Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Hak c. Procureure générale du Québec

2019 QCCA 2145

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-028470-193

(500-17-108353-197)

 

DATE :

 Le 12 décembre 2019

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

ICHRAK NOUREL HAK

NATIONAL COUNCIL OF CANADIAN MUSLIMS (NCCM) / CONSEIL NATIONAL DES MUSULMANS CANADIENS (CNMC)

CORPORATION OF THE CANADIAN CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION (CCLA) / ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES (ACLC)

APPELANTS - demandeurs

c.

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

INTIMÉE - défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants se pourvoient contre un jugement interlocutoire rendu le 18 juillet 2019 par l’honorable Michel Yergeau de la Cour supérieure, district de Montréal, lequel rejette leur demande de sursis provisoire des articles 6 et 8 de la Loi sur la laïcité de l’État.

[2]           Les appelants demandent aussi la permission de présenter une nouvelle preuve en appel.


 

 

Pour ce qui concerne la demande pour preuve nouvelle :

[3]           Pour les motifs de la juge en chef Nicole Duval Hesler, auxquels souscrivent les juges Bélanger et Mainville, la demande pour présenter une preuve nouvelle en appel est accueillie, sans frais de justice.

Pour ce qui concerne l’appel du jugement de la Cour supérieure :

[4]           Pour les motifs distincts de la juge Bélanger et du juge Mainville, l’appel est rejeté, sans frais de justice.

[5]           Pour les motifs qu’elle exprime, la juge en chef Nicole Duval Hesler aurait accueilli l’appel en partie et aurait suspendu, pendant l’instance, l’application de l’article 6 de la Loi sur la laïcité de l’État pour les personnes visées par le paragraphe 10 de l’annexe II de cette même Loi, sans frais de justice.

 

 

 

 

 

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.

 

 

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

Me Catherine McKenzie

Me Olga Redko

IMK

Pour les appelants

 

Me Éric Cantin

Me Laurence St-Pierre-Harvey

Me Stéphanie Lisa Roberts

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

Le 26 novembre 2019



 

 

MOTIFS DE LA JUGE EN CHEF

 

 

Introduction : le contexte et le jugement entrepris

[6]           Les appelants se pourvoient contre un jugement interlocutoire rendu le 18 juillet 2019 par l’honorable Michel Yergeau de la Cour supérieure, district de Montréal, lequel rejette leur demande de sursis provisoire des articles 6 et 8 de la Loi sur la laïcité de l’État[1] (« la Loi »)[2].

[7]           Le 16 juin 2019, l’Assemblée nationale du Québec adopte la Loi sur la laïcité de l’État. La Loi reçoit la sanction royale et entre en vigueur le même jour[3].

[8]           Le préambule de la Loi énonce son objet comme étant « de consacrer le caractère prépondérant de la laïcité de l’État dans l’ordre juridique québécois ». De plus, le préambule affirme que la Loi a pour but « d’établir un devoir de réserve plus strict en matière religieuse à l’égard des personnes exerçant certaines fonctions, se traduisant par l’interdiction pour ces personnes de porter un signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions »[4].

[9]           La discrimination s’apprécie par ses effets défavorables sur les membres d’un groupe protégé contre un motif de discrimination interdit, et non par le but annoncé d’un texte législatif ou l’intention législative. L’effet discriminatoire de la Loi étant évident, les législateur.es y inscrivent la disposition dite « Nonobstant », soit l’article 34 de la Loi, indiquant expressément que ses dispositions ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne. On notera que l’article 33 de la Charte canadienne, qui permet une telle dérogation, ne fait pas mention de l’article 28 de la même Charte, dont il sera question plus loin.

[10]        Je reproduis ici ces articles :

6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l’annexe II.

 

[…]

 

8. Un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert.

 

De même, une personne qui se présente pour recevoir un service par un membre du personnel d’un organisme doit avoir le visage découvert lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de son identité ou pour des motifs de sécurité. La personne qui ne respecte pas cette obligation ne peut recevoir le service qu’elle demande, le cas échéant.

 

Pour l’application du deuxième alinéa, une personne est réputée se présenter pour recevoir un service lorsqu’elle interagit ou communique avec un membre du personnel d’un organisme dans l’exercice de ses fonctions.

 

6. The persons listed in Schedule II are prohibited from wearing religious symbols in the exercise of their functions.

 

[…]

 

8. Personnel members of a body must exercise their functions with their face uncovered.

 

Similarly, persons who present themselves to receive a service from a personnel member of a body must have their face uncovered where doing so is necessary to allow their identity to be verified or for security reasons. Persons who fail to comply with that obligation may not receive the service requested, where applicable.

 

 

For the purpose of the second paragraph, persons are deemed to be presenting themselves to receive a service when they are interacting or communicating with a personnel member of a body in the exercise of the personnel member’s functions.

[11]        Dès le lendemain, soit le 17 juin 2019, les appelants signifient à la procureure générale du Québec une demande de déclaration d’invalidité de la Loi ainsi qu’une demande de suspension de l’application des articles 6 et 8 de la Loi « pour valoir au cours de la période requise par les tribunaux pour décider au mérite du bien-fondé des conclusions recherchées par les demanderesses »[5].

[12]        Dans leur demande d’invalidité de la Loi, les appelants allèguent que la Loi est inconstitutionnelle pour trois raisons : (1) le caractère véritable de la Loi l’apparente à une loi criminelle, une matière exclusivement de compétence fédérale; (2) le caractère vague de la Loi sur certains de ses aspects essentiels viole la primauté du droit; et (3) la Loi viole la structure de la Constitution parce qu’elle nie, sur la base de caractéristiques personnelles, à des membres de la société le droit de prendre une part active à certaines institutions publiques[6]. Ce sont là les motifs qui seront invoqués devant le juge de première instance.

[13]        L’appelante Ichrak Nourel Hak est une étudiante au baccalauréat en éducation à l’Université de Montréal. Elle prévoit obtenir son diplôme cet hiver. Par la suite, elle dit vouloir enseigner le français dans une classe d’accueil au secondaire ou dans une classe au primaire dans une école anglophone. Elle affirme porter le hijab (ci-après le « hijab » ou le « foulard islamique ») en conformité avec ses croyances religieuses. De plus, elle dit que le hijab fait partie de son identité et que la Loi la « force à choisir entre [s]on rêve et la préservation de [s]on identité »[7]. Elle avance que la Loi l’oblige à changer de carrière. De plus, elle affirme qu’elle se sent exclue et discriminée, car elle n’est pas capable d’intégrer des institutions publiques importantes en raison de son identité[8].

[14]        Les deux autres appelants, NCCM et CCLA, affirment avoir l’intérêt requis pour agir au nom de l’intérêt public[9].

[15]        Au soutien de leur demande, les appelants ont produit plusieurs déclarations sous serment provenant de diverses personnes afin de prouver le préjudice irréparable qui découlerait du refus de la suspension de l’application des articles 6 et 8 de la Loi[10].

[16]        La demande de sursis est rejetée le 18 juillet 2019 par la Cour supérieure[11].

[17]        Après avoir exposé le contexte factuel et les procédures, le juge passe en revue la Loi contestée, rappelle brièvement le fonctionnement des dispositions dérogatoires ainsi que les principes encadrant le sursis[12]. Le juge procède ensuite à l’analyse de la demande.

[18]        Il note, d’emblée, que « les demanderesses ont renoncé à cette étape à faire de ce dossier un débat de Charte pour se rabattre sur un débat constitutionnel qui tourne autour des trois propositions déjà évoquées : le partage des compétences, la règle de droit et la structure constitutionnelle »[13].

[19]        Il convient de noter dès à présent que ce n’est pas ce même débat qui a eu lieu en appel. Lors d’une conférence de gestion, les parties ont en effet été invitées à traiter de l’application de l’article 28 de la Charte canadienne dans le cadre du présent appel. Cet article est ainsi rédigé :

28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

28. Notwithstanding anything in this Charter, the rights and freedoms in it are guaranteed equally to male and female persons.

[20]        L’interaction entre cet article et la disposition « Nonobstant » n’a pas encore été étudiée par une cour d’appel canadienne, non plus que par la Cour suprême du Canada.

[21]        On comprendra que les positions et arguments des parties ont considérablement été altérés par ce développement, et également parce qu’elles ont été subséquemment invitées, par lettre, à discuter de la possibilité d’exemptions constitutionnelles ou d’un sursis partiel. Or, le jugement de première instance était largement axé sur l’existence d’une disposition dérogatoire qui, selon le juge, fermait la porte aux arguments de charte, alors que l’ajout du rôle de l’article 28 dans le présent débat en fait clairement un débat de charte, l’égalité entre les personnes des deux sexes échappant à la dérogation de l’article 33, si c’est là l’interprétation à donner aux textes des deux articles. 

[22]        Lors de cette même conférence de gestion, en plus de soulever cette question de droit qui n’avait été pas été abordée devant le juge de première instance, et qui conséquemment n’est pas discutée dans son jugement, non plus d’ailleurs que dans la déclaration d’appel initiale, les parties ont également été appelées à traiter de la possibilité d’en saisir la Cour au stade de l’appel du refus du sursis.

[23]        Enfin, les parties appelantes ont demandé la permission de produire une preuve nouvelle, soit les faits législatifs (mémoires et rapports déposés lors de l’étude de la Loi par l’Assemblée nationale), les extraits du journal des débats et de nouvelles déclarations sous serment. Cette question a été déférée à notre formation. J’en traiterai maintenant.

La preuve nouvelle

[24]        Cette preuve est recevable à cette étape parce qu’elle est véritablement nouvelle[14], qu’elle est indispensable, étant susceptible d’influer sur le résultat de l’appel[15], que les circonstances sont exceptionnelles et que les fins de la justice le requièrent[16].

[25]        La jurisprudence enseigne que la Cour peut prendre connaissance d’office de certains faits législatifs comme le Hansard ou le journal des débats ainsi que des mémoires soumis lors de l’étude d’un projet de Loi[17]. En outre, dans l’arrêt MacKay, la Cour suprême a réitéré la nécessité de présenter une preuve complète dans des affaires relatives à la Charte. L’évaluation du critère de « la balance des inconvénients » et du critère de l’apparence de droit nécessaires à une décision concernant le sursis demandé font en sorte que la Cour doit prendre en compte les répercussions possibles de la loi contestée[18].

[26]        Précisons que les nouvelles déclarations sous serment sont rédigées principalement par des femmes issues du domaine de l’enseignement et portant le hijab comme signe en lien avec leurs convictions religieuses. Les événements qui y sont détaillés, comme déjà mentionné, remplissent le premier critère de nouveauté. De plus, ces déclarations font état de la situation actuelle et permettent à la Cour de constater les effets de l’article 6 de la Loi sur les personnes qui affirment subir un préjudice en raison de l’application de la Loi. Leur changement de situation est donc susceptible d’influencer le raisonnement de la Cour sur la demande de sursis[19].

La question nouvelle

[27]        Les parties, on l’a déjà vu, ont été invitées à présenter des arguments sur l’effet de l’inapplicabilité de l’article 33 de la Charte canadienne à une violation possible du droit garanti par l’article 28 de cette même Charte et également sur la possibilité pour la Cour d’appel de se saisir de la question à ce stade. Le pouvoir discrétionnaire d’une cour d’appel de soulever une nouvelle question[20] est reconnu par la Cour suprême du Canada. En effet, ce pouvoir découle du rôle des tribunaux de « veiller à ce que justice soit rendue »[21]. Cependant, ce pouvoir est limité par la nature même de notre système juridique. Un des principes fondamentaux de notre système contradictoire veut que les tribunaux agissent comme arbitre neutre chargé de trancher les questions soulevées par les parties[22]. Ces deux constats ont amené la Cour suprême à développer un test qui permet de conjuguer les différentes considérations qu’une cour d’appel est tenue d’évaluer avant de soulever un nouveau moyen d’appel[23].

[28]        La question principale consiste à déterminer si l’omission du moyen soulevé risquerait d’entraîner une injustice. La Cour suprême a refusé cependant d’énumérer ou de définir les cas qui pourraient constituer un « risque d’injustice ». Elle a tenu à ne pas limiter indûment le pouvoir d’intervention des cours d’appel[24]. Écrivant pour la Cour, le juge Rothstein précise[25] :

[46]      Pour déterminer s’il existe une bonne raison de croire que l’omission de soulever une nouvelle question « risquerait d’entraîner une injustice », la cour d’appel doit faire une évaluation préliminaire de la question en litige. La norme de la « bonne raison de croire » que l’omission de soulever une nouvelle question « risquerait d’entraîner une injustice » est un seuil élevé et nécessaire dans ce contexte afin d’établir un équilibre approprié entre le rôle des cours d’appel en tant qu’arbitres indépendants et impartiaux et le besoin de veiller à ce que justice soit rendue.

[47]      À cette étape, le bien-fondé de la question n’aura pas encore été débattu ou tranché. Par conséquent, l’évaluation de la question n’est pas une « révision complète »; elle revêt plutôt un caractère préliminaire (W. (G.), par. 20). Dans tous les cas où une cour d’appel se demande s’il y a lieu de soulever une nouvelle question, il serait inapproprié qu’elle entreprenne une évaluation approfondie de son bien-fondé à une étape où les parties ignorent encore qu’elle pourrait être soulevée […].

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original]

[29]        En outre, les cours d’appel doivent tenir compte d’un certain nombre de considérations dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Dans Mian, la Cour suprême a établi trois conditions préalables à la détermination d’une nouvelle question : (1) la cour d’appel est compétente pour l’examiner; (2) la cour d’appel est « convaincue qu’il y a suffisamment d’éléments au dossier pour la trancher »; et (3) « la cour d’appel doit se demander si l’une ou l’autre des parties subirait un préjudice d’ordre procédural advenant le cas où cette cour soulevait une nouvelle question »[26].

[30]        Une remarque préliminaire s’impose. Dans le cadre d’une injonction interlocutoire, « il n’est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire », surtout lorsqu’il ne s’agit pas d’une question pure de droit[27]. En l’espèce, la nouvelle question soulevée par la Cour ne peut être définitivement réglée à cette étape des procédures. Un débat au fond est nécessaire. Ainsi, les critères énoncés dans l’arrêt Mian doivent être analysés à la lumière des circonstances particulières des demandes de sursis provisoire.

[31]        Le critère du risque d’injustice permet deux interprétations possibles en l’espèce. D’une part, une Cour d’appel est justifiée de soulever une nouvelle question si, après étude préliminaire du dossier, elle est d’avis qu’un risque de préjudice irréparable découle du refus du sursis et que la nouvelle question aura une influence importante sur le résultat de l’appel. Plus encore, la nature du moyen omis peut également constituer un indice pour la Cour. Ici, la question nouvelle vise l’application de la Charte canadienne et la portée des droits fondamentaux, ceux auxquels il est possible de déroger par l’effet de la disposition « Nonobstant », et la garantie d’égalité entre les sexes de l’article 28, qui possiblement échappe à telle dérogation. D’autre part, la nature exceptionnelle de la demande de sursis et la norme élevée d’intervention de la Cour prônent la retenue. Quoi qu’il en soit, les motifs de la Cour d’appel sur une demande de sursis, d’application provisoire, ne devraient pas être interprétés comme une décision sur le fond, c’est-à-dire, sur la validité constitutionnelle de la Loi.

[32]        Cette dynamique de suspension temporaire de validité d’une loi reconnue comme discriminatoire envers des personnes qui seraient normalement à l’abri de pareille discrimination se comprend aisément, puisque le concept même de droits fondamentaux suppose qu’ils doivent échapper à l’influence de majorités temporaires qui voudraient abroger, même pour un temps limité, les droits individuels des membres de minorités protégées.

[33]        Vu sous cet angle, il est clair que le droit à l’égalité entre les sexes que garantirait prioritairement l’article 28 est pertinent à l’analyse de la validité constitutionnelle de la Loi, tout comme il est pertinent à l’analyse d’une suspension possible de la Loi, puisque les appelants avancent que les éléments factuels au dossier, incluant la preuve nouvelle, sont suffisants pour permettre une étude préliminaire de la question.

[34]        D’abord, selon les appelants, le libellé de l'article 28 de la Charte canadienne indique clairement que l'article 33 de cette même Charte ne lui est pas applicable. Ils soutiennent que cette interprétation est corroborée par l'historique législatif qui sous-tend l'inclusion de cette disposition dans la Charte canadienne.

[35]        Ensuite, ils avancent que l’article 6 de la Loi affecte de manière disproportionnée les femmes enseignantes et limite donc de manière discriminatoire leur droit de pratiquer leur religion (art. 2a) de la Charte canadienne) et leur droit à l’égalité (art. 15 de la Charte canadienne). En outre, l’article 8 de la Loi limiterait de manière inégale les droits des femmes musulmanes à la liberté de religion et à l’égalité, par rapport aux droits des hommes, musulmans ou non[28]. Ainsi, l’article 6 de la Loi violerait le droit garanti à l’article 28 de la Charte canadienne en limitant d’une manière disproportionnée le droit des femmes à l’égalité et à la liberté de religion[29].

[36]        Bien que cette question ne puisse être définitivement résolue à l’étape d’un sursis provisoire, il est nécessaire d’en faire un examen soigné afin de déterminer son caractère sérieux, la Cour suprême enseignant que cet examen est important vu le rôle de la Charte canadienne dans la protection des libertés et droits fondamentaux[30].

[37]        L’intimée, quant à elle, soutient que l’article 28 de la Charte canadienne ne peut pas être soulevé de manière autonome pour invalider une disposition législative.

[38]        Pour trancher le sérieux de la nouvelle question dans le but de décider de la demande de sursis, voyons si l’historique de l’adoption des deux dispositions concernées de la Charte canadienne appuie cette dernière position ou si, au contraire, il existe un débat sérieux à tenir à ce sujet.

L’historique des articles 28 et 33

[39]        Comme énoncé plus haut, l’article 28 de la Charte canadienne prévoit que les droits et libertés inscrits à cette même Charte sont « garantis également aux personnes des deux sexes », et ce, « indépendamment des autres dispositions » de la Charte. À l’étape du sursis, il suffit d’établir que l’interprétation de l’article 28 mise de l’avant par les appelants soulève une question constitutionnelle sérieuse[31].

[40]        Dans l’arrêt Big M, la Cour suprême du Canada expliquait que l’interprétation d’un droit garanti par la Charte canadienne se fait en fonction de ses objets[32] :

Le sens d’un droit ou d’une liberté garantis par la Charte doit être vérifié au moyen d’une analyse de l’objet d’une telle garantie; en d’autres termes, ils doivent s’interpréter en fonction des intérêts qu’ils visent à protéger.

À mon avis, il faut faire cette analyse et l’objet du droit ou de la liberté en question doit être déterminé en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte elle-même, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s’il y a lieu, en fonction du sens et de l’objet des autres libertés et droits particuliers qui s’y rattachent selon le texte de la Charte. Comme on le souligne dans l’arrêt Southam, l’interprétation doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l’objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte. En même temps, il importe de ne pas aller au-delà de l’objet véritable du droit ou de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n’a pas été adoptée en l’absence de tout contexte et que, par conséquent, comme l’illustre l’arrêt de cette Cour Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, elle doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés.

[Soulignements ajoutés]

[41]        En l’espèce, l’historique législatif et les libellés des articles 28 et 33(1) de la Charte canadienne sont indispensables à cet exercice d’interprétation.

[42]        Les appelants soutiennent que le texte de l’article 28 annonce clairement que l’article 33 ne peut pas lui être applicable. En effet, l’insertion des mots « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte » signifierait que le législateur a voulu interdire toute interprétation de la Charte canadienne qui déroge au principe d’égalité homme-femme.

[43]        Quant à l’article 33 (1) de la Charte canadienne, il prévoit expressément que le législateur provincial ou fédéral peut adopter une loi « où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 ».

[44]        En effet, il est opportun de s’attarder sur l’historique de ces articles pour les fins de ce pourvoi. En outre, les origines historiques de l’article 28 de la Charte canadienne sont bien documentées.

[45]        Le Parlement canadien a voté le libellé de cet article le 24 novembre 1981, après des débats parlementaires et consultations publiques qui ont duré des mois. Dans Syndicat de la fonction publique c. Procureur général du Québec, la juge Carole Julien expose le contexte historique qui a mené à l’adoption de l’article 28 de la Charte canadienne[33] :

[1408] Selon le Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, les femmes ont insisté afin de faire valoir le droit à l'égalité des sexes dans le cadre de l'avènement de la Charte canadienne.

[1409] Elles ont obtenu la protection accordée par l'article 15. Toutefois elles s'inquiétaient de la portée de l'article 1 interprété comme restreignant les droits protégés par la Charte canadienne :

art. 1 La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[1410] Les groupes de femmes étaient d'avis que le libellé de l'article 1 s'éloignait de la norme internationale prévue au Pacte de 1966.

[1411] Les femmes désiraient obtenir une déclaration d'intention garantissant de façon égale aux hommes et aux femmes les droits et libertés énoncés à la Charte canadienne.

[1412]  Cette garantie n'a pas été incorporée à l'article 1. Elle est apparue sous la forme de l'article 28, le 21 avril 1981. Il vise à assurer l'égalité des personnes des deux sexes indépendamment des autres dispositions de la Charte canadienne.

[1413]  Plus tard, en novembre 1981, suite à une conférence fédérale - provinciale, l'article 33 est introduit à la Charte canadienne. Cet article permet aux gouvernements provinciaux d'outrepasser les droits inscrits à la Charte canadienne, incluant le droit à l'égalité des sexes protégé par les articles 15 et 28.

[1414]  Les groupes de femmes se mobilisent à nouveau. Le 24 novembre 1981, les gouvernements fédéral et provinciaux acceptent de soustraire la référence expresse à l'article 28 du libellé de l'article 33 qui se lira dorénavant comme suit :

art. 33 Le Parlement ou la législature d'une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]

[46]        L’historique législatif de la Charte canadienne permet de constater que l’ajout de la « disposition dérogatoire » était accompagné d’une modification au texte proposé de l’article 28 pour mentionner que l’article 33 lui était applicable. De même, le texte proposé de l’article 33 indiquait que la déclaration de dérogation pouvait couvrir l’article 28[34]. Ce n’est que le 24 novembre 1981 que le Parlement vote pour retirer l’article 28 de l’application de l’article 33.

[47]        Les parties auront la chance de présenter une étude complète et détaillée de l’interprétation et de l’application de cet article lors de l’audition au fond en première instance. Évidemment, l’interprétation téléologique d’un droit consacré dans la Charte nécessite l’analyse de plusieurs facteurs. Il n’en demeure pas moins que la proposition des appelants quant à l’interprétation de l’article 28 est du moins sérieuse à cette étape.

[48]        Il est donc prématuré de conclure que la déclaration de dérogation faite à l’article 34 de la Loi sur la laïcité de l’État a pour effet d’évacuer toute possibilité de contestation sous l’angle de la discrimination.

[49]        Ainsi que précédemment mentionné, l’interaction entre les articles 28 et 33 de la Charte canadienne n’a pas été étudiée par une cour d’appel jusqu’à maintenant. La Cour n’a pas à répondre à la question, mais doit, pour les fins de l’ordonnance de sursis, évaluer le caractère sérieux des prétentions des appelants.

[50]        À la lumière de l’historique qui précède, l’interprétation de l’article 28 doit, selon toute logique, donner un effet aux mots : « Indépendamment des autres dispositions de la présente charte ». Cette formulation pourrait mener à croire que l’article 28 bloque l’effet de la dérogation de l’article 33 lorsqu’une loi restreint le recours à certains droits fondamentaux d’une façon inégale entre les sexes[35].

[51]        Peter Hogg avance que l’objet de l’article 28 nécessite de le juxtaposer avec les autres dispositions de la Charte canadienne :

Section 28 provides that the rights and freedoms referred to in the Charter « are guaranteed equally to male and female persons ». This falls short of a requirement of the equal treatment of « male and female persons », presumably because that objective is attained by the general equality clause of s. 15. All that s. 28 seems to require is that the other provisions of the Charter be implemented without discrimination between the sexes. To the extent that the other provisions of the Charter would apply equally to male and female persons anyway, s. 28 has very little work to do.

Within its narrow sphere of application, s. 28 is a stronger guarantee than s. 15 in at least two, and perhaps three, respects : (1) the three-year delay in the coming into force of s. 15 (by virtue of s. 32(2)) did not apply to s. 28; (2) the power of the legislative override (under s. 33) applies to s. 15, but not to s. 28; and (3) it is possible that even the limitation clause (s. 1) does not qualify s. 28, having regard to s. 28’s opening words, « Notwithstanding anything in this Charter ».[36]

[Soulignements ajoutés]

[52]        Si, en temps normal, l’existence de l’article 15(1) rend superflu l’article 28 en matière de discrimination, l’article 33 permet d’identifier l’objet d’une « double garantie ». Les auteurs Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet sont aussi d’avis que l’article 28 empêche l’application de la disposition de dérogation à la discrimination en raison du sexe prohibée à l’article 15(1) :

L'article 28 veut que les droits de la Charte soient garantis également aux personnes des deux sexes, et ceci indépendamment des autres dispositions de la Charte. Par rapport aux droits de la Charte, la discrimination en raison du sexe est donc interdite nonobstant les autres articles de la Charte. Ainsi l'article 33, qui prévoit la possibilité de déroger expressément aux droits, ne pourrait s'appliquer à la discrimination en raison du sexe que prohibe le paragraphe 15(1) : Boudreau c. Lynch, (1985) 16 D.L.R. (4th) 610 (C.A.N.-É.). Il est difficile, en revanche, de tirer la conclusion que l'article 28 empêche l'application de l'article 1 et du paragraphe 15(2) de la Charte dans le cas de la discrimination sexuelle : cela signifierait que toute intervention positive en faveur des femmes, ou éventuellement des hommes, serait impossible. À notre avis, l'article 1 et le paragraphe 15(2) s'appliquent à la discrimination sexuelle comme aux autres sortes de discrimination prohibées par le paragraphe 15(1), malgré la formulation de l'article 28, parce qu'ils constituent essentiellement des clauses destinées à la juste compréhension de ce que signifie le droit à l'égalité qu'énonce le paragraphe 15(1), et non des clauses visant à permettre d'écarter ou de contourner l'article 15. L'article 28 vient donner à l'égalité des sexes une sorte d’omniprésence, en ce sens que l’interprétation des autres droits de la Charte doit en tenir compte. Une telle reconnaissance de la valeur de l’égalité entre les hommes et les femmes ne dispense toutefois aucunement les tribunaux de tenir compte de l’ensemble des facteurs pertinents aux cas particuliers qui leur sont soumis. L’approche contextuelle demeure de mise.[37]

[53]        Les appelants soutiennent que la preuve présentée en première instance, ainsi que la nouvelle preuve, permettent de conclure à une violation prima facie de l’article 28.

[54]        Au soutien de leur moyen, les appelants présentent de la preuve selon laquelle les femmes constituaient jusqu’à maintenant la très grande majorité d’environ 100 000 enseignants au Québec, soit 88 % du primaire et 61 % du secondaire[38]. Ainsi, même en présumant que les hommes et les femmes porteraient des signes religieux dans la même proportion, la Loi aurait un impact beaucoup plus important sur les femmes enseignantes. Plus encore, les appelants avancent que la Loi a un effet discriminatoire sur les femmes musulmanes. Ils avancent que les nouvelles déclarations sous serment démontrent que les enseignantes musulmanes qui portent le foulard islamique sont les plus affectées par la Loi. À cette étape des procédures, la preuve est suffisante pour démontrer prima facie que les enseignantes concernées subissent une discrimination que les enseignants, musulmans ou non, ne subissent pas.

[55]        En conséquence, je suis d’avis que cette nouvelle question est pertinente et recevable aux fins du présent appel.

Les critères applicables à l’obtention d’une ordonnance de sursis

 

[56]        Lorsque les appelants ont procédé en première instance, ils ne pouvaient démontrer l’effet défavorable de la Loi qui venait d’entrer en vigueur. Ils soutiennent que le juge a erronément conclu que tout préjudice futur était nécessairement hypothétique. À leur avis, le juge aurait dû plutôt déterminer si la preuve démontrait un « haut degré de probabilité que le dommage sera effectivement causé »[39].

[57]        Nous n’en sommes plus à cette étape.

[58]        Dans le même ordre d’idées, les appelants soulignent que le juge est arrivé à une conclusion erronée en affirmant que le préjudice subi découle uniquement d’une violation de droits garantis par les Chartes et couvert par la dérogation. Selon eux, une simple lecture des articles 6 et 8 de la Loi permet de constater que les personnes qui portent des symboles religieux seront empêchées de travailler.

[59]        Encore une fois, nous n’en sommes plus à cette étape. Les enseignantes et les enseignantes en formation qui ont signé de nouvelles déclarations sous serment, qui sont toutes des femmes musulmanes, se sont vu refuser des opportunités d’emploi par les commissions scolaires de Montréal parce qu'elles portent le hijab comme symbole religieux. Les affiantes affirment par ailleurs que les effets de la Loi leur causent des difficultés financières immédiates, mais aussi une énorme incertitude quant à leur capacité à poursuivre la carrière pour laquelle elles se sont formées.

[60]        Il existe donc une preuve prima facie d’atteinte immédiate aux droits à l’égalité d’enseignantes qui portent le foulard islamique. La preuve étant silencieuse sur ce point quant au port du niqab, je me limiterai à traiter de l’article 6 de la Loi.

[61]        Cette preuve n’a pas été contredite jusqu’à maintenant. Il faut en conclure que l’article 6 de la Loi paraît limiter de manière disproportionnée, et de façon immédiate, le droit des femmes à l'égalité et à la liberté de religion comparativement aux hommes, musulmans ou non, ce qui viole possiblement l'art. 28 de la Charte canadienne. Le critère de l’urgence est donc rencontré, si tant est qu’il doit l’être, puisqu’une disposition « grand-père » protège déjà les postes (mais non les possibilités d’avancement) des enseignantes en place qui portent des symboles religieux ou qui voudraient en porter un jour.

[62]        Depuis les arrêts Metropolitan Stores et RJR-MacDonald, une partie qui cherche à sursoir à l’application d’une loi doit démontrer qu’elle satisfait aux critères suivants :

Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.[40]

[63]        Cependant, certains tribunaux sont d’avis qu’il faut éviter de faire une application mécanique des critères cités ci-dessus[41] :

[19]      It is trite law that the three factors do not form a checklist of items each of which must be satisfied before injunctive relief may be granted. As stated by McLachlin J.A. (as she then was) for this court in British Columbia (Att’y-General) v. Wale (1986) 9 B.C.L.R. (2d) 333, aff’d. [1991] 1 S.C.R. 62, the three parts of the test are not intended to be separate watertight compartments, but factors that “relate to each other”, such that “strength on one part of the test ought to be permitted to compensate for weakness on another.” (At 346‒7.) Further, she observed:

The checklist of factors which the courts have developed - relative strength of the case, irreparable harm, and balance of convenience - should not be employed as a series of independent hurdles. They should be seen in the nature of evidence relative to the central issue of assessing the relative risks of harm to the parties from granting or withholding interlocutory relief. [At 347.]

L’apparence de droit

[64]        Sur la question de l’apparence de droit dans des litiges constitutionnels, la norme juridique applicable est celle de la « question sérieuse ». L’intimée a concédé, lors de l’audition, le caractère sérieux de l’égalité des droits entre hommes et femmes que pose possiblement l’article 28. J’ai déjà abordé ce sujet en traitant du libellé de cet article ainsi que de son historique. En outre, le juge de première instance a reconnu le sérieux de l’apparence de droit des autres moyens soulevés par les appelants et son analyse n’est pas remise en question devant nous.

Le préjudice irréparable

[65]        Quant au deuxième critère, celui du préjudice irréparable, il s’agit à cette étape, selon la jurisprudence, de « savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire »[42].

[66]        Le terme « irréparable », dans ces circonstances, « a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu'à son étendue »[43] et réfère à un préjudice qui n’est « pas susceptible d’être compensé par des dommages-intérêts ou qui peut difficilement l’être »[44].

[67]        La partie qui demande le sursis doit faire la preuve d’un préjudice bien défini[45]. Dans un jugement récent de la Cour fédérale, le juge Sébastien Grammond apporte les nuances nécessaires quant au fardeau de preuve requis dans le cadre d’un sursis provisoire[46] :

[136]    Le fardeau de prouver un préjudice irréparable incombe à la partie qui sollicite une injonction. La norme de preuve applicable n’est pas toujours facile à préciser, car l’exercice est nécessairement prospectif et comme la Cour d’appel de la Saskatchewan l’a souligné, il « nécessite, et doit nécessiter, une pondération des risques plutôt qu’une pondération des certitudes » (Mosaic Potash, au paragraphe 58). Lors de cet exercice, il faut prendre en compte [traduction] « à la fois la probabilité que le préjudice soit infligé et son ampleur ou son importance » (ibid, au paragraphe 59). En examinant des allégations de préjudice irréparable, notre Cour a souvent utilisé un langage catégorique qui, pourrait-on croire, équivaut à une exigence de certitude. Toutefois, un tel langage sert principalement à faire comprendre aux demandeurs la nécessité de fournir une preuve qui va au-delà d’une simple supposition ou de simples hypothèses quant à un futur préjudice, dans des affaires où la preuve est nettement insuffisante. Dans une décision récente, le juge David Stratas de la Cour d’appel fédérale offre un examen utile de la jurisprudence et résume le critère applicable ainsi : « La partie qui présente la requête en sursis a le fardeau de produire des éléments de preuve précis et détaillés établissant la probabilité d’un préjudice irréparable » (Canada (Procureur général) c Oshkosh Defense Canada Inc., 2018 CAF 102, au paragraphe 30). [Non souligné dans l’original].

[68]        Il faut donner raison sur ce moyen d’appel aux appelants, qui ont établi la probabilité et même la survenance d’un préjudice irréparable pour plusieurs femmes, surtout lorsqu’ils soulignent l’arrêt Wallace v. United Grain Growers Ltd., dans lequel la Cour suprême a reconnu que « pour la plupart des gens, le travail est l’une des caractéristiques déterminantes de leur vie. Par conséquent, tout changement survenant dans la situation professionnelle d’une personne aura sûrement de graves répercussions »[47]

[69]        Dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.)[48], le juge Dickson explique le rôle fondamental de l’emploi dans une vie d’une personne :

Le travail est l'un des aspects les plus fondamentaux de la vie d'une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L'emploi est une composante essentielle du sens de l'identité d'une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel. C'est pourquoi, les conditions dans lesquelles une personne travaille sont très importantes pour ce qui est de façonner l'ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu'elle a d'elle-même. En recherchant ce que signifie pour l'individu le fait d'avoir un emploi, le professeur David M. Beatty, dans son article intitulé "Labour is Not a Commodity", dans Studies in Contract Law (1980), donne la description suivante, à la p. 324:

[TRADUCTION]  En tant que véhicule qui permet à l'individu d'atteindre le statut de membre utile et productif de la société, l'emploi est perçu comme permettant de reconnaître qu'il s'adonne à une activité valable. Il lui donne le sens de son importance. Par la réalisation de nos aptitudes et par l'apport d'une contribution que la société juge utile, l'emploi finit par représenter le moyen par lequel la plupart des membres de notre collectivité peuvent prétendre à un droit égal au respect et à la considération des autres. C'est par cette institution que la plupart d'entre nous acquérons, pour une grande part, le respect de soi et la dignité personnelle.

[70]        À la lumière de la nouvelle question soulevée par la Cour, il devient possible d’affirmer qu’un préjudice irréparable est causé aux enseignantes par l’application de l’article 6 de la Loi si le sursis n’est pas accordé. En effet, il est généralement reconnu que le préjudice causé par la violation d’un droit garanti par la Charte canadienne est difficilement quantifiable[49]. Une des raisons principales en est que, sauf exception, une déclaration d’invalidité en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne peut aboutir à l’octroi de dommages-intérêts :

79        […] Ainsi, l’État et ses représentants sont tenus d’exercer leurs pouvoirs de bonne foi et de respecter les règles de droit « établies et incontestables » qui définissent les droits constitutionnels des individus.  Cependant, s’ils agissent de bonne foi et sans abuser de leur pouvoir eu égard à l’état du droit, et qu’après coup seulement leurs actes sont jugés inconstitutionnels, leur responsabilité n’est pas engagée. Autrement, l’effectivité et l’efficacité de l’action gouvernementale seraient exagérément contraintes. Les lois doivent être appliquées dans toute leur force et effet tant qu’elles ne sont pas invalidées.  Ce n’est donc qu’en cas de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir que des dommages-intérêts peuvent être octroyés (Crown Trust Co. c. The Queen in Right of Ontario (1986), 26 D.L.R. (4th) 41 (C. div. Ont.)).

[…]

81        En somme, même s’il est impossible d’affirmer que des dommages-intérêts ne peuvent jamais être obtenus à la suite d’une déclaration d’inconstitutionnalité, il est exact que, en règle générale, une action en dommages-intérêts présentée en vertu du par. 24(1) de la Charte ne peut être jumelée à une action en déclaration d'invalidité fondée sur l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.[50]

[71]        Les nouvelles déclarations sous serment font état de la situation de femmes portant le foulard islamique qui ont sollicité un emploi en enseignement depuis l’entrée en vigueur de la Loi. Plusieurs se sont vu offrir un emploi à la condition d’abandonner le port du hijab conformément à l’article 6 de la Loi, ce qu’elles ont refusé de faire en raison de leurs convictions religieuses et parce qu’elles auraient l’impression de perdre leur identité. Le préjudice qu’elles allèguent est de divers ordres[51] : problèmes financiers, problèmes psychologiques, humiliation, empêchement de poursuivre la carrière de leur choix, empêchement de progresser dans leur carrière parce qu’elles ne peuvent exercer une autre fonction au sein d’une même commission scolaire ou encore changer de commission scolaire[52].

[72]        Pour résumer, il appert à ce stade que le risque de subir un préjudice irréparable s’est concrétisé pour certaines enseignantes ou futures enseignantes, en l’espèce toutes des femmes, qui aspiraient à une carrière en enseignement. Le préjudice demeurera pour les autres qui, ne voulant pas abandonner le port d’un signe religieux, devront renoncer à leur choix de carrière, ou encore déménager hors du Québec.

Balance des inconvénients

[73]        Quant au préjudice que subira la procureure générale du Québec si une ordonnance de sursis est prononcée, il faut présumer que, comme c’est généralement le cas, le sursis causera un préjudice irréparable à l’intérêt public[53]. En l’espèce, l’intimée ne soulève aucun autre argument que le fait qu’à ce stade des procédures, il existe cette présomption que la mesure législative a été adoptée à l’avantage du public. Il faut souligner également que lorsque l’on a examiné l’opportunité de surseoir à l’application d’une loi par le passé, il ne s’agissait pas d’une loi à laquelle on avait incorporé la dérogation de l’article 33 de la Charte canadienne, soit d’un cas de violation des droits fondamentaux de plusieurs personnes, et d’inégalité qui en résulte pour le genre féminin.

[74]        En l’espèce, seules les enseignantes ou futures enseignantes ont apporté la preuve que la Loi leur cause un préjudice sérieux et irréparable.

[75]        La question qui se pose alors est celle de savoir si, parce que le législateur a utilisé une disposition dérogatoire dont l’applicabilité peut susciter un doute en l’espèce, les tribunaux doivent refuser de surseoir à la Loi quoique plusieurs personnes soumettent des questions sérieuses quant à la validité de la Loi et qu’elles subissent un préjudice sérieux et irréparable.

[76]        Il faut répondre à cette question par la négative. La disposition dérogatoire, dans le cas présent, n’empêche pas l’examen du critère de la prépondérance des inconvénients et de l’intérêt public.

[77]        De plus, comme le rappelle la Cour suprême dans RJR-MacDonald, la Charte canadienne impose aux tribunaux la responsabilité de sauvegarder les droits fondamentaux :

D’autre part, la Charte impose aux tribunaux la responsabilité de sauvegarder les droits fondamentaux. Si les tribunaux exigeaient strictement que toutes les lois soient observées à la lettre jusqu’à ce qu’elles soient déclarées inopérantes pour motif d’inconstitutionnalité, ils se trouveraient dans certains cas à fermer les yeux sur les violations les plus flagrantes des droits garantis par la Charte. Une telle pratique contredirait l’esprit et l’objet de la Charte et pourrait encourager un gouvernement à prolonger indûment le règlement final des différends.[54]

[78]        L’intérêt qu’a le public à ce que les enseignantes soient immédiatement visées par la mesure législative n’est pas supérieur à celui du groupe des enseignantes visées.

[79]        Plusieurs éléments militent en faveur de cette proposition. Tout d’abord, le législateur a lui-même prévu une disposition grand-père, permettant aux enseignantes portant un signe religieux le 27 mars 2019 de continuer à le faire tant qu’elles exercent la même fonction au sein de la même commission scolaire[55]. Il n’existe donc pas ici un mal urgent à éradiquer,  sinon une telle mesure transitoire n’aurait pas été mise en place. Il ne faut pas oublier que « [l]’importance accordée aux préoccupations d'intérêt public dépend en partie de la nature de la loi en général et en partie de l'objet de la loi contestée »[56].

[80]        Par ailleurs, permettre le respect des droits fondamentaux des enseignantes pendant l’instance ne constitue pas une mesure d’une portée considérable[57]. En effet, l’intérêt public s’évalue compte tenu de toutes les circonstances. Ici, si le législateur, dans sa sagesse, a cru que l’octroi de droits acquis aux personnes en place — qui vont continuer à enseigner en portant des signes religieux — ne met pas à mal l’intérêt public, le sursis temporaire d’une seule disposition de la Loi, susceptible de permettre à quelques personnes additionnelles d’enseigner en portant le hijab ne pourrait, à mon humble avis, compromettre l’intérêt public.

[81]        Aussi, ordonner le sursis partiel de la Loi ne vise certainement pas à leur donner gain de cause immédiatement[58], mais simplement à leur permettre de faire valoir leurs arguments quant à la validité de la Loi. Si, en fin de compte, les enseignantes n’ont pas gain de cause, il leur faudra se conformer à la Loi. Dans le cas contraire, la société aura profité de l’exercice de leur profession dans l’entre-temps.

[82]        Sans aucunement préjuger du sort du pourvoi, qui sera entendu en octobre 2020, il vaut mieux faire prévaloir le respect des droits fondamentaux durant l’instance, considérant l’obligation faite aux tribunaux de faire respecter ces droits, plutôt que de priver des personnes de leurs droits fondamentaux, même pour un temps limité.

[83]        Finalement, il sera toujours temps que la disposition dérogatoire joue pleinement son rôle si le recours sur la constitutionnalité de la Loi est rejeté.

[84]        Pour ces motifs, je propose d’accueillir l’appel en partie et de suspendre, pendant l’instance, l’application de l’article 6 de la Loi sur la laïcité de l’État aux personnes nommées au paragraphe 10 de l’annexe II de cette même Loi.

 

 

 

 

NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER

 

 

[85]        Je suis d’accord avec la juge en chef que la question de l’article 28 de la Charte canadienne (« Charte ») a été validement soulevée et sur le fait que la preuve nouvelle doit être accueillie, car des faits nouveaux se sont produits depuis le jugement de première instance.

[86]        Je suis aussi d’accord avec la juge en chef sur le fait que la preuve démontre que les enseignantes portant le voile subissent un préjudice sérieux et irréparable durant l’instance, du fait de la Loi sur la laïcité de l'État (« la Loi »). Là où je diverge d’avis avec elle, c’est sur l’application du critère de la prépondérance des inconvénients, considérant l’utilisation de la clause dérogatoire par le législateur.

[87]        Le débat soulève des questions de nature constitutionnelle sérieuses auxquelles s’ajoute la question de l’impact de l’article 28 de la Charte sur la possibilité d’utiliser la clause dérogatoire dans le cadre de la Loi.

[88]        L’article 28 de la Charte prévoit « [qu’]indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes. ». Il appartiendra au juge qui entendra l’affaire en octobre 2020 de décider de l’impact de l’article 28 sur la clause dérogatoire. Si l’argument connaît du succès, cela pourrait avoir comme conséquence d’indiquer que le législateur ne peut utiliser la clause dérogatoire à l’encontre du droit à l’égalité entre les sexes. Bien qu’il ne soit pas approprié que la Cour se prononce sur le bien-fondé de cette question dans le cadre de l’appel, tous conviennent que la question est sérieuse.

[89]        Plusieurs déclarations sous serment font état de la situation de femmes portant le voile qui ont sollicité un emploi en enseignement depuis l’entrée en vigueur de la Loi. Plusieurs se sont vu offrir un emploi à la condition d’abandonner le port du voile, ce qu’elles ont refusé de faire, en raison de leurs convictions religieuses ou parce qu’elles auraient l’impression de perdre leur identité[59]. À titre d’exemple, voici l’extrait d’une lettre envoyée par une commission scolaire à l’une d’elles en début d’année scolaire :

Lors de la séance d’information pour le nouveau personnel enseignant, vous vous êtes présentée en portant un signe religieux. Suite à cette séance, un cadre de notre service vous a demandé, en privé, si vous aviez l’intention de porter votre signe religieux dans le cadre de vos fonctions enseignantes. Vous avez répondu que vous consentiez à le retirer à porte close au primaire, mais non au secondaire. Vous avez également mentionné que pour vous la signification du signe était traditionnelle et non religieuse.

Or, vous avez été embauchée par la commission scolaire dans la fonction enseignante après le 27 mars 2019, en conséquence vous ne pouvez porter de signe religieux dans l’exercice de vos fonctions d’enseignante, et ce, conformément à la Loi sur la laïcité de l’État.

Le 29 août dernier, une lettre vous a été acheminée vous indiquant que vous aviez jusqu’au 13 septembre 2019 pour reconsidérer votre décision de porter un signe religieux dans l’exercice de votre fonction enseignante.

Étant donné que nous n’avons pas eu de communication de votre part confirmant que vous allez respecter les obligations de la Loi sur la laïcité de l’État, nous vous avisons que nous fermons votre dossier d’enseignante en date des présentes.[60]

[90]        Pour cette enseignante et plusieurs autres dans la même situation, le risque de subir un préjudice irréparable s’est donc concrétisé.

[91]        Le préjudice subi par la procureure générale du Québec, si une ordonnance de sursis est prononcée, en est un à l’intérêt public[61]. Ce que la procureure générale invoque en l’espèce et avec raison, c’est la présomption que la mesure législative vise le bien commun[62]. Au stade de la présente procédure, la Cour doit tenir pour acquis que la Loi sert un objectif d’intérêt général valable. À moins qu’il ne soit manifeste que la loi adoptée ne vise aucun objectif d’intérêt public, les tribunaux doivent le tenir pour acquis.

[92]        Il découle de ce principe que les tribunaux ne suspendront pas une loi adoptée par une législature sans en avoir fait un examen constitutionnel complet. En conséquence, les ordonnances de suspension ne seront prononcées que dans des cas manifestes[63].

[93]        Nous devons reconnaître que nous ne sommes pas dans un cas manifeste où nous pouvons affirmer dès à présent que la Loi est inconstitutionnelle, malgré la présence de questions sérieuses. La procureure générale a aussi raison d’affirmer qu’il n’est pas manifeste que l’article 28 de la Charte empêche le législateur québécois d’invoquer la clause dérogatoire.

[94]        Pour accorder le sursis, il faudrait qu’il soit manifeste en droit que l’article 28 empêche le législateur d’utiliser la clause dérogatoire pour adopter une loi qui enfreint l’égalité entre les sexes. Il faudrait qu’il soit tout aussi clair que la Loi sur la laïcité de l’État a un effet sur l’égalité entre les sexes. Bien qu’il semble que les femmes soient plus touchées par la Loi que les hommes, cette démonstration nécessitera une preuve plus exhaustive.

[95]        Par contre, ce qui est manifeste, c’est que les personnes visées par la Loi sont dans l’impossibilité d’invoquer leurs droits fondamentaux et leurs libertés individuelles, vu l’utilisation par le législateur de la clause dérogatoire prévue aux articles 33 et 34 de la Loi. Et il est tout aussi apparent que leurs droits fondamentaux sont brimés.

[96]        Interdire le port d’un signe religieux en emploi, même un signe non apparent, et en maintenir l’interdiction comme une condition d’emploi, est un argument qui pourrait être invoqué avec succès dans le cadre d’une demande de sursis par les personnes visées par l’article 6 de la Loi, en l’absence de clause dérogatoire.

[97]        Or, l’utilisation de la clause dérogatoire fait en sorte que nous devons refuser de surseoir à la Loi, même si une personne soumet des questions constitutionnelles sérieuses, qu’elle subit un préjudice sérieux et irréparable et que ses droits sont enfreints, à moins qu’il ne soit manifeste que la loi est invalide.

[98]        Même en l’absence d’un mal urgent à éradiquer ou d’une situation affectant un intérêt public pressant (comme c’était le cas, par exemple, dans RJR MacDonald où une question de santé publique importante se présentait), il n’appartient pas aux tribunaux de s’immiscer dans le choix du législateur de définir l’intérêt public comme il l’entend.

[99]        Un commentaire en terminant. Depuis plus de 35 ans, les tribunaux canadiens veillent à faire respecter les droits fondamentaux et les libertés individuelles des citoyens québécois et canadiens, dont le droit à l’égalité. Comme le rappelle la Cour suprême dans RJR, la Charte leur impose d’ailleurs cette responsabilité[64].

[100]     Malgré cette obligation claire et devant l’utilisation de la clause dérogatoire (qui, faut-il le rappeler, fait partie de notre droit), les tribunaux doivent s’incliner à cette étape préliminaire du dossier. Je reconnais toutefois qu’il peut sembler contre nature de demander aux tribunaux de mettre de côté certains droits fondamentaux qu’ils s’appliquent à faire respecter depuis des décennies. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle, à six reprises dans son jugement, le juge de première instance a jugé utile de signaler qu’aucun argument relatif à l’usage de la clause dérogatoire n’était fait devant lui[65].

[101]     En l’espèce, ce que la clause dérogatoire impose aux tribunaux, c’est de laisser à leur sort, à cette étape du dossier, des femmes diplômées prêtes à travailler qui, pour l’unique raison qu’elles portent le voile, se sont vu refuser l’accès à un emploi pour lequel elles détiennent toutes les compétences.

[102]     En conséquence, je propose le rejet de l’appel, sans frais, vu la nature et l’importance des questions soulevées.

 

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 


 

 

MOTIFS DU JUGE MAINVILLE

 

 

[103]     Il est bien établi depuis longtemps qu’une partie qui cherche à surseoir à l’application d’une loi doit démontrer qu’elle satisfait aux critères suivants : premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si les requérants ou les personnes pour lesquelles ils prétendent agir subiront un préjudice irréparable si la demande est rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant la décision au fond : Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR - MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311.

[104]     À cet égard, le troisième critère portant sur l’appréciation de la prépondérance des inconvénients est particulièrement pertinent vu que c’est là que l’intérêt public doit être pris en compte et recevoir l’importance qu’il mérite, lequel intérêt public est présumé se refléter dans la loi contestée : RJR - MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), supra, p. 342-347. Comme le signalaient les juges Sopinka et Cory dans l’affaire RJR - MacDonald, p. 346, en règle générale, « un tribunal ne devrait pas tenter de déterminer si l’interdiction demandée entraînerait un préjudice réel », car le faire « amènerait en réalité le tribunal à examiner si le gouvernement gouverne bien », ce qui ne relève pas des tribunaux. Au contraire, le tribunal doit, dans la plupart des cas, présumer que la suspension de la loi causera un préjudice irréparable à l’intérêt public.

[105]      Ces règles, dont celle portant sur ce qui est souvent désigné sous le vocable de la présomption de validité des lois, sont d’ailleurs archiconnues des tribunaux. À cet égard, il mérite de reproduire l’extrait suivant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Harper c. Canada (P.G.), 2000 CSC 57, [2000] 2 R.C.S. 764, par. 9 :

[9]        Un autre principe énoncé dans la jurisprudence veut que, en décidant de l’opportunité d’accorder une injonction interlocutoire suspendant l’application d’une mesure législative adoptée validement, mais contestée, il n’y ait pas lieu d’exiger la preuve que cette mesure législative sera à l’avantage du public. À ce stade des procédures, elle est présumée l’être. Comme les juges Sopinka et Cory l’ont affirmé dans l’arrêt RJR--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, aux pp. 348 et 349:

Si la nature et l’objet affirmé de la loi sont de promouvoir l’intérêt public, le tribunal des requêtes ne devrait pas se demander si la loi a réellement cet effet. Il faut supposer que tel est le cas. Pour arriver à contrer le supposé avantage de l’application continue de la loi que commande l’intérêt public, le requérant qui invoque l’intérêt public doit établir que la suspension de l’application de la loi serait elle-même à l’avantage du public.

Il s’ensuit qu’en évaluant la prépondérance des inconvénients le juge saisi de la requête doit tenir pour acquis que la mesure législative — en l’espèce, le plafond des dépenses imposé par l’art. 350  de la Loi  — a été adoptée pour le bien du public et qu’elle sert un objectif d’intérêt général valable. Cela s’applique aux violations du droit à la liberté d’expression garanti par l’al. 2b) ; d’ailleurs, il était question d’une violation de l’al. 2b)  dans l’arrêt RJR—MacDonald. La présomption que l’intérêt public demande l’application de la loi joue un grand rôle. Les tribunaux n’ordonneront pas à la légère que les lois que le Parlement ou une législature a dûment adoptées pour le bien du public soient inopérantes avant d’avoir fait l’objet d’un examen constitutionnel complet qui se révèle toujours complexe et difficile. Il s’ensuit que les injonctions interlocutoires interdisant l’application d’une mesure législative dont on conteste la constitutionnalité ne seront délivrées que dans les cas manifestes.

[Soulignement ajouté]

[106]     Lorsqu’un jugement accordant ou refusant un sursis de l’application d’une loi est porté en appel, une cour d’appel ne peut intervenir que dans de rares circonstances. En effet, la décision d’accorder ou de refuser un tel recours relève d’un pouvoir discrétionnaire du juge d’instance et une cour d’appel ne doit pas modifier la décision en découlant simplement parce qu’elle aurait exercé ce pouvoir différemment. Dans l’affaire Metropolitan Stores, p. 155-156, la Cour suprême du Canada a précisé les circonstances dans lesquelles l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire peut être infirmé en appel et celles-ci ont été récemment reprises par le juge Brown écrivant pour une Cour suprême unanime dans l’affaire R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 R.C.S. 196, par. 27 :

Une intervention en appel est justifiée uniquement lorsque le juge en cabinet a pris une décision qui [traduction] « repose sur une erreur de droit ou sur une interprétation erronée de la preuve produite devant lui », lorsque « le caractère erroné [d’une conclusion] peut être démontré par des éléments de preuve supplémentaires dont on dispose au moment de l’appel », lorsque les circonstances ont changé, ou lorsque la « décision du juge d’accorder ou de refuser l’injonction est à ce point aberrante qu’elle doit être infirmée pour le motif qu’aucun juge raisonnable [. . .] [n’]aurait pu la rendre ».

[107]     Ces principes étant établis, comment s’articulent-ils dans le présent dossier d’appel?

[108]     Les appelants soutiennent que certains membres du public subiraient un préjudice sérieux et irréparable résultant de l’application des règles suivantes établies par la Loi sur la laïcité de l’État et que ce préjudice justifierait d’ordonner la suspension immédiate de ces règles :

(a)  la règle énoncée au 2e al. de l’art. 8 de la loi voulant qu’un membre du public doive avoir le visage découvert pour recevoir un service fourni par un membre du personnel d’un organisme énuméré dans l’annexe I ou par une personne mentionnée dans l’annexe III de la loi, si cela est nécessaire pour permettre la vérification de son identité ou pour des motifs de sécurité; il s’agit principalement des services des secteurs public, parapublic et municipal québécois, des établissements qui y sont assimilés et de certaines personnes proches du secteur public, tels les députés, les élus municipaux, les agents de la paix et les médecins, lesquels seront collectivement désignés dans les présents motifs comme le « secteur public »;

(b)  la règle énoncée au 1er al. de l’art. 8 de la loi voulant que le personnel du secteur public doive exercer ses fonctions à visage découvert; et

(c)  celle énoncée à l’art. 6 de la loi voulant que l’on ne puisse arborer un signe religieux durant l’exercice des fonctions énumérées dans l’annexe II; il s’agit principalement des fonctions de policier, d’enseignant, de directeur d’école et de membre du personnel judiciaire (excluant les juges, mais comprenant les régisseurs, les arbitres et les avocats agissant pour l’État).

[109]     Il n’y a aucune preuve dans le dossier d’appel, tel que constitué, qui permet de raisonnablement croire qu’un préjudice sérieux et irréparable résulterait de l’exigence de recevoir un service du secteur public à visage découvert lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de l’identité ou pour des motifs de sécurité. De fait, aucune des nombreuses déclarations assermentées déposées par les appelants ne traite de cette règle énoncée au 2e al. de l’art. 8 de la loi ou de ses effets.

[110]     De même, il n’y a pas au dossier une preuve d’un préjudice sérieux et irréparable découlant de la règle énoncée au 1er al. de l’art. 8 de la loi voulant qu’un membre du personnel du secteur public doive exercer ses fonctions à visage découvert. Aucune déclaration assermentée n’établit qu’un membre du personnel du secteur public perdrait son emploi à la suite de l’application de cette règle ni qu’une candidature à un poste du secteur public aurait été effectivement refusée pour ce motif.

[111]     Il faut noter que, sous réserve de l’article 6, la loi n’interdit pas d’arborer des signes religieux tout en exerçant ses fonctions dans le secteur public, de telle sorte que les postes au sein de la fonction publique provinciale, des fonctions publiques municipales, des institutions hospitalières, des services de garde de la petite enfance, etc., de même que les fonctions d’élu (sauf le président et les vice-présidents de l’Assemblée nationale), de médecin, etc. peuvent s’exercer en arborant un signe religieux dans la mesure où le visage demeure découvert.

[112]     Il est néanmoins possible qu’un poste dans le secteur public puisse être refusé à une personne qui se couvre le visage par conviction religieuse. Cependant, vu l’absence de preuve, cela semble hypothétique pour l’instant. La preuve dans le dossier d’appel est donc nettement insuffisante pour justifier la suspension immédiate du 1er al. de l’art. 8 de la loi.

[113]     Quant à la règle énoncée à l’art. 6 intimant aux policiers, aux enseignants, aux directeurs d’écoles et au personnel judiciaire de s’abstenir d’arborer des signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions, il importe de souligner qu’elle ne s’applique pas aux employés déjà en poste, mais plutôt aux nouvelles embauches et promotions. Néanmoins, la preuve révèle que, dans certains cas, il y a là effectivement un préjudice qui pourrait être qualifié de sérieux et d’irréparable. Malgré que l’interdiction prévue par la loi ne s’étende pas au-delà du temps de travail et permette ainsi aux concernés d’arborer des signes religieux lorsqu’ils n’exercent pas leurs fonctions, il peut survenir des cas de nouvelles embauches ou de promotions où la règle prévue par la loi serait en conflit avec les convictions religieuses sincères d’un individu de façon à rendre impraticable l’accès à ces postes.

[114]     La grande majorité des principales religions pratiquées au Québec, dont le christianisme, le judaïsme et l’islam, ne semblent pas, à première vue du moins, faire du port de signes religieux au travail une exigence absolue de la foi. Du moins, la preuve n’en a pas été faite à ce stade du dossier. La loi ne vise donc pas à interdire l’accès à ces postes pour les chrétiens, les juifs, les musulmans ou les membres de la plupart des autres religions. Nous pouvons néanmoins raisonnablement inférer de la preuve devant nous qu’il existe certaines religions qui imposent une exigence vestimentaire (le sikhisme, par exemple), de même que quelques courants religieux (le salafisme, par exemple) qui en font une exigence de foi. Certains individus peuvent aussi avoir une conviction religieuse sincère à cet effet même si le port du symbole religieux lors du travail ne fait pas nécessairement partie d’une exigence formelle de la foi pour leurs coreligionnaires.

[115]     C’est ainsi, à la lumière de la preuve parcellaire dans le dossier, que l’on peut raisonnablement conclure, pour les fins de l’appel, que certains individus subiront un préjudice que l’on pourrait qualifier de sérieux et d’irréparable découlant de l’exigence faite aux policiers, aux enseignants, aux directeurs d’écoles et au personnel judiciaire de s’abstenir d’arborer des signes religieux durant l’exercice de leurs fonctions.

[116]     Cela étant, ce préjudice sérieux et irréparable ne peut découler que d’une atteinte aux libertés de conscience, de religion, de pensée, de croyance, d’opinion ou d’expression garanties par l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte canadienne ») et par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (la « Charte québécoise »). Or, l’Assemblée nationale du Québec a rendu ces dispositions inopérantes en regard de la Loi sur la laïcité de l'État au moyen des articles 33 et 34 de cette dernière loi. Ainsi, l’article 33 prévoit que les dispositions de la loi « s’appliquent malgré les articles 1 à 38 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) », tandis que l’article 34 prévoit que celles-ci « ont effet indépendamment des articles 2 et 7 à 15 de la Loi constitutionnelle de 1982 ».

[117]     Dans ce dernier cas, l’Assemblée nationale a invoqué l’article 33 de la Charte canadienne, lequel permet d’adopter une disposition dite dérogatoire aux articles 2 et 7 à 15 de cette charte énonçant certains droits fondamentaux. L’Assemblée nationale a aussi invoqué l’article 52 de la Charte québécoise qui permet d’adopter une disposition dérogatoire aux articles 1 à 38 de celle-ci énonçant aussi des droits fondamentaux. Les appelants ne contestent ni le pouvoir d’adopter de telles dispositions dérogatoires ni la validité de l’adoption de celles-ci.

[118]     Comme l’a signalé avec justesse le juge de première instance, des allégations d’atteinte aux libertés de conscience, de religion, de pensée, de croyance, d’opinion ou d’expression ne peuvent pas être tenues pour des préjudices sérieux et irréparables aux fins d’une décision interlocutoire cherchant à suspendre l’effet de la loi dans le contexte où le recours aux clauses dérogatoires n’est pas lui-même remis en question. Le préjudice causé par l’usage et l’effet de la clause dérogatoire de l’article 33 de la Charte canadienne ou de la clause dérogatoire de l’article 52 de la Charte québécoise ne peut être opposé à ces dispositions puisque cela équivaudrait à nier leur existence même en les rendant, de fait, inopérantes.

[119]     Les appelants soutiennent néanmoins que la clause dérogatoire de l’article 33 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne s’applique pas vu qu’ils invoquent le caractère ultra vires de la loi au motif qu’elle relèverait de la compétence fédérale exclusive sur le droit criminel, qu’elle est trop vague et ainsi incompatible avec le principe de la primauté du droit et qu’elle porterait atteinte à la structure même de l’ordre constitutionnel canadien. Or, comme l’a aussi conclu le juge de première instance, les réponses à apporter à ces questions ne s’imposent pas d’emblée et sont loin d’être évidentes. Ces prétentions ne peuvent, à elles seules, écarter la présomption de validité de la loi aux fins d’obtenir une suspension immédiate de celle-ci.

[120]     Conscients de ces difficultés juridiques de taille, les appelants invoquent maintenant l’article 28 de la Charte canadienne qui prévoit que les droits et libertés qui sont mentionnés à celle-ci « sont garantis également aux personnes des deux sexes ». Ce faisant, puisque l’article 33 de la Charte canadienne n’énonce pas le pouvoir de déroger à l’article 28 de celle-ci, les appelants soutiennent que les dispositions dérogatoires énoncées à l’article 34 de la Loi sur la laïcité de l'État ne s’y étendent pas, de sorte que cette loi peut et doit être suspendue parce qu’elle traiterait de manière inégale les femmes par contraste aux hommes.

[121]     Les appelants avancent que l’article 8 de la loi - qui exige des employés du secteur public qu’ils exercent leurs fonctions à visage découvert et qui exige aussi de ceux qui sollicitent leurs services de se découvrir le visage lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de leur identité ou pour des motifs de sécurité - limiterait de manière inégale les droits des femmes musulmanes à la liberté de religion et à l’égalité, par rapport aux droits des hommes de toute autre religion, puisque seules les femmes musulmanes seraient susceptibles de porter le voile intégral. Il y aurait là violation de l’article 28 de la Charte canadienne.

[122]     Ils avancent aussi que l’article 6 de la loi - lequel interdit aux policiers, aux enseignants, aux directeurs d’écoles et au personnel judiciaire d’arborer un signe religieux durant l’exercice de leurs fonctions - affecterait surtout le corps enseignant des niveaux primaire et secondaire, lequel est majoritairement formé de femmes. La loi concernerait donc de manière disproportionnée les enseignantes et limiterait donc de manière inégale leur droit de pratiquer leur religion et leur droit à l’égalité en comparaison avec leurs collègues masculins. Ainsi, l’interdiction énoncée à l’article 6 de la loi violerait le droit garanti à l’article 28 de la Charte canadienne en limitant d’une manière disproportionnée le droit des femmes à l’égalité et à la liberté de religion.

[123]     En somme, les appelants ne font plus le débat des signes religieux. Ils limitent le débat portant sur l’article 28 au foulard islamique et au voile intégral. Pour eux, le port du foulard islamique ou du voile intégral islamique résulterait d’un choix autonome et raisonné des femmes qui les arborent. Les interdire ou les réglementer constituerait non seulement des entorses à la liberté de religion, mais aussi une forme de discrimination à l’égard des femmes, et ce, malgré que le préambule de la loi énonce l’importance accordée à l’égalité entre les femmes et les hommes.

[124]     Cette approche n’est pas évidente à première vue.

[125]     Les diverses justifications juridiques entourant le voile islamique, dont les discours fondés sur l’égalité entre les sexes, sont d’ailleurs bien décrits par l’auteure Anastasia Vakulenko dans son ouvrage Islamic Veiling in Legal Discourse, Routledge, Oxon, 2012. Elle y note que des justifications fondées sur l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes sont avancées par les législateurs, les tribunaux et les auteurs afin d’appuyer tant l’interdiction du port du voile islamique que le contraire. Elle note aussi que l’instrumentalisation du voile islamique comme une forme de porte-étendard de l’égalité des femmes pose certains problèmes puisque, historiquement, le symbolisme entourant ce voile ne correspond pas à des idéaux féministes. Surtout, elle conclut que la conciliation du voile islamique avec le principe de l’égalité des sexes ne se prête pas à des analyses simplistes ni à des réponses toutes faites.

[126]     À titre d’exemple de la complexité du sujet et des discours discordants entourant le voile islamique dans la perspective du principe de l’égalité des sexes, il mérite de référer aux propos de Lady Hale, maintenant présidente de la Cour suprême du Royaume-Uni, citant un article d’une éminente professeure engagée dans l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Pour cette dernière, tout en reconnaissant que l’interdiction du voile islamique puisse enfreindre le droit à la diversité culturelle et religieuse, il n’en demeure pas moins que : « […] A mandatory policy that rejects veiling in state educational institutions may provide a crucial opportunity for girls to choose the feminist freedom of state education over the patriarchal dominance of their families. Also, for the families, such a policy may send a clear message that the benefits of state education are tied to the obligation to respect women’s and girls’ rights to equality and freedom. » : R. (on the application of Gegum) v. Headteacher and Governors of Denbigh High School, [2006] UKHL 15, par. 98, citant la professeure Frances Radney, “Culture, Religion and Gender”, [2003] 1 International Journal of Constitutional Law 663. On peut ainsi constater que la question de l’égalité des sexes en regard du foulard islamique ne se prête pas à des réponses simples ou évidentes.

[127]     Quoi qu’il en soit, les nouveaux arguments soulevés par les appelants en appel fondés sur l’article 28 de la Charte canadienne, ne sauraient être retenus à ce stade-ci des procédures judiciaires, bien qu’ils puissent certainement faire l’objet d’une preuve et d’un débat lors du procès qui permettront d’en établir le bien-fondé.

[128]     En effet, à ce stade préliminaire, nous n’avons que peu de preuve quant à l’effet de l’article 6 de la loi sur les femmes par contraste aux hommes. Si on peut certes conclure que le corps enseignant est formé en majorité de femmes, il est aussi vrai qu’on peut raisonnablement conclure que le corps policier est majoritairement formé d’hommes. Nous n’avons pas d’informations sur le nombre de femmes au Québec pour qui le port d’un signe religieux sur le temps de travail constitue une croyance religieuse sincère par rapport au nombre d’hommes qui auraient la même croyance religieuse sincère. En l’occurrence, l’assise factuelle de la prétention des appelants portant sur l’article 28 de la Charte canadienne et voulant que l’article 6 de la loi vise surtout et avant tout les femmes semble plutôt mince à ce stade des procédures.

[129]     Cela étant, même si la preuve établissait que les effets des articles 6 et 8 de la loi se font principalement sentir auprès des femmes musulmanes qui portent le foulard islamique ou le voile intégral, comme le soutiennent les appelants, cela ne mènerait pas nécessairement à la suspension immédiate de ces articles de la loi à ce stade préliminaire des procédures judiciaires. Voici pourquoi.

[130]     La portée et l’effet de l’article 28 de la Charte canadienne sont rarement commentés par les tribunaux. Comme l’a souligné la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt McIvor, la jurisprudence traite l’article 28 principalement comme une disposition interprétative - plutôt que prescriptive - qui ne confère pas de droits auxquels on peut contrevenir : McIvor v. Canada (Registrar, Indian and Northern Affairs), 2009 BCCA 153, par. 64.

[131]     Ainsi, bien que certaines lois aient des effets principalement sur les membres d’un sexe par rapport à un autre, cela ne signifie pas nécessairement que l’on puisse invoquer l’article 28 de la Charte canadienne afin d’invalider celles-ci.  À titre d’exemple, la règle imposant le port du casque de sécurité sur les chantiers de construction - qui touche surtout les hommes vu la démographie de cette industrie - ne permet pas à un homme de refuser de porter le casque au motif que l’effet de la loi porte principalement sur les hommes. De même, un homme portant un turban ne pourrait invoquer l’article 28 au motif que le port du casque affecte la liberté de religion des hommes différemment de celle des femmes. Dans ce dernier cas, il y a peut-être une discrimination fondée sur la religion qui permet un accommodement raisonnable, mais on peut douter qu’il s’agisse aussi d’une discrimination fondée sur le traitement inégal du droit à la religion des hommes par rapport aux femmes.

[132]     Peut-être existe-t-il des cas où un traitement différent entre les hommes et les femmes résultant d’une règle de droit permettrait d’invoquer l’article 28 de la Charte canadienne, mais encore faut-il une preuve suffisante pour pouvoir soutenir une telle prétention.

[133]     De plus, à ce jour, l’article 28 de la Charte canadienne n’a pas été appliqué dans le cadre d’une disposition invoquant le pouvoir dérogatoire de l’article 33 de la Charte canadienne. L’interaction entre ces deux articles est une question qui n’a pas été traitée par les tribunaux. 

[134]     L’état du droit entourant l’article 28 est donc bien trop nébuleux et embryonnaire pour pouvoir prétendre, à ce stade préliminaire, qu’il s’agit d’une disposition pouvant faire manifestement échec à l’application de l’article 33 de la Charte canadienne et des clauses dérogatoires des articles 33 et 34 de la Loi sur la laïcité de l’État de façon à justifier la suspension immédiate des articles 6 et 8 de cette loi malgré la présomption de validité constitutionnelle dont bénéficient ces articles.

[135]     Mais il y a plus. Même si l’on concluait que l’article 28 de la Charte canadienne est une disposition de droit substantif pouvant faire échec à la clause dérogatoire de l’article 33 de la Charte canadienne, permettant ainsi de suspendre l’effet des articles 6 et 8 de la Loi sur la laïcité de l’État,  il faudrait, avant de ce faire, aussi conclure que ces articles de la loi ne pourraient constituer des limites raisonnables aux droits et libertés garantis par la Charte canadienne. L’article 1 de la Charte canadienne prévoit en effet que les droits et libertés qui y sont énoncés - ce qui comprendrait probablement l’article 28 si on adhère à la thèse des appelants voulant qu’il s’agisse d’une disposition de droit substantif - peuvent être restreints « par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

[136]     Or, la règle énoncée à l’article 8 de la loi voulant qu’on doive recevoir un service public à visage découvert lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de l’identité ou pour des motifs de sécurité pourrait fort bien être une limite raisonnable qui se justifie dans une société libre et démocratique : R. v. N.S., 2012 CSC 72, [2012] 3 R.C.S. 726; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567. Nous n’avons pas à en décider, mais il s’agit sûrement d’un argument soutenable.

[137]     De même, l’obligation énoncée à l’article 8 de la loi voulant que les fonctions au sein du secteur public doivent s’exercer à visage découvert n’apparaît pas, à première vue du moins, comme une mesure déraisonnable en soi et qui ne pourrait se justifier dans une société libre et démocratique. En effet, il est possible que le juge saisi du fond de l’affaire puisse conclure qu’il est raisonnable pour l’État de prescrire que les citoyens qu’il sert aient le droit de recevoir les services publics qu’ils payent par l’intermédiaire d’employés du service public œuvrant à visage découvert, sans que cette règle soit nécessairement contraire à la liberté de religion et d’expression ou, le cas échéant, sans qu’elle puisse se justifier dans une société libre et démocratique. Encore une fois, nous n’avons pas à en décider, mais ce raisonnement est, à tout le moins, soutenable.

[138]     Peut-être faudra-t-il distinguer les fonctions qui appellent à des contacts avec le public des autres fonctions du secteur public. Cependant, il s’agit là de précisions et de distinctions qui pourraient être faites, le cas échéant, à la suite du débat judiciaire au fond de l’affaire. À ce stade préliminaire du dossier, nous n’avons qu’à constater que le débat ne se prête pas à une réponse évidente qui permettrait d’emblée de repousser la présomption de validité de la loi.

[139]     Il faut reconnaître que la justification, en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne, de l’article 6 de la loi apparaît plus ardue. Tel que déjà noté, cet article prévoit que les policiers, les enseignants, les directeurs d’écoles et le personnel judiciaire doivent s’abstenir d’arborer un signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions. Cela étant, tel que noté plus bas, plusieurs sociétés démocratiques et libérales ont adopté de telles mesures. Dans ce contexte, il serait imprudent de tenir pour acquis, à ce stade préliminaire des procédures, que l’article 6 de la loi est voué à être déclaré inconstitutionnel dans l’éventualité incertaine où l’article 28 de la Charte canadienne pourrait être invoqué à l’encontre des clauses dérogatoires de la loi et de l’article 33 de la Charte canadienne.

[140]     En effet, des mesures législatives similaires à celles énoncées à l’article 6 de la loi ont été adoptées et sont en vigueur dans plusieurs pays occidentaux libres et démocratiques qui souscrivent à des constitutions libérales protégeant les droits de la personne, y compris les libertés de croyance et de religion. La France, la Belgique, certains cantons suisses et länders allemands et, autrefois, la Turquie, pour ne nommer que ceux-ci, ont adopté des lois ou des politiques restrictives quant au port de signes religieux dans l’espace public. Dans la plupart de ces cas, les dispositions en cause ont été maintenues par les tribunaux, y compris par ceux chargés d’assurer le respect des droits de la personne.

[141]     Ainsi, selon la jurisprudence du Conseil d’État de la République française, le principe de neutralité des services publics justifie que des limitations soient apportées à la manifestation des croyances religieuses des agents de l’État français dans l’exercice de leurs fonctions. Le Conseil d’État s’est d'ailleurs prononcé depuis longtemps dans le domaine de l’enseignement : le fait pour un agent du service public de l’enseignement de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses au moyen d’un signe religieux est un manquement à l’exercice du devoir de neutralité qui s’impose au service public français. Cette règle n’a pas été écartée par la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle fut portée à son attention: Ebrahimiam c. France, no 64846/11, 26 novembre 2015. La Cour constitutionnelle du Royaume de Belgique a aussi refusé d’invalider une politique du Conseil de l’enseignement interdisant le port de signes religieux par le personnel d’écoles publiques : Cour constitutionnelle belge, n° 145/2012, 6 décembre 2012. Il en est de même au sein la Confédération suisse : Dahlab c. Suisse, Cour européenne des droits de l’homme, n° 42393/98, 15 février 2001.

[142]     La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de se pencher à de nombreuses reprises sur la question et a conclu que ce type de législation ne portait pas atteinte aux libertés de pensée, de conscience et de religion inscrites dans la Convention européenne des droits de l’homme : Affaire Ebrahimian c. France, no 64846/11, 26 novembre 2015; Drogru c. France, no 27058/05, 4 décembre 2008; Kurtulmus c. Turquie, no 65500/01, 24 janvier 2006; Layla Sahin c. Turquie, no 44774/98, 10 novembre 2005; Dahlab c. Suisse, n° 42393/98, 15 février 2001.

[143]     C’est notamment en invoquant le droit à l’égalité des femmes que la Cour européenne des droits de l’homme, dans Dahlab c. Suisse, a entériné l’interdiction du foulard islamique aux enseignants du canton de Genève en notant que ce symbole a un effet de prosélytisme incompatible avec le rôle d’un enseignant et semble être imposé par une prescription religieuse difficilement conciliable avec le principe de l’égalité des sexes. 

[144]     Il existe bien sûr des différences importantes entre les constitutions de ces pays européens et celle du Canada, de même qu’entre les valeurs européennes et celles proprement canadiennes. Il se peut fort bien que l’approche des tribunaux canadiens à ces questions soit, en fin de compte, assez différente de celle de la Cour européenne des droits de l’homme ou des tribunaux européens vu les particularités du régime constitutionnel canadien et de l’histoire du Canada, lesquels font place depuis longtemps à la diversité culturelle et linguistique. L’approche de la Cour européenne des droits de l’homme n’est peut-être pas celle qui devrait être adoptée ici et sa vision restreinte du voile islamique mérite possiblement d’être nuancée, sinon écartée.

[145]     Cela étant, lorsque se soulèvent, comme ici, des questions sur les rapports entre l’État et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister au sein d’une société libre et démocratique, il y a lieu pour les tribunaux d’agir avec prudence et circonspection vu la diversité des approches à ces questions et la difficulté de former une conception uniforme de la signification de la religion dans la société. Le rôle et l’impact de la religion dans la société, de même que les formes de l’expression publique d’une conviction religieuse, ne sont pas les mêmes suivant les époques et les contextes. Ils varient en fonction de facteurs sociologiques et idéologiques mouvants, des traditions nationales et des exigences imposées par la protection des droits et libertés d’autrui et le maintien de l’ordre public dans une société donnée. La conception de la symbolique religieuse et sa place dans l’espace public ne sont d’ailleurs pas perçues de façon identique par chaque société, la Loi sur la laïcité de l’État en est un exemple frappant au sein du Canada.

[146]     On se doit donc de constater que plusieurs des questions rattachées au port de signes religieux par les policiers, les enseignants, les directeurs d’écoles et le personnel judiciaire du Québec - y compris les questions juridiques qui se soulèvent - sont complexes et se prêtent mal à des analyses sommaires sur la foi d’une preuve parcellaire, comme les appelants nous demandent de le faire en l’espèce.

[147]     On ne peut donc raisonnablement soutenir que les appelants invoquent un droit manifeste et incontestable lorsqu’ils réfèrent à l’article 28 de la Charte canadienne afin d’évacuer du débat la question de la présomption de validité constitutionnelle de la Loi sur la laïcité de l’État.

[148]     À ce stade des procédures judiciaires, une suspension des articles 6 et 8 de la Loi sur la laïcité de l’État ne saurait donc être envisagée puisque la Cour doit présumer que l’intérêt public est servi par le maintien en vigueur de ces dispositions vu la présomption de validité constitutionnelle. Comme la Cour le signalait dans Québec (Procureure générale) c. D’Amico, 2015 QCCA 2138, par. 28 :

[28]        Il y a lieu de noter que dans le cadre de la procédure en injonction provisoire, la législation provinciale attaquée bénéficie de ce qui est communément, mais erronément désignée comme la présomption de validité constitutionnelle. Cette présomption est en fait une règle de procédure selon laquelle le fardeau d’établir qu’une loi va à l’encontre de la Constitution incombe à ceux qui la contestent. Par définition, cette règle vise essentiellement le fond du litige. Il est donc rare que la constitutionnalité d’une loi puisse se régler au stade d’une procédure provisoire ou interlocutoire, et les tribunaux n’ordonneront pas à la légère qu’une loi que le Parlement ou une législature provinciale a dûment adoptée pour le bien public soit inopérante avant d’avoir fait l’objet d’un examen constitutionnel complet.

[Soulignement ajouté ; notes de bas de page omises]

[149]     Ce principe s’applique d’autant plus ici puisque l’Assemblée nationale du Québec invoque la clause dérogatoire prévue par l’article 33 de la Charte canadienne, ce qui lui permet de soustraire cette loi à l’examen judiciaire en vertu des articles 2 et 7 à 15 de cette charte. L’Assemblée nationale invoque aussi la clause dérogatoire de l’article 52 de la Charte québécoise. Avec égards pour l’opinion contraire, vu l’invocation de la clause dérogatoire, suspendre l’application de la loi à ce stade préliminaire des procédures ne m’apparaît pas juridiquement possible.

[150]     Cela étant, l’utilisation de la clause dérogatoire, que ce soit conformément à l’article 33 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou en vertu de l’article 52 de la Charte québécoise, n’est pas une affaire banale. Il s’agit de suspendre les droits fondamentaux des citoyens, droits qui ont été durement acquis et qui garantissent les libertés qui nous sont chères comme société et pays. Une dérogation aux droits fondamentaux entraîne des impacts graves et importants tant au plan politique que juridique. Il faut donc être très prudent lorsqu’on invoque de tels pouvoirs extraordinaires. Le pouvoir de suspendre les libertés fondamentales a possiblement ses propres limites au sein d’une société libre et démocratique. On peut entrevoir des circonstances extrêmes où le pouvoir extraordinaire de suspendre les libertés fondamentales puisse être balisé par des remèdes judiciaires eux-mêmes extraordinaires. Mais nous n’en sommes pas là. Souhaitons d’ailleurs ne jamais en arriver là.

[151]     Il ne s’agit pas ici d’avaliser la Loi sur la laïcité de l’État ni de confondre le rejet de l’appel avec une opinion quelconque de cette Cour en faveur ou à l’encontre de cette loi qui soulève les passions de part et d’autre. L’opinion du juge comme citoyen ne fait pas partie du débat juridique. Il s’agit plutôt de trancher la question de la suspension de la loi selon le cadre juridique qui s’applique.

[152]     Il appartiendra au juge saisi du fond de l’affaire de trancher les nombreuses questions juridiques et constitutionnelles que soulève la loi à la lumière de la preuve et des arguments qui pourront être soumis après un débat judiciaire complet. Dans l’intervalle, la loi doit être présumée constitutionnellement valide.

[153]     La question des exemptions constitutionnelles a aussi été soulevée dans le cadre de l’appel, mais fut peu débattue lors de l’audience. Il convient d’en dire quelques mots.

[154]     Comme le juge Beetz l’a précisé dans Metropolitan Stores, p. 147-148, le critère de l’intérêt public qui sous-tend la présomption de validité de la loi s’applique avec moins de poids lorsqu’il s’agit d’une demande d’exemption constitutionnelle dans un cas particulier que lorsqu’il s’agit d’une demande de suspension de la loi qui a un effet plus général. Cependant, la possibilité d’une exemption constitutionnelle dans un cas particulier ne peut devenir un moyen détourné de suspendre l’effet d’une loi au moyen « [d’]une avalanche de suspensions d’instance et d’exemptions dont l’ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi », comme le signalait également le juge Beetz dans Metropolitan Stores, p. 146.

[155]     Il importe aussi de noter que les critères pour obtenir une exemption constitutionnelle ont été resserrés ces dernières années : R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, par. 70-73; R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773, par. 91. Ces exemptions servent surtout comme mesures intérimaires s’ajoutant à une déclaration d’invalidité constitutionnelle : Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4, [2016] 1 R.C.S. 13. Si la porte n’est pas entièrement fermée à une exemption constitutionnelle temporaire dans certains cas particuliers lorsque les circonstances s’y prêtent, il s’agit d’une mesure que les tribunaux doivent aborder avec circonspection. Il n’y a pas lieu d’en dire plus dans le cadre du présent appel en ce qui concerne les exemptions constitutionnelles.

[156]     Pour ces motifs, je propose à la Cour de rejeter l’appel, mais sans frais de justice.

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 



[1]     RLRQ, c. L-0.3 [L.s.l.e.].

[2]     Hak c. Procureure générale du Québec, 2019 QCCS 2989 [Jugement entrepris].

[3]     Loi sur la laïcité de l’État, L.Q. 2019, c. 12.

[4]     L.s.l.e., supra, note 1, Préambule.

[5]     Jugement entrepris, paragr. 2.

[6]     Amended application for Judicial Review (Declaration of Invalidity) and Application for an Interim Stay, E.A., p. 83-109.

[7]     Affidavit of Ichrak Nourel Hak, E.A., vol. 2, p. 135.

[8]     Id., p. 136.

[9]     Affidavit of Mustafa Farooq, E.A., vol. 2, p. 158; Affidavit of Noa Mendelsohn Aviv, E.A., vol. 2, p. 146.

[10]    E.A., vol. 2, p.110-258.

[11]    Jugement entrepris.

[12]    Id., paragr. 1-56.

[13]    Id., paragr. 77.

[14]    C’est-à-dire qu’elle n’aurait pu être produite en première instance puisqu’elle traite de faits subséquents concernant la mise en application de la Loi depuis le jugement de première instance ainsi que les effets de cette application sur les enseignantes; Gestions Shilaem inc. c. Agence du revenu du Québec, 2017 QCCA 1568, paragr. 38.

[15]    Gestions Shilaem inc. c. Agence du revenu du Québec, supra, note 14, paragr. 39.

[16]    Droit de la famille — 191159, 2019 QCCA 1096, paragr. 24; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Jalbert) c. Ville de Montréal (Service de police de la Ville de Montréal), 2019 QCCA 1435, paragr. 29.

[17]    Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, vol. 2, 5 éd., Toronto, Carswell, 2016 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, 2015), p. 60-14 à 60-19.

[18]    MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, p. 361-362.

[19]    Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, p. 154-155; R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 R.C.S. 196, paragr. 27.

[20]    La Cour suprême définit ainsi ce qu’est une nouvelle question : « Une question est nouvelle lorsqu’elle constitue un nouveau fondement sur lequel on pourrait s’appuyer — autre que les moyens d’appel formulés par les parties — pour conclure que la décision frappée d’appel est erronée. Les questions véritablement nouvelles sont différentes, sur les plans juridique et factuel, des moyens d’appel soulevés par les parties (voir Quan c. Cusson, 2009 CSC 62, [2009] 3 R.C.S. 712, par. 39) et on ne peut pas raisonnablement prétendre qu’elles découlent des questions formulées par les parties. » R. c. Mian, 2014 SCC 54, [2014] 2 S.C.R. 689, paragr. 30 [Mian].

[21]    Mian, supra, note 20, paragr. 37 et 40.

[22]    Id., paragr. 38.

[23]    Id., paragr. 41-42.

[24]    Id., paragr. 45.

[25]    Id., paragr. 46-47.

[26]    Id., paragr. 49-52.

[27]    RJR-MacDonald Inc. c. Canada (PG), [1994] 1 R.C.S. 311, p. 338 [RJR-MacDonald].

[28]    A.A., paragr. 46.

[29]    Id., paragr. 54-56.

[30]    RJR-MacDonald, supra, note 27, p. 337.

[31]    RJR-MacDonald, supra, note 27, p. 337-338.

[32]    R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344 [Big M].

[33]    Syndicat de la fonction publique c. Procureur général du Québec, [2004] R.J.Q. 21 (C.S.), paragr. 1408-1414.

[34]    Chambre des communes, Journaux de la Chambre des communes, 32e lég., 1re sess., vol. 126, p. 4014-4015. Voir aussi : Chambre des communes, Débats de la Chambre des communes, 32e lég., 1re sess., no 11, 9 novembre 1981, p. 12634 (P.E. Trudeau).

[35]    Kerri Anne Froc, The Untapped Power of Section 28 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, thèse de doctorat en philosophie, Queen’s University, 2015, p. 380 [non publiée].

[36]    Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, vol. 2, 5 éd., Toronto, Carswell, 2016 (feuilles mobiles, mise à jour no 1, 2010), p. 55-64 et 55-65.

[37]    Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 1006.

[38]    Pièce P-23A, E.A., vol. 3, p. 579; Pièce P-23B, E.A., vol. 3, p. 580.

[39]    Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, paragr. 35.

[40]    RJR-MacDonald, supra, note 27, p. 334.

[41]    Cambie Surgeries Corporation v. British Columbia (Attorney General), 2019 BCCA 29, paragr. 19 (Newbury, j.c.a.). Voir aussi : Mosaic Potash Esterhazy Limited Partnership v. Potash Corporation of Saskatchewan Inc., 2011 SKCA 120, paragr. 26; Livent Inc. v. Deloitte & Touche, 2016 ONCA 395, paragr. 5 (Strathy, c.j.o.); SkyCope Technologies Inc. v. Jia, 2018 BCSC 2204, paragr. 15; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Alberta (Procureur général), 2019 FC 1195, paragr. 96; Stebner v. Saskatchewan (Information and Privacy Commissioner), 2019 SKQB 91, paragr. 79.

[42]    RJR-Macdonald, supra, note 27, p. 341.

[43]    Id., p. 348.

[44]    Metropolitan Stores, supra, note 19, p. 128.

[45]    Fédération des coopératives funéraires du Québec c. Bureau de normalisation du Québec, 2009 QCCA 2445, paragr. 17 (j. Kasirer); Montréal (Ville de) c. Lours, 2016 QCCA 1931, paragr. 20.

[46]    Colombie-Britannique (Procureur général) c. Alberta (Procureur général), supra, note 41, paragr. 136.

[47]    Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, paragr. 94.

[48]    [1987] 1 R.C.S. 313, p. 368.

[49]    RJR-MacDonald, supra, note 27, p. 342; 143471 Canada Inc. c. Québec (Procureur général); Tabah c. Québec (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 339, p. 382-383.

[50]    Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), [2002] 1 R.C.S. 405, paragr. 79 et 81.

[51]    Affidavit of F.B. and Exhibit FB-1, E.A., vol. 4, p. 1035-1040; Affidavit of R.M. and Exhibit RM-1 and RM-2, E.A., vol.4, p. 1041-1048; Affidavit of S.B.R. and Exhibit SBR-1, E.A., vol. 4, p. 1049-1055; Affidavit of M.G. and Exhibit MG-1, E.A., vol.4, p. 1077-1083; Affidavit of Mariam Najdi and Exhibits MN-1 to MN-4, E.A., vol. 4, p. 1084-1097; Affidavit of Nafeesa Salar and Exhibits NS-1 to NS-4, E.A., vol. 4, p. 1098-1102.

[52]    Art. 31(5) L.s.l.e. supra, note 1.

[53]    Harper c. Canada (P.G.), [2000] 2 R.C.S. 764, paragr. 9; RJR-MacDonald, supra, note 27, p. 348 et 349.

[54]    RJR-MacDonald, supra, note 27, p. 333.

[55]    Article 31 L.s.l.e., supra, note 1.

[56]    RJR-MacDonald, supra, note 27, p. 351.

[57]    Id., p. 333.

[58]    Voir a contrario : Harper c. Canada (P.G.), supra, note 53, paragr. 7.

[59]    À cette fin, les déclarations sous serment ne concernent pas l’article 8, mais seulement l’article 6 de la Loi.

[60]    Exhibit NS-4.

[61]    Harper c. Canada (P.G.), 2000 CSC 57, [2000] 2 R.C.S. 764, paragr. 9.; RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, p. 348 et 349.

[62]    Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, p. 135.

[63]    Harper c. Canada (P.G.), 2000 CSC 57, [2000] 2 R.C.S. 764, paragr. 9

[64]    RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, p. 333.

[65]    Voir les paragraphes 46, 61, 74, 87, 118 et 125 du jugement entrepris.

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