Syndicat des copropriétaires de Sir George Simpson c. Langleben |
2018 QCCA 1074 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
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(500-17-094136-168) |
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DATE : |
Le 28 juin 2018 |
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SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DE SIR GEORGE SIMPSON |
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APPELANT - demandeur |
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c. |
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SHARON LANGLEBEN |
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JEFFREY LANGLEBEN |
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DAY6 FILM PRODUCTIONS INC. |
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INTIMÉS - défendeurs |
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[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure[1], district de Montréal (l’honorable Gérard Dugré), qui, le 12 août 2016, a rejeté sa demande d’injonction permanente et de jugement déclaratoire visant à faire déclarer nul un bail résidentiel.
[2] Pour les motifs du juge Morissette, auxquels souscrivent les juges St-Pierre et Healy, LA COUR :
[3] ACCUEILLE le pourvoi de l’appelant, avec frais de justice;
[4] INFIRME le jugement de première instance;
[5] ACCUEILLE en partie l’action de l’appelant, avec frais de justice;
[6] DÉCLARE que le bail P-9 entre les parties intimées contrevenait à l’article 100 1° de la déclaration de copropriété P-1 et était inopposable à l’appelant.
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MOTIFS DU JUGE MORISSETTE |
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─ I ─
[7] L’appelant administre un immeuble en copropriété divise (« l’immeuble ») situé à Montréal. Les intimés Langleben (« les intimés ») sont propriétaires de l’une des unités divises de l’immeuble (« l’unité 3C ») qu’ils ont louée à la co-intimée Day6 Film Productions inc. (« Day6 ») dans les circonstances explicitées ci-dessous.
100 1°
La location des fractions est autorisée. Toutefois, la location d'une partie privative d'habitation pour des périodes de moins d'un (1) an est interdite.
La déclaration prévoyait également que le copropriétaire qui loue son unité doit faire parvenir un avis écrit au Syndicat dans lequel il identifie le locataire pressenti (article 73) et qu’il doit remettre à ce dernier un exemplaire du règlement de l’immeuble (article 74). Le règlement en question devient opposable à ce dernier dès sa remise par le copropriétaire ou, à défaut, par le Syndicat (articles 4 et 156).
[9] Le premier jour de juin 2016, l’appelant apprend des intimés qu’ils sont sur le point de « prêter » l’unité 3C à une parente de Californie en visite à Montréal pour trois mois. Le même jour, un représentant de Day6 informe l’appelant que, pendant cette période, l’unité 3C sera occupée par une tierce personne. Soupçonnant qu’en réalité les intimés ont loué leur unité pour trois mois, l’appelant, par l’entremise de son avocat, met Day6 et les intimés en demeure de se conformer à l’article 100 paragraphe 1° précité. Cette mise en demeure est transmise par courriel aux intimés dès le 1er juin, mais elle leur est également signifiée par huissier, ainsi qu’à Day6, le 2 juin.
[10] En réponse à cette mise en demeure, l’intimée Sharon Langleben, qui admet l’existence d’un bail initial de trois mois entre Day6 et les intimés (« le premier bail »), informe l’appelant que les parties s’apprêtent à lui substituer un bail d’un an (« le second bail »).
[11] Il ressort par ailleurs du dossier que Day6 loue dans un but précis, soit de mettre l’unité 3C à la disposition d’une actrice américaine qui, par intermittence, résidera à Montréal pour la durée d’un tournage. D’ailleurs, sur ces entrefaites, l’actrice en question se présente sur place, accompagnée comme l’avaient annoncé les intimés d’un chauffeur, d’un garde du corps et d’un secrétaire.
[12] Le 3 juin 2016, l’appelant présente une demande introductive d’instance en injonction provisoire, interlocutoire et permanente contre les intimés et leur locataire Day6. Cette demande est appuyée de deux déclarations assermentées, l’une du gestionnaire de l’immeuble et l’autre du responsable de sa sécurité. Selon les conclusions de cette demande, si elles avaient été accordées, tout occupant de l’unité 3C introduit sur les lieux en vertu du bail conclu avec Day6 en aurait été expulsé.
[13] Il convient de décrire en détail comment le dossier a évolué à compter de cette date.
[14] Une première audience se tient donc le 3 juin devant le juge Dugré et elle dure un peu moins d’une heure. L’avocate des intimés est présente et elle demande une remise qui lui sera accordée. Les parties et le juge profitent néanmoins de l’occasion pour discuter du cheminement du dossier et la possibilité est évoquée de procéder dès l’étape suivante sur la demande d’injonction permanente. L’audition de l’affaire est reportée à la semaine suivante et dans l’intervalle d’autres déclarations assermentées sont versées au dossier.
[15] L’audience du 10 juin, qui en réalité prend surtout la forme d’une séance de gestion d’instance, dure environ deux heures. Le juge prononce une ordonnance portant sur la confidentialité de certaines informations contenues au dossier. Il entérine le protocole intervenu entre les parties et par lequel elles conviennent, entre autres choses, que la demande d’injonction permanente sera entendue le 14 juillet suivant. Le procès-verbal d’audience note que les avocats de toutes les parties en présence admettent ce qui suit :
Si Mme Sharon Langleben témoignait, elle dirait ceci : Que le bail Annexe A, à l’affidavit de M. Jeffrey Langleben signé le 8 juin 2016, a été précédé d’une autre entente signée le 20 mai 2016 pour la location de la même unité pour une période de trois (3) mois se terminant le 30 août 2016; cette entente a été remplacée par le bail Annexe A audit affidavit qui commence le 1er juin 2016 et se termine le 31 mai 2017.
Le second bail contient cependant une clause selon laquelle la locataire Day6 peut y mettre fin unilatéralement, aux conditions suivantes :
Exceptionally, in the event that the Production should be shut down and/or if the Tenant’s physical presence in Montreal is no longer required, the Lessee has the right to terminate Lease with a (one) month penalty if such termination occurs after two (2) full months of occupancy (June and July 2016) and with no penalty if such termination occurs after three (3) full months of occupancy (June, July and August 2016).
[16] Les parties sont entendues sur la demande d’injonction permanente le 14 juillet suivant lors d’une audience qui dure une journée. En début d’audience, l’avocate des intimés informe le juge qu’elle entend déposer une déclaration assermentée de sa cliente, datée du même jour, et qui pour l’essentiel affirme ce qui suit :
Should this Honourable Court determine that the Lease Agreement violates the Declaration of co-ownership, my husband and I will keep the individual who presently occupies the unit in our home, as our personal guest, free of any costs, expenses, rent or charges to her.
Interrogée par l’avocat de l’appelant, l’intimée reconnaît qu’un dépôt de sécurité a été versé et que le loyer mensuel de 30 000 $ a bien été perçu pour les mois de juin et juillet, comme le prévoient le premier et le second bail.
─ II ─
[17] Le jugement de première instance aborde plusieurs questions qu’il est inutile de considérer pour les fins du pourvoi. Le juge, on l’a vu, rejette la demande de déclaration et d’injonction de l’appelant. Il conclut d’abord à l’absence d’atteinte à la destination de l’immeuble puisque l’unité 3C n’est utilisée qu’à des fins résidentielles. Il note que c’est la location pour une durée de moins d’un an et non la simple occupation d’une partie privative de l’immeuble que l’article 100 paragraphe 1° prohibe. Le premier bail, daté du 20 mai, contrevient donc à cette stipulation de la déclaration de copropriété. Cependant, celle-ci n’est opposable à Day6 qu’à compter du moment où elle en a connaissance. Or, aucune preuve au dossier n’établit que le bail du 20 mai a été conclu alors que Day6 connaissait déjà l’existence de cette prohibition. Comme elle n’est pas susceptible d’une application rétroactive, elle est inopposable à Day6, de sorte que l’exécution en nature de l’interdiction de louer pour moins d’un an ne peut être accordée à l’appelant. En outre, cette obligation de ne pas faire se transformerait ici en une obligation de faire puisque les intimés seraient contraints de mettre fin au bail et d’expulser l’occupante de l’unité 3C. Or, selon le juge, doctrine et jurisprudence enseignent qu’on doit refuser l’exécution en nature si elle entraîne une atteinte aux droits de tiers de bonne foi. Enfin, l’appelant est un tiers en ce qui concerne le bail conclu par Day6, ce qui l’empêche de demander de façon subsidiaire que ce bail soit résilié.
─ III ─
[18] Insatisfait, l’appelant porte ce jugement en appel le 19 septembre suivant et formule en ces termes la principale conclusion de son mémoire :
LA PARTIE APPELANTE DEMANDE À LA COUR D’APPEL DE :
DIRE ET DÉCLARER que le bail (P-9), savoir le véritable bail intervenu entre les parties intimées au présent appel, d’une durée de trois (3) mois, donc contraire à l’article 100 (1) de la déclaration de copropriété (P-1) qui interdit les baux pour des périodes de moins d’un (1) an est inopposable au syndicat; et que la demande introductive d’instance visant l’éviction de tout occupant en vertu de ce bail aurait dû être accueillie;
On voit que l’appelant ne demande plus que le bail P-9 soit résilié ou déclaré nul.
[19] Le 10 novembre, les intimés déposent une requête en rejet d’appel où ils allèguent un faisceau de faits nouveaux : (i) l’occupante de l’unité 3C a quitté les lieux le 27 août précédent (ii) ils ont repris possession de leur unité de façon permanente depuis le 28 août (iii) le bail original P-9 a expiré le 31 août précédent (iv) le 5 octobre précédent, lors d’une assemblée générale des copropriétaires, la déclaration de copropriété a été modifiée sur plusieurs points relatifs à la location des parties privatives, une telle location étant désormais assujettie à l’approbation de l’appelant et tout bail d’un an comportant une clause de résiliation pendant la première année étant assimilé à un bail de moins d’un an, et (v) le bail de Day6 initialement valide du 1er juin 2016 au 30 mai 2017a cessé d’être, Day6 s’étant prévalu de la faculté de résilier après trois mois. Partant, soutiennent les intimés, l’appel n’a plus sa raison d’être, car les baux ont pris fin et la déclaration de copropriété a été modifiée de manière à éviter que se constitue une situation comme celle qui opposait les parties. Ils ajoutent que « dans les faits … l’appel … ne vise qu’à obtenir une assise afin de justifier un recours éventuel contre les [intimés] en remboursement des honoraires juridiques que [l’appelant] a encourus dans ce dossier ».
[20] Le 30 janvier 2017, après avoir entendu les parties, la Cour rejetait cette requête[2] et observait : « Sans nullement présumer de l’issue de l’appel, on ne nous a pas convaincus qu’il y avait lieu de le rejeter sur ce moyen préliminaire. »
─ IV ─
[21] Il est concevable que le 20 mai 2016, en signant le premier bail, les intimés et Day6 aient cru ne pas contrevenir à la déclaration de copropriété. En effet, à l’époque où les intimés avaient acquis l’unité 3C en décembre 2009, l’interdiction de louer était exprimée en ces termes (je souligne) : « Toutefois, la location répétée d’une partie privative d’habitation à des locataires différents pour des périodes de moins d’un (1) an est interdite. » Rien au dossier ne permet de penser que le premier bail entre les intimés et Day6 était autre chose pour eux qu’une première expérience de ce genre. Cela dit, l’article 100 1° tel qu’il est reproduit ci-dessus au paragraphe [8] provient d’une modification à la déclaration de copropriété, apportée le 15 septembre 2015 conformément à la procédure alors en vigueur, et ensuite notifiée en bonne et due forme aux intimés qui en accusèrent réception le 18 septembre suivant. Il ne peut donc faire de doute que cette nouvelle clause leur était opposable, même dans l’hypothèse où ils n’auraient pas pris connaissance de ce que le représentant de l’appelant leur avait remis en mains propres le 18 septembre 2015.
[22] La demande du 14 juillet 2016 mise en délibéré le même jour par le juge était une demande d’injonction permanente, l’une à l’égard de laquelle « les conséquences, autres que les conséquences juridiques, de l’octroi ou du refus de l’injonction ne peuvent entrer en ligne de compte »[3]. Le juge n’avait pas à se pencher ici sur le critère dit de la « prépondérance des inconvénients »[4].
[23] Or, il ne peut faire de doute non plus que, dès le 1er juin 2016, les intimés contrevenaient à l’article 100 1° du règlement de l’immeuble puisque cette stipulation contractuelle leur était opposable. Quant à Day6, qui se vit notifier la teneur de cet article par la mise en demeure signifiée le 2 juin, elle était dès ce moment informée que les intimés contrevenaient au règlement de l’immeuble s’ils lui louaient l’unité 3C pour moins d’un an.
[24] Décrivant l’attitude des intimés et de Day6 après le 1er juin 2016, l’avocat de l’appelant a parlé en première instance d’une fraude à la loi. L’expression n’est pas neutre et elle évoque un comportement qui consiste à ruser avec la loi plutôt que de l’enfreindre ouvertement. Les circonstances qui ont entouré la signature du second bail, et la position prise par l’intimée lors de l’audience du 14 juillet, étaient cependant suffisamment probantes en soi pour conclure que les intimés tentaient de contourner l’article 100 1° du règlement de l’immeuble. Bien que le juge ait ignoré au moment de rendre jugement que l’occupante de l’unité 3C quitterait les lieux à la fin d’août 2016, que les intimés rentreraient immédiatement en possession de leur copropriété et que Day6 mettrait fin au bail longtemps avant son terme fictif d’un an, ces éléments corroborent ce qu’était la finalité véritable du second bail, soit de réaliser dans les faits ce qui se serait accompli si le premier bail avait été appliqué à la lettre. En d’autres termes, on contournait l’article 100 1° et le stratagème est transparent.
[25] Voilà quels sont les faits saillants qui ressortent du dossier en appel.
─ V ─
[26] Pour rejeter la demande d’injonction de l’appelant, le juge s’est notamment appuyé sur l’arrêt Beaulieu c. Bizier, Bizier inc.[5].
[27] Cette affaire opposait A et B, deux copropriétaires d’un immeuble commercial. A avait convenu avec B de ne pas y ouvrir de bar, ni de vendre ou de louer la partie qu’il occupait à un tenancier de bar, aussi longtemps que B exploiterait sur les lieux un salon de billard. A loua sa partie à C au moyen d’un bail dont une clause contenait cette restriction et C y contrevint sans vergogne. B demanda alors une injonction ordonnant à C de cesser d’exploiter son bar et ordonnant à A de faire cesser cette exploitation. En première instance, l’injonction fut rejetée contre C et accordée contre A, qui seul se pourvut. La Cour, sous la plume du juge Vallerand, accueille l’appel et rejette la requête en injonction contre A. L’arrêtiste résume en ces termes les raisons de ce rejet :
En l’espèce, les locataires [C] étaient au courant de l’interdiction puisque celle-ci avait été inscrite au bail. Ainsi, la solution appropriée afin que cesse l’exploitation du bar était l’ordonnance faite directement aux mis en cause [C], soit les débiteurs de l’obligation. En effet, on ne pouvait ordonner à l’appelant de prendre des procédures contre les mis en cause.
Je doute que l’on puisse généraliser à partir de cet arrêt la distinction que trace le juge de première instance au paragraphe [97] de ses motifs entre une « ordonnance de cesser de faire » et une « ordonnance de faire cesser ». Quoi qu’il en soit, cet arrêt est antérieur à la réforme introduite en 1994 par le Code civil du Québec, réforme qui, en droit des obligations, et par l’article 1601 C.c.Q., a donné à l’exécution en nature une place nettement plus importante qu’auparavant.
[28] Je rappelle à ce sujet les propos du juge Baudouin, auteur des motifs au soutien d’un arrêt unanime de la Cour dans l’affaire Varnet Software Corp. c. Varnet U.K. Ltd.[6] Il écrivait sur ce point :
At the outset, I must clearly state that I agree with the respondent's contention that under the Civil Law of Quebec, specific performance of contracts is the general rule, unlike the Common Law approach which favours compensation for breach by damages awards. I also agree that specific performance cannot be granted in certain cases where the personal action of the debtor of the obligation is of the essence. Finally, I agree with both parties that since the introduction of mandatory injunction, the law of Quebec has evolved and that courts should no longer hesitate to grant mandatory injunctive relief when the necessary conditions are met (Royal Bank of Canada v. Propriétés Cité Concordia Ltée, [1983] R.D.J. 524 (C.A.); Société Coinamatic v. Armstrong, [1984] C.A. 23; Brasserie Labatt Ltée v. Ville de Montréal, [1987] R.J.Q. 535 (C.A.); Comeau c. Association des professeurs de Lignery, [1990] R.J.Q. 130 (C.A.). See: R. JUKIER, «The Emergence of Specific Performance as a Major Remedy in Quebec Law», (1987) 47 R. du B. 47; A. PRUJINER, «L'injonction, voie d'exécution forcée des obligations de faire», (1989) 20 R.G.D. 51). It is not because injunction is historically a Common Law procedural remedy that the restrictive approach of Common Law to mandatory injunctive relief should also be followed (See also: G. VLAVIANOS, «Specific Performance in the Civil Law: Mediating Between Inconsistent Principles Inherited from a Roman-Canonical Tradition via the French Astreinte and the Québec Injunction», (1993) 24 R.G.D. 515).
[29] Or, en l’espèce, la violation de l’article 100 1° du règlement de l’immeuble par les intimés était patente.
[30] Qu’en est-il, cependant, de Day6? Elle était la locataire des intimés aux termes du premier comme du second bail et elle était aussi en première instance une défenderesse au même titre que les intimés. À compter du 2 juin 2016, elle ne pouvait prétendre ignorer l’article 100 1°.
[31] Rien n’empêche qu’une ordonnance d’exécution en nature d’une obligation contractuelle vise un tiers à l’égard du contrat dont une partie revendique qu’il soit respecté. En effet, la jurisprudence accepte depuis longtemps que la violation des droits d’un cocontractant engage la responsabilité extracontractuelle de celui qui s’y livre en connaissance de cause[7]. Le fondement de cette obligation est explicité comme suit par un ouvrage de doctrine[8] :
Même si une personne n’est pas assujettie, en tant que tel, par les obligations ou les conditions d’un contrat, auquel elle est parfaitement étrangère, elle doit néanmoins respecter l’existence de ce « pur fait » qu’est, à son égard, ce contrat. Dépourvu de force contraignante à l’égard du tiers, ce contrat lui est néanmoins opposable. L’atteinte consciente aux droits d’une partie pourra donc fonder une responsabilité extracontractuelle du tiers. Cette atteinte peut être l’initiative du seul tiers, comme elle peut constituer une complicité d’une violation d’un contractant.
Comme l’écrit un autre auteur, « [l]’opposabilité du contrat interdit aux tiers de faire obstacle à l’exécution du contrat ou encore de participer à sa violation »[9].
[32] Bien que la jurisprudence ne soit pas uniforme en la matière, la plus récente, et qui concerne des clauses de non-concurrence, reconnaît sans peine les principes qui précèdent[10]. Dans certains arrêts antérieurs, relatifs à des baux commerciaux, les tribunaux se sont montrés plus réticents[11].
[33] Dans l’espèce en cours, la solution de principe qui paraît la plus conforme au droit des obligations actuel est celle dont font état les auteurs Jacques Ghestin, Christophe Jamin et Marc Billiau dans leur ouvrage sur les effets du contrat. Ils écrivent à ce sujet[12] (je souligne) :
En principe, la responsabilité du tiers n’est engagée que s’il a connaissance du contrat au moment où il conclut avec le débiteur la convention incompatible.
Ce principe exclut-il toute responsabilité du tiers lorsqu’il n’apprend l’existence du contrat qu’ultérieurement?
Le droit du travail répond négativement sur le fondement de l’article L. 122-15 du Code du travail; l’employeur engage sa responsabilité quand il continue à occuper un travailleur après avoir appris que ce travailleur état encore lié à un autre employeur par un contrat de travail. Mais, on a souligné qu’il s’agissait d’un texte d’exception. Son extension à d’autres domaines devrait donc être exclue. Il semble cependant que la solution particulière apportée par le droit du travail puisse être étendue à tous les contrats successifs. En effet, il n’y aucune raison pour décider qu’un tiers qui continue à violer une clause d’exclusivité, par exemple, après en avoir pris connaissance puisse se retrancher derrière son ignorance primitive pour continuer à méconnaître impunément le contrat. Sa responsabilité ne sera bien évidemment engagée qu’à partir du moment où il en a pris effectivement connaissance.
Un arrêt rendu par la 2e Chambre de la Cour d’appel d’Aix le 10 mars 1938 pourrait être interprété en ce sens. La gérante d’une succursale était obligée par son contrat de gérance de se fournir auprès de la société le Lion d’Arles. Un sieur Itier fournissait cependant la gérante. La société le Lion d’Arles faisait alors défense au sieur Itier de poursuivre ses approvisionnements par une lettre du 5 mai 1932. Pour apprécier la responsabilité du sieur Itier, la Cour d’Aix recherchait alors si celui-ci avait continué postérieurement à cette date d’approvisionner la gérante, car sa responsabilité ne pouvait être engagée que s’il avait connaissance de la clause de fourniture exclusive. La société demanderesse était déboutée parce qu’elle n’apportait pas la preuve d’agissements répréhensibles postérieurement au 5 mai 1932.
[34] En d’autres termes, saisi comme il l’était le 14 juillet 2016 d’une demande d’injonction permanente, le juge de première instance aurait dû (i) constater l’illégalité du comportement des intimés et de Day6, comportement de nature à engager, respectivement, leur responsabilité contractuelle envers l’appelant, et sa responsabilité extracontractuelle envers l’appelant (ii) déclarer contraires à l’article 100 1° du règlement de l’immeuble le premier ainsi que le second bail entre les parties, et (iii) prononcer une ordonnance d’injonction enjoignant aux intimés et à Day6, dans un délai imparti, de ne plus permettre la présence dans l’unité 3C (a) de la personne désignée dans le premier et le second bail comme « the Tenant » et (b) de l’entourage de cette personne.
[35] Il est vrai qu’une telle injonction serait en partie assimilable à une ordonnance d’éviction ou d’expulsion, et que ses modalités de mise en application devraient être fixées de manière à ce qu’une partie soucieuse d’agir en toute légalité puisse s’y conformer dans un délai raisonnable. Mais ces considérations peuvent faire l’objet d’un débat contradictoire devant le juge qui prononce l’injonction.
[36] Les conclusions qui précèdent ne signifient pas pour autant qu’au stade d’une injonction interlocutoire, ni a fortiori au stade d’une injonction provisoire, l’expulsion d’un locataire ou d’un occupant invité sur les lieux par le locataire, s’imposerait de la même façon. Comme le rappelait à juste titre le juge de première instance lors de l’audience du 3 juin 2016, il faut au stade provisoire démontrer l’existence d’une question sérieuse à débattre, l’urgence, le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients. Mais ici, je le répète, les parties procédaient sur la demande d’injonction permanente.
[37] En outre, dans un rapport tripartite ou quadripartite comme celui qui s’est créé ici, la possibilité d’autres recours existe aussi pour les parties prises de court : selon les circonstances, le locataire qui aura été induit en erreur par le copropriétaire bailleur, ou l’occupant qui se voit expulser des lieux après avoir sous-loué du locataire, pourront disposer de recours en dommages. Mais ces hypothèses ne se sont pas concrétisées ici, Day6 ayant appris très rapidement l’existence de l’article 100 1° du règlement de l’immeuble et, dans les faits, la situation s’étant résorbée d’elle-même pour les raisons déjà décrites ci-dessus au paragraphe [19].
[38] Pour les motifs qui précèdent, je ferais droit au pourvoi que j’accueillerais selon ses conclusions.
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YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
[1] 2016 QCCS 3812.
[2] 2017 QCCA 155.
[3] Pérusse c. Les Commissions d’Écoles de St-Léonard de Port-Maurice, [1970] C.A. 324, p. 329.
[4] Paul-Arthur Gendreau et al., L’injonction, Cowansville, Yvon Blais, 1998, p. 296; Danielle Ferron et al., L’injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et Norwich, Montréal, LexisNexis, 2008, p. 73-74.
[5] [1988] R.D.J. 108 (C.A.).
[6] [1994] R.J.Q. 2755 (C.A.), p. 2758.
[7] Ainsi, voir Trudel c. Clairol Inc. of Canada, [1970] 2 R.C.S. 236, Dostie c. Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026 (C.A.), Sobeys Québec inc. c. 3764681 Canada inc., J.E. 2002-415 (C.A.) et Rouge Resto-bar inc. c. Zoom Média inc., 2013 QCCA 443.
[8] Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Thémis, 2012, p. 1443 et 1444, n° 2452 (références omises, italiques tirées de l’original).
[9] Dimitri Houtcieff, Droit des contrats, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 525.
[10] Ainsi, voir Payette c. Guay inc., 2013 CSC 45, ou THQ Montréal inc. c. Ubisoft Divertissements inc., 2011 QCCA 2344.
[11] Notamment dans Beaulieu c. Bizier, Bizier inc., supra, note 4, ou Boucherie Côté inc. c. Le Fruitier D'Auteuil inc., J.E. 99-707 (C.A.).
[12] Traité de droit civil : Les effets du contrat, 3e éd, Paris, LGDJ, 2001, p. 810, n° 749 (références omises, italiques et caractères gras tirés de l’original).
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