En matière d'indemnisation (assurance automobile)
DOSSIER : AA-64436
(707 058 4)
DATE : 19990308
MEMBREs DU TRIBUNAL :
Dr Isabelle Towner
Me Dominique Audet
C... W...
Requérante
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
Intimée
En matière d'indemnisation (assurance automobile)
[1] Il s’agit d’un recours de la requérante à l’encontre de trois décisions du Bureau de révision de l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec du 22 août 1997.
- Une première décision de l’agent d’indemnisation du 12 février 1996 portant sur l’évaluation du dommage esthétique qui a été modifié par le Bureau de révision en majorant de 7% le pourcentage de dommage esthétique au visage, de vous verser l’indemnité correspondant à cette majoration et de vous payer les intérêts depuis le 12 février 1996 et une décision du 22 avril 1996, par laquelle le Bureau de révision le 22 août 1997 confirmait l’absence de séquelle à la colonne cervicale et à l’épaule droite.
- Une deuxième décision du Bureau de révision confirmait une décision du 19 avril 1996 à l’effet d’établir que la requérante est capable d’exercer l’emploi présumé de serveuse, le 28 mars 1996.
- Une troisième décision du 20 mars 1997, par laquelle le Bureau de révision, le 22 août 1997, confirmait l’absence de relation entre l’accident et les troubles d’adaptation.
[2] Ce recours, introduit initialement devant la Commission des affaires sociales est, depuis le 1er avril 1998, continué devant la Section des affaires sociales du Tribunal administratif du Québec et devient, en vertu des dispositions transitoires de la Loi sur l’application de la Loi sur la justice administrative (L.Q. 1997), ch. 43, article 833), une décision de ce Tribunal institué par la Loi sur la justice administrative (L.Q. 1996, c. 54, article 14).
[3] Dans le premier dossier, les prétentions du procureur de la requérante, Me André Laporte, sont à l’effet de demander au Tribunal qu’il reconnaisse un préjudice esthétique de 15% basé sur le rapport du docteur Normand, et des séquelles cervicales de 2% ainsi qu’un DAP de 1% pour perte d’amplitude à l’épaule droite.
[4] Dans le second dossier, les prétentions de la requérante sont à l’effet qu’elle est incapable d’exercer l’emploi de serveuse au 28 mars 1996 et dans ces circonstances, elle a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au moment où l’intimée lui déterminera un autre emploi.
[5] Dans le troisième dossier, Me Laporte soutient qu’il y a relation entre l’accident et les crises d’anxiété vécues par la requérante et demande au Tribunal de retourner le dossier à l’intimée pour l’établissement du pourcentage des séquelles.
[6] En préambule, le procureur de l’intimée reconnaît le bien-fondé de la demande de la requérante concernant un DAP de 2% pour séquelles cervicales.
Les faits
[7] Le 29 avril 1995, la requérante a été victime d’un accident d’automobile. Elle prenait place sur le siège arrière. L’auto est entrée violemment en collision avec la remorque d’un camion qui bloquait la voie. Le choc fut violent car deux personnes sont mortes sur le coup lors de l’impact, soit un ami et la belle-sœur de la requérante.
[8] La requérante a été transportée en ambulance. On a constaté qu’elle ne se rappelait pas de l’accident mais qu’elle était consciente. Un diagnostic de commotion cérébrale, de plaie frontale a été fait. Elle a quitté l’hôpital le 6 mai suivant. La requérante mentionnait dans sa demande d’indemnité du 15 mai 1995 ce qui suit :
«Coupure au niveau du front, plusieurs points de suture, beaucoup de mal au niveau de l’épaule droite et au dos, le visage bien enflé et du sang dans les yeux.»
Elle indiquait également à pareille date :
«Je suis serveuse dans un restaurant et caissière au M..., je ne suis plus capable de me servir de mon bras droit et même chose pour les tâches ménagères.»
[9] La requérante a reçu des traitements de physiothérapie pour son épaule droite du 9 mai au 25 juillet 1995.
Relation accident et troubles psychologiques
[10] Aucune consultation médicale ou rapport médical ne mentionne de problème psychologique avant l’expertise du Dr Lionel Béliveau le 31 juillet 1996, soit près d’un an et demi après l’accident du 29 avril 1995.
[11] Le dossier fait pourtant état de nombreuses consultations médicales.
[12] Il est vrai que le 23 mars 1996, la requérante, dans sa demande en révision pour l’indemnité pour la cicatrice au visage écrit :
«Voici, madame, quelques raisons motivant le droit à la révision, parce que cette cicatrice de 9 cm par 2 mm ne me porte pas seulement atteinte physiquement mais aussi psychologiquement puisqu’elle est source d’un apport de stress quotidien, qu’elle entraîne des dépenses additionnelles, qu’elle exige des comportements spécifiques (maquillage et coiffure) et qu’elle réduit mon bien-être.»
[13] Par ailleurs, d’un autre côté, le Dr Marc Goulet notait le 28 mars 1996 : «la patiente se porte beaucoup mieux».
[14] Ce n’est donc que lors de l’expertise du Dr Lionel Béliveau que médicalement la requérante se plaint de problèmes d’anxiété, d’impatience, d’irritabilité, de se fatiguer rapidement et de tendance à devenir plus déprimée «pas de moral».
[15] Le rapport mentionne également que la requérante ne prend aucune médication psychotrope et n’est l’objet d’aucun traitement psychologique ou psychiatrique.
[16] La description de l’examen mental est le suivant :
«Madame [la requérante] s’est présentée à l’examen non négligée dans son apparence extérieure, avec un état général paraissant satisfaisant. Elle ne paraissait pas abattue, mais anxieuse et triste, avec les larmes aux yeux à quelques reprises en cours d’entrevue. Elle s’exprimait facilement, sans hésitation. Elle coopérait volontiers à l’examen, sans réticence ni méfiance, sans tendance à dramatiser ou à exagérer l’importance de ses symptômes ou de ses problèmes. Elle ne présentait pas de ralentissement psychomoteur ni de trouble du débit verbal. Elle était en bon contact avec la réalité et bien orientée dans le temps et l’espace. Elle ne présentait pas de trouble de l’attention, mais présentait un déficit significatif de sa capacité de concentration qui se reflétait sur sa mémoire de fixation. Son jugement était bien conservé de même que sa capacité de compréhension et d’abstraction. Elle ne présentait pas d’idéation franchement dépressive ou suicidaire, mais verbalisait des sentiments de diminution de l’estime de soi. L’affect était adéquat et bien modulé, caractérisé par l’anxiété ainsi que par une humeur dépressive. Elle ne verbalisait pas d’autre phobie, obsession, crainte ou préoccupation pathologique que ce qui a été rapporté plus haut.
Conclusion
Madame [la requérante] a tout probablement présenté, à la suite de l’accident d’automobile, une légère commotion cérébrale. Elle continue à présenter, en relation avec l’accident et avec les conséquences de l’accident du 29 avril 1995, un Trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse et dépressive d’intensité modérément sévère, mais surtout anxieuse, cette anxiété se manifestant par des difficultés de concentration et devenant plus marquée en voyageant en automobile ou lorsque confrontée à toute situation lui rappelant l’accident. Cette anxiété, qui s’est manifestée d’abord par des troubles du sommeil, des nausées et des vertiges puis par des cauchemars, a tout probablement contribué par la suite à entretenir jusqu’à maintenant les douleurs dont se plaint madame [la requérante] par un processus d’amplification psychogénique de la douleur et qu’on doit par conséquent diagnostiquer comme étant un Trouble somatofomme douloureux.
Comme madame [la requérante] n’a été jusqu’à maintenant l’objet d’aucun traitement psychologique ou psychiatrique, il est trop tôt pour consolider sa condition psychique. Une prise en charge psychothérapeutique est en effet indiquée durant une période d’au moins trois à six mois et avec une médication antidépressive et anxiolytique à dosage approprié.
Comme la condition psychique de madame [la requérante] est fort susceptible d’être modifiée avec un traitement adéquat, il est trop tôt pour évaluer les séquelles psychologiques permanentes de même que les limitations fonctionnelles sur le plan psychique.
En raison de sa symptomatologie douloureuse et psychiatrique, madame [la requérante] est actuellement incapable de reprendre le travail qu’elle faisait au moment de l’accident.»
[17] Le 25 février 1997, la requérante subit une expertise psychiatrique pour le compte de l’intimée par le Dr Ronald Goulet. Le Tribunal retient les éléments suivants :
«En résumé, il s’agit d’une dame qui a été ébranlée par un accident d’automobile sérieux qui a causé la mort de sa belle-sœur, mais dont la condition s’est un peu améliorée depuis le début de la grossesse. Madame dit avoir par contre beaucoup de soucis, entre autres par rapport à son frère qui a perdu sa femme lors de l’accident, le fait qu’elle ne travaille pas et a des problèmes financiers, et à cause du syndrome douloureux qu’elle présente.
Examen mental objectif :
À l’examen, Madame nous dit être moins triste depuis qu’elle est enceinte et, de fait, elle n’apparaît pas d’humeur dépressive. L’affect est modulé et mobilisable, il y a cependant un contenu de tristesse lié au décès de la belle-sœur et de la culpabilité qui s’ensuit.
Madame ne rapport aucune hallucination, et les idées en rapport avec le retour de sa belle-sœur ne sont pas psychotiques mais plutôt liées à un deuil non résolu.
Nous sommes en présence d’une personne qui refuse un traitement psychiatrique et dit ne pas en avoir besoin mais plutôt d’un support qu’elle retrouve cependant dans son entourage.
Impression diagnostique :
Trouble de l’adaptation forme anxio-dépressive d’intensité très légère puisqu’il s’est produit une certaine amélioration depuis l’examen du Docteur Béliveau.
Opinion, conclusion et réponses aux questions posées :
Relation : Au niveau de la relation entre le trouble de l’adaptation actuel et l’accident, Madame vit de la culpabilité par rapport au décès de sa belle-sœur mais ceci est plus lié à une condition personnelle, Madame a eu quand même des difficultés familiales et sa propre mère lui reproche la mort de sa belle-sœur. Dans ce contexte, les éléments les plus importants au niveau de notre examen psychiatrique ne sont pas directement mais indirectement liés à l’accident.»
[18] En résumé, le Tribunal constate que la requérante ne s’est jamais plainte à ses médecins de problème de nature psychologique avant l’expertise du Dr Marc Béliveau. Celui-ci recommandait une prise en charge psychothérapique pour une période de 3 à 6 mois avec médication anti-dépressive et anxiolytique.
[19] Le 25 février 1997, lors de l’expertise du Dr Goulet, psychiatre, celui-ci indique que la requérante refuse un traitement psychiatrique et dit ne pas en avoir besoin. De plus, la requérante lui affirmait «qu’un des facteurs de stress qu’elle présente actuellement est sa difficulté à trouver un emploi».
[20] Pour ces raisons, le Tribunal considère donc qu’il n’y a pas de prépondérance de preuve à l’effet qu’il y a une relation entre l’accident au 29 avril 1995 et les problèmes d’ordre psychologique allégués et maintient la décision du Bureau de révision du 22 août 1997 à cet effet.
Préjudice esthétique
[21] Le Dr Yves Normand, spécialiste en orthopédie, le 7 octobre 1997, indique dans son document en annexe :
«Me basant sur le barème de la S.A.A.Q., j’établis à 15% le préjudice esthétique pour l’atteinte frontale à cause d’une atteinte modérée de la physionomie. En conséquence, ce préjudice esthétique appartient à la classe 4. Il entraîne une modification apparente qui retient l’attention et cause un préjudice esthétique de 10% car cette modification n’affecte qu’un élément anatomique. À ce pourcentage, il faut ajouter 5% car il s’agit d’une cicatrice vicieuse, pigmentée et déprimée, couvrant une surface de 1.8 cm carré. Elle a donc droit à mon avis au maximum pour un préjudice de classe 4.»
[22] Dans le rapport du Dr Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, du 31 octobre 1996, on peut lire ce qui suit :
«L’on note au niveau de la figure une cicatrice frontale qui est d’apparence vicieuse et qui mesure 4 cm par ½ cm de large et qui est pigmentée et apparente.»
[23] Lors de son témoignage, le Dr Tremblay ajoutera que la cicatrice qu’il a décrit était de 4 pouces et non de 4 cm. Il indique au Tribunal qu’il s’agit d’une modification légère à la physionomie de Classe 3, c’est-à-dire 7% du PEM. La cicatrice est vicieuse, visible mais facilement dissimulable avec la coiffure.
[24] Le Tribunal constate qu’il n’y a pas unanimité dans l’appréciation de l’évaluation de la cicatrice frontale par les experts de la requérante.
[25] Le Tribunal en vient à la conclusion que la prépondérance de la preuve est à l’effet d’accorder un pourcentage de 7% à titre de préjudice esthétique tout comme le Bureau de révision l’avait fait.
Séquelles à l’épaule droite
[26] Le 22 août 1997, le Bureau de révision arrivait à la conclusion qu’il y avait absence de séquelle à l’épaule droite. Le Bureau de révision s’exprimait ainsi :
«Par ailleurs, l’examen physique réalisé par le docteur Thiffault montre que l’amplitude des mouvements de la colonne cervicale et des épaules est dans les limites de la normale.
L’agent a également jugé que les blessures subies à la colonne cervicale et à l’épaule droite n’ont pas laissé de séquelle permanente. Sa décision est basée sur l’évaluation médicale complétée par le docteur Marc Goulet, chirurgien orthopédiste, le 28 mars 1996. En effet, l’examen effectué par ce médecin montre une amplitude des mouvements de la colonne cervicale et des deux épaules dans les limites de la normale.
Pour appuyer vos demandes de révision, vous avez présenté une évaluation médicale réalisée par le docteur Gilles R. Tremblay, chirurgien orthopédiste, le 31 octobre 1996. L’examen de la colonne cervicale fait par ce médecin ne montre pas de limitation des mouvements.»
[27] Le Tribunal, après avoir évalué la preuve documentaire et testimoniale en vient à la conclusion d’accorder un DAP de 1% pour diminution de la rotation interne de l’épaule droite par prépondérance de preuve.
[28] De la preuve offerte, le Tribunal retient que le Dr Normand décrit la rotation interne 50o, ce qui est une limitation de 10o par rapport au côté gauche. Il décèle à la palpation des douleurs assez vives à l’insertion du sus-épineux sur le trochiter et le long de la coulisse bicipitale. Il évalue cette limitation à un DAP de 1%, lors de l’examen du 7 octobre 1997.
[29] Le Dr Tremblay parle d’une limitation de la rotation interne des deux épaules, plus marquée à droite. Lors de son témoignage, il ajoute que chez la requérante, le tendon n’a pas guéri et quand elle fait des mouvements, ceux-ci sont réduits. Elle ne peut travailler comme serveuse à cause des mouvements qu’elle ne peut faire et accorde un DAP de 1%.
Emploi présumé et indemnité de remplacement de revenu
[30] Pour sa part, la requérante, lors de son témoignage, confirme qu’elle ne peut lever le bras droit de façon à porter les cabarets ou plateaux et de servir les aliments aux clients étant donné qu’une telle tâche exigeait des gestes répétitifs. Cette tâche exigeait de soulever des poids lourds et de travailler à bout de bras. Elle ne pouvait lever le bras à la hauteur ou plus haut que les épaules. Elle admet qu’elle pourrait être hôtesse.
[31] Tel que ci-haut mentionné par le Dr Tremblay, le Tribunal constate que les mouvements limités ne permettent pas à la requérante d’exécuter les tâches normales exigées d’une serveuse.
[32] Le Tribunal considère donc que la preuve est prépondérante à l’effet que la requérante n’a pas la capacité d’exercer l’emploi présumé de serveuse au 28 mars 1996.
[33] Le Tribunal prolonge donc l’indemnité de remplacement du revenu au-delà du 28 mars 1996 sous réserve de l’application de l’article 46 de la Loi sur l’assurance automobile[1].
[34] POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
ACCUEILLE en partie le pourvoi;
ACCORDE un DAP de 1% pour diminution de la rotation interne de l’épaule droite;
PREND ACTE de l’admission de l’intimée concernant le DAP de 2% pour séquelles cervicales;
MAINTIENT la décision du Bureau de révision du 20 mars 1997, concluant à l’absence de relation entre l’accident et les troubles d’adaptation;
CONFIRME la décision du Bureau de révision du 27 août 1997 concernant un préjudice esthétique au visage de 7% avec intérêts;
PROLONGE l’indemnité de remplacement du revenu au-delà du 28 mars 1996, sous réserve de l’application de l’article 46 de la Loi sur l’assurance automobile.
ISABELLE TOWNER
DOMINIQUE AUDET
19990308
Me André Laporte
Procureur de la requérante
Me Michel Queyrel
Procureur de l’intimée
/ab
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