Décision

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Massé c. Deschamps

2017 QCCQ 14262

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d’appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

505-80-007368-160

 

 

 

DATE :

27 novembre 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SERGE LAURIN

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

Jean-Bernard Massé

appelant

c.

Robert Deschamps en qualité de syndic adjoint de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec

intimé

 

et

Renée Dionne en qualité de secrétaire du Comité de discipline de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec

mise en cause

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

INTRODUCTION

[1]   Monsieur Massé interjette appel d’une décision[1] sur verdict du Comité de discipline de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (Comité) pour les chefs d’accusation 1 à 11 (a) concernant notamment sa participation à un stratagème visant la vente rapide d’immeubles en abusant de la confiance des promettant-acheteurs ainsi que la transmission de faux documents pour l’obtention de financement et l’omission de faire connaître son intérêt et la transmission de fausses déclarations au syndic lors d’une enquête. Monsieur Massé est déclaré non-coupable du chef 11 (b).

[2]   Monsieur Massé soutient que le Comité a mal évalué la crédibilité des témoins en considérant des éléments de preuve non soutenus par des actes et qu’il a erré dans l’appréciation de la preuve.

[3]   Aussi, monsieur Massé soutient que le Comité a erré lorsqu’il a omis de le mettre en garde sur les conséquences d’être non représenté par procureur et lorsqu’il n’a pas considéré son état de santé.

[4]   De son côté, le Syndic soutient que les décisions du Comité ne sont pas déraisonnables et que monsieur Massé désire maintenant que le Tribunal procède à une deuxième appréciation de la preuve.

[5]   Monsieur Massé interjette également appel de la décision sur sanction du Comité[2]. Il demande que la sanction de suspension, totalisant 79 mois, soit réduite. Il soutient que les infractions ont été commises dans le même continuum et que le Comité aurait dû rendre des sanctions concurrentes entre les chefs d’abus de confiance et ceux de transmission de faux documents pour l’obtention de financement plutôt que des sanctions consécutive contrevenant ainsi au principe de la globalité des sanctions. Il conclut que les sanctions sont si sévères qu’elles sont injustes et déraisonnables. Compte tenu de son âge, soit 69 ans, l’imposition d’une telle sanction signifie une suspension à vie.

[6]   Le Syndic adjoint soutient que les suspensions ne sont pas si sévères qu’elles en sont injustes. De plus, il soutient que les infractions sont distinctes et commises envers différentes victimes (acheteurs et institution financière), ce qui nécessite l’imposition de sanctions consécutives.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[7]   Le Tribunal partage l’opinion du Syndic adjoint qui stipule que la formulation des questions de monsieur Massé invite à tort le Tribunal à réexaminer la preuve, ce qui n’est pas la mission du Tribunal en appel des décisions du Comité. 

[8]   Le Tribunal répondra plutôt aux questions suivantes :

Question 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions en litige?

Question 2 : Le Comité a-t-il rendu une décision déraisonnable en concluant à la culpabilité de monsieur Massé sur les chefs 1 à 11 (a)?

Question 3 : Le Comité a-t-il respecté le droit à une défense pleine et entière de l’appelant et les règles de justice naturelle?

Question 4 : Le Comité a-t-il rendu une décision déraisonnable en imposant une sanction totalisant 79 mois de suspension?

 

CONTEXTE FACTUEL

[9]   Le syndic adjoint porte plainte contre monsieur Massé pour 11 chefs d’accusation et le Comité le déclare coupable de tous les chefs d’accusation (1 à 11 (a)) à l’exception du chef 11 (b).

[10]        Monsieur Massé est un courtier immobilier, membre de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ). Il possède un permis valide au moment des infractions.

[11]        Les infractions remontent aux années 2004 et 2005 alors qu’il est affilié à la société 2859-3184 Québec Inc. traitant sous le nom d’Immeubles Asie/Bec Courtier. Monsieur Massé exerce ses activités de courtier immobilier au 70, rue de la Barre à Longueuil. Il achète cet espace et le partage avec monsieur Jean-Denis Côté (homme d’affaires), monsieur François Dumouchel (comptable) et monsieur Normand Brouillard (courtier immobilier) avec qui il travaille en étroite collaboration. Monsieur Côté confie de 95% à 99% de ses transactions immobilières aux courtiers Massé et Brouillard. Monsieur Massé est également partenaire d’affaires avec monsieur Côté sur un projet immobilier à Saint-Martin.

[12]        Monsieur Massé connait bien la majorité des promettant-acheteurs. Trois d’entre eux ont travaillé pour lui et l’une d’entre elles opère un commerce de nettoyeur à proximité de sa place d’affaires.

 

[13]        Toutes les transactions des acheteurs visées par la plainte sont financées par la Banque TD, succursale de ville Saint-Laurent et sont traitées par la même représentante, madame Jana. La plupart des acheteurs se présentent à la Banque TD à la demande de monsieur Massé.

[14]        Brièvement, la preuve[3] énoncée par le Comité et son analyse révèle que monsieur Massé a abusé de la confiance de quatre acheteurs, madame Beauchemin, madame Mercier, monsieur François et madame Blanchard (chefs 1, 3, 5 et 7). La preuve révèle également qu’il a participé à l’obtention de financement frauduleux pour l’acquisition d’immeubles à quatre occasions pour ces mêmes acheteurs (chefs 2, 4, 6 et 9) ainsi que pour  l’acheteuse madame Joseph (chef 11 a)).

[15]        Le Comité déclare également monsieur Massé coupable d’avoir fait une fausse déclaration au Syndic lorsqu’il affirme n’avoir jamais agi comme intervenant ou intermédiaire pour le financement hypothécaire (chef 10) et lorsqu’il a omis de divulguer à l’acheteuse, madame Blanchard, que l’immeuble vendu appartenait à sa fille (chef 8 a) ainsi que d’avoir omis de transmettre, dans les meilleurs délais, une copie de l’avis écrit de divulgation d’intérêt (chef 8 b)).

[16]        Le Tribunal reproduit l’analyse du Comité dans sa décision sur culpabilité :

[79] Monsieur Massé tente d'écarter toute implication de sa part dans les transactions en cause. Selon son témoignage, le projet de vente d'immeubles à Sorel était le projet de Normand Brouillard alors que lui s'occupait de Montréal.

[80] Toutefois, il admet qu'il faisait une première rencontre avec les investisseurs potentiels pour présenter les projets. Il les connaissait d'ailleurs tous. Il plaide également qu'il n'y a rien d'illégal à procéder à la revente rapide d'un immeuble à profit. Selon les acheteurs, Monsieur Massé leur représentait qu'ils n'auraient pas à injecter de fonds, que les loyers couvriraient les dépenses et l'hypothèque et que l'immeuble pourrait être revendu rapidement à profit en raison de la hausse du marché.

[81] Monsieur Massé nie particulièrement avoir indiqué que les immeubles pouvaient être achetés sans mise de fonds. Il nie toute implication relativement aux stratégies pour obtenir le financement hypothécaire sans mise de fonds. Il a témoigné ne pas savoir d'où provenait l'argent pour les mises de fonds des acheteurs. Or, le Comité ne croit pas Monsieur Massé. Il n'est clairement pas victime d'un complot.

[82] En effet, la preuve a démontré que les mises de fonds étaient financées par une compagnie liée à Jean-Denis Côté. De plus, la preuve a démontré une relation étroite entre messieurs Côté et Massé. En effet, Jean-Denis Côté occupait un bureau dans les locaux de monsieur Massé et utilisait les services de messieurs Massé et Brouillard pour le courtage des immeubles de ses compagnies. De plus, il lui demandait des services tels que d'utiliser son compte bancaire pour déposer des chèques représentant le remboursement de mises de fonds. Monsieur Massé est devenu un client à la Banque Nationale en gestion privée suite à l'intervention de Jean-Denis Côté auprès de la banque. Ce type de service VIP est habituellement réservé aux clients ayant un portefeuille de 10M$ et plus. Les deux hommes étaient également associés dans un projet immobilier de plusieurs millions de dollars à St-Martin.

[83] Par ailleurs, le courtier inscripteur pour tous les immeubles visés par la plainte était Normand Brouillard qui partageait également un bureau avec lui dans ses locaux.

Le stratagème et les chefs 1, 3, 5 et 7

[84] En ce qui concerne le chef 1, la preuve a démontré que l'intimé était le courtier collaborateur concernant cette transaction, qu'il n'a pas fait visiter l'immeuble avant la signature de la promesse d'achat, qu'il n'a pas recommandé à Karine Beauchemin de faire inspecter l'immeuble, qu'il lui a fait signer une promesse d'achat au montant de 155 000 $ sans se soucier de sa capacité financière, qu'il a omis d'aviser Karine Beauchemin que l'immeuble avait été acheté un mois plus tôt par Immo CR au prix de 115 000 $, qu'il a laissé croire à Karine Beauchemin qu'elle bénéficierait d'une augmentation de la valeur de l'immeuble lors de sa revente et qu'il lui a promis la somme de 5 000 $ pour qu'elle achète cet immeuble et que cette somme ne lui a jamais été versée. De plus, le logement du bas était en mauvais état et des travaux ont dû être faits au sous-sol.

[85] Les arguments de Monsieur Massé à l'égard de la transaction impliquant Karine Beauchemin sont que cette dernière avait les moyens d'acheter cet immeuble et qu'en bout de ligne, en raison de l'indemnité d'assurance reçue à l'égard du deuxième immeuble acheté par cette dernière, elle a fait de l'argent et ne devrait pas se plaindre de quoi que ce soit.

[86] Or, Karine Beauchemin a revendu l'immeuble 5 ans plus tard pour un montant de 20 000$ de moins que le prix d'achat sans compter le montant investi dans les rénovations au sous-sol.

[87] Monsieur Massé plaide qu'il n'avait pas à l'informer du prix d'achat d'Immo CR et que cette information est publique. Il ajoute que la revente à profit n'est pas problématique si la banque accepte de financer.

[88] Le Comité conclut que Monsieur Massé a participé à un stratagème dans le but de revendre l'immeuble acheté par Immo CR un mois plutôt à un montant supérieur de 40 000 $. Rappelons qu'Immo CR est une compagnie contrôlée que Jean-Denis Côté. L'intimé n'a pas donné toute l'information à Karine Beauchemin et lui a fait miroiter qu'elle allait profiter de la hausse du marché ce qui n'a vraiment pas été le cas. Il a ainsi abusé de sa confiance.

[89] En ce qui concerne le chef 3 et Karine Mercier, la preuve a démontré que c'est l'intimé qui a expliqué et présenté le projet à Karine Mercier et que bien que la promesse d'achat ait été remplie par Normand Brouillard, c'est l'intimé qui lui a présentée et l'a fait signer. Il lui a dit qu'elle n'aurait pas besoin de dépôt et qu'il s'occuperait du financement en plus d'obtenir une remise de 5 000 $ sur l'hypothèque. L'entente P-3 concernant la remise par l'acheteur d'un montant en raison de travaux à faire sur l'immeuble confirme le témoignage de Karine Mercier selon lequel elle n'avait aucune mise de fonds à mettre sur l'immeuble. Elle n'a pas été informée que l'immeuble avait été acheté un mois auparavant pour 60 000 $ de moins. Il lui a laissé croire qu'elle bénéficierait d'une augmentation de la valeur de l'immeuble lors de sa revente (ce qui n'a pas été le cas) et que les loyers couvriraient les dépenses (ce qui n'était pas non plus le cas). Cet achat s'est révélé être un très mauvais investissement et Monsieur Massé a dû aider Karine Mercier à revendre cet immeuble pour limiter les pertes.

[90] Contrairement à ce qu'il prétend, Monsieur Massé était clairement impliqué dans cette transaction. Karine Mercier a d'ailleurs travaillé à son bureau pendant une période d'environ six mois. Elle avait 24 ans et des revenus de moins de 10 000 $ par année. L'intimé a abusé de sa confiance pour permettre la revente rapide de l'immeuble à profit. Il ne lui a pas donné toute l'information et lui a faussement déclaré que les revenus allaient couvrir les dépenses.

[91] Le chef 5 vise la vente de l'immeuble à Rolf François. La preuve a démontré que la promesse d'achat a été rédigée par l'intimé, mais que le courtier collaborateur indiqué à la promesse d'achat est Normand Brouillard[i]. La preuve a démontré que Monsieur Massé a présenté le projet à Rolf François lui indiquant qu'il pourrait acheter un immeuble dont les loyers allaient couvrir l'hypothèque et les dépenses et qu'aucune mise de fonds n'était nécessaire.  Il devait conserver l'immeuble un an et le revendre et n'avait à s'occuper de rien. Monsieur Massé s'occupait du financement.

[92] Monsieur François n'a pas été avisé que la maison avait été achetée quelques mois auparavant pour 40 000 $ de moins. Or, les revenus ne couvraient pas les dépenses. Monsieur François n'a pas revendu à profit, bien au contraire. L'immeuble a été repris en paiement par la banque et Monsieur François a perdu son crédit. Le Comité conclut que Monsieur Massé a abusé de la confiance de Monsieur François dans le but de faire faire un profit à Jean-Denis Côté de 40 000 $ (32%) en quelques mois.

[93] En ce qui concerne le chef 7 et l'immeuble acheté par Marie-Claude Blanchard, la preuve a démontré que l'intimé a agi comme courtier collaborateur dans ce dossier, qu'il n'a pas indiqué à Madame Blanchard que l'immeuble allait être acheté par sa fille le jour même où Madame Blanchard présentait une promesse d'achat pour 52 000 $ de plus, qu'il lui a laissé croire qu'elle bénéficierait de l'augmentation de la valeur de l'immeuble et que les revenus couvriraient la totalité des frais liés à l'immeuble ce qui s'est avéré erroné. Il a abusé de la confiance de Madame Blanchard afin de faire faire du profit au vendeur de l'immeuble, en l'occurrence sa fille.

[94] À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que l'intimé a participé à un stratagème et abusé de la confiance des promettants-acheteurs quant aux chefs 1, 3, 5 et 7. Plusieurs articles de rattachement sont invoqués à la plainte. Les éléments constitutifs des infractions ont été prouvés à l'égard de chacun des articles. Toutefois, en raison de la prohibition des condamnations multiples, le Comité retient la culpabilité de l'intimé en vertu de l'article 24 des Règles de déontologie (de ne pas avoir accordé un traitement équitable à toutes les parties à la transaction) et prononce la suspension des procédures à l'égard des autres articles invoqués à la plainte.

Le financement

[95] Les chefs 2, 4, 6 et 9 reprochent à l'intimé d'avoir transmis ou permis que soit transmis de faux documents et/ou renseignements à l'institution financière prêteuse. La preuve a démontré que des faux renseignements et des faux documents ont été transmis à l'institution financière. Il n'y a toutefois pas eu de preuve directe de présenté qui démontrerait qui a transmis les faux documents et/ou renseignements à l'institution financière prêteuse.

[96] Monsieur Massé plaide que la prétention de la partie plaignante selon laquelle il a transmis ou permis que soit transmis de faux documents est de la pure spéculation et qu'il n'y a aucune preuve de son implication. La partie plaignante a plaidé avoir présenté une preuve circonstancielle soit des faits graves, précis et concordants et avoir ainsi établi une présomption de faits qu'il appartenait à Monsieur Massé de repousser (article 2849 C.c.Q.). Monsieur Massé ne pouvait se contenter de nier son implication sans plus.

[97] Les auteurs décrivent et expliquent comme suit la présomption de faits :

« Tout comme l'aveu, la présomption de faits constitue un moyen indirect de preuve, puisqu'elle découle d'un autre mode de preuve, soit l'écrit, le témoignage ou la présentation d'un élément matériel. (…)

La présomption de faits est une conséquence que le tribunal tire d'un fait connu à un fait inconnu (art. 2846 C.c.Q.). Le tribunal tire une conclusion à partir d'indices de faits prouvés dont il apprécie la valeur probante. (…)

Le tribunal jouit d'une latitude semblable, quoique plus restreinte, à celle dont il dispose dans l'appréciation de la crédibilité des témoins. Il doit apprécier la force probante de certains faits, desquels il peut tirer une conclusion; le juge au procès possède un large pouvoir discrétionnaire dans son appréciation des présomptions et des indices requis. Par un processus de déduction, le tribunal, à partir de prémisses connues, c'est-à-dire de faits établis par la preuve, en arrive à une conclusion. Ces faits, toutefois, doivent être suffisamment "précis, graves et concordants" pour établir la probabilité du fait à prouver, comme le confirme l'article 2849 C.c.Q. (…)

Les faits sont graves lorsque le fait à déterminer s'infère logiquement du fait connu; ils sont précis lorsque le fait inconnu découle forcément du fait connu et ils sont concordants lorsque, ensemble, ils tendent à établir l'existence d'un fait inconnu. »[ii]

[98] Les faits connus doivent donc rendre probable l'existence du fait qu'on veut en induire. Il n'est toutefois pas nécessaire que la présomption soit tellement forte qu'elle exclue toute autre possibilité. En d'autres mots, l'implication possible de Kim Janna, des emprunteurs et/ou de Normand Brouillard dans la transmission de fausse information n'exclut pas celle de Jean-Bernard Massé.

[99] Les faits connus sont les suivants :

·  Monsieur Massé a présenté le projet d'investissement aux emprunteurs, il a agi comme courtier collaborateur de façon officielle ou de facto, dépendamment des transactions;

·  Tous les emprunteurs, Karine Beauchemin (chef 2), Karine Mercier (chef 4), Rolf François (chef 6) et Marie-Claude Blanchard (chef 9), ont témoigné que Monsieur Massé s'était occupé du financement et qu'il les avait dirigés à la Banque TD, succursale St-Laurent pour rencontrer « Kim »; il en est de même quant à Nadia Joseph (chef 11);

·  Les emprunteurs n'ont eu qu'à se présenter à la Banque TD pour signer la demande de financement. Dans le cas de Marie-Claude Blanchard, Monsieur Massé l'a accompagnée à la succursale;

·  Les emprunteurs avaient tous à la connaissance de Monsieur Massé de faibles capacités financières (à tout le moins en apparence) ce qui rendait improbable l'obtention du financement hypothécaire et le paiement d'une mise de fonds;

·  Toutes les demandes de financement comportaient de faux renseignements;

·  Les emprunteurs ont admis avoir signé les demandes de financement sans vraiment prendre connaissance du contenu;

·  De faux documents quant à la situation financière des emprunteurs se sont retrouvés aux dossiers de la Banque TD;

·  Les emprunteurs nient avoir participé à la confection et/ou à la transmission des faux documents à l'institution financière;

·  Certains faux documents se ressemblent d’un dossier à l’autre (voir les avis de cotisation (P-5, P-7, P-10, P-16 et P-21) et les relevés Clarica (P-6, P-11, P-22 et P-27);

·  Certains faux documents retrouvés au dossier de la Banque TD portent l’entête de télécopieur du bureau de l’intimé;

·  Jean Bernard Massé, Normand Brouillard et Jean-Denis Côté ne faisaient que partager des locaux; ils travaillaient sur des projets communs.

[100] Ces éléments sont suffisamment graves, précis et concordants pour démontrer la participation de Monsieur Massé. Il est en fait plus qu'improbable que Monsieur Massé n'ait pas participé ni été au courant. La partie plaignante a soulevé à juste titre que Monsieur Massé ne nous a pas éclairés ni apporté d'explication plausible pour tenter de renverser la présomption de faits. Le Comité conclut donc que la preuve prépondérante a démontré qu'il a transmis ou permis que soit transmis de fausses informations et de faux documents à la Banque TD.

[101] La transmission de faux renseignements et de faux documents à une institution financière constitue un acte dérogatoire à l'honneur et à la dignité de la profession (article 1 des Règles de déontologie). Il s'agit également d'un acte en matière immobilière qui pourrait être illégal et qui porte préjudice au public et à la profession (article 13 des Règles de déontologie). En effet, une telle pratique mine la confiance des institutions financières dans la profession.

[102] En envoyant les emprunteurs signer une demande de financement contenant de fausses informations, l'intimé a encouragé une partie à une transaction à poser un acte qu'il sait illégal ou frauduleux au sens de l'article 35 des Règles de déontologie.

[103] En raison de la prohibition des condamnations multiples, l'intimé est trouvé coupable en vertu de l'article 13 et un arrêt des procédures est prononcé à l'égard des autres articles invoqués aux chefs 2, 4, 6 et 9 de la plainte.

[104] En ce qui concerne Nadia Joseph et le chef 11 a), il est reproché à l'intimé d'avoir participé à un stratagème dont le but était d'obtenir un financement sur la base de fausses représentations. Nadia Joseph a témoigné qu'elle avait communiqué avec Monsieur Massé pour l'achat d'un immeuble. Elle a également témoigné avoir envoyé ses documents pour le financement à Monsieur Massé. La preuve a démontré que de faux documents ont été transmis à la Banque TD pour obtenir le financement.

[105] Le comptable de Jean-Denis Côté, Monsieur Dumouchel a témoigné que Madame Joseph avait acheté sans mise de fonds puisque l'argent avait été prêté par une compagnie liée à Jean-Denis Côté et placé chez Clarica. De plus, le relevé de banque Clarica a été modifié pour démontrer que l'argent était resté dans ce compte pour une plus grande période qu'en réalité. Le chèque de Clarica en remboursement du placement fait à l'ordre de Nadia Joseph a été endossé par Jean-Bernard Massé.

[106] La preuve démontre que l'intimé a participé au stratagème. Il ne connaissait peut-être pas les détails du financement de la mise de fonds avec Clarica, mais a participé au financement et ne pouvait ignorer qu'il était fait sous la base de fausses représentations. Il est donc trouvé coupable en vertu de l'article 13 des Règles de déontologie.

[107] Finalement, en ce qui concerne le chef 11 b) et Monsieur Paulin, la preuve n'a pas démontré l'implication de Jean Bernard Massé autre que l'endossement du chèque. La partie plaignante n'a pas rencontré son fardeau de preuve et l'intimé est donc acquitté au chef 11 b).

La fausse déclaration au syndic

[108] Le chef 10 reproche à l'intimé d'avoir fait une fausse déclaration lors de l'enquête de la partie plaignante (pièce P-53). En effet, l'intimé a déclaré ne jamais agir comme intervenant ou intermédiaire pour du financement hypothécaire et ne pas transmettre les dossiers aux institutions financières. À la lumière de l'analyse de la preuve faite par la Comité, force est de conclure que l'intimé n'a pas dit la vérité puisqu'il s'est occupé du financement des emprunteurs. De plus, le Comité est d'avis que cette déclaration a été faite dans le but de tromper le syndic puisqu'il ne pouvait ignorer que de faux documents avaient été transmis aux institutions financières dans le but d'obtenir les emprunts.

[109] L'intimé est donc trouvé coupable du chef 10 en vertu de l'article 55 des Règles de déontologie.

La divulgation d'intérêt

[110] Le chef 8 reproche à l'intimé de ne pas avoir divulgué à Marie-Claude Blanchard, selon les modalités prévues au Règlement, l'intérêt indirect qu'il possédait dans l'immeuble qu'elle a acheté. En effet, tel que mentionné ci-haut, l'immeuble de la rue St-Michel appartenait à la fille de l'intimé. Madame Blanchard a témoigné ne pas avoir été avisée avant sa visite chez le notaire. Monsieur Massé admet ne pas avoir préparé d'avis de divulgation et aucun tel avis n'a été retracé au dossier de l'ACAIQ (pièce P-41).

[111] L'intimé est donc trouvé coupable du chef 8 a) en vertu de l'article 81 du Règlement et du chef 8 b) en vertu de l'article 82 du Règlement. (La surbrillance a été ajoutée.)

[17]        Finalement, le Comité déclare monsieur Massé coupable de tous les chefs contenus à la plainte à l’exception de 11 b) pour lequel il est acquitté.

[18]        Dans sa décision sur sanction, le Comité suspend le permis de courtier immobilier de monsieur Massé pour une période totale de 79 mois répartie comme suit :

-       12 mois sur chacun des chefs 1, 3, 5 et 7 (total 48 mois);

-       6 mois sur chacun des chefs 2, 4, 6, 9 et 11 a) (total 30 mois);

-       1 mois sur le chef 8 a) à être purgé de façon concurrente avec le chef 7;

-       une réprimande pour le chef 8 b);

-       1 mois pour le chef 10.

[19]        Finalement, monsieur Massé interjette appel de ces deux décisions.

ANALYSE

Généralités

[20]        En vertu de l'article 100 de la Loi sur le courtage immobilier[4] il y a appel des décisions du Comité devant la Cour du Québec conformément à la sous-section 5 de la section VII du chapitre IV du Code des professions.[5]

[21]        En vertu de l'article 175 du Code des professions, la Cour du Québec peut confirmer, modifier ou infirmer la décision du Comité. Également, la Cour peut substituer à une sanction imposée par le Comité, toute autre sanction prévue à l'article 156 du Code des professions.

 

Question 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions en litige?

[22]        Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique au présent litige.

[23]        Le Tribunal constate que leurs positions sont conformes aux enseignements notamment de la décision de la Cour suprême, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[6].  Pour appliquer la norme de la décision raisonnable, la Cour suprême, dans cette décision, répond aux questions suivantes :

-     Qu’est-ce qu’une décision raisonnable ?

-     Comment la Cour de révision reconnaît-elle une décision déraisonnable dans le contexte du droit administratif et plus particulièrement, dans celui du contrôle judiciaire?

-     Que faut-il entendre par déférence?

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[48] L’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam. À cet égard, les décisions judiciaires n’ont peut-être pas exploré suffisamment la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif.  Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte?  C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire.  Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations.  Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues.  La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : Mossop, p. 596, la juge L’Heureux-Dubé, dissidente.  Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : « The Politics of Deference:  Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286 (cité avec approbation par la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Baker, au par. 65; Ryan, par. 49).

[49] La déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité implique donc que la cour de révision tienne dûment compte des conclusions du décideur.  Comme l’explique Mullan, le principe de la déférence [traduction] « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » : D. J. Mullan, « Establishing the Standard of Review — The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93.  La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien. (Les soulignés sont ajoutés.)

[24]        Plus récemment, la Cour suprême, dans l’arrêt Newfoundland and Labrador nurses union c. Terre-Neuve et Labrador[7] revient sur le caractère raisonnable et la déférence :

[12]  Il importe de souligner que la Cour a souscrit à l’observation du professeur Dyzenhaus selon laquelle la notion de retenue envers les décisions des tribunaux administratifs commande [traduction] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision ».  Dans son article cité par la Cour, le professeur Dyzenhaus explique en ces termes comment le caractère raisonnable se rapporte aux motifs :

[traduction]  Le « caractère raisonnable » s’entend ici du fait que les motifs étayent, effectivement ou en principe, la conclusion.  Autrement dit, même si les motifs qui ont en fait été donnés ne semblent pas tout à fait convenables pour étayer la décision, la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer.  Car s’il est vrai que parmi les motifs pour lesquels il y a lieu de faire preuve de retenue on compte le fait que c’est le tribunal, et non la cour de justice, qui a été désigné comme décideur de première ligne, la connaissance directe qu’a le tribunal du différend, son expertise, etc., il est aussi vrai qu’on doit présumer du bien-fondé de sa décision même si ses motifs sont lacunaires à certains égards.  [Je souligne.]

(David Dyzenhaus, « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans Michael Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 304)

Voir aussi David Mullan, « Dunsmuir v. New Brunswick, Standard of Review and Procedural Fairness for Public Servants : Let’s Try Again! » (2008), 21 C.J.A.L.P. 117, p. 136; David Phillip Jones, c.r., et Anne S. de Villars, c.r., Principles of Administrative Law (5e éd. 2009), p. 380; et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 , [2009] 1 R.C.S. 339 , par. 63.

[13]   C’est dans cette optique, selon moi, qu’il faut interpréter ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir lorsqu’elle a parlé de « la justification de la décision [ainsi que de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel ».  À mon avis, ces propos témoignent d’une reconnaissance respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent couramment des décisions — qui paraissent souvent contre-intuitives aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité.  C’est sur ce fondement que notre Cour a changé d’orientation dans Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, où le juge Dickson a insisté sur le fait qu’il y avait lieu de faire preuve de déférence en appréciant les décisions des tribunaux administratifs spécialisés.  Cet arrêt a amené la Cour à faire preuve d’une déférence accrue envers les tribunaux, comme en témoigne la conclusion, tirée dans Dunsmuir, qu’il doit être « loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables » (par. 47).

[14]    Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510)Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles.  Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

[15]   La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48).  Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

[16]  Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382 , p. 391).  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. (Les soulignés sont ajoutés.)

[25]        En conclusion, le Tribunal retient que lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, il doit faire le procès de la décision administrative et déterminer avec déférence si les motifs permettent de comprendre le fondement de la décision et si la conclusion fait partie des issus possibles et acceptables.

 

Question 2 : Le Comité a-t-il rendu une décision déraisonnable en concluant à la culpabilité de monsieur Massé sur les chefs 1 à 11 a)?

POSITION DES PARTIES

Madame Mercier

[26]        Concernant l’acheteuse Karine Mercier, monsieur Massé soutient que le Comité n’avait aucun motif pour rejeter son témoignage ou ceux des frères Maris. Selon lui, les témoignages des frères Maris étaient plus convaincants que celui de madame Mercier. Le Comité a qualifié les témoignages des frères Maris de complaisants et a retenu celui de madame Mercier, bien que sa crédibilité était affectée par un plaidoyer de culpabilité sur deux chefs d’infractions (avoir omis de déclarer son intérêt et manque de collaboration avec le syndic adjoint). Ces accusations ont été portées alors qu’elle était courtier immobilier et suite à la vente de son immeuble. De plus, elle a admis que le courtier Brouillard était son intermédiaire et celui-ci a d’ailleurs plaidé coupable aux mêmes infractions reprochées à monsieur Massé.

[27]        Finalement, monsieur Massé reproche au Comité d’avoir favorisé le témoignage de madame Mercier malgré qu’elle ait nié sa relation amoureuse avec Alexandre Maris.

[28]        De son côté, le Syndic adjoint prétend qu’à son mémoire, monsieur Massé s’est limité à se plaindre que le Comité n’a pas retenu ses prétentions et à nier sa participation au financement frauduleux.

[29]        Il trouve ironique que monsieur Massé reproche à madame Mercier d’avoir plaidé coupable à des chefs d’accusation similaires à celles pour lesquelles il a lui-même été déclaré coupable (chefs 8 et 10 du présent dossier) pour ensuite s’en servir pour attaquer sa crédibilité.

[30]        La force probante de tout témoignage est laissée à l’appréciation du Comité et celle-ci n’est pas empreinte de déni face à la plainte de monsieur Massé.

[31]        La plaidoirie de monsieur Massé constitue des arguments de première instance et ne démontre pas le caractère déraisonnable de la décision sur culpabilité du Comité pour les chefs 3 et 4.

[32]        Aussi, il reproche à monsieur Massé de ne reprendre que partiellement la preuve présentée à l’audience. Également, il affirme que monsieur Massé n’explique pas en quoi la décision du Comité sur culpabilité est déraisonnable.   

[33]        Finalement, même en prenant pour avérer les faits contredits par monsieur Massé, ils ne contredisent pas la version de madame Mercier. Son témoignage est corroboré par les autres victimes et il n’y a rien de contradictoire à ce que l’agent Brouillard soit officiellement responsable du dossier alors que de facto, monsieur Massé a agi auprès d’elle.

 

Madame Blanchard

[34]        Monsieur Massé reproche au Comité d’avoir retenu la preuve du Syndic adjoint plutôt que la sienne malgré la faible crédibilité de madame Blanchard. Elle a admis, entre autres, s’être défilée de l’impôt. Elle a aussi déclaré avoir vendu l’immeuble à son fils pour un prix moindre que celui apparaissant à l’index aux immeubles. Également, ses témoins et la preuve documentaire indiquaient que le courtier Brouillard était l’intermédiaire de madame Blanchard. Monsieur Massé conclut que la décision du Comité est déraisonnable.

[35]        De son côté, le Syndic adjoint souligne que monsieur Massé n’a soulevé aucun moyen concernant son défaut de dénoncer ses intérêts directs ou indirects à madame Blanchard et à l’OACIQ à l’effet que la venderesse était sa fille, Geneviève Massé. Il admet que la venderesse était sa fille, mais affirme que madame Blanchard était au courant de ce fait. Il admet également ne pas avoir mentionné le prix d’achat de l’immeuble à madame Blanchard.

[36]        Le Syndic adjoint affirme que les moyens invoqués par monsieur Massé qui, selon lui, rendraient l’analyse du Comité déraisonnable, sont perplexes.

[37]        Quant au témoin Racine, il n’a pas été témoin dans l’audition sur culpabilité, mais plutôt lors de l’audition sur sanction.

[38]        Le Syndic adjoint admet que le fait que madame Blanchard a omis de déclarer ses revenus est susceptible de déconsidérer sa crédibilité. Toutefois, le Comité connaissait ce fait et ne l’a pas retenu.

[39]        Monsieur Massé reproche également à madame Blanchard d’avoir fait preuve d’aveuglement volontaire afin d’obtenir son financement. Par contre, cette dernière a affirmé que monsieur Massé lui a suggéré de ne pas lire les papiers de la banque. Monsieur Massé soutient que madame Blanchard savait que la venderesse était sa fille, puisque son nom apparaissait sur la promesse d’achat. Toutefois, c’est seulement chez le notaire qu’elle a réalisé que la venderesse était la fille de monsieur Massé.

[40]        Quant au prix de vente de l’immeuble au fils de madame Blanchard, l’index aux immeubles produit ne contient pas cette transaction et le Comité a retenu la version de madame Blanchard à l’effet qu’elle a vendu l’immeuble pour le solde du prêt hypothécaire.

[41]        Finalement, le Syndic adjoint indique que la plaidoirie de monsieur Massé en est une de première instance.

 

Monsieur François

[42]        Monsieur Massé prétend que le Comité a rejeté sans justification sa version des faits alors qu’il aurait dû la favoriser. En effet, il affirme que monsieur François a plutôt traité avec le courtier Brouillard. Il souligne également que monsieur François faisait des études de droit et qu’il aurait dû s’assurer de la véracité des informations contenues à la demande de crédit. Il a fait preuve, ainsi, d’aveuglement volontaire. De plus, son témoignage via Skype était inaudible.

[43]        Le Syndic adjoint soumet que le fait que le nom de monsieur Brouillard apparaisse sur la promesse d’achat n’empêche pas que ce soit monsieur Massé qui a agi auprès de monsieur François. Il soutient également que ce n’est pas le témoignage par Skype de monsieur François qui était inaudible dans la salle de cour, mais bien l’enregistrement de ce témoignage qui était inaudible pour le sténographe.

[44]        Finalement, il indique qu’il s’agit toujours d’une plaidoirie de première instance.

 

Madame Beauchemin

[45]        Monsieur Massé soutient qu’il est déraisonnable pour le Comité d’avoir conclu que la preuve présentée par le Syndic adjoint était plus probable que la sienne.

[46]        Il affirme qu’il avait le béguin pour madame Beauchemin. Il a acquitté les frais qu’elle avait encourus pour sa formation de courtier immobilier et a indiqué qu’elle travaillait à son bureau. Il affirme qu’elle s’était elle-même intéressée à l’achat de l’immeuble pour lequel monsieur Brouillard était le courtier inscripteur.

[47]        Elle admet ne pas avoir visité l’immeuble et s’être déclarée satisfaite des photographies. Elle affirme que monsieur Massé avait promis de lui remettre la somme de 5 000 $ si elle acquérait l’immeuble. Toutefois, monsieur Massé prétend qu’il devait plutôt lui avancer cette somme afin de la sécuriser dans leur relation.

[48]        Monsieur Massé affirme que puisqu’elle travaillait dans son bureau, elle devait connaître le prix payé par le vendeur. Il estime également qu’elle ne devrait pas se plaindre des pertes puisqu’elle a fait l’acquisition de deux immeubles avec lui et a reçu une indemnité d’assurance d’environ 70 000 $ pour l’un d’eux.

[49]        Il affirme également qu’il n’a jamais eu en sa possession les documents de madame Beauchemin concernant sa demande de financement hypothécaire. Il soutient aussi que monsieur Brouillard était la personne ressource indiquée pour l’évaluation.

[50]        Selon le syndic adjoint, il n’y a rien de contradictoire dans le fait que le nom du courtier Brouillard apparaisse officiellement comme le courtier responsable du dossier, puisque dans les faits, monsieur Massé a agi auprès de madame Beauchemin.

[51]        Madame Beauchemin témoigne à l’effet que monsieur Massé lui a d’abord donné l’idée d’acheter un immeuble, mais ne lui a pas offert de le visiter. Il n’a pas mentionné que l’immeuble avait été acheté par Immo CR inc., une compagnie appartenant à monsieur Côté, partenaire d’affaires de monsieur Massé. Immo CR inc. a acquis l’immeuble, deux mois plus tôt, pour la somme de 115 000$ (soit 40 000 $ de moins), et l’a revendu à madame Beauchemin pour la somme de 155 000$.

[52]        Le fait que madame Beauchemin a travaillé pour lui ne change rien à la décision sur culpabilité. Monsieur Massé veut tirer avantage du fait qu’elle a déclaré ne pas l’avoir vu en possession des faux documents. Toutefois, il omet de mentionner qu’il était son représentant pour tout ce qui concerne cet immeuble, dont le financement et il l’a également avisé lorsque ce dernier a été obtenu. Il ignore le fait que madame Beauchemin a affirmé qu’elle n’avait pas souvenir d’avoir traité avec le courtier Brouillard, mais plutôt avec lui.

[53]        Concernant le montant de 5 000 $ promis par monsieur Massé à madame Beauchemin, le Comité considère que le témoignage de monsieur Massé était plutôt confus à cet égard. Selon les dires de monsieur Massé, il aurait remis cette somme à madame Beauchemin afin d’obtenir des faveurs sexuelles.

[54]        Bien que monsieur Massé affirme que madame Beauchemin n’a pas perdu d’argent à cause de l’indemnité d’assurance mais ces faits concernent un autre immeuble. Madame Beauchemin a revendu l’immeuble pour le solde du prêt hypothécaire. Comme le précise le Comité, elle a plutôt subi une perte qui s’élève à 20 000 $ sans compter les montants investis pour les rénovations du sous-sol.

[55]        Il s’agit encore, selon le Syndic adjoint, d’une démonstration de monsieur Massé ne justifiant pas l’intervention du Tribunal.

 

Chefs 8 (a), 8 (b) et 10

[56]        Concernant les chefs 8 (a), 8 (b) et 10, le Syndic adjoint souligne que monsieur Massé n’en traite pas dans son mémoire, bien qu’il demande, dans ses conclusions, à être acquitté de ces accusations.

[57]        Il conclut que les décisions du Comité sont raisonnables.

 

Transmission de faux documents pour l’obtention de financement.

[58]        Monsieur Massé soutient que le Comité a conclu, de manière déraisonnable, que les éléments de preuve présentés pouvaient mener à des présomptions de culpabilité. Il reproche au Comité de n’avoir eu aucune preuve directe de son implication dans les demandes de crédit alors que les promettant-acheteurs ont admis avoir signé leurs documents en son absence. Il affirme que les promettant-acheteurs ont été négligents et ont agis en connaissance de cause, puisqu’ils ont remarqué qu’il y avait de fausses informations dans les demandes de crédit et ont tout de même accepté de les signer. La personne ressource indiquée sur les demandes d’évaluation de crédit est le courtier Brouillard. Le fait que son numéro de télécopieur a été utilisé n’établit pas qu’il est impliqué, car plusieurs personnes avaient accès à ce télécopieur. Finalement, il soutient que le Comité applique erronément les règles de la présomption.

[59]        Par ailleurs, le Syndic adjoint constate que monsieur Massé se plaint que ses prétentions niant sa participation au financement frauduleux n’ont pas été retenues. Toutefois,  la force probante de tout témoignage est laissée à l’appréciation du Comité.

[60]        Monsieur Massé ne peut se borner à nier l’ensemble des témoignages et la preuve documentaire qui crée une présomption démontrant qu’il ne pouvait ignorer la production de documents frauduleux pour l’obtention du financement.

[61]        Madame Blanchard a affirmé que monsieur Massé lui a suggéré de ne pas perdre son temps à lire les documents émanant de la banque. Madame Beauchemin a affirmé que monsieur Massé l’a assuré qu’il s’occupait de tout pour l’immeuble et le financement. Il lui a aussi annoncé que le financement avait été obtenu. Également, elle a soutenu avoir traité qu’avec lui. Quant à Madame Joseph, elle s’est adressée à monsieur Massé pour l’achat d’un un immeuble, même si le nom du courtier Brouillard apparaît comme courtier. Dans les faits, monsieur Massé a agi au bénéfice de madame Joseph. Elle affirme aussi qu’elle lui a transmis les documents relatifs au financement.

 

Défense pleine et entière

[62]        Au début de la troisième journée d’auditions, monsieur Massé indique au Comité son souhait de se représenter seul. Monsieur Massé reproche au Comité de ne pas l’avoir mis en garde contre les risques de se représenter seul par procureur. Il blâme le Comité de ne pas lui avoir offert d’être représenté par un nouveau procureur. Il affirme que le Comité s’est limité à lui répondre : « Parfait, on va vous assister sur le déroulement, inquiétez-vous pas. » et que cette assistance était déficiente, voire inexistante.

[63]        Le Syndic adjoint soutient qu’il revient à l’appelant d’assumer les conséquences de sa décision de se représenter seul. De plus, il précise que le Comité a offert à monsieur Massé de faire entendre ses témoins et les interroger dans le cadre de sa défense. Le Comité a également demandé à monsieur Massé de l’aviser s’il avait d’autres témoins à présenter et qu’il était en droit de contre-interroger les témoins du Syndic adjoint. Finalement, le Comité a expliqué la procédure à suivre dans l’éventualité où monsieur Massé souhaitait se soumettre à un test polygraphique.

[64]        En conclusion, le Syndic adjoint soutient que le Comité a amplement respecté le droit à une défense pleine et entière de l’appelant et que les allégations de monsieur Massé ne justifient pas l’intervention du Tribunal.

 

 

 

 

 

 

DROIT

Fardeau de preuve

[65]        Le juge Vauclair, dans l’arrêt de la Cour d’appel, Bisson c. Lapointe[8] réitère succinctement le fardeau de preuve en matière disciplinaire énoncé dans les arrêts de la Cour suprême Hanes c. Wawanesa Mutual Insurance Co.[9] et F.H. c. McDougall[10]:

[66] Il est bien établi que le fardeau de preuve en matière criminelle ne s’applique pas en matière civile. Il est tout aussi clair qu’il n’existe pas de fardeau intermédiaire entre la preuve prépondérante et la preuve hors de tout doute          raisonnable, peu importe le « sérieux » de l’affaire. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, a explicitement rejeté les approches préconisant une norme de preuve variable selon la gravité des allégations ou de leurs conséquences.

[67] Cependant, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Comme démontré plus haut, le Conseil avait bien à l’esprit cette norme et la proposition des juges majoritaires qui soutient le contraire est, avec égards, injustifiée.

[68] Comme le rappelle la Cour suprême, « [a]ussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était, à ses yeux, suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités ».

 

DÉCISION

[66]        Le Tribunal conclut que la décision sur culpabilité du Comité est intelligible en ce qu’elle explique clairement et détaille le raisonnement qui l’a mené à déclarer monsieur Massé coupable des infractions. De plus, elle constitue une issue possible.

[67]        Le Comité a appliqué le bon fardeau de preuve et n’avait pas à rechercher un fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable, mais plutôt une prépondérance de preuve.

[68]        Il suffisait au Comité d’avoir une preuve claire et convaincante pour satisfaire les critères de la prépondérance des probabilités.

[69]        La preuve démontre clairement l’implication de monsieur Massé dans le stratagème. Les acheteurs se sont adressés à lui ou ont été sollicité par lui. Il connaissait leurs situations financières précaires et les a convaincu d’acquérir des immeubles locatifs (sans mise de fonds à l’achat) en les assurant que les revenus de location seraient suffisants pour couvrir les dépenses des immeubles.

[70]        La preuve est claire et convaincante à l’effet que monsieur Massé savait pertinemment que certains immeubles venaient d’être acquis par l’entreprise de son partenaire d’affaires, monsieur Côté à un prix bien inférieur au prix de vente proposé. À très court terme (quelques jours ou mois), les immeubles étaient revendus à ses clients, générant un profit de plusieurs dizaines de milliers de dollars.

[71]        Il le savait d’autant plus, lorsqu’il a répété ce même scénario en faveur de sa fille et au détriment de madame Blanchard. De plus, il n’a pas dénoncé à l’acheteuse ni à l’OACIQ son intérêt personnel, contrairement à la Loi et au règlement.

[72]        Le stratagème employé est similaire pour chacun des acheteurs et le financement frauduleux en fait partie. Monsieur Massé a même promis à certains acheteurs de leur remettre une somme de 5 000 $ afin de couvrir certaines dépenses, ce qu’il n’a pas fait. Contrairement, à ce qu’il a affirmé, les immeubles ne se payaient pas d’eux-mêmes et n’ont pas pris de valeur.

[73]        Également, le Tribunal doit respecter le principe de déférence à l’égard du Comité qui est un organisme spécialisé dont certains membres sont des pairs de monsieur Massé. L’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages fait partie de la mission du Comité. Le Tribunal peut intervenir seulement dans les cas d’erreurs déraisonnables.  La décision du Comité fait partie des avenus possibles.

[74]        Le Tribunal constate que monsieur Massé n’a pas réussi à se décharger de ce fardeau de preuve selon la balance des probabilités à démontrer des erreurs déraisonnables dans la décision sur culpabilité du Comité. Le Tribunal rejette ce moyen.

 

Question 3 : Le Comité a-t-il respecté le droit à une défense pleine et entière de l’appelant et les règles de justice naturelle?

[75]        Le Tribunal partage l’opinion du Syndic adjoint à l’effet que monsieur Massé devait assumer les conséquences de son choix de se représenter seul. L’arrêt Ménard c. Gardner[11] traite de ce sujet :

[58]  On doit d'abord constater que l'audience devant le comité ne s'est pas déroulée sans heurts. Une partie de ceux-ci viennent du fait que l'appelant ne se présente pas sous un jour particulièrement sympathique, connaît mal les règles applicables au cheminement d'une telle audience et à l'administration de la preuve, ne comprend pas toujours les explications qu'on lui donne et insiste sur des choses qui ne paraissent pas particulièrement pertinentes. Or, ainsi que le signalent notre cour dans Deschênes c. Valeurs mobilières Banque Laurentienne[iii] ainsi qu'Azar c. Concordia University[iv] et la Cour d'appel fédérale dans Bérubé, précité, celui qui choisit d'agir sans avocat doit en assumer les inconvénients et ne peut ordinairement pas se plaindre des conséquences de sa méconnaissance du droit, incluant les règles de preuve et de procédure, du moins lorsqu'il a reçu l'aide que le tribunal doit lui apporter.

[59]  Car, en effet, le principe de la responsabilité du justiciable qui n'est pas représenté par avocat est tempéré par le devoir d'assistance qui incombe alors au tribunal devant lequel il comparaît. Celui-ci, en effet, doit en pareil cas assister le justiciable en lui fournissant certaines explications sur le processus et les manières de faire. Le tribunal, il va sans dire, n'a pas à jouer auprès du justiciable le rôle que jouerait l'avocat, il n'a pas à le conseiller et ne peut le favoriser; il ne peut alléger son fardeau de preuve, le dispenser de ses obligations ou faire le travail à sa place; il n'a pas non plus à lui donner un cours de droit substantif ou de procédure. Son intervention consiste simplement à l'instruire de l'essentiel, à le guider de manière générale, et ce, lorsque le besoin s'en fait sentir (l'intensité de ce devoir d'assistance peut donc varier, car tous les justiciables ne sont pas également démunis devant la justice et prétendre le contraire serait faire injure à leur intelligence).

[76]        Le Comité se doit d’interpréter généreusement[12] le droit d’être entendu :

[56] S'agissant ici d'un comité de discipline dont l'action peut avoir des conséquences importantes sur le droit d'un individu de gagner sa vie et s'agissant en outre d'un comité dont le fonctionnement se veut quasi judiciaire et contradictoire, ainsi qu'on le constate à la lecture des dispositions législatives qui le régissent[v] et de la jurisprudence en la matière, il faut interpréter généreusement le droit d'être entendu (et ce, même si la décision de ce comité peut faire l'objet d'un appel à la Cour du Québec).

[77]        Le Tribunal constate que le Comité a fait preuve de souplesse et a agi de façon équitable compte tenu des circonstances. C’était le choix de monsieur Massé de poursuivre l’audition sans être représenté et il doit maintenant vivre avec les conséquences de ce choix.

[78]        Le Tribunal constate que monsieur Massé ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve et n’a pas démontré que la décision du Comité sur ce moyen est déraisonnable.

 

 

 

Question 4 : Le Comité a-t-il rendu une décision déraisonnable en imposant une sanction totalisant 79 mois de suspension?

 

POSITION DES PARTIES

[79]        Monsieur Massé soutient que le Comité a imposé une sanction démesurée et excessive, donc déraisonnable. Il soutient également que la sanction va à l’encontre des principes suivants : parité des sanctions, globalité des sanctions et le principe des sanctions concurrentes et consécutives.

[80]        Notamment, monsieur Massé soutient que les plaintes s’inscrivent dans un même continuum et que le Comité aurait dû imposer des sanctions à être purgées de façon concurrente entre elles. L’imposition d’une période de suspension consécutive est exceptionnelle et l’application de cette exception a mené à un excès de la durée de la sanction. De plus, le Comité a fait défaut de considérer le principe de globalité des sanctions.

[81]        Selon lui, l’abus de confiance et la transmission de faux documents font partie d’une même opération puisque ces deux infractions sont inséparables et intégrées dans le même stratagème. Également, il soutient que les cinq transactions ont été conclues entre les mois d’août 2004 et juin 2005 dans le même stratagème et en majorité avec le même vendeur, soit une société située sur la rue Barre à Longueuil. D’ailleurs, il réfère au paragraphe 60 de la décision sur sanction dans laquelle le Comité écrit que « les gestes posés par l’intimé ne sont pas isolés, mais démontrent plutôt l’existence d’un système de revente rapide d’immeuble sans mise de fonds […] ».

[82]        La sanction ignore les facteurs atténuants tels l’absence d’antécédent, l’absence de risque de récidive et l’âge de l’appelant. Monsieur Massé demande au Tribunal d’intervenir et de substituer la sanction globale par les sanctions suivantes :

a) chefs 1, 3, 5 et 7 : suspension de 3 mois par chef à être purgée de manière consécutive entre elles;

b) chefs 2, 4, 6, 8 et 11 (a) : suspension de 3 mois par chef à être purgée de manière consécutive entre elles, mais concurrente à la période de suspension imposée aux chefs 1, 3, 5 et 7;

c) chef 8 : amende de 1 000 $ et réprimande;

d) chef 10 : suspension d’un mois à être purgée de façon consécutive aux périodes de suspensions imposées aux chefs 1 à 8 et 11 (a) ou encore, toute autre sanction que le Tribunal jugerait appropriée, dans les circonstances.

 

[83]        Le Syndic adjoint cite la décision Dallaire c. Agronome[13] à l’effet que :

[115]  Le Tribunal doit éviter de se substituer au Conseil pour décider de la sanction qui lui apparaît la meilleure. Il doit plutôt déterminer si le Conseil a commis une erreur déterminante en imposant une sanction disproportionnée. (…)  

[84]        Le Syndic adjoint soutient que le Comité n’a pas commis d’erreur déraisonnable et c’est à juste titre que le Comité a qualifié les infractions d’abus de confiance et de financement frauduleux, d’infractions objectivement très graves, car la confiance est au cœur de la profession de courtier immobilier.

[85]        Aussi, il soutient que le Comité a raison de mentionner qu’il ne s’agissait pas de cas isolés, mais bien d’un système. Il indique également que monsieur Massé n’éprouve aucun remord et estime que les risques de récidives ne peuvent être écartés.

[86]        Quant aux problèmes de santé de monsieur Massé, le Comité a eu raison de conclure qu’ils n’ont aucun lien avec les gestes pour lesquels monsieur Massé a été reconnu coupable. Le Syndic adjoint est en désaccord avec monsieur Massé qui affirme que les actes commis n’étaient pas prémédités. Il affirme d’ailleurs que monsieur Massé se contredit puisqu’il qualifie lui-même son procédé opérationnel de stratagème s’inscrivant dans un continuum.

[87]        Il reproche également à monsieur Massé de ne citer aucune jurisprudence à l’appui de son opinion que la sanction est si sévère qu’elle est déraisonnable.

[88]        Le syndic adjoint soutient que les sanctions imposées par le Comité pour les abus de confiance et le financement frauduleux correspondent à celles que l’on retrouve dans la jurisprudence.

[89]        Quant à la position de monsieur Massé à l’effet que le Comité aurait dû imposer des sanctions concurrentes plutôt que consécutives, le Syndic adjoint soutient que les infractions ont été commises sur une période de 10 mois, ce qui ne peut être qualifié de continuum.

[90]        Monsieur Massé affirme que les infractions d’abus de confiance concernent les acheteurs alors que la production de faux documents concerne l’institution financière. Ainsi, les victimes sont différentes et les infractions auraient pu être réalisées indépendamment les unes des autres.

[91]        Concernant la globalité de la sanction, le Syndic adjoint soutient que le Comité en a tenu compte aux paragraphes 57 à 62 de sa décision sur sanction.

 

DROIT

[92]        Dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault[14]https://www.jurisdoc.soquij.qc.ca/cgi/azi_entree.exe?page=/bin/gate.exe&f=TI&x_retliste=1&p_u_docs=1&p_u_doctype=TI&p_u_jrn=ti&state=oe211c.61.3&x_selected=_3_ - _ftn7#_ftn7, la Cour d’appel énonce les critères de révision pour une sanction disciplinaire :

[36] En conclusion, bien que la Loi prévoie un droit d'appel des décisions du Comité de discipline, l'expertise de ce comité, l'objet de la Loi et la nature de la question en litige militent tous en faveur d'un degré plus élevé de déférence que la norme de la décision correcte. La norme de contrôle appropriée est donc celle de la décision raisonnable simpliciter et la Cour du Québec, siégeant en appel de la sanction imposée par le Comité de discipline, ne doit pas intervenir à moins que l'appelant ne démontre que cette décision est déraisonnable. La sanction infligée n'est pas déraisonnable du simple fait qu'elle est clémente ou sévère; elle le devient lorsqu'elle est si sévère, ou si clémente, qu'elle est injuste ou inadéquate eu égard à la gravité de l'infraction et à l'ensemble des circonstances, atténuantes et aggravantes, du dossier.

LES CRITÈRES D'IMPOSITION DE LA SANCTION DISCIPLINAIRE

[37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.

[38] La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants:  au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656).

[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier.   Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif,… Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.

[40]  Ces principes étant posés tant au niveau du pouvoir d'intervention de la Cour du Québec qu'au niveau de l'imposition des sanctions disciplinaires, il s'agit d'en faire l'application aux faits de l'espèce. (Les soulignés sont ajoutés.)

[93]        Dans l’arrêt Thibault c. Da Costa[15], la Cour d’appel affirme que l’ancienne norme de la décision raisonnable simpliciter s’appliquant aux décisions du Comité, tel que déterminé dans l’arrêt Daigneault au paragraphe 36, peut être maintenant transposée aux critères de la décision raisonnable.  

[94]        Le Tribunal constate que le Comité a utilisé les bons critères d’imposition de la sanction disciplinaire énumérés dans Daigneault. Également, le Tribunal note que les arguments (maladie, perte de contrôle de son bureau, âge) soulevés par monsieur Massé pour appeler de la décision ont aussi été plaidés devant le Comité.

[95]        Considérant que le Comité est un tribunal administratif spécialisé auquel le législateur a confié la mission d’examiner le comportement des courtiers immobiliers pour déterminer s’ils ont commis des actes dérogatoires et les sanctionner, le Tribunal lui doit déférence.

[96]        Concernant la parité des sentences, le Tribunal est d’avis que chaque sanction examinée individuellement et comparée respecte la fourchette des sentences. L’argument de monsieur Massé, quant à l’imposition de sanctions devant être purgées de façon concurrente plutôt que consécutive, mérite que le Tribunal l’étudie plus amplement.

[97]        Dans l’arrêt Tan c. Lebel[16], la Cour d’appel mentionne :

[24] Le juge d'appel doit, en matière d'imposition de sanctions appropriées, faire preuve de déférence envers les décisions d'un comité de discipline[vi]. Le juge a néanmoins commis ici une erreur de principe lorsque, à tort, il ordonne l'imposition de suspensions consécutives sur les deux premiers chefs d'accusation.

[25] L'argument à propos des sanctions consécutives qui auraient dû plutôt être concurrentes et celui relatif à la globalité des sanctions mérite qu'on s'y attarde. Cette dernière question emporte l’examen du caractère raisonnable de la sanction.

[26] En matière pénale, les peines sont généralement concurrentes lorsque les infractions sont intimement reliées et découlent du même incident[vii]. Ce principe doit tout autant prévaloir en matière de sanctions disciplinaires.

[27] Les deux accusations du premier chef portent sur le fait d'avoir imité la signature de son client, dans un cas, sur le contrat de courtage et, dans l’autre, sur le formulaire de modifications. Le Comité de discipline a imposé deux suspensions concurrentes de six mois, ce qui respecte le principe énoncé au paragraphe précédent.

[28] L’appelante a été déclarée coupable des deux accusations du deuxième chef, pour avoir faussement représenté à certaines personnes, et ce, à deux dates différentes, mais rapprochées, détenir un contrat de courtage. Le Comité de discipline a infligé, sur le deuxième chef d’accusation, une suspension consécutive de six mois à celle imposée sur le premier chef.

[29] Le Comité de discipline n’explique pas pourquoi il impose des sanctions consécutives pour les condamnations sur les accusations portées en vertu des deux premiers chefs. L’infraction consistant à avoir imité la signature de son client pour faire croire au renouvellement du contrat de courtage et du formulaire de modifications et celle d’avoir, au cours de la même période de sept jours, faussement représenté détenir un contrat de courtage présentent un lien étroit, au point où, en l’absence d’autres raisons, que ne fait pas voir la décision, les suspensions auraient dû être concurrentes pour les deux premiers chefs d’accusations. Elles découlent également des mêmes incidents. La décision sur la sanction est, à cet égard, déraisonnable. Il y a donc lieu d’intervenir pour rendre les sanctions de six mois sur chacun des deux premiers chefs concurrentes. L’avocate de l’intimé a d’ailleurs concédé, à l’audience, qu'elles auraient dû l'être, tout en soutenant que la peine de 18 mois est par ailleurs globalement adéquate. Je reviendrai sur cette question un peu plus loin.

[30] Il en va, toutefois, autrement de la suspension consécutive de six mois imposée sur le troisième chef d'accusation concernant les fausses déclarations de l’appelante au syndic durant son enquête. Cette infraction est totalement distincte, à la fois dans le temps comme dans son objet, des autres infractions. La décision du Comité de discipline d’imposer une suspension consécutive pour l’infraction dont l’appelante a été trouvée coupable sur le troisième chef trouve justification ici. [le Tribunal souligne]

[98]        L’auteur Pierre Bernard, dans un article intitulé La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions[17], affirme :

À cet égard, le Tribunal des professions affirme que le mode de fonctionnement du droit criminel s’applique clairement en matière disciplinaire :

En droit disciplinaire, quant à la sanction, le Tribunal s’est généralement dirigé selon les principes applicables en droit criminel. La sanction doit être juste, raisonnable, appropriée et proportionnée à la faute.

En raison de l’apparentement du droit disciplinaire au droit pénal, la sanction en matière disciplinaire doit obéir, mutatis mutandis, aux principes qui régissent l’imposition des sentences en matières pénales, c’est-à-dire que la sanction doit être appropriée, juste et proportionnée à la faute reprochée[viii].

[99]        Également, la Cour d’appel, dans la décision précitée, Tan c. Lebel[18], renvoie à une décision en matière criminelle R. c. Aoun[19] pour énoncer le principe qui apparaît au paragraphe 26 cité précédemment.

[100]     Le Tribunal juge utile de faire un bref survol des critères de sentences consécutives en matières criminelles.

[101]     Le juge Proulx de la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Bélanger[20] écrit :

Au terme de l’article 717 (4) c ii) C.cr., un juge peut rendre des sentences d’emprisonnement consécutives lorsqu’une personne (1) est déclarée coupable de plus d’une infraction devant le même tribunal, et (2) que des périodes d’emprisonnement sont imposées pour les infractions respectives : c’était le cas en espèce.

La jurisprudence a apporté deux tempéraments à cette règle, soit que (1) les peines devraient être concurrences si les délits résultent d’un événement unique ou s’il s’agit d’actes criminels continus[ix], sauf les cas où la loi prescrit que la sentence doit être consécutive ou encore, si le tribunal estime que l’une des infractions formant partie de l’événement unique comporte un élément aggravant qui justifie une peine consécutive[x], et (2) que l’effet cumulatif de la série des sanctions imposées ne doit pas résulter en une sentence disproportionnée par rapport à la culpabilité générale du délinquant[xi]. C’est le principe de la totalité des sentences qui assure une proportionnalité raisonnable aux infractions commises. [gras dans l’original] [le Tribunal souligne]

[102]     Dans un autre arrêt de la Cour d’appel, Dubé c. R.[21], la Cour applique les critères énoncés dans R. c. Bélanger[22] et ajoute au paragraphe 6 :

[6]  Il est reconnu que les peines sur diverses infractions découlant d'un même incident sont généralement concurrentes: R. c. Bélanger, [1992] R.J.Q. 2710 (C.A.). Les peines seront consécutives s'il s'agit de transactions criminelles distinctes ou encore s'il existe un élément aggravant qui justifie une peine consécutive.

[7]  En l'espèce, le premier juge n'a pas étayé sa décision de rendre une peine consécutive. Pourtant, le bris de probation a résulté en la commission de l'infraction de facultés affaiblies ou à tout le moins lui est inextricablement relié[xii]. Dans ces circonstances, l'imposition de peines concurrentes devaient [devait] prévaloir.

[103]     La Cour d’appel, dans l’arrêt R. c. Aoun[23] reprend les énoncés sur les critères de sentences consécutives indiqués dans les arrêts R. c. Bélanger[24] et Dubé c. R.[25] et précise :

[20] Les peines peuvent être consécutives s'il s'agit de transactions criminelles distinctes ou s'il existe un élément aggravant qui justifie une peine  consécutive[xiii]. Inversement, lorsque les infractions présentent un lien étroit, découlant du même incident ou font partie d’une même opération criminelle, les tribunaux infligent des peines concurrentes les unes aux autres[xiv]. [Le Tribunal souligne]

[104]     Aussi, un arrêt plus récent, Desjardins c. R[26]. réitère le principe énoncé dans l’arrêt Bélanger.

[105]     En résumé, la règle veut que les peines soient concurrentes lorsque l’accusé reçoit une sentence pour plusieurs crimes commis lors d’une même opération criminelle (infractions présentant des liens étroits et découlant d’un même incident). L’exception veut que les peines soient consécutives si la loi le prévoit et s’il s’agit d’opérations criminelles distinctes ou s’il existe un élément aggravant.

[106]     Revenons au droit disciplinaire. Dans la décision, Lemire c. avocat (ordre professionnel des avocats)[27], le Tribunal des professions mentionne que Me Lemire a obtenu un mandat général de madame L. pour la gestion de ses biens. Madame L. désirait contrer une possible demande de son neveu voulant lui ouvrir un régime de protection. Ultérieurement, madame L. a rédigé un testament et désigné monsieur Lemire en tant que liquidateur. Alors que madame L. était sur le point d’être soumise à un régime de protection, elle a signé un autre testament, préparé par monsieur Lemire, dans lequel elle le déclare légataire universel.

[107]     Avant la signature de ce testament, il s’était approprié une somme d’environ 101 000 $ pour lequel le Conseil du Barreau a imposé une radiation temporaire de 10 ans ainsi qu’une ordonnance de remboursement. De plus, le Conseil a imposé à monsieur Lemire une période de radiation temporaire de 2 ans, consécutive à celle de 10 ans, pour avoir fait signer un testament à madame L., le désignant légataire universel, alors qu’elle était incapable de donner un consentement libre et éclairé.

[108]     Le Conseil a justifié l’imposition d’une sanction consécutive, car la machination de monsieur Lemire avait pour but de ne pas rendre compte de son administration à la succession et cacher son premier larcin. Le Comité considère cela comme un élément aggravant.

[109]     Le Tribunal des professions confirme cette partie de la décision du Conseil du Barreau et s’exprime comme suit :

[108] Même si généralement les périodes de radiation imposées à un professionnel déclaré coupable d’infractions disciplinaires sont concurrentes, particulièrement lorsque la même trame factuelle est en cause, ici, il importe de distinguer les appropriations de sommes importantes faites par l’appelant et la rédaction d’un testament dont le but principal était de lui éviter de rendre compte, permettant ainsi de camoufler ses appropriations.

 

DÉCISION

[110]     Le Tribunal estime que c’est à bon droit que le Comité a conclu, au paragraphe 47 de sa décision concernant les quatre abus de confiance (chefs 1, 3, 5 et 7), que les périodes de suspension doivent être purgées de façon consécutive. En effet, il s’agit de quatre victimes différentes, de quatre immeubles différents et les abus se sont produits à des périodes différentes.

[111]     Par contre, le Tribunal considère que la partie de la décision sur sanction du Comité portant sur la transmission de faux documents pour l’obtention de financement frauduleux (chefs 2, 4, 6, 9 et 11 a)) est déraisonnable lorsqu’il déclare au paragraphe 50 que les périodes de suspension doivent être purgées de façon consécutive puisqu’il s’agit d’événements distincts :

[...] À la lumière des précédents, la période de 6 mois de suspension par chef est retenue[xv]. Les périodes seront purgées de façon consécutive vu qu'il s'agit d'évènements distincts[xvi]. Il s'agit donc d'une durée totale de suspension de 30 mois.

[112]     Le Tribunal constate que le Comité ne motive pas suffisamment sa décision d’imposer des sanctions consécutives entre les chefs d’abus de confiance et ceux de transmission de faux documents pour l’obtention de financement frauduleux. Il se limite à souligner qu’il s’agit de chefs distincts.

[113]     Bien que le Comité ait scindé son analyse entre les chefs d’abus de confiance et ceux d’avoir permis la transmission de faux documents pour l’obtention d’un financement, la trame factuelle pour chacun des quatre acheteurs victimes de l’abus de confiance inclut l’obtention d’un financement à l’aide de faux documents. Ces deux types d’actes dérogatoires font partie du même stratagème. Ces chefs sont intimement liés pour ces quatre victimes. L’appelant convainquait des connaissances, dont trois d’entre elles ont travaillé pour lui, d’acquérir des immeubles locatifs, sans mise de fonds, lesquels se paieraient d’eux-mêmes dont la valeur devait s’accroitre rapidement. De plus, pour certains des acheteurs, monsieur Massé promettait de remettre une somme d’argent de quelques milliers de dollars pour assumer certaines dépenses des immeubles, ce qu’il n’a jamais fait.

[114]     Pour réussir ce stratagème, les acheteurs devaient obtenir un financement alors que leurs modestes revenus ou leurs conditions financières étaient insuffisantes pour obtenir le financement nécessaire à l’acquisition des immeubles. Normalement, une institution financière ne leur aurait pas permis d’acquérir ces immeubles sans une mise de fonds et des revenus suffisants, d’où la nécessité d’embellir la situation financière des victimes.

[115]     Le Syndic adjoint souligne, que les deux catégories d’infractions sont indépendantes et qu’en conséquence l’une peut se réaliser sans l’autre. D’ailleurs, c’est le cas de l’acheteuse madame Joseph, dont l’infraction se limite d’avoir permis la transmission de faux documents pour l’obtention d’un financement. De plus, le Tribunal note qu’il ne s’agit pas des mêmes victimes (acheteurs et institution financière) pour ces deux types infractions.

[116]     Par contre, il y a un lien très étroit entre l’infraction d’abus de confiance et l’obtention du financement frauduleux. Aux yeux du Tribunal, il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’une même opération ou d’une même aventure. Les quatre acheteurs n’auraient pu acquérir les immeubles sans le financement. 

[117]     Aussi, la preuve ne révèle pas que l’institution financière a subi des pertes financières. En effet, les victimes ont vendu à perte les immeubles ou les ont gardés très longtemps, sauf une victime. En effet, la preuve révèle qu’il y a eu une prise en paiement de l’immeuble, mais elle ne démontre pas le montant de la perte de l’institution financière.

[118]     Pour quatre des cinq victimes, les infractions d’abus de confiance et de transmission de faux documents pour l’obtention de financement frauduleux se sont déroulés dans des périodes très contemporaines l’une de l’autre. 

[119]     Ni la preuve ni l’argumentaire du Comité ne révèle d’éléments aggravants suffisants pour déroger à la règle des sanctions concurrentes.

[120]     La preuve ne démontre pas d’élément aggravant tel qu’exposé dans la décision Lemire[28]. En conséquence, le Comité a imposé une suspension additionnelle de 24 mois (chefs 2, 4, 6 et 9) à monsieur Massé par des sanctions consécutives. Le Tribunal considère que cela est déraisonnable puisque cette sanction ne respecte pas les règles des sentences consécutives élaborées par la jurisprudence.

[121]     Finalement, cette erreur affecte le principe de globalité des sentences et accroît les sanctions de presqu’un tiers.  Ainsi, le Tribunal réduit la sanction totale de 79 mois à 55 mois (79 - 24 = 55).

[122]     Concernant madame Joseph qui n’a pas été victime d’abus de confiance de la part de monsieur Massé (chef 11 (a)), le Tribunal considère que le Comité s’est bien dirigé en droit en déterminant que la suspension doit être consécutive aux chefs 1, 3, 5 et 7.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[123]     REJETTE l’appel de la décision sur culpabilité du Comité de discipline de l’OACIQ datée du 26 novembre 2014 dans le dossier 33-11-1362;

[124]     ACCUEILLE PARTIELLEMENT l’appel sur sanction du Comité de discipline de l’OACIQ datée du 15 juin 2016 dans le dossier 33-11-1362;

[125]     INFIRME PARTIELLEMENT la décision sur sanction du comité disciplinaire de l’OACIQ;

[126]     DÉCLARE que les périodes de suspension imposées pour les chefs d’accusation 2, 4, 6 et 8 seront purgées de façon concurrente avec les périodes de suspension imposées sur les chefs d’accusation 1, 3, 5, et 7.

[127]     LE TOUT, avec frais de justice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

SERGE LAURIN, J.C.Q.

Me Luc Lachance

Astell, Lachance, Du Sablon, De Sua, Avocats

Procureur de l’appelant

 

Me Marc Gaucher

Gaucher Tabet

Procureur de l’intimé

 

Date d’audience :

5 septembre 2017

 



[1] Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Massé, 2014 CanLII 74190 (QC OACIQ).

[2] Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Massé, 2016 CanLII 48182 (QC OACIQ).

[3] Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec c. Massé, préc. note 1, par. 6 à 78.

[4] Loi sur le courtage immobilier, RLRQ c. C-73.2.

[5] Code des professions, RLRQ c. C-26.

[6] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] CSC 9.

[7] Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708.

[8] Bisson c. Lapointe, 2016 QCCA 1078.

[9] Hanes c. Wawanesa Mutual Insurance Co., [1963] R.C.S. 154.

[10] F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41.

[11] Ménard c. Gardner, 2012 QCCA 1546.

[12] Id.

[13] Dallaire c. Agro//nome, 2016 QCTP 137, par. 115.

 

[14] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA).

[15] Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347, par. 24 et 25.

[16] Tan c. Lebel, 2010 QCCA 667.

[17] Pierre Bernard, « La sanction disciplinaire: quelques réflexions », dans S.F.P.B.Q., vol. 206, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p.93.

[18] Tan c. Lebel, préc. note 16.

[19] R. c. Aoun, 2008 QCCA 440.

[20] R. c. Bélanger, [1992] RJQ 2710 (C.A.). 

[21] Dubé c. R., 2006 QCCA 699.

[22] R. c. Bélanger, préc. note 20.

[23] R. c. Aoun, préc. note 19.

[24] R. c. Bélanger, préc. note 20.

[25] Dubé c. R, préc. note 21.

[26] Desjardins c. R, 2015 QCCA 1774, par. 29.

[27] Lemire c. Avocats (ordre professionnel des), 2014 QCTP 119-A.

[28] Lemire c. Avocats (ordre professionnel des), préc. note 27.



[i] La promesse d'achat (I-4) a été produite de consentement en réouverture d'enquête; or, la signature de Rolf François n'est pas la même que celle sur l'acte de vente (P-32) et sur le demande de prêt (P-12) que monsieur François a reconnu avoir signés;

[ii] DUPUIS, Monique, TESSIER, Pierre, Collection de droit 2013-2014, Volume 2 - Preuve et procédure, titre II - La preuve devant le tribunal civil, Chapitre 1 - Les qualités et les moyens de preuve, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 338 à 342;

[iii] 2010 QCCA 2137, [2010] R.J.D.T. 1076 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2011-06-16, 34081).

[iv] 2008 QCCA 936, B.E. 2008BE-699, paragr. 13 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 2008-10-23, 32730).

[v] Voir les articles 126 à 161 du Code des professions, applicables au comité en vertu de l'article 135 de la Loi sur le courtage immobilier, telles que ces lois étaient en vigueur à l'époque.

[vi] Supra, note 5.

[vii] R. c. Aoun, J.E. 2008-621(C.A.), 2008 QCCA 440, paragr. 20.

[viii] Tribunal-Pharmaciens—1, [1976] D.D.C.P. 223,225.

[ix] Schinck c. Reine, C.A.M. no 500-10-000147-890, 2 août 1989, (les juges Bisson, J.C.Q., Proulx et Dussault).

[x] Comme l'utilisation d'un déguisement à l'occasion d'un vol qualifié: Claude Côté c. La Reine, C.A.M. no 500-10-000404-903, 7 octobre 1992, (les juges McCarthy, Vallerand et Deschamps); Beaupré c. R., 1973, 21 C.R.N.S. 205.

[xi] Rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine, 1987, p. 242; Beaupré c. R., supra.

[xii] R. c. Chinn (1977) 38 C.C.C. (2d) 45 (Alb.D.C.), R. c. Huszti, [1998] A.J. No. 1520 (Alb.Q.B.).

[xiii] R. c. Dubé, [2006] QCCA 699.

[xiv] Beaulieu c. R., J.E. 2007-695 (C.A.), paragr. [13]; Dubé c. R., B.E. 2006BE-614; R. c. Gravelle, [2000] R.J.Q. 2467 (C.A.), paragr. [18]; R. c. Pichette, J.E. 2003-289 (C.A.), paragr. [21].

[xv] Id., ACAIQ c. Lagardère, 33-09-1223, par. 8 à 15;

[xvi] Tan c. LeBel, 2010 QCCA 667

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