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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 23 décembre 2003, monsieur Yvon Sauvageau (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 5 novembre 2003 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision[1], la Commission des lésions professionnelles rejette la contestation du travailleur et modifie la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 27 novembre 2001 à la suite d’une révision administrative. La Commission des lésions professionnelles déclare que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions de l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) et déclare que le désistement produit le 18 septembre 2000 demeure valide.
[3] L’audience s’est tenue à Val D’Or le 11 mai 2004 en présence du travailleur et de son procureur. La CSST est également représentée. Le tribunal a accordé un délai au procureur du travailleur pour déposer de la jurisprudence. Celle-ci a été reçue par la soussignée le 17 mai 2004, date à laquelle le dossier a été pris en délibéré.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande de réviser la décision rendue le 5 novembre 2003 et de déclarer que le revenu brut retenu aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu doit être augmenté conformément à l’article 76 de la loi.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête en révision du travailleur. L’interprétation du premier commissaire concernant l’article 76 de la loi est conforme à la jurisprudence et aucune erreur manifeste n’a été démontrée. Le travailleur n’a pas démontré de circonstances particulières tel que requis par cette disposition. Quant à la validité du désistement, il s’agit d’un motif secondaire qui ne change en rien le raisonnement du commissaire sur l’interprétation de l’article 76 de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 5 novembre 2003.
[7] Le pouvoir de révision et de révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Dans le présent dossier, le travailleur allègue que la décision est entachée d’un vice de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La notion de «vice de fond ... de nature à invalider la décision» a été interprétée comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation[3].
[9] Avant d’analyser les erreurs invoquées par le travailleur, rappelons brièvement les faits ayant donné lieu au présent litige. Le 19 mai 1956, le travailleur, alors bûcheron, a subi une lésion professionnelle impliquant son genou gauche.
[10] En novembre 1998, alors qu’il est sans emploi, le travailleur soumet une réclamation à la CSST alléguant qu’il a toujours ressenti une douleur au genou gauche et que depuis août 1998 la douleur est très forte. Il a consulté son médecin de famille le 21 septembre 1998 qui l’a dirigé en orthopédie. Le travailleur a finalement été opéré le 16 octobre 1998 pour une déchirure du ligament croisé antérieur et du ménisque interne.
[11] Le 28 avril 1999, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une rechute, récidive ou aggravation survenue le 21 septembre 1998. Le 25 mai 1999, le travailleur conteste le fait qu’il soit indemnisé sur la base du salaire minimum. Le 31 mai suivant, la CSST reconsidère sa décision d’admissibilité de la rechute, récidive ou aggravation du 21 septembre 1998 et la refuse.
[12] Le 27 septembre 2000, la Commission des lésions professionnelles[4] déclare que le travailleur a effectivement subi une rechute, récidive ou aggravation le 21 septembre 1998. Elle note que le travailleur a produit un désistement concernant la contestation de la base salariale annuelle.
[13] À la suite de cette décision, le représentant du travailleur demande à la CSST, le 22 novembre 2000, d’appliquer l’article 76 de la loi et de modifier à la hausse la base salariale retenue aux fins de l’indemnité de remplacement du revenu. Il fait valoir que le travailleur aurait pu être embauché par un employeur forestier (une entreprise opérée par le frère du travailleur) et dépose une lettre de cet employeur confirmant qu’en septembre 1998 son entreprise avait offert au travailleur un emploi d’opérateur de débusqueuse. L’article 76 prévoit ce qui suit :
76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
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1985, c. 6, a. 76.
[14] La CSST refuse la demande du travailleur au motif qu’il y a chose jugée sur cette question en raison du désistement antérieurement produit. C’est le litige dont était saisi le premier commissaire.
[15] Il conclut que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions de l’article 76 de la loi et s’en explique ainsi :
[22] L’article 76 de la loi vise à protéger la capacité de gains sur laquelle un travailleur peut compter au moment de la survenance de sa lésion professionnelle compte tenu d’un emploi plus rémunérateur qu’il aurait pu occuper et dont il a été privé en raison de circonstances particulières hors de son contrôle.
[23] C’est ainsi que se sont exprimées la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) et la Commission des lésions professionnelles lorsque saisies de la question de l’application des dispositions de l’article 76 de la loi2.
[24] Plus particulièrement, la Commission d’appel a déjà précisé que le législateur, en employant l’expression « circonstances particulières » plutôt que celle de « lésion professionnelle », a choisi de ne pas viser, par les dispositions de l’article 76 de la loi, la situation d’un travailleur privé d’un revenu plus rémunérateur à cause de son incapacité à exercer son emploi à la suite d’une lésion professionnelle3.
[25] À l’audience, le travailleur n’a pas élaboré sur le conflit juridique opposant la Compagnie Shell à sa compagnie. Faute de plus amples détails, la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir ce motif pour donner ouverture à l’application des dispositions de l’article 76 de la loi.
[26] Elle considère également que ses problèmes au genou gauche, qui constituent une lésion professionnelle par décision de notre tribunal rendue le 20 septembre 2000, ne peut constituer une circonstance particulière. En effet, la notion de lésion professionnelle est exclue de cette expression par la volonté même du législateur.
[27] Il n’a pas été démontré également de façon prépondérante que le travailleur pouvait occuper l’emploi plus rémunérateur offert. En effet, il n’a pas travaillé depuis 1997 à cause de son genou gauche. De plus, suite à la lésion professionnelle survenue le 21 septembre 1998, les limitations fonctionnelles suivantes ont été précisées par le docteur Tremblay, chirurgien-orthopédiste, le 30 janvier 2001 : activités sédentaires majoritairement, sans activer de pédale ou autre mécanisme avec le membre inférieur gauche, éviter la marche en terrains accidentés et de porter des objets de plus de 10 kilogrammes. Or, l’opération d’équipement forestier requiert d’appuyer sur des pédales et cette activité apparaît incompatible avec la lésion professionnelle reconnue pour le genou gauche et avec les limitations fonctionnelles afférentes.
[28] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions de l’article 76 de la loi. Elle retient également que le désistement produit devant la Commission des lésions professionnelles le 18 septembre 2000 vaut toujours même s’il n’a pas fait l’objet de discussion à l’audience tenue le 12 juin 2003.
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2 Létourneau et Automobile Transport inc., CLP, 126297-61-9911, 2001-02-26, G. Morin; Coffrages Thibodeau inc. et Beaudoin [1992] CALP 1565 ; Goyette et Elphège Goyette inc., CALP, 55725 - 05-9312, 1994-03-21, M. Lamarre; Ducharme et Henco inc., CALP, 48091-60-9212, L. MCCutcheon; Lalancette et Aimé Moreau (1986) enr. et CSST, CALP, 42085-02-9208, 1994‑10‑05, J.-M. Dubois; Richard et JBL Transport inc. et CSST, CALP, 74151-05-9510, 1997‑07-04, M. Cuddihy; Leclerc et Construction Yvan Fortin et CSST, CLP, 88449-03-9705, 1998-09-29, M. Carignan; Rivest et Voyages au Nordest inc. et CSST, CLP, 134493-63-0003, 2000-11-30, D. Beauregard
3 CALP, 67194-05-9503, 1996-01-30, S. Di Pasquale; Létourneau et Automobile Transport inc., CLP, 126297-61-9911, 2001-02-26, G. Morin
[16] Le travailleur reproche au premier commissaire une interprétation erronée des faits et lui reproche de ne pas avoir tenu compte de certains faits plus particulièrement les suivants :
-le travailleur était capable de travailler depuis juillet 1997;
-la preuve d’une offre d’emploi et de l’acceptation de cette offre par le travailleur en août 1998;
-les distinctions entre les différents types de machines (ébrancheuse, abatteuse, débusqueuse) et leurs exigences notamment le fait qu’une débusqueuse s’opère par des manettes manuelles et n’exige aucun effort des genoux;
-le contrat d’achat du 1er septembre 1998 par le frère du travailleur de deux machines de type transporteur (ou débusqueuse);
[17] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut faire droit aux prétentions du travailleur. Il appert clairement des extraits cités ci-haut que le premier commissaire refuse d’appliquer l’article 76 de la loi parce que le travailleur n’a pas démontré qu’il a été privé d’exercer un emploi plus rémunérateur en raison de circonstances particulières.
[18] L’article 76 se situe à la section de la loi portant sur le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu. La règle générale prévoit que le revenu retenu pour calculer l’indemnité de remplacement du revenu est le revenu prévu au contrat de travail (art. 67 de la loi). Certaines situations particulières sont prévues aux articles 68 à 75 de la loi. Puis l’article 76 permet de déterminer un revenu plus élevé lorsque deux conditions sont rencontrées soit :
- l’incapacité du travailleur à exercer son emploi pendant plus de deux ans à la suite d’une lésion professionnelle;
- la preuve qu’il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion n’eût été de circonstances particulières.
[19] Dans le présent dossier, il n’y a pas de débat sur la première condition. Restait à déterminer si le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur, en septembre 1998, «n’eut été de circonstances particulières». Or le premier commissaire a conclu que le travailleur n’a pas fait cette preuve.
[20] Le travailleur dépose la décision rendue dans Bériault et Transport Jean-Louis Allaire et fils inc.[5]. Il soumet qu’il s’agit d’une affaire similaire dans laquelle un travailleur a pu bénéficier de l’application de l’article 76. Cette décision est effectivement une belle illustration de l’application de cette disposition. Si les faits présentent une certaine similarité avec le présent dossier, la décision se distingue cependant par un élément fondamental, la preuve d’une des conditions d’application de l’article 76. La Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a fait la preuve qu’il aurait occupé un emploi plus rémunérateur que celui qu’il occupait au moment de sa lésion professionnelle n’eut été de circonstances particulières soit le bris de la machine qu’il devait opérer dans le cadre de son nouvel emploi. Elle résume ainsi la preuve à ce sujet :
[40] La Commission des lésions professionnelles retient aussi de la preuve que dans les quelques jours précédant le début de son emploi chez Transports Jean-Louis Allaire et Fils inc., le travailleur devait commencer un emploi pour la compagnie 90173873 Québec inc. La preuve non contredite démontre qu’un contrat de travail était intervenu verbalement entre le travailleur et monsieur Simon Villeneuve selon lequel monsieur Bériault travaillerait à plein temps comme opérateur de machinerie lourde à 18,00 $ de l’heure. Le logement, la nourriture et le véhicule devaient être fournis par cet employeur. Il était entendu que le travailleur devait rejoindre monsieur Villeneuve à Grand-Remous pour se rendre avec lui à Brochu dans la région de Sept-Îles où opérait son entreprise. La preuve non contredite démontre aussi que la machine, qui devait être opérée par le travailleur, a versé juste avant son départ pour Grand-Remous. Monsieur Villeneuve a rappelé le travailleur pour l’informer qu’il le rappellerait dès que la machine serait réparée et qu’il pourrait alors travailler à Sept-Îles.
[21] Le travailleur dépose après l'audience trois autres décisions dans lesquelles le tribunal a conclu à l'application de l'article 76. Or dans ces trois affaires une preuve est faite des circonstances particulières pour lesquelles le travailleur n'a pas pu occuper un emploi plus rémunérateur. Dans Rivest et Voyages Au Nordest inc.[6], la preuve démontre que n'eût été d'un manque de bois le travailleur aurait exercé un emploi d'ébrancheur plutôt que celui de conducteur de traîneau à chiens à l'occasion duquel il s'est blessé. Dans Richard et J.B.L. Transport inc.[7], le tribunal conclut que n'eût été d'une grève chez son employeur il aurait occupé un emploi de grutier, emploi plus rémunérateur que celui de journalier occupé au moment de sa lésion. Dans Les Coffrages Thibodeau inc. et Beaudoin[8], le travailleur occupait exceptionnellement l'emploi de journalier en raison d'un manque de travail comme calorifugeur.
[22] Dans le présent dossier, il y certes une preuve de l’offre d’un contrat de travail mais il n’y a pas, selon le premier commissaire, de preuve des circonstances particulières qui ont empêché le travailleur d’occuper cet emploi. Les éléments allégués par le travailleur dans sa requête, et résumés plus haut, concernent la preuve de l’offre d’un emploi plus rémunérateur mais le travailleur n’a pas démontré que le premier commissaire avait ignoré des éléments de preuve démontrant des circonstances particulières qui l’ont empêché d’exercer l’emploi en question. D’ailleurs lorsque l’on prend connaissance de la preuve faite, on ignore pour quelles raisons le travailleur, s’il avait accepté cet emploi, ne l’a pas exercé.
[23] Les seuls éléments de preuve à ce sujet semblent plutôt se rattacher à la condition du genou du travailleur notamment :
-dans le désistement que le travailleur signe le 18 septembre 2000, il écrit : «J’étais aussi en attente et prévu de travailler pour une compagnie forestière, mais mes problèmes de genou m’ont empêché de pouvoir commencer ce travail»;
-dans la lettre que son frère écrit le 21 novembre 2000 pour confirmer l’offre d’un emploi d’opérateur de débusqueuse en septembre 1998, il écrit : «Monsieur Sauvageau n’a pu accéder à ce poste à cause de ses problèmes de genoux»;
-au paragraphe 16 de sa décision, le premier commissaire après avoir rapporté l’offre d’emploi faite par le frère du travailleur résume ainsi la preuve : «Le travailleur doit refuser cet emploi qui existe encore et qui est occupé par un autre travailleur au jour de l’audience. Le motif du refus avancé par le travailleur est son problème au genou gauche.»
[24] Comme le souligne le premier commissaire, la jurisprudence considère que l’expression «circonstances particulières» à l'article 76 de la loi ne vise pas la situation où l’incapacité d’un travailleur privé d’un revenu plus rémunérateur découle de la lésion professionnelle elle-même. Le commissaire cite deux décisions à cet effet, d’autres[9] ont depuis repris la même interprétation. L’extrait suivant tiré de l'affaire Létourneau et Automobile Transport inc.[10] résume bien cette interprétation :
« […]
[31] Cette disposition vise en effet à protéger la capacité de gains sur laquelle un travailleur pouvait concrètement compter au moment même de la survenance de sa lésion professionnelle compte tenu d’un emploi plus rémunérateur qu’il aurait alors pu occuper et dont il a cependant été privé en raison de circonstances particulières hors de son contrôle. C’est en ce sens que s’est exprimée la Commission d’appel et, plus récemment, la Commission des lésions professionnelles dans les quelques décisions ayant trait à l’application de l’article 76 de la loi.
[32] En outre, dans l’affaire Gaétan Provost et Roll up Aliminium Cie et Commission de la santé et de la sécurité du travail-Estrie6, la Commission d’appel a précisé qu’en employant à l’article 76 de la loi l’expression « circonstances particulières » contrairement à celle de « lésion professionnelle », le législateur a manifestement choisi de ne pas viser la situation d’un travailleur privé d’un revenu plus rémunérateur en raison de son incapacité à exercer son emploi à la suite d’une lésion professionnelle.
[…] »
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6 C.A.L.P. 67194-05-9503, le 30 janvier 1996, Santina Di Paquale. »
[25] L’interprétation de l’article 76 faite par le premier commissaire s’appuie sur la jurisprudence et ne comporte pas d’erreurs manifestes et déterminantes. De plus, il est bien établi que le recours en révision ne permet pas au tribunal de substituer son appréciation de la preuve ou du droit à celle retenue par le premier commissaire. La Cour d'appel l'a rappelé récemment dans Amar c. Commission de la santé et de la sécurité du travail[11], décision d'ailleurs déposée par le procureur du travailleur. Dans ce jugement, la Cour d'appel a conclu que la formation en révision de la Commission des lésions professionnelles ne pouvait substituer son interprétation de l'article 80 de la loi visant l'indemnité de remplacement du revenu d'un étudiant à celle retenue par la première formation. La Cour d'appel y rappelle que l'interprétation d'un texte de loi ne conduit pas nécessairement à dégager une solution unique. C'est pourtant ce que le travailleur tente ici de faire en invitant la soussignée à revoir l'interprétation faite par le premier commissaire.
[26] Les deux parties ont débattu de la capacité du travailleur à exercer l’emploi offert par son frère en août ou septembre 1998. Le travailleur prétend qu’il était capable de l’exercer. Le procureur de la CSST a passé en revue différents éléments du dossier pour démontrer que le travailleur était incapable de l’exercer en raison même de la condition de son genou gauche. La Commission des lésions professionnelles n’a pas à répondre à cette question dans le cadre d’une requête en révision. D’une part, le premier commissaire a ajouté au paragraphe 27 de sa décision que le travailleur n’avait pas démontré de façon prépondérante qu’il pouvait occuper l’emploi qui lui avait été offert. Il s’agit là d’une question d’appréciation de la preuve. D’autre part, cela n’affecte en rien la conclusion principale du premier commissaire quant à l’absence de preuve d’une des conditions d’ouverture à l’article 76 de la loi soit celle sur les circonstances particulières l'ayant empêché d'occuper un emploi plus rémunérateur.
[27] Le travailleur invoque également que la référence à la lettre de désistement qu’il a signé le 18 septembre 2000 constitue une interprétation manifestement déraisonnable. Il soumet que le premier commissaire a donné une portée juridique à ce désistement qui est contraire au caractère d’ordre public de la loi (art. 4 de la loi). Il fait valoir que ce désistement visait à l’époque uniquement à limiter la compétence de la Commission des lésions professionnelles à une seule question soit la reconnaissance de la rechute, récidive ou aggravation de septembre 1998 et avait pour but de faire cesser ce qu’il qualifie de «harcèlement administratif» de la part de la CSST. Il prétend que la reconsidération de l’admissibilité effectuée par la CSST visait à «punir» le travailleur en raison de sa contestation sur la base salariale. Il dépose de nombreuses décisions sur la validité d'une entente ou d'un désistement et sur les possibilités et limites d'une renonciation à un droit dans le cadre d'une loi d'ordre public.
[28] Or contrairement à ce que plaide le procureur de l’employeur, l’effet du désistement de septembre 2000 n’est pas un des motifs principaux du premier commissaire. Ce dernier s’est d’abord prononcé sur l’interprétation et l’application de l’article 76 de la loi et il a conclu que le travailleur ne pouvait pas bénéficier de cette disposition.
[29] Puis il a seulement ajouté, au paragraphe 28 ci haut cité, que le désistement produit en septembre 2000 était toujours valide en soulignant, au surplus, que cela n’a pas fait l’objet de discussions à l’audience. Dans son dispositif, il déclare d’abord que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions de l’article 76 puis il «déclare que le désistement produit le 18 septembre 2000 demeure valide».
[30] Aucune preuve n’a été soumise pour faire invalider ce désistement, par exemple, un vice de consentement du travailleur ou une autre cause de nullité. Ce que le travailleur plaide principalement c’est la portée donnée par le commissaire à ce désistement.
[31] Le premier commissaire n’affirme à aucun moment que ce désistement empêche le travailleur de faire une demande en vertu de l’article 76 de la loi. Il ne reprend pas, non plus, l’argument de chose jugée invoqué par la CSST dans sa décision initiale.
[32] Il ne refuse pas de se saisir du recours. Au contraire, il procède à l’analyse de la demande en question et en dispose. D’ailleurs le procureur du travailleur a raison de prétendre que le désistement signé le 18 septembre 2000 ne peut empêcher une demande en vertu de l’article 76 puisque le délai de deux années d’incapacité n’était même pas écoulé. Le désistement visait uniquement la détermination du revenu brut sur la base du salaire minimum au moment de la lésion initiale.
[33] Aucun passage dans la décision attaquée ne permet de croire que le premier commissaire a donné une portée plus large au désistement en question. La soussignée ne constate aucune erreur manifeste et surtout déterminante à ce sujet.
[34] Finalement, au moment de sa réplique, le procureur du travailleur a voulu déposer copie d’un protocole opératoire d’une intervention chirurgicale que le travailleur a subi en janvier 2004. Le tribunal en a refusé la production. Le procureur du travailleur reconnaît qu’il ne s’agissait pas d’un fait nouveau au sens du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi puisqu’il s’agit d’un fait postérieur à la décision.
[35] Certes cette preuve peut être utile et pertinente dans le suivi du dossier du travailleur à la CSST possiblement pour une réclamation pour une nouvelle rechute, récidive ou aggravation ou dans le processus de réadaptation si cela a pu améliorer la condition du travailleur, comme le laisse sous-entendre son procureur. Cependant cette preuve (une intervention en janvier 2004) n’a aucune pertinence par rapport au présent litige soit l’application de l’article 76 et la question de savoir si le travailleur a démontré qu’il aurait pu, en septembre 1998, occuper un emploi plus rémunérateur. De plus, rappelons que le recours en révision ne permet pas à une partie de bonifier sa preuve.
[36] Le travailleur n’ayant pas démontré d’erreurs manifestes et déterminantes dans la décision du 5 novembre 2003, sa requête en révision est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par monsieur Yvon Sauvageau.
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Lucie Nadeau |
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Commissaire |
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Me Serge Woods |
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SERGE WOODS, AVOCAT |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Louis Cossette |
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PANNETON LESSARD |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] Cette décision rejette également la contestation du travailleur relativement à la reconnaissance d’une rechute, récidive ou aggravation du 23 avril 2001 pour des problèmes à la région lombaire (dossier 193659-08-0211). La présente requête ne vise pas ce litige.
[2] L.R.Q., c. A-3.001
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783
[4] C.L.P. 131612-08-0001, A. Suicco
[5] C.L.P. 144182-08-0008, 17 janvier 2002, M. Lamarre
[6] C.L.P. 134493-63-0003, 30 novembre 2000, D. Beauregard
[7] C.A.L.P. 74151-05-9510, 4 juillet 2000, M. Cuddihy
[8] [1992] C.A.L.P. 1565
[9] La CSST dépose les décisions suivantes : Racine et Les Couvreurs Confort 2000 enr., C.L.P. 153826-64-0101, 15 juin 2001, R. Daniel; Laroche et Les Entreprises Nortec inc.; C.L.P. 168349-03B-0109, 19 mars 2002, G. Marquis; Leblanc et J.G. Boudreau Grande-Rivière inc., C.L.P. 90251-01B-9708, 28 février 2003, H. Thériault.
[10] C.L.P. 126297-61-9911, 26 février 2001, G. Morin
[11] [2003] C.L.P. 606 (C.A.)
AVIS :
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