Décision

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Nepton c. Conseil des montagnais du Lac-Saint-Jean

2014 QCCS 2222

JB4479

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE ROBERVAL

 

N° :

155-17-000038-121

 

 

 

DATE :

Le 6 mai 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L'HONORABLE SANDRA BOUCHARD, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

SYLVAIN NEPTON

[…], Roberval (Québec)  […]

 

Demandeur

 

c.

 

CONSEIL DES MONTAGNAIS DU LAC-SAINT-JEAN

1671, rue Ouiatchouan, Mashteuiatsh (Québec)  G0W 2H0

 

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le demandeur (ci-après, « M. Nepton ») est suspendu sans solde le 29 mars 2012 puis congédié le 18 mai suivant de son poste de directeur des travaux publics et de l’habitation auprès de la défenderesse (ci-après : « le Conseil »).

[2]           Invoquant le congédiement abusif, il réclame du Conseil une somme de 149 473 $ à titre de délai de congé pour une période de 24 mois (salaire, contribution de l’employeur au régime de pension et indemnités de vacances moins le salaire gagné chez son nouvel employeur)[1] en plus d’une somme de 40 000 $ pour honoraires engagés et dommages moraux.

LES FAITS

[3]           En 1998, M. Nepton, avocat de formation, commence à travailler au Conseil des Montagnais où il y occupe différents titres au fil des années. D’abord comme responsable des programmes de soutien, directeur au développement de la main-d’œuvre, mandataire sur la structure gouvernementale, conseiller en assistance et accompagnement aux plaintes, responsable à l’habitation et finalement directeur des travaux publics et de l’habitation (ci-après, « DTPH ») à partir du 27 août 2007.

[4]           La défenderesse est l’organisation politique et administrative de la Première Nation des Montagnais du Lac-Saint-Jean et localisée à Mashteuiatsh.

[5]           Le poste de DTPH est un poste stratégique au sein du Conseil dont la structure est en constante évolution dans le temps comme en témoignent les organigrammes déposés sous D-18 pour les années 2006 à 2013.

[6]           En bref, le DTPH constitue le niveau hiérarchique le plus élevé de la direction des travaux publics et de l’habitation et son titulaire supervise ces secteurs. Il administre un budget de plus de six millions de dollars annuellement, supervise environ 60 employés, gère le parc immobilier du Conseil (environ 714 unités de logement) ainsi que tous les travaux de voirie, d’urbanisme, d’aqueduc et de traitement des eaux usées sur la réserve indienne de Mashteuiatsh.

[7]           Le supérieur immédiat du DTPH est le directeur général du Conseil, en l’occurrence M. Rémy « kak’wa » Kurtness jusqu’au mois d’avril 2010 et M. Fabien Paul par la suite.

[8]           L’embauche officielle de M. Nepton au poste de DTPH est précédée d’une période de probation de 21 mois, soit de septembre 2007 à juin 2009. De long en large, la défenderesse explique et motive toutes les considérations justifiant cette longue période de probation en soulevant à tort ou à raison, certaines inhabiletés ou lacunes démontrées par M. Nepton dès ce moment.

[9]           À l’audience, la défenderesse souhaite mettre en preuve les résultats d’un test psychométrique[2] passé par M. Nepton le 20 août 2007 préalablement à son embauche en septembre 2007 au poste de DTPH. Une objection soulevée par la demande fut prise sous réserve.

[10]        À ce sujet, que ce ne soit qu’au titre de la pertinence, l’objection est accueillie. Les résultats de ce test, qui nécessiteraient par ailleurs une analyse technique, ne peuvent d’aucune façon éclairer le Tribunal dans sa décision, et ce, peu importe leur nature. À partir du moment où la défenderesse décide d’embaucher le demandeur pour ce poste en connaissant cette analyse[3], le Tribunal ne peut en tirer d'autres conclusions.

[11]        Ainsi, de 2007 à 2012, M. Nepton occupe son poste de directeur et gère différents dossiers, dont il sera question plus loin dans ce jugement, parfois avec certaines embûches, mais sans que son poste soit remis en question, du moins pas à sa connaissance. Malgré certaines remarques au passage par M. Paul, directeur général, M. Nepton ne reçoit jamais de réprimande formelle, d’avis négatif ou de demande de rectification de la part de son supérieur.

[12]        Mais le climat au département des travaux publics et de l’habitation est plutôt tendu et M. Nepton est tenu responsable de cette situation par certains employés sous sa charge qui se plaignent de la situation auprès de M. Paul. C’est le cas de Mme Adèle Robertson, responsable du département des travaux publics, et de Mme Lucie Germain, responsable de l’habitation.

[13]        À la fin de l’année 2011, M. Nepton reconnaît s’intéresser à un poste de direction au musée de Mashteuiatsh et songe à cette opportunité pendant la période du congé des Fêtes. Certains employés sous sa charge souhaitent secrètement son départ du Conseil, mais à son retour en janvier, il informe ses gardes rapprochées qu’il ne donnera pas suite à cette idée.

            Circonstances entourant la fin de l’emploi

[14]        Le 27 mars 2012 se déroule une rencontre de travail visant la préparation et la présentation des derniers projets à laquelle assistent M. Nepton, Mme Adèle Robertson (responsable du département des travaux publics), Mme Danye Bonneau (directrice des services administratifs) et deux agents.

[15]        Percevant un reproche dans une demande que lui adresse M. Nepton quant à l’absence de correction sur des documents présentés, Mme Robertson explose littéralement et s’en prend verbalement à M. Nepton qu’elle insulte en vociférant devant le groupe. Les témoins sont stupéfaits de la scène à laquelle ils assistent et ne s’expliquent pas cette insubordination de la part de Mme Robertson. Elle en rajoute en retournant voir M. Nepton pour « déballer son sac » pendant une heure où elle hurle, crie, se comporte d’une manière hystérique jusqu’à en perdre la raison et la mémoire, selon son propre aveu.

[16]        Mme Adèle Robertson expliquera au Tribunal avoir « pété les plombs » devant son supérieur, soit une situation inadmissible méritant clairement, selon elle, une sanction disciplinaire. Elle invoque des motifs d’épuisement, de frustration et d’insécurité provoqués par l’insatisfaction continuelle de M. Nepton et l'absence de directives claires et de cohérence pour expliquer ce grave écart de conduite.

[17]        Le lendemain, elle réussit à fixer d'urgence un rendez-vous avec le directeur général, M. Fabien Paul, afin de lui faire part de sa décision réfléchie de quitter son emploi dans les circonstances. Elle reconnaît son insubordination, pleure et fait part de ses récriminations et reproches à l’encontre de M. Nepton. Selon elle, le service de travaux publics et habitation est désorganisé. Elle quitte son bureau en lui indiquant : « S’il ne part pas, c’est moi qui pars. ».

[18]        Le 29 mars 2012, à 11 h, M. Nepton est convoqué au bureau de M. Fabien Paul pour un motif inconnu.

[19]        Dès son arrivée, M. Paul lui parle de la possibilité de le relocaliser en lui demandant s’il a de l’ouverture pour ce faire. Convaincu que M. Paul fait référence à un déplacement pour le projet de la structure gouvernementale, soit un projet collectif pour lequel M. Nepton a déjà démontré son intérêt, il apprécie l’appui démontré par l’organisme pour le soutenir. Mais rapidement, il réalise faire fausse route lorsque M. Paul lui demande de prendre quelques jours pour réfléchir. Il constate être placé devant une toute autre réalité.

[20]        M. Nepton démontre sa surprise. M. Paul lui mentionne qu’il est relevé de ses fonctions, parce que les gens ne sont pas derrière lui et qu'il y a démobilisation de son équipe. Il est souhaitable de le relocaliser dans l’organisation. Il lui est, dès lors, interdit de retourner à son bureau. Une ouverture aux discussions sur la relocalisation est démontrée par M. Paul qui lui confirme qu’une proposition sera transmise dans les prochains jours.

[21]        Le vendredi 30 mars 2012, M. Paul adresse une lettre à M. Nepton, l’informant des motifs de sa décision et d’une proposition de relocalisation à venir[4]. Une reproduction de cette lettre s’impose :

[…]

La présente fait suite à notre rencontre tenue à mon bureau à 11 h le 29 mars 2012, durant laquelle je vous ai relevé de vos fonctions de direction – Travaux publics et habitation effectif ce même jour.

Je comprends, Monsieur Nepton, votre grande déception face à cette décision, mais nous avons une obligation, en tant que gestionnaire d'une organisation comme la nôtre, à maintenir un climat de travail sain et qui permet une efficacité dans l'action. Force m'a été d'admettre, à la lumière des validations faites, que vous gérez une équipe démobilisée et désorganisée et bien que vous ne pouvez être le seul responsable de la situation, vous avez tout de même la responsabilité de mettre en place des conditions favorables au climat de travail de votre équipe. Je vous ai d'ailleurs, Monsieur Nepton, questionné et vous ai fait part à nombreuses reprises par le passé de mes préoccupations et inquiétudes sur le climat qui prévalait dans votre service et même dans vos relations interpersonnelles avec différents partenaires internes et externes à l'organisation, relations difficiles que vous attribuez à votre niveau d'exigence élevé. Je vous ai dit que je comprenais votre point de vue sauf que cette attitude a pour conséquence de créer un environnement inapproprié pour ce secteur de l'organisation qui nécessite d'interpeller une multitude de partenaires.

Lors de cette même rencontre je vous ai rappelé que vous m'avez déjà fait part il y a quelques semaines, que nos styles de gestion étaient à un point différent, voire même incompatible. Suite à ces propos, et devant cette situation, je vous ai alors demandé vos intentions, question demeurée sans réponse de votre part.

Dans les circonstances, je tiens tout de même à vous informer que vous êtes toujours à l'emploi de l'organisation et que je vais vous proposer dans la semaine du 2 avril prochain de nouvelles fonctions qui à mon avis, et selon votre profil et vos intérêts manifestés à la rencontre devraient répondre et convenir davantage à vos compétences.

Je souhaite sincèrement que vous prendrez en considération la présente et que nous parviendrons ensemble à trouver un scénario le plus adéquat pour tous. D'ailleurs, le moment est propice pour procéder à un tel changement, et ce, considérant que nous sommes à l'aube d'une restructuration organisationnelle, laquelle pourrait avoir pour effet de restreindre les possibilités de mouvement de main d'oeuvre.

Dans l'attente de vous rencontrer, je vous contacterai le 3 avril prochain afin de planifier notre rencontre.

Espérant le tout à votre convenance, je demeure disponible si des informations supplémentaires vous sont nécessaires.

[…]

[22]        Le 3 avril 2012, lors d’une deuxième rencontre entre M. Paul et M. Nepton, ce dernier est informé de la possibilité de le relocaliser au poste de greffier.

[23]        Le 19 avril 2012, M. Paul transmet une lettre[5] à M. Nepton confirmant officiellement la proposition de relocalisation au poste de greffier bonifié de certains avantages, dont le maintien de la rémunération actuelle pendant 14 mois.

[24]        Cette proposition est refusée par M. Nepton, lequel demande d’être réintégré dans son poste, le tout tel que mentionné dans une lettre datée du 1er mai 2012 et transmis à M. Paul[6].

[25]        Par lettre recommandée datée du 18 mai 2012, le demandeur est congédié pour les motifs qui y sont exprimés[7] :

[…]

Suite à votre courriel acheminé le 10 mai dernier, nous sommes surpris et déçus que vous mainteniez votre refus à l'égard de la proposition de relocalisation que nous vous avons transmise par écrit le 19 avril 2012.

Compte tenu de ce refus et de votre exigence à l'effet d'être réintégré dans le poste de directeur des Travaux publics et habitation ou dans un poste équivalent, nous n'avons d'autre choix que de procéder à votre congédiement, lequel est effectif en date du 18 mai 2012.

Nous serions en droit de ne pas vous payer l'indemnité de départ prévue à la Politique des conditions de travail de l'organisation ainsi que celle prévue à l'article 235 du Code canadien du travail, puisque vous êtes congédié pour des motifs sérieux et justifiés. Toutefois, considérant le caractère administratif de votre congédiement, nous consentons à vous verser votre indemnité de départ, comme nous l'avons fait d'ailleurs dans d'autres dossiers récemment. Par contre, nous ne vous versons aucune indemnité tenant lieu de délai de congé.

Un avis de cessation d'emploi ainsi que le détail des sommes susceptibles d'être dues de part et d'autre vous seront transmis sous peu. Si tel est le cas, un remboursement pour les sommes dues vous sera versé au cours des prochaines semaines.

Nous regrettons sincèrement d'être obligé de mettre fin à votre emploi mais la position que vous avez prise nous a contraint à prendre cette décision.

[…]

[26]        Depuis le 1er avril 2013, M. Nepton occupe un poste de conseiller autochtone auprès d'un autre employeur, soit la Commission de développement des ressources humaines des Premières Nations du Québec pour un salaire annuel de 45 848 $ plus une prime de 3 668 $[8].

LA POSITION DES PARTIES ET LA PREUVE

            En demande

[27]        Pour M. Nepton, la suspension sans solde intervenue le 29 mars 2012, sans détermination claire d'une relocalisation dans un nouveau poste, dans une structure non définie et dont les conditions de travail sont radicalement différentes de celles dont il jouissait, constitue clairement un congédiement déguisé.

[28]        De plus, les circonstances particulières dans lesquelles survient cette offre de relocalisation constituent de l’abus de droit de la part de l’employeur.

[29]        Il ne s’explique toujours pas comment il a pu être ainsi traité et que des mesures aussi radicales, comme l’interdiction de retourner à son bureau, puissent avoir été imposées.

[30]        Il apprend seulement au moment des procédures, l'incidence de la visite de Mme Robertson au bureau de M. Paul. Il décrit Mme Adèle Robertson comme étant impulsive, qui s’exprime haut et fort lorsque contrariée et connue comme telle par son entourage. Cette dernière était par ailleurs insatisfaite de la mesure disciplinaire (une suspension) imposée à un concierge qui méritait un congédiement, selon elle. Dans une discussion le lundi 26 mars 2012, Mme Robertson démontre à M. Nepton son insatisfaction et lui indique qu’il ne la soutient jamais. C’est le lendemain que survient la fameuse crise de Mme Robertson pendant la réunion.

[31]        Pour étoffer sa position, le demandeur témoigne sur les situations difficiles avec lesquelles il devait composer dans l’exécution des tâches reliées à son poste et explique la façon dont il s’y est pris pour traiter différents dossiers.

[32]        À partir du moment où sa permanence est confirmée dans son poste, il ne dénote pas de tension ou de crise particulière au sein de son équipe (mis à part l’événement du 27 mars 2012 impliquant Mme Adèle Robertson).

[33]        Le dossier de villégiature (2011-2012) est un dossier chaud visant à corriger plusieurs non-conformités d’installations septiques de résidants de Masthteuiatsh et ayant pu provoquer certaines insatisfactions auprès d’un membre du Conseil directement visé par l’application de la réglementation.

[34]        Il ne reçoit aucune plainte des intervenants avec lesquels il fait affaires dans les différents dossiers. Jamais il n’a fait l’objet de réprimande formelle ou n’a été avisé de l’intention de son employeur de le relocaliser. Tout au plus, des discussions informelles quant à son intérêt pour le poste de la structure gouvernementale sont intervenues avec M. Fabien Paul à la fin de l'année 2011.

[35]        Cependant, une première évaluation de rendement des cadres en juin 2011[9] plutôt positive, soulève certaines lacunes et signale des points à améliorer pour M. Nepton : s’élever au-dessus de la mêlée, s’approprier les responsabilités de planification, éviter des commentaires laissant entrevoir des contestations de l’autorité, améliorer les relations avec les collègues directeurs ou gestionnaires et travailler sur la confiance manifestée auprès de ses responsables.

[36]        M. Nepton signe cette évaluation en indiquant être en désaccord avec l’évaluation et en apportant d’autres commentaires.

[37]        Une autre évaluation de cadre produite par l’employeur[10] lui était inconnue jusqu’aux présentes procédures.

[38]        Mme Carole Gill, adjointe au directeur général et amie de M. Nepton, présente ce dernier comme étant une personne organisée, loyale et engagée avec un style de gestion rigoureux.

[39]        Elle estime que ce dernier a traité le dossier sensible et épineux de villégiature de main de maître et avec patience. Des changements importants s’imposaient pour la mise en conformité d’installations septiques et M. Nepton, agissant comme messager du Conseil auprès de la population, a fait un bon travail.

[40]        Bref, Mme Gill estime que M. Nepton a bien géré ses dossiers et que c’est plutôt sa grande rigueur par rapport à celle des élus nécessairement moins au fait du détail des dossiers, qui a pu lui procurer certains problèmes.

[41]        M. Bernard Duchaine, directeur technique du Conseil Tribal, un organisme d’accompagnement des ressources dans les communautés, travaille avec M. Nepton de façon plus formelle à partir de 2007.

[42]        Son rôle est d’aider les différents intervenants à acquérir d’autres compétences pour le meilleur fonctionnement du Conseil. Il reconnaît les grandes compétences juridiques, de rédaction et d’analyse de M. Nepton, mais constate que celui-ci éprouve certaines réticences à évoluer au niveau de ses connaissances lors des dossiers plus « techniques. » Il n’aimait pas cet aspect des dossiers et disait carrément : « Je ne veux pas comprendre ». Son aversion pour les aspects techniques a par ailleurs persisté dans le temps, ce dernier faisant preuve d’une fermeture embêtante à ce niveau.

[43]        Mme Linda Langlais, directrice générale de Développement Piekouagamie Ilnuatsh (DPI), a été appelée à travailler avec M. Nepton dans des mandats dans lesquels elle agissait à titre d’entrepreneur général pour la réalisation de certains contrats avec le Conseil.

[44]        Elle décrit M. Nepton comme étant pointilleux et ayant une rigueur importante dans le traitement des dossiers.

            En défense

[45]        Reconnaissant un véritable congédiement le 18 mai 2012, la défenderesse soutient que des motifs sérieux la justifiaient d'agir ainsi, sans délai de congé au terme de l'article 2094 C.c.Q. Ce sont plusieurs motifs cumulés au fil du temps qui justifieraient la défenderesse d'avoir relevé de ses fonctions M. Nepton le 29 mars 2012 et, incidemment, de l’avoir congédié par la suite, vu son refus d’être relocalisé.

[46]        Globalement et de façon évolutive au fil du temps et des procédures, le Conseil soulève les motifs suivants pour suspendre M. Nepton :

-               Ses relations avec le Conseil Tribal et l’entrepreneur Cegertec;

-               Le climat de travail;

-               Le traitement du dossier de villégiature et du parc industriel;

-               Certaines discussions préalables avec M. Nepton pour sa relocalisation;

-               Les points négatifs soulevés par les évaluations;

-               Les plaintes de Mmes Lucie Germain et Adèle Robertson à l'automne 2011;

-               La longue période de probation préalable à la confirmation au poste de DTPH;

-               Certains problèmes relationnels.

[47]        Le Conseil fait entendre plusieurs témoins visant à démontrer différentes lacunes et faiblesses du demandeur dans sa fonction de directeur des travaux publics et de l’habitation, et ce, dès son embauche. C’est ainsi que plusieurs dossiers reviennent sur la table, tels : le dossier de villégiature, les problèmes d’aqueduc, le plan d’immobilisation.

[48]        Les témoins appelés en défense présentent également leur perception du climat de travail, décrivent l’attitude générale de M. Nepton et les traits de sa personnalité le démarquant. Tous s’entendent par ailleurs sur un point : M. Nepton est d’une extrême rigueur, voire une certaine inflexibilité. Un trait de caractère pouvant représenter un avantage comme un inconvénient.

[49]        Selon la défenderesse, c’est l’accumulation de différentes insatisfactions et constatations de lacunes chez M. Nepton qui la pousse à songer à relocaliser ce dernier dans un poste permettant de mettre à profit ses compétences. Or, devant une situation d’urgence (la crise de Mme Robertson), des décisions rapides ont dû être prises. Toutefois, jamais la défenderesse n’a voulu se départir de M. Nepton, considéré comme un actif important au sein du Conseil. L’objectif étant d’éviter que l’équipe des travaux publics et de l’habitation ne soit complètement démobilisée et de trouver un poste convenable à M. Nepton.

[50]        La défense fait entendre M. Rémy Kurtness, directeur général de la défenderesse de 2006 à 2008, soit celui qui assiste à la période de probation de M. Nepton dans son nouveau poste de DTPH. Il ne confirme pas M. Nepton dans son poste jusqu’à ce qu’il passe le flambeau à M. Paul en avril 2010.

[51]        Insatisfait des réponses à ses demandes, plusieurs échanges surviennent entre M. Kurtness et M. Nepton pendant sa période de probation. Ce que le Tribunal retient à ce chapitre, c’est que M. Nepton est confirmé dans le poste de directeur des travaux publics et habitation après cette période d’essai susmentionnée et parce que le Conseil considère que celui-ci est « en mesure d’assumer les responsabilités inhérentes à ses fonctions de façon concluante ».[11] Le Tribunal remarque toutefois que la défenderesse se sent légitimée de faire remonter ses récriminations à cette période. Cette position ne peut que diluer les motifs de sa demande de relocalisation.

[52]        Mme Suzanne Bonneau, responsable des ressources financières et matérielles du Conseil depuis 11 ans, agit comme conseil aux gestionnaires. Elle supporte M. Nepton lors de son arrivée comme DTPH et doit développer des outils avec ce dernier pour aider sa compréhension en matière de gestion, ce domaine étant difficile pour lui. Elle admet qu’après que Mme Adèle Robertson ait comblé le poste comme responsable des travaux publics, la situation s’améliore à ce département.

[53]        Mme Lucie Germain est responsable de l’habitation à partir de 2011. Son supérieur immédiat est le demandeur.

[54]        Les communications avec M. Nepton sont compliquées. Elle doit le rencontrer régulièrement pour faire le point. Il est difficile de trouver le bon moment pour s’adresser à lui. Elle constate qu’il est « cyclique » dans la variation de ses humeurs. Le climat n’est pas bon au département. Les attentes ne sont pas claires de la part de la direction. Elle a l’impression d’être laissée à elle-même et doit se référer régulièrement à Mme Adèle Robertson pour du soutien. M. Nepton remet constamment tout en question et accroche sur des détails. Elle marche constamment sur des œufs.

[55]        En novembre 2011, elle et Mme Adèle Robertson apprenant la possibilité du départ de la secrétaire de M. Nepton, rencontrent le directeur général, M. Paul, pour lui dénoncer ce qu’elles vivent avec celui-ci. Elles parlent de la manie de M. Nepton de tout remettre en question, de ne pas faire suivre les courriels et de contrôler tout ce que fait sa secrétaire. Elles n’ont pas de suivi de cette rencontre.

[56]        En décembre 2011, M. Nepton lui confie songer au poste de direction du musée de Mashteuiatsh. Elle est déçue lorsque celui-ci l’avise en janvier 2012 qu’il n’appliquera finalement pas sur ce poste.

[57]        En mars 2012, elle reçoit un téléphone de M. Paul lui demandant de dresser le portrait de la situation avec M. Nepton. Elle ne connaît pas la raison de cet appel. Elle explique encore une fois que c’est difficile avec lui, qu’elle aurait espéré qu’il accepte le poste au musée, mais que depuis janvier, la situation va mieux, quoique des rencontres aux deux à trois mois, pour replacer les choses, sont toujours requises.

[58]        Elle apprend par M. Paul, le 29 mars 2012, que M. Nepton est relevé de ses fonctions et qu’un suivi sera donné pour la suite des choses. On lui propose d’occuper le poste laissé vacant par M. Nepton de façon intérimaire. Elle accepte mais abandonne ce poste quelques semaines plus tard, lequel est repris par Mme Adèle Robertson qui l’occupe d'ailleurs de façon permanente jusqu’à ce jour.

[59]        Mme Adèle Robertson, responsable des travaux publics à compter de janvier 2011, décrit les défis rencontrés à son arrivée à ce poste laissé vacant depuis longtemps. Le service est désorganisé et une grande charge de travail l’attend.

[60]        En mars 2011, devant l’inertie de M. Nepton et exténuée, elle demande à M. Paul de lui fournir de l’aide en lui procurant une ressource, ce qu’elle obtient. L’ambiance est difficile et les rencontres avec certains intervenants pour divers dossiers se déroulent dans un climat inapproprié.

[61]        M. Nepton s’attarde constamment sur des détails au lieu d’avoir une vue d’ensemble des dossiers pour lesquels il accorde plus d’importance à la forme plutôt qu'au fond.

[62]        Elle confirme la rencontre avec M. Paul qu'elle a eue avec Mme Lucie Germain à l’automne 2011.

[63]        Exaspérée de l’attitude de M. Nepton, elle reconnaît avoir complètement « pété les plombs » le 26 mars 2012 en s’emportant lors d’une réunion devant celui-ci et trois autres personnes. Qualifiant elle-même ce comportement d’inadmissible, elle décrit le déroulement de son rendez-vous avec M. Paul qui a suivi. Elle avait décidé de quitter l’organisation et a placé M. Paul devant un choix à faire entre elle et M. Nepton.

[64]        Mme Danye Bonneau, directrice des services administratifs de la défenderesse pour la période visée, connaît M. Nepton depuis l’adolescence. Ayant un rôle de conciliatrice et d’intermédiaire dans la gestion des ressources humaines, elle n’a personnellement jamais eu de problème particulier avec M. Nepton. Elle constate cependant certains problèmes d’attitude de M. Nepton dans son poste de direction.

[65]        Le lendemain de la suspension de M. Nepton, on lui demande de regarder où celui-ci pourrait être relocalisé dans l’organisation. Il n’est pas souhaitable de perdre une ressource comme lui avec les compétences qu’on lui reconnaît. Le poste de greffier bonifié apparaît approprié. Elle assiste à quelques rencontres avec M. Nepton pour discuter de son reclassement, mais celui-ci demeure sur sa position. Il ne contribue pas à vouloir récupérer un emploi et maintient sa décision d'être réintégré dans son poste.

[66]        Pour elle, M. Nepton a subi un déclassement professionnel à la demande de l’employeur qui est devenu un congédiement devant l’absence de participation de ce dernier à sa relocalisation et à son défaut de proposer d’autre solution.

[67]        Celui-ci ne pouvait plus occuper un poste de gestion.

[68]        M. Fabien Paul, directeur général de la défenderesse depuis avril 2010, connaît M. Nepton depuis l’enfance.

[69]        Lors de rencontres des équipes de direction en lien avec sa nomination comme directeur général et de nouvelles orientations, il constate l'hésitation de M. Nepton à lui donner sa confiance. Ce dernier est réticent aux changements et questionne le pourquoi du pourquoi.

[70]        Il reconnaît que des dossiers chauds du département du DTPH ont pu amener certaines frustrations.

[71]        Il reçoit Mme Lucie Germain et Mme Adèle Robertson dans son bureau à l’automne 2011, lesquelles dénoncent l'attitude de M. Nepton.

[72]        Peu de temps après, il interpelle M. Nepton en lui indiquant qu’il ne semble pas heureux dans son travail et lui mentionne : « Veux-tu qu’on regarde une relocalisation? ». Il a en tête un déplacement à la structure gouvernementale connaissant l’intérêt de M. Nepton pour ce poste.

[73]        En janvier 2012, il sent que la situation s’envenime, il évite de confronter M. Nepton, mais garde à l’esprit son projet de le relocaliser.

[74]        À la fin mars 2012, il reçoit Mme Adèle Robertson à son bureau qui insiste pour le rencontrer. Ayant déjà été informé de l’insubordination dont elle venait de faire preuve, il hésite et lui précise ne pas vouloir discuter de ce sujet.

[75]        Elle se présente en pleurs et tendue, tout en reconnaissant mériter une mesure disciplinaire. Elle explique son comportement inapproprié comme étant la goutte ayant fait déborder le vase. Elle ne peut plus travailler avec M. Nepton et quittera l’organisation, sans le départ de ce dernier. Elle lui mentionne clairement : « C'est lui ou c’est moi ».

[76]        M. Paul réfléchit toute la soirée et considère différents scénarios. Ne voulant pas se fier seulement à la version de Mme Robertson, il parle à Mme Lucie Germain qui lui indique que ça va mieux la concernant, mais que les gens sont « à bout ».

[77]        Devant cette situation, il se doit de relocaliser M. Nepton, se disant qu’on pourrait certainement lui reprocher de ne rien faire en connaissant cette situation de crise au département.

[78]        Le lendemain, il convoque M. Nepton, croyant que celui-ci collaborerait à une relocalisation. Il n’est pas en mode disciplinaire car il s’attend à l’acceptation de ce dernier.

[79]        M. Paul mentionne : « Tu n’as pas l’appui de ton équipe et je souhaite te relocaliser ». Il lui demande de prendre quelques jours de congé et devant le refus de M. Nepton et son désir de retourner à son poste, il lui interdit de ce faire. M. Nepton demande s’il est relevé de ses fonctions, ce à quoi M. Paul répond : « Appelle ça comme tu veux mais tu dois t’en aller chez toi on va te transmettre une proposition ».

[80]        Les jours suivants, le Conseil travaille à ajuster et à bonifier le poste de greffier pour le présenter à M. Nepton. Des responsabilités sont ajoutées et le salaire proposé pour les 14 prochains mois est augmenté (jusqu'à concurrence du salaire de celui de DTPH).

[81]        Or, les parties ne parviennent pas à s’entendre malgré la marge de manœuvre dont dispose le Conseil et son ouverture à des propositions.

 

 

ANALYSE ET DÉCISON

[82]        M. Sylvain Nepton et le Conseil des Montagnais sont liés par un contrat de travail à durée indéterminée (art. 2086 C.c.Q.) pouvant être résilié unilatéralement, selon le cas, moyennant un délai de congé (art. 2091 C.c.Q.) ou sans préavis (art. 2094 C.c.Q.).

2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.

Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail.

2094. Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail.

[83]        Ainsi, c’est l’article 2094 C.c.Q. qui prévoit spécifiquement la possibilité pour une partie de « résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail ».

            Le congédiement

[84]        La rupture unilatérale et définitive par l’employeur du contrat de travail, le congédiement, peut se présenter sous des formes subtiles et variées. C’est ainsi qu’une démission d’un employé, survenue à la suite d’une modification substantielle de ses conditions de travail pour différents motifs, pourra être assimilée à ce titre. D’où la notion de congédiement déguisé. À ce chapitre, une rétrogradation peut constituer un congédiement.

[85]        L’arrêt clé Farber c. Cie Trust Royal[12] de la Cour suprême vient confirmer l’état du droit en cette matière et édicte un test pour déterminer si un employé fait l’objet d’un congédiement déguisé.

a)       L'intention des parties lors de la formation du contrat de travail (ou de ses modifications subséquentes) doit être scrutée à la loupe. Le tribunal doit alors déterminer si la modification unilatérale imposée par l'employeur constitue une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail de l'employé;

b)       Pour ce faire, le tribunal doit se demander si, au moment où la modification est imposée, une personne raisonnable, se trouvant dans la même situation que l'employé, aurait considéré qu'il s'agit d'une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail. Le fait que l'employé ait été prêt à accepter en partie la modification n'est pas toujours déterminante puisque d'autres raisons peuvent inciter l'employé à accepter moins que ce à quoi il a droit;

c)       Il n'est pas nécessaire que l'employeur ait eu l'intention de forcer son employé à quitter son emploi ou qu'il ait été de mauvaise foi, abusif ou malicieux en modifiant de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail, pour que ce contrat soit résilié;

d)       Toutefois, si l'employeur est de mauvaise foi ou agit de façon abusive ou malicieuse, cela aura un impact sur les dommages à accorder à l'employé.[13]

[86]        Mais avant d'aborder la question du congédiement déguisé, le Tribunal doit évaluer la présence ou non de motifs justifiant la suspension pour relocalisation du 29 mars 2012.

[87]        L’employeur était-il justifié, le 29 mars 2012, dans les circonstances, de relever le demandeur de ses fonctions pour tenter de le relocaliser dans un autre poste?

[88]        Même le cumul de tous les éléments avancés par l’employeur pour justifier sa suspension avec solde du 29 mars 2012, ne convainc pas le Tribunal du bien-fondé de la mesure.

[89]        C’est en réponse à une situation isolée (histoire de Mme Roberston) que la défenderesse prend la décision unilatérale radicale, sans véritable enquête et sans possibilité pour M. Nepton de répondre ou de se corriger, que la mesure intervient. N’eut été de cet événement dans lequel, rappelons-le, M. Nepton n’est pas celui à blâmer, cette mesure impromptue de suspension n’intervient pas.

[90]        Le Tribunal reconnaît la survenance de certains événements pouvant inquiéter le Conseil quant au climat et sur les compétences du demandeur dans l’accomplissement de ses tâches de direction. Mais, aucune mesure concrète visant véritablement à sensibiliser ce dernier sur cette situation et sur les véritables enjeux en cours ne lui a jamais été dénoncée. Le 29 mars 2012, la décision de l’employeur était déjà prise et M. Nepton ne pouvait plus rien y changer. Seule une réaffectation pouvait être discutée.

[91]        Cette décision précipitée et sans avertissement ne répond pas aux critères de la justice procédurale requise en cette matière.

[92]        Objectivement, l'employeur n'a pas fait la preuve d'une incompétence flagrante de son employé. Tout au plus, ce sont principalement des commentaires provenant des employés et des perceptions fondées ou non qui ont alimenté l'employeur sur ses doutes à l'égard de M. Nepton.

[93]        La suspension de M. Nepton est faite par M. Paul qui, sous pression et de bonne foi, cherche une solution à ses préoccupations, mais elle demeure improvisée et prise à l'insu de l'employé.

[94]        Même les allusions, les perceptions, les impressions et les plaintes occasionnelles de certains employés ne justifient pas, dans les circonstances, la mesure prise le 29 mars 2012.

[95]        Nul doute que l’application des critères développés dans l'arrêt Farber[14] au cas en l'espèce permet de conclure à un congédiement déguisé de la part de l’employeur.

[96]        Les responsabilités et les enjeux diffèrent nettement entre un poste de direction et celui d’un poste de greffier au sein de cette organisation. Le défi et le niveau de responsabilités sont différents. La gestion de personnel fait partie intégrante du poste de direction et est absente de l’autre. L’aspect développement, la planification, la part d’autonomie concédée et le contact avec la population distinguent également les deux emplois.

[97]        Les conditions salariales pour ce poste chez la défenderesse sont inférieures de 25 000 $.

[98]        Le Tribunal estime qu’une personne raisonnable et se trouvant dans la même situation que M. Nepton aurait considéré qu’il s'agit d’une modification substantielle de ses conditions essentielles de son contrat de travail. Ajoutons qu’au moment de cette suspension, aucune offre véritable n’est présentée au demandeur, celle-ci n’ayant pas encore été envisagée par l’employeur.

[99]        La défenderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve quant aux motifs de sa suspension et la mesure du 29 mars 2012 constitue un congédiement déguisé.

4.1.4 En pratique, c'est l'employeur qui a le fardeau de démontrer que l'employé a été congédié pour de tels motifs. C'est un fardeau qui est généralement difficile à remplir, surtout dans les cas où le motif du congédiement repose sur des critères subjectifs. En l'occurrence, l'insatisfaction de l'employeur sur le rendement de son employé n'est pas retenue comme un motif de congédiement pour cause, à moins que l'employeur ne démontre clairement et objectivement l'incompétence flagrante de son employé. De plus, les conflits de personnalités qui sont souvent le véritable motif du congédiement d'un employé ne sont pas retenus comme suffisants pour entraîner un congédiement pour cause, à moins qu'ils nuisent au climat de travail dans l'entreprise à un point tel que le congédiement soit la seule façon de remédier à ce problème. En somme, le congédiement est désormais considéré comme la peine dite capitale, et la jurisprudence se montre plus exigeante devant de telles situations.[15]

[100]     Ceci étant, le Tribunal ne voit pas dans cette mesure prise par l’employeur et déjà qualifiée d’improvisée, de mauvaise foi ou d’intention malicieuse. L’employeur croyait pouvoir trouver un remède à ses maux par la mesure prise le 29 mars 2012, mais celle-ci n’était pas conforme aux droits de son employé. La lettre adressée à M. Nepton le 30 mars 2012[16] témoigne par ailleurs de l’ouverture du Conseil.

            Mitiger les dommages

[101]     Cependant, l’offre subséquente de l’employeur[17] de relocaliser le demandeur dans un poste de greffier bonifié pour une période de 14 mois et selon les mêmes conditions salariales que celles de son poste de DTPH, doit aussi être analysée sous l'angle de l’obligation de l’employé de minimiser ses dommages.

[102]     De façon générale, les tribunaux refusent d'indemniser un créancier pour des dommages qui ne sont pas le fait unique de l'auteur de la faute initiale et tiennent compte de l'obligation de minimisation du créancier pour diminuer ou même rejeter une réclamation. Ce principe tire son fondement de l'article 1479 C.c.Q.

[103]     Lors de réclamations découlant d’un congédiement, il est depuis longtemps reconnu par les tribunaux que l’employé doit faire un effort raisonnable pour chercher et accepter un autre emploi convenant à ses qualifications pour réduire les dommages subis.

[104]     L'insuffisance de la cause du congédiement ne dispense pas l'employé de son obligation de minimiser ses dommages.

7.1.3 Il est par ailleurs reconnu que l'insuffisance de la cause du congédiement ne dispense pas l'employé de son obligation de minimiser ses dommages : Faule c. Sun Life du Canada, C.S. Terrebonne, D.T.E. 84T-330.[18]

[105]     Ainsi, le refus par l'employé congédié d’accepter un autre poste offert par l’employeur lui-même fut sanctionné et en 2008, la Cour suprême dans l’affaire Evans c. Teamsters Local Union[19], circonscrit les éléments à considérer à ce chapitre :

7.4.8[1] … En l'espèce, la Cour suprême du Canada a clarifié l'obligation pour un employé de limiter le préjudice causé par un congédiement injustifié en énonçant que, dans certaines circonstances, l'employé congédié devra retourner travailler pour le même employeur si cela lui est offert. Elle insiste cependant sur le fait que cela ne sera possible seulement dans l'hypothèse où il n'existe pas d'obstacle à la reprise de l'emploi et qu'il faudra considérer au cas par cas le caractère raisonnable des efforts de l'employé pour limiter son préjudice.

[…]

La Cour estime que le refus de M. Evans d'accepter l'offre de son employeur constituait un défaut à son obligation de réduire ses dommages. En l'espèce, l'offre de revenir au travail jusqu'à la fin d'une période de 24 mois, identifiée comme la période de délai de congé, était survenue cinq mois après le congédiement de l'employé et dans un contexte où des négociations entre procureurs étaient entreprises pour identifier l'étendue de l'indemnité de fin d'emploi à laquelle M. Evans avait droit. Tout comme la Cour d'appel du Yukon, la Cour suprême estime que cette offre était raisonnable et qu'en l'absence de preuve d'animosité entre les parties ou d'incapacité de l'employé à remplir ses fonctions, il était requis que ce dernier accepte l'offre soumise.[20]

___________________________________

… Si l'employeur offre à l'employé la possibilité de limiter son préjudice en revenant travailler pour lui, la question centrale à trancher est de savoir si une personne raisonnable accepterait une telle offre. Il faut s'attendre à ce qu'une personne raisonnable le fasse si le salaire offert est le même, si les conditions de travail ne sont pas sensiblement différentes ou le travail n'est pas dégradant, et si les relations personnelles ne sont pas acrimonieuses. Il existe d'autres facteurs pertinents, notamment l'historique et la nature de l'emploi, le fait que l'employé ait ou non intenté une action, et le fait que l'offre de reprise de l'emploi ait été faite pendant que l'employé travaillait encore pour l'employeur ou seulement après son départ. L'élément essentiel, c'est que l'employé ne doit pas être obligé, pour limiter son préjudice, de travailler dans un climat d'hostilité, de gêne ou d'humiliation. Même s'il y a lieu de recourir à un critère objectif pour déterminer si une personne raisonnable placée dans la même situation que l'employé aurait accepté l'offre de l'employeur, il est de la plus haute importance de prendre en compte, dans l'évaluation, les aspects non tangibles de la situation – y compris le climat de travail, la stigmatisation et la perte de dignité.[21]

[Soulignements du Tribunal]

[106]     En l’espèce, l’acceptation de l’offre du poste de greffier transmise par l’employeur aurait permis à M. Nepton de limiter son préjudice. Le Tribunal conclut qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait accepté cette offre. Le salaire offert, les qualifications correspondant à la formation de juriste et l’absence de relations personnelles acrimonieuses sont autant d'éléments avantageux à considérer.

[107]     M. Nepton aurait pu accepter ce nouvel emploi qui convenait à ses qualifications sans que celui-ci soit exactement similaire à son ancien emploi au niveau des fonctions. La consultation du sommaire du profil des responsabilités du greffier chez la défenderesse donne, par ailleurs, un bon aperçu de cette tâche :

Dans le respect de la culture ilnu et conformément à la mission et aux objectifs de la direction générale, le titulaire, adoptant une attitude apolitique, agit à titre de greffier, assurant la rédaction des procès-verbaux des réunions du Conseil et le suivi administratif des décisions. Il agit à titre de répondant du tribunal local. Il assiste le conseiller juridique principalement dans la coordination des opérations et des dossiers en matière juridique qui lui sont confiés et comme soutien à son supérieur hiérarchique. Il assure également le développement, la coordination et la mise en œuvre des projets ou mandats qui lui sont confiés. Il participe ainsi à l'essor de la communauté.[22]

[108]     Agir au poste de greffier pendant une période de 14 mois sans aucune diminution de salaire n’aurait pas placé M. Nepton dans un climat d’hostilité, de gêne ou d’humiliation. Au contraire, ses aptitudes de juriste auraient été mises à profit en toute dignité.

[109]     Dans Sauvé c. Banque Laurentienne du Canada[23], la Cour d'appel réitère que ce qui constitue un délai de congé raisonnable est essentiellement une question de faits variant avec les circonstances propres à chaque espèce.

[110]     Pour cette affaire, l'expérience de M. Nepton, les postes précédemment occupés et son âge sont des considérations justifiant un délai de 14 mois à ce titre, soit l'équivalent d'un mois par année de service continu auprès de la défenderesse.

[111]     Par conséquent, en l’absence d’obstacle pour ce faire, le demandeur n’a pas limité son préjudice en refusant la proposition de l’employeur. Le demandeur avait droit à une indemnité tenant lieu de délai de congé suite à son congédiement déguisé. Or, en refusant le poste de greffier aux mêmes conditions salariales pour 14 mois, il n’a pas limité son préjudice et se prive donc de sa réclamation.

[112]     Dans les faits, ce n'est qu'un an plus tard que le demandeur s'est trouvé un nouvel emploi tout à fait différent de son poste de DTPH et pour un salaire nettement inférieur.

[113]     Ainsi, la réclamation à titre d’indemnité de délai de congé est rejetée.

[114]     L’indemnité pour dommages moraux et la réclamation des honoraires ne peuvent non plus être accordées en l’absence de mauvaise foi de la défenderesse et compte tenu des mesures mises en place pour permettre au demandeur de poursuivre dans l’institution.

[115]     Le choc ressenti suite à un congédiement ne peut, à lui seul, justifier des dommages moraux. Il ne peut y avoir abus de droit que dans la mesure où l’employeur dépasse l’exercice normal de son droit de congédier en payant une indemnité raisonnable. Congédier n’est pas une faute, congédier de façon humiliante, dégradante, blessante ou mortifiante, peut l’être[24]. Or, comme déjà souligné, la preuve ne démontre pas telle intention malicieuse de la part de l'employeur ni de mauvaise foi.

[116]     Dans ces circonstances, et considérant les motifs ci-haut énumérés, la poursuite doit être rejetée.

[117]     PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[118]     REJETTE la requête introductive d'instance en dommages et intérêts pour congédiement abusif;

[119]     Avec dépens.

 

 

 

 

 

__________________________________

SANDRA BOUCHARD, J.C.S.

 

 

Me Jean-Noël Tremblay

SIMARD BOIVIN LEMIEUX

Procureurs du demandeur

 

Me Josée Ouellet

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience :

19, 20, 21 février, 27 et 28 mars 2014

 



[1]     Voir P-23.

[2]     D-5.

[3]     P-10.

[4]     P-2.

[5]     P-3.

[6]     P-4.

[7]     P-5.

[8]     P-21 et P-22.

[9]     P-13.

[10]    D-14.

[11]    P-12.

[12]    [1997] 1 R.C.S. 846.

[13]    Georges AUDET et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., Vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991, p. 3-15 et 3-16.

[14]    Farber c. Cie Trust Royal, préc., note 12.

[15]    G. AUDET, préc., note 13, p. 4-4.

[16]    P-2.

[17]    P-3.

[18]    G. AUDET, préc., note 13, p. 7-8.

[19]    [2008] 1 R.C.S. 661.

[20]    G. AUDET, préc., note 13, p. 7-20.4 et 7-20.5.

[21]    Evans c. Teamster Local Union, préc., note 19, p. 663.

[22]    D-19 (Sommaire).

[23]    1998 CanLII 12592 (QCCA).

[24]    Voir Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, 1994 CanLII 5837 (QCCA).

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