Décision

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     LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
     DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
     QUÉBEC    MONTRÉAL, le 29 juin 1994

     DISTRICT D'APPEL  DEVANT LA COMMISSAIRE:    Louise Thibault
     DE MONTRÉAL

     RÉGION:   ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR:  Pierre Nadeau, médecin
     ÎLE-DE-MONTRÉAL
     DOSSIER:
     39198-60-9204
     DOSSIER CSST:  AUDIENCE TENUE LE:        21 mars 1994
     0063 32613
     DOSSIER BR:    DÉLIBÉRÉ LE:   28 avril 1994
     6077 8299

     À:                       Montréal

     VERSABEC INC.
     

4900, rue Fisher Saint-Laurent (Québec) H4T 1J6 PARTIE APPELANTE et JACQUES LEVASSEUR 2196, rue De Villiers Montréal (Québec) H4E 1L5 PARTIE INTÉRESSÉE D É C I S I O N Le 15 avril 1992, la compagnie Versabec Inc. (l'employeur) interjette appel auprès de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'une décision unanime du bureau de révision de l'Île-de-Montréal du 16 mars 1992.

Cette décision confirme celle de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) du 7 novembre 1990 et déclare que l'arrêt de travail de monsieur Jacques Levasseur (le travailleur) du 18 juillet 1990 résulte d'une maladie professionnelle.

Le travailleur est présent à l'audition mais n'est pas représenté.

OBJET DE L'APPEL L'employeur demande à la Commission d'appel de déclarer que le travailleur n'a pas été victime d'une maladie professionnelle.

LES FAITS Le travailleur est à l'emploi de Versabec Inc. depuis l'année 1983. Cette dernière exploite une concession de service de bar et de nourriture au Palais des congrès de Montréal et le travailleur y exerce la fonction de barman. Il travaille sur appel.

À ce titre, il doit faire le service des clients à partir d'un bar mobile qu'il décrit comme ayant environ quatre pieds et demi de hauteur, de cinq à six pieds de longueur et deux pieds et demi de profondeur.

De chaque côté du bar mais non intégré à celui-ci, il place un bac contenant chacun six caisses de bière soit 144 bouteilles.

Celles-ci sont couchées les unes sur les autres et ensuite recouvertes de glace. Selon les événements, le bar peut également contenir des bonbonnes à boissons gazeuses, de même que des bouteilles d'alcool, de vin et de jus. Il contient aussi un réservoir à glace.

Selon la nature des événements qui se déroulent au Palais des congrès, le type de boissons servies varie. Lorsqu'il y a des expositions, le travailleur établit la quantité de bouteilles de bière vendues à 70 à 80% du total des ventes.

Le travailleur témoigne que le nombre de jours travaillés peut varier considérablement d'un mois à l'autre, les mois de décembre, janvier, juin, et juillet étant plus tranquilles, et serait l'équivalent de six à sept mois s'il travaillait 40 heures par semaine. Cependant, il y a eu baisse au cours des dernières années en raison de la situation économique.

L'horaire mensuel est également très varié, le travailleur pouvant fournir sa prestation parfois pendant dix jours d'affilée pour ensuite être plusieurs jours au repos. De même, son horaire quotidien varie selon les événements et peut représenter de 3 à 4 heures jusqu'à dix heures ou même parfois vingt heures.

Une grosse journée représente de 12 à 14 heures de travail qu'il répartit ainsi: une heure ou une heure et demie pour faire la préparation du bar, selon qu'il s'agit d'un cocktail, congrès ou autre fonction semblable ou d'une exposition; deux pauses le midi et le soir d'une demi-heure chacune; environ une heure pour fermer et ranger le bar, prendre l'inventaire et faire la caisse; le reste du temps étant consacré à attendre et servir la clientèle.

À son arrivée au travail, il prépare le bar et empile les bouteilles de bière dans les bacs en position horizontale les unes sur les autres en les prenant deux à la fois dans chaque main. Il recouvre ensuite les bacs de glace. Il déplace le bar à l'endroit désiré. Cependant, c'est un assistant («bar boy») qui y transporte les bacs contenant la bière. Il reçoit la commande du client. Lorsqu'il s'agit de bière, il prend les bouteilles deux à la fois soit toutes deux dans le même bac, soit dans des bacs différents, les dépose sur le comptoir et les ouvre à l'aide d'un ouvre-bouteille, qu'il tient dans sa main droite, l'extrémité de l'outil dépassant de la paume de la main. Il décrit cet objet comme étant très fort et mesurant environ six pouces de longueur. De sa main gauche, il prend alors deux verres qu'il retourne et appuie sur la paume de sa main, entre le pouce et l'auriculaire, les autres doigts servant d'appui. Ces verres peuvent être en plastique ou en verre, selon les fonctions. Ils sont à fond plat, plus étroits vers le bas que vers le haut et contiennent 10 onces de bière. De sa main droite, le travailleur prend deux bouteilles de bière, qu'il tient environ au tiers de la hauteur de la bouteille, à son élargissement et non à hauteur du goulot. Il tient une bouteille entre son pouce et son index et une autre entre l'index et le majeur. Les deux autres doigts servent à stabiliser les bouteilles. Il les verse alors simultanément dans les deux verres. Son poignet est en position neutre, alors que son coude va en abduction. Il remet les verres au client et reçoit l'argent, s'il y a lieu. Il se retourne alors vers la caisse enregistreuse, enregistre la vente et remet la monnaie au client.

Au besoin, les bacs de bière sont réapprovisionnés par le travailleur au cours de la journée. À la fin de la journée, le travailleur déplace le bar vers le local où il est entreposé et procède à faire l'inventaire et la comptabilité de ses ventes.

Il décrit son travail comme étant répétitif, stressant et devant être effectué très rapidement à cause du nombre de clients qu'il doit servir en peu de temps. Il dit être alors comme un robot.

Il témoigne que la norme utilisée par l'employeur pour déterminer le nombre de barmen qu'il doit avoir est de un par 150 personnes.

Interrogé sur la quantité de caisses de bière qu'il peut vendre dans une journée, le travailleur répond que sa journée «record» a été de 2 400 bouteilles de bière, soit 100 caisses. Lors d'une journée occupée en 1989, il a pu vendre de 40 à 50 caisses et en 1990, 30, 40 ou 50. En 1991 et 1992, ce nombre se situait autour de 30 ou 40 caisses. En moyenne, il dit avoir pu vendre 3, 4 ou 5 caisses à l'heure, de 7 à 8 lorsqu'il devait aller plus rapidement.

Le travailleur témoigne à l'effet que ses douleurs sont apparues progressivement. Vers mai ou juin 1989, ses mains commencent à devenir blanches lorsqu'il fait le service de la bière et à être engourdies. Les douleurs se manifestent d'abord par des picotements. Vers novembre ou décembre 1989, la douleur augmente et le réveille la nuit.

Les manifestations se produisent simultanément aux deux mains.

Le travailleur croit à un problème de circulation sanguine et continue de travailler sans consulter le médecin.

Le 11 juin 1990, le travailleur abandonne son travail et fait une réclamation à la Commission pour lésion professionnelle pour des problèmes d'ouïe, de vue, de maux aux mains, aux genoux et aux pieds et pour dépression et autres problèmes psychologiques causés par une détérioration du milieu de travail et des pressions exercées par l'employeur pour qu'il quitte son emploi.

Le travailleur témoigne qu'en juillet 1990, sa douleur est devenue intenable. Il éprouve des maux aux coudes et aux épaules.

Le 15 juillet 1990, il consulte le docteur J. Giroux. Celle-ci diagnostique un tunnel carpien bilatéral plus marqué à droite et un phénomène de Raynaud, qu'elle associe à une maladie professionnelle. Elle réfère le travailleur à un plasticien pour décompression du nerf médian.

Le 17 septembre 1990, un E.M.G. est effectué par le docteur V.T.

Lam, qui confirme la présence d'un syndrome du tunnel carpien bilatéral, légèrement plus marqué à droite.

Le travailleur est pris en charge par le docteur J. Bouchard le 4 octobre 1990. Celui-ci confirme le diagnostic et procède à une intervention chirurgicale au poignet droit le 11 octobre.

Le protocole opératoire se lit comme suit: «Sous anesthésie régionale, par voie intraveineuse, après badigeonnage à l'Hibitane, mise en place des champs stériles et sous garrot pneumatique, un incision à la face palmaire du poignet a été pratiquée.

Le ligament annulaire du carpe a été ouvert sur toute sa longueur. Le nerf était légèrement bleuté et une neurolyse superficielle a été faite.

Nous avons rapproché la peau au Catgut nature 5-0 en surjet.

Pansement fait avec Telfa, compresses et Kling.

Intervention bien tolérée par le patient.» Le travailleur fait une réclamation le 18 octobre 1990. La description de l'événement s'y lit comme suit: «"Ça fait 13 ans que je fais le même mouvement de verser 2 bières à la fois. Depuis 7 ans - je me gèle les 2 mains dans l'eau glacée. Déc. 89 mes 2 mains gèlent pour un rien. Mars 90 mes 2 mains et 2 poignets engourdissent pour un rien. Mai et juin 90 mes 3 doigts de chaque main me font mal et enflent mes poignets aussi."» Une autre intervention est effectuée, sur le poignet gauche, le ou vers le 12 novembre 1990. Le protocole opératoire n'apparaît pas au dossier.

Le 29 novembre 1990, le docteur Bouchard note que les engourdissements qu'éprouvait le travailleur dans les deux mains sont disparus et recommande un retour au travail le 10 décembre 1990.

Il reprend effectivement ses mêmes fonctions auprès de l'employeur.

Il dit ne plus éprouver de difficultés avec ses mains depuis qu'il a subi ces interventions chirurgicales.

Le 20 décembre 1990, le travailleur, à la demande de l'employeur, est examiné par le docteur Gilles R. Tremblay. Ce dernier termine ainsi son rapport: « En conséquence nous sommes totalement convaincus que le syndrome du tunnel carpien qu'a présenté ce patient n'est pas de nature occupationnelle car le patient ne rencontre pas les critères nécessaires pour qualifier l'étiologie d'occupationnelle dans son syndrome du tunnel carpien.

De même il n'y a plus aucune évidence de phénomène de Raynaud et encore ici le phénomène de Raynaud ne peut pas être dû simplement à l'exposition au froid et il ne faut pas confondre que le froid peut aggraver un syndrome de Raynaud déjà présent de façon temporaire mais il ne peut le causer et à l'examen d'aujourd'hui ce patient ne présente aucune évidence de phénomène de Raynaud.

Finalement le patient ayant fait une récupération complète avec décompression des nerfs médians et ne présentant aucune évidence de maladie résiduelle il n'y a aucune limitation fonctionnelle pour le retour à ses activités normales.» Interrogé à savoir s'il travaillait au moment où il a consulté le docteur Giroux pour la première fois en juillet 1990, le travailleur dit avoir alors été en arrêt de travail parce qu'il éprouvait différents problèmes physiques et psychologiques, ces derniers étant causés par du harcèlement au travail de la part de son supérieur immédiat. Il a fait une réclamation à la Commission, mais celle-ci a été refusée. Cette décision a été confirmée par le bureau de révision le 8 mars 1991 (pièce E-1).

Le travailleur en a appelé à la Commission d'appel mais s'est ensuite désisté de cet appel parce que ce supérieur a été congédié et que l'employeur l'a indemnisé.

Il explique qu'il a décidé de faire une réclamation pour maladie professionnelle après avoir pris connaissance d'un article publié dans la revue «Prévention» sur le syndrome du tunnel carpien et après que deux médecins, le docteur Giroux et le docteur Bouchard, lui aient dit qu'il s'agissait d'une maladie professionnelle.

Monsieur David Audet, qui occupe la fonction de directeur des bars pour l'employeur, témoigne à l'effet qu'il a été le supérieur du travailleur à compter de décembre 1990. Il confirme les fonctions du travailleur. Interrogé sur le nombre de bouteilles de bière que ce dernier peut être appelé à servir, il répond que pendant les expositions importantes, ce nombre peut atteindre de 25 à 30 caisses. Il produit un document où est relevé, pour la période de janvier à août 1989 le nombre d'heures travaillées par le travailleur, de même que les quantités de bouteilles de bière vendues pendant ces périodes (pièce E-2). On y note que la moyenne par heure varie de 5 à 148 bouteilles.

D'après lui, la norme barman/clients est de 100 plutôt que de 150.

Les mouvements effectués par le travailleur sont répétitifs s'il ne sert que de la bière, mais variés s'il sert d'autres produits.

Il estime que sur une période d'un mois, le pourcentage de ventes de bière par rapport aux ventes totales est de 50 à 55%.

Madame Diane Lapointe, coordonnatrice en santé et sécurité chez l'employeur, dépose le registre de paie pour les années 1988 à 1993 (pièce E-3). Ce registre indique le total des heures travaillées par le travailleur (voir ci-après).

Le docteur André Arcand témoigne à titre d'expert à la demande de l'employeur. Il dit n'avoir pas examiné le travailleur. Après avoir exposé que le syndrome du tunnel carpien peut être associé à un travail nécessitant des mouvements répétitifs, il affirme n'avoir pas trouvé dans les mouvements décrits par le travailleur et qu'il a observés à l'audience, les mouvements causant ce syndrome. Il n'y a pas trouvé de dorsiflexion du poignet ni de mouvement de pince des doigts. Il a observé une position d'abduction des doigts et une mobilisation de l'épaule et du coude. De plus, la force nécessitée ne constitue pas une «high force». Il n'y a pas non plus de déviation radiale ou cubitale du poignet. Il n'y a pas de pression ni de résistance appliquée sur de longues périodes.

Quant à la fréquence des mouvements, il témoigne à l'effet que pour qu'ils soient considérés comme répétitifs, ils doivent généralement être effectués en dedans de 30 secondes sans temps suffisant de récupération. Or, dans le cas du travailleur, il s'agit de mouvements effectués au rythme de un par une ou deux minutes environ.

De plus, le fait qu'il y ait eu continuation et même augmentation de la douleur après que le travailleur eût cessé de travailler en juin 1990 est indicatif d'une absence de relation entre la maladie et le travail puisque lorsque la maladie est causée par le travail, il y a diminution des symptômes lorsqu'il y a arrêt de travail.

Quant au protocole opératoire, il ne contient aucune indication de ténosynovite mais seulement un nerf bleuté, ce qui est dû à la compression des structures du tunnel par le ligament annulaire du carpe.

Monsieur Louis Denoncourt, collègue de travail de monsieur Levasseur depuis 1983, confirme que ce dernier l'a informé qu'il éprouvait des picotements dans les mains en 1989. Il dit éprouver lui-même des difficultés semblables et croit qu'il devra se soumettre éventuellement à une intervention chirurgicale. Il témoigne à l'effet que le travail était exigeant en ce qu'il devait s'exécuter très rapidement, intensivement.

Tant le travailleur que l'employeur fournissent des données sur le nombre d'heures travaillées par le travailleur pour certaines années.

Les données de l'employeur sont les suivantes: ANNÉE D'IMPOSITION HEURES TRAVAILLÉES 1985 943.00 1986 949.00 1987 1 054.00 1988 745.50 1989 975.50 1990 441.50 1991 591.00 1992 749.75 1993 382.50 Quant au travailleur, il fournit les chiffres suivants: ANNÉE D'IMPOSITION HEURES TRAVAILLÉES 1983 672.50 1984 1 063.00 1985 1 031.00 1986 1 134.00 1987 1 054.00 1988 745.50 1989 1 000.00 1990 441.50 6 mois 1991 628.00 1992 749.75 1993 382.50 6 mois 01/01/93 - 30/06/93 ARGUMENTATION DES PARTIES Le procureur de l'employeur soumet que la question à déterminer est la relation entre le syndrome du tunnel carpien et la tâche effectuée, le diagnostic n'étant pas contesté.

La présomption de l'article 29 ne s'applique pas parce que le syndrome du tunnel carpien n'est pas l'une des maladies énumérées à l'annexe, sauf si l'on établit qu'il a été causé par une ténosynovite, ce qui n'est pas le cas.

Pour établir l'existence d'une maladie professionnelle, le travailleur doit donc établir, conformément à l'article 30 de la loi, soit que sa maladie est caractéristique du travail qu'il a exercé, soit qu'elle est reliée aux risques particuliers de ce travail.

Aucune preuve n'a été faite que la maladie est caractéristique du travail.

Pour prouver que la maladie est reliée aux risques particuliers du travail, on doit établir, s'il y a syndrome du tunnel carpien, que le travailleur a effectué des mouvements répétitifs ou des pressions mécaniques. Cette preuve n'a pas été faite. De plus, la preuve établit que les mouvements, même s'ils sont répétés, ne constituent pas des mouvements répétitifs.

Le travailleur invoque les rapports des médecins qui l'ont traité et qui concluent à un lien de causalité entre la maladie dont il a souffert et le travail.

Il plaide qu'il n'est pas suffisant pour l'employeur de plaider absence de lien causal sans établir la cause de sa maladie.

Il soumet avoir fait la preuve d'un travail intensif, stressant, à répétition, à grande cadence et à mouvements répétitifs.

MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider si le travailleur souffre d'une maladie professionnelle au sens de l'article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui la définit ainsi: «maladie professionnelle»: une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

Il y a lieu, tout d'abord d'écarter l'application de la présomption prévue à l'article 29 de la loi.

En effet, cette présomption a un caractère limitatif. Pour qu'elle s'applique, le travailleur doit démontrer qu'il est atteint d'une maladie visée à l'annexe 1 de la loi. Or, le syndrome du tunnel carpien dont a souffert le travailleur ne fait pas partie d'une des lésions musculo-squelettiques énumérées à cette annexe. C'est ce que la Commission d'appel a décidé à maintes reprises notamment dans l'affaire Rinaldi et Tootique Inc. et C.S.S.T.1, où elle s'exprime ainsi: « La section IV de l'annexe 1 traite des maladies causées par des agents physiques et, parmi les maladies énumérées, on retrouve la lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs pour un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions pendant des périodes de temps prolongées. Et l'on nomme particulièrement, entre parenthèses, la bursite, la tendinite et la ténosynovite.

En l'espèce, se pose la question à savoir si le syndrome du tunnel carpien fait partie des lésions musculo-squelettiques et si, par ce fait, cette lésion est couverte par l'annexe.

Dans la mesure ou l'annexe en question fait particulièrement référence à la bursite, la tendinite et la ténosynovite comme lésions muscolo-squelettiques se manifestant par des signes objectifs sans inclure le syndrome du tunnel carpien, il faut conclure que cette annexe ne s'applique pas en l'espèce. L'appelante ne bénéficie donc pas de la présomption légale de maladie professionnelle établie par l'article de la loi.» Le travailleur ne pouvant bénéficier de l'application de la présomption de l'article 29, la Commission d'appel doit maintenant décider s'il a établi l'existence d'une maladie professionnelle au sens de l'article 30 de la loi qui se lit: 30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

Le fardeau de preuve imposé au travailleur par cet article est important. Non seulement doit-il démontrer que la maladie est survenue par le fait ou à l'occasion du travail, mais il doit de plus prouver qu'il s'agit d'une maladie qui est caractéristique de son travail ou reliée aux risques particuliers de ce travail.

Pour établir qu'une maladie est «caractéristique» d'un travail, on doit démontrer qu'un nombre significatif de personnes travaillant dans des conditions semblables en sont également affectées2 ou que la maladie est plus présente chez ce type de travailleur que dans la population en général ou dans un groupe témoin3. En somme, il s'agit de démontrer que le type de travail effectué a cette particularité que la maladie s'y trouvera présente plus fréquemment qu'ailleurs. Cette preuve peut être faite de plusieurs façons, notamment par des études statistiques et épidémiologiques, mais elle doit nécessairement porter sur un nombre significatif de personnes tendant ainsi à éliminer une simple association fortuite.

Le travailleur a présenté en preuve le témoignage d'un collègue de travail qui dit éprouver les mêmes symptômes. Ce seul témoignage ne saurait suffire, d'autant plus qu'aucun diagnostic de syndrome du tunnel carpien n'a été posé dans le cas de ce collègue, qui dit n'avoir pas encore consulté le médecin et qui n'a jamais été traité pour ces symptômes.

1 [1989] C.A.L.P. 416 , p. 424 voir aussi: Hamelin - Brassard et J.M. Asbestos Inc. [1989] C.A.L.P 62 ; Delarosbil et Ville de Montréal, J3-05-02; Martin et Brasserie Molson O'Keefe Ltée, J4-02-06 2 Gamache et Les Liqueurs Douces Haute-Rive et C.S.S.T. [1990] C.A.L.P. 667 3 Leclair et Pavillons Bois-Joly Inc., [1991] C.A.L.P. 1250 ; Lévesque et Bombardier Inc., [1992] C.A.L.P. 161 Le travailleur a également la possibilité d'établir que sa maladie est reliée aux risques particuliers de son travail. Pour ce faire, il a tenté d'établir qu'il effectue des gestes répétitifs dans le cadre de son travail. La preuve révèle cependant que même si, dans le cadre de l'exécution de son travail, il est appelé à poser certains gestes à un rythme accéléré pendant des périodes de temps variables, ils ne constituent pas pour autant des gestes répétitifs. La moyenne de bouteilles de bière vendues par le travailleur à l'heure varie de cinq à 148 bouteilles, ce qui donne un rythme variant d'une bouteille par 12 minutes à 2.47 bouteilles à la minute pendant les périodes les plus achalandées. Même en prenant comme hypothèse qu'il travaille au rythme maximum, il ne poserait qu'une fois par minute le geste de saisir et verser les bouteilles de bière, puisqu'il les verse deux à la fois. Ce geste peut difficilement être qualifié de répétitif.

Par ailleurs, ce geste s'inscrit à l'intérieur d'autres gestes que le travailleur pose, comme de percevoir le paiement des consommations, remettre la monnaie et servir du vin, des alcools, des boissons gazeuses. Il n'a cependant fourni aucune preuve que les gestes qu'il pose alors peuvent avoir causé ou contribué à sa maladie, ayant axé sa preuve sur le service de la bière.

Le travailleur a également le fardeau de prouver que la maladie dont il souffre est survenue par le fait ou à l'occasion du travail. Un syndrome du tunnel carpien peut être dû à des causes diverses et qui ne sont pas nécessairement d'origine professionnelle. Le travailleur doit donc établir par une prépondérance de preuve un lien de causalité entre le travail et la maladie. L'analyse attentive du dossier révèle que, bien que les docteurs Giroux et Bouchard aient tous les deux parlé de maladie professionnelle dans les attestations et rapports médicaux qu'ils fournissent à la Commission, cette affirmation n'est accompagnée d'aucune explication qui permette de comprendre ce lien. Quant au protocole opératoire, il est des plus laconique et ne permet de tirer aucune conclusion quant à l'existence d'un lien causal.

Le seul rapport d'évaluation médicale apparaissant au dossier est celui fourni par le médecin de l'employeur qui conclut que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle. C'est également la conclusion à laquelle en arrive le docteur Arcand, appelé à témoigner comme expert.

La prépondérance de la preuve médicale est donc à l'effet qu'il n'y a pas de lien de causalité entre le syndrome du tunnel carpien et le travail exercé par le travailleur.

Par ailleurs, alors que le travailleur souffre d'un syndrome du tunnel carpien bilatéral, les gestes qu'il effectue de chaque côté ne sont pas les mêmes. Il ne fait aucune flexion des poignets puisqu'il procède à verser les bouteilles de bière en levant son coude plutôt qu'en pliant son poignet. Il n'effectue pas de mouvements de pince ni de mouvements de préhension forcés et prolongés des mains. À l'opération, on ne décèle aucune trace de ténosynovite. Lorsqu'il cesse de travailler, il ne témoigne d'aucune amélioration de sa condition mais au contraire d'une augmentation de la douleur. Tous ces éléments s'accordent pour démontrer que le syndrome du tunnel carpien bilatéral dont a souffert le travailleur ne peut être relié à son travail.

La Commission d'appel se permet d'ajouter qu'elle ne met aucunement en question la sincérité et la crédibilité du travailleur qui a exercé son recours sur la foi des renseignements dont il disposait alors. Elle n'a cependant d'autre choix que de constater que la preuve objective, tant médicale que factuelle, qu'il lui a fournie la force à conclure qu'il n'a pas établi que sa maladie était causée par son travail.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES: ACCUEILLE l'appel de l'employeur, Versabec Inc.; INFIRME la décision du 16 mars 1992 du bureau de révision; DÉCLARE que le travailleur n'a pas, le 18 juillet 1990, été victime d'une maladie professionnelle.

Louise Thibault, commissaire Le Corre et Associés (Me Jean-François Gilbert) 2550, Daniel-Johnson, Bureau 650 Laval (Québec) H7T 2L1 Représentant de la partie appelante

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