Décision

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Charland c. Hydro-Québec

2017 QCCS 2623

JD 2315

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-06-000522-108

 

 

 

DATE :

Le 8 juin 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

MONIQUE CHARLAND

et

CHANTAL MALTAIS

Demanderesse

c.

HYDRO-QUÉBEC

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

LE CONTEXTE

[1]           Les demanderesses ont Ă©tĂ© autorisĂ©es Ă  dĂ©poser une action collective contre Hydro-QuĂ©bec Ă  la suite de l’implantation par celle-ci d’un nouveau système informatique intitulĂ© système d’information clientèle (« SIC Â») pour sa clientèle rĂ©sidentielle Ă  compter du 1er janvier 2008.

[2]           Cette implantation a Ă©tĂ© autorisĂ©e par dĂ©cision finale de la RĂ©gie de l’énergie Ă  la suite des audiences publiques.

[3]           Selon le jugement d’autorisation, le groupe visĂ© par l’action collective est dĂ©crit comme suit[1] :

« Toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 16 septembre 2010 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, qui étaient et/ou sont clients de l'Intimée Hydro-Québec et qui ont eu et/ou continuent d'avoir des problèmes avec leur facturation attribuable de quelque manière que ce soit à la mise en place du nouveau système informatique de l'Intimée Hydro-Québec dont l'implantation a été complétée en 2008, soit en ayant été au moins une fois sous-facturées, surfacturées et/ou non facturées pendant leur période de facturation applicable.»

[4]           Le jugement d’autorisation identifie quatre principales questions Ă  ĂŞtre traitĂ©es collectivement soit[2] :

« 1-      Est-ce que l'intimĂ©e Hydro-QuĂ©bec a commis une faute eu Ă©gard aux Membres du Groupe qui ont eu des problèmes de facturation attribuables Ă  l'implantation du nouveau système informatique, en facturant pour une consommation d'Ă©lectricitĂ© infĂ©rieure Ă  la consommation rĂ©elle qui aurait dĂ» ĂŞtre facturĂ©e, en facturant une consommation d'Ă©lectricitĂ© supĂ©rieure Ă  la consommation rĂ©elle qui aurait dĂ» ĂŞtre facturĂ©e ou en ne facturant tout simplement pas certains Membres du Groupe?

2-         L'intimée Hydro-Québec a-t-elle commis une ou des fautes génératrices de responsabilités?

3-         Les agissements reprochés à l'intimée Hydro-Québec ont-ils causé des dommages aux Membres du Groupe?

4-         Est-ce que l'intimĂ©e Hydro-QuĂ©bec est responsable des dommages matĂ©riels et des pertes Ă©conomiques subis par les Membres du Groupe? Â»

[5]           Le 23 juillet 2015, les demanderesses interrogent Madame Danielle Lapointe, reprĂ©sentante d’Hydro-QuĂ©bec et plusieurs demandes de communication de renseignement ont fait l’objet d’objections.

[6]           La codemanderesse Maltais allègue avoir Ă©tĂ© sous facturĂ©e et n’avoir reçu aucune facture d’Hydro-QuĂ©bec pendant une pĂ©riode de neuf mois, soit d’octobre 2008 au mois de juin 2009.

[7]           La codemanderesse Charland allègue avoir Ă©tĂ© surfacturĂ©e par Hydro-QuĂ©bec Ă  au moins une occasion.

LE CADRE JURIDIQUE APPLICABLE

[8]           L’article 221 C.p.c. encadre comme suit le droit pour une partie de procĂ©der Ă  un interrogatoire prĂ©alable :

221.       L’interrogatoire prĂ©alable Ă  l’instruction, qu’il soit Ă©crit ou oral, peut porter sur tous les faits pertinents se rapportant au litige et aux Ă©lĂ©ments de preuve qui les soutiennent; il peut Ă©galement avoir pour objet la communication d’un document. Il ne peut ĂŞtre fait que s’il a Ă©tĂ© prĂ©vu dans le protocole de l’instance, notamment quant aux conditions, au nombre et Ă  la durĂ©e des interrogatoires.

[…]

[9]           Le lĂ©gislateur stipule Ă  l’article 228 al. 3 ce qui suit quant aux objections basĂ©es sur la pertinence :

228. […]

Les autres objections, notamment celles portant sur la pertinence, n’empêchent pas la poursuite de l’interrogatoire, le témoin étant tenu de répondre. Ces objections sont notées pour être décidées lors de l’instruction, à moins qu’elles ne puissent être entendues par le tribunal pour qu’il en décide sur-le-champ.

[10]        Il est prĂ©vu Ă  l’article 230 C.p.c. que le tribunal peut mettre un terme Ă  un interrogatoire abusif.

230.       Le tribunal peut, sur demande, mettre fin Ă  l’interrogatoire qu’il estime abusif ou inutile et peut, dès lors, statuer sur les frais de justice.

[11]        En 1993, la Cour d’appel statue en faveur d’une divulgation gĂ©nĂ©reuse de la preuve au stade de l’interrogatoire prĂ©alable et adopte une conception libĂ©rale de la notion de « pertinence Â» Ă  ce stade de l’instance. Voici les propos du juge Michel Proulx sur ce sujet[3] :


«             En rĂ©sumĂ© de tous ces arrĂŞts, j'estime que l'on peut en dĂ©gager les principes suivants:  

1.  qu'au stade de l'interrogatoire prĂ©alable, tant avant qu'après dĂ©fense, il y a lieu de favoriser la divulgation la plus complète de la preuve;

2. qu'Ă  ce stade, comme il s'agit d'une communication de la preuve, la preuve divulguĂ©e n'est ultimement produite au procès qu'au choix des parties;

3.  que le dĂ©fendeur doit satisfaire le tribunal non pas de la pertinence de la preuve, au sens traditionnel du mot pris dans le contexte d'un procès, mais que la communication de l'Ă©crit est utile, appropriĂ©e, susceptible de faire progresser le dĂ©bat, reposant sur un objectif acceptable qu'il cherche Ă  atteindre dans le dossier, que l'Ă©crit dont il recherche la communication se rapporte au litige;

4.  que cette communication ne peut constituer une «recherche Ă  l'aveuglette»;

5  que l'Ă©crit soit susceptible de constituer une preuve en soi. Â»

[12]        En 2014, la Cour suprĂŞme dans PĂ©trolière ImpĂ©riale[4] rappelle que les documents demandĂ©s doivent ĂŞtre pertinents au litige, se rapporter au litige, ĂŞtre utiles et ĂŞtre susceptibles de faire avancer le dĂ©bat et qu’une partie ne peut se livrer Ă  une recherche Ă  l’aveuglette :

« [30]    Ainsi, il est possible de s’opposer Ă  la communication si les documents faisant l’objet de la requĂŞte ne sont pas pertinents Ă  l’égard du litige (D. Ferland et B. Emery, PrĂ©cis de procĂ©dure civile du QuĂ©bec (4e Ă©d. 2003), vol. 1, p. 629). Quoique les tribunaux semblent plus prudents au moment d’évaluer la pertinence de documents de nature confidentielle, le concept de pertinence s’apprĂ©cie gĂ©nĂ©ralement de manière large au cours de la phase exploratoire de l’instance (Glegg, par. 23; Kruger Inc. c. Kruger, [1987] R.D.J. 11 (C.A.), p. 17; Industries GDS inc. c. Carbotech inc., 2005 QCCA 655 (CanLII); voir aussi Royer et LavallĂ©e, p. 490-491; S. Grammond, « La justice secrète : information confidentielle et procès civil Â» (1996), 56 R. du B. 437, p. 457-458). Pour ĂŞtre pertinent, le document demandĂ© doit se rapporter au litige, ĂŞtre utile et ĂŞtre susceptible de faire avancer le dĂ©bat (Glegg, par. 23; Arkwright, p. 2741; Chubb, p. 762; Westfalia Surge Canada Co.; AutoritĂ© des marchĂ©s financiers; FĂ©dĂ©ration des infirmières et infirmiers du QuĂ©bec).

[31]       Cette obligation de pertinence empĂŞche les parties de se livrer Ă  une « recherche Ă  l’aveuglette Â». Elle permet d’éviter que le bon dĂ©roulement de l’instance soit ralenti, compliquĂ© ou mĂŞme compromis par l’introduction d’élĂ©ments inutiles pour Ă©tablir l’existence des droits invoquĂ©s (voir Royer et LavallĂ©e, p. 487; Marseille, p. 1 et 21). En ce sens, la règle de la pertinence reprĂ©sente une règle d’équilibre procĂ©dural qui tend Ă  assurer l’efficacitĂ© du processus judiciaire, tout en facilitant la quĂŞte de la vĂ©ritĂ©. Â»

[13]        Le juge Granosik Ă©crit ce qui suit dans Distributions d’acier de MontrĂ©al[5] quant aux questions peu pertinentes ou abusives :

« [3]      Les procureurs des DĂ©fendeurs soutiennent qu’il y a lieu de contextualiser la notion de pertinence et qu’il n’y a pas lieu, malgrĂ© l’article 228(3) C.p.c. d’obliger les tĂ©moins Ă  rĂ©pondre aux questions dĂ©passant clairement le cadre du litige. Ils ont partiellement raison et la rĂ©ponse se trouve dans la question de la pertinence relative. Elle peut se justifier par l’article 230 C.p.c. qui indique :

230.  Le tribunal peut, sur demande, mettre fin à l'interrogatoire qu'il estime abusif ou inutile et peut, dès lors, statuer sur les frais de justice.

 [4]        En combinant ces deux dispositions, soit les articles 228 et 230 C.p.c., le Tribunal estime que si une question est tellement peu pertinente qu’elle en est abusive, elle ne doit pas ĂŞtre permise. Ă€ dĂ©faut, le tĂ©moin est tenu de rĂ©pondre et l’objection sera tranchĂ©e au mĂ©rite. Â»

[14]     Le juge Bernard Tremblay Ă©crit qu’il serait excessif et disproportionnĂ© de permettre la production de documents qui s’apparentent Ă  une pure expĂ©dition de pĂŞche ou une recherche Ă  l’aveuglette. Voici ses propos qui prennent appui sur un arrĂŞt de la Cour d’appel[6] :

« [21]    Ainsi, en plus de pĂ©cher par absence de pertinence, la demande des dĂ©fenderesses s’apparente Ă  une pure expĂ©dition de pĂŞche ou une recherche Ă  l’aveuglette, Ă  moins qu’elles ne souhaitent uniquement connaĂ®tre la quantitĂ© de ces demandes de transfert, ce qui ne l’avance guère, ou encore, qu’elles ne souhaitent y trouver prĂ©texte Ă  Ă©ventuellement interroger ces personnes sur les raisons Ă  l’origine de leurs demandes de transfert, ce qui serait alors excessif et disproportionnĂ©. Sur cet aspect, l’arrĂŞt rendu par la Cour d’appel dans l’affaire Eagle Globe Management Ltd conserve toute son actualitĂ©[7] :

[14]      La jurisprudence reconnaît le caractère exploratoire de l’interrogatoire préalable et préconise une interprétation large et généreuse des articles 397 et 398 C.p.c. Un bémol est ajouté : ces articles ne confèrent pas un droit absolu d’exiger la communication et d’obtenir tout document. En l'occurrence, le document doit être pertinent en vertu de la demande (397 C.p.c.) ou du litige (398 C.p.c.).

[15]      Les juges Rochette, Dutil et Giroux ont résumé les principes applicables développés par cette Cour dans Industries GDS inc. c. Carbotech inc., 2005 QCCA 655 :

[4]        Notre Cour, dans l’arrêt Westinghouse Canada inc. c. Arkwright Boston Manufacturers Mutual Insurance Co [ [1993] R.J.Q. 2735 ], établit, sous la plume du juge Proulx, les principes applicables :

En résumé de tous ces arrêts, j’estime que l’on peut en dégager les principes suivants :

1.         qu’au stade de l’interrogatoire préalable, tant avant qu’après défense, il y a lieu de favoriser la divulgation la plus complète de la preuve;

2.         qu’à ce stade, comme il s’agit d’une communication de la preuve, la preuve divulguée n’est ultimement produite au procès qu’au choix des parties;

3.         que le défendeur doit satisfaire le tribunal non pas de la pertinence de la preuve, au sens traditionnel du mot pris dans le contexte d’un procès, mais que la communication de l’écrit est utile, appropriée, susceptible de faire progresser le débat, reposant sur un objectif acceptable qu’il cherche à atteindre dans le dossier, que l’écrit dont il recherche la communication se rapporte au litige;

4.         que cette communication ne peut constituer une « recherche Ă  l'aveuglette Â»;

5.         que l’écrit soit susceptible de constituer une preuve en soi.

[…]

[16]      Le juge Baudouin, dans l’arrêt Blaikie c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [1990] R.D.J. 473 , 476-477 (C.A.).], résume bien la portée de l’article 398 C.p.c. :

Le principe général posé à l’article 398 C.P. est que tout écrit se rapportant au litige peut être produit, à la demande d’une des parties en l’instance, après la production de la défense. Comme notre Cour l’a fait remarquer dans l’arrêt Hôtel de la Grande Allée Inc. c. Canada Permanent Trust Company, ce texte doit recevoir une interprétation généreuse, puisque son but est de permettre une plus vaste divulgation de la preuve, avant le procès, aux fins de mieux circonscrire le débat et de permettre une meilleure recherche de la vérité. Toutefois, cet article ne saurait être interprété comme créant un droit absolu. Il ne permet pas ainsi à l’une des parties d’obtenir des informations non nécessaires ou impossibles à obtenir, ni d’exiger la production d’un écrit qui ne saurait de toute façon constituer une preuve pertinente, ni de forcer son adversaire à dévoiler ses moyens de preuve ou l’identité de témoins indépendants, encore moins de procéder, à l’aide d’allégations vagues et générales, à ce que l’on appelle communément une « recherche à l’aveuglette » dans les dossiers et documents de l’adversaire dans le seul but de bonifier sa cause, d’étayer ses prétentions ou de mettre la main sur une simple source de renseignements additionnels.

[16] Une demande de communication trop large peut justifier le maintien d’une objection. À cet effet, la Cour s’exprimait ainsi dans Commercial Union Assurance Co. of Canada c. Nacan Products Ltd., [1991] R.D.J. 399 (C.A.) :

Enfin, la façon extrêmement générale et globale dont est rédigée la liste des écrits dont on veut prendre connaissance me paraît indiquer clairement qu'il s'agit pour l'appelante d'aller à la pêche et de pratiquer une fouille exhaustive dans la documentation interne de l'intimée, .. pour le cas où elle pourrait y trouver matière à servir sa cause (Douglas Investments Ltd c. Hoult et al - (1963) B.R. 967 -.

[17] Le caractère inexécutoire de la demande trop vague est un autre facteur à considérer.

[18] En bref, mĂŞme si l’interrogatoire après dĂ©fense a une portĂ©e Ă©tendue, il doit se limiter aux faits du litige. Comme le souligne la Cour dans Champoux c. Les Placements Gestion Comptax Inc., 2010 QCCA 795 : « si la notion de pertinence Ă  ce stade des procĂ©dures est gĂ©nĂ©ralement interprĂ©tĂ©e largement, encore faut-il que les questions satisfassent l’objet de l’article 398 C.p.c. et fassent progresser le dĂ©bat. ». Le dĂ©faut de respecter ces règles ne peut que causer des interrogatoires hors cour inutilement longs et coĂ»teux pour les parties, allant parfois jusqu’à compromettre leur capacitĂ© d’avoir accès Ă  la justice. Â»

(Le Tribunal souligne) (Renvois omis)

[15]        Hydro-QuĂ©bec allègue la confidentialitĂ© de certains documents demandĂ©s.

[16]        Les demanderesses rĂ©fèrent au jugement rendu par le juge Christian J. Brossard dans Luxme International Ltd.[8] :

« [8]      L’article 228 C.p.c. est ainsi libellĂ© :

228.  […]

Si les objections soulevées pendant l’interrogatoire portent sur le fait que la personne interrogée ne peut être contrainte ou sur les droits fondamentaux ou encore sur une question soulevant un intérêt légitime important, cette personne peut alors s’abstenir de répondre. Ces objections doivent être présentées au tribunal dans les cinq jours pour qu’il en décide.

Les autres objections, notamment celles portant sur la pertinence, n’empêchent pas la poursuite de l’interrogatoire, le témoin étant tenu de répondre. Ces objections sont notées pour être décidées lors de l’instruction, à moins qu’elles ne puissent être entendues par le tribunal pour qu’il en décide sur-le-champ.

[…]

(Soulignement ajouté.)

[9]         Comme le souligne la ministre de la Justice dans ses commentaires sur cet article 228, le concept d’« intĂ©rĂŞt lĂ©gitime important Â» se trouve Ă©galement Ă  l’article 12 C.p.c. Celui-ci prĂ©voit les cas oĂą le huis clos ou la mise sous scellĂ© de documents peuvent ĂŞtre dĂ©crĂ©tĂ©s, par exception au principe de la publicitĂ© de la procĂ©dure judiciaire.

[10]       Dans leur ouvrage PrĂ©cis de procĂ©dure civile du QuĂ©bec, les auteurs Ferland et Émery donnent pour exemple d’un intĂ©rĂŞt lĂ©gitime important un secret de commerce ou industriel. Me Donald BĂ©chard fait de mĂŞme dans un texte qui commente l’article 228 C.p.c., tout en soulignant que les exceptions de son alinĂ©a 2 devraient ĂŞtre interprĂ©tĂ©es restrictivement. Le juge Pierre Ouellet de la Cour supĂ©rieure partage cet avis, dans Raymond Chabot inc. c. Madore. Il en va d’ailleurs ainsi lorsqu’il s’agit d’interprĂ©ter la notion d’intĂ©rĂŞt lĂ©gitime important dans le contexte de l’article 12 C.p.c.

[11]       À cette enseigne, Me Béchard relève que pourrait servir de référence, lorsqu’il est question notamment d’un risque commercial résultant de la divulgation d’une information, l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Sierra Club c. Canada (ministre des Finances) La ministre de la Justice y réfère également lorsqu’elle commente l’article 12 C.p.c..

[12]       Me SĂ©bastien Rochette commente Ă  son tour l’article 12 C.p.c.. Faisant Ă©cho Ă  la jurisprudence, il opine que l’intĂ©rĂŞt lĂ©gitime important doit « intĂ©resser le public en gĂ©nĂ©ral, par opposition Ă  l’intĂ©rĂŞt qui se rapporte uniquement et spĂ©cifiquement Ă  une partie et qui ne peut ĂŞtre dĂ©fini en termes d’intĂ©rĂŞt public Â»

[13]       Pour ce qui concerne le présent débat, il convient de citer l’extrait suivant de l’arrêt Sierra Club.

53        […]

Une ordonnance de confidentialitĂ© […] ne doit ĂŞtre rendue que si :

a)          elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b)          ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

54         Comme dans Mentuck, j’ajouterais que trois Ă©lĂ©ments importants sont subsumĂ©s sous le premier volet de l’analyse.  En premier lieu, le risque en cause doit ĂŞtre rĂ©el et important, en ce qu’il est bien Ă©tayĂ© par la preuve et menace gravement l’intĂ©rĂŞt commercial en question.

55         De plus, l’expression « intĂ©rĂŞt commercial important Â» exige une clarification.  Pour ĂŞtre qualifiĂ© d’« intĂ©rĂŞt commercial important Â», l’intĂ©rĂŞt en question ne doit pas se rapporter uniquement et spĂ©cifiquement Ă  la partie qui demande l’ordonnance de confidentialitĂ©; il doit s’agir d’un intĂ©rĂŞt qui peut se dĂ©finir en termes d’intĂ©rĂŞt public Ă  la confidentialitĂ©.  Par exemple, une entreprise privĂ©e ne pourrait simplement prĂ©tendre que l’existence d’un contrat donnĂ© ne devrait pas ĂŞtre divulguĂ©e parce que cela lui ferait perdre des occasions d’affaires, et que cela nuirait Ă  ses intĂ©rĂŞts commerciaux.  Si toutefois, comme en l’espèce, la divulgation de renseignements doit entraĂ®ner un manquement Ă  une entente de non-divulgation, on peut alors parler plus largement de l’intĂ©rĂŞt commercial gĂ©nĂ©ral dans la protection des renseignements confidentiels.  Simplement, si aucun principe gĂ©nĂ©ral n’entre en jeu, il ne peut y avoir d’«  intĂ©rĂŞt commercial important » pour les besoins de l’analyse. […]

(Soulignement ajouté.)

[14]       Dans Gesca ltĂ©e c. Groupe Polygone Éditeurs inc. (Malcom MĂ©dia inc.), la Cour d’appel rĂ©sume ainsi les enseignements de la Cour suprĂŞme lorsqu’il s’agit de la dĂ©monstration notamment d’un risque sĂ©rieux pour un intĂ©rĂŞt important, tel une information commerciale de grande valeur :

[94]  […]

- un risque rĂ©el et important Ă  l'intĂ©rĂŞt en question; en d'autres mots, la preuve doit dĂ©montrer l'existence d'une menace grave Ă  l'intĂ©rĂŞt en question;

- l’intĂ©rĂŞt que l'on veut protĂ©ger doit ĂŞtre important non seulement pour la partie qui demande l’ordonnance de confidentialitĂ©, mais aussi pour la sociĂ©tĂ©; en d'autres mots, il doit s’agir d’un intĂ©rĂŞt qui peut se dĂ©finir en termes d’intĂ©rĂŞt public Ă  la confidentialitĂ©;

- une absence d'autres options raisonnables, autres que l’ordonnance de confidentialitĂ©, pouvant protĂ©ger cet intĂ©rĂŞt, incluant l'obligation de restreindre l’ordonnance Ă  ce qui est nĂ©cessaire Ă  la prĂ©servation de cet intĂ©rĂŞt.

(Soulignement au texte.)

* *

[15]       Dans le cas présent, Luxme & Luxme ne font ni la preuve ni la démonstration, premièrement, qu’un intérêt commercial important au sens où le décrit la Cour suprême dans l’arrêt Sierra Club est en jeu et, deuxièmement, que la communication intégrale des bons de commande entraînerait un risque sérieux, réel et important, d’une menace grave à un tel intérêt commercial.

[16]       Qui plus est, la règle de confidentialité qui se rattache à une information communiquée dans le cadre d’un interrogatoire préalable, confirmée par la Cour suprême du Canada dans Lac d’amiante Québec c. 2858-0702 Québec inc., trouve ici application. Il en résulte que les défendeurs ne pourront faire usage des bons de commande ou de leur contenu, pour d’autres fins que la préparation de l’instruction en l’instance et la défense de leurs intérêts dans le cadre de celle-ci.

[17]       Cette interdiction vaut tant que les documents ne sont pas dĂ©posĂ©s en preuve au dossier, auquel cas ils feront partie du dossier public Ă  moins que le juge appelĂ© Ă  siĂ©ger sur le fond en permette la mise sous scellĂ©. Â»

[17]     Elles rĂ©fèrent Ă©galement Ă  l’arrĂŞt Southam inc. de la Cour d’appel quant Ă  la confidentialitĂ©[9] :

« [6]      La confidentialitĂ© du document n'est pas, Ă  ce stade-ci, un obstacle Ă  la communication de la convention de règlement. D'une part, l'engagement implicite de confidentialitĂ© confirmĂ© dans Lac d'Amiante QuĂ©bec Inc. c. 2858-0702 QuĂ©bec Inc 2001 CSC 51 (CanLII), [2001] 2 RCS 743, règle en partie la question. D'autre part, au delĂ  de cet engagement implicite de confidentialitĂ©, l'avocat des appelants s'engage Ă  aviser, en temps utile, les parties signataires de la convention de règlement, s'il prĂ©voit dĂ©poser l'interrogatoire ou produire la convention de règlement ou les renseignements fournis, de façon Ă  leur permettre de demander toute ordonnance jugĂ©e nĂ©cessaire pour prĂ©server leurs droits. La Cour prend acte de cet engagement. Â»

ANALYSE ET DÉCISION

[18]        Il y a lieu de dĂ©cider des objections traitant des mĂŞmes sujets :

A-   Premier bloc

Engagement E-1 :      Fournir l’appel d’offres par Hydro-QuĂ©bec ayant servi au choix du progiciel en question. (page 22).

Engagement E-2 :      Fournir l’offre de service ou de produits de SAP en rĂ©ponse Ă  l’appel d’offres d’Hydro-QuĂ©bec. (page 25)

[19]        Comme on l’a vu, le jugement d’autorisation a trait aux problèmes reliĂ©s Ă  l’implantation du SIC et non au choix du fournisseur qui remonte Ă  1999[10].

[20]        L’action collective n’en traite pas, ni des nĂ©gociations avec les fournisseurs et qui se terminent en 2002[11], ni du coĂ»t du projet.

[21]        Les documents ne sont donc pas au cĹ“ur du litige et cette demande s’apparente Ă  une expĂ©dition de pĂŞche.

[22]        On apprend de la pièce D-13 que 7 soumissions ont Ă©tĂ© reçues en 2001[12].

[23]        Les objections sont maintenues.

B-   Deuxième bloc

Engagements E-3      Fournir les communications écrites entre les responsables d’Hydro-Québec et de Cap Gemini en rapport avec l’implantation du module pour la clientèle résidentielle et commerciale. (page 31)

Engagement E-4        Vérifier s’il existe des rapports, des notes ou des dossiers tenus par les employés de Cap Gemini en place chez Hydro-Québec, ainsi que les employés d’Hydro-Québec chargés de travailler avec Cap Gemini. (page35)

Engagement E-6        Fournir les procès-verbaux, notes ou dossiers tenus par les gens d’Hydro-Québec en lien avec la période d’installation ou d’implantation du progiciel L3. (page 37)

Engagement E-9        Fournir les communications entre Hydro-Québec et SAP et/ou Cap Gemini relativement aux problèmes de fonctionnement du module L3, tant dans sa période d’implantation que postérieurement è son implantation. (page 41)

[24]        Lors d’une rencontre tenue le 25 avril 2016, les demanderesses ont consenti Ă  restreindre la demande d’engagement afin de ne viser que les informations ayant trait Ă  la sous-facturation, surfacturation, facturation erronĂ©e, factures bloquĂ©es et/ou factures non Ă©mises.

[25]        Il ne faut pas oublier que l’action collective a trait aux problèmes vĂ©cus par les membres Ă  la suite de l’implantation du SIC.

[26]        Le tribunal ne voit aucune utilitĂ© Ă  introduire ces documents qui ne se rapportent pas au litige et qui seraient susceptibles d’introduire des dĂ©bats secondaires.

[27]        Les objections sont maintenues.

[28]        Il s’agit d’une expĂ©dition de pĂŞche et d’une tentative de pratiquer inutilement une fouille exhaustive dans la documentation interne d’Hydro-QuĂ©bec.

[29]        Quant Ă  la confidentialitĂ© allĂ©guĂ©e par Hydro-QuĂ©bec, il est inutile d’en traiter puisque des ordonnances sont possibles selon la jurisprudence et vu le maintien des objections.

 

C    Troisième bloc

Engagement E-5   Fournir le nom des gens de SAP et de Cap Gemini qui étaient en poste chez Hydro-Québec durant la période postérieure à l’achat du progiciel. (page 36)

Engagement E-16     Fournir le nom du responsable chez Cap Gemini quant à l’implantation du module L3. (page 65)

Engagement E-17     Fournir le responsable chez SAP quant à la fourniture, les tests, ainsi que l’implantation du module L3. (page 65)

[30]        Il s’agit d’une demande raisonnable et qui cadre avec le litige.

[31]        Quant Ă  l’engagement E-5, la rĂ©ponse est limitĂ©e aux personnes que peut identifier Hydro-QuĂ©bec.

[32]        Les objections sont rejetĂ©es avec la rĂ©serve apportĂ©e quant Ă  l’engagement E-5.

D    Quatrième bloc

Engagement E-28      Fournir tous les rapports ou études internes concernant le problème d’accès aux représentants du service de la clientèle en 2008, 2009 et 2010. (page 108)

Engagement E-29     Fournir les statistiques sur le délai moyen de réponse dans les années 2008, 2009 et 2010. (page 111)

[33]        Hydro-QuĂ©bec fournira les documents.

E    Cinquième bloc

Engagement E-31     Fournir copie des 232 plaintes logĂ©es Ă  la RĂ©gie et mentionnĂ©es au paragraphe 159 de la dĂ©fense. (page 117) ─ 2009-2010

Engagement E-32     Fournir copie des plaintes logĂ©es Ă  la RĂ©gie en 2008. (page 118) ─ 2008

[34]        Hydro-QuĂ©bec consent Ă  fournir le rapport annuel 2005 de la RĂ©gie de l’énergie qui en traite.

[35]        Hydro-QuĂ©bec n’aura pas Ă  fournir copie de ces plaintes qui ont Ă©tĂ© transmises Ă  la RĂ©gie et non Ă  Hydro-QuĂ©bec.

 

 

F.   Sixième bloc

Engagement E-35     Identifier les clients mentionnés aux paragraphes 208 et 209 de la défense et fournir copie de leurs dossiers. (page 126)

Engagement E-38     Fournir les dossiers relatifs aux factures bloquées mentionnées au paragraphe 227 de la défense. (page 130)

[36]        Pour rĂ©pondre Ă  l’engagement E-35, Hydro-QuĂ©bec devrait analyser 1.3 millions de dossiers de clients et 4 millions de dossiers quant Ă  l’engagement E-38.

[37]        L’analyse du dossier Charland aurait pris 3 heures et celui de Maltais 5 h 30.

[38]        La division par catĂ©gorie sous-facturĂ©s, surfacturĂ©s ou factures bloquĂ©es n’existe pas dans le registre d’Hydro-QuĂ©bec.

[39]        Il lui faudrait consacrer un temps considĂ©rable pour traiter une telle demande, Ă  des coĂ»ts excessifs.

[40]        Le tribunal est d’avis que les allĂ©gations contenues aux paragraphes 208, 209 et 227 de la dĂ©fense sont suffisamment dĂ©taillĂ©es pour dĂ©battre de ces questions au mĂ©rite.

[41]        Enfin, les règles de proportionnalitĂ© militent en faveur du maintien de ces objections.

[42]        Les objections sont maintenues.

G.   Septième bloc

Engagement E-23     Fournir les dossiers des abonnés affectés par les problèmes de surestimation ou de sous-estimation pour les années 2008, 2009 et 2010. (page 96)

Engagement E-24     Fournir des dossiers pour chacune des plaintes reçues en 2008, 2009 et 2010. (page 98)

Engagement E-25     Fournir copie des plaintes écrites reçues en 2008, 2009 et 200 concernant des problèmes de sous-facturation, surfacturation, facturation erronée, factures bloquées e/ou factures non émises. (page 100)

Engagement E-26     Fournir les réponses données par Hydro-Québec aux plaintes écrites reçues en 2008, 2009 et 2010 concernant des problèmes de sous-facturation, facturation erronée, factures bloquées et/ou factures non émises. (page 100)

Engagement E-36     Fournir les factures imposant des frais d’administration et/ou d’intérêts aux clients en 2008, 2009 et 2010. (page 128)

[43]        Les demanderesses suggèrent de laisser ces demandes en suspens puisqu’il est possible qu’elles les retirent.

[44]        Hydro-QuĂ©bec s’y objecte.

[45]        Dans une saine administration de la justice, le tribunal est d’avis d’en disposer dès maintenant.

[46]        Le tribunal est d’avis que rĂ©pondre Ă  ces demandes serait excessivement onĂ©reux pour Hydro-QuĂ©bec puisqu’il faudrait mettre Ă  contribution plusieurs employĂ©s pendant une longue pĂ©riode.

[47]        Tel qu’indiquĂ©, il n’existe pas de sous-catĂ©gorie dans les dossiers d’Hydro-QuĂ©bec.

[48]        La production des documents demandĂ©s n’avancerait pas le dĂ©bat, lesquels ne sont pas au cĹ“ur du litige.

[49]        Enfin, il y a lieu de noter que les frais d’administration sont traitĂ©s par une autre action collective[13].

[50]        Les objections sont maintenues.

[51]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[52]        ACCUEILLE les objections quant aux engagements E-1, E-2, E-3, E-4, E-6, E-9, E-15, E-23, E-24, E-25, E-26, E-35, E-36 et E-38;

[53]        REJETTE les objections quant aux engagements E-5, E-16 et E-17 avec la rĂ©serve que la rĂ©ponse Ă  ĂŞtre donnĂ©e par Hydro-QuĂ©bec est limitĂ©e aux seules personnes qu’elle peut identifier.

[54]        PREND ACTE qu’Hydro-QuĂ©bec fournira les documents qu’elle dĂ©tient quant aux engagements E-28 et E-29.

[55]        ACCUEILLE en partie les objections quant aux engagements E-31 et E-32 et PREND ACTE de l’engagement d’Hydro-QuĂ©bec de fournir le rapport annuel de la RĂ©gie de l’énergie 2005, Ă  l’exclusion des plaintes.

 

 

[56]        LE TOUT, sans frais de justice, vue le rĂ©sultat mitigĂ©.

 

 

 

__________________________________

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

 

Me Guy Paquette

Me Jasmine Jolin

PAQUETTE GADLER INC

Me Serge Létourneau

LÉTOURNEAU GAGNÉ AVOCATS

Procureurs des demanderesses

 

Me Kim Nguyen

McCARTHY TÉTRAULT

Me Jean-Olivier Tremblay

Hydro-Québec CELLUCCI GANESAN FRASER

Procureurs d’Hydro-Québec.

 

 

Date d’audience :

Le 5 juin 2017

 

 



[1]     Jugement d’autorisation du 17 juillet 2012.

[2]     Id.

[3]     Westinghouse Canada c. Arkwright, 1993 CanLII 4242 (QC CA).

[4]     Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287.

[5]     Distribution d’acier de Montréal c. Tubes Olympia ltée, 2016 QCCS 1636.

[6]     Pharmacie Patrick Bélanger (de l’Ormière) inc. c. Pharmacie V. Lefebvre et A Mercier inc., 2017 QCCS 1378.

[7]     2010 QCCA 938.

[8]     Luxme International Ltd. c. Lasnier, 2016 QCCS6389, paragr. 8 à 17.

[9]     2003 CanLII 71970 (QC CA).

[10]    Pièces 19; D-14.

[11]    Pièce D-15.

[12]    Pièce D-17.

[13]    500-06-000461-091.

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