Décision

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Gabarit CM

Ville de Montréal c. Primeau-Ferraro

2020 QCCM 20

2020 QCCM 20

COUR MUNICIPALE
DE LA VILLE DE MONTRÉAL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

No :

835-814-490

 

DATE :

Le 12 février 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

KATIA LÉONTIEFF

______________________________________________________________________

 

 

VILLE DE MONTRÉAL

Poursuivante

c.

RAFAEL PRIMEAU-FERRARO

Défendeur

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Motifs écrits du jugement rendu oralement) [1]

______________________________________________________________________

 

I.          APERÇU

[1]        Le constat reproche au défendeur, M. Primeau-Ferraro, d’avoir, le 2 septembre 2018, fait usage d’un téléphone cellulaire ou de tout autre appareil portatif, et ce, alors qu’il conduisait un véhicule, en contravention des dispositions de l’article 443.1 du Code de la sécurité routière (ci-après « C.s.r. »)[2].

[2]        La poursuite a présenté une preuve documentaire, soit le constat et le rapport abrégé produits sous P-1.

[3]        Ce dossier soulève la question de savoir si le fait de programmer une adresse dans l’application « Google Maps » pour trouver le trajet le plus rapide, et ce, lorsque l’on est immobilisé à un feu rouge, correspond à l’exception prévue au paragraphe 2 de l’article 443.1 C.s.r. qui permet à un conducteur d’actionner une commande de l’écran lorsque les conditions a) à d) sont rencontrées.

II.         LES FAITS

[4]        L’agent Guillaume qui aurait constaté les faits mentionne ceci dans son rapport :

[5]        Il patrouille sur la rue Notre-Dame à bord de son véhicule. Il s’immobilise face à un feu rouge au coin des rues Notre-Dame et Dickson, dans la voie 1, tandis que le véhicule du défendeur est immobilisé dans la voie 2.

[6]        L’agent constate que le défendeur a son téléphone dans ses mains, qu’il le regarde et qu’il glisse l’écran au niveau de son visage.

[7]        L’agent précise qu’il se trouve à seulement un mètre du défendeur et qu’étant  à bord d’une camionnette, il a une vue directe sur l’habitacle.

[8]        Pour sa part, le défendeur relate qu’il se rendait, ce jour-là, au chalet de son beau-père. Son téléphone est fixé sur un support, lequel est ancré sur le tableau de bord juste devant lui.

[9]        Alors qu’il est immobilisé au feu rouge à l’intersection des rues Notre-Dame et Dickson, il en profite pour « programmer » (dixit) son trajet sur l’application Google Maps. Il entre donc l’adresse du chalet dans l’application pour vérifier quel est le chemin le plus rapide à emprunter.

[10]      Au feu rouge, il ne peut préciser si l’agent arrive sur le côté ou derrière lui, mais il convient que ce dernier se retrouve à proximité de son véhicule. L’agent remarque qu’il manipule son appareil, actionne ses gyrophares et l’intercepte pour lui remettre le constat.

[11]      Le défendeur souligne qu’il a programmé l’adresse de destination alors qu’il était immobilisé au feu rouge, puisqu’il jugeait qu’il était alors plus aisé de faire pareille manipulation et de se concentrer sur celle-ci que cela ne l’aurait été en roulant.

III.        PRÉTENTIONS DES PARTIES

[12]      Le défendeur soumet que l’utilisation qu’il a faite de son cellulaire est autorisée par l’article 443.1 C.s.r., puisqu’il assimile l’action de programmer une adresse dans l’application « Google Maps » avec l’opération d’actionner une commande de l’écran autorisée par cette disposition. Il soumet au Tribunal la décision Ville de Saint-Jérôme c. Noel[3], rédigée par le juge Lalande de la cour municipale de Saint-Jérôme qui conclut dans ce sens.

[13]      Quant à la poursuite, considérant la décision rendue par le juge Lalande, elle laisse le tout à la discrétion du Tribunal.

IV.        ANALYSE DE LA PREUVE

[14]   Face à des versions contradictoires, le Tribunal doit suivre les paramètres énoncés par la Cour suprême dans R. c. W. (D.)[4].

[15]   Le Tribunal ne doit pas opposer le témoignage écrit de l’agent à celui du défendeur, pour ensuite privilégier la version qui semble la plus plausible ou vraisemblable.

[16]   Le Tribunal peut croire un témoignage en entier ou seulement une partie de celui-ci.

[17]   Les tribunaux supérieurs ont répété à maintes reprises qu’il est essentiel d’apprécier les témoignages les uns par rapport aux autres et non pas dans un vacuum de manière morcelée, isolée.

[18]      En l’espèce, le défendeur a témoigné de manière précise, affirmée et vraisemblable. Le contre-interrogatoire n’a pas miné sa crédibilité.

[19]      Le témoignage écrit de l’agent est également crédible, précis et vraisemblable. En arrivant au feu rouge, ce dernier s’est retrouvé juste à côté du véhicule du défendeur et bénéficiait donc d’une vue privilégiée sur l’habitacle. De plus, son rapport fut rédigé dans les minutes qui ont suivi son intervention. Son témoignage selon lequel le défendeur tenait son téléphone dans ses mains est crédible et fiable.

[20]      Toutefois, puisque le témoignage du défendeur est crédible, sa version des faits ne peut être écartée. Le Tribunal la tiendra pour avérée, aux fins de l’analyse.

[21]      Le Tribunal retient donc la version de celui-ci quant au type de manipulation qu’il a faite de son téléphone cellulaire et quant à la manière dont son appareil était fixé au tableau de bord.

[22]      Le Tribunal retient également que les conditions a), b), c), d) prévues au paragraphe 2 de l’article 443.1 C.s.r. étaient rencontrées en l’espèce par le défendeur.

[23]      Il reste à déterminer maintenant si cette manipulation qui consiste à programmer une adresse dans l’application de navigation « Google Maps » pour obtenir le meilleur trajet à emprunter est autorisée par l’article 443.1 C.s.r.

V.         LE DROIT

[24]      Le 1er juillet 2018, entrait en vigueur de nouvelles dispositions concernant l’utilisation du cellulaire au volant, dont l’article 443.1. Cet article se lit comme suit :

Il est interdit à tout conducteur d’un véhicule routier et à tout cycliste de faire usage d’un téléphone cellulaire ou de tout autre appareil portatif conçu pour transmettre ou recevoir des informations ou pour être utilisé à des fins de divertissement, ou de faire usage d’un écran d’affichage, sauf dans les cas suivants:

1°   le conducteur du véhicule routier utilise un dispositif mains libres;

2°   le conducteur du véhicule routier ou le cycliste consulte l’information affichée sur un écran d’affichage, y compris celui d’un appareil portatif, ou actionne une commande de l’écran alors que celui-ci satisfait à l’ensemble des conditions suivantes:

a)   il affiche uniquement des informations pertinentes pour la conduite du véhicule ou liées au fonctionnement de ses équipements usuels;

b)   il est intégré au véhicule ou installé sur un support, amovible ou non, fixé sur le véhicule;

c)   il est placé de façon à ne pas obstruer la vue du conducteur du véhicule routier ou du cycliste, nuire à ses manœuvres, empêcher le fonctionnement d’un équipement ou en réduire l’efficacité et de manière à ne pas constituer un risque de lésion en cas d’accident;

d)   il est positionné et conçu de façon à ce que le conducteur du véhicule routier ou le cycliste puisse le faire fonctionner et le consulter aisément.

Pour l’application du premier alinéa, le conducteur du véhicule routier ou le cycliste qui tient en main, ou de toute autre manière, un appareil portatif est présumé en faire usage.

Le gouvernement peut, par règlement, préciser les modalités d’application du présent article, notamment définir le sens de certaines expressions. Il peut également prévoir d’autres exceptions aux interdictions qui y sont prévues ainsi que d’autres normes applicables aux écrans d’affichage.

[25]      L’expression « actionner une commande » n’est pas définie à l’article 443.1 C.s.r. Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas adopté de règlement précisant le sens de cette expression comme l’y autorise le dernier alinéa de cette disposition.

[26]      L’article 211 de la Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d’autres dispositions (Projet de loi no 165, 2018, chapitre 7, sanctionné le 18 avril 2018) qui est une disposition de nature transitoire, ne définit pas non plus l’expression « actionner une commande », mais seulement l’expression « dispositif mains libres » utilisée au paragraphe 1 de l’article 443.1 C.s.r.

[27]      Le Tribunal doit donc déterminer ce qu’entendait le législateur en utilisant cette expression.

[28]      La seule décision recensée sur le sujet est celle rendue par le juge Lalande, par laquelle il juge que l’action d’ouvrir son application « Google Maps » et d’y programmer son adresse pour obtenir son trajet n’est pas prohibée par l’article 443.1.

[29]      Le Tribunal souligne qu’il n’est pas lié par la décision du juge Lalande, bien qu’il la considère avec respect et intérêt.

VI.        INTERPRÉTATION DE L’EXPRESSION « ACTIONNER UNE COMMANDE »

[30]      Le Tribunal appliquera la méthode d’interprétation moderne proposée par le professeur Elmer Driedger, à laquelle a adhéré la Cour suprême :

« [traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur[5]. »

[31]      Aussi, la Cour suprême a reconnu l’utilité de consulter un dictionnaire pour trouver le sens d’un mot qui n’est pas défini par la loi.[6]

[32]      Que révèle l’analyse globale des nouvelles dispositions? Quels indices nous fournissent celles-ci quant à l’esprit et l’intention du législateur?

[33]      Dans ses notes explicatives présentant son projet de loi 165, par lequel les nouvelles dispositions portant sur l’usage des téléphones cellulaires et des écrans furent introduites, le législateur provincial précise ainsi son intention :

« La loi contient différentes règles visant à encadrer les sources de distraction au volant comme l’utilisation d’un téléphone cellulaire ou d’autres appareils portatifs ainsi que des écrans d’affichage. Elle hausse le montant des amendes et le nombre de points d’inaptitude applicables en cas de contravention et prévoit, en cas de récidive, la suspension sur-le-champ du permis du contrevenant (par. 7 des notes explicatives). »

[34]      De fait, le titre « Distractions au volant » coiffe cette nouvelle section du C.s.r.

[35]      Il est notable que le législateur ait également choisi de ratisser plus large que ne le faisait l’ancien article 439.1 C.s.r. Cette ancienne disposition interdisait purement et simplement l’usage d’un appareil muni d’une fonction téléphonique. À telle enseigne, qu’un défendeur pouvait être acquitté d’avoir commis l’infraction, s’il affirmait dans son témoignage avoir plutôt eu en main un appareil « GPS » ou un ancien modèle « Ipod » pouvant seulement servir à écouter de la musique et que pareil témoignage soulevait un doute raisonnable dans le contexte de l’ensemble de la preuve, et ce, bien que l’utilisation de tels appareils pouvait tout autant être dangereuse pour la sécurité routière.

[36]      Par contraste, la nouvelle disposition pose comme principe l’interdiction pour les conducteurs d’user d’un téléphone cellulaire, de tout autre appareil portatif conçu « pour transmettre ou recevoir des informations ou pour être utilisé à des fins de divertissement, ou encore d’user d’un écran d’affichage. » La nouvelle interdiction a donc une portée beaucoup plus large que l’ancienne.

[37]      Le législateur a prévu une fois de plus une présomption facilitant la démonstration de la poursuite : « le conducteur du véhicule routier ou le cycliste qui tient en main, ou de toute autre manière, un appareil portatif est présumé en faire usage ». Celle-ci est toujours sujette au doute raisonnable que pourrait soulever la preuve de la défense ou encore l’ensemble de la preuve.

[38]      Cette interdiction générale est toutefois assortie de deux exceptions balisées par des conditions précises, soit celle relative à l’utilisation d’un dispositif mains libres et celle relative à la consultation de l’information affichée sur un écran d’affichage, y compris celui d’un appareil portatif, ou l’actionnement d’une commande de l’écran, lorsque l’appareil est intégré au véhicule ou fixé à un support et que les autres conditions énumérées sont satisfaites.

[39]      De plus, le législateur a introduit une disposition de droit nouveau dans cette refonte. Le paragraphe 1 de l’article 443.7 C.s.r. stipule ceci :

« Les articles 443.1 et 443.2 ne s’appliquent pas à un conducteur d’un véhicule routier, si son véhicule est stationné de manière à ne pas contrevenir aux dispositions du présent code ou d’une autre loi. »

[40]      Il appert donc que l’infraction prévue à l’article 443.1 serait commise, si un automobiliste, après s’être rangé sur le côté du trottoir, se stationne devant une borne fontaine (en contravention du 2e paragraphe de l’article 386) ou à moins de cinq mètres d’un passage pour piéton (en contravention du 4e paragraphe de ce même article), et saisit son cellulaire pour faire un appel.

[41]      Dans la même lignée, le législateur a également introduit une nouvelle règle à l’article 443.6 :

« Les dispositions de la présente section s’appliquent non seulement sur les chemins publics mais également sur les chemins soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler. »

[42]      Il semble donc que le législateur entend réduire le risque qu’une conversation téléphonique ou qu’une utilisation d’un écran, débutée lors d’un stationnement illégal transitoire ou encore débutée dans un centre commercial, ne se poursuive sur la route.

[43]      En effet, l’ancien article 439.1 ne s’appliquait que sur les chemins publics puisque le législateur n’avait pas prévu d’application particulière de celui-ci sur les chemins privés. Les juges[7] appliquaient donc la règle prévue à l’article 1 C.s.r. qui se lit comme suit :

« Le présent code régit l’utilisation des véhicules sur les chemins publics et, dans les cas mentionnés, sur certains chemins et terrains privés ainsi que la circulation des piétons sur les chemins publics. ».

[44]      L’introduction de ces nouvelles normes est révélatrice de l’intention du législateur d’interdire de manière plus étendue et absolue l’usage des appareils téléphoniques, d’autres appareils portatifs conçus pour transmettre ou recevoir des informations ou pour être utilisés à des fins de divertissement et des écrans d’affichage, sous réserves des deux exceptions prévues à l’article 443.1 C.s.r.

[45]      Le législateur a prévu aussi, en cas de condamnation, des amendes plus sévères, une augmentation du nombre de points d’inaptitude applicable et des sanctions administratives plus sévères en cas de récidive.

[46]      Tous ces éléments démontrent clairement que le législateur entendait éradiquer de manière efficace les principales sources de distraction au volant, représentant un danger sur la route.

[47]      Cette vigueur du législateur n’est guère surprenante. En effet, il est de commune renommée que les distractions au volant, causées par l’utilisation d’écran et du cellulaire, sont responsables d’un nombre effarant d’accidents de la route.

[48]      Selon des bilans routiers de la Sûreté du Québec de l’année 2017, largement relayés par les médias[8], la distraction et l'utilisation du cellulaire au volant est devenue la deuxième cause d'accidents mortels après la vitesse excessive[9].

[49]      Devant l’ampleur du fléau, des coroners du Québec ayant enquêté sur des accidents mortels causés par l’utilisation du cellulaire ou des écrans au volant ont donné des entrevues en 2016 et 2017 dans divers médias pour tirer la sonnette d’alarme et conscientiser le public[10].

[50]      Maintenant examinons le sens qu’attribuent les dictionnaires à l’expression « actionner une commande ».

[51]      Le dictionnaire Larousse donne celle-ci pour commande : « Instruction donnée à un ordinateur à l'aide du clavier ou de la souris afin d'exécuter une action précise. »

[52]      Le grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française donne la définition qui suit : « Ordre donné à un ordinateur, à l'aide d'un clavier, d'un dispositif de pointage (souris) ou d'une instruction de programme, dans le but d'exécuter une action définie. »

[53]      Quant au Comité des normes gouvernementales en informatique, à travers l’outil Termium[11], il donne la définition suivante : « Ordre donné pour l'exécution d'une fonction; par exemple, une commande d'impression entraînerait l'impression du contenu d'un fichier. »

[54]      La version anglaise de la disposition utilise le mot « command », que l’Oxford Canadian Dictionary définit comme : « an instruction causing a computer to perform one of its basic functions ».

[55]      Toutes ces définitions suggèrent « qu’actionner une commande de l’écran » implique une instruction ou un ordre, donné à un ordinateur ou à un autre appareil, déclenchant l’exécution d’une action ou d’une fonction déterminée. Ces définitions suggèrent également qu’il est question ici d’une opération simple et brève, comme l’est l’opération de presser sur l’icône d’impression.

[56]      Le Tribunal a également à l’esprit le moment où le conducteur presse sur la commande « démarrer », et ce, après qu’il ait paramétré, avant son départ, ses données relatives à la destination dans son application « Google Maps ». Il en serait de même aux yeux du Tribunal, lorsqu’après avoir paramétré ses données de destination, le conducteur pèse sur l’icône automobile, pour actionner le trajet par voie d’automobile, par opposition au trajet par transport en commun, à bicyclette ou encore à pied.

[57]      En toute logique, « actionner une commande de l’écran » réfère à la dernière opération, ou à une des dernières opérations de la chaîne, succédant à l’étape plus longue et complexe qui consiste à paramétrer les données de la destination.

[58]      En effet, voici la définition de paramétrer dans le dictionnnaire internaute : « Action consistant à programmer ou préconfigurer des paramètres, c’est-à-dire, à introduire des informations ou des données de références nécessaires à la réalisation d’un événement; par exemple, il ne me reste plus qu’à paramétrer l’appareil et nous pourrons y aller. »

[59]      C’est exactement ce qu’à fait le défendeur en l’occurrence : en entrant l’adresse de sa destination dans l’application, le défendeur n’a pas actionné une commande. Il a plutôt configuré ou paramétré des données de référence dans son application. Cette première opération, de par sa complexité, présente nécessairement un plus grand risque pour la sécurité routière et c’est la raison pour laquelle le législateur a choisi d’autoriser seulement le fait d’actionner une commande.

[60]      Il est aussi instructif de noter que l’aspect opération simple ne présentant pas un risque pour la sécurité routière est une idée maîtresse pour le législateur. En effet, le paragraphe 1 de l’article 211 de la Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d’autres dispositions, précité, précise : on entend par « dispositif mains libres » un dispositif permettant de faire fonctionner un appareil, notamment un téléphone cellulaire, au moyen d’une commande vocale ou d’une commande manuelle simple que le conducteur peut actionner sans être distrait de la conduite de son véhicule.

[61]      Cette disposition donne un indice sur ce qu’avait à l’esprit le législateur lorsqu’il a utilisé l’expression « actionner une commande de l’écran. »

[62]      En bref, considérant l’économie générale de ces nouvelles dispositions, les mots choisis par le législateur, le sens courant de ceux-ci, l’intention annoncée du législateur dans ses notes explicatives ouvrant le projet de loi et l’objectif patent que poursuivent ces nouvelles dispositions, le Tribunal conclut qu’actionner une commande de l’écran doit recevoir l’interprétation suivante : un ordre simple donné à l’appareil pour déclencher une action précise, formulé par exemple, en pesant sur un bouton de l’écran ou sur l’icône apparaissant sur l’écran.

[63]      Aussi, paramétrer son adresse dans l’application de navigation, ne constitue pas l’acte d’actionner une commande de l’écran.

[64]      Cette interprétation est, selon la soussignée, harmonieuse avec l’intention affirmée du législateur, qui est d’assurer la sécurité routière en limitant les principales sources de distractions au volant.

[65]      Du reste, décomposer les actions qu’un conducteur doit poser pour entrer une adresse dans son application de navigateur « Google Maps » et pour ensuite actionner celle-ci, illustre à quel point l’entreprise est complexe et dangereuse pour la sécurité routière :

  • Il faut allumer son écran;
  • Déverrouiller l’appareil en faisant son code;
  • Presser sur l’icône « Google Maps »;

·        Appuyer sur « Rechercher »;

  • Entrer l’adresse de destination, ce qui implique de peser d’abord sur l’icône 1-2-3 pour actionner le clavier de chiffres;
  • Entrer l’adresse civique;
  • Peser sur l’icône ABC pour actionner le clavier de lettres;
  • Entrer le nom du chemin ou de la rue;
  • Entrer parfois le nom de la ville si la même adresse existe dans plusieurs villes;
  • Parfois peser sur l’icône automobile si le trajet antérieur a été fait à vélo, à pied ou en transport public;
  • Si plusieurs trajets sont suggérés, choisir le trajet que l’on désire emprunter;

·        Puis peser sur la commande « démarrer ».

[66]      Il est alors facilement question d’une vingtaine de touches de clavier pressées. Le Tribunal estime que l’ampleur de ces saisies de données et de ces commandes actionnées ne peut d’aucune façon être assimilée aux mots choisis par le législateur : actionne une commande de l’écran. Lorsque l’on est au volant, il y a toute la différence du monde entre actionner une commande et actionner une vingtaine de commandes.

[67]      Aux yeux de la soussignée, il est impensable que le législateur dont on ne peut douter de la sagesse, ait autorisé pareilles opérations successives et complexes, et ce, alors qu’un conducteur conduit son véhicule, ce qui est déjà en soit une opération complexe sollicitant différentes aptitudes cognitives.

[68]      D’ailleurs, il est révélateur que le défendeur ait spontanément utilisé le mot « programmer » son adresse dans l’application, ce qui suggère une opération plus complexe que d’actionner une commande. Tout aussi significatif est le fait que le défendeur ait décidé de faire pareille manipulation alors qu’il était immobilisé au feu rouge, parce que selon ses dires, cela était alors plus aisé de se concentrer sur celle ci, que cela ne l’aurait été en roulant.

[69]      Avec égards, la soussignée ne partage pas l’opinion du juge Lalande.

VI.        CONCLUSION

[70]      POUR CES MOTIFS, le Tribunal conclut que la preuve a clairement démontré que les manipulations effectuées par le défendeur sur son appareil cellulaire ne sont pas autorisées par l’article 443.1 C.s.r.


[71]      La poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction. La preuve ne soulève aucun doute raisonnable.

 

 

 

 

__________________________________

KATIA LÉONTIEFF, J.C.M.

 

Me Félix Paul

Procureur pour la poursuivante

 

Le défendeur se représente seul

 

 

Date d’audience :

12 décembre 2019

 



[1]          Ce jugement est rendu oralement le 12 février 2020. Les motifs écrits ont pu être remaniés, modifiés ou amplifiés pour en améliorer la présentation et la compréhension comme le permet l’arrêt Kellogg’s Company c. P.G. du Québec, [1978] CA 258, 259-260, le dispositif demeurant toutefois inchangé.

[2]     L.R.Q., ch. C-24.2, art. 443.1

[3]     2019 QCCM 61 (CanLII)

[4]     [1991] 1 R.C.S. 742

[5]     Elmer Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Oxford : Butterworth-Heinemann, 1983), p. 87

      Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, p. 26

[6]     Hutt c. R., [1978] 2 R.C.S. 476, p. 481

[7]     Montréal (Ville de) c. Jacob-Tremblay, 2012 QCCM 293 (CanLII)

      Joliette (Ville de) c. Néron, 2013 QCCM 266 (CanLII)

      Montréal (Ville) c. Laucke, 2012 QCCM 296 (CanLII)

[8]     Valérie Gonthier, « Vers un été des plus meurtriers », Le Journal de Montréal ( août 2017), en ligne : <https://www.journaldemontreal.com/2017/08/08/vers-un-ete-des-plus-meurtriers>, voir également les bilans routiers de la SAAQ.

 

[9]     Sureté du Québec, « Bilan routier 2017 de la Sûreté du Québec » (5 janvier 2018), en ligne : <www.sq.gouv.qc.ca/communiques/bilan-routier-2017-de-la-surete-du-quebec>.

 

      Société de l’assurance automobile du Québec, « Profil détaillé des faits et des statistiques touchant la distraction au volant, 2014, p. 2 », en ligne :<saaq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/publications/espace-recherche/profil-detaille-statistiques-distraction.pdf>.

 

      Société de l’assurance automobile du Québec, « Profil détaillé des faits et des statistiques touchant la distraction au volant, 2014, p. 5 », en ligne : <saaq. gouv. qc. ca/ fileadmin/ documents/ publications/ espace-recherche/profil-detaille-statistiques-distraction.pdf>.

 

[10]    Valérie Gonthier, « Le cellulaire au volant, un véritable fléau au Québec », Le Journal de Montréal (18 février 2017), en ligne : <www.journaldemontreal.com/2017/02/18/le-cellulaire-au-volant-un-veritable-fleau-au-quebec>.

 

      Louis-Samuel Perron, « Un coroner veut criminaliser le cellulaire au volant », La Presse (22 août 2016), en ligne : <www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/actualites-judiciaires/201608/22/01-5012819-un-coroner-veut-criminaliser-le-cellulaire-au-volant.php>.

 

      Jean-François Morissette, « Une coroner veut bannir totalement l'utilisation du cellulaire dans un véhicule », Le Journal de Québec (27 juillet 2016), en ligne : <www.journaldequebec.com/2016/07/27/une-coroner-veut-bannir-totalement-lutilisation-du-cellulaire-dans-un-vehicule>.

 

[11]    Gouvernement du Canada, TERMIUM Plus — La banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada, en ligne : <www.btb.termiumplus.gc.ca>

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