Décision

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Savard c. R.

2016 QCCA 380

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-10-003093-148

(150-01-027680-090)

(150-01-034200-114)

(150-01-038952-132)

 

DATE :

 25 FÉVRIER 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

BENOÎT MORIN, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

JEAN-LOUIS SAVARD

APPELANT - Accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - Poursuivante

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 23 octobre 2014 par la Cour du Québec, district de Chicoutimi (l’honorable Michel Boudreault), qui le déclare coupable de quatre chefs d’accusation d’attentat à la pudeur d’une personne de sexe masculin, d’un chef d’accusation d’attentat à la pudeur d’une personne de sexe féminin et d’un chef d’accusation de grossière indécence pour des gestes commis à l’endroit de ses neveux et de sa nièce dans les années 1960.

[2]           Pour les motifs de la juge Dutil, auxquels souscrit le juge Morin, LA COUR :

[3]           REJETTE l’appel;

[4]           De son côté, pour d’autres motifs, le juge Chamberland aurait ordonné la tenue d’un nouveau procès.

 

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MORIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

Me Christian Maltais

CHRISTIAN MALTAIS, AVOCAT

Pour l’appelant

 

Me Sébastien Vallée

PROCUREUR AUX POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

9 décembre 2015


 

 

MOTIFS DE LA JUGE DUTIL

 

 

[5]          Le 23 octobre 2014, le juge de première instance[1] a déclaré l’appelant coupable de quatre chefs d’accusation d’attentat à la pudeur d’une personne de sexe masculin, d’un chef d’accusation d’attentat à la pudeur d’une personne de sexe féminin et d’un chef d’accusation de grossière indécence pour des gestes commis à l’endroit de ses neveux et de sa nièce dans les années 1960.

[6]          L’appelant allègue que le juge a commis plusieurs erreurs et, notamment, qu’il a prononcé un verdict déraisonnable.

[7]           Le juge de première instance résume très bien les faits de cette affaire. Je vais toutefois reprendre certains d’entre eux de façon très succincte afin de faciliter la lecture de l’arrêt.

Les faits

[8]          Les événements ayant mené au procès ont eu lieu principalement entre 1964 et 1971.

[9]          L’appelant naît le 9 août 1946[2] et est le deuxième garçon d’une famille de 26 enfants. Jusqu’à l’âge de 13 ou 14 ans, il demeure avec ses nombreux frères et sœurs ainsi que ses parents, Juliette Tremblay et Lucien Savard, dans le 2e Rang de Saint-David-de-Falardeau.

[10]       Antoinette Savard, sa sœur aînée, réside pour sa part avec son mari Gilbert Desbiens dans une très modeste maison voisine de celle de ses parents. Ils sont les parents de neuf enfants : Richard[3], Jean-Marc, Conrad, Sylvie, Jean-Yves, Raymond-Marie, Gisèle, Linda et Manon.

[11]       Six des enfants Desbiens témoignent au procès :

·          Conrad est le troisième enfant de la fratrie. Il est né le [...] 1955. Il affirme que l’appelant l’a agressé sexuellement à plusieurs reprises alors qu’il avait entre cinq et dix ans[4]. Il mentionne que son oncle, Jean-Baptiste Savard, ainsi que son cousin, Étienne Pouliot, ont été témoins et victimes de deux des agressions;

·          Jean-Marc, le deuxième enfant, est né le [...] 1954. Il relate des agressions s’étant déroulées alors qu’il avait entre sept et quatorze ans[5]. Il indique aussi qu’il a été témoin d’une agression commise envers son frère Raymond-Marie, né le [...] 1960 et décédé en 2003;

·          Jean-Yves, né le [...] 1959, explique pour sa part que l’appelant l’a agressé sexuellement lorsqu’il était âgé de cinq ans jusqu’à douze ou treize ans[6];

·          Sylvie est née le [...] 1957. Elle soutient avoir été victime d’agressions sexuelles de la part de l’appelant pendant une période de six mois lorsqu’elle avait huit ans[7];

·          Linda, née le [...] 1962, n’a quant à elle pas été victime d’abus de la part de l’appelant. Elle raconte toutefois avoir été témoin d’une agression commise sur son frère Raymond-Marie par l’appelant. Cet événement est survenu en 1968;

·          Manon, née le [...] 1966, n’a pas été victime ni témoin d’agressions sexuelles de la part de l’appelant. Ses frères Jean-Marc, en 1986, et Conrad, en 2000, lui ont confié avoir été agressés par l’appelant. Conrad lui a également mentionné que leur mère Antoinette ne voulait pas qu’il porte plainte avant sa mort.

[12]        Vers 1959, l’appelant est mis à la porte de la maison familiale par son père. Il a alors 13 ou 14 ans. Il va habiter chez sa sœur et son beau-frère sur la Côte-Nord, mais revient toutefois régulièrement voir sa mère et la famille à Saint-David-de-Falardeau.

[13]        En 1971, la Municipalité de Saint-David-de-Falardeau oblige la famille Desbiens à quitter leur maison en raison de son insalubrité. La famille déménage alors au village, sur la rue Lamarre. Conrad a 16 ans.

[14]        À l’âge adulte, les enfants Desbiens quittent le domicile de leurs parents. Ils revoient l’appelant lors de rencontres familiales. Certains d’entre eux visitent l’appelant à l’occasion sur la Côte-Nord où il habite avec sa conjointe, Marcelle Imbeault, et leurs trois enfants. Sylvie Desbiens est même embauchée pendant un certain temps pour garder les enfants de l’appelant. Il faut noter que ce dernier a épousé Marcelle Imbeault en décembre 1968 et que tous les plaignants ont mentionné avoir beaucoup de respect pour cette dernière.

[15]        Au fil des années, les plaignants discutent entre eux des événements. Toutefois, ils ont promis à leur mère Antoinette de ne pas porter plainte avant son décès qui survient en octobre 2008. Elle ne voulait pas que la famille soit brisée.

[16]       Le 22 avril 2009, Conrad porte plainte à la Sûreté du Québec, à Chicoutimi. Dans les semaines qui suivent, ses frères et sœurs Jean-Marc, Jean-Yves, Sylvie, Linda et Manon font également des déclarations aux enquêteurs.

[17]       Le 9 septembre 2009, l’appelant est mis en état d’arrestation. Il nie les actes qui lui sont reprochés.

[18]        Il est reconnu coupable de six chefs d’accusation le 23 octobre 2014 et le juge prononce une suspension conditionnelle des procédures sur trois autres chefs.

Le jugement sur la culpabilité

[19]        Après un procès de 12 jours, le juge rend un jugement étoffé et soigné dans lequel il reprend chaque témoignage, l’analyse et explique pourquoi il accorde ou non de la crédibilité et de la fiabilité à chacun d’eux. Il reconnaît d’ailleurs que l’évaluation de la crédibilité est le point central de cette affaire[8] et il en énonce les principes applicables[9].

[20]        Le juge ne croit pas la version de l’appelant[10]. Il mentionne d’abord que son témoignage est peu crédible et sa version des faits peu vraisemblable. Il retient que l’appelant ne démontre aucune émotion, tout en soulignant que cet élément n’est pas en soi concluant.

[21]        Le juge est par ailleurs d’avis que l’appelant a voulu tromper les policiers en tentant d’abord de leur faire croire qu’il ne connaissait pas les plaignants, ce qui rendait impossibles les allégations d’agressions sexuelles contre lui. Par la suite, il modifie son discours et explique à l’enquêteur Gauthier que ce sont des gens de la pire espèce, des « faisant-mal ». Ils n’étaient pas de bons enfants. Au procès, ses prétentions changent complètement et il soutient que sa relation avec les enfants Desbiens était bonne et qu’ils étaient proches. Il ne fait nullement référence au fait qu’ils étaient des « faisant-mal ».

[22]        La version que donne l’appelant lors du procès n’est pas la même que celle livrée à l’enquêteur Gauthier. En contre-interrogatoire, elle est en outre fort différente de celle donnée en interrogatoire principal. Le juge note une propension à modifier ses réponses. Il conclut que les éléments qu’il a relevés, pris dans leur ensemble, font en sorte qu’il ne peut croire l’appelant qui nie en bloc les accusations[11].

[23]        Le juge examine ensuite la preuve de la défense et détermine, après avoir analysé chacun des témoignages, qu’elle n’est pas de nature à soulever un doute raisonnable.

[24]        Enfin, le juge conclut que la preuve établit, hors de tout doute raisonnable, la culpabilité de l’accusé. Pour arriver à cette conclusion, il revoit chacun des témoignages des plaignants et les analyse. Il y relève certaines faiblesses, mais conclut que les témoignages des plaignants sont crédibles et fiables. En outre, il est d’avis qu’il n’y a pas eu de collusion entre les plaignants. Ils ont pris individuellement la décision de porter plainte, souvent après consultation de leur famille respective et sans connaître les détails des agressions subies par leurs frères et sœur[12].

L’analyse

1)     Le juge de première instance a-t-il erré en droit en rendant un verdict déraisonnable?

[25]        L’appelant plaide que le verdict est déraisonnable. Selon lui, le juge a commis des erreurs importantes dans l’appréciation de sa crédibilité et dans l’évaluation de la preuve de la défense. Ces erreurs l’auraient mené à rendre un tel verdict.

[26]        Le sous-alinéa 686(1)a)(i) C.cr. prévoit qu’une cour d’appel peut admettre l’appel si le verdict de culpabilité est déraisonnable ou ne trouve pas appui dans la preuve. La Cour suprême, dans l’arrêt Corbett c. R. précise le sens qu’il faut donner à cette disposition :

[…] Comme on l’a déjà signalé, la question est de savoir si le verdict est déraisonnable, non s’il est injustifié. Le rôle de la Cour n’est pas de se substituer au jury mais de décider si le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre.[13]

[Je souligne]

[27]        Lorsque la question du verdict déraisonnable est posée à une cour d’appel, la juge Charron explique, dans l’arrêt R. c. Sinclair[14], que l’examen doit se faire en deux étapes lorsque la décision est rendue par un juge seul. Celles-ci sont exposées par l’auteur Tristan Desjardins de la façon suivante :

386. À l’occasion de ce même arrêt, la juge Charron a proposé une méthode pour procéder à l’examen que requiert le sous-alinéa 686(1)a)(i) du Code criminel. Ce faisant, elle a suggéré l’application dans un premier temps du traditionnel critère issu des arrêts Yebes et Biniaris. Une cour d’appel appliquant ce critère devra, lors de la première étape, se poser la question suivante : «le verdict est-il l’un de ceux qu’un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre au vu de l’ensemble de la preuve?» Si la réponse est positive, il faut passer à l’étape suivante en présence d’une décision rendue par un juge seul. Dans le cas contraire, le tribunal siégeant en appel doit accueillir le pourvoi et conclure à l’acquittement.

387. La deuxième étape de cette méthode consiste en l’application du critère de l’arrêt Beaudry. Ainsi, quoique le tribunal d’appel soit d’avis que le verdict puisse reposer sur la preuve, il doit examiner le caractère raisonnable de la décision rendue en première instance. Cette analyse s’effectue en évaluant les conclusions de fait et inférences tirées par le juge du procès. Pour intervenir, le tribunal d’appel qui s’adonne à cet examen doit conclure à la présence d’une erreur qui vicie le raisonnement ayant mené au verdict de culpabilité ou d’une «erreur véritable» provoquant une erreur judiciaire au sens du sous-alinéa 686(1)a)(iii). Lorsque le tribunal d’appel, au terme de son analyse, en arrive à la conclusion que le raisonnement emprunté en première instance est irrationnel ou incompatible avec la preuve au point de vicier la décision rendue, son intervention est justifiée.[15]

[Je souligne - Références omises]

[28]        Par ailleurs, bien que le caractère raisonnable d’un verdict soit une question de droit, l’appréciation de la crédibilité des témoins demeure une question de fait. Lorsqu’une cour d’appel revoit celle-ci, pour établir si le verdict est déraisonnable, elle ne peut l’écarter que s’il est établi qu’elle ne peut s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve. La juge Deschamps, dans l’arrêt R. c. R.P., mentionne ceci :

[10]      Si le caractère raisonnable d’un verdict est une question de droit, l’appréciation de la crédibilité des témoins constitue elle une question de faits. L’appréciation de la crédibilité faite en première instance, lorsqu’elle est revue par une cour d’appel afin notamment de déterminer si le verdict est raisonnable, ne peut être écartée que s’il est établi que celle-ci « ne peut pas s’appuyer sur quelque interprétation raisonnable que ce soit de la preuve » (R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474, par. 7).[16]

[29]        En l’espèce, l’appréciation de la crédibilité des témoins est au centre de la décision du juge. La Cour doit donc faire preuve d’une grande déférence à cet égard. Dans l’arrêt R. c. Gagnon, les juges Bastarache et Abella écrivent :

   Apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile pour le juge de première instance de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits. C’est pourquoi notre Cour a statué — la dernière fois dans l’arrêt H.L. — qu’il fallait respecter les perceptions du juge de première instance, sauf erreur manifeste et dominante.[17]

a)      L’exclusion du témoignage de l’appelant

[30]        L’appelant reproche au juge de ne pas avoir bien évalué son témoignage.

[31]        Il soutient d’abord que le juge a erré en considérant son absence d’émotion au procès. Il explique qu’il aurait plutôt dû tenir compte du fait que c’est lors de son arrestation qu’il a subi un choc et que ses émotions étaient présentes lors des interrogatoires menés par les policiers le 9 septembre 2009.

[32]        Il n’y a pas de façon standard de réagir lors d’un procès, lorsqu’on est confronté à des accusations. Un juge doit donc être prudent lorsqu’il en tire une inférence[18]. En l’espèce, le juge note le fait que l’appelant ne démontre pas d’émotion au procès. Il  mentionne toutefois que cet élément n’est pas concluant :

[191]        Lors du procès, il [l’accusé] ne démontre aucune émotion lorsque son avocat lui fait la lecture de tous les chefs d’accusation et quand il déclare que tout cela est faux et que ce n’est pas vrai.

[192]        Une personne injustement accusée d’un crime de cette nature s’empresse normalement de clamer son innocence dans une charge émotive, bien souvent incontrôlée ou, à tout le moins, avec l’expression de certaines émotions en lien avec la situation.

[193]        Cela est d’autant plus vrai que, dans la présente affaire, plusieurs membres de la famille étaient présents dans la salle d’audience et que tous ces gens avaient autrefois des liens très étroits. D’ailleurs, lors du procès, l’accusé lui-même déclare toujours aimer les Desbiens.

[194]        Toutefois, ce premier élément n’est pas en soi concluant, car il n’y a pas de comportement universel du mensonge et de la vérité. Il s’agit d’un indice supplémentaire qui s’ajoute aux autres éléments de preuve incriminants, à titre circonstanciel.[19]

[Référence omise]

[33]        À mon avis, le juge n’a pas accordé un poids indu à cet élément. Il n’a commis aucune erreur révisable à cet égard, étant conscient qu’il n’y a pas de comportement unique indiquant qu’une personne ment ou dit la vérité.

[34]        L’appelant allègue également que le juge a erré en tirant une conclusion défavorable sur sa crédibilité en raison du fait qu’il a dénigré les plaignants lorsque l’enquêteur l’a interrogé le 9 septembre 2009, alors qu’au procès il a mentionné à plusieurs reprises qu’il les aimait.

[35]        Encore ici, le juge explique bien son raisonnement sur cette question. Non seulement l’appelant a dénigré les plaignants lors de son interrogatoire du 9 septembre 2009, mais il a commencé par nier qu’il les connaissait. Le juge écrit ceci :

[195]    Le 9 septembre 2009, dès la première rencontre avec l’enquêteur Gauthier, l’accusé reconnaît avoir dit qu’il ne connaissait pas les Desbiens : « je ne les connais pas », dira-t-il à maintes reprises sur différents tons, des fois sur un ton calme, d’autres fois sur un ton colérique. Il aurait répondu ainsi parce qu’il était fâché contre eux. Le Tribunal ne retient pas ces explications.

[196]        Le Tribunal retient plutôt que dès cette première rencontre avec l’enquêteur Gauthier, l’accusé cache les relations ayant existé entre lui et les enfants Desbiens (plaignants).

[197]        En plus, il mentionne à l’enquêteur Gauthier que les enfants Desbiens sont des gens de la pire espèce, des « faisant-mal » et que même en bas âge, ils n’étaient pas de bons enfants.

[198]        De toute évidence, par ce dénigrement à l’égard des plaignants et des enfants Desbiens, l’accusé déduit que leurs problèmes de comportement rendent impossibles les allégations de nature sexuelle portées à son endroit.

[199]        Pourtant, en interrogatoire principal lors du procès, sa version est tout autre. Sa relation avec les enfants Desbiens était bonne; ils étaient proches de lui, lui faisaient des câlins et l’agaçaient avec sa grosse bedaine. Jamais il n’est question d’enfants turbulents et « faisant-mal » qu’il décrit à l’enquêteur en 2009. Or, l’accusé infère cette fois-ci que leur relation était à ce point bonne par le passé que cela rend impossibles les allégations de nature sexuelle.

[…]

[206]        Force est d’admettre que l’on est bien loin de la version qu’il donne à l’enquêteur Gauthier du comportement intempestif des enfants Desbiens.

[207]        Bref, lors de sa rencontre avec l’enquêteur Gauthier, l’accusé cherche à discréditer les plaignants, tandis que lorsqu’il témoigne, il ajuste sa version en disant le contraire.[20]

[Je souligne - Références omises]

[36]        À mon avis, le juge pouvait considérer les contradictions importantes entre la version donnée aux policiers et celle livrée au procès. Il ne s’agissait pas d’une simple erreur lorsque l’appelant a mentionné aux policiers qu’il ne connaissait pas les plaignants, il leur communiquait une fausse information et a tenté de les tromper. Il en est de même pour ses affirmations selon lesquelles les plaignants avaient tendance à mentir.

[37]        Avec égards pour l’opinion contraire, l’interrogatoire du 9 septembre 2009, mené par l’enquêteur Gauthier, ne l’a pas été de façon injuste pour l’appelant. Pendant la première partie de celui-ci, il y apparaît détendu et il rit à plusieurs reprises. Tout au long de celui-ci, il comprend bien le sens des questions, même si l’enquêteur doit à quelques reprises lui expliquer le sens de certains mots. L’appelant mentionne d’ailleurs qu’il n’a pas été surpris par son arrestation, car il savait qu’il était susceptible de faire face à des accusations d’agressions sexuelles sur ses neveux et sa nièce. Il avait même consulté un avocat à ce sujet. Il faut en outre souligner qu’il ne conteste pas le caractère libre et volontaire de sa déclaration. Il ne soulève aucun argument remettant en question la façon dont a été mené l’interrogatoire par l’enquêteur Gauthier. Le juge pouvait donc tenir compte des contradictions entre ce que l’appelant a mentionné aux policiers et son témoignage au procès.

[38]        L’appelant allègue aussi que le juge a commis une erreur en retenant qu’il avait quelque chose à cacher puisqu’il refusait d’admettre qu’il a eu l’occasion de se retrouver seul avec un des enfants Desbiens dans la grange ou l’un des bâtiments.

[39]        Le juge explique pourquoi il en arrive à cette conclusion :

[209]        Par ailleurs, le Tribunal est à même de constater comment l’accusé pouvait se sentir mal à l’aise et dans l’embarras lorsqu’on lui pose des questions simples et banales, par exemple, s’il lui est arrivé de se retrouver seul à jouer avec l’un des enfants Desbiens. Il répond par l’affirmative et que c’était normal.

[210]        Cependant, lorsqu’on lui demande à quel endroit, soit dans la grange ou dans l’un des bâtiments, il répond catégoriquement par la négative. Les réponses qu’il donne par la suite établissent indéniablement qu’il veut cacher que durant son enfance, il lui est certes arrivé de se retrouver seul dans le bâtiment avec l’un d’eux, ce qui aurait été pourtant tout à fait normal dans les circonstances.

[211]        Mais étant donné qu’il est dans l’embarras, il veut éviter d’admettre que cela ait pu arriver, ne serait-ce qu’une seule fois. Il répond alors qu’il ne s’est jamais retrouvé à ces endroits avec les enfants Desbiens et dit tout bonnement qu’ils sont des menteurs. Il ajoute ensuite que les enfants sont gentils, mais il ne faut pas se fier sur eux. On voit très bien que l’accusé évite de répondre à une question pourtant claire.

[212]        Ainsi, l’accusé cherche une fois de plus à discréditer les plaignants en leur faisant porter la responsabilité et en diminuant la sienne. Il finit par admettre du bout des lèvres s’être peut-être retrouvé seul avec l’un d’eux à se promener aux alentours des bâtiments.

[213]        L’accusé démontre qu’il ne veut pas répondre à certaines questions. Jusque-là, les réponses données lors de l’interrogatoire principal ne résistent guère au contre-interrogatoire. Ces exemples démontrent aussi une propension à modifier ses réponses au besoin quand il est dans l’embarras.[21]

[Références omises]

[40]        Le juge était le mieux placé pour apprécier le témoignage de l’appelant. Il est souvent difficile de décrire pourquoi on croit ou on ne croit pas un témoin. Cette conclusion repose sur de nombreux éléments qu’un juge de première instance est en mesure de constater en première ligne. En l’espèce, le juge fait part de son raisonnement et je n’y décèle pas d’erreur qui l’entacherait.

[41]        Le juge estime en outre que l’appelant a inventé le fait que la porte du hangar était toujours verrouillée, et ce, afin de ne pas concéder qu’il ait pu s’y retrouver seul en compagnie d’un des plaignants. Selon le juge, sa version est invraisemblable, non seulement sur la question du hangar, mais également sur les cordes à foin et le tournevis :

[214]    Les mêmes conclusions s’appliquent lorsqu’il raconte ne s’être jamais retrouvé dans le hangar à outils puisque la porte était verrouillée et qu’à cet endroit il rangeait les outils dangereux : une égoïne, une sciotte et un marteau. Notamment, il dit que les enfants auraient pu se cogner sur les doigts avec le marteau.

[215]    Lorsqu’il est questionné sur l’utilité de ranger ces outils dans un endroit verrouillé quand ceux-ci sont souvent utilisés sur une terre et que son père était bien souvent absent pour le travail, il mentionne maintenant que c’est parce qu’il se faisait voler ses outils et non pas parce que ces outils étaient dangereux. L’accusé ajuste ses réponses au fur et à mesure des questions qui lui sont posées.

[216]    Comment croire l’accusé lorsqu’il raconte que des cordes pour le foin pouvaient se trouver dans le hangar à outils parce que celles-ci étaient trop dangereuses. Il va même jusqu’à dire : « ils auraient pu se pendre ». L’accusé cherche à tout prix à nier s’être retrouvé dans le hangar à outils, ne serait-ce qu’à une seule reprise, pour y jouer avec les enfants Desbiens ou l’un de ceux-ci.

[217]    Il tente aussi d’établir qu’il n’a jamais eu accès à des cordes pour le foin. Une fois de plus, il aurait été facile et logique pour ce dernier d’admettre qu’au cours de toute son enfance, il aurait pu lui arriver d’y entrer et d’y jouer. Il n’y avait d’ailleurs aucun mal, mais l’accusé se sent coincé.

[218]    Au surplus, comment l’accusé peut-il être aussi catégorique lorsqu’il dit qu’il n’y a jamais eu de tournevis dans le hangar à outils étant donné qu’à la maison, il n’y avait rien à visser. Il y avait uniquement des clous. En fait, il ne dit pas qu’il pense qu’il n’y avait pas de tournevis, il est catégorique qu’il n’y en a jamais eu.

[219]    Comment peut-il être si catégorique de l’absence d’un outil dans un petit bâtiment ayant existé il y a plus de 50 ans? L’accusé cherche, sans succès, à nier avoir été en possession de cet outil ou simplement d’en avoir eu accès, ce qui n’aurait pas été en soi anormal.

[220]    Sa version n’est pas plus crédible lorsqu’il mentionne qu’à cet endroit il n’y avait pas d’établi pour ranger les outils, ceux-ci étaient plutôt déposés au sol. En réalité, tel que mentionné précédemment, il n’a jamais eu accès à des clous, à des cordes de foin, de même qu’à un tournevis. Il ne se serait jamais retrouvé seul avec l’un des enfants Desbiens dans l’un des bâtiments situés à l’arrière de la résidence familiale. Il cherche, de façon malhabile, à contrecarrer ou à semer le doute sur la version donnée par les plaignants. Sur ce point, le Tribunal conclut que le témoignage de l’accusé n’est pas sincère et encore moins fiable.[22]

[Référence omise]

[42]        L’appelant explique que ces aspects de son témoignage sont secondaires à la solution du litige et dénote la capacité du juge à le discréditer afin d’obtenir un verdict correspondant à sa vision des choses. Ses réponses aux questions doivent être replacées dans leur réalité de temps et de lieu, c’est-à-dire un endroit où vivaient de nombreux enfants.

[43]        Je suis d’avis que l’appelant ne démontre pas que le juge a commis une erreur révisable sur cet aspect. Il a apprécié sa crédibilité en se fondant sur l’ensemble de son témoignage et a étoffé sa conclusion de nombreux exemples lesquels, pris individuellement, ne pourraient peut-être pas affecter celle-ci, mais qui, examinés dans l’ensemble, permettaient au juge de conclure comme il l’a fait.

[44]        Le juge mentionne par ailleurs que l’appelant a eu des hésitations lorsqu’il était interrogé sur la fréquence de ses visites à Saint-David-de-Falardeau. Ces hésitations s’ajoutent à toutes les autres notées par le juge et l’amènent à conclure que le témoignage de l’appelant n’est pas fiable[23].

[45]        L’appelant fait valoir que ses hésitations ont été rares et que ce commentaire du juge est incompatible avec son comportement lors de son témoignage.

[46]        Nous sommes ici au cœur du travail d’appréciation qu’a à faire un juge de première instance. Pour déterminer s’il y a des hésitations ou non, il faut entendre et voir le témoin. Il est bien difficile, sinon impossible en appel, d’apprécier cet aspect et cela illustre pourquoi une cour d’appel doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’appréciation de la crédibilité des témoins par un juge de première instance.

[47]        Par ailleurs, l’appelant argue qu’il lui était impossible de se rendre à Saint-David-de-Falardeau une fois par semaine, comme il l’a d’abord affirmé à l’enquêteur Gauthier. Or, ce que le juge retient, ce n’est pas le nombre de fois où il se rendait chez ses parents, mais plutôt que les versions contradictoires données aux policiers et au procès affectent la fiabilité de son témoignage[24]. Cet argument ne peut donc être retenu.

[48]        L’appelant plaide en outre que le juge a erré en déclarant que l’explication fournie relativement à la photo D-1 affecte sa crédibilité. Le juge mentionne ceci :

[223]        Dans un autre ordre d’idées, lorsqu’en contre-interrogatoire on demande à l’accusé de prendre connaissance de la pièce D-1 (photographie de six enfants près d’une corde de bois), ce dernier justifie que celle-ci fut prise par un photographe à la suite de la naissance du 26e enfant de sa famille afin de souligner cet événement exceptionnel dans le journal.

[224]        Sur cette pièce D-1, on reconnaît deux des enfants Desbiens (Jean-Marc et Richard), David Savard, le frère de l’accusé, Christian Deschênes, ami de l’accusé, l’accusé et Marcel Savard aujourd’hui décédé. Les parents n’y apparaissent pas de même que le nouveau-né. Le Tribunal se permet de douter que cette photographie fût prise pour l’annonce du dernier enfant de la famille Savard et la rendre publique.

[225]        Or, si cela avait été le cas, nul doute que les parents et le nouveau-né auraient apparu sur la photographie et l’ami de la famille n’y serait pas. Une fois de plus, pris isolément, cela ne suffirait pas à écarter le témoignage de l’accusé, mais pris dans son ensemble, cela affecte sa fiabilité.[25]

[Je souligne]

[49]        L’appelant a raison de souligner que le juge n’aurait pas dû retenir cette partie de son témoignage pour évaluer sa fiabilité. Il est exact que l’on ne voit pas ses parents sur cette photo qui aurait été prise, selon lui, à l’occasion de la naissance du 26e enfant de la famille. Toutefois, ce fait ne rend pas impossible que le photographe ait pris une photo de plusieurs autres enfants lors de sa visite. Cette erreur n’est toutefois pas déterminante puisque le juge avait plusieurs motifs différents pour ne pas croire l’appelant.

[50]        Avec égards pour l’opinion contraire, je conclus que le juge n’a pas erré en ne retenant pas le témoignage de l’appelant.

b)      L’écoulement du temps et le maintien des liens affectifs entre l’appelant et les plaignants

[51]        L’appelant estime que le juge aurait dû tenir compte de l’écoulement du temps depuis les événements, soit plus de 40 ans, pour évaluer la crédibilité des plaignants.

[52]        Cet argument n’est pas fondé. Il est fréquent que des victimes ne dénoncent pas les agressions subies avant plusieurs années. La Cour suprême s’est exprimée clairement à ce sujet dans l’arrêt R. c. W. (R.) :

    Enfin, la Cour d'appel s'est fondée sur le fait qu'aucune des deux enfants plus âgées n'était [Traduction] «consciente que quelque chose d'inconvenant s'était produit ou ne s'en préoccupait, ce qui, en réalité, est le meilleur critère quant à la nature des actes.» Il faut en conclure qu'elle s'est appuyée sur l'opinion stéréotypée mais douteuse qu'il est probable que les victimes d'agression sexuelle dénonceront ces actes, un stéréotype qui a trouvé expression dans la doctrine aujourd'hui mise de côté de la plainte immédiate. En fait, selon la documentation sur le sujet, c'est plutôt le contraire qui serait vrai; en réalité, il arrive fréquemment que les victimes d'abus ne dénoncent pas celui-ci, et si elles le font, ce n'est peut-être pas avant un long moment. Quoi qu'il en soit, la Cour d'appel a commis une erreur en concluant qu'aucune plainte n'avait été portée. En fait, les deux filles plus âgées se sont plaintes à leur mère; S.W. au sujet de l'intimé qui s'étendait dans le lit avec elle, et M.W. et S.W., il semble, quant à la façon dont il luttait avec elles.

    En résumé, la Cour d'appel était à juste titre préoccupée par la qualité de la preuve, et elle l'a, à bon droit, réexaminée et réévaluée dans une certaine mesure. Toutefois, elle est allée trop loin en y décelant des lacunes inexistantes et en lui appliquant une norme stricte et critique, qui paraît avoir accordé insuffisamment de poids aux conclusions sur la crédibilité tirées par le juge de première instance. La Cour d'appel paraît avoir été influencée par les anciens stéréotypes relatifs à la non-fiabilité intrinsèque des témoignages d'enfants et au comportement «normal»" des victimes d'agression sexuelle.[26]

[Je souligne]

[53]        L’écoulement du temps ne peut donc justifier à lui seul de ne pas retenir les témoignages de victimes d’agressions sexuelles. En l’espèce, le juge a tenu compte de toutes les circonstances et a considéré que cela n’affectait pas la crédibilité des plaignants. À mon avis, l’appelant n’a pas démontré qu’il a commis une erreur en décidant ainsi.

[54]        L’appelant reproche également au juge de ne pas avoir tenu compte du fait que les plaignants ont maintenu des liens affectifs avec lui au cours des 40 dernières années. Il soutient qu’il se trompe lorsqu’il affirme que les bonnes relations entretenues après les agressions alléguées ne l’auraient été qu’en raison du grand respect porté à Marcelle Imbeault et par convenance. Selon lui, cette conclusion n’est pas supportée par la preuve.

[55]        Le juge analyse cette preuve et il en tire les conclusions suivantes :

[230]    Également, l’accusé insiste beaucoup, tout comme son épouse, sur l’excellente relation entretenue avec les plaignants au fil des ans et après son mariage en 1968. Selon lui et son épouse, les plaignants l’ont visité à sa résidence et n’hésitaient pas à se confier à lui et à lui demander conseil. Il aurait même prêté de l’argent à certains.

[231]    Il énumère d’ailleurs avec beaucoup de détails leurs différentes rencontres comme preuve de cette bonne relation. Cette énumération n’est pas exhaustive, mais pour chacune des rencontres, il se dégage la nette impression de vouloir en tirer tout ce qui pourrait faire paraître leur relation normale.

[232]    En fait, la façon dont les victimes réagissent est souvent différente. Il n’y a aucune grille d’analyse qui existe en cette matière. Chaque cas est un cas d’espèce.

[233]    Dans ce cas-ci, la preuve révèle que les plaignants, longtemps après les gestes de nature sexuelle, ont rencontré l’accusé notamment lors de rencontres familiales, baptêmes, mariages, décès et périodes de congé prolongé. Ces rencontres étaient justifiées par le grand respect que les victimes portaient à l’épouse de l’accusé, souvent par convenance et souvent s’y sentant obligées.

[234]    On apprendra ensuite l’engagement que Conrad avait pris auprès de sa mère de ne jamais porter plainte avant son décès qui est survenu en 2008.

[235]    Ces éléments, pris dans leur ensemble, font en sorte que le Tribunal ne peut croire l’accusé lorsqu’il nie en bloc les accusations.[27]

[56]        Le juge ne commente pas chacun des éléments de preuve. Toutefois, il ressort bien, à la lecture de ses motifs, qu’il a compris la position de la défense, mais ne l’a pas retenue. Il n’avait pas à traiter de chaque aspect de la preuve[28].

[57]        L’examen de la preuve permet en outre de constater qu’il est inexact de soutenir, comme le fait l’appelant, que les conclusions du juge à cet égard ne sont pas compatibles avec la preuve. Conrad, Jean-Marc et Sylvie Desbiens ont en effet affirmé que leurs relations étaient plutôt distantes avec l’appelant :

·          Conrad affirme qu’il n’a pas eu de contact avec l’appelant au cinquantième anniversaire de mariage de ses grands-parents Savard[29] et que les Desbiens étaient froids avec ce dernier au décès de sa grand-mère en 1986[30];

·          Jean-Marc affirme que « c’était l’enfer » en parlant de sa relation avec l’appelant entre 1968 et 2009[31];

·          Sylvie affirme que, lors des réunions de famille, elle ne côtoyait pas nécessairement l’appelant, car les Desbiens et les Savard n’étaient pas assis à la même table[32].

[58]        Conrad explique également qu’il a invité l’appelant et sa conjointe à son mariage par respect pour sa mère et parce qu’il aimait beaucoup sa tante Marcelle Imbeault[33]. Sylvie, pour sa part, raconte qu’elle a accepté de garder les enfants de l’appelant parce qu’elle aimait également beaucoup sa tante Marcelle Imbeault. Ce sont les explications que le juge a retenues.

[59]        La convenance et le respect pour leur mère peuvent expliquer que certains liens aient été maintenus avec l’appelant au cours des années. La mère des plaignants ne voulait pas qu’ils portent plainte afin de ne pas « briser la famille ». Le juge pouvait conclure comme il l’a fait sur cette question.

[60]        À mon avis, il n’y a pas lieu non plus de retenir l’argument de l’appelant selon lequel le juge a erré en mentionnant, au paragraphe 232 de son jugement, que « la façon dont les victimes réagissent est souvent différente ». L’appelant soutient que cette assertion aurait dû s’appuyer sur un témoignage d’expert. Il cite, pour appuyer son propos, l’arrêt R. c. R. (D.) rendu par la Cour suprême en 1996 :

    Les appelants ont voulu obtenir d'autres renseignements du Dr Elterman relativement à ce que les plaignants lui avaient dit pouvoir se souvenir visuellement ou verbalement au sujet d'événements précis. Le juge du procès a empêché le Dr Elterman de témoigner au sujet des conclusions qu'il avait tirées sur la fiabilité du souvenir que les enfants avaient d'événements précis, concluant que cela reviendrait à usurper le rôle qui incombe à la cour de tirer des conclusions relatives à la crédibilité.

    Dans l'arrêt R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, notre Cour a examiné les principes à appliquer dans le cas d’un témoignage d'expert présenté pour expliquer le comportement humain. Le juge McLachlin affirme, au nom de la majorité, à la p. 249:

… il est de plus en plus largement reconnu que, si le témoignage d'expert sur la crédibilité d'un témoin n'est pas admissible, le témoignage d'expert sur le comportement humain et les facteurs psychologiques et physiques qui peuvent provoquer un certain comportement pertinent quant à la crédibilité, est admissible, pourvu qu'il aille au-delà de l'expérience ordinaire du juge des faits.[34]

[Je souligne]

[61]        Cette affaire se distingue de la nôtre. En effet, la Cour suprême se prononçait sur l’admissibilité d’une preuve d’expert. En l’espèce, le comportement des plaignants pendant les années qui ont suivi les agressions ne constitue pas nécessairement un sujet qui va « au-delà de l’expérience ordinaire du juge des faits ». Cet argument ne peut donc être retenu.

c)      Les autres témoignages en défense

[62]        L’appelant insiste également sur le fait que le juge n’a retenu aucun des témoignages en défense. À mon avis, le juge a bien expliqué pourquoi il en est venu à rejeter une partie ou l’ensemble de certains témoignages. Ce reproche est mal fondé.

[63]        Marcelle Imbeault, la conjointe de l’appelant, témoigne sur ses déplacements à Saint-David-de-Falardeau et ajoute qu’elle n’a pas entendu Linda raconter à sa grand-mère l’agression de l’appelant sur Raymond-Marie. Selon Mme Imbeault, cela ne s’est pas produit.

[64]        Le juge ne retient qu’une partie de son témoignage. Il est d’avis qu’elle confirme en grande partie la preuve du ministère public sur ses déplacements à Saint-David-de-Falardeau, mais il conclut de l’ensemble de la preuve qu’il y avait beaucoup de monde à la résidence familiale et qu’il est possible qu’elle n’ait pas reconnu Linda.

[65]        Avec égards, je ne peux partager l’avis de mon collègue le juge Chamberland lorsqu’il mentionne que Linda est affirmative sur le fait que Marcelle Imbeault ne peut pas ne pas l’entendre lorsqu’elle dénonce l’agression à sa grand-mère. Linda témoigne seulement du fait que Marcelle Imbeault était sur place et qu’elle n’a pas réagi lorsqu’elle a raconté à sa grand-mère l’agression qui venait de se produire. Son témoignage ne va pas plus loin :

R

Moi pis ma sœur on a parti en courant. On a ouvert la porte pis on a parti en courant chez grand-mère. On lui a dit ça. Mais ils nous creyaient pas. Ça fait que là on a parti dehors, c'est que tu veux qu'on dise.

Q

Pis quand vous dites on est allé chez grand-mère, ils nous creyaient pas on parle de qui Mme Desbiens?

R

Il y avait ma tante Marcelle qui était là, il y avait maman pis il y avait, il y avait grand-mère.

Q

Bon ma tante Marcelle pour bien situer le Tribunal on parle de Marcelle Imbeault?

R

Marcelle Imbeault la femme à mon oncle.[35]

 

[…]

Q

Donc à ce moment là vous dites que vous vous êtes dirigée chez votre grand-mère?

R

Oui.

Q

Et il y a des gens qui sont présents?

R

Oui.

Q

Ça se passe comment une fois à l'intérieur chez votre grand-mère?

R

Ben j'ai dit ça à ma grand-mère, pis à ma mère puis à ma tante pis ils me creyaient pas.

 

LA COUR:

Q

Un instant. Il y avait la grand-mère qui était là?

R

Oui.

Q

Il y avait votre tante Marcelle?

R

Marcelle Imbeault. Pis ma mère Antoinette Savard.

Q

Continuez.

 

ME MÉLANIE PARÉ,

PROCUREURE DE LA COURONNE:

Q

Pourquoi vous dites au Tribunal elles me, elles me creyaient pas? Qu'est-ce qui vous fait déduire ou comprendre qu'elles vous croyaient pas?

R

Parce que ma grand-mère elle a dit arrêtez donc de niaiser à des niaiseries de même, c'est ce qu'elle m’a, ce qu’elle m’a répondu. Ça fait que là j’ai retourné dehors.

Q

Ça c'est votre grand-mère?

R

Ma grand-mère qui disait ça.

Q

Votre mère elle fait quoi?

R

Elle fait rien.

 

LA COUR:

Q

Ça c'est votre grand-mère qui a dit ça?

R

Oui.

Q

Elle dit arrêtez de niaiser?

R

Arrêtez de niaiser avec des niaiseries de même.

 

ME MÉLANIE PARÉ,

PROCUREURE DE LA COURONNE:

Q

Votre sœur Gisèle à ce moment là, elle est où?

R

Elle était avec moi.

Q

Elle était avec vous?

R

Oui.

Q

Et votre tante Marcelle elle réagit comment?

R

Là elle a pas réagi là. Après moi j'ai parti dehors je peux pas dire ce qui s'est passé en dedans de la maison.[36]

 

[Je souligne]

[66]        Le juge pouvait également considérer qu’à cette époque, Marcelle Imbeault ait eu des difficultés à identifier Linda à l’époque. Elle explique qu’elle pouvait reconnaître la petite Manon, Richard et Jean-Marc. Pour les autres, c’était encore un petit peu confus[37]. Lorsqu’elle mentionne être capable d’identifier Linda à 100 %, comme le souligne mon collègue le juge Chamberland, c’est lorsqu’on lui exhibe une photo au procès[38].

[67]        L’appelant ne démontre pas que le juge a commis une erreur dans son appréciation de ce témoignage. Il pouvait tenir compte de toute la preuve administrée et ne retenir qu’une partie du témoignage de Marcelle Imbeault.

[68]        À l’audience devant la Cour, l’appelant a insisté sur le fait que le juge ne pouvait pas mettre de côté les témoignages de Jean-Baptiste Savard et Étienne Pouliot, lesquels, selon les plaignants, auraient également été agressés par lui. Or, ils sont venus affirmer n’avoir jamais subi d’agressions. Ces témoignages auraient dû soulever un doute raisonnable dans l’esprit du juge.

[69]        Le juge rejette le témoignage de Jean-Baptiste Savard car il considère, entre autres, qu’il y a une absence de distance évidente et de réserve en raison de son parti pris pour son frère. Il s’explique ainsi :

[250]    Ce témoignage est rejeté étant donné l’absence de distance évidente et de réserve manifestée en raison de son parti pris pour son frère.

[251]    D’ailleurs, il admet visiter l’accusé de 10 à 12 fois par année avec sa conjointe.

[252]    Inévitablement, on remarque son malaise et sa gêne. Ses traits de personnalité sont accentués lorsque vient le temps de discuter des gestes à connotation sexuelle. Il est frappant de constater qu’il se replie sur lui-même et baisse les yeux.

[253]    Il nie avoir été attaché et abusé sexuellement par l’accusé parce qu’à l’âge de 4 ans, il a été ébouillanté. « C’est impossible! », dit-il.

[254]    Par contre, il finit par admettre qu’à la suite de son hospitalisation, il a participé à des activités et joué à l’extérieur.

[255]    Cela témoigne d’un manque évident de fiabilité. Le fait d’invoquer son hospitalisation relève clairement chez lui un désir d’esquiver les questions ou de camoufler quelque chose.

[256]    Les mêmes conclusions s’imposent lorsque le procureur de la défense lui demande s’il a été abusé sexuellement lorsqu’il avait 5 ans, 6 ans, 7 ans ou 8 ans. Il répond que cela n’a pu arriver parce qu’à 7 ans, sa sœur l’a heurté avec sa voiture. Il est incapable de déterminer la période de son hospitalisation, il ne s’en souvient plus.

[257]    Autres éléments pour lesquels le Tribunal n’accorde aucune fiabilité à son témoignage, c’est lorsque le policier Gauthier, responsable de l’enquête, désire le rencontrer concernant des présumées agressions sexuelles à son endroit. Il lui répond que ce n’est pas vrai et qu’il ne veut rien savoir.

[258]    Or, pour le Tribunal, il donne deux réponses : une que ce n’est pas vrai et l’autre qu’il ne veut rien savoir. La dernière réponse laisse sous-entendre qu’il est arrivé quelque chose, mais il ne veut rien savoir d’en parler. Du moins, cette réponse est préoccupante et laisse perplexe. Une fois de plus, le témoin tente de camoufler quelque chose.

[259]    Conséquemment et pour toutes ces raisons, le témoignage de Jean-Baptiste Savard recèle plusieurs indices de partialité et soulève de nombreuses hésitations. Il ne soulève pas de doute raisonnable.[39]

[Références omises]

[70]        Contrairement à mon collègue le juge Chamberland, je ne vois pas d’erreur révisable dans la décision du juge de ne pas retenir le témoignage de Jean-Baptiste Savard. L’examen de l’interrogatoire et du contre-interrogatoire menés lors du procès permet de constater que son évaluation de ce témoignage repose sur la preuve.

[71]        Le juge n’a pas accordé un poids exagéré au fait que Jean-Baptiste soit le frère de l’appelant. Ses motifs doivent être lus comme un tout et font ressortir le fondement de sa conclusion de rejeter ce témoignage.

[72]        Quant au témoignage d’Étienne Pouliot, le juge a eu raison de ne pas le retenir. Il ressort clairement de celui-ci que M. Pouliot considérait comme gênant, humiliant et honteux le fait que Conrad a mentionné qu’il a été victime d’une agression sexuelle.

[73]        On comprend de ce témoignage qu’Étienne Pouliot ne voulait absolument pas que son nom soit associé comme victime dans cette affaire. C’est ce qui semble avoir motivé sa présence au procès et le juge pouvait en conclure que son témoignage ne soulevait aucun doute raisonnable.

***

[74]        En conclusion sur ce moyen d’appel, je suis d’avis que le juge n’a pas prononcé un verdict déraisonnable. Il a rendu un jugement étoffé dans lequel il a bien expliqué pourquoi il n’a pas cru l’appelant[40]. Un examen approfondi de la preuve démontre que le verdict de culpabilité est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire aurait pu rendre[41]. Il est raisonnable et compatible avec la preuve[42]. Le juge n’a commis aucune erreur qui serait de nature à entraîner un verdict déraisonnable. Il faut par ailleurs souligner que l’appelant a lui-même reconnu que les plaignants n’avaient aucun motif de lui en vouloir, autre que les agressions sexuelles dont ils l’accusent.

2)     Le juge de première instance a-t-il erré en droit en concluant à la culpabilité de l’appelant par son omission de considérer des éléments de preuve favorables à la défense?

[75]        L’appelant soutient que le juge a erré en droit en omettant de tenir compte des éléments de preuve favorables à sa défense. Il estime qu’il n’a pas considéré les contradictions, les incohérences et les invraisemblances dans les témoignages des plaignants. En somme, il n’a pas soumis la preuve de l’intimée au même degré d’examen que la sienne.

[76]        Si l’appelant avait raison sur ce point, il s’agirait d’une question de droit qui permettrait à la Cour d’intervenir. La Cour suprême énonce ainsi ce principe dans l’arrêt Harper :

    Un tribunal d'appel n'a ni le devoir ni le droit d'apprécier à nouveau les preuves produites au procès afin de décider de la culpabilité ou de l'innocence. Il incombe toutefois au tribunal d'appel d'étudier le dossier du procès pour déterminer si la cour a bien tenu compte de l'ensemble de la preuve se rapportant aux questions litigieuses. S'il se dégage du dossier, ainsi que des motifs de jugement, qu'il y a eu omission d'apprécier des éléments de preuve pertinents et, plus particulièrement, qu'on a fait entièrement abstraction de ces éléments, le tribunal chargé de révision doit alors intervenir. [][43]

[Je souligne]

[77]        Qu’en est-il?

a)      Le témoignage de Conrad Desbiens

[78]        L’appelant allègue que le juge a fait défaut de concilier les contradictions et de commenter les faiblesses du témoignage de Conrad. Selon lui, plusieurs éléments auraient dû affecter sa crédibilité et la fiabilité de son récit. Il mentionne ceux-ci :

·          Lorsqu’il a donné sa déclaration le 22 avril 2009, Conrad a mentionné qu’il y aurait de 70 à 80 victimes d’agression de la part de l’appelant;

·          À cette même occasion, il n’a pas parlé aux enquêteurs du fait que l’appelant lui a inséré un clou rouillé et une paille dans le pénis;

·          Il n’a pas crié (mais a pleuré) lorsque l’appelant lui a inséré un clou dans l’urètre;

·          Aucune preuve médicale n’atteste qu’il a eu le rectum déchiré après une agression et qu’un clou rouillé a été inséré dans son pénis;

·          Lors de son témoignage, il a d’abord mentionné que l’incident du clou rouillé lui a fait perdre un bout de son pénis, avant d’admettre que cette blessure ne provient pas de l’insertion du clou, mais bien d’un autre acte (qu’il ne décrit pas) commis par l’appelant;

·          Au procès, il n’est pas en mesure d’identifier formellement l’appelant sur la photo D-1[44] prise en 1959, soit une année avant le début des agressions;

·          Il situe une agression en 1965, alors qu’il avait dix ans, et ajoute que l’appelant était à ce moment en visite à Saint-David-de-Falardeau avec sa conjointe Marcelle Imbeault. Cette information est démentie par cette dernière, qui affirme s’être rendue chez les Savard pour la première fois en 1967.

[79]        Le juge s’est prononcé sur la crédibilité de Conrad, mais il n’a pas traité spécifiquement des éléments soulevés par l’appelant. On ne peut cependant conclure qu’en raison du fait qu’il ne s’est pas prononcé sur tous les facteurs qui l’amènent à déclarer l’appelant coupable, il doit y avoir une intervention de la Cour[45]. Le juge n’avait pas à réconcilier chacune des faiblesses du témoignage. Il a réglé la question des contradictions de la façon suivante :

[277]        Bien entendu, l’écoulement du temps et la mémoire humaine font en sorte que chez lui certains événements entraînent des contradictions ou des explications sur certains faits. Notamment, il explique que lorsqu’il décide de porter plainte en 2009, il part de Chibougamau pour se rendre à Chicoutimi et lors d’une rencontre avec une policière, il est stressé et énervé. Il dit avoir oublié plein de choses sur les événements à connotation sexuelle, raison pour laquelle il a fait une deuxième déclaration à l’enquêteur responsable du dossier. Ces explications sont crédibles et fiables.[46]

[Je souligne]

[80]        Par ailleurs, les motifs soignés et détaillés du juge indiquent les raisons pour lesquelles il a accordé de la crédibilité à Conrad. Il en traite à différentes reprises. Le juge mentionne notamment que ce dernier a confirmé « avec précisions chacun des événements »[47], qu’il a répondu « aux questions de façon claire, sans aucune réticence ni animosité envers l’accusé »[48] et qu’il a fourni des repères fiables quant aux événements de nature sexuelle[49].

[81]        D’autres reproches adressés au juge méritent également quelques commentaires.

[82]        L’appelant souligne que malgré le fait que la mère de Conrad soit décédée à l’automne 2008, ce dernier attend jusqu’en avril 2009 avant de porter plainte. Afin d’expliquer pourquoi il porte finalement plainte à ce moment, il invoque une apparition de sa mère et de sa grand-mère lui disant qu’il doit agir.

[83]        Le juge ne traite pas spécifiquement de cette explication sur le délai supplémentaire de six mois après le décès de sa mère. Toutefois, il explique pourquoi cela n’affecte pas la crédibilité de ce dernier :

[279]        Dans l’arrêt R. c. DD., la Cour suprême du Canada indique que le moment où une plainte est portée par un plaignant ne constitue qu’une seule circonstance à examiner dans la mosaïque factuelle d’une affaire en particulier. À lui seul, le retard à le faire ne peut être considéré négativement.

[280]        Il apparaît évident que Conrad Desbiens avait pris la décision « d’enfermer ses mauvais souvenirs dans un tiroir ». Cela est tout à fait compréhensible. Au départ, la honte et la gêne. Ensuite, les événements étant à ce point traumatisants, Conrad Desbiens en parle à sa grand-mère. Il reçoit une correction et cette dernière le qualifie de menteur. Il se confie à une enseignante lorsqu’il fréquente la 6e année; il n’y aura aucune suite. Finalement, sa mère lui demande de ne pas porter plainte pour ne pas briser l’unité familiale. Alors, qu’aurait-il pu faire de plus?

[281]        Le Tribunal n’a aucune hésitation à conclure que le délai entre les événements et le moment de la plainte n’affecte aucunement sa crédibilité.[50]

[Je souligne - Référence omise]

[84]        Le juge n’avait pas à traiter de la preuve dans les moindres détails, comme je l’ai déjà mentionné. Ses motifs concernant le long délai écoulé sont suffisants et permettent de comprendre son raisonnement.

[85]        L’appelant soutient également que Conrad a modifié sa déclaration deux ans après l’avoir donnée aux policiers. Le 30 mai 2011, il a fait une deuxième déclaration et a relaté deux autres agressions qui auraient eu lieu après 1964, alors que l’appelant avait atteint l’âge de 18 ans. Selon ce dernier, ce qui a motivé cette deuxième déclaration est le fait que Conrad a appris de son frère Jean-Marc, après sa première déclaration, que les événements survenus avant le 9 août 1964 ne pourraient mener à des condamnations car l’âge de l’appelant, au moment de la commission des infractions, faisait en sorte qu’il aurait dû être jugé par un tribunal pour adolescents.

[86]        Le juge a abordé la question de la deuxième déclaration. Il en traite au paragraphe 277 de son jugement que je cite de nouveau par commodité :

[277]        Bien entendu, l’écoulement du temps et la mémoire humaine font en sorte que chez lui certains événements entraînent des contradictions ou des explications sur certains faits. Notamment, il explique que lorsqu’il décide de porter plainte en 2009, il part de Chibougamau pour se rendre à Chicoutimi et lors d’une rencontre avec une policière, il est stressé et énervé. Il dit avoir oublié plein de choses sur les événements à connotation sexuelle, raison pour laquelle il a fait une deuxième déclaration à l’enquêteur responsable du dossier. Ces explications sont crédibles et fiables.[51]

[Je souligne]

[87]        La preuve n’indique pas que la deuxième déclaration résulte de l’information qu’aurait reçue Conrad de son frère Jean-Marc au sujet des agressions commises avant 1964. Ce qu’elle révèle plutôt, c’est que Conrad vivait un grand stress au moment de donner sa première déclaration. Il a témoigné avoir oublié « plein de choses ». Le juge a retenu ses explications et trouvé son témoignage fiable. L’appelant ne démontre pas qu’il a commis d’erreur révisable en concluant ainsi.

b)      Le témoignage de Jean-Marc Desbiens

[88]        L’appelant reproche au juge toute son appréciation de ce témoignage. Il souhaite que la Cour en refasse l’analyse et conclut que Jean-Marc n’est pas crédible. Plus particulièrement, il mentionne que la description de la première et de la dernière agression est embrouillée, confuse et invraisemblable. Il énumère également des contradictions et faiblesses qu’on retrouve dans le témoignage :

·          La taille et le poids de l’appelant par rapport à ceux de Jean-Marc, ainsi que le fait qu’il aurait dû utiliser ses deux mains pour introduire le clou, ce qui permet de douter que le plaignant n’ait pas réussi à se soustraire à l’agression;

·          Jean-Marc affirme n’avoir jamais parlé de ses problèmes urinaires - qu’il relie aux agressions - avec son médecin[52];

·          Il admet ne pas avoir dévoilé la dernière agression à la police au moment de faire sa déclaration et affirme qu’il s’en est souvenu uniquement quatre à cinq mois avant de rendre son témoignage;

·          Il admet s’être trompé quant au nombre d’agressions sexuelles qu’il a d’abord déclaré avoir subies;

·          Il affirme avoir été agressé sexuellement dans la chambre située au deuxième étage de la maison des Savard, endroit où il y avait plusieurs personnes qui circulaient;

·          Il mentionne que sa sœur Linda a elle aussi été victime d’abus, alors que celle-ci affirme le contraire;

·          Sa description de l’agression de Raymond-Marie comporte des invraisemblances;

·          Il se contredit dans son témoignage en affirmant d’abord qu’il a été témoin visuel ou auditif d’agressions commises à l’endroit de Conrad et Richard, pour ensuite énoncer le contraire.

[89]        Le juge n’a pas spécifiquement traité de tous les éléments soulevés par l’appelant. Il n’avait toutefois pas à le faire et ses motifs permettent de comprendre pourquoi il accorde de la crédibilité à Jean-Marc. Il s’exprime ainsi :

[284]    Jean-Marc Desbiens éprouve encore aujourd’hui beaucoup de ressentiment puisque lui, ses frères et sœurs n’ont pas été écoutés et crus lorsque jeunes ils ont dénoncé ces gestes.

[285]    Il ne fait d’ailleurs aucun reproche à qui que ce soit. Au contraire, il rend hommage à sa grand-mère Juliette, une femme généreuse, juste et sainte. Les paroles sont également élogieuses envers sa mère.

[286]    Non seulement il n’est pas contredit à l’intérieur de son contre-interrogatoire, mais confirme, persiste et précise chacun des événements.

[287]    Le récit sur les événements comporte de nombreux indices de véracité; il est cohérent et renferme des détails précis à l’opposé d’une histoire inventée ou relevant de la fabulation.

[288]    Bien entendu, l’écoulement du temps a fait son œuvre, mais les hésitations et les contradictions soulevées sont plus d’ordre technique ou temporel et entrent dans la catégorie des faits auxquels la Cour suprême du Canada nous met en garde d’une analyse trop rigide vu l’âge du plaignant à l’époque.

[289]    Par exemple, en contre-interrogatoire, il doit s’expliquer en lien avec sa déclaration faite aux autorités policières sur la fréquence des gestes sexuels. Malgré certaines hésitations, le Tribunal estime que cela est tout à fait normal et s’explique très bien dans le contexte des événements et de la dénonciation.

[290]    Il raconte avec émotions les moments difficiles de son enfance et celle de ses frères et sœurs en raison de l’état de pauvreté. Il dit : « on était pauvre, mais on a fait du monde quand même ». Le Tribunal est en accord.

[291]    Malgré ce qu’il a vécu, jamais il n’a manqué de respect envers l’accusé durant son témoignage. Lui aussi l’appelle toujours « mon oncle » et conserve le plus grand respect envers sa conjointe, Marcelle Imbeault.

[292]    Son frère Conrad lui apprend qu’il a porté plainte contre l’accusé et l’informe que les policiers communiqueront avec lui.

[293]    Il reconnaît que Conrad et ses frères et sœurs parlaient depuis longtemps qu’ils avaient été victimes d’agressions de la part de l’accusé, et ce en présence de leur mère, mais il n’en connaissait pas les détails. Ils avaient tous décidé de respecter le souhait de leur mère de ne pas dénoncer la situation à cause de la honte.

[294]    Son frère Conrad lui a demandé la permission de demeurer dans la salle d’audience durant son témoignage. C’est à ce moment-là qu’il apprendra pour la première fois ce qu’il a vécu.

[295]    Le Tribunal n’a donc aucune hésitation à conclure que n’eut été de l’initiative de Conrad Desbiens de s’adresser aux autorités policières, jamais Jean-Marc Desbiens n’aurait porté plainte, préférant garder pour lui ces mauvais souvenirs. Son témoignage est sans équivoque clair, précis et concordant. Le Tribunal le croit.[53]

[90]        Le juge tient compte des faiblesses et explique son raisonnement. En considérant de façon globale le témoignage de Jean-Marc, il a estimé que ce dernier était crédible et fiable. Je ne vois pas d’erreur dans cette conclusion.

c)      Le témoignage de Jean-Yves Desbiens

[91]        L’appelant soulève encore ici le fait que le juge n’aurait pas tenu compte d’éléments incohérents ou de contradictions. Or, il appert du jugement que le juge a analysé ce témoignage. Il a noté que Jean-Yves n’avait démontré aucun signe d’agressivité, d’animosité ou de ressentiment envers l’appelant. Il l’a jugé sincère et fiable[54]. Il s’explique ainsi :

[297]    Il est extrêmement nerveux, gêné et mal à l’aise lors de son témoignage, ce qui explique ses hésitations et ses difficultés à témoigner. Il affirme que c’est difficile pour lui, mais il faut que ça sorte, que ça se règle.

[298]        L’écoulement du temps ne l’empêche pas d’être précis sur les événements de nature sexuelle. Par exemple, il n’a que 5 ans lorsque les gestes posés par l’accusé débutent. Il se souvient que le premier événement a lieu en période estivale, en haut de la grange. Il maintient toujours la même version.

[299]        La crédibilité et la fiabilité de son témoignage ne sont jamais mises en doute lorsqu’il raconte les autres gestes survenus jusqu’à l’âge de 12 ou 13 ans.[55]

[92]        L’examen de la preuve ainsi que les constatations du juge permettent de comprendre qu’il fut difficile pour Jean-Yves de témoigner lors du procès. Cela peut expliquer le manque de clarté de certaines de ses réponses. Le juge a tenu compte de ce fait, mais a tout de même conclu qu’il était crédible et fiable. L’appelant n’a pas démontré que le juge avait commis une erreur révisable en retenant ce témoignage.

d)      Le témoignage de Linda Desbiens

[93]        Linda n’a pas été victime d’agression sexuelle. Elle est venue témoigner parce qu’elle a été témoin de celle subie par son frère Raymond-Marie décédé en 2003.

[94]        L’appelant relève des faiblesses dans ce témoignage, par exemple le fait que Linda a identifié Marcelle Imbeault sur la photo D-3 lors du procès, alors qu’il s’agissait plutôt de Marie-France Savard, sa sœur. À l’examen de la preuve, je note que c’est l’avocat de l’appelant qui a suggéré à Linda, lors de son contre-interrogatoire, qu’il s’agissait de Marcelle Imbeault. Le juge pouvait donc ne pas accorder de valeur à cette erreur d’identification.

[95]        Quant aux autres faiblesses du témoignage soulignées par l’appelant, elles ont été considérées par le juge dans son évaluation globale de celui-ci. Il a bien expliqué pourquoi il le considère crédible, sincère et fiable :

[314]        Elle répond aux questions de façon claire et précise, autant à celles posées par la poursuite que celles de la défense, et ce sans réticence et n’étant animée d’aucune animosité envers l’accusé. Son récit comporte de nombreux indices de véracité contrairement à une histoire inventée ou fabulée.

[315]        Avec le temps, elle a su pour ses frères, notamment Conrad, Jean-Marc et Richard, mais jamais elle ne tente d’obtenir plus de détails. Son témoignage permet de mettre en lumière qu’elle ne raconte pas ces événements de nature sexuelle par vengeance ou pour supporter les membres de sa famille ou pour une quelconque influence.

[316]        Les rapports qu’elle a entretenus avec l’accusé à la suite des événements, notamment d’avoir présenté sa conjointe à l’accusé et l’avoir côtoyé, n’affectent en rien sa crédibilité.

[317]        Pour toutes ces raisons, le Tribunal conclut qu’elle a livré un récit crédible, sincère et fiable. Au surplus, il est empreint d’émotivité, ce qui est tout à fait compréhensible avec ce dont elle a été témoin dans son enfance des gestes posés par l’accusé à l’endroit de son frère Raymond-Marie aujourd’hui décédé.[56]

[Je souligne]

[96]        Il n’est pas rare qu’un témoignage comporte des faiblesses, surtout quand il porte sur des événements qui se sont déroulés il y a plusieurs décennies, mais c’est le rôle quotidien d’un juge d’instance de l’évaluer et de l’apprécier dans sa globalité. Je suis d’avis que l’appelant n’a pas démontré en quoi il aurait erré dans son appréciation du témoignage de Linda.

e)      Le témoignage de Sylvie Desbiens

[97]        L’appelant fait les mêmes remarques au sujet du témoignage de Sylvie. Il souligne des incohérences quant à la période où ont eu lieu les agressions, leur nombre et le lieu où elles sont survenues.

[98]        Le juge considère que le témoignage de Sylvie est cohérent, sans contradiction ou dissemblance importante[57]. Il le juge crédible et convaincant et est d’avis qu’elle n’amplifie ni n’exagère les faits[58].

[99]        L’appelant souhaite refaire le procès en appel. Il voudrait que la crédibilité de chaque témoin soit revue et analysée en tenant pour acquis que même plus de 40 ans après les événements, les témoignages doivent être sans faille pour être retenus. Or, l’appréciation de la crédibilité est une tâche délicate qui repose sur plusieurs considérations. En l’espèce, le juge devait en outre tenir compte de l’âge qu’avait le témoin au moment des événements pour traiter des incohérences apparentes sur des questions connexes comme le moment ou le lieu[59]. C’est ce qu’il a fait en l’espèce.

[100]     Le juge a tenu compte de l’ensemble de la preuve pour apprécier la crédibilité de Sylvie et il explique bien pourquoi il a retenu ce témoignage[60]. L’appelant ne fait pas voir d’erreur révisable.

[101]     Ce moyen d’appel doit donc échouer. Le juge était conscient de certaines faiblesses dans la preuve de l’intimée, mais il a considéré qu’elles pouvaient s’expliquer en raison des nombreuses années écoulées depuis les événements, de l’âge des témoins au moment de ceux-ci ainsi que de leur nervosité et leur émotivité lors du procès. Aucun des éléments soulevés par l’appelant ne démontre que le juge a omis de considérer des éléments favorables à sa défense.

3)     Le juge de première instance a-t-il erré en rejetant la requête en arrêt des procédures pour défaut de divulgation de la preuve en temps utile selon les articles 7 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés?

[102]     L’appelant a présenté une requête en arrêt des procédures en vertu des articles 7 et 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[61].

[103]     Le 15 octobre 2013, Gisèle Desbiens, une sœur des plaignants, demande à l’enquêteur d’assister au témoignage de son frère Conrad. Après qu’elle eut affirmé qu’elle « ne savait rien », l’enquêteur la laisse entrer dans la salle. Quelques minutes plus tard, il lui demande de le suivre, la rencontre dans un local et lui pose quelques questions supplémentaires. Gisèle déclare alors qu’elle n’a été ni victime ni témoin des actes sexuels allégués. L’enquêteur lui indique qu’elle peut assister aux témoignages. Cette déclaration n’est pas communiquée à l’appelant.

[104]     Gisèle assiste donc aux témoignages de Conrad, Sylvie et enfin Linda Desbiens. À l’audience du 17 octobre 2013, Linda relate notamment un incident au cours duquel l’appelant aurait introduit un tournevis dans le pénis de son frère Raymond-Marie. En outre, elle affirme que sa sœur Gisèle aurait été témoin de cette agression. C’est alors que, pour Gisèle, plusieurs souvenirs refont surface. Ceux-ci sont de nature à corroborer le témoignage de Linda.

[105]     En fin de journée, l’enquêteur et l’avocate de l’intimée rencontrent Gisèle au sujet du témoignage de Linda. Gisèle leur explique qu’elle vient de se remémorer l’agression de Raymond-Marie dont elle a été témoin.

[106]     Le 18 octobre 2013, avant le début de l’audience, l’avocate de l’intimée avise l’avocat de l’appelant que Gisèle a manifesté la veille son désir de fournir sa version des faits relativement à l’événement relaté par Linda. Ce fait nouveau est par la suite dénoncé au juge du procès qui, de manière à permettre à l’enquêteur Éric Gauthier de rencontrer Gisèle pour obtenir une déclaration écrite, permet l’ajournement du contre-interrogatoire de Linda jusqu’au 17 décembre 2013.

[107]     Le 30 octobre 2013, l’appelant reçoit la déclaration écrite de Gisèle recueillie le 23 octobre.

[108]     Le 17 décembre 2013, dans le cadre d’un voir-dire, l’appelant présente une requête en arrêt des procédures reprochant à l’intimée de ne pas lui avoir communiqué en temps utile le fait que Gisèle a affirmé à l’enquêteur le 15 octobre 2013 ne pas avoir été témoin des agressions.

[109]     Le juge rejette la requête le 18 décembre 2013. Il conclut que l’intimée a manqué à son obligation de communiquer la déclaration verbale de Gisèle du 15 octobre, mais que l’avocate et l’enquêteur ont agi par inadvertance, sans intention stratégique quelconque. Il est d’avis que cette omission n’est pas de nature à choquer la conscience de la collectivité, ne porte pas préjudice à l’administration de la justice et n’entache pas l’équité du procès. Il ajoute que l’avocat de l’appelant savait depuis le début des procédures que Gisèle était présente lors de l’événement relaté par Linda. Il a omis de s’informer auprès de l’intimée à ce sujet et d’obtenir la communication des renseignements pertinents. Il s’agissait d’une décision stratégique. Pour le juge, le remède approprié, dans les circonstances, était l’ajournement du contre-interrogatoire de Linda.

[110]     L’appelant soutient que le juge a erré en rejetant sa requête. Les moyens énoncés par ce dernier, soit contre-interroger Linda et interroger Gisèle, n’étaient pas de nature à faire disparaître le préjudice subi en raison de l’omission de divulguer la déclaration de Gisèle. Cette dernière est devenue un témoin à charge en confirmant le témoignage de Linda sous plusieurs aspects. Il ne pouvait donc plus l’assigner comme témoin.

[111]     Il allègue également que le juge a mal interprété l’arrêt R. c. Dixon[62] en concluant que sa décision de ne pas tenter d’obtenir lui-même la divulgation de la preuve était stratégique. Selon lui, puisqu’il ne possédait aucune information concernant Gisèle, la situation se distingue de celle à l’origine de l’arrêt Dixon car, dans cette affaire, les appelants avaient en main un résumé des déclarations des témoins et ils avaient tout de même omis de demander la divulgation de la preuve au ministère public. Ce fut considéré comme un manque de diligence.

[112]     L’appelant ne remet cependant pas en question la conclusion du juge selon laquelle l’avocate de l’intimée et l’enquêteur ont agi par inadvertance, sans intention de tromper ou de cacher de l’information.

[113]     À mon avis, le juge a eu raison de conclure que l’intimée a violé le droit de l’appelant à la communication de la preuve en ne divulguant pas la déclaration verbale de Gisèle du 15 octobre 2013. Il s’agit d’une obligation constitutionnelle qui découle du droit d’un accusé à une défense pleine et entière, lequel est garanti par les articles 7 et 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés[63]. Il reste à déterminer si le juge a erré en affirmant que l’appelant n’a pas subi de préjudice irréparable et s’il a eu raison de conclure que le remède approprié était l’ajournement du contre-interrogatoire de Linda et non l’arrêt des procédures.

[114]     Je conclus que le juge n’a pas erré en décidant ainsi.

[115]     Si la déclaration du 15 octobre 2013 lui avait été communiquée en temps utile, l’appelant soutient qu’il aurait pris les mesures appropriées pour que Gisèle n’assiste pas aux auditions. Il laisse entendre qu’il aurait alors pu la faire témoigner. Toutefois, il savait depuis longtemps, en raison de la déclaration de Linda aux policiers, que Gisèle avait assisté à l’événement impliquant Raymond-Marie. Le juge a donc raison d’affirmer que l’appelant « savait ou aurait dû savoir que le Ministère public avait peut-être manqué à ses obligations en matière de divulgation »[64].

[116]     Comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt R. c. O’Connor[65], l’arrêt des procédures n’est approprié qu’en présence des deux critères suivants :

[…]

    (1)  le préjudice causé par l'abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue;

    (2)  aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice.

[117]     L’arrêt des procédures est le dernier ressort. On ne doit y avoir recours que lorsque tous les autres moyens acceptables pour protéger le droit d’un accusé à une défense pleine et entière ont été épuisés[66].

[118]     En l’espèce, je suis d’avis que l’ajournement était une réparation appropriée.

4)     Le juge de première instance a-t-il erré en refusant la production du témoignage verbal de Gisèle du 15 octobre 2013, repris dans son témoignage écrit du 23 octobre 2013, selon l’exception raisonnée à la règle du ouï-dire?

[119]     Enfin, l’appelant allègue que le juge a erré en refusant la production du témoignage verbal de Gisèle du 15 octobre 2013, repris dans son témoignage écrit du 23 octobre 2013, et ce, en vertu de l’exception raisonnée à la règle du ouï-dire. Selon lui, le juge aurait confondu les notions de « seuil de fiabilité » et de « fiabilité en dernière analyse ». En outre, il se serait mépris quant à la signification du critère de nécessité.

[120]     L’appelant a voulu scinder la déclaration écrite de Gisèle du 23 octobre pour n’introduire en preuve que la première partie, c’est-à-dire celle concernant la déclaration du 15 octobre. Un voir-dire a été tenu le 11 mars 2014 et, le 13 mars, le juge a refusé à la défense de produire, pour partie, la déclaration écrite du 23 octobre 2013.

[121]     Le juge conclut que les circonstances entourant la déclaration du 23 octobre 2013 présentent des garanties suffisantes de fiabilité, mais que la production d’une partie seulement de celle-ci ne franchit pas le seuil de fiabilité requis. La déclaration forme un tout indissociable. Quant au critère de la nécessité, il n’est pas satisfait puisque Gisèle est disponible pour rendre témoignage.

[122]     Selon l’exception raisonnée à la règle du ouï-dire, introduite par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Khan[67] et réaffirmée à plusieurs reprises, il est possible de faire admettre une preuve par ouï-dire qui ne relève pas d’une exception particulière à la règle d’exclusion, mais qui présente toutefois des indices suffisants de fiabilité et de nécessité[68]. Dans l’arrêt Cyr c. R.[69], notre Cour reprenait les principes sous-tendant cette exception tels que résumés par la Cour d’appel de Colombie-Britannique :

[57]      Ces principes ont été succinctement repris par la Cour d’appel de Colombie-Britannique dans le passage suivant de l’arrêt R. c. Post :

[47]    The Court [la Cour suprême dans Khelawon] restates much of what is now well settled law :

1.  A hearsay statement is an out-of-court statement adduced to prove the truth of its contents, in the absence of a contemporaneous opportunity to cross-examine the declarant.

2.  Hearsay evidence is presumptively inadmissible.

3.  It is inadmissible because generally it is not possible to test the reliability of a hearsay statement.

4.  A hearsay statement may be admitted for its truth if it is shown to be both necessary and reliable.

5.  Its reliability must be sufficient to overcome the dangers arising from the difficulties of testing it.

6.  The onus of establishing, on a balance of probability, both necessity and reliability is on the person who seeks to adduce the evidence.

7.  The overarching principle is trial fairness which embraces not only the rights of the accused, but broader societal concerns including truth as the goal of the trial process.

8.  There are two main ways of establishing reliability. The first is that because of the circumstances in which the statement was made, there is no real concern about the statement’s truth. This approach is embodied in traditional exceptions to the rule against hearsay such as dying declarations, spontaneous utterances, and statements against pecuniary interest.

9.  The second way of establishing reliability is because the statement’s truth and accuracy can be sufficiently tested. The optimal means of testing reliability is to have the declarant state the evidence in court, under oath, and subject to contemporaneous cross-examination. In some cases where the optimal means are unavailable, it will still be possible to sufficiently test the truth and accuracy of the evidence because of the presence of adequate substitutes, including (a) an oath or its equivalent; (b) an opportunity to observe the statement being made (e.g. a video); and (c) the opportunity to cross-examine the declarant on his or her earlier statement.

10.  Trial fairness requires consideration of factors beyond necessity and reliability. Even if those two factors are met, the trial judge has a discretion to exclude hearsay evidence where its probative value is outweighed by its prejudicial effect.

11.  The trial judge must also be satisfied on a balance of probabilities that the statement was not the product of coercion of any form, whether involving threats, promises, excessively leading questions by the investigator or other person in a position of authority, or other forms of investigatory misconduct.

12.  There is a distinction between threshold reliability (i.e. reliability sufficient to be admissible) which is a legal question for the judge; and ultimate reliability, which is a question for the trier of fact.[70]

[Je souligne]

[123]     Il y a lieu tout d’abord d’examiner si le critère de nécessité est satisfait en l’espèce. Ce dernier doit recevoir une application souple et être assimilé non pas à la disponibilité du témoin, mais plutôt à celle du témoignage[71]. En conséquence, lorsqu’un témoin revient sur une déclaration antérieure et la contredit, la nécessité est établie[72] puisque le témoignage relatif à cette déclaration n’est plus disponible.

[124]     En l’espèce, la déclaration du 15 octobre 2013 satisfait le critère de nécessité parce qu‘une preuve de même qualité, c’est-à-dire pour établir que Gisèle n’a jamais été témoin d’une agression sexuelle commise par l’appelant, n’est plus disponible.

[125]     Sur le critère de nécessité, je suis d’avis que le juge a commis une erreur en considérant que le témoignage de Gisèle était toujours disponible, même si elle ne nie pas, dans sa déclaration du 17 octobre 2013, avoir fait une déclaration antérieure. Les deux déclarations sont toutefois opposées. Dans la première, Gisèle mentionne ne pas avoir été témoin de l’agression alors que dans la deuxième, elle explique comment celle-ci s’est déroulée.

[126]     Toutefois, le juge a eu raison de conclure que le critère de fiabilité n’est pas satisfait si on scinde la déclaration écrite du 23 octobre 2013, laquelle contient les déclarations du 15 et du 17 octobre.

[127]     La Cour suprême explique ainsi, dans l’arrêt R c. Starr, la distinction entre le « seuil de fiabilité » et la « fiabilité absolue » :

    À cet égard, lorsque la fiabilité d’une déclaration est examinée selon la méthode fondée sur des principes, il importe d’établir une distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité absolue. Seul le seuil de fiabilité est pertinent relativement à l’admissibilité: voir Hawkins, précité, à la p. 1084. Là encore, il ne convient pas, dans les circonstances du présent pourvoi, de fournir une liste détaillée des facteurs qui peuvent influer sur le seuil de fiabilité. Toutefois, notre jurisprudence est utile dans une certaine mesure à ce sujet. Le seuil de fiabilité ne concerne pas la question de savoir si la déclaration est véridique ou non; c’est une question de fiabilité absolue. Il concerne plutôt la question de savoir si les circonstances ayant entouré la déclaration elle-même offrent des garanties circonstancielles de fiabilité. Ces garanties pourraient découler du fait que le déclarant n’avait aucune raison de mentir (voir Khan et Smith, précités) ou du fait qu’il y avait des mesures de protection qui permettaient de déceler les mensonges (voir Hawkins, U. (F.J.) et B. (K.G.), précités).[73]

[Je souligne]

[128]     Lorsqu’un juge examine l’admissibilité d’une déclaration, il n’a pas à se prêter à une analyse isolée, hermétique des déclarations, comme s’il n’en existait qu’une. Il peut avoir recours à l’ensemble de celles-ci pour décider de leur admissibilité. Notre Cour s’exprimait ainsi dans l’arrêt J.D. c. R. :

    En ce qui concerne l'obligation du juge du procès de décider de l'admissibilité, individuellement, de chacune des verbalisations, ce que plaide l'appelant en l'espèce, rappelons qu'il s'agit là de l'exercice auquel s'était livré le juge en chef Lamer dans l'arrêt SMITH sans toutefois prescrire cette façon de faire. La question de savoir s'il s'agissait de la seule façon correcte d'aborder une pluralité de déclarations demeurait donc ouverte. Les Cours d'appel de l'Ontario et de Terre-Neuve ont fourni une réponse.

    […]

    Donc, le juge du procès, à l'étape du voir-dire, doit déterminer l'admissibilité de chaque verbalisation, mais n'a pas à le faire une par une, en excluant de l'analyse qu'il fait d'une verbalisation, les autres verbalisations qu'il doit aussi analyser. Le juge n'a donc pas à se prêter à une analyse isolée, hermétique des déclarations, comme s'il n'en existait qu'une. Il lui est, au contraire, loisible d'avoir recours à l'ensemble des déclarations pour en examiner la fiabilité.[74]

[129]     Le juge pouvait donc examiner les déclarations conjointement pour déterminer l’admissibilité de l’une d’elles. Il s’agissait de la seule façon, dans les circonstances, d’évaluer le « seuil de fiabilité » de la déclaration du 15 octobre 2013. Ce faisant, il n’a pas confondu les notions de « seuil de fiabilité » et « fiabilité en dernière analyse » et il a eu raison de conclure que le critère de fiabilité n’était pas satisfait.

[130]     Pour ces motifs, aucun des moyens d’appel soulevés par l’appelant ne peut être retenu et je propose donc de rejeter l’appel.

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.



 

 

MOTIFS DU JUGE CHAMBERLAND

 

 

[131]     La présomption d’innocence est au cœur du système de justice pénale canadien. Il revient au ministère public de faire la preuve hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l’accusé.

[132]     Les événements à l’origine des accusations portées contre l’appelant en 2009 datent, pour l’essentiel, des années soixante. Ces accusations impliquaient cinq enfants de la même famille, quatre neveux et une nièce de l’appelant.

[133]     Au procès, la preuve des gestes à l’origine des accusations s’est limitée aux témoignages des plaignants, à l’exception de Raymond-Marie Desbiens, décédé en 2003, où la poursuite a fait entendre un frère et une sœur du défunt. La preuve de la défense reposait sur les témoignages de l’appelant, de sa conjointe (ils se sont mariés le 28 décembre 1968), de leurs trois enfants et, enfin, de son frère Jean-Baptiste Savard et de son neveu Étienne Pouliot, identifiés par Conrad et Jean-Yves Desbiens comme ayant été victimes et témoins des agressions de l’appelant.

[134]     L’appelant a nié tous les gestes à caractère sexuel reprochés.

[135]     Comme c’est souvent le cas dans ce genre d’affaire, les versions des plaignants sont diamétralement opposées à celles de l’appelant et des autres témoins de la défense.

[136]     La crédibilité est au cœur de cette affaire, comme le juge de première instance le note d’ailleurs dans sa décision (paragr. 4). Ceci est d’autant plus vrai ici qu’il n’y a aucune preuve confirmative des agressions reprochées à l’appelant, outre le fait que les versions des plaignants se recoupent sur plusieurs points. Ni rapport de police contemporain aux événements, ni rapport de visite à l’hôpital, ni rapport médical, ni témoignage de qui que ce soit auquel l’un ou l’autre des plaignants se serait plaint à l’époque, il y a quelque 50 ans.

[137]     Il est acquis qu’une cour d’appel doit faire preuve d’une grande déférence à l’endroit du juge qui était dans la position privilégiée de voir et d’entendre les témoins et d’apprécier leur crédibilité et la fiabilité de leurs propos.

[138]     Cependant, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, l’appelant plaide que le raisonnement du juge révèle des vices fatals au niveau de son analyse de la preuve, la Cour se doit de la réexaminer et de la réévaluer. Il ne s’agit pas de scruter à la loupe les motifs du juge, mais bien de les examiner afin de déterminer si une erreur justifiant l’annulation du verdict s’en dégage.

[139]     L’appréciation de la crédibilité relève avant tout du juge du procès, mais lorsqu’elle s’avère erronée, elle peut engendrer un verdict fragile qu’une cour d’appel a le devoir d’annuler. L’accusé est en droit de savoir pourquoi le juge écarte le doute raisonnable[75].

[140]     Les cas où une cour d’appel est justifiée d’intervenir en matière de verdict fondé sur la crédibilité des témoins sont peu nombreux. Mais, en tout respect pour l’opinion contraire, je crois que c’est le cas ici si nous voulons que les règles relatives à la présomption d’innocence et à l’exigence d’une preuve hors de tout doute raisonnable aient un sens. Je suis d’avis que les motifs énoncés par le juge pour rejeter les témoignages de l’appelant et des autres témoins de la défense, et conclure qu’ils ne soulèvent aucun doute raisonnable dans son esprit, sont peu convaincants et, parfois, entachés d’erreurs fondamentalement préjudiciables à l’appelant.

[141]     J’aborderai dans l’ordre les témoignages de Jean-Baptiste Savard (frère de l’appelant), d’Étienne Pouliot (son neveu), de Marcelle Imbeault (son épouse) et des trois enfants du couple et, enfin, de l’appelant lui-même. Mais avant, quelques brèves remarques.

[142]     Un mot sur l’appelant. Il est né le 9 août 1946. Il est le deuxième d’une famille de 26 enfants. Il est peu instruit et son vocabulaire, limité. Il a beaucoup de difficulté à exprimer ses idées de façon claire et précise. Il s’interroge souvent sur le sens des mots utilisés par l’enquêteur pour l’interroger. Il a quitté la maison familiale à 13 ou 14 ans pour aller travailler sur la Côte-Nord, occupant divers métiers jusqu’à sa retraite alors qu’il était, depuis 1973, concierge à la Commission scolaire de l’Estuaire de Baie-Comeau. Il est marié à une enseignante, Marcelle Imbeault, la sœur d’un collègue de travail et ami. Ensemble, ils ont eu trois enfants, deux filles et un garçon, qui ont été entendus au procès.

[143]     Dans les heures qui ont suivi son arrestation, le 9 septembre 2009, l’appelant a été soumis à un très long interrogatoire (près de trois heures, sans compter le temps consacré à la signature des documents relatifs à sa mise en liberté jusqu’à la comparution). Il suffit de lire la transcription de cet interrogatoire et d’en visionner l’enregistrement vidéo pour sentir l’intensité de l’exercice. Tout au long de l’interrogatoire, l’appelant a toujours nié avoir posé les gestes que les cinq plaignants lui reprochent.

[144]     La décision, prononcée quelques semaines après la conclusion du procès, est bien structurée et bien écrite. De toute évidence, le juge y a mis du temps. Ce n’est pas du travail bâclé. Ceci étant, et avec respect pour le juge de première instance, la facture impeccable de la décision ne doit pas nous distraire et faire oublier les failles de l’analyse.

Jean-Baptiste Savard

[145]     Conrad Desbiens est le troisième des neuf enfants de la famille Desbiens. Il est né le […] 1955. Il est le premier à porter plainte à la Sûreté du Québec, le 22 avril 2009, quelques mois après le décès de sa mère Antoinette Savard, la sœur de l’appelant. Les événements qu’il raconte débutent quand il a 5 ou 6 ans, donc à l’époque où l’appelant a 14 ou 15 ans. Ils se poursuivent jusqu’en octobre 1967.

[146]     L’un des événements survient lorsqu’il a 8 ou 9 ans, à la pêche au bord du ruisseau situé à l’arrière des résidences des familles Savard et Desbiens, à Saint-David-de-Falardeau, en 1963 ou 1964. À cette époque, l’appelant a 17 ou 18 ans. M. Desbiens est à la pêche avec son oncle Jean-Baptiste Savard, lorsque l’appelant, les attache tous les deux à un arbre, les bras en l’air, avant de poser plusieurs gestes à caractère sexuel (caresses, masturbation, fellation, pénétration par le rectum avec éjaculation, …).

[147]     Jean-Yves Desbiens est le cinquième des enfants Desbiens. Il est né le [...] 1959. Les événements qu’il raconte débutent quand il a 5 ans, donc à l’époque où l’appelant a 18 ans. Ils se poursuivent jusqu’à ce qu’il ait 12 ou 13 ans, soit, selon les chefs d’accusation, jusqu’à la fin 1971.

[148]     Les gestes que le témoin attribue à l’appelant couvrent une large gamme de gestes à caractère sexuel (caresses, attouchements, fellation, masturbation, insertion d’un « crayon à mine jaune » dans le pénis, …). Il dit s’être confié à sa grand-mère Savard, en présence de son oncle Jean-Baptiste Savard et de sa tante Céline Savard.

[149]     Jean-Baptiste Savard est le vingt-cinquième des 26 enfants Savard. Né le […] 1958, il avait 5 ou 6 ans lors des événements décrits par son neveu Conrad. Il nie que son frère Jean-Louis, l’appelant, ait posé quelque geste que ce soit à caractère sexuel, tant sur Conrad Desbiens que sur lui.

[150]     Il affirme également que l’histoire racontée par son neveu Jean-Yves Desbiens est fausse. Il nie avoir été témoin des confidences que celui-ci dit avoir faites à sa grand-mère Savard, ajoutant que, si cela avait été le cas, celle-ci ne se serait pas gênée pour punir son fils, « il aurait passé au cash certain », dit-il.

[151]     Jean-Baptiste Savard ne se contredira pas lors du contre-interrogatoire. De fait, les questions de la poursuite ne porteront pas sur le fond de son témoignage, mais sur des points plutôt périphériques.

[152]     Le juge de première instance rejette son témoignage, essentiellement parce qu’il est le frère de l’accusé. Il écrit avoir remarqué son malaise et sa gêne et constaté qu’il se repliait sur lui-même et baissait les yeux lorsque venait le temps de discuter des gestes à connotation sexuelle reprochés à son frère. Il affirme que son témoignage manque de fiabilité, d’une part, parce qu’il a référé à deux accidents dont il a été victime pour expliquer qu’il ne pouvait pas avoir été l’objet d’agressions sexuelles à l’âge de 7 ans et, d’autre part, parce qu’il aurait tenté de cacher quelque chose lorsque le policier responsable de l’enquête a communiqué avec lui.

[153]     Avec égards, les motifs que le juge donne pour rejeter le témoignage de Jean - Baptiste Savard et, surtout, pour conclure que ce témoignage ne soulève aucun doute raisonnable dans son esprit concernant la version de Conrad Desbiens et, en partie du moins, celle de Jean-Yves Desbiens ne convainquent pas du tout. Ils ne permettent pas à l’accusé, présumé innocent jusqu’à preuve du contraire hors de tout doute raisonnable, de comprendre pourquoi ce témoignage a été rejeté.

[154]     Dans l’arrêt R. c. Laboucan[76], la Cour suprême, sous la plume de la juge Charron, écrit :

[11] Le bon sens veut que l’intérêt d’un témoin dans l’issue de l’instance soit un élément pertinent à prendre en compte, parmi d’autres, dans l’évaluation de la crédibilité de son témoignage.  Le juge des faits ne devrait cependant pas accorder un poids exagéré à la situation d’une personne dans l’instance comme facteur de crédibilité.  Il serait erroné, par exemple, de faire reposer une conclusion relative à la crédibilité du témoignage d’un parent ou d’un conjoint uniquement sur la relation entre ce témoin et le plaignant ou l’accusé.  Il faut tenir compte de tous les éléments pertinents lorsqu’on évalue la crédibilité.

[155]     Le fait que Jean-Baptiste Savard est le frère de l’accusé et qu’il en résulte, selon le juge, une « absence de distance évidente » et un « parti pris pour son frère » (paragr. 250) ne saurait suffire pour rejeter son témoignage, au risque de placer l’appelant, et tout autre accusé dans la même situation, dans une position sans issue. En effet, suivant ce raisonnement, le frère, la sœur ou n’importe lequel des parents proches d’un accusé ne serait cru que s’il confirme les gestes reprochés à l’accusé. Dans le cas contraire, son témoignage sera rejeté (et ne soulèvera aucun doute raisonnable dans l’esprit du juge) en raison de l’« absence de distance évidente » ou de « parti pris » du témoin pour l’accusé.

[156]     Pourtant, en l’espèce, ce n’est pas l’appelant qui place son frère sur les lieux de deux événements (dont un d’une importance capitale) relatés par les plaignants. Ce sont les plaignants eux-mêmes. Quel autre choix a-t-il, dans ces circonstances, que de faire témoigner son frère? À mon avis, le juge commet ici une erreur qui entache l’ensemble de son analyse. J’estime que, même en les plaçant dans le contexte de l’ensemble des motifs qu’il exprime, les observations faites par le juge ont porté atteinte à la présomption d’innocence.

[157]     Il en va de même, selon moi, de l’analyse psychologique du comportement du témoin à laquelle se livre le juge. Il s’agit d’un exercice extrêmement périlleux dont mon collègue, feu le juge Michel Proulx, soulignait les limites en quelques phrases dans l’arrêt Cedras[77] :

Chaque être humain réagit différemment dans les moments de tension, et l'observateur doit se montrer prudent lorsqu'il se fait critique du comportement humain.  Un(e) accusé(e) qui choisit de témoigner ne s'engage pas dans un concours oratoire : « Justice does not descend automatically upon the best actor in the witness-box ». [Renvoi omis].

[158]     J’ajoute à ce commentaire empreint de sagesse et de prudence qu’il s’applique avec d’autant plus de pertinence lorsque, comme en l’espèce, les événements sont anciens et le témoin, peu éduqué.

[159]     Dans un arrêt plus récent, LSJPA  1521[78], mon collègue, le juge Vauclair, cite les propos du juge Proulx et rappelle « les pièges » liés à l’appréciation du comportement humain, surtout lors d’un témoignage, « un moment de tension ».

[160]     Les mêmes remarques valent pour les commentaires du juge concernant l’absence de fiabilité du témoignage de Jean-Baptiste Savard. D’abord, il faut se rappeler que le témoin est questionné sur des événements survenus il y a près de 50 ans, alors qu’il avait 5, 6 ou 7 ans, à la suite de plaintes portées en 2009, longtemps après les événements.

[161]     Le juge estime que le fait pour le témoin de référer aux deux longues hospitalisations qu’il a vécues à l’âge de 3 ou 4 ans et 7 ans « révèle clairement chez lui un désir d’esquiver les questions ou de camoufler quelque chose » (paragr. 255). Avec égards, après avoir lu et relu le témoignage de Jean-Baptiste Savard, je ne vois pas ce qui permet au juge de dire cela. J’y vois plutôt quelqu’un qui nie avoir été agressé sexuellement par son frère alors qu’il avait 4 ans et 7 ans et qui s’accroche à deux accidents dont il a été victime à l’époque pour confirmer sa conviction.

[162]     À l’âge de 4 ans (ou un peu moins), il s’est renversé un poêlon de liquide brûlant sur le corps. Il est demeuré à l’hôpital pendant huit mois avant d’être ramené à la maison par sa mère pour y être soigné. À l’âge de 7 ans, il s’est fait renverser par une automobile conduite par sa sœur Antoinette (la mère des enfants Desbiens), ce qui lui a valu une autre longue hospitalisation et la perte de presque toute une année scolaire. Ces deux longues hospitalisations et les soins qu’il recevait quotidiennement sont, dans sa tête, carrément incompatibles avec les agressions que, selon les plaignants, son frère aurait commises sur lui. Avec égards, je n’y vois pas le « désir d’esquiver les questions ou de camoufler quelque chose ».

[163]     Le juge analyse ensuite la réponse qu’il a donnée au policier qui, dans le cours de son enquête, lui demandait s’il avait été agressé sexuellement : « ce n’est pas vrai et je ne veux rien savoir ». Il y voit deux réponses, la première signifiant que les allégations sont fausses, la seconde, qu’il s’est bel et bien passé quelque chose, mais qu’il ne veut pas en parler. Le juge estime que cette seconde réponse est « préoccupante » et « laisse perplexe » et que « une fois de plus, le témoin tente de camoufler quelque chose » (paragr. 258).

[164]     Avec égards, l’interprétation que le juge fait de cet échange avec le policier et la conclusion qu’il en tire me laissent considérablement plus perplexe que les réponses du témoin elles-mêmes. La déclaration de Jean-Baptiste Savard est claire. Il nie avoir été victime d’agressions sexuelles. Quant au reste, c’est pure spéculation. Et, je le répète, on ne peut pas décider du sort d’un accusé, présumé innocent jusqu’à preuve du contraire hors de tout doute raisonnable, sur la base de spéculation.

[165]     La déclaration de M. Savard au policier dit ce qu’elle dit : il nie avoir été agressé sexuellement, il ne veut pas être mêlé à cette histoire. L’avenir lui donnera tort : son frère sera accusé, deux plaignants (Conrad et Jean-Yves) l’impliqueront dans autant d’événements distincts, il sera appelé à la barre des témoins et, de nouveau, comme il l’avait dit à l’enquêteur, il niera avoir été agressé sexuellement par son frère et avoir été témoin d’une agression sexuelle sur son neveu Conrad et des confidences de son neveu Jean-Yves à sa grand-mère Savard.

Étienne Pouliot

[166]     Dans son témoignage, Conrad Desbiens raconte un dernier événement survenu alors qu’il avait environ 10 ans, à l’automne, quelques jours après son anniversaire de naissance. Il jouait dans la grange avec son cousin Étienne Pouliot lorsque l’appelant s’est présenté. Il les a alors attachés à une poutre, avant de poser sur eux plusieurs gestes à caractère sexuel (caresses, masturbation, fellation réciproque, doigt dans le rectum et insertion d’une « paille » dans le pénis, …). Lorsqu’il en a parlé à sa grand-mère Savard, il s’est fait réprimander.  Lorsqu’il sera en 6e année, un an ou deux plus tard, il se confiera à une enseignante[79]. Il dit également avoir demandé à son cousin Étienne de ne pas en parler à la grand-mère parce qu’elle le traiterait assurément de menteur et qu’il aurait « une volée ».

[167]     Étienne Pouliot est le fils de Marguerite Savard, la sœur de l’appelant. Né le […] 1955, il avait le même âge que Conrad Desbiens, à quelques mois près. Il nie avoir été victime de gestes à caractère sexuel de la part de l’appelant ou témoin de pareils gestes posés sur son cousin Conrad Desbiens.

[168]     Étienne Pouliot ne se contredira pas lors du contre-interrogatoire, les questions portant surtout sur ce que sont, à son avis, les conséquences d’une accusation d’agression sexuelle tant pour l’accusé que pour la victime.

[169]     Le juge de première instance rejette son témoignage au motif que, même s’il avait été victime d’agression sexuelle de la part de l’accusé, il « aurait opté pour le silence » à cause du « caractère honteux et gênant » de telles accusations et pour ne pas « [perdre] son nom » (paragr. 272).

[170]     Avec égards, ce motif ne convainc pas du tout.

[171]     D’abord, je note que le juge y va d’une phrase étonnante lorsqu’il amorce son analyse du témoignage d’Étienne Pouliot. Il écrit, « En réalité, la défense cherche à attaquer la crédibilité de Conrad Desbiens et prétend qu’il aurait menti », laissant ainsi l’impression de reprocher à l’accusé de vouloir se défendre. Je ne vois pas ce qu’il y a d’incorrect pour un accusé de chercher à attaquer la crédibilité du plaignant et la fiabilité de son témoignage. Mais, peut-être n’est-ce qu’une phrase maladroite ou une mauvaise lecture de ma part! Je n’y attache donc pas d’importance.

[172]     Le juge s’étonne ensuite que M. Pouliot, ne faisant l’objet d’aucune accusation, se fasse « un devoir de témoigner devant le tribunal pour l’accusation que Conrad Desbiens lui aurait « envoyée » » (paragr. 270). Pourquoi? Après tout, à l’instar de Jean-Baptiste Savard, c’est Conrad Desbiens qui le place sur les lieux d’un événement et lui fait jouer un rôle important dans la séquence qu’il décrit au procès. En disant se faire un devoir, M. Pouliot ne fait que souligner l’importance de se présenter à la cour afin d’y contredire les accusations portées par M. Desbiens contre son oncle et l’impliquant personnellement.

[173]     Finalement, le motif invoqué par le juge - le seul véritable motif -, soit celui voulant que, même si M. Pouliot avait été victime d’agressions sexuelles de la part de son oncle, il ne le dirait pas, est troublant. De deux choses l’une, ou M. Pouliot a été victime ou il ne l’a pas été. Pourtant, peu importe la qualité apparente de son témoignage, le juge laisse entendre qu’il ne le croirait que s’il disait avoir été victime. En somme, le juge semble rejeter d’emblée toute réponse favorable à l’accusé. Il s’agit, à mon avis, d’une faille dans son raisonnement, une faille coûteuse pour l’accusé et contraire à son droit au bénéfice de la présomption d’innocence.

[174]     Pourquoi ne pas croire plutôt que M. Pouliot, à l’instar, je suppose, de tous les autres citoyens appelés à témoigner dans des affaires à connotation sexuelle, ferait passer son devoir de dire la Vérité avant l’inconfort personnel, bien humain, qu’il pourrait en ressentir? D’autant qu’en l’espèce, comme dans tous les dossiers semblables, le juge avait pris des mesures pour assurer la confidentialité des témoignages, interdisant de publier quelque information que ce soit qui permettrait d’identifier les témoins ou les victimes (art. 486.4 C.cr.).

Marcelle Imbeault

[175]     Mme Imbeault est la conjointe de l’appelant et la mère de leurs trois enfants. C’est son frère Alfred, un compagnon de travail de l’appelant à Manic V, qui les a présentés l’un à l’autre en octobre 1967. À l’époque, elle enseignait au primaire à l’école de Raguenau, sur la Côte-Nord. Les deux jeunes gens se sont fréquentés un an avant de se fiancer en juin 1968, puis de se marier en décembre de la même année. Les enfants Desbiens appréciaient beaucoup Mme Imbeault et la respectaient.

[176]     Son témoignage est important pour la défense dans la mesure où elle communique des informations pertinentes à partir de 1967, particulièrement en ce qui a trait à l’attitude des enfants Desbiens à l’égard de l’appelant pendant cette période, jusqu’au dépôt des plaintes en 2009, par rapport à la gravité des gestes qu’ils lui reprochent maintenant d’avoir posés sur eux.

[177]     Sa première visite chez les parents de l’appelant date de novembre 1967. Mme Imbeault témoigne du plaisir évident que les enfants Desbiens avaient à voir leur oncle et de la chaleur et de la convivialité qui se dégageaient de leurs échanges.

[178]     En juillet 1968, ils retournent à Saint-David-de-Falardeau pour y annoncer leurs fiançailles. Ils sont accompagnés du frère de Mme Imbeault, Alfred. Mme Imbeault témoigne à nouveau du plaisir que les enfants Desbiens et leur mère Antoinette ont à voir l’appelant. Ils viennent à lui, dira-t-elle, les grands comme les petits.

[179]     Contredisant ce qu’avait dit Linda Desbiens dans son témoignage, elle nie l’avoir entendue raconter à sa grand-mère Savard et à sa mère Antoinette que l’appelant, en sa présence et en présence de sa sœur Gisèle[80], avait agressé Raymond-Marie, notamment en introduisant un tournevis dans son pénis. Elle se dit convaincue que cette scène ne s’est pas produite. Elle ajoute que, sensible au bien-être des enfants, si cela était arrivé, elle n’aurait pas hésité à faire le nécessaire pour découvrir la vérité.

[180]     En juin 1969, l’appelant s’achète une première automobile. Au mois d’août, le couple visite les parents Savard à Saint-David-de-Falardeau. Mme Imbeault affirme que les enfants Desbiens sont toujours aussi chaleureux envers leur oncle Jean-Louis.

[181]     Les années passent. De 1971 à 1979, Mme Imbeault accouche de ses trois enfants. Les visites à Saint-David-de-Falardeau sont plus espacées, mais les relations avec les enfants Desbiens qui vieillissent et deviennent des adultes demeurent bonnes.

[182]     Les contacts avec la famille Desbiens cessent complètement à la suite du décès d’Antoinette Savard, le 22 octobre 2008.

[183]     Le juge de première instance ne rejette pas son témoignage, mais il en diminue considérablement la portée, au point de conclure qu’il ne soulève pas de doute raisonnable dans son esprit, tout en soulignant par contre qu’il confirme « en grande partie » (paragr. 238) la preuve de la poursuite.

[184]     Le juge attache de l’importance au fait que Mme Imbeault a reconnu ne pas avoir été « en présence constante » de l’appelant « 24 heures sur 24 » lors de leurs visites à Saint-David-de-Falardeau, laissant ainsi supposer que ce dernier pouvait profiter de son absence pour agresser les enfants. Pourquoi écrire cela alors que les réponses du témoin relèvent de l’évidence même? On peut se demander ce que le juge aurait dit de la crédibilité de Mme Imbeault, si, contre tout bon sens, elle avait affirmé avoir été en présence constante de son amoureux, puis de son conjoint, 24 heures sur 24, pendant chacun de leurs séjours chez les Savard à la fin des années soixante. Pourquoi ne pas avoir noté plutôt que personne, à part les plaignants[81], n’a été témoin des nombreuses agressions - certaines, d’une brutalité sordide (l’insertion d’une paille, d’un clou rouillé et d’un tournevis dans le pénis d’un jeune enfant) - alors que plein d’enfants, de tous les âges, et d’adultes étaient sur place? Pourquoi ne pas s’être étonné du fait que, si Linda disait la vérité, l’appelant aurait agressé son neveu Raymond-Marie alors que ses deux sœurs, Gisèle et Linda, se trouvaient tout juste à côté d’eux!

[185]     Concernant la plainte de Linda Desbiens à sa grand-mère Savard au sujet des agressions que son frère Raymond-Marie venait de subir aux mains de l’appelant, plainte que Marcelle Imbeault dit ne pas avoir entendue alors qu’elle était dans la maison avec Mme Savard mère et Antoinette Savard, le juge conclut qu’il est « probable » qu’elle ne l’ait pas entendue, non pas parce que la scène n’a jamais eu lieu (comme le soutient Mme Imbeault), mais parce qu’il y avait beaucoup de bruit dans la maison et que, à cette époque, Mme Imbeault avait des « difficultés à identifier Linda » (paragr. 244).

[186]     Ce que le juge écrit n’est pas impossible, mais, avec égards, cela ne correspond pas à la preuve faite au procès. Linda Desbiens est affirmative, quand elle entre dans la maison, accompagnée de sa sœur Gisèle, et qu’elle parle à sa grand-mère, Marcelle Imbeault ne peut pas ne pas l’entendre. Elle est sur place, tout près de Mme Savard. À l’avocat qui lui demande de confirmer que Mme Imbeault « ne pouvait pas ne pas entendre » ce qu’elle venait de raconter à sa grand-mère, Linda répond « c’est officiel parce qu’elle était là ». Quant à la possibilité que Mme Imbeault ait été incapable d’identifier Linda, la première témoigne du contraire, affirmant être en mesure d’identifier la jeune nièce de son conjoint « à cent pour cent (100 %) ».

[187]     Le juge conclut son analyse du témoignage de Mme Imbeault en disant que la « grande surprise » qu’elle a eue en prenant connaissance des plaintes portées contre son conjoint et les « bonnes relations » entretenues avec la famille Desbiens jusqu’à la mort de la mère Antoinette en 2008 ne suscitent pas de doute raisonnable dans son esprit quant à la culpabilité de l’appelant[82].

[188]     Il explique que les victimes d’agressions sexuelles réagissent bien souvent « de façon différente » (paragr. 246), que les plaignants ont été longtemps « sous une certaine forme d’emprise de l’accusé » parce qu’il était « le plus âgé » et que leurs plaintes à leur grand-mère et à leur mère leur avaient attiré incrédulité et réprimande (paragr. 265-266), qu’ils n’ont pas dénoncé leur oncle plus tôt par respect pour leur mère qui leur avait demandé de se taire (paragr. 267), que les visites des enfants Desbiens au domicile du couple Savard-Imbeault sur la Côte-Nord témoignent de l’affection et du respect qu’ils avaient pour Mme Imbeault (paragr. 247 et 268) et, enfin, que les rencontres de famille, au fil des ans, étaient des rencontres « de convenance » auxquelles les enfants Desbiens assistaient parce qu’ils « s’y sentaient obligés » (paragr. 248 et 268).

[189]     Tout cela est possible, mais, selon moi, cela en fait beaucoup dans un contexte où la présomption d’innocence doit être à la base de toute analyse. Par cette preuve, la défense cherchait à établir que le comportement des enfants Desbiens, pendant quelque 50 ans, était incompatible avec les agressions reprochées à l’appelant et, ainsi, s’ajoutant aux témoignages de l’appelant, de son frère Jean-Baptiste et de son neveu Étienne, de ses enfants Christine, Valérie et Pierre-Luc, soulevait un doute raisonnable.

[190]     Sur le tout, et avec égards pour le juge du procès, les raisons données ne permettent pas à l’appelant de comprendre pourquoi les témoignages de Mme Imbeault et de ses enfants n’ont pas été retenus.

Jean-Louis Savard

[191]     L’appelant a témoigné au soutien de sa défense. Il a longtemps été questionné sur son enfance, sur son départ de la maison à 13 ou 14 ans, sur ses relations sombres avec son père, sur ses expériences de travail, sur ses amitiés, sur ses amours avec Marcelle Imbeault, sur ses enfants et, enfin, sur ses liens avec la famille Desbiens. Il a nié, l’un après l’autre, tous les gestes à connotation sexuelle qui lui sont reprochés. Il a été soumis à un contre-interrogatoire serré de la part de l’avocate de la poursuite, mais il n’a pas bronché.

[192]     Le juge de première instance rejette son témoignage, ajoutant qu’il ne soulève aucun doute raisonnable dans son esprit.

[193]     Dans l’arrêt Gagnon, les juges Bastarache et Abella, s’exprimant pour la majorité, écrivent que « l’accusé est en droit de savoir pourquoi le juge du procès écarte le doute raisonnable »[83]. Voyons ce qu’il en est.

[194]     Comme premier motif - qualifié de non concluant, mais tout de même retenu à titre d’« indice supplémentaire s’ajoutant aux autres éléments de preuve incriminants » (paragr. 194) -, le juge retient l’absence d’émotion de l’appelant lorsque son avocat lui fait la lecture des chefs d’accusation et qu’il répond que tout cela est faux.

[195]     Il s’agit, selon moi, d’une erreur importante.

[196]     Dans l’arrêt Cedras, précité, la Cour émet de sérieuses réserves sur l’à-propos d’un commentaire du juge voulant que l’accusé ne soit pas crédible en raison de son comportement lors de son témoignage.

[197]     L’erreur est d’autant plus grave ici que la preuve démontre que, lors de son arrestation en septembre 2009, l’appelant avait encaissé très difficilement les accusations portées contre lui par ses neveux et nièces. Il ne comprenait pas. Mme Imbeault dira que cela avait été un choc « très, très fort, très, très déstabilisant, très, très éprouvant » pour son conjoint (et pour elle), ce que l’appelant confirmera lors de sa longue entrevue avec le policier Gauthier, le 9 septembre 2009, et lors de son témoignage au procès, quatre ans plus tard.

[198]     Si on veut s’arrêter aux émotions exprimées par un accusé, malgré le risque que cela comporte, il me semblerait plus juste pour lui de prendre en compte non seulement son comportement lors du procès quatre ans après le dépôt des accusations, mais également son comportement lorsqu’il apprend qu’il fait l’objet d’accusations criminelles et dans les heures qui suivent son arrestation, ce que le juge ne fait pas.

[199]     Comme second motif, le juge s’attarde à la déclaration faite par l’appelant à l’enquêteur Gauthier, au poste de police après son arrestation. Il conclut que l’appelant cherchait à cacher ses relations avec les enfants Desbiens lorsqu’il a dit ne pas les connaître. Il conclut également que l’appelant se contredit lorsqu’il dénigre les enfants Desbiens devant le policier Gauthier alors que, au procès, il dira que les accusations sont clairement mal fondées puisque ses relations avec les enfants Desbiens ont toujours été bonnes, du moins jusqu’au décès de leur mère en 2008. Le juge souligne ensuite ce qu’il considère être d’autres contradictions entre son interrogatoire et sa déclaration à l’enquêteur Gauthier et entre son interrogatoire et son contre-interrogatoire.

[200]     À vrai dire, et avec égards pour le juge de première instance, je trouve l’exercice pénible et peu convaincant, vu la personnalité de l’appelant, le passage du temps entre les événements et les accusations et le contexte dans lequel se déroule l’entrevue du 9 septembre 2009 avec le policier. Autant de facteurs dont le juge ne semble pas avoir tenu compte, à tort selon moi.

[201]     La défense a reconnu que la déclaration recueillie par les policiers le jour de l’arrestation était libre et volontaire. Cette admission règle la question de l’admissibilité de la déclaration, mais pas celle de sa force probante. À ce sujet, je souligne la durée de l’interrogatoire, plus de trois heures. L’appelant est peu instruit, il a de la difficulté à s’exprimer, il y a des mots qu’il ne comprend pas, le policier doit expliquer.

[202]     Le policier joue plus d’un rôle tout au long de l’entrevue. Tantôt il se présente comme un type à qui l’accusé peut se confier (le ton est amical, parfois même léger), tantôt il demande à l’appelant de répondre en faisant comme s’il était l’agresseur (le ton est celui d’un jeu), tantôt, enfin, il joue le policier qui sait tout, qui est convaincu de sa culpabilité et qui cherche la confirmation des informations colligées auprès des enfants Desbiens (il parle de 40-45 victimes, et plus) (le ton est plus brusque, insistant et parfois agressif).

[203]     L’appelant n’a pas d’avocat, mais en cours d’entrevue, il demande d’en consulter un (deux fois plutôt qu’une), l’interrogatoire se poursuit quand même, on lui dit d’attendre qu’il ait quitté les lieux pour parler à un avocat (au minutage 2:23.30 et 2:33.32).

[204]     Tout cela pour dire qu’il faut être prudent lorsqu’il s’agit d’isoler une phrase de son contexte et de l’opposer à ce que l’appelant a dit au procès, quatre ans plus tard. Chose certaine, tout au long de l’entrevue du 9 septembre 2009, même dans les moments où la tension est à son maximum, l’appelant nie avoir posé quelque geste à caractère sexuel que ce soit sur ses neveux et nièces Desbiens.

[205]     Le juge écrit avoir eu l’impression que l’appelant voulait ajuster son témoignage au fur et à mesure des questions posées. Avec égards, je suis d’avis qu’il s’agit d’une erreur déterminante. J’ai lu (et visionné) l’interrogatoire de l’appelant avec le policier Gauthier, tout comme j’ai lu la transcription de son témoignage au procès, et, sur l’essentiel, il n’a pas modifié ses réponses depuis son arrestation. Il nie toujours avoir posé quelque geste que ce soit à caractère sexuel sur les enfants Desbiens et il témoigne avoir eu de bonnes relations avec eux jusqu’au décès de leur mère, en 2008.

[206]     Le juge écrit que l’appelant était « mal à l’aise et dans l’embarras » (paragr. 209), même lorsqu’on lui posait des questions simples et banales, par exemple, lorsqu’on lui demandait s’il lui était déjà arrivé d’être seul avec l’un des enfants Desbiens dans ou derrière la grange ou un autre bâtiment. Il conclut que l’appelant évite ainsi de répondre à une question claire.

[207]     Je ne suis pas certain que le juge a raison d’y voir quelque réticence que ce soit de la part de l’appelant. Après tout, il s’agit d’événements survenus il y a près de 50 ans sur un lopin de terre où étaient construites deux maisons habitées par deux familles nombreuses, tant chez les Savard que chez les Desbiens. Bref, la réponse n’est peut-être pas aussi simple qu’il y paraît à première vue.

[208]     Par ailleurs, même si le juge avait raison d’y voir le signe d’un certain embarras, je suis d’avis que cela ne devrait pas être retenu contre l’appelant. Après tout, il est accusé d’infractions graves commises sur des enfants, sans aucune preuve confirmative autre que les plaignants eux-mêmes (aucun témoin visuel ou auditif des agressions, aucun rapport d’hôpital ou de médecin pour attester des conséquences physiques ou autres des agressions sur les enfants). Bref, c’est sa parole contre celle des plaignants! Dans ce contexte, on peut comprendre qu’il hésite à dire qu’il a déjà été seul avec les enfants même si, comme le souligne le juge, cela aurait été tout à fait normal. Je ne crois pas que cette hésitation bien naturelle justifie de rejeter son témoignage. D’ailleurs, l’appelant n’a pas nié l’évidence, soit qu’il lui était arrivé de jouer avec les enfants et de se retrouver seul avec l’un ou l’autre d’entre eux, ce que le juge reconnaît d’ailleurs (paragr. 209).

[209]     L’exercice du procès est généralement un exercice stressant pour tous ceux qui ont à le vivre. C’est encore pire pour les gens qui, comme l’accusé, sont peu instruits et maîtrisent mal la langue dans laquelle ils témoignent. À lire les transcriptions, on comprend que l’appelant peine à décrire les événements, à exprimer ses émotions. Pourtant, on ne fait rien pour le mettre à l’aise, sauf quand il s’agit de lui permettre de s’asseoir pour témoigner. C’est ainsi qu’on le reprend lorsqu’il tutoie l’avocate de la poursuite ou en parle en disant « elle ». On le reprend également quand, nerveux, il dit « maître » en s’adressant au juge, on lui dit de dire « M. le juge ». On se moque un peu de lui quand il explique avoir eu peu de vacances et, donc, peu d’occasions de se rendre à St-David-de-Falardeau en raison de ses horaires de travail dans les années suivant son départ de la maison familiale. Enfin, les questions qu’on lui pose sont souvent interminables, et à tiroirs, au point qu’à un certain moment il dit ne pas savoir « quelle question vous répondre ». Rien de tout cela n’a été fait de façon malveillante, j’en suis convaincu, mais il faut tout de même tenir compte de cette réalité avant de décortiquer le témoignage de l’appelant à la recherche de contradictions, d’hésitations ou de louvoiements de sa part.

[210]     À cet égard, il me semble que certaines des contradictions relevées par le juge n’en sont pas vraiment. Je prends l’exemple des outils. Selon l’appelant, la porte de la remise où étaient rangés les outils était verrouillée parce qu’ils étaient dangereux ou susceptibles de se faire voler. Il ajoute qu’il n’y avait pas de tournevis chez eux en raison du prix plus élevé des vis par rapport à celui des clous. Le juge voit dans les réponses de l’appelant une « façon malhabile » de semer le doute sur la version des plaignants (paragr. 220).

[211]     Pourtant, les réponses de l’appelant ont un sens. À la question de savoir si les outils de jardinage étaient sous verrou, il répondra non, précisant que son père ne gardait que les outils dangereux sous verrou. À la question de savoir quel est l’intérêt de posséder des marteaux s’ils sont rangés dans un endroit fermé à clef, il répond que son père agissait ainsi pour éviter qu’ils soient volés (ou qu’ils disparaissent). L’appelant explique enfin que son père rangeait également les cordes qui servent à attacher le foin dans la partie sous clef du hangar parce qu’il craignait qu’un enfant se pende en en faisant un usage malhabile.

[212]     Le juge affirme ne pas croire l’appelant lorsque ce dernier mentionne qu’il n’y avait pas d’établi pour ranger les outils dans le hangar, ceux-ci étant déposés sur le sol. Pourtant, ce n’est pas ce que l’appelant dit. Il a plutôt affirmé que les petits outils étaient rangés dans des coffres d’une hauteur d’environ un pied et demi; ce que le juge avait pourtant noté.

[213]     De toute manière, tous ces éléments de preuve, qui relèvent de la vie quotidienne des Savard, il y a 50 ans, sont bien secondaires par rapport à ce qui constitue le cœur du litige. Le juge les utilise tout de même pour discréditer la version de l’appelant en ce qui concerne l’essence même des accusations.

[214]     En défense, l’appelant a produit plusieurs photographies dont l’une le montrant, ainsi que cinq autres enfants, près d’une corde de bois en hiver. L’appelant se souvient que la photographie a été prise par le photographe d’un journal local à la suite de la naissance du vingt-sixième enfant de la famille Savard. Le juge doute que ce soit le cas. Pourquoi? Parce que, écrit-il, les parents et le nouveau-né n’apparaissent pas sur la photographie et parce que, si cela avait été le cas, Christian Deschênes (un ami de l’appelant) ne serait pas sur la photo.

[215]     Tout cela n’est, selon moi, que spéculation au détriment de l’appelant puisque, même si le juge prend soin de dire que cet élément ne suffit pas à écarter le témoignage de l’accusé, il continue en écrivant que « pris dans son ensemble, cela affecte sa fiabilité », dans un dossier où, je le répète, tout tourne autour de la crédibilité des témoins entendus de part et d’autre. Cette photographie n’est peut-être qu’une des nombreuses photographies prises par le photographe du journal ce jour-là. Le juge semble également ignorer l’explication donnée par l’appelant voulant que sa mère ait été incapable de sortir de la maison, ce qui est fort plausible vu les conditions hivernales dans lesquelles la photo fut prise.

[216]     Le juge se penche enfin sur la question des relations entre l’appelant et la famille Desbiens, avant et après son mariage avec Mme Imbeault. Il explique le comportement en apparence amical et chaleureux des enfants Desbiens à l’égard de l’appelant (et de sa conjointe) en fonction de facteurs très subjectifs, souvent incompatibles avec la preuve. Il affirme que « ces rencontres [rencontres familiales, baptêmes, mariages, décès et période de congé prolongé] étaient justifiées par le grand respect que les victimes portaient à l’épouse de l’accusé, souvent par convenance et souvent s’y sentant obligés » (paragr. 233). Pourtant, à moins d’erreur de ma part, personne n’a témoigné se sentir « obligé » de fréquenter l’appelant et sa famille. De plus, malgré la distance à parcourir, quelques-uns des enfants Desbiens se rendront chez l’appelant, à Ragueneau, sur la Côte-Nord, pour les informer d’événements majeurs dans leur vie (un nouveau conjoint, un mariage, un baptême, etc.).

[217]     Dans R. c. R. (D.)[84], la Cour suprême rappelle que l’erreur de droit commise par le juge du procès, sans avoir la gravité suffisante pour rendre le verdict déraisonnable, peut néanmoins justifier l’annulation du verdict et la tenue d’un nouveau procès. C’est, selon moi, le cas ici. L’analyse de la crédibilité de l’appelant, et des autres témoins de la défense, est entachée d’erreurs qui affectent le raisonnement dans son entier. Je pense ici plus particulièrement à Jean-Baptiste Savard, dont le juge écarte le témoignage en raison du poids exagéré qu’il accorde au fait qu’il est le frère de l’appelant et du « parti pris » qui en résulte. Ou, au neveu Étienne Pouliot, dont le juge rejette le témoignage parce que, même s’il avait été la victime de son oncle, il « aurait opté pour le silence » en raison de la honte ou de la gêne qu’il associe au fait d’être la victime d’un crime à caractère sexuel. Ces failles dans l’analyse de la crédibilité des témoins de la défense portent atteinte à l’intégrité du verdict et constituent, selon moi, un risque sérieux d’erreur judiciaire.

[218]     Les erreurs du juge relèvent de la façon dont il a analysé la crédibilité de l’appelant, et des autres témoins de la défense, et non de la légalité de la preuve faite par la poursuite. Or, cette preuve existe et il n’y a pas de doute que, mis à part les erreurs commises par le juge, elle aurait pu mener à la condamnation de l’appelant.

[219]     Pour toutes ces raisons, et avec égards pour l’opinion contraire, je propose d’ordonner la tenue d’un nouveau procès, et ce, malgré le passage du temps et les inconvénients liés à la tenue d’un second procès.

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[NDLE : L’ordonnance de non-publication émise dans ce dossier est présentement levée.]

 



[1]      R. c. Savard, AZ-51117846, 2014 QCCQ 10256 [Jugement sur la culpabilité].

[2]     L’appelant a donc atteint 18 ans le 9 août 1964.

[3]     À plusieurs endroits dans les motifs, et lorsque cela est possible sans qu’il y ait confusion, seuls les prénoms sont utilisés à la seule fin d’alléger le texte.

[4]     Le juge décrit les agressions aux paragraphes 15 à 30 du jugement sur la culpabilité.

[5]     Jugement sur la culpabilité, paragr. 43-52.

[6]     Ibid., paragr. 59-70.

[7]     Ibid., paragr. 72-76.

[8]     Ibid., paragr. 175.

[9]     Ibid., paragr. 175-183.

[10]    Ibid., paragr. 189-235.

[11]    Ibid., paragr. 235.

[12]    Ibid., paragr. 325.

[13]    Corbett c. R., [1975] 2 R.C.S. 275, 282.

[14]    R. c. Sinclair, [2011] 3 R.C.S. 3, 2011 CSC 40, paragr. 84.

[15]    Tristan Desjardins, L’appel en droit criminel et pénal, 2e éd., Montréal, LexisNexis Canada Inc., 2012, nos 386 et 387, p. 139 et 140.

[16]    R. c. R.P., [2012] 1 R.C.S. 746, 2012 CSC 22, paragr. 10.

[17]    R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, 629, 2006 CSC 17.

[18]    R. v. S.J.M., 247 O.A.C. 178, 2009 ONCA 244, paragr. 5 et 7; R. c. Cedras (1994), 63 Q.A.C. 241, paragr. 12 (C.A. Qué.).

[19]    Jugement sur la culpabilité, paragr. 191-194.

[20]    Ibid., paragr. 195-199, 206 et 207.

[21]    Ibid., paragr. 209-213.

[22]    Ibid., paragr. 214-220.

[23]    Ibid., paragr. 222.

[24]    Ibid.

[25]    Ibid., paragr. 223-225.

[26]    R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, 136. Voir aussi R. c. J.L. (1998), 126 C.C.C. (3d) 235, 246 et 247 (C.A. Qué.), citant R. c. L. (W.K.), [1991] 1 R.C.S. 1091, 1100 et 1101; R. c. D.D., [2000] 2 R.C.S. 275, 2000 CSC 43, paragr. 65.

[27]    Jugement sur la culpabilité, paragr. 230-235.

[28]    R. c. Braich, [2002] 1 R.C.S. 903, 2002 CSC 27, paragr. 25.

[29]    Témoignage de Conrad Desbiens, 15 octobre 2013, p. 369-374.

[30]    Ibid., p. 362-365.

[31]    Témoignage de Jean-Marc Desbiens, 16 octobre 2013, p. 130 et 131.

[32]    Témoignage de Sylvie Desbiens, 17 octobre 2013, p. 170.

[33]    Témoignage de Conrad Desbiens, supra, note 29, p. 359.

[34]    R. c. R. (D.), [1996] 2 R.C.S. 291, paragr. 37 et 38.

[35]    Témoignage de Linda Desbiens, 17 octobre 2013, p. 29, lignes 13-25.

[36]    Ibid., p. 39, lignes 4-25, p. 40, lignes 1-21.

[37]    Témoignage de Marcelle Imbeault, 18 décembre 2013, p. 249 et 250.

[38]    Ibid., p. 260.

[39]    Jugement sur la culpabilité, paragr. 250-259.

[40]    Ibid., paragr. 189-235.

[41]    Corbett c. R., supra, note 13.

[42]    R. c. Beaudry, [2007] 1 R.C.S. 190, 2007 CSC 5.

[43]    Harper c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 2, 14. Voir aussi R. c. R. (D.), supra, note 34, 317 et 318; Wittmann c. R., J.E. 2006-1891, 2006 QCCA 1131, paragr. 56; R. c. Richard (2001), 155 C.C.C. (3d) 538, paragr. 9 (C.A. Qué.); R. c. Polo (1994), 23 W.C.B. (2d) 484 (C.A. Qué.), conf. par [1995] 4 R.C.S. 44.

[44]    Pièce D-1.

[45]    R. c. R.E.M., [2008] 3 R.C.S. 3, 2008 CSC 51, paragr. 56.

[46]    Jugement sur la culpabilité, paragr. 277.

[47]    Ibid., paragr. 275.

[48]    Ibid., paragr. 276.

[49]    Ibid., paragr. 278.

[50]    Ibid., paragr. 279-281.

[51]    Ibid., paragr. 277.

[52]    Témoignage de Jean-Marc Desbiens, 16 octobre 2013, p. 312-315.

[53]    Jugement sur la culpabilité, paragr. 284-295.

[54]    Ibid., paragr. 301.

[55]    Ibid., paragr. 297-299.

[56]    Ibid., paragr. 314-317.

[57]    Ibid., paragr. 303.

[58]    Ibid., paragr. 302 et 305.

[59]    R. c. W. (R.), supra, note 26, 134.

[60]    Jugement sur la culpabilité, paragr. 302-310.

[61]    Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.

[62]    R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244.

[63]    Henry c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2015] 2 R.C.S. 214, 2015 CSC 24, paragr. 59, citant R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, 336 et R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, paragr. 5.

[64]    Décision sur la Requête en arrêt des procédures, j. Boudreault, 18 décembre 2013.

[65]    R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, paragr. 75.

[66]    Ibid., paragr. 77; voir également R. c. Dixon, supra, note 62, paragr. 31-33.

[67]    R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, 546 et 547.

[68]    Ibid.; R. c. Mapara, [2005] 1 R.C.S. 358, 2005 CSC 23, paragr. 15.

[69]    Cyr c. R., J.E. 2007-1719, 2007 QCCA 1144.

[70]    Ibid., paragr. 57, citant R. c. Post (2007), 217 C.C.C. (3d) 225, 2007 BCCA 123, paragr. 47.

[71]    R. c. Khelawon, [2006] 2 R.C.S. 787, 2006 CSC 57, paragr. 78.

[72]    R. c. Youvarajah, [2013] 2 R.C.S. 720, 2013 CSC 41, paragr. 22, référant à R. c. Khelawon, supra, note 71.

[73]    R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, 2000 CSC 40, paragr. 215.

[74]    J.D. c. R. (1997), 118 C.C.C. (3d) 544, 597 et 598 (C.A.).

[75]     R. c. Burke, [1996] 1 R.C.S. 474, paragr. 4; R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, paragr. 19, 20 et 21; R. c. W. (R.), [1992] 2 R.C.S. 122, 131-132; R. c. Yebes, [1987] 2 R.C.S. 168; R. c. Biniaris, [2000] 1 R.C.S. 381, paragr. 36; R. c. R.P., [2012] 1 R.C.S. 746, paragr. 9.

[76]     [2010] 1 R.C.S. 397, paragr. 11.

[77]     Cedras c. R., J.E. 94-1186, [1994] CanLII 5843 (QCCA), p. 10-11; le juge de première instance le note d’ailleurs lui-même dans son jugement, paragr. 194.

[78]     2015 QCCA 1229, paragr. 28-29.

[79]     Qui ne témoignera cependant pas au procès, étant décédée.

[80]     Qui assistera au procès, mais ne témoignera pas.

[81]     J’exclus Jean-Baptiste Savard et Étienne Pouliot puisque les deux ont nié avoir été victimes ou témoins d’agressions sexuelles commises par l’appelant.

[82]     Le juge dira exactement la même chose des témoignages des enfants de l’appelant concernant la chaleur et la convivialité qui se dégageaient des rencontres entre leur famille et celle des Desbiens, et ce, après avoir dit que Christine (1971) avait rendu « un témoignage franc et sincère » (paragr. 262). Les deux autres enfants Valérie (1976) et Pierre Luc (1978) n’ont pas témoigné, mais les parties ont admis au procès que, s’ils avaient témoigné, ils auraient dit la même chose que leur sœur aînée.

[83]     R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, paragr. 21.

[84]    [1996] 2 R.C.S. 291, paragr. 50.

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