Décision

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COUR DU QUÉBEC

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ROUYN-NORANDA

LOCALITÉ DE

ROUYN-NORANDA

« Chambre de la jeunesse »

DATE :

15 septembre 2005

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MADAME LA JUGE DENYSE LEDUC, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

 

AU SUJET DE :

 

 

N° :

600-41-000266-032

X

2000-[…]-[...]

 

 

 

 

 

[INTERVENANTE 1], personne exerçant sa profession au Centre jeunesse A  ayant une place d'affaires au […], A, district de Rouyn-Noranda

Partie déclarante

 

Et

 

A, domiciliée et résidant au […], B, district de Rouyn-Noranda

Mère

 

Et

 

LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE ayant une place d'affaires au 1200, 8e Rue, bureau 101 à Val-d'Or, district d'Abitibi

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

JL2340

 
 


(Article 95 - L.P.J.)

 

[1]                Madame [intervenante 1], déléguée dûment autorisée du directeur de la protection de la jeunesse A, saisit le Tribunal d’une requête en révision et prolongation à l’égard de X, âgé de cinq ans. Elle demande le placement de l’enfant en foyer d’accueil jusqu’à l’atteinte de sa majorité.

[2]                À l’audition, la mère est présente et est représentée par Me Pierre Lavallée. Me Maryse Morency représente l’enfant qui est absent, et Me Julie Lemire agit pour la partie déclarante.

[3]                La mère, reconnaissant que certaines difficultés perdurent, souhaite le placement de son fils pour un an, un délai qu’elle juge suffisant pour lui permettre de se stabiliser.

[4]                L’enfant, représenté par procureure, souhaite le maintien de contacts et des liens avec sa mère, mais ne peut se prononcer quant à la durée du placement.

[5]                Des admissions faites par la mère, des rapports des policiers soumis en preuve et des témoignages entendus, il est prouvé que depuis mai 2005, la situation de la mère se détériore. En effet, à maintes reprises depuis cette date, la mère a connu des rechutes de consommation de drogues et d’alcool qui ont justifié l’intervention des policiers. En mai dernier, elle a été arrêtée pour conduite en état d’ébriété, à une autre occasion, elle a été arrêtée tenant un couteau dans les mains, étant dangereuse pour elle-même, une autre fois, elle a été arrêtée alors qu’elle circulait peu vêtue au centre-ville, à une autre occasion, madame A frappait aux portes d’inconnus pour requérir de l’aide, etc. Lors de toutes ces interventions, madame A était sous l’effet de drogues ou d’alcool et présentait un état de grande confusion. Il a même été observé que madame A présentait des signes de déséquilibre mental tels : visions, angoisses et épisodes de paranoïa.

[6]                Ces rechutes de consommation se sont succédées et intensifiées jusqu’à ce que l’enfant X soit retiré à nouveau le 14 juillet dernier de son milieu.

[7]                L’enfant avait réintégré le milieu familial maternel en février 2005 après avoir passé approximativement 18 mois en foyer d’accueil suite à des ordonnances.

[8]                Concernant l’enfant, la preuve révèle qu’il vit un conflit de loyauté entre sa mère et les parents d’accueil et qu’il réagit aux agissements de sa mère.

[9]                Lors de son retour chez sa mère, tout a bien fonctionné au cours des premiers mois parce que la mère vivait avec un nouveau conjoint qui ne tolérait aucune consommation de sa part et qui était en mesure de lui offrir une certaine stabilité. La présence de son conjoint, monsieur B procurait une stabilité tant physique qu’émotive à madame A, ce qui lui permettait de s’occuper de son fils. Ces acquis se sont avérés très fragiles puisqu’ils n’ont duré que jusqu’en mars 2005. Malheureusement, cette relation maritale a fluctué. Madame A s’est séparée, a vécu à différents endroits et a recommencé à consommer.

[10]            Pour les fins de l’analyse du dossier, le Tribunal rappelle que la sécurité et le développement de X ont été déclarés compromis le 2 septembre 2003 en raison du mode de vie instable de la mère, de la santé physique de l’enfant qui était menacée par l’absence de soins et parce que l’enfant était privé de conditions matérielles d’existence appropriées aux besoins et aux ressources de ses parents (art. 38 (c), (d), et (e) L.P.J.).

[11]            Lors de l’audition de cette cause, l’enfant était alors placé provisoirement en foyer d’accueil depuis le 11 juillet 2003, et antérieurement, il avait été le sujet d’une mesure volontaire pour un an soit du 4 septembre 2002 au 4 septembre 2003. Dans cette mesure volontaire, la mère s’engageait à bénéficier d’un suivi en toxicomanie auprès du Centre d’accueil A, à être évaluée en santé mentale, à bénéficier d’un suivi auprès de l’organisme, le temps jugé nécessaire par le professionnel, et en sus, de bénéficier d’un suivi social.

[12]            Les difficultés de la mère à cette époque étaient l’instabilité émotive, tentative de suicide, dépendance aux médicaments, drogues et alcool. La mère s’engageait dans cette mesure volontaire à s’occuper de son fils qui avait déjà, à cette époque, connu plusieurs milieux de vie.

[13]            Dans le premier jugement rendu par monsieur le juge Gendron, ce dernier après avoir déclaré la sécurité et le développement de l’enfant compromis, note la prise de conscience de la mère de ses difficultés et de son ferme désir d’aller chercher toute l’aide requise.

[14]            Madame A faisait preuve alors de bonne volonté et le Tribunal le notait en mentionnant dans son jugement :

« Elle doit être consciente cependant que X n’est pas un meuble qui peut être transporté d’une place à l’autre en faisant des essais avec lui. Il a besoin de stabilité et lorsque sa mère en connaîtra dans plusieurs domaines de sa vie, il sera raisonnable alors à le transférer dans cette nouvelle région si préalablement les services du Centre jeunesse en ont été avisés et ont déjà commencé à prendre contact avec la mère pour maximiser les chances de réussite de ce transfert. Il ne faut pas prendre plus de temps que nécessaire non plus qu’il serait sage et dans le meilleur intérêt de X de brûler les étapes. »

[15]            Lors de cette audition, la mère contestait fortement la durée de placement requise pour son fils soit six mois, et compte tenu de ses engagements et de sa volonté, monsieur le juge Gendron confiait l’enfant à une famille d’accueil pour une période de quatre mois.

[16]            En janvier 2004, le Tribunal était saisi d’une demande en révision et prolongation concernant la situation de X.  Dans un jugement, monsieur le juge Laflamme rappelle que la mère a bénéficié d’une cure de désintoxication, qu’elle s’est mise en mouvement à l’égard de sa toxicomanie, qu’elle a été informée être porteuse de l’hépatite C pour laquelle elle a besoin de traitements médicaux, qu’elle s’est séparée de son conjoint, qu’elle a appris que son fils aurait été abusé sexuellement par son père et qu’elle n’a pas donné suite à l’ordonnance de suivi psychiatrique.

[17]            Pour diverses raisons dont celles qu’aucun projet de vie n’avait été établi pour l’enfant, que la preuve ne concluait pas à une improbabilité à moyen et à long terme de retour de l’enfant dans son milieu familial, que la mère avait amorcé une démarche malgré le court délai, monsieur le juge Laflamme a rejeté la demande de placement à majorité et a ordonné la prolongation du placement de l’enfant pour un an, de manière à permettre à la mère d’actualiser ses promesses.

[18]            Or depuis la dernière ordonnance, la mère a bénéficié d’une thérapie en désintoxication, mais elle n’a pas investi dans un suivi à l’externe en toxicomanie pour maintenir ses acquis, ni n’a investi dans le suivi social et en santé mentale. Son mode de vie, bien qu’ayant connu une certaine stabilité pour quelques mois, a connu plusieurs mois d’instabilité. Actuellement, la mère déclare que depuis juillet dernier, elle a repris la vie commune avec son conjoint et a recouvré une certaine stabilité. De plus, la mère a appris en mai dernier qu’elle était enceinte. Or malgré cet état, elle a connu depuis des épisodes de consommation de drogues et d’alcool.

[19]            À l’encontre de la demande de placement à majorité, madame A soutient que tout récemment soit précisément depuis le placement provisoire de son fils, elle a repris ses rencontres avec l’intervenant du Centre d’accueil A. Elle a eu, à ce jour, deux rencontres et devrait en avoir à toutes les semaines. Elle veut bénéficier de ce suivi en toxicomanie auprès de cet intervenant qu’elle connaît depuis bientôt deux ans et demi. Elle reconnaît, avec franchise, être alcoolique. Elle entend également demander à son médecin traitant, une référence pour pouvoir bénéficier des services de santé mentale, ce qui lui permettrait d’accélérer la demande d’un tel suivi. Aussi, a-t-elle besoin d’un autre délai d’un an pour se stabiliser, régler la majorité de ses problèmes afin de pouvoir reprendre la responsabilité de son enfant ?

[20]            Selon les objectifs de la Loi sur la protection de la jeunesse, toutes les interventions et décisions doivent être prises dans l’intérêt de l’enfant dans le respect de ses droits, et pour y arriver, il faut prendre en compte les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant. Certes la loi reconnaît la primauté du droit d’un enfant d’être maintenu avec ses parents, mais devant la preuve de la nécessité d’une autre mesure, le Tribunal doit alors recourir au milieu qui se rapproche le plus du milieu familial normal. L’intérêt de l’enfant doit être privilégié dans toute décision ou intervention (art. 3 -4 ss. L.P.J.).

[21]            Ces objectifs ont bien été respectés dans toutes les interventions à ce jour puisque l’on constate que l’enfant a été, dans un premier temps, maintenu en milieu familial avec des mesures d’aide, par la suite, a fait l’objet d’un court placement à sortie de mesures d’aide, pour finalement être placé pour une période d’un an, toujours avec des mesures d’aide spécifiques pour régler les difficultés de madame A.

[22]            En 1987, monsieur le juge Vallerand de la Cour d’appel du Québec déclarait :

« Assumer le soin, l’entretien et l’éducation n’est pas une notion abstraite qu’on puisse apprécier uniquement en fonction des disponibilités de celui qui assume. Tout disposé qu’il soit à offrir, il ne pourra assumer que si l’enfant est en mesure de recevoir utilement. Et ce qui est vrai du point de vue matériel l’est tout autant du point de vue psychique, psychologique et affectif. »[1]

[23]            Récemment, monsieur le juge Sirois, inspiré de cette citation, précisait :

« Tout disposé que l’enfant soit à recevoir, il ne pourra être avec ses parents que s’ils sont en mesure d’offrir utilement à leur enfant soin, entretien et éducation tant au point de vue psychique, psychologique et affectif. »[2]

[24]            Concernant l’analyse de l’intérêt supérieur d’un enfant, madame la juge Wilson de la Cour suprême du Canada déclarait en 1983 :

« Mais la Cour doit se soucier du lien parental comme force positive et significative dans la vie de l’enfant, et non dans la vie du parent. Comme on l’a souvent souligné dans les affaires de garde d’enfant, un enfant n’est pas un bien sur lequel les parents ont un droit de propriété; c’est un être humain envers lequel ils ont des obligations sérieuses ».[3]

[25]            Dans la présente situation, le Tribunal a la preuve que la mère présente des difficultés qui perdurent depuis plusieurs années et qui évoluent, malgré la reconnaissance. Depuis la naissance de X, ce dernier a passé près de la moitié de sa vie en foyer d’accueil à cause des difficultés de sa mère qui la rendent incapable de répondre à ses besoins.

[26]            Le Tribunal constate que la motivation de la mère est défaillante. Malgré les interventions et les ordonnances, la mère a été dans l’impossibilité d’acquérir une stabilité bénéfique pour son fils. Sa situation continue de fluctuer selon ses relations familiales, ses relations maritales ou ses rechutes de consommation. Au fil des ans, la mère a démontré qu’elle avait bien peu de disponibilité pour son enfant. Elle est en souffrance, bien qu’elle soit au fait de l’ampleur de ses problèmes, elle a choisi de ne pas bénéficier de l’aide offerte et rendue disponible.

[27]            Le Tribunal constate que cette mère est trop souffrante pour être capable de donner priorité aux besoins de l’enfant, et ce n’est qu’avec l’aide d’un tiers, qu’elle peut offrir un minimum de stabilité.

[28]            Le Tribunal observe de plus que tout le témoignage de la mère ne porte que sur ses préoccupations personnelles immédiates. Elle manifeste peu d’empathie à l’égard de son fils, refusant d’admettre ses responsabilités dans l’issue du présent dossier.

[29]            Il apparaît que madame A a appris, au fil des nombreuses années d’interventions du CSS, alors qu’elle était enfant et maintenant comme parent, à identifier, à énumérer ses difficultés, à nommer les divers organismes d’aide, mais aussi une habileté à manipuler pour reporter à plus tard la mise en action. Finalement, elle a appris à se déresponsabiliser face aux interventions du DPJ. Certes, le Tribunal est convaincu que madame A ne veut pas faire vivre à X ce qu’elle a elle-même vécu, mais au-delà du désir, qu’a-t-elle véritablement réalisé pour assumer ses responsabilités parentales ?

[30]            Le Tribunal constate qu’elle en a peu fait parce que la souffrance l’envahit encore, mais aussi parce qu’elle n’a pas bénéficié de l’aide prescrite pour atténuer sa souffrance et la rendre disponible à son enfant.

[31]            La preuve nous révèle aussi que l’enfant vit du bien-être dans le foyer d’accueil actuel, qu’il doit commencer sa maternelle en septembre, qu’il a besoin d’investir à long terme dans une famille substitut tout en maintenant des contacts positifs avec sa mère. L’enfant présente quelques problèmes de comportement pour lesquels une aide ponctuelle est requise. La stabilité que lui procure son milieu de vie devrait l’amener à régler ces difficultés.

[32]            Il importe dans son intérêt de mettre fin à l’attente qu’il manifeste d’un retour auprès de sa mère. La durée de son placement doit refléter la motivation de sa mère, mais aussi dans un premier objectif, répondre à son intérêt. C’est pourquoi, le Tribunal, constatant l’imprévisibilité d’une éventuelle réinsertion de l’enfant dans le milieu familial maternel, ordonne le placement de X en famille d’accueil jusqu’à sa majorité.

[33]            CONSIDÉRANT l’ensemble de la preuve;

[34]            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[35]            ACCUEILLE la requête en révision et prolongation;

[36]            DÉCLARE que la sécurité et le développement de X sont toujours compromis;

[37]            ORDONNE le placement de X en famille d’accueil jusqu’à sa majorité;

[38]            ORDONNE que les droits de sorties et visites de l’enfant auprès de sa mère soient réguliers et supervisés par le directeur de la protection de la jeunesse A quant à la durée, la fréquence et la présence d’un tiers au besoin;

[39]            ORDONNE qu’une personne qui travaille pour le Centre de protection de l’enfance et de la jeunesse A  apporte aide, conseil et assistance à X et à sa mère pour la durée de l’ordonnance;

[40]            INTERDIT à monsieur C d’avoir des contacts avec X pour la durée de l’ordonnance;

[41]            ORDONNE à tout corps policier de collaborer activement à l’exécution de l’ordonnance;

[42]            CONFIE la situation de X au directeur de la protection de la jeunesse A  pour l’exécution de l’ordonnance.

 

 

 

__________________________________

DENYSE LEDUC, J.C.Q.

 

 

Me Julie Lemire, procureure pour la partie déclarante

Me Pierre Lavallée, procureur pour la mère

Me Maryse Morency, procureure pour l’enfant

 

 

Date d’audience :

 19 août 2005

 



[1] Droit de la famille, 376 (1987) R.J.Q. 1235

[2] Cour du Québec, district Frontenac, 235-41-000001-046, 21 juin 2005

[3] Racine C. Woods, (1983) 2 R.C.S. 173 , p. 185

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