Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Chassé et Société des alcools du Québec

2014 QCCLP 1143

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

19 février 2014

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

523818-03B-1310

 

Dossier CSST :

141237321

 

Commissaire :

Ann Quigley, juge administrative

 

Membres :

Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs

 

Yves Racette, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Cinthia Chassé

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Société des alcools du Québec

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 4 octobre 2013, madame Cinthia Chassé (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 30 septembre 2013 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 15 août 2013 et déclare que le montant de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse doit être établi sur la base du revenu brut annuel assurable de 21 168,84 $.

[3]           La travailleuse est présente et représentée devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à Saint-Joseph-de-Beauce, le 28 janvier 2014. Pour sa part, Société des alcools du Québec (l’employeur) est absent, bien que dûment convoqué. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de retenir le revenu annuel assurable brut de 31 772,57 $ aux fins de la détermination de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle elle a droit en raison de la lésion professionnelle subie le 11 juillet 2013.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis.

[6]           Ils considèrent que la CSST devait considérer le salaire réellement gagné par la travailleuse au cours des douze mois précédant la lésion professionnelle, conformément à ce que prévoit l’article 67 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[7]           En s’appuyant sur la preuve de revenu produite par la travailleuse pour la période du 10 février au 20 juillet 2013, de même que sur son témoignage crédible et non contredit à l’audience, les membres retiennent que son revenu brut annuel assurable devant être considéré dans la détermination du montant de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle elle avait droit, à la suite de la lésion professionnelle du 11 juillet 2013, était de 16 423,36 $ plutôt que celui de 14 927,31 $ proposé par l’employeur. Cependant, puisqu’il est inférieur au minimum annuel assurable pour l’année en cause, les membres concluent, tout comme la CSST, que le revenu brut annuel assurable doit être de 21 168,84 $, soit celui correspondant à ce minimum.

[8]           Les membres ne partagent pas la position défendue par le représentant de la travailleuse selon laquelle il faut prendre l’échantillonnage du revenu versé entre le 10 février et le 20 juillet 2013 et l’annualiser pour en venir à un revenu brut annuel assurable de 31 772,57 $. Ils sont d’opinion que la travailleuse ne peut s’appuyer sur l’article 75 de la loi pour en venir à cette conclusion. Cet article ne s’applique pas en l’espèce, puisqu’elle n’a pas démontré la « nature particulière de son travail » pouvant justifier une exception au principe général de détermination du revenu brut annuel assurable.

[9]           Par conséquent, les membres sont d’avis de rejeter la requête déposée par la travailleuse le 4 octobre 2013 et de confirmer la décision rendue par la CSST le 30 septembre 2013 à la suite d’une révision administrative.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer le revenu brut annuel assurable devant servir de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle la travailleuse a droit à la suite de la lésion professionnelle subie le 11 juillet 2013.

[11]        Pour ce faire, le tribunal croit utile, dans un premier temps, de référer aux dispositions législatives applicables.

[12]        Ainsi, l’article 44 de la loi prévoit le droit de tout travailleur victime d’une lésion professionnelle au versement d’une indemnité de remplacement du revenu.

[13]        Pour sa part, l’article 45 de la loi indique que cette indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.

[14]        Plus précisément, le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu est prévu aux articles 63 et suivants de la loi. Cet article se lit comme suit :

63.  Le revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi est égal à son revenu brut annuel d’emploi moins le montant des déductions pondérées par tranches de revenus que la Commission détermine en fonction de la situation familiale du travailleur pour tenir compte de :

 

1° l’impôt sur le revenu payable en vertu de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) et de la Loi de l’impôt sur le revenu (Lois révisées du Canada (1985), chapitre 1, 5 e supplément);

 

2° la cotisation ouvrière payable en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23); et

 

3° la cotisation payable par le travailleur en vertu de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9);

 

4° la cotisation payable par le travailleur en vertu de la Loi sur l’assurance parentale (chapitre A-29.011).

 

La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des indemnités de remplacement du revenu, qui prend effet le 1er janvier de l’année pour laquelle elle est faite.

 

Cette table indique des revenus bruts par tranches de 100 $, des situations familiales et les indemnités de remplacement du revenu correspondantes.

 

Lorsque le revenu brut d’un travailleur se situe entre deux tranches de revenus, son indemnité de remplacement du revenu est déterminée en fonction de la tranche supérieure.

__________

1985, c. 6, a. 63; 1993, c. 15, a. 88; 1997, c. 85, a. 3; 2001, c. 9, a. 124.

 

[notre soulignement]

 

 

[15]        L’article 65 de la loi prévoit que ce revenu brut annuel d’emploi ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur, lorsque se manifeste la lésion professionnelle. Cet article se lit comme suit :

65.  Aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu, le revenu brut annuel d’emploi ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur lorsque se manifeste la lésion professionnelle ni supérieur au maximum annuel assurable en vigueur à ce moment.

__________

1985, c. 6, a. 65.

 

 

[16]        Quant à l’article 67 de loi, il détermine plus précisément comment est établi le revenu brut servant à la détermination de l’indemnité de remplacement du revenu :

67.  Le revenu brut d’un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l’un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I - 3), sur la base de l’ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu’il a tiré un revenu brut plus élevé de l’emploi pour l’employeur au service duquel il se trouvait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d’emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.

 

Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n’est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l’utilisation à des fins personnelles d’une automobile ou d’un logement fournis par l’employeur lorsqu’il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l’assurance parentale (chapitre A-29.011) ou de la Loi sur l’assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).

__________

1985, c. 6, a. 67; 1997, c. 85, a. 4; 2001, c. 9, a. 125.

 

[nos soulignements]

 

 

[17]        L’article 68 de la loi prévoit la situation particulière du travailleur saisonnier ou sur appel, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[18]        Pour sa part, l’article 69 de la loi couvre la situation où un travailleur n’est pas à l’emploi au moment où se manifeste la lésion professionnelle, et l’article 70 vise la situation d’un travailleur victime d’une récidive, rechute ou aggravation.

[19]        L’article 71 de la loi vise le travailleur qui occupe plus d’un emploi, et l’article 72 s’applique au travailleur autonome.

[20]        Quant à l’article 75 de la loi sur lequel le représentant de la travailleuse s’appuie, le tribunal croit utile de le reproduire en entier. Cet article se lit comme suit :

75.  Le revenu brut d’un travailleur peut être déterminé d’une manière autre que celle que prévoient les articles 67 à 74, si cela peut être plus équitable en raison de la nature particulière du travail de ce travailleur.

 

Cependant, le revenu brut ainsi déterminé ne peut servir de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu s’il est inférieur à celui qui résulte de l’application de ces articles.

__________

1985, c. 6, a. 75.

 

[notre soulignement]

 

 

[21]        Qu’en est-il en espèce?

[22]        En vue de se prononcer à l’égard du revenu brut annuel assurable devant être retenu dans le présent dossier, le tribunal croit utile de résumer les faits les plus pertinents du dossier.

[23]        La travailleuse occupe un emploi de commis-vendeuse chez l’employeur au moment où elle subit une lésion professionnelle le 11 juillet 2013. Elle témoigne à l’audience et fournit les renseignements suivants au tribunal.

[24]        Elle est embauchée chez l’employeur à titre de commis-vendeuse à compter du 10 octobre 2010. À ce poste, elle doit assurer le service à la clientèle et aux caisses, effectuer l’entreposage de matériel et le déchargement des livraisons.

[25]        Lors de son embauche, la travailleuse précise qu’elle a le statut d’employée à temps partiel à l’essai, et ce, du 10 octobre 2010 au 24 juin 2011. À cette dernière date, elle exerce un retrait préventif de la travailleuse enceinte que lui confère l’article 40 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail[2] (la LSST).

[26]        La travailleuse précise que son statut d’employée à temps partiel à l’essai devait faire place à celui d’employée à temps partiel régulier après qu’elle ait accumulé 300 heures de travail.

[27]        Or, au moment où elle a exercé son droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte, elle cumulait 227 heures. Ainsi, à son retour au travail à la suite de son accouchement et de son congé de maternité, soit le 2 septembre 2012, la travailleuse détenait toujours le statut d’employée à temps partiel à l’essai.

[28]         Entre le 2 septembre 2012, date de son retour au travail, et le 26 décembre 2012, elle a complété les 73 heures manquantes pour obtenir le statut d’employée à temps partiel régulier, conformément à ce que prévoit l’article 7.01 e) et f) de la convention collective entre le Syndicat des employés de magasin et de bureau de la Société des alcools du Québec (CSN) et la Société des alcools du Québec[3].

[29]        Ainsi, à compter du 26 décembre 2012, la travailleuse est admissible au nouveau statut d’employée à temps partiel régulier. Cependant, elle mentionne que le gestionnaire responsable de son dossier a tardé à confirmer ce statut, ce qui n’a été fait que le 8 février 2013.

[30]        Interrogée sur l’impact de ce changement de statut, la travailleuse a précisé qu’il ne modifiait pas le taux horaire établi à 21,76 $, mais lui donnait droit à un horaire régulier et au respect de la date de son embauche pour le rappel au travail. Concrètement, à compter du 8 février 2013, la travailleuse a effectué plus d’heures de travail par semaine.

[31]        Afin d’appuyer ses dires, la travailleuse a déposé ses bulletins de paie pour la période du 10 février au 20 juillet 2013. Une compilation de ceux-ci permet d’en arriver à une moyenne de 28,08 heures travaillées par semaine au cours de cette période.

[32]        La travailleuse indique qu’entre le 26 décembre 2012 et le 8 février 2013, elle n’a travaillé en moyenne que dix heures par semaine, alors qu’elle aurait pu faire beaucoup plus si son statut avait été régularisé dès le 26 décembre 2012 puisqu’il s’agissait d’une période de pointe, soit celle des Fêtes.

[33]        Interrogée en ce sens, la travailleuse signale qu’elle n’a effectué aucune démarche particulière pour la régularisation de son statut avant le 8 février 2013. Elle mentionne qu’elle ne connaissait pas réellement la façon de faire et n’a pas cru utile de s’informer en ce sens.

[34]        Il appert du dossier et, plus particulièrement, des notes évolutives rédigées par la CSST qu’au moment de la détermination du revenu brut annuel assurable, l’agent d’indemnisation responsable du dossier de la travailleuse est entré en communication avec monsieur Jean-François Ducharme, représentant de l’employeur. Ce dernier l’aurait alors informé que la travailleuse faisait en moyenne 13,14 heures par semaine et était payée à un taux horaire de 21,76 $, ce qui, selon les calculs effectués par l’agent d’indemnisation, correspondait à un salaire annuel de 14 908,20 $. Monsieur Ducharme aurait précisé à l’agent, et l’a inscrit sur le formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement », que le salaire annuel brut gagné au cours des douze derniers mois était de 14 927,31 $. Interrogée à ce propos, la travailleuse comprend mal comment l’employeur a pu en venir à cette somme puisqu’au cours de la seule période de février à juillet 2013, elle aurait gagné 13 442,24 $.

[35]        De plus, n’eût été son retrait préventif et son congé de maternité du 24 juin 2011 au 2 septembre 2012, la travailleuse aurait obtenu le statut d’employée à temps partiel régulier bien avant la survenance de la lésion professionnelle et aurait, dans les faits, pu effectuer beaucoup plus d’heures par semaine, ce qui aurait garanti un salaire plus élevé annuellement.

[36]        Le représentant de la travailleuse soutient, qu’en l’espèce, ce n’est pas l’article 67 de la loi qui doit guider le tribunal dans la détermination du revenu brut annuel assurable, mais plutôt l’article 75 de la loi qui lui apparaît beaucoup plus équitable étant donné la situation particulière de la travailleuse.

[37]         À son avis, n’eût été l’exercice du droit de retrait préventif de la travailleuse enceinte, elle aurait obtenu son statut d’employée à temps partiel régulier dès 2011 ou au début de 2012 et aurait travaillé plus d’heures par semaine. Il soutient que l’échantillonnage s’échelonnant de la période du 10 février au 20 juillet 2013 est représentatif du nombre d’heures moyen que la travailleuse aurait effectuées par semaine en raison de ce statut, soit autour de 28,08 heures. Sur cette base, il prétend que la CSST aurait dû considérer un revenu brut annuel assurable de 31 772,57 $ (basé sur une moyenne de 28,08 heures de travail par semaine qu’il annualise) pour établir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu auquel la travailleuse avait droit. Il rappelle que la détermination du revenu brut annuel assurable doit être faite dans un souci d’équité et ne pas défavoriser la travailleuse accidentée.

[38]        D’entrée de jeu, le tribunal ne remet pas en cause le témoignage crédible et transparent de la travailleuse. Il en retient que de septembre à décembre 2012, elle a cumulé 73 heures de travail, ce qui correspond à un revenu brut de 1 588,98 $. Puis, du 26 décembre 2012 au 8 février 2013, soit une période d’environ six semaines et deux jours, la travailleuse aurait travaillé environ dix heures par semaine, à un taux horaire de 21,76 $, ce qui correspond à un salaire brut de 1 392,64 $. Finalement, du 10 février au 20 juillet 2013, les bulletins de paie démontrent que la travailleuse a effectué 611 heures à un taux horaire de 21,76 $, ce qui correspond à un revenu brut de 13 442,24 $.

[39]        Ainsi, la preuve révèle que le salaire brut annuel gagné au cours des douze mois précédant la lésion professionnelle est de 16 423,36 $ et non pas de 14 927,31 $ comme le prétendait l’employeur. Il est vrai qu’il s’agit du montant que l’employeur a déclaré dans le formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement ». Cependant, le tribunal ne dispose d’aucune preuve documentaire permettant de confirmer cette somme. L’employeur, étant absent à l’audience, n’a pu fournir aucun détail additionnel à cette fin.

[40]         Dans ces circonstances, le tribunal accorde une valeur probante au témoignage de la travailleuse et retient plutôt le revenu brut annuel assurable de 16 423,36 $.

[41]        Ceci étant dit, avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal ne partage pas la position mise de l’avant par le représentant de la travailleuse pour les motifs ci-après exposés.

[42]        D’entrée de jeu, le tribunal constate que la détermination du revenu brut annuel assurable doit s’établir selon les modalités prévues aux articles 67 et suivants de la loi.

[43]         Le principe général est prévu à l’article 67 de la loi auquel il est fait référence plus haut. Cet article stipule que le revenu brut d’un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail.

[44]        En l’espèce, la travailleuse occupe, depuis son entrée en fonction chez l’employeur en octobre 2010, un emploi de commis-vendeuse à temps partiel. Le tribunal comprend cependant qu’au départ cet emploi en était un à l’essai pour les trois cents premières heures de travail, mais est devenu régulier après que la travailleuse les ait accumulées. Cependant, le taux horaire n’a pas changé, ce n’est que le nombre d’heures que la travailleuse effectue qui, selon les documents déposés au tribunal, semble avoir augmenté à compter de la reconnaissance du statut d’employée à temps partiel régulier, soit à partir du 8 février 2013.

[45]        Ainsi, le contrat de travail en était un d’employée à temps partiel. Dans la détermination du revenu brut annuel assurable, conformément au principe prévu à l’article 67 de la loi, la CSST devait donc, dans un premier temps, déterminer le revenu brut de la travailleuse sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail au moment de la survenance de la lésion professionnelle. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait en se fiant aux données fournies par l’employeur.

[46]        Cependant, la travailleuse pouvait tenter d’établir un revenu brut plus élevé pendant les douze mois précédant le début de son incapacité. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait en démontrant, à l’aide d’une preuve prépondérante, qu’elle a tiré un revenu brut de 16 423,36 $ et non de 14 927,31 $ comme le prétendait l’employeur.

[47]        Cependant, le tribunal ne peut retenir l’argument du représentant de la travailleuse selon lequel la CSST devait considérer un salaire de 31 772,57 $ plutôt que celui de 16 423,36 $ réellement gagné au cours de cette période en raison de la nature particulière du travail de la travailleuse.

[48]        En effet, le tribunal ne voit pas, dans la description donnée par la travailleuse et la preuve documentaire au dossier, de particularités du travail lui permettant de bénéficier de l’application de l’article 75 de la loi.

[49]        Pour en venir à cette conclusion, le tribunal s’appuie notamment sur deux décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles ayant statué en ce sens, soit les affaires Lauzon et Tuyaux Wolverine Canada inc.[4] et Després et Services Sani Pro[5]. Bien que les faits de ces deux dossiers soient quelque peu différents de la présence situation, il n’en demeure pas moins que l’interprétation de la portée de l’article 75 de la loi rallie le tribunal.

[50]        Dans l’affaire Després et Services Sani Pro précitée, il s’agissait d’un travailleur occupant un emploi saisonnier. Le tribunal rappelait que l’article 68 de la loi prévoyait spécifiquement la méthode de calcul dans un tel cas, puis donnait les motifs lui permettant d’affirmer que l’article 75 ne trouvait pas application. Le tribunal s’exprimait ainsi sur cette question :

[41]      Le tribunal est d’avis que la décision de la CSST est bien fondée. Il est également d’avis qu’il n’y a pas lieu en l’instance d’appliquer l’article 75 de la loi.

 

[42]      En effet, il est d’avis que le travailleur n’a pas établi en quoi une autre méthode de calcul que celle prévue par l’article 68 de la loi serait plus équitable en raison de la nature particulière de son travail. Bien sûr, la méthode qu’il propose est plus avantageuse pour lui, mais il n’a pas démontré au tribunal en quoi il y a lieu de l’appliquer en raison de la nature particulière du travail de monsieur Després.

 

[43]      À cet égard, le tribunal ne voit pas en quoi le fait que le travailleur aurait travaillé dans un second emploi saisonnier, successivement au premier emploi saisonnier, fait en sorte d’établir une nature particulière au travail exercé par le travailleur, si ce n’est que de confirmer qu’il est bel et bien un travailleur saisonnier dont le législateur a spécifiquement prévu la situation à l’article 68 de la loi.

 

[44]      Par ailleurs, le tribunal est d’avis qu’appliquer l’article 75 au cas de monsieur Després au seul motif qu’il est un travailleur saisonnier, reviendrait à stériliser l’article 68 de la loi de toute utilité.

 

[45]      Ce que la représentante du travailleur demande au tribunal est dans les faits d’annualiser le salaire hebdomadaire saisonnier de monsieur Després en tenant compte d’un revenu futur. Or, la loi vise à compenser la perte de revenus d’une manière réaliste2 et à faire en sorte que l’indemnité de remplacement du revenu soit la plus représentative de la réalité financière vécue3 par le travailleur. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles ont déjà par ailleurs décidé qu’on ne peut annualiser un salaire hebdomadaire d’un travailleur saisonnier puisqu’il en résulterait une indemnisation hors de proportion avec le revenu que le travailleur aurait normalement gagné4.

 

[46]      Quant à la jurisprudence soumise, le tribunal constate qu’il s’agit de décisions appliquant l’article 75 de la loi dans le cas où le tribunal devait déterminer le revenu brut d’emploi de travailleurs occupant plus d’un emploi en vertu de l’article 715, et non pas de cas où le travailleur exerçait un emploi saisonnier ou sur appel. Par ailleurs, dans le cas de l’affaire Hébert6, il s’agissait d’une travailleuse à contrat de travail à durée déterminée et non pas d’un travail saisonnier ou sur appel.

__________________

2           Rénald Héroux c. Groupe Forage Major, AZ-50099177, J.E. 2001-1677, D.T.E. 2001T-866,

C.L.P.E. 2001LP-60, 2001 CLP 317, 15 août 2001, Honorables juges Rousseau-Houle, Marie Deschamps et André Biron, J.C.A., requête pour autorisation de pourvoi en cour Suprême rejetée.

3                 Marco Chiquette et Ministère des Ressources naturelles-Fonds forestier et CSST, 228671-02-0403, 24 novembre 2004, R. Deraîche.

4                 Charbonneau et Ministère des Forêts, 52708-04-9307, 95-04-03, R. Ouellet; Lapointe et Industries James McLaren inc., 1996 CALP 162; Gauthier et Caron, Bélanger ass. syndic, 38201-64-9203, 96-02-19, J.-M. Duranceau; Transport Desgagnés inc. et Fournier, 1997 CALP 877; Fiorino et Paysagiste A. et G. Porco, 122365-71-9908, 00-12-15, Anne Vaillancourt; C.S. Brooke Canada inc. et Luissier, 2004 CLP 267.

5                 Daniel Plouffe et Ville de Mascouche, 201260-63-0303, 22 avril 2004, F. Dion-Drapeau; Allyson Rusk et Bar St-Josef et Graffdesing, 189692-31-0208, 2 avril 2003, P. Simard; Pierre Laflèche et Multi-Pression LC inc., 190019-62-0208, 25 mars 2003, É. Ouellet; Claude Blain (succession) et Good Humor-Breyers, 173441-63-0111, 18 mars 2003, D. Besse.

6                 Louise Dupont-Hébert et 9051-1452 et CSST, 225514-62-0401, 30 juillet 2004, É. Ouellet.

 

[nos soulignements]

 

 

[51]        En l’espèce, le représentant de la travailleuse soutient que cette dernière aurait dû bénéficier d’un revenu annuel brut assurable plus élevé en raison de l’exercice de son droit de refus prévu à l’article 40 de la LSST.

[52]        Avec respect pour l’opinion contraire, le représentant de la travailleuse semble confondre la « situation particulière » de la travailleuse en raison de l’exercice d’un droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte avec la notion de « nature particulière du travail » prévue à l’article 75 de la loi qui vise une toute autre réalité et constitue une exception au principe établi à l’article 67 de la loi eu égard à la détermination du revenu brut annuel assurable.

[53]        Au surplus, même dans l’optique où le tribunal avait retenu l’argument de l’employeur selon lequel l’article 75 de la loi trouvait application, le dossier révèle que la travailleuse n’a fait aucune démarche en vue de se faire reconnaître un statut d’employée à temps partiel régulier dès son retour au travail le 2 septembre 2012.

[54]        Dans ces circonstances, le tribunal voit mal comment il pourrait pallier cette « omission » de la part de la travailleuse et créer, de manière fictive, un revenu qu’elle n’a pas gagné en application des dispositions de la convention collective la régissant.

[55]        Le tribunal est plutôt d’opinion que la CSST devait tenter de déterminer de la façon la plus réaliste possible la situation financière de la travailleuse au moment de la lésion professionnelle. En établissant le revenu brut annuel assurable à 16 423,36 $ plutôt qu’à 14 927,31 $, le tribunal est d’opinion qu’il satisfait à cet objectif.

[56]        Cependant, le revenu brut annuel de 16 423,36 $ pour l’année 2013 était inférieur au salaire minimum annuel assurable de 21 168,84 $.

[57]        Par conséquent, l’indemnité de remplacement du revenu doit être déterminée sur la base du revenu annuel brut assurable de 21 168,84 $, celui-là même que la CSST a considéré, comme il appert du dossier et, plus particulièrement, de la décision rendue le 15 août 2013 se prononçant en ce sens.

[58]        Vu ce qui précède, le tribunal ne peut faire droit aux prétentions de la travailleuse.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête déposée par madame Cinthia Chassé, la travailleuse, le 4 octobre 2013;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 septembre 2013 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le montant de l’indemnité de remplacement du revenu auquel a droit la travailleuse à la suite de la lésion professionnelle subie le 11 juillet 2013 doit être établi sur la base du revenu brut annuel assurable de 21 168,84 $.

 

 

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Ann Quigley

 

 

 

 

 

 

 

 

 

M. Mario Précourt

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean-Guy Durand

GARON DURAND ANGERS

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           L.R.Q., c. S-2.1.

[3]           Période de la convention collective du 17 février 2010 au 31 mars 2017.

[4]           C.L.P. 202439-63-0303, 21 avril 2004, D. Beauregard.

[5]           C.L.P. 230988-63-0402, 21 janvier 2005, F. Mercure.

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