Décision

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Tremblay et Providence Notre-Dame-de-Lourdes

2007 QCCLP 4215

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

19 juillet 2007

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

247398-71-0411-R  256043-71-0502-R  264877-71-0506-R

 

Dossier CSST :

126201698

 

Commissaire :

Me Mireille Zigby

 

Membres :

Sarto Paquin, associations d’employeurs

 

France Morin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Gisèle Tremblay

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Providence Notre-Dame de Lourdes

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 29 mars 2006, madame Gisèle Tremblay (la travailleuse) présente une requête en révocation de la décision qui a été rendue le 24 février 2006 par la Commission des lésions professionnelles.

[2]                Le dispositif de cette décision se lit ainsi :

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

Dossier 247398-71-0411

 

REJETTE la requête déposée par la travailleuse, madame Gisèle Tremblay;

 

CONFIRME, en partie, la décision rendue par la révision administrative le 12 octobre 2004;

 

DÉCLARE que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle, le 5 avril 2004, sur la base des diagnostics de traumatisme crânien, de traumatisme cervical, d’entorse cervicale et de brûlure à l’épaule gauche.

 

Dossier 256043-71-0502

 

REJETTE la requête déposée par la travailleuse, madame Gisèle Tremblay;

 

CONFIRME la décision rendue par la révision administrative le 16 février 2005;

 

DÉCLARE que la travailleuse n’a pas été victime d’une récidive, rechute ou aggravation, le 22 septembre 2004, de la lésion professionnelle initiale subie le 5 avril 2004.

 

Dossier 264877-71-0506

 

REJETTE le moyen préalable soulevé par la travailleuse, madame Gisèle Tremblay;

 

REJETTE la requête déposée par la travailleuse, madame Gisèle Tremblay;

 

CONFIRME la décision rendue par la révision administrative le 3 juin 2005;

 

DÉCLARE que la travailleuse est en mesure de reprendre son emploi pré lésionnel à compter du 23 septembre 2004.

 

 

[3]                Le moyen préalable soulevé par la travailleuse dans le troisième dossier visait à remettre en cause le caractère liant du rapport réalisé par le docteur Normand Poirier, neurochirurgien, le 2 août 2004, rapport sur la base duquel la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) a considéré que la travailleuse était capable d’exercer son emploi prélésionnel à compter du 23 septembre 2004.

[4]                À l’audience sur la requête en révocation tenue le 21 mars 2007, la travailleuse est présente ainsi que sa procureure, Me Lucie De Blois. L’employeur, Providence Notre-Dame-de-Lourdes, est représenté par Me Anne Lemire.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]                La travailleuse requérante demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer la décision qui a été rendue le 24 février 2006 au motif que cette décision est entachée de vices de fond de nature à l’invalider.

[6]                La requête vise essentiellement la partie de la décision de la Commission des lésions professionnelles qui dispose du moyen préalable soulevé par la travailleuse et plus particulièrement de cette partie de la décision où la Commission des lésions professionnelles dispose du second motif invoqué par la travailleuse au soutien de son moyen préalable, soit le non respect de l’exigence prévue à l’article 212.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) relative à l’obligation du médecin qui a charge d’informer le travailleur sans délai du contenu de son rapport. C’est en disposant de ce second motif que la travailleuse prétend que la Commission des lésions professionnelles a commis des erreurs de droit manifestes et déterminantes qui constituent, selon elle, des vices de fond de nature à invalider la décision.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]                Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur le bien fondé de la requête.

[8]                Les deux membres sont d’avis que la requête de la travailleuse doit être rejetée, aucun motif de révocation n’ayant été démontré.

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[9]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse requérante a démontré un motif donnant ouverture à la révocation demandée.

[10]           L’article 429.49 de la loi énonce qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cet article se lit comme suit :

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[11]           Par ailleurs, l’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision dans les cas suivants :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]           La requête en révocation de la travailleuse est basée sur le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi, soit le vice de fond de nature à invalider la décision.

[13]           Selon une jurisprudence bien établie de la Commission des lésions professionnelles depuis les décisions de principe rendues dans les affaires Donohue et Franchellini[2], la notion de « vice de fond … de nature à invalider la décision » signifie une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur le sort du litige.

[14]           La Commission des lésions professionnelles a retenu le critère de l’erreur manifeste et déterminante en s’appuyant, notamment, sur l’interprétation de la Cour d’appel dans l’affaire Épiciers Unis Métro Richelieu inc. et La Régie des alcools, des courses et des jeux[3]. Le juge Rothman s’exprimait ainsi sur la notion de vice de fond :

[…]

 

The Act does not define the meaning of the term «vice de fond» used in section 37. The Englis version of Sec.37 uses the expression «substantive…defect». In context, I believe that the defect, to constitute a «vice de fond», must be more than merely «substantive». It must be serious and fundamental. This interpretation is supported by the requirement that the «vice de fond» must be «… de nature à invalider la decision». A mere substantive or procedural defect in a previous decision by the Régie would not, in my view, be sufficient to justify review under Sec. 37. A simple error of fact or of law is not necessarily a «vice de fond». The defect, to justify review, must be sufficiently fundamental and serious to be of a nature to invalidate the decision.

 

[…]

 

 

[15]           En 2003, la Cour d’appel a rendu trois arrêts importants sur la norme de contrôle judiciaire applicable à des décisions rendues en révision interne. Dans les trois cas, la Cour d’appel a conclu que cette norme était celle de la décision raisonnable simpliciter. Son analyse l’a amenée à aborder de nouveau la notion de vice de fond et le caractère final des décisions rendues par le Tribunal administratif du Québec ou la Commission des lésions professionnelles.

[16]           Dans l’affaire Bourassa [4], il s’agissait d’une décision rendue en révision interne par la Commission des lésions professionnelles. Reprenant les propos tenus par le juge Rothman dans l’affaire Épiciers Unis Métro-Richelieu inc.[5], la Cour ajoute :

[21] La notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[1].

__________

[1] Voir :  Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508.  J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.

 

 

[17]           Dans l’affaire Amar[6], la Cour d’appel était saisie d’une autre décision rendue en révision interne par la Commission des lésions professionnelles. Il s’agissait cette fois d’une question d’interprétation d’une disposition législative. La Cour d’appel a conclu que la seconde formation ne pouvait pas substituer sa propre interprétation à celle retenue par la première formation, la divergence d’interprétation ne pouvant constituer un vice de fond.

[18]           Dans l’affaire Godin[7], il s’agissait de l’appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli une requête en révision judiciaire d’une décision du Tribunal administratif du Québec qui avait révisé une première décision rendue par ce tribunal. Bien que les propos de la Cour d’appel portent essentiellement sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision interne rendue par le Tribunal administratif du Québec et s’avèrent est moins pertinents en l’espèce, il est intéressant de noter les commentaire du juge Fish concernant le caractère final des décisions de ce tribunal :

[38]           In this context, it is important to recall that the present appeal involves a decision of the Social Affairs Division of the TAQ.  Such decisions, unlike those of the Tribunal's Immovable Property Division and its decisions concerning the preservation of agricultural land, are not subject to appeal to any court of law14

 

[39]           This reflects a legislative intention to treat as final the Tribunal's "determinations in respect of proceedings brought against an administrative or decentralized authority"15  - in this case, the SAAQ. 

[40]           The general rule regarding the finality of the Tribunal's determinations is subject to the three exceptions set out in section 154 of the ARAJ

 

[41]           This legislative scheme reflects a policy choice that incorporates a series of socially desirable objectives.  Its dominant purpose is "to affirm the specific character of administrative justice, to ensure its quality, promptness and accessibility and to safeguard the fundamental rights of citizens"16. It protects the victims of administrative error or caprice by affording them a quasi-judicial recourse against the unjustified denial of their rights by the agency or department concerned.

 

[42]            In the pursuit of these objectives, the Tribunal (except where otherwise provided by law) "exercise[s] its jurisdiction to the exclusion of any other tribunal or adjudicative body"17

 

[43]           Reading section 154 of the ARAJ in the light of the legislative scheme as a whole, I think it is intended to provide citizens18 with an additional measure of security and peace of mind.  It is meant to ensure that the citizen's entitlement to a  social benefit or indemnity, initially denied by a competent state authority but then confirmed by the TAQ -- the quasi-judicial tribunal established by the state for that purpose -- will not be again put in issue except in the interests of fundamental justice and in the limited instances contemplated by section 154.

 

[44]           I would characterize these limited instances as a defined set of exceptional circumstances where, under the established adjudicative scheme, administrative finality must yield to the superior imperative of administrative justice

 

[45]           This view of the matter appears to me to be entirely consistent with the legislator's stated objective: "to affirm the specific character of administrative justice, to ensure its quality, promptness and accessibility and to safeguard the fundamental rights of citizens"19.  

 

[…]

 

[51]           Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions.  Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails.

____________

14    See Section 159 of the ARAJ.

15    Section 14 of the ARAJ.

16    Section 1 of the ARAJ.

17    Section 14 of the ARAJ.

18    "Citizens" is the term used in the ARAJ.

19    Section 14 of the ARAJ.

 

 

[19]           Plus récemment, dans l’affaire Fontaine[8], la Cour d’appel a réitéré que la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles, en révision interne, était celle de la décision raisonnable simpliciter. Procédant à une analyse très approfondie de la norme de contrôle judiciaire applicable ainsi qu’à une analyse comparative des dispositions régissant la Commission des lésions professionnelles et le Tribunal administratif du Québec, le juge Morissette, qui rend le jugement unanime de la Cour, justifie ainsi l’application de la norme de la décision raisonnable simpliciter dans un tel cas :

[41] Il ne suffit pas d’énumérer, comme la mise en cause le fait ici, les différences institutionnelles qui peuvent exister entre la CLP et telle ou telle section du TAQ pour soustraire la CLP à l’analyse que livre le juge Fish dans ses motifs de l’arrêt Godin.  Les finalités de qualité, de célérité et d’accessibilité qu’il y évoque revêtent en effet une égale importance, qu’un justiciable s’adresse au TAQ ou à la CLP. Le risque que ces finalités soient compromises, voire contrecarrées, par des contestations persistantes et sans justification sérieuse est le même dans les deux cas; l’exercice libéral du pouvoir d’autorévision ne peut qu’encourager de telles contestations en affaiblissant la stabilité de décisions qui (en principe et sous réserve de quelques cas d’exception) sont finales dès lors qu’elles ne sont pas manifestement déraisonnables. Des textes législatifs souvent complexes reçoivent application dans les champs d’intervention du TAQ et de la CLP. Il est banal d’observer que ces textes se prêtent régulièrement à des interprétations diverses mais également défendables («tenable» selon le terme employé par le juge Iacobucci dans l’arrêt Ryan, et que cite le juge Fish[35]), interprétations véhiculées par des décisions qui, selon la volonté du législateur, sont finales et non sujettes à appel. Il faut se garder d’utiliser à la légère l’expression «vice de fond de nature à invalider» une telle décision. La jurisprudence de notre Cour, sur laquelle je reviendrai, est à juste titre exigeante sur ce point. La faille que vise cette expression dénote de la part du décideur une erreur manifeste, donc voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique. Ces facteurs me convainquent que, tout bien considéré, la thèse de la mise en cause sur la norme de contrôle doit être écartée, et que la norme applicable ici comme dans l’arrêt Godin est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[…]

 

[44] […] Le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable simpliciter permet ainsi d’empêcher que ne s’instaure entre la CLP 1 et la CLP 2 (et ce, même en l’absence d’excès de compétence) «the adjudicative realm in which "second opinions" reigned and poured», selon l’expression éloquente du juge Fish. Si pour des raisons de qualité, de célérité et d’accessibilité le législateur a voulu réduire sensiblement la portée du pouvoir de surveillance de la Cour supérieure lorsqu’il s’exerce sur les décisions de la CLP, il importe que le pouvoir conféré à la CLP 2 par le paragraphe 3° de l’article 429.56 LATMP s’exerce sans que réapparaissent en tout ou en partie les inconvénients du contrôle judiciaire tel qu’il se pratiquait en l’absence de clauses privatives intégrales. Le moyen d’atteindre cet objectif est d’appliquer aux décisions de la CLP 2 rendues en vertu de ce paragraphe la norme de la décision ou de l’interprétation raisonnable simpliciter.

__________

[35] Supra, note 15, paragr. 55.

 

(notre soulignement)

 

 

 

[20]           Sur la notion de vice de fond, le juge Morissette rappelle les propos du juge Rothman dans Épiciers Unis Métro-Richelieu inc.[9] et mentionne que cet énoncé de principe n’a jamais été remis en question. Il note, toutefois, que plusieurs précisions ont été apportées par la jurisprudence ultérieure et conclut ainsi :

[…]

 

On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distincts susceptibles d’en faire « un vice de fond de nature à invalider [une] décision. »

 

[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins moins défendable que la première51. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»52L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»53 mais, comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»54 un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)55.  Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision56.

____________

51    Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22

52    Ibid., paragr. 51.

53        Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.

54    Ibid., paragr. 26

55    Supra, note 10, paragr. 24.

56    Ibid., paragr. 22.

 

 

[21]           Le juge Morissette discute également du conflit jurisprudentiel, rappelant que la Cour suprême a donné la juste mesure de cet argument dans l’arrêt Domtar[10] :

[…]

 

[62] L’arrêt Domtar inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles)65 a donné la juste mesure de cet argument, mais dans un contexte quelque peu différent du nôtre, puisque la norme de contrôle alors applicable à la décision de la CALP était celle de l’interprétation manifestement déraisonnable.

 

[63] Par cet arrêt, la Cour suprême décida en un premier temps que l’interprétation de l’art. 60 LATMP adoptée par la CALP ne pouvait être qualifiée de manifestement déraisonnable66. Se posait alors une seconde question : la Cour d’appel avait-elle jugé à bon droit, en s’appuyant sur son arrêt Produits Pétro-Canada Inc. c. Moalli67, qu’il fallait casser la décision de la CALP parce qu’une divergence d’interprétation apparente l’opposait au Tribunal du travail sur la portée de ce même article 60? Critiquant l’arrêt Moalli qu’elle juge trop interventionniste, la Cour suprême accueille le pourvoi et répond négativement à cette deuxième question. Le juge L’Heureux-Dubé qui rend le jugement unanime de la Cour conclut ses motifs par les observations suivantes68 :

           

            Si le droit administratif canadien a pu évoluer au point de reconnaître que les tribunaux administratifs ont la compétence de se tromper dans le cadre de leur expertise, je crois que l'absence d'unanimité est, de même, le prix à payer pour la liberté et l'indépendance décisionnelle accordées aux membres de ces mêmes tribunaux.  Reconnaître l'existence d'un conflit jurisprudentiel comme motif autonome de contrôle judiciaire constituerait, à mes yeux, une grave entorse à ces principes.  Ceci m'apparaît d'autant plus vrai que les tribunaux administratifs, tout comme le législateur, ont le pouvoir de régler eux-mêmes ces conflits.  La solution qu'appellent les conflits jurisprudentiels au sein de tribunaux administratifs demeure donc un choix politique qui ne saurait, en dernière analyse, être l'apanage des cours de justice.

 

Il me paraît exact de dire qu’après cet arrêt de principe, l’autonomie décisionnelle des tribunaux administratifs a acquis préséance sur l’objectif de cohérence ou de constance décisionnelle69.

____________

65    [1993] 2 R.C.S. 756

66    Ibid., p. 776-779.

67    [1987] R.J.Q. 261 (C.A.).

68    Supra, note 65, p. 800-1.

69        La professeure Suzanne Comtois avait abordé cette question dans un article que cite la Cour dans l’arrêt Domtar, «Le contrôle de la cohérence décisionnelle au sein des tribunaux administratifs» (1990), 21 Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 77. Voir aussi Barreau du Québec c. Tribunal des professions, [1999] R.J.Q. 1796 (C.S.).

 

 

[22]           Une fois admis que l’existence d’un conflit jurisprudentiel ne constitue pas en soi un motif autonome de contrôle judiciaire, le juge Morissette va plus loin. Il se demande si s’écarter d’une jurisprudence assez soutenue est en tant que tel déraisonnable, constitue une « erreur manifeste de droit » ou « fatal error » et répond par la négative dans la mesure où l’application de cette norme jurisprudentielle aurait pour effet de faire obstacle à la solution appropriée du cas sous étude. Les observations suivantes du juge Morissette résument sa position sur la question :

[69] L’expérience démontre cependant que le respect du précédent, s’il est trop intransigeant, peut faire obstacle à la recherche d’une meilleure solution. Aussi ne doit-il pas être conçu comme une fin en soi mais seulement comme un moyen, et non le seul, pour parvenir à la solution appropriée : il invite le décideur à scruter chaque cas afin de déterminer dans quelle mesure les raisons qui antérieurement ont justifié un résultat donné dans une espèce apparemment semblable justifieraient le même résultat dans le cas sous étude. Les observations suivantes, dans le sillage du passage rédigé par Hart, me paraissent le démontrer :

 

No plausible conception of equality requires that everyone be treated the same; what equality requires is that differences in treatment be justified by reasons. […] [T]he idea that differences in treatment must be justified by reasons is an important one, and certainly intuitively plausible at the least80.

 

Cases always overflow the boundaries within which rules attempt to confine them81.

 

… when judges decide cases at the margin of previously announced rules, adjusting those rules for under- or over-inclusion, but not necessarily with regard to some overall substantive understanding of what makes all the relevant cases “like cases”, we can have a form of decision making that is both (marginally) reasoned and formally equal. Moreover, […] here reason and equality are independent ideas, that is, ideas that are not reducible into, or derivable from, one another. It is worth emphasizing that what formal equality entails is not just mechanically going on as before but, rather, going on with the like treatment unless reason suggests otherwise82.

 

Le précédent, ou le principe voulant que des causes similaires soient traitées de façon analogue, ne dispense pas de chercher les raisons pour lesquelles une certaine solution est appropriée. Il facilite simplement l’analyse là où il est vraiment applicable.

 

[…]

 

[71] Une décision judiciaire ou quasijudiciaire se situe au point de contact entre le droit et le fait, là où l’interprétation des textes se fait nécessairement à la lumière des circonstances précises de l’espèce. En l’occurrence, ces circonstances, dans ce qu’elles avaient de particulièrement pertinent, sont  énumérées aux paragraphes 21 à 25 de la décision. L’augmentation considérable du DAP de l’intimée, passé de 2% avant l’emploi convenable à 22% après l’emploi convenable, la persistance puis l’aggravation de la douleur pendant un long laps de temps qui se prolonge au moment où l’intimée témoigne, le caractère théorique de l’emploi convenable, qui d’avril 1997 à mars 2003 n’a jamais pu être exercé par l’intimée et qui ne présente peut-être plus aujourd’hui les mêmes possibilités d’embauche qu’en 1997, le contexte dans lequel la transaction qui identifiait cet emploi convenable a été conclue et l’absence, à cette époque, d’une rencontre avec l’intimée pour évaluer avec elle sa capacité résiduelle, sont autant de faits susceptibles de jeter une lumière autre sur la «jurisprudence constante» de la CLP. La CLP 1 a jugé qu’une accumulation de facteurs présentant une gravité suffisante justifiait que la question de l’emploi convenable soit réexaminée et soit tranchée en faveur de l’intimée.

 

[72] Ce faisant, elle s’est écartée, semble-t-il, d’une norme jurisprudentielle antérieure; du moins l’a-t-elle sensiblement nuancée. Mais cette norme ne repose que sur une interprétation possible, et certainement pas sur la seule lecture indiscutable, du texte de loi invoqué de part et d’autre. En situant le cas de l’intimée en dehors du champ d’application de la norme jurisprudentielle apparemment applicable, la CLP 1 signale que cette norme telle qu’on la comprend est susceptible de faire obstacle à la solution appropriée du cas sous étude : elle est surdéterminée ou «overinclusive». Confrontée à des faits difficiles, une interprétation qu’on croyait reçue fait voir ses faiblesses. Sans être fréquents, de tels infléchissements sont assez banals en jurisprudence; on leur doit en partie la fécondité du droit. Dans ces conditions, je ne vois pas, pour ma part, comment l’on pourrait qualifier l’interprétation adoptée par la CLP 1, et la décision qui en est résultée, de déraisonnable ou de manifestement erronée. Elle résiste à un examen assez poussé, selon l’expression du juge Iacobucci dans l’arrêt Southam 83

____________

80    David A. Strauss, «Must Like Cases Be Treated Alike?», Public Law and Legal Theory Working Paper No. 24, University of Chicago Law School, 2002, p. 20.

81    Winston, supra, note 79, p. 17

82    Bruce Chapman, «Chance, Reason and the Rule of Law» (2000), 50 University of Toronto Law Journal 469, p. 489 (italiques tirés de l’original).

83    Supra, note 50, paragr. 56.

 

 

[23]           C’est à la lumière de ces différents principes que la requête en révocation de la travailleuse doit être examinée mais, auparavant, rappelons brièvement les faits pertinents à cette requête.

[24]           Lors de l’audience au mérite tenue le 16 novembre 2005, la travailleuse soumet un moyen préalable concernant la validité du rapport complémentaire produit par le docteur Normand Poirier, neurochirurgien, en date du 2 août 2004, lequel se lit comme suit :

J’ai bien relu l’évaluation du Dr Paul-Émile Renaud et je suis tout à fait d’accord avec ses conclusions et ses recommandations qui sont tout à fait exactes et qui correspondent bien à la réalité de ce malade.

 

 

[25]           La travailleuse prétend que ce rapport complémentaire est invalide et qu’il n’a pas le caractère liant prévu à la loi aux fins de rendre une décision, notamment sur sa capacité de travail et ce, pour deux motifs : le premier motif est que l’opinion du docteur Poirier n’est pas assez étayée; le second motif est que ce rapport complémentaire ne respecte pas l’exigence prévue à l’article 212.1 de la loi, lequel prévoit que le médecin qui a charge du travailleur doit informer ce dernier, sans délai, du contenu de son rapport. Ni l’un ni l’autre de ces motifs n’est retenu par la Commission des lésions professionnelles.

[26]           La requête en révocation de la travailleuse ne porte que sur la partie de la décision qui concerne le second motif invoqué. La Commission des lésions professionnelles dispose de ce motif aux paragraphes [137] à [144] de la décision, lesquels se lisent comme suit :

[137] Quant au fait que la travailleuse n’ait pas, sans délai, été informée du contenu de ce rapport, la Commission des lésions professionnelles estime que cet élément ne peut, à lui seul, invalider ce dernier. En effet, la travailleuse en est avisée assez rapidement par la CSST et elle a alors la possibilité de communiquer avec le docteur Poirier pour en discuter. Cependant, la travailleuse n’exerce pas cette option.

 

[138] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles est perplexe face aux conséquences pouvant découler de l’omission du médecin qui a charge d’informer la travailleuse du contenu de son rapport.

 

[139] Certaines des décisions déposées par la représentante de la travailleuse laissent entendre que le fait de ne pas informer la travailleuse de ce contenu interfère avec le droit de celle-ci de choisir son médecin traitant selon l’article 192 de la loi.

 

[140] Avec respect, la Commission des lésions professionnelles ne peut voir en quoi l’omission d’informer la travailleuse du contenu du rapport émis par son médecin traitant contrevient à l’article 192 de la loi ou est incompatible avec l’application de ce dernier.

 

[141] En effet, cet article précise que la travailleuse a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix. Cet article permet certes à une travailleuse insatisfaite du suivi médical dont elle fait l’objet de changer de médecin en cours de traitements.

 

[142] Toutefois, cet article ne permet pas à la travailleuse de contester les rapports de son médecin traitant et encore moins de décider que son médecin traitant perd cette qualité parce qu’elle est en désaccord avec ses conclusions. En conséquence, le fait d’être ou non avisée des conclusions finales du médecin qui a charge n’a aucune incidence sur le choix du médecin traitant et, dans cette optique, permettre, en fin de parcours, à une travailleuse de changer de médecin qui a charge en raison d’une divergence de vue sur les conséquences de sa lésion professionnelle constituerait « un mode de contestation non prévu par la loi qui, s’il était accepté, conduirait à une surenchère inacceptable »10.

 

[143] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le simple fait d’avoir légèrement tardé avant d’informer la travailleuse du contenu du rapport complémentaire du docteur Poirier ne peut avoir pour conséquence d’écarter ce rapport ou de faire perdre à ce médecin sa qualité de médecin traitant.

 

[144] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que le rapport complémentaire émis par le docteur Poirier est conforme à la loi et, dès lors, il lie la Commission des lésions professionnelles selon l’article 224 de la loi.

____________

10      Voir à ce sujet : Fontaine et Lemieux mobilier de bureau inc., C.A.L.P. 28317-62-9104, le 29 avril 1993, G. Perreault; Desharnais et Compagnie minière Québec Cartier, C.L.P. 95037-09-9803, le 23 novembre 1998, C. Lessard; Raymond et Transformation B.F.L., C.L.P. 230973-04-0403, le 25 février 2005,  A. Gauthier.

 

 

[27]           Selon la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles a commis des erreurs de droit manifestes et déterminantes en ce qui concerne l’interprétation de l’article 212.1 de la loi, tant au niveau des exigences de cet article que de ses conséquences. Même si elle a été informée du rapport complémentaire du docteur Poirier par la CSST, la travailleuse soumet que l’article 212.1 de la loi exige que ce soit le médecin qui a charge et personne d’autre qui informe le travailleur du contenu de son rapport, le but de cette disposition étant justement de permettre une discussion entre le travailleur et son médecin avant que ce rapport ne soit transmis à la CSST et le cas échéant, permettre au travailleur de changer de médecin traitant s’il est insatisfait des conclusions de ce dernier.

[28]           La Commission des lésions professionnelles a donc commis une erreur de droit manifeste, selon la travailleuse, en considérant que le fait d’être informée du rapport de son médecin traitant par la CSST respectait les exigences de l’article 212.1 de la loi. Elle soumet également que la Commission des lésions professionnelles a commis une autre erreur de droit manifeste en considérant que le fait de ne pas avoir été informée par son médecin du contenu de son rapport ne contrevenait pas à l’application de l’article 192 de la loi, lequel consacre le droit du travailleur de choisir son médecin traitant. Selon la travailleuse, l’article 192 de la loi permet au travailleur de changer de médecin non seulement s’il est insatisfait du suivi médical dont il fait l’objet mais également lorsqu’il y a divergence de vue entre lui et son médecin quant aux conséquences de sa lésion professionnelle.

[29]           Ces erreurs de droit manifestes ont été déterminantes, fait-elle valoir, car n’eut été de ces erreurs, la Commission des lésions professionnelles aurait dû conclure que le rapport complémentaire du docteur Poirier, en date du 2 août 2004, n’était pas conforme à la loi et qu’il n’avait, par conséquent, aucun caractère liant pour les parties, ce qui aurait dû entraîner l’annulation de toutes les décisions prises sous l’empire de ce rapport et le retour du dossier à la CSST afin que soit repris le processus d’évaluation médicale.

[30]           La travailleuse appuie ses prétentions sur plusieurs décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles[11] sur cette question, ainsi que sur l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Lapointe[12]. Cette jurisprudence avait aussi été déposée lors de l’audience au mérite.

[31]           Dans l’affaire Lapointe, il s’agissait d’un rapport final produit en vertu de l’article 203 de la loi, lequel prévoit la même exigence que l’article 212.1 de la loi relativement à l’obligation du médecin qui a charge d’informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport. La Cour d’appel a considéré qu’il était manifestement déraisonnable de conclure que le rapport final du médecin traitant pouvait lier la travailleuse, alors que cette dernière ignorait le contenu de ce rapport au moment où la CSST a rendu sa décision. Il y a lieu de citer cet extrait des propos de l’Honorable juge Dalphond, s’exprimant au nom de la Cour :

[32] La deuxième possibilité était de considérer que le médecin qui avait charge de l'appelante en juin 1998 était désormais le Dr Roy. Il demeure que l'appelante a allégué dès la décision de la CSST connue, qu'elle ignorait le contenu de ce rapport. En somme, elle a allégué violation de l'obligation faite à l'art. 203 in fine au médecin qui avait charge de l'informer. La CSST devait alors vérifier la véracité de l'allégation et, si bien fondée, conclure que le rapport final reçu du Dr Roy ne pouvait lier l'appelante en vertu de la Loi, car violant l'art. 203 de la Loi et la finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix (art. 192) et d'être informé du contenu du rapport final de ce dernier.

 

[33] Le refus de reconsidérer la décision du 10 juin en pareilles circonstances revient à stériliser la fin de l'art. 203 et, par conséquent, constitue une décision contraire à la Loi, ce que le législateur n'a pu vouloir. Une décision si contraire à l'intention législative est alors manifestement déraisonnable.

 

 

[32]           Plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles[13] rendues ultérieurement reprennent les conclusions de la Cour d’appel dans l’arrêt Lapointe. La travailleuse reproche à la commissaire qui a rendu la décision du 24 février 2006 de ne pas avoir suivi cette jurisprudence. Selon la travailleuse, l’arrêt de la Cour d’appel établit désormais la norme de droit applicable et la règle du précédent s’applique. La Commission des lésions professionnelles est liée par le principe énoncé dans cet arrêt.

[33]           La Commission des lésions professionnelles a eu l’occasion, dans l’affaire Anctil[14], de préciser la signification de la règle du précédent et de rappeler les conditions qui sont requises pour qu’une décision fasse autorité :

[45] Quant à son premier moyen concernant l’omission d’appliquer une norme juridique, il ne peut non plus être retenu. La norme alléguée proviendrait de la Cour d’appel et consisterait à l’affirmation suivante : l’indemnité de remplacement du revenu vise à compenser la perte de capacité de gains.

 

[46] Cela équivaut à plaider la règle du précédent. La règle du précédent, stare decisis de son nom latin, est issue de la common law et «veut essentiellement que les tribunaux soient liés par les principes énoncés dans des décisions antérieures qui impliquent des faits ou des principes de droit semblables»20.

 

[47] Sans procéder à une analyse fouillée de la portée de cette règle et de son application à un tribunal quasi-judiciaire comme la Commission des lésions professionnelles, rappelons que pour qu’une décision fasse autorité, il faut identifier quelle règle de droit applicable s’en dégage, quelle est la ratio decidendi

 


[48] Les auteurs Poirier et Debruche décrivent ainsi cette notion :

 

        D’après les auteurs contemporains, la ratio decidendi d’une cause est le principe que le juge a énoncé à partir des faits de la cause pour trancher celle-ci. Dans son jugement, il doit justifier sa décision par l’affirmation d’un principe nettement rattaché aux faits. La ratio decidendi n’est donc pas seulement le principe de droit énoncé par le juge pour décider d’un cas, mais le principe de droit rattaché aux faits particuliers de l’espèce de manière quasi organique. En d’autres termes, l’approche choisie entend dégager le principe des faits concrets de sorte que ce principe n’ait valeur de précédent que pour des cas dont les faits sont semblables ou qui tombent dans une même catégorie de faits. Le précédent n’a de force impérative que dans le cadre des circonstances qui ont justifié la décision. […]21

 

[49] Pour identifier la ratio decidendi, il faut donc considérer les faits pertinents de la cause et également préciser à quelles questions de droit répondait le juge :

 

        La détermination des questions de droit sérieusement examinées par les juges est une façon de faire apparaître la ration decidendi. Dans la rédaction de leur décision, les juges énoncent habituellement une ou quelques questions de droit auxquelles ils doivent répondre en rendant leur décision. Autrement dit, ils répondent aux questions qui leur sont posées et justifient leurs réponses. Ces réponses aux questions de droit replacées dans le contexte des faits particuliers de l’espèce contiennent habituellement la ratio decidendi.22

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20    Louise BÉLANGER-HARDY et Aline GRENON, Éléments de common law et aperçu comparatif du droit civil québécois, Scarborough, Carswell, 1997, p.70.

21    Donald POIRIER et Anne-Françoise DEBRUCHE, Introduction générale à la common law, 3e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 361.

22    Id., p. 360.

 

 

[34]           Ainsi, pour qu’une décision fasse autorité, il faut d’abord identifier quelle en est la ratio decidendi, ce qui implique de rechercher non seulement le principe de droit énoncé par le juge pour décider du cas mais le principe de droit rattaché aux faits particuliers de l’espèce. En d’autres termes, le principe de droit énoncé n’aura valeur de précédent que pour des cas où les faits sont semblables. Comme le mentionne les auteurs Poirier et Debruche, cités dans la décision Anctil, « le précédent n’a de force impérative que dans le cadre des circonstances qui ont justifié la décision ».

[35]           Dans le cas présent, même si les articles 203 et 212.1 de la loi contiennent la même exigence quant à l’obligation faite au médecin traitant d’informer le travailleur du contenu de son rapport, les circonstances qui ont justifié les conclusions de la Cour d’appel dans l’arrêt Lapointe ne sont pas les mêmes qu’en l’espèce. Dans cette affaire, la travailleuse n’avait jamais été informée du rapport final de son médecin avant que la CSST ne rende sa décision. C’est parce que la travailleuse n’avait pas été informée du contenu du rapport final du docteur Roy que la Cour d’appel a considéré que ce rapport ne pouvait lier la travailleuse en vertu de la loi. En l’espèce, le contexte est différent car la travailleuse a été rapidement informée par la CSST du contenu du rapport complémentaire du docteur Poirier. Elle en a été informée bien avant que la CSST ne rende sa décision, ce qui lui donnait toute latitude pour réagir et prendre action, le cas échéant. Certes, la travailleuse n’a pas été informée du contenu du rapport par son médecin lui-même mais elle en a tout de même été informée, ce qui différencie nettement le cas sous étude de celui soumis à la Cour d’appel. Pour ces raisons, le tribunal ne croit pas que la Commission des lésions professionnelles était liée par l’arrêt Lapointe et ne voit aucune erreur de droit manifeste de la part de la première commissaire à avoir considéré, dans le contexte, que le rapport complémentaire du docteur Poirier était conforme à la loi et que, dès lors, il liait la Commission des lésions professionnelles en vertu de l’article 224 de la loi.

[36]           Outre le fait que le cas sous étude se distingue, au niveau factuel, de celui soumis à la Cour d’appel, il faut aussi mentionner que tous les énoncés d’un jugement ne constituent pas des règles qui font autorité comme le mentionne la commissaire Nadeau dans l’affaire Anctil :

[52] Dans ses motifs, la Cour d’appel énonce que l’indemnité de remplacement du revenu est destinée à compenser la perte de gains futurs. Mais tous les énoncés d’un jugement ne constituent pas des règles qui font autorité :

 

        […] Premièrement, un principe énoncé dans un jugement n’est pas à proprement parler un énoncé général du droit sur le sujet, applicable à une multitude de situations. Cela est vrai, même si les ratio decidendi sont souvent rédigées sous la forme de principes généraux. Le principe exposé dans un précédent ne représente pas l’ensemble du droit, mais se limite aux faits de la cause qu’il sert à régler67. [25]

        ____________

67        Quinn c. Leathem, [1901] A.C. 495, [1900-3] AII E.R. Rep. 1 (H.L.).

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25        L. BÉLANGER-HARDY et A. GRENON, op. cit, note 20, p. 94.

 

 

[37]           Dans l’arrêt Lapointe, la Cour d’appel énonce que la finalité sous-jacente de l’article 203 de la loi est celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix (article 192) et d’être informé du contenu du rapport final de ce dernier. Par cet énoncé, la Cour suggère que l’omission d’informer le travailleur du contenu du rapport final de son médecin compromet le droit qui lui est reconnu, à l’article 192 de la loi, de choisir son médecin sans toutefois préciser en quoi ce droit peut être compromis par le non respect des exigences de l’article 203 de la loi. Il faut cependant rappeler que le débat devant la Cour d’appel portait sur la validité et le caractère liant du rapport préparé par
un spécialiste à la demande du médecin qui a charge, eu égard à l’exigence de l’article 203 de la loi, comme on peut le constater à la lecture du paragraphe [6] des motifs du juge Dalphond :

[6] La Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) peut-elle considérer qu'un travailleur est lié par le contenu du rapport médical préparé par un spécialiste à la demande du médecin qui en avait charge, lorsque ce rapport contredit le rapport final de ce dernier et qu'il n'a pas été communiqué au travailleur ? À mon avis, non, car cela est contraire à la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la Loi).

 

 

Le principe de droit qui se dégage de l’arrêt Lapointe est que si l’exigence de l’article 203 de la loi n’est pas respectée, le rapport du médecin qui a charge n’a pas de caractère liant et ne lie pas le travailleur. C’est ce principe qui fait autorité. La Cour d’appel n’était pas saisie d’un débat portant sur le droit du travailleur de choisir son médecin et l’étendue de ce droit. Le tribunal ne considère pas, qu’à cet égard, l’énoncé de la Cour d’appel a valeur de précédent et fait autorité. Le lien qu’établit la Cour d’appel entre l’exigence prévue à l’article 203 de la loi et le droit du travailleur de choisir son médecin ne constitue pas une règle de droit qui lie la Commission des lésions professionnelles. La première commissaire pouvait ne pas adhérer à une telle interprétation sans commettre une erreur de droit manifeste et déterminante.

[38]           Si la première commissaire se dissocie de l’interprétation de la Cour d’appel voulant que l’omission d’informer le travailleur du contenu du rapport émis par son médecin traitant viole l’article 203 de la loi et sa finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix, interprétation qui a été suivie par la Commission des lésions professionnelles dans un certain nombre de décisions à la suite de l’arrêt Lapointe, elle motive bien sa position aux paragraphes [140] à [142] de la décision. Sa position s’appuie sur un autre courant jurisprudentiel au sein de la Commission des lésions professionnelles, auquel elle fait référence au paragraphe [142] de la décision. Selon ce courant jurisprudentiel, il n’y a pas de lien entre l’obligation qui est faite au médecin qui a charge d’informer le travailleur du contenu de son rapport (articles 203, 212.1) et le droit du travailleur de choisir son propre médecin (article 192). Les commissaires qui s’inscrivent dans ce courant jurisprudentiel ont également réitéré, à maintes reprises, que le droit de choisir son médecin ne permettait pas à un travailleur insatisfait de contester les conclusions du rapport de son propre médecin. La première commissaire ne fait que réitérer ces principes.

[39]           La jurisprudence[15] déposée par l’employeur, dans le cadre de la requête en révocation, montre que ce courant jurisprudentiel s’est maintenu après l’arrêt Lapointe et que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles demeure divisée lorsqu’il s’agit de déterminer la portée de l’exigence prévue aux articles 203 et 212.1 et son interférence avec le droit du travailleur de choisir le médecin de son choix qui lui est reconnu à l’article 192 de la loi. La jurisprudence est également divisée lorsqu’il s’agit de déterminer la validité du rapport du médecin traitant et son caractère liant lorsque, comme en l’espèce, le travailleur a été avisé du contenu de ce rapport mais par la CSST et non par son médecin comme le montre la jurisprudence déposée tant par l’employeur que par la travailleuse.

[40]           Nous avons vu précédemment qu’il est bien établi dans la jurisprudence, depuis l’arrêt Domtar[16], que les interprétations divergentes relativement à l’application de dispositions législatives ne constituent pas un vice de fond de nature à invalider la décision, le recours en révision ou en révocation n’ayant pas pour but de trancher des controverses jurisprudentielles. La Cour d’appel l’a rappelé dans l’arrêt Fontaine[17].

[41]           La première commissaire n’a commis aucune erreur de droit manifeste et déterminante en adhérant à un courant jurisprudentiel plutôt qu’à un autre en ce qui concerne ces questions.

[42]           Cela étant dit, il faut rappeler que lorsque la première commissaire discute, aux paragraphes [140] à [142] de la décision, de l’exigence faite au médecin traitant d’informer la travailleuse du contenu de son rapport eu regard au droit de cette dernière de choisir son médecin et qu’elle épilogue sur l’étendue de ce droit, elle le fait en réponse à la jurisprudence qui lui a été déposée par la travailleuse. Il ne s’agit pas de la ratio decidendi de la décision. Si la première commissaire a considéré que le rapport du docteur Poirier était conforme à la loi et a reconnu son caractère liant, c’est parce que la travailleuse avait été rapidement informée du contenu de ce rapport par la CSST.

[43]           Les faits, dans le présent dossier, se distinguent de ceux soumis à la Cour d’appel dans l’affaire Lapointe et la règle du précédent ne s’applique pas en l’espèce pour les motifs déjà exposés.

[44]           Le tribunal ne voit aucune erreur manifeste de droit pouvant être assimilable à un vice de fond dans la décision qui a été rendue le 24 février 2006. Rien ne justifie le tribunal d’intervenir pour révoquer cette décision.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révocation de la travailleuse, madame Gisèle Tremblay.

 

 

 

Me Mireille Zigby

 

Commissaire

 

Me Lucie De Blois

F.I.Q.

Procureure de la partie requérante

 

Me Anne Lemire

GROUPE SANTÉ PHYSIMED

Procureure de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]           [1996] R.J.Q. 608 (C.A.).

[4]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[5]           Déjà citée, note 3.

[6]           Amar et Commission de la santé et de la sécurité du travail, [2003], C.L.P. 606 (C.A.).

[7]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).

[8]           Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[9]           Déjà citée, note 3.

[10]         Domtar inc. c. Commission des lésions professionnelles, [1993] 2. R. C.S. 756.

[11]         Raymond et Transformation B.F.L., C.L.P. 230973-04-0403, 25 février 2005, A. Gauthier; Desharnais et Compagnie Minière Québec Cartier, C.L.P. 95037-09-9803, 23 novembre 1998, C. Lessard; Brière et Vinyle Kaytec inc., C.L.P. 215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry; McQuinn et Étiquettes Mail-Well, C.L.P. 201087-62A-0303, 31 janvier 2005, N. Tremblay, décision rectifiée le 15 février 2005; Gagné et Entreprises Cuisine-Or, C.L.P. 231454-03B-0404, 13 juin 2005, M. Cusson; Léveillé et Société canadienne des postes, C.L.P. 238467-63-0407, 21 juillet 2005, R. Brassard.

[12]         Lapointe c. Commission des lésions professionnelles, C.A. Montréal, 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle.

[13]         Voir la jurisprudence déposée par la travailleuse à la note 11.

[14]         Anctil et Centre Miriam, C.L.P. 264595-63-0506-R, 18 septembre 2006, L. Nadeau.

[15]         Raymond et Transformation B.F.L., C.L.P. 230973-04-0403, 25 février 2005, A. Gauthier; Trudel et Transelec/Common inc., C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois; Jean et Belron Canada inc., C.L.P. 287234-31-0604, 6 septembre 2006, M.-A. Jobidon; Clouâtre et Coroplast - Division des Entreprises Grand Pacifique inc., C.L.P. 288103-62B-0605, 16 octobre 2006, N. Blanchard.

[16]         Déjà citée, note 10.

[17]         Déjà citée, note 8.

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