sont des critères pertinents permettant de déterminer l’indemnité.
[30] Il y a donc eu un certain flottement jurisprudentiel concernant la compensation des inconvénients et la prise en compte de facteurs subjectifs.
[31] Toutefois, la jurisprudence de la Cour du Québec ainsi que la jurisprudence de la Régie du logement ont toujours été unanimes sur un aspect : l’autorisation de la reprise de logement ne donne pas ouverture à l'octroi de dommages-intérêts au sens usuel du terme.
[32] Le tribunal conclut qu’une indemnité découlant d'une reprise de logement exercée de bonne foi doit être fondée sur la seule disposition législative qui y donne ouverture, soit l'article 1967 du Code civil du Québec qui fait en sorte que le tribunal se rallie entièrement à l’opinion émise par l’honorable Juge Dansereau, dans la décision Lefranc c. Roy précitée. Ainsi, l’indemnité doit être limitée aux frais réels de déménagement.
[33] Le tribunal considère donc que l’octroi de quelques dommages, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, tels la durée de l’occupation, l’enracinement dans le quartier, la perte de temps pour trouver un autre logement, la perte de temps de travail pour déménager, des frais de peinture, la compensation de la décoration du logement ou d’autres aspects similaires, pourtant considérés dans certaines décisions des tribunaux, n’est pas compatible avec l’exposé du droit applicable.
[34] Finalement, comme l’indiquait le juge administratif Jean Bisson dans une décision rendue le 25 avril 2004 et depuis appliquée dans une multitude de décisions en matière de reprises de logement émanant du tribunal spécialisé de la Régie du logement:
« l'indemnité accordée ne doit pas permettre au locataire de s'offrir un déménagement plus luxueux que ses moyens ne lui permettent et d'ainsi pénaliser injustement le locateur » .[4]
[35] Le tribunal conclut de l’ensemble de ce qui précède que la détermination de l’indemnité visera à établir le coût réel du déménagement que le locataire défraierait s’il choisissait lui-même de déménager. Ces frais incluent évidemment les frais de branchements aux services publics et le suivi postal.
[36] Afin de déterminer l’indemnité et les frais de déménagements, le tribunal doit donc considérer la jurisprudence récente applicable, la taille du logement, le nombre d’occupants, la situation du logement (rez-de-chaussée ou logement sis à l’étage avec absence d’ascenseur), la présence de biens particuliers engendrant des frais supplémentaires de déménagement (tel un piano), soit les facteurs qui font varier les coûts de déménagements dans les estimés émanant des firmes de déménagements généralement produits dans de tels dossiers.
[37] Tel qu’exposé lors de l’audience, il est bien connu par ce tribunal spécialisé que les frais pour un déménagement dans la période de pointe sise entre le 24 juin et le 7 juillet avoisinent le double de ceux hors de cette période.
[38] La détermination du quantum d’une indemnité reliée à une reprise de possession ne peut que très rarement relever de la plus grande précision mathématique, les coûts de déménagement étant entre autres tributaires des choix de date et de la compagnie de déménagement retenus par les locataires, alors que les locateurs ne contrôlent pas ces aspects.
[39] Considérant l'ensemble de la preuve et les critères élaborés par la jurisprudence, le tribunal accordera une indemnité totalisant 2 000 $, accordant 1 900 $ pour les frais de déménagement des biens et 100 $ pour les frais administratifs reliés aux services d’Hydro-Québec et de Vidéotron.
[40] La présente décision n'interdit aucunement aux parties de tenter de discuter de toute autre solution qui leur plairait. Toutefois, en l'absence d'une nouvelle entente, idéalement écrite et signée par tous, la présente décision sera exécutoire aux dates stipulées dans les conclusions.
[41] Le tribunal rappelle aux locateurs que, conformément aux dispositions de l'article 1970 C.c.Q., le logement ne peut pas être loué ou utilisé à une autre fin que celle pour laquelle la reprise a été exercée sans obtenir au préalable l'autorisation du tribunal. En termes clairs, si les locateurs veulent louer le logement à qui que soit, à quelque moment que ce soit, ils doivent au préalable obtenir l'autorisation du tribunal.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[42] AUTORISE la reprise de possession du logement au bénéfice de Marie Margaret Alcantara;
[43] CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire la somme de 2 000 $ à la remise des clés du logement après le déménagement de la locataire et de tous les occupants du logement;
[44] ORDONNE l’expulsion de la locataire et de tous les occupants à compter du 1er juillet 2019 à 12h00;
[45] LES FRAIS judiciaires de la présente procédure étant assumés par les locateurs.
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André Gagnier |
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Présence(s) : |
les locateurs la locataire Me Nicolas Farand, avocat de la locataire |
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Date de l’audience : |
16 janvier 2019 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.