Décision

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Demix Béton

2007 QCCLP 6925

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

Le 7 décembre 2007

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

311747-05-0703

 

Dossier CSST :

124843202

 

Commissaire :

Me Micheline Allard

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Demix Béton

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 8 mars 2007, l’employeur, Demix Béton, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 février 2007 à la suite d’une révision administrative.

[2]        Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues les 7 et 22 novembre 2006 et déclare que l’employeur n’a pas droit, en vertu des articles 327, premier alinéa, et 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), à un transfert d’imputation des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Robert Côté (le travailleur) le 8 septembre 2003.

[3]        Le 16 novembre 2007, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Sherbrooke à laquelle assiste monsieur Frédéric Houde, pour l’employeur, et son procureur.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]        L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête, d’infirmer la décision de la CSST du 27 février 2007, et de déclarer que le coût des prestations versées au travailleur soit imputé aux employeurs de toutes les unités en vertu du premier alinéa de l’article 327 de la loi et ce, pour la période suivant le 8 mars 2004. Il demande également que pour le coût des prestations, le déficit anatomo-physiologique (D.A.P.) ne soit pas supérieur à 2 %.

[5]        Subsidiairement, l’employeur soutient que la requête devrait être admise sous l’angle de l’article 326 de la loi. Il allègue qu’il serait obéré injustement s’il devait assumer la totalité du coût des prestations versées au travailleur.

LES FAITS

[6]        Le 8 septembre 2003, le travailleur, alors âgé de 57 ans et conducteur de bétonnière au service de l’employeur, est victime d’une lésion professionnelle.

[7]        Le jour même, il consulte un médecin à l’urgence qui diagnostique une fracture-luxation bimalléolaire à la cheville droite et réfère le travailleur en orthopédie auprès du Dr Joncas.

[8]        Le 9 septembre 2003, le travailleur subit une première chirurgie qui consiste en une réduction ouverte, une fixation interne et la mise en place d’une vis transpéronéotibiale distale. Le Dr Joncas retient le diagnostic de fracture luxation bimalléolaire à la cheville droite.

[9]        Le 8 octobre 2003, le Dr Joncas rapporte une infection superficielle et prescrit des antibiotiques.

[10]      Le 1er décembre 2003, le Dr Joncas procède à une deuxième chirurgie consistant en une exérèse de matériel.

[11]      Ces deux chirurgies sont habituelles et nécessaires dans les cas de fractures bimalléolaires de la cheville. Cependant, le Dr Joncas note une déhiscence de la plaie lors de la chirurgie du 1er décembre 2003.

[12]      À la suite de ces deux interventions, le travailleur a présenté de nombreuses complications nécessitant quatre autres chirurgies survenues du 17 décembre 2003 au 23 septembre 2004.

 

[13]      En effet, le 17 décembre 2003, le travailleur subit une troisième chirurgie pour un lavage-drainage d’hématome infecté situé sur l’ancienne plaie opératoire.

[14]      Le 29 janvier 2004, le Dr Joncas procède à une quatrième chirurgie et pose comme diagnostic postopératoire la perte de réduction récente de la mortaise tibio-astragalienne, le statut postinfection des tissus mous (hématome infecté) au niveau de la malléole externe droite et la chondrolyse diffuse tibio-astragalienne possiblement post-traumatique ou encore postinfectieuse.

[15]      Le 27 février 2004, le travailleur subit une cinquième chirurgie. Le diagnostic postopératoire est celui d’arthrite septique à la cheville droite sur ostéomyélite tibiale droite probable.

[16]      Suite à ces complications, l’employeur présente une demande de transfert du coût des prestations à la CSST le 18 mai 2004.

[17]      Le 23 décembre 2004, la CSST accepte un nouveau diagnostic de lombalgie.

[18]      Concernant ce diagnostic, le Dr Nootens, médecin-conseil de la CSST, s’exprime ainsi à la question de savoir s’il y a une relation entre la lombalgie et la condition première du travailleur (événement du 8 septembre 2003) dans une note évolutive du 21 décembre 2004 :

[…]

 

La condition traumatique grave et compliquée (5 interventions et à date, toujours en attente de fusion solide), condition impliquant le port d’orthèse, le port de plâtre de marche, les transferts quotidiens de sa chaise roulante, la boiterie qui résulte de l’atteinte anatomique, peuvent sans contester amener, même si l’apparition de ceux-ci sont tardifs, des mouvements débalancés de la charnière lombo-sacrée qui se traduisent par des douleurs chez un patient qui n’en avait pas antérieurement.

 

           

[19]      Finalement, le travailleur subit une sixième chirurgie le 27 septembre 2005 pour une arthrodèse à la cheville droite, par le Dr Anctil.

[20]      La lésion professionnelle au niveau de la cheville ainsi que la lombalgie ne sont toujours pas consolidées à ce jour.

[21]      Le 23 juillet 2007, le Dr Legendre, chirurgien-orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Dans son rapport d’expertise médicale du 14 novembre 2007, il écrit :

[…]

 

Nous posons un diagnostic lésionnel de fracture-luxation au niveau de la cheville droite. Il en a résulté un problème d’infection, qui s’est manifesté par une ostéomyélite et une arthrite septique au niveau de la cheville droite. Il en a résulté une chondrolyse et une perte de réduction ayant nécessité diverses chirurgies de débridement et lavage, avec finalement une tentative chirurgicale d’arthrodèse tibio-astragalienne. Cette dernière ne nous démontre pas aujourd’hui la présence d’une consolidation osseuse.

 

 

[22]      Le Dr Legendre répond également à la question de savoir si le travailleur a présenté des complications inhabituelles et ayant des conséquences sur sa durée d’invalidité et les séquelles permanentes :

[…]

 

Pour ce qui est du problème d’infection, soit l’ostéomyélite et l’arthrite septique au niveau de la cheville droite, ceci découle du traitement chirurgical qu’a subi monsieur Côté. Nous notons ici qu’il s’agit d’une complication inhabituelle du traitement chirurgical des fractures. En effet, la littérature médicale et notre expérience clinique démontrent que moins de 1 % des ostéosynthèses sur des fractures-luxations fermées au niveau des chevilles résultent en une infection. La majorité des infections sont d’ordre superficiel et la minorité de ces infections sont importantes, telles que le démontre l’évolution de monsieur Côté.

 

[…]

 

En ce qui a trait au diagnostic de non-union de l’arthrodèse tibio-astragalienne, il ne fait aucun doute que l’histoire d’infection est un facteur favorisant cette complication.

 

[…]

 

Le type de fracture-luxation qu’a présentée monsieur Côté est une lésion fréquente, qu’un orthopédiste aura à traiter plusieurs centaines de fois dans sa pratique. Habituellement, ce type de lésion s’accompagne d’une invalidité de trois à six mois. Le plus souvent, il n’existe pas de limitation fonctionnelle significative à la consolidation. Il est fort probable que monsieur Côté aurait pu reprendre son emploi de chauffeur de bétonnière.

 

Habituellement, deux chirurgies auraient été nécessaires dans le cas de monsieur Côté sil n’y avait pas eu de complication infectieuse : en effet, une première chirurgie, pour l’ostéosynthèse, et la deuxième chirurgie, mineure, pour procéder à l’exérèse de la vis syndesmotique. Les autres opérations qu’a subies monsieur Côté sont en relation avec son problème d’infection et les conséquences de cette dernière. Nous avons déjà dit que l’infection, dans le cas de l’ostéosynthèse d’une fracture fermée, est inhabituelle et non prévisible.

 

Nous sommes donc d’avis que s’il n’y avait pas eu de complication infectieuse, monsieur Côté aurait été consolidé au début de mars 2004, et ceci en comparaison avec le 23 juillet 2007. Donc, il y a eu multiplication par huit de la période d’invalidité.

 

Il est fort probable que s’il n’y avait pas eu de complication d’infection, un D.A.P. de 1 à 2 % aurait été accordé en fonction d’une légère ankylose au niveau de la cheville droite, et ceci en comparaison au D.A.P. de 18 % que nous accordons aujourd’hui. Finalement, en ce qui concerne les limitations fonctionnelles, il y aurait probablement eu absence, sinon présence de légères limitations fonctionnelles, ce qui est fortement le contraste avec ce que nous avons accordé aujourd’hui.

 

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[23]      Le principe général en matière d’imputation des coûts est édicté à l’article 326 de la loi, premier alinéa. Le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail est imputé à l'employeur :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

[24]      En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert du coût des prestations en application de l’article 327, premier alinéa, de la loi, lequel réfère à l’article 31.

[25]      Ces articles énoncent :

327.  La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :

 

1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;

 

2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.

__________

1985, c. 6, a. 327.

 

 

 

31.  Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

[26]      La Commission des lésions professionnelles tient à souligner que, selon la jurisprudence, elle a compétence pour statuer sur l’application de l’article 327 de la loi malgré l’absence d’une décision de la CSST reconnaissant l’existence d’une lésion professionnelle sous l’article 31[2].

[27]      L’employeur prétend que le travailleur a subi une série de complications, d’infections et de pathologies qui ont retardé le processus de guérison.

[28]      Ainsi, l’employeur fonde sa prétention sur le fait que l’article 327 de la loi s’applique en l’espèce puisqu’il s’agit de complications inhabituelles survenues par le fait ou à l’occasion des soins reçus par le travailleur à la suite de la lésion initiale du 8 septembre 2003.

[29]      L'employeur est prêt à assumer le coût des prestations versées jusqu'au 8 mars 2004, reconnaissant que les deux premières chirurgies sont habituelles dans le cadre d’un processus de guérison normal. Cependant, il trouve injuste de supporter le coût des prestations pour les soins reçus en raison de l’infection postopératoire.

[30]      L’employeur considère également que la fracture à la cheville droite du travailleur aurait dû lui entraîner un D.A.P. de 2 % et des limitations fonctionnelles ne l’empêchant pas de reprendre son poste de chauffeur de bétonnière.

[31]      Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que l'article 327 de la loi trouve application puisque la preuve démontre, de manière prépondérante, qu’une infection importante est survenue par le fait du traitement chirurgical de la fracture bimalléolaire de la cheville droite du travailleur.

[32]      Tout d’abord, la preuve au dossier révèle que le travailleur a eu une infection postopératoire de sa plaie dès le 8 octobre 2003. Le travailleur fut placé sous antibiotiques et a dû subir de nombreuses chirurgies. L’infection importante qu’a présentée le travailleur à partir de décembre 2003 constitue une complication qui ne survient pas dans la majorité des cas de traitement chirurgical des fractures au niveau des chevilles.

 

[33]      Suivant une jurisprudence récente, l’article 31 de la loi n’exclut pas les conséquences prévisibles de la lésion initiale dans la mesure où elles sont inhabituelles et qu’elles sont distinctes de cette lésion[3]

[34]      En effet, dans l’affaire Structures Derek inc.[4], la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la loi ne précise pas que la blessure ou la maladie doit être prévisible et que ce serait ajouter au texte de l’article 31 que d’en exclure une blessure ou une maladie parce qu’elle est plus ou moins prévisible. Exiger la non-prévisibilité de la complication aurait pour effet de rendre inopérant le premier alinéa de l’article 327 puisque presque toutes les complications qui peuvent survenir, même de façon exceptionnelle, sont prévisibles.

[35]      En second lieu, l’infection postopératoire a entraîné l’apparition de nombreuses pathologies telles l’ostéomyélite, l’arthrite septique et une déhiscence de la plaie. Ces pathologies sont, selon la preuve médicale, des complications inhabituelles et distinctes de la lésion initiale ayant des effets sur la période de consolidation et les séquelles permanentes.

[36]      Une révision de la jurisprudence permet de constater que des transferts d’imputation ont été octroyés face à des faits similaires à ceux du présent dossier.

[37]      Premièrement, l’infection postopératoire peut faire l’objet d’un transfert d’imputation prévu à l’article 327 de la loi[5] puisqu’elle constitue une nouvelle lésion survenue par le fait ou à l’occasion des soins reçus en lien avec la lésion professionnelle initiale.

[38]      Deuxièmement, l’ostéomyélite est considérée comme une lésion distincte de la lésion initiale, survenue par le fait ou à l’occasion des soins que le travailleur a reçus[6]  puisqu’il s’agit d’une conséquence des chirurgies subies.

[39]      Finalement, quant à la déhiscence de la plaie, il s’agit aussi d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi[7].

[40]      En conséquence, le tribunal conclut qu’il y a lieu d’imputer aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle de monsieur Robert Côté du 8 septembre 2003, et ce, à compter du 8 mars 2004, date à laquelle la lésion professionnelle aurait été consolidée en l’absence des complications.

[41]      Sur le plan des séquelles permanentes, le tribunal retient de l’opinion concluante du Dr Legendre que la fracture à la cheville droite du travailleur, sans les conséquences des complications, est de nature à entraîner un D.A.P. de 2 % et des limitations fonctionnelles compatibles avec son emploi de chauffeur de bétonnière. Le coût des prestations imputé à l’employeur doit être limité à un D.A.P. de 2 %. Aucun coût relié à une éventuelle réadaptation du travailleur en raison de son incapacité permanente à exercer son emploi ne doit être imputé au dossier de l’employeur.

[42]      Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de discuter de la question, à savoir si l’employeur est obéré injustement en vertu du second alinéa de l’article 326 de la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de l’employeur, Demix Béton;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 février 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que pour le coût des prestations, un éventuel déficit anatomo-physiologique ne peut être supérieur à 2 %;

DÉCLARE que le coût des autres prestations versées à monsieur Robert Côté, le travailleur, à compter du 8 mars 2004 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

__________________________________

 

Micheline Allard

 

Commissaire

 

 

Me Sylvain Toupin

DENIS & TOUPIN, AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Industrie manufacturière Mégantic et Roy, [1995] C.A.L.P. 796 ; Ministère de la Solidarité sociale (Programme expérience travail extra), C.L.P. 117998-72-9906, 25 janvier 2000, M. Lamarre. 

[3]           H.P. Cyrenne ltée, C.L.P. 131759-04B-0002, 29 juin 2000, A. Gauthier; Bell Canada et CSST, 120568-04B-9907, 7 septembre 2000, A. Gauthier; Ressources Meston inc. et CSST, [2001] C.L.P. 355 ; Structures Derek inc., [2004] C.L.P. 902 ; Poirier Bérard ltée, C.L.P. 259285-63-0504, 15 novembre 2006, J.-P. Arsenault.

[4]           Précitée, note 3.

[5]           Structures Derek inc., précitée note 3; Matane (Ville de), C.L.P. 272847-01A-0510, 23 mars 2007, J.-C. Danis.

[6]           Novo Nordisk Canada inc., C.L.P. 142435-64-0007, 22 juillet 2001, M. Montplaisir ; Brasseur Transport inc., C.L.P. 200773-62B-0303, 17 juin 2003, M.D. Lampron; Mittal Canada inc., C.L.P. 277363-62B-057, 22 mars 2006, M.D. Lampron.

[7]           Bois-Francs inc., C.L.P. 271016-01A-0509, 24 mars 2006, R. Arseneau. 

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