Décision

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Décision

Wang c. David

2021 QCTAL 7577

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

527181 31 20200629 F

No demande:

3011695

RN :

 

 

 

Date :

22 mars 2021

Devant la greffière spéciale :

Me Caroline Nault

 

Zhongwei Wang

Locateur - Partie demanderesse

c.

Marie-Christine David

Locataire - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

[1]      La locatrice a produit une demande de modification d’une condition du bail conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec.

[2]      La locatrice demande au Tribunal de statuer sur les modifications suivantes :

« Pour la sécurité des résidents de l’immeuble, nous avons besoin que les locataires fournissent un certificat d’enregistrement des animaux et les dossiers médicals. Si non, ils ne pourra pas être élevés dans le bâtiment.

Toutes Les informations suivantes doivent être fournies avant renouvele le bail : Pour vos deux pit-bull. Devez prouver que vos chiens sont stérilisés, micropuces et vaccinés contre la rage. » [sic]

Les faits

[3]      Les parties sont liées par un bail d’une période du 1er octobre 2019 au 30 septembre 2020 à un loyer mensuel de 640,00 $.

[4]      La locataire a accepté l’augmentation demandée de 15,00 $ et le montant du loyer de 655 $ par mois du 1er octobre 2020 au 30 septembre 2021 n’est pas en litige.

[5]      La locataire habite l’immeuble de 8 logements de la locatrice depuis le 1er octobre 2015.

[6]      Le bail dûment négocié entre les parties indique expressément que la locataire a le droit de garder deux chiens dans le logement.


[7]      Au moment de l’audience, la locataire ne possède qu’un seul chien provenant d’un croisement de races pitbull et boxer, appelé Folie.

Preuve de la locatrice

[8]      La locatrice désire ajouter la clause susmentionnée, pour assurer la sécurité de tous ses locataires et visiteurs de l’immeuble.

[9]      Elle mentionne avoir besoin de cette clause pour pouvoir forcer la locataire à lui remettre le dossier médical du chien et vérifier si la réglementation municipale relative aux animaux est respectée.

[10]   La locatrice explique que les gens refusent de louer ses logements dès qu’elle leur mentionne qu’une des locataires possède un pitbull. Elle voudrait pouvoir rassurer les futurs locataires que le chien de l’immeuble respecte la réglementation municipale.

[11]   Le Tribunal a entendu le témoigne de monsieur Wei Sun, gérant de l’immeuble.

[12]   Monsieur Sun réitère que l’ajout de cette clause au bail est important pour assurer le respect de la réglementation municipale par la locataire, à savoir que son chien possède une micropuce, est vacciné et stérilisé, ce qu’il ne peut faire présentement.

[13]   Il ajoute qu’il veut également éviter des poursuites à la propriétaire de l’immeuble pour avoir fait défaut de respecter les règlements de la ville.

[14]   Il explique que c’est lui qui fait l’entretien de l’immeuble et a constaté que le chien de la locataire était agressif.

Preuve de la locataire

[15]   La locataire refuse l’ajout de cette clause au bail qu’elle qualifie d’intrusion dans sa vie privée et celle de son animal.

[16]   Elle considère que le dossier médical de son chien Folie est confidentiel et refuse de le transmettre à la locatrice.

[17]   Elle allègue que la clause est une façon détournée d’obtenir qu’elle se départisse du chien.

[18]   La locataire témoigne à l’effet que Folie est comme son enfant et qu’elle préfère quitter le logement que de perdre son chien s’il n’y est plus autorisé.

[19]   Elle ajoute que Folie a un effet thérapeutique sur elle, qu’il l’aide à stabiliser son état.

[20]   Elle demande de refuser l’ajout de la clause au bail.

[21]   Le Tribunal a entendu le témoignage de Frédéric Forgues-Pelletier, colocataire de madame David depuis 7 ans.

[22]   Monsieur Forgues-Pelletier confirme les dires de la locataire.

[23]   Il explique que Folie procure une routine à celle-ci, qu’elle est beaucoup plus calme et son humeur est plus stable depuis qu’ils le possèdent.

[24]   Il ajoute que la clause vise à ce que la locataire se départisse du chien, ce que cette dernière ne pourrait supporter et qui l’amènerait à déménager. 

ANALYSE ET DÉCISION

[25]   En vertu de l’article 1942 du Code civil du Québec, le locateur peut modifier les conditions du bail lors de sa reconduction s’il donne un avis au locataire respectant les délais suivants :

« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de douze mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

[…] »


[26]   Lorsque le locataire refuse la modification proposée, le locateur peut, dans le mois de la réception du refus du locataire, s’adresser au Tribunal afin qu’il autorise ladite modification. À cet effet, l’article 1947 du Code civil du Québec prévoit :

« 1947Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au Tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »

[27]   Par ailleurs, les articles 1936, 1941 et 1952 du Code civil du Québec doivent guider le Tribunal dans son analyse d’une demande de modification d’une condition du bail. Ces articles se lisent comme suit :

« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »

« 1941. Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin.

Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède douze mois, pour une durée de douze mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d'un terme de reconduction différent. »

« 1952. Le Tribunal qui autorise la modification d'une condition du bail fixe le loyer exigible pour le logement, compte tenu de la valeur relative de la modification par rapport au loyer du logement. »

[28]   Le fardeau de la preuve incombe à la partie demanderesse de prouver ses prétentions selon la prépondérance des probabilités[1]. La locatrice doit donc démontrer, en établissant des éléments de faits et de droit, que sa demande de modification d’une condition du bail est bien fondée et qu’une telle modification ne porte pas atteinte au droit de la locataire au maintien dans les lieux.

[29]   Il appert de la preuve que le droit au maintien dans les lieux de la locataire ne serait pas compromis dans l’immédiat par l’ajout de la clause demandée. Ce n’est que si la locataire fait défaut de respecter la réglementation municipale concernant son animal et qu’elle doive se départir du chien qu’elle quitterait le logement.

[30]   Puisque le droit au maintien dans les lieux n’est pas en péril, le Tribunal doit-il pour autant accepter la modification du bail?

[31]   Le Tribunal ne le croit pas. Encore faut-il vérifier la validité de la clause demandée et déterminer si la preuve présentée par la locatrice est prépondérante pour justifier une modification du bail.

[32]   L’article 1901 du Code civil du Québec stipule :

« 1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.

Cette clause est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible. »

[33]   Le Tribunal en l’instance est d’avis que la clause de la locatrice obligeant la locataire à lui transmettre le dossier médical de son chien imposerait une obligation à la locataire qui, dans les circonstances, serait déraisonnable au sens de l’article 1901 du Code civil du Québec.

[34]   En effet, le dossier médical de l’animal est confidentiel et exiger sa communication à la locatrice est déraisonnable.

[35]   Le Tribunal estime que la locatrice n’a pas rempli son fardeau de preuve et, conséquemment, refuse la modification du bail demandée.

[36]   La jurisprudence du Tribunal a maintes fois statué que la demande de modification d’une condition du bail n’est pas le recours approprié lorsqu’il s’agit de sanctionner un locataire de ses manquements[2].


[37]   En effet, la locatrice a d’autres recours en vertu du Code civil du Québec si elle veut sanctionner le manquement, le comportement ou l’inexécution d’une obligation contractuelle par un locataire[3], ce qui inclut le non-respect de la réglementation municipale[4].

[38]   Ainsi, le Tribunal considère que le recours de la locatrice en modification du bail n’est pas le bon véhicule procédural pour faire respecter la réglementation municipale par la locataire.

[39]   CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[40]   CONSIDÉRANT que le Tribunal refuse la modification proposée par la locatrice concernant la communication du dossier médical de l’animal;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]   REFUSE la demande de modification du bail enjoignant la locataire à transmettre le dossier médical de son chien, cette clause étant déraisonnable;

[42]   Les autres conditions du bail demeurent inchangées;

[43]   La locatrice supporte les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Caroline Nault, greffière spéciale

 

Présence(s) :

la locatrice

la locataire

Date de l’audience :

23 décembre 2020

 

 

 


 



[1] Articles 2803, 2804 et 2805 du Code civil du Québec.

[2] Stanco c. Leblanc, 2012 QCRDL 33808; Fréchette c. Parent, R.L., 26-080401-066 F, le 12 mai 2019, g. s. C. Couture; Evans c. Lavoie, 2019 QCRDL 22264; Lattas c. Saba, 2020 QCTAL 5441; Leroux c. Leroux, 2020 QCRDL 313.

[3] Articles 1855, 1863 et 1912 du Code civil du Québec.

[4] Larocca c. Gentile, 2017 QCRDL 11056.

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