Décision

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Procureur général du Québec c. Terrains St-Hyacinthe

2023 QCCA 732

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-030236-228, 500-09-030237-226, 500-09-030239-222

(500-17-117099-211) (500-17-120043-222) (500-17-120051-225)

 

DATE :

 7 juin 2023

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

SIMON RUEL, J.C.A.

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

 

No 500-09-030236-228 (500-17-120051-225)

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT – défendeur

c.

 

TERRAINS ST-HYACINTHE S.E.C.

INTIMÉE – demanderesse

 

 

No 500-09-030237-226 (500-17-117099-211)

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT – défendeur

c.

 

NICANCO HOLDINGS INC.

INTIMÉE – demanderesse

 

 

No 500-09-030239-222 (500-17-120043-222)

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT – défendeur

c.

 

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE PARC CENTRE-EST 440

INTIMÉE – demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant, le Procureur général du Québec (PGQ), se pourvoit à l’encontre d’un jugement du 7 septembre 2022 (l’honorable David R. Collier)[1] qui tranche une demande conjointe pour décision sur une question de droit aux termes de l’article 209 du Code de procédure civile. Cette demande s’inscrit dans le cadre de trois actions en jugement déclaratoire et en dommages et intérêts des intimées, Terrains St-Hyacinthe S.E.C., Nicanco Holdings inc. et Société en Commandite Parc Centre-Est 440.

[2]                Le contexte est le suivant. Les intimées sont des entreprises œuvrant dans le secteur de l’immobilier. Entre septembre 2008 et mars 2017, elles ont toutes reçu un certificat d’autorisation aux termes de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement[2] (LQE) afin d’exécuter des activités en milieu humide en contrepartie de quoi, elles ont fourni une compensation en nature. Aucun délai n’est associé à cette autorisation.

[3]                Le 6 avril 2017, le projet de loi 132 est présenté à l’Assemblée nationale. Le 16 juin 2017, la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (la Loi)[3] est sanctionnée. Cette Loi modifie le régime d’autorisation ministérielle de la LQE pour les activités en milieu humide en y ajoutant notamment, par le biais de son article 31, l’article 46.0.9 LQE, qui oblige les titulaires d’une autorisation à commencer l’activité dans un délai de deux ans de la délivrance de celle-ci, sous peine de son annulation de plein droit. Si, en principe, la Loi entre en vigueur le 16 juin 2017, l’article 46.0.9 LQE, lui, entre en vigueur le 23 mars 2018[4]. Il est ainsi libellé :

46.0.9. Le titulaire d’une autorisation relative à un projet dans des milieux humides et hydriques doit débuter l’activité concernée dans les deux ans de la délivrance de cette autorisation ou, le cas échéant, dans tout autre délai prévu à l’autorisation. À défaut, l’autorisation est annulée de plein droit et toute contribution financière versée par le titulaire en vertu du premier alinéa de l’article 46.0.5 lui est remboursée, sans intérêts, à l’expiration de ce délai.

 

Toutefois, le ministre peut, sur demande du titulaire, maintenir l’autorisation en vigueur pour la période et aux conditions, restrictions et interdictions qu’il fixe.

 

46.0.9. The holder of an authorization for a project in wetlands and bodies of water must begin the activity concerned within two years after the authorization is issued or, as applicable, within any other time limit specified in the authorization. Failing that, the authorization is cancelled by operation of law and any financial contribution the holder paid under the first paragraph of section 46.0.5 is reimbursed, without interest, at the expiry of that time.

 

However, the Minister may, at the holder’s request, maintain the authorization in force for the period and subject to the conditions, restrictions and prohibitions the Minister determines.

[4]                Le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (le ministère) est d’avis que cette disposition s’applique aux certificats d’autorisation en litige, c'est-à-dire délivrés le ou avant le dépôt du projet de loi, le 6 avril 2017. Selon le ministère, puisque l’article 46.0.9 LQE a pour effet de limiter les autorisations dans le temps, le délai de deux ans pour le début de l’activité concernée commence à courir, pour les certificats en litige, le 23 mars 2018, date d’entrée en vigueur de la disposition. Le ministère envoie donc aux intimées, entre le 7 mai 2021 et le 21 janvier 2022, des avis les informant que, les activités n’ayant pas débuté, le certificat a été annulé de plein droit.

[5]                En désaccord avec cette interprétation, les intimées intentent des demandes en jugement déclaratoire et en dommages et intérêts. Dans le cadre de ces demandes, les parties s’entendent pour soumettre au tribunal, conformément à l’article 209 C.p.c., la question de droit suivante :

L’article 46.0.9 de la LQE, entré en vigueur le 23 mars 2018 en vertu de l’article 67 de la LCCMHH, s’applique-t-il aux autorisations qui ont été délivrées par le MELCC ou son équivalent sous une dénomination antérieure avant le 7 avril 2017?

[6]                Le jugement entrepris répond à la question par la négative. Selon le juge, l’article 46.0.9 LQE ne s’applique pas aux certificats délivrés à la suite d’une demande antérieure au 7 avril 2017, tant en raison des dispositions de la Loi qu’en application de la théorie de l’effet immédiat des lois. Pour le juge, puisque les certificats d’autorisation délivrés ne prévoient pas de délai pour le commencement des activités, les droits des intimées ont été déterminés de façon définitive et la situation n’est donc plus en cours. Cela signifie donc que la position du ministère selon laquelle l’article 46.0.9 LQE s’applique aux certificats en litige lui donnerait un effet rétroactif, ce qui ne peut être le cas ici.

[7]                Pour ces motifs, le dispositif du jugement entrepris répond à la question soumise de la façon suivante :

[23] DÉCLARE que l'article 46.0.9 de la Loi sur la qualité de l'environnement, RLRQ, c. Q-2, entré en vigueur le 23 mars 2018, ne s'applique pas aux autorisations ministérielles délivrées à la suite à une demande d'autorisation déposée auprès du ministère de l'Environnement et de la lutte contre les changements climatiques avant le 7 avril 2017;

* * *

[8]                La Loi en cause contient des dispositions transitoires dont il convient de reproduire celles pertinentes à l’appel :

59. Les demandes d’autorisation faites au ministre en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement avant le 7 avril 2017, relatives à un projet dans un cours d’eau à débit régulier ou intermittent, un lac, un étang, un marais, un marécage ou une tourbière et qui sont pendantes le 16 juin 2017, sont continuées et décidées conformément aux exigences prévues par cette loi et par la Loi concernant des mesures de compensation pour la réalisation de projets affectant un milieu humide ou hydrique telles qu’elles se lisaient la veille de cette date.

 

Toutefois, une telle demande peut être continuée et décidée conformément aux règles prévues à l’article 60 de la présente loi dans la mesure où le demandeur en fait la demande au ministre au plus tard le 15 août 2017.

 

60. Les demandes d’autorisation faites au ministre en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement après le 6 avril 2017, relatives à un projet dans un cours d’eau à débit régulier ou intermittent, un lac, un étang, un marais, un marécage ou une tourbière et qui sont pendantes le 16 juin 2017, sont continuées et décidées conformément aux règles suivantes:

 

1° le demandeur doit, le cas échéant, compléter sa demande en transmettant au ministre, au plus tard le 15 août 2017, les documents et les renseignements énumérés à l’article 46.0.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement, édicté par l’article 31 de la présente loi;

 

2° dans le cadre de son analyse, le ministre tient compte des éléments énumérés à l’article 24 de la Loi sur la qualité de l’environnement, remplacé par l’article 16 du chapitre 4 des lois de 2017, ainsi que des éléments énumérés à l’article 46.0.4 de la Loi sur la qualité de l’environnement, édicté par l’article 31 de la présente loi;

 

3° les motifs de refus énumérés à l’article 31.0.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement, édicté par l’article 16 du chapitre 4 des lois de 2017, ainsi que les motifs énumérés à l’article 46.0.6 de la Loi sur la qualité de l’environnement, édicté par l’article 31 de la présente loi, s’appliquent;

 

4° le demandeur d’autorisation paie la contribution financière exigée en vertu de l’article 57.

 

Toutefois, malgré le premier alinéa, lorsqu’une mesure de compensation a fait l’objet d’un engagement écrit de la part du demandeur en vertu de l’article 2 de la Loi concernant des mesures de compensation pour la réalisation de projets affectant un milieu humide et hydrique et que cet engagement est jugé satisfaisant par le ministre avant le 16 juin 2017, le demandeur demeure régi par les dispositions de cette loi, telle qu’elle se lisait avant cette date.

 

Le présent article ne s’applique pas aux travaux et aux projets visés à l’article 58.

 

61. Le premier alinéa de l’article 60 s’applique également aux demandes d’autorisation faites au ministre en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement après le 16 juin 2017, mais avant le 23 mars 2018.

 

63. L’article 46.0.9 de la Loi sur la qualité de l’environnement, édicté par l’article 31 de la présente loi, s’applique à toute autorisation délivrée conformément à l’article 60, avec les adaptations nécessaires.

 

65. Les demandes d’autorisation faites au ministre en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement à compter du 23 mars 2018 sont régies par les dispositions de cette loi telle qu’elle se lira à compter de cette date.

 

59. Authorization applications that were made to the Minister under the Environment Quality Act before 7 April 2017 for a project in a constant or intermittent watercourse, or a lake, pond, marsh, swamp or peatland and that are pending on 16 June 2017 are continued and decided in accordance with the requirements under that Act and under the Act respecting compensation measures for the carrying out of projects affecting wetlands or bodies of water, as they read the day immediately before that date.

 

 

However, such an application may be continued and decided in accordance with the rules under section 60 to the extent that the applicant applies to the Minister not later than 15 August 2017.

 

 

60. Authorization applications that were made to the Minister under the Environment Quality Act after 6 April 2017 for a project in a constant or intermittent watercourse, or a lake, pond, marsh, swamp or peatland and that are pending on 16 June 2017 are continued and decided in accordance with the following rules:

 

(1) the applicant must, if applicable, complete the application by sending the documents and information listed in section 46.0.3 of the Environment Quality Act, enacted by section 31, to the Minister not later than 15 August 2017;

 

 

(2) the Minister must, in examining the application, take into account the elements listed in section 24 of the Environment Quality Act, replaced by section 16 of chapter 4 of the statutes of 2017, and the elements listed in section 46.0.4 of the Environment Quality Act, enacted by section 31;

 

 

 

(3) the reasons for refusal listed in section 31.0.3 of the Environment Quality Act, enacted by section 16 of chapter 4 of the statutes of 2017, and the reasons listed in section 46.0.6 of the Environment Quality Act, enacted by section 31, apply; and

 

 

(4) the applicant must pay the financial contribution required under section 57.

 

However, despite the first paragraph, if a compensation measure was the subject of a written undertaking by the applicant under section 2 of the Act respecting compensation measures for the carrying out of projects affecting wetlands or bodies of water and if that undertaking is considered satisfactory by the Minister before 16 June 2017, the applicant remains governed by that Act as it read before that date.

 

 

This section does not apply to works and projects referred to in section 58.

 

 

61. The first paragraph of section 60 also applies to authorization applications made to the Minister under the Environment Quality Act after 16 June 2017 but before 23 March 2018.

 

 63. Section 46.0.9 of the Environment Quality Act, enacted by section 31, applies, with the necessary modifications, to any authorization issued in accordance with section 60.

 

 

65. Authorization applications made to the Minister under the Environment Quality Act on or after 23 March 2018 are governed by that Act as it reads on that date.

[Soulignement ajouté]

[9]                En appel, le PGQ plaide que le juge a erré en omettant la règle selon laquelle, en matière environnementale une loi est présumée d’application immédiate de même qu’en omettant l’objectif de l’article 46.0.9 LQE qui est d’empêcher qu’un projet dans un milieu humide soit réalisé plusieurs années après la délivrance d’une autorisation dont l’évaluation n’est plus actuelle. Selon le PGQ, la seule interprétation compatible avec ces deux considérations est qu’un certificat délivré avant le 7 avril 2017 dont les activités n’ont pas débuté au 23 mars 2018, date de la mise en vigueur de cet article, est, contrairement à ce qu’affirme le juge au paragraphe 21 de son jugement, une situation en cours puisque l’extinction potentielle de la situation juridique est en jeu. Le PGQ fait aussi valoir que les dispositions transitoires de la Loi ne s’appliquent pas en l’espèce puisque celles-ci ne portent que sur des demandes en cours en fonction des dates de présentation du projet de Loi (6 avril 2017) et la sanction de la Loi (16 juin 2017). Dans le cas d’une autorisation délivrée avant le 7 avril 2017, c’est donc le principe général de l’effet immédiat qui s’applique et la Loi est donc soumise à l’article 46.0.9 LQE.

[10]           Les intimées, quant à elles, plaident que la position du PGQ contredit le texte de l’article 46.0.9 LQE, lequel prévoit que l’activité doit débuter dans les deux ans de la délivrance de l’autorisation. La position du PGQ implique l’ajout à cet article des termes « ou à compter de l’entrée en vigueur de la présente disposition ». Elles font ensuite valoir qu’un certificat délivré avant le 7 avril 2017 ne constitue pas une situation en cours en application de la théorie de l’effet immédiat de la loi. Non seulement c’est la raison qui explique que les dispositions transitoires ne traitent pas de cette situation, mais également que, si on appliquait la théorie de l’effet immédiat, l’article 46.0.9 LQE ne pourrait les régir, sans quoi celui-ci aurait un effet rétroactif. Enfin, elles plaident que l’application de l’article 46.0.9 LQE aux certificats d’autorisation émis avant le 7 avril 2017 donnerait un résultat incohérent avec les dispositions transitoires.

* * *

[11]           Les parties conviennent, qu’en principe, une loi environnementale est d’application immédiate, l’idée de droit acquis ne trouvant généralement pas application en la matière[5]. La mise en pratique de la théorie de l’effet immédiat oppose toutefois les parties.

[12]           Pour le PGQ, tant que l’activité autorisée n’est pas commencée, et donc que la nullité de plein droit prévue à l’article 46.0.9 LQE est susceptible d’intervenir, la situation demeure en cours permettant ainsi l’application de la nouvelle Loi. À l’inverse, pour les intimées – comme pour le juge de première instance – dès lors que l’autorisation est délivrée sans que celle-ci prévoie de délai pour le début de l’activité, la situation est définitive et la Loi nouvelle ne saurait s’appliquer sans dès lors avoir un effet rétroactif.

[13]           Les positions respectives des parties ne sont pas sans valeur et l’application de la théorie de l’effet immédiat de la loi n’est pas sans poser de difficultés ici. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de trancher cette question pour sceller le sort de l’appel. La source première des règles de conflits de lois dans le temps demeure la volonté du législateur[6]. C’est donc d’abord dans la Loi que l’on doit chercher la solution en interprétant les dispositions transitoires. Cette matière étant particulièrement difficile[7], l’on doit aborder ces dispositions de manière globale en recherchant leur économie générale et en retenant que « [t]ransitional provisions can be important for what they don’t say as well as what they do »[8]. Or, en faisant cette analyse, on doit nécessairement conclure que le législateur a posé une règle spécifique valant pour les certificats en litige.

[14]           L’on peut synthétiser les dispositions transitoires prévues à la Loi de la manière suivante :

-          article 59 : Les demandes d’autorisation faites avant le 7 avril 2017 et pendantes au 16 juin 2017 sont étudiées conformément à l’ancien régime;

-          article 60 : Les demandes d’autorisation faites après le 6 avril 2017 et pendantes le 16 juin 2017 sont examinées en vertu d’un régime mixte auquel l’article 46.0.9 LQE s’applique selon l’article 63 de la Loi;

-          article 61 : Les demandes d’autorisation faites après le 16 juin 2017, mais avant le 23 mars 2018 sont analysées en vertu d’un régime mixte auquel l’article 46.0.9 LQE s’applique selon l’article 63 de la Loi;

-          article 65 : Les demandes d’autorisation faites à compter du 23 mars 2018 sont régies par le nouveau régime.

[15]           Aucune de ces dispositions ne concerne les certificats issus d’une demande antérieure au 7 avril 2017 et délivrée avant le 16 juin 2017. Le PGQ soumet que dans ce cas, c’est la théorie de l’effet immédiat qui s’applique – en vertu de quoi cette autorisation serait soumise à l’article 46.0.9 LQE. Or, une lecture des dispositions de la Loi convainc que, contrairement à ce que soutient le PGQ, l’article 46.0.9 ne peut s’appliquer aux dossiers visés par l’article 59 de la Loi, c'est-à-dire aux demandes d’autorisation faites avant le 7 avril 2017 et pendantes au 16 juin 2017. C’est là, en effet, la seule interprétation possible de l’article 63 de la Loi qui soumet les demandes régies par l’article 60 à l’article 46.0.9. LQE. Puisque l’article 63 ne prévoit pas qu’il en va de même pour celles de l’article 59 de la Loi, c’est donc dire qu’a contrario, l’article 46.0.9 ne s’applique pas à ces demandes. Selon les prétentions du PGQ, il faudrait conclure qu’une autorisation délivrée le 17 juin 2017 à la suite d’une demande antérieure au 7 avril 2017 ne serait pas soumise à l’article 46.0.9 LQE selon l’article 59 de la Loi, alors qu’un certificat délivré le 6 avril 2017 ou le 15 juin 2017 y serait soumis. Il s’agit là d’une conséquence absurde que ne peut avoir voulue le législateur et qui n’est pas conforme à l’économie générale des dispositions transitoires.

[16]           En fait, ce n’est pas tant la date du dépôt de la demande qui retient l’attention du législateur dans les dispositions transitoires que celle de la délivrance de l’autorisation. Les dispositions transitoires de la Loi visent à gérer les autorisations délivrées entre la date de l’adoption de la Loi, qui est aussi en principe sa date de mise en vigueur (16 juin 2017) et la mise en vigueur retardée de l’article 46.0.9 LQE (23 mars 2018). Cette gestion se fait en fonction de la date de la demande de l’autorisation en distinguant trois périodes : 1) le ou avant le dépôt du projet de loi (art. 59); 2) entre le dépôt du projet de loi et sa sanction, le 16 juin 2017 (art. 60) et 3) après son adoption (art. 61). Par l’effet de l’article 63 de la Loi, l’article 46.0.9 LQE ne s’applique pas à la première, mais s’applique aux deux autres. Dit autrement, si l’article 46.0.9 LQE entre en vigueur le 23 mars 2018, l’article 63 de la Loi a lui pour effet de l’étendre aux demandes faites à compter de la date du dépôt du projet de loi (6 avril 2017) et dont l’autorisation est délivrée entre son adoption (16 juin 2017) et la mise en vigueur de l’article 46.0.9 LQE (23 mars 2018).

[17]           Ce seul argument suffit pour sceller le sort du litige. L’on pourrait toutefois ajouter que le texte de l’article 46.0.9 LQE, lequel soumet la nullité de plein droit de l’autorisation au remboursement de la contribution financière versée, pointe aussi dans le même sens. En effet, le système de contribution financière a été introduit par la Loi en remplacement de la compensation en nature qui existait antérieurement et qui a été appliquée pour les autorisations des intimées. En toute logique, si le législateur avait voulu soumettre ces certificats au nouvel article 46.0.9 LQE, il aurait prévu un mécanisme afin de transposer la compensation en nature en indemnisation.

[18]           Il ressort de tout cela que l’article 46.0.9 LQE ne s’applique pas aux certificats en litige. Ajoutons toutefois que le ministère dispose d’autres outils afin de s’assurer qu’une activité ne puisse commencer sur le fondement d’une autorisation datée dont l’évaluation n’est plus à jour. L’article 36 de la Loi sur certaines mesures permettant d'appliquer les lois en matière d'environnement et de sécurité des barrages[9], sanctionnée le 22 avril 2022, permet en effet au ministre, notamment, d’annuler ou de modifier une autorisation dont l’activité n’a pas commencé dans les deux ans de sa délivrance[10].

[19]           Il convient pour terminer de dire quelques mots sur le dispositif du jugement. L’importance accordée, tant par les parties que par le juge, à la date de dépôt de la demande d’autorisation s’est répercutée tant sur les conclusions recherchées que sur les questions posées par les parties. C’est ainsi, d’ailleurs, que la question posée par les parties sous l’article 209 C.p.c. référait aux autorisations délivrées avant le 7 avril 2017, alors que le dispositif du jugement procède à une déclaration plus englobante, conforme aux conclusions recherchées dans les demandes introductives d’instance des intimées, soit que l’article 46.0.9 LQE ne s’applique pas à une demande d’autorisation déposée avant le 7 avril 2017, sans autre spécification. Cette conclusion inclut donc non seulement les autorisations délivrées avant le 16 juin 2017, mais aussi celles délivrées postérieurement à cette date, tel que prévu par l’article 59 de la Loi.

[20]           Afin de simplifier le débat, et bien que cela ne modifie en rien l’interprétation retenue par le juge de première instance, il est préférable de reformuler la question afin de référer à la date de la délivrance et de ne viser que les cas non prévus par les articles 59 à 63 de la Loi. La question se lira donc ainsi :

L’article 46.0.9 de la LQE, entré en vigueur le 23 mars 2018 en vertu de l’article 67 de la LCCMHH, s’applique-t-il aux autorisations qui ont été délivrées par le MELCC, ou son équivalent sous une autre dénomination, avant le 16 juin 2017?

[21]           Ce à quoi, conformément à ce qui a été vu ci-dessus, il convient de répondre par la négative, l’article 46.0.9 LQE ne s’appliquant pas aux autorisations délivrées avant le 16 juin 2017.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[22]           ACCUEILLE en partie l’appel à la seule fin de remplacer le paragraphe [23] du jugement par celui-ci :

[23] DÉCLARE que l’article 46.0.9 de la Loi sur la qualité de l’environnement, entrée en vigueur le 23 mars 2018, ne s’applique pas aux autorisations délivrées avant le 16 juin 2017.

[23]           LE TOUT avec les frais de justice à l’encontre de l’appelant.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MOORE, J.C.A.

 

Me Gabriel S. Gervais

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Pour l’appelant

 

Me Simon Pelletier

Me Jonathan Coulombe

BCF

Pour les intimées

 

Date d’audience :

22 mars 2023

 


[1]  Société en Commandite Parc Centre-Est 440 et al. c. Procureur général du Québec, 7 septembre 2022, l’honorable David R. Collier, 500-17-120043-222, 500-17-117099-211 et 500-17-120051-225 [jugement entrepris].

[2]  RLRQ, c. Q-2.

[3]  LQ 2017, c. 14.

[4]  Article 67 de la Loi.

[5]  Voir : Recyclage Ste-Adèle inc. c. Québec (Ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs), 2012 QCCA 1497, paragr. 27.

[6]  Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2021, no 448 et s., p. 141.

[7]  Id., no 449, p. 141.

[8]  Ruth Sullivan, The Construction of Statutes, 7th edition, Toronto, LexisNexis, 2022, p. 772.

[10]  Avant cette loi, l’article 115.10 LQE prévoyait, depuis 2011, un pouvoir semblable au ministre.

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